Congés payés : le délai de prévenance s’applique même en cas de report

Le contexte juridique :  

Pour rappel, il appartient à l’employeur d’organiser les congés payés en prévoyant suffisamment à l’avance l’ordre et la période des départs en congés. Les salariés doivent avoir connaissance de la période des congés au moins deux mois avant l’ouverture de celle-ci (C. trav. art. D 3141-5) et un mois avant s’agissant de l’ordre des départs en congés, chaque salarié étant informé individuellement de ses dates de vacances (C. trav., art. D 3141-6). Au-delà, dans certains cas, la loi et la jurisprudence permettent au salarié de reporter ses congés, notamment par exemple à l’occasion de congé de maternité ou d’adoption (C. trav., art. L 3141-2) ou en cas de maladie ou accident du travail (Cass. soc., 4-12-1996 n° 93-44.907 P ; Cass. soc., 24-2-2009 n° 07-44.488 FS-PB).

Les faits :

Dans cette affaire, un salarié victime d’un accident du travail et en arrêt de travail de longue durée acquiert 24,5 jours de congés payés qu’il ne peut prendre. Le 19 octobre 2015, son arrêt prend fin et ce dernier est déclaré, lors de la visite de reprise, apte à reprendre son poste. Son responsable hiérarchique ne l’ayant pas inscrit au planning, dans l’incertitude du diagnostic du médecin du travail, la direction du personnel lui demande de bien vouloir signer une demande de congés payés et de jours de récupération à prendre immédiatement. Le  salarié refuse mais faute de travail à effectuer, il rentre chez lui. Par suite, il est licencié pour faute grave, pour avoir refusé de se conformer à la procédure interne de l’entreprise. Le salarié saisit alors la juridiction prud’hommale et conteste son licenciement et soutient qu’ il ne pouvait lui être reproché son licenciement au motif que  l’article D. 3141-6 du Code du travail qui, énonce que : « L’ordre des départs en congé est communiqué, par tout moyen, à chaque salarié un mois avant son départ ». De son côté l’employeur soutient que cet article ne s’applique pas en cas de report : « lorsque l’employeur et le salarié, de leur accord exprès, ont accepté le report du congé annuel d’une année sur l’autre, la détermination des dates de prise effective de ce congé reporté relève du pouvoir de direction de l’employeur ».

L’arrêt et son apport :

Le 8 juillet 2020, la Cour de cassation se range du côté du salarié : « Eu égard à la finalité qu’assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, les droits à congés reportés ou acquis ont la même nature, de sorte que les règles de fixation de l’ordre des départs en congé annuel s’appliquent aux congés annuels reportés ».
Dans cet arrêt, la Cour de cassation s’appuie sur les notions dégagées par la CJUE en matière de congés payés annuels et sa décision selon laquelle « Le salarié dans l’incapacité de prendre les congés avant le terme de la période de référence est en mesure d’en obtenir le report, car le droit ne s’éteint pas à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national » (CJCE, 20 janv. 2009, aff. C-350/06 ; CJCE, 20 janv. 2009, aff. C-520/06, Schultz-Hoff et Stringer). Selon la chambre sociale les congés payés reportés et les congés payés annuels ont la même nature et doivent donc suivre le même régime. L’employeur doit en conséquence prévenir au minimum un mois avant la date de départ en congés et cette disposition vaut pour la première date fixée et pour la deuxième quand un report a été nécessaire

Par Clara Bellest

L’anonymat incompatible avec les titres de propriété industrielle : Banksy perd sa marque « le lanceur de fleurs »

Le célèbre street-artiste qui maintient le mystère autour de son identité depuis plus de vingt ans vient de connaitre une déconvenue dont son anonymat est à l’origine.

En effet, l’artiste avait attaqué une entreprise anglaise de papeterie « Full Colour Black » lui reprochant d’avoir utilisé l’une de ses œuvres les plus connues, « le lanceur de fleurs », et ce à des fins commerciales.

En réplique, l’entreprise Full Colour Black, demandait à l’office européen des marques de faire invalider la marque représentant le célèbre lanceur de fleurs peint par l’artiste en 2005 sur un mur de Jérusalem et déposée avec succès en 2014 par l’organisation chargée de représenter l’artiste, Pest Control Office.

Cette entreprise invoquait notamment l’anonymat de l’artiste ne permettant alors pas de l’identifier comme l’auteur indubitable de ces œuvres et un dépôt de mauvaise foi car réalisée sans avoir l’intention de l’utiliser pour des produits ou service à des fins commerciale.

Après deux années de bataille judiciaire, le comité de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a tranché en défaveur de l’artiste et fait invalider sa marque dans une décision publiée le 17 septembre 2020.

En effet l’EUIPO a jugé que « il est clair que lorsque Banksy a déposé la marque, il n’avait aucune intention d’utiliser l’œuvre pour commercialiser des biens ou fournir des services. Le problème que posent les droits de Banksy sur l’œuvre « Le Lanceur de fleurs » est clair : protéger ses droits au titre de la propriété intellectuelle exigerait qu’il perde son anonymat, ce qui nuirait à son personnage. Par conséquent, il ne peut pas être identifié comme le propriétaire incontestable de telles œuvres ».

De plus, le comité a ajouté que l’artiste utilisait pour support des lieux publics ou privés, sans aucune permission et ne pouvait donc se réclamer propriétaire de ses œuvres.

En octobre 2019, Banksy avait pourtant ouvert une boutique à Croydon, dans le sud de Londres, pour contester à la société Full Colour Black le droit de vendre légalement sa fausse marchandise Banksy.

Toutefois cette initiative n’a pas eu l’effet escompté et serait même venu affaiblir le dossier de l’artiste puisque l’EUIPO a relevé que que Banksy vendait dans ce magasin des marchandises « inexploitables et offensantes », dont des boules de discothèque « fabriquées à partir de casques antiémeutes usagés de la police ».

Pour l’EUIPO, l’artiste n’avait pas pour intention d’exploiter la marque « le Lanceur de Fleurs » pour vendre des marchandises mais « pour contourner la loi » et empêcher que Full Colour Black ne l’utilise.

Aaron Mills, avocat de l’éditeur de carte de vœux interrogé par le site spécialisé World Trademark Review, a d’ailleurs réagit à propos de cet argument et estime que le jugement pourrait signifier que d’autres marques de Banksy sont concernées :

« S’il n’y a pas d’intention d’utiliser la marque, alors elle est invalide. En réalité, toutes les marques de Banksy sont en danger »

Dès lors si l’anonymat de Banksy est la marque de fabrique de l’artiste ainsi que de ses œuvres d’art, cela vient néanmoins de lui porter préjudice et il pourrait voir un grand nombre de ses marques invalidées.

La question à laquelle il faudra répondre est donc celle de savoir si Banksy risque de perdre la propriété de ses œuvres ?

Par Manon Boinet

Mécénat d’entreprise en faveur des personnes en difficulté

Le mécénat est un dispositif permettant à une entreprise de verser un don à un organisme, sous forme d’aide financière ou matérielle, pour soutenir une œuvre d’intérêt général ou de se porter acquéreur d’un bien culturel déclaré trésor national. En contrepartie, elle peut bénéficier d’une réduction fiscale.

Dans le cadre du régime du mécénat d’entreprise, ouvrent droit à une réduction d’impôt au taux de 60 %, quel que soit leur montant, les versements effectués au profit des organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté, contribuent à favoriser leur logement ou procèdent, à titre principal, à la fourniture gratuite de certains soins, meubles et produits de première nécessité.

Un décret fixe la liste de ces prestations ou produits.

Ces dispositions s’appliquent aux versements effectués au cours des exercices clos à compter du 31 décembre 2020 (CGI art. 238 bis, 2 dans sa rédaction issue de l’article 134 de la loi n° 2019-1479 du 28-12-2019 : voir La Quotidienne du 13 janvier 2020).

La liste de ces prestations et produits est fixée à l’article 49 septies XC de l’annexe III au CGI, issu de l’article 1er du décret n° 2020-1013 du 7 août 2020. Cette liste reprend les prestations et produits déjà mentionnés à l’article 238 bis, 2 du CGI.

Elle apporte en outre certaines précisions.

Est ainsi visée, lorsqu’elle est exercée à titre principal, la fourniture gratuite à des personnes en difficulté, des matériels mentionnés à l’article 2 du décret 2015-981 du 31 juillet 2015 concernant les éléments du mobilier d’un logement meublé, ainsi que des meubles de rangement, linge de maison, équipements de salle de bain et de puériculture, biberons et matériels pour nourrissons et enfants en bas âge, petits et gros appareils électroménagers.

Il est également précisé que les matériels et équipements conçus spécialement pour les personnes handicapées ou à mobilité réduite sont ceux mentionnés aux a à c et f de l’article 278-0 bis, A-2° du CGI.

Enfin, il convient de relever que la fourniture de jouets et jeux d’éveil et éducatifs, de chaussures et de produits d’entretien ménager peut être prise en compte.

Par Johann Petitfils-Lamuria

Précisions sur le champ d’application de la TVA sur marge sur les cessions de terrains ayant perdu le caractère de terrain bâti

Dans un arrêt du 1er juillet 2020, le Conseil d’État réaffirme que le régime de la TVA sur marge ne s’applique pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère de terrain bâti.

En principe, la TVA est une contribution touchant le chiffre d’affaires et non le bénéfice. Ainsi, la totalité du prix de vente est concernée. En contrepartie, le vendeur assujetti peut déduire la TVA qui lui a été facturée en amont.

La TVA sur marge obéit à des règles presque opposées dans leur fondement. Ainsi, la TVA sera calculée, non pas sur le chiffre d’affaires mais sur la marge réalisée, ce qui amène certains auteurs à considérer la TVA sur marge comme un impôt sur les bénéfices.

En l’espèce, une société de marchand de biens a acquis un ensemble immobilier constitué d’un terrain sur lequel était implantée une maison d’habitation. Après son acquisition, l’ensemble immobilier a fait l’objet d’une division en neuf parcelles cédées en six lots distincts, l’une constituée d’un terrain supportant la construction et les huit autres de terrains nus.

La société a fait l’objet d’un contrôle fiscal, à l’issue duquel elle a été assujettie à des rappels de TVA procédant de la remise en cause du régime de la TVA sur la marge, dont elle avait fait application pour les opérations de cession de terrains à bâtir.

Le Tribunal administratif puis la Cour administrative d’appel ont tous deux fait droit aux demandes de la requérante en la déchargeant des rappels TVA auxquels elle a été assujettie. A la suite à ces décisions, le ministre de l’Action et des Comptes publics a donc saisi le Conseil d’Etat.

Dans sa décision, le Conseil d’État infirme la décision de la Cour administrative d’appel et explique que « les règles de calcul dérogatoires de la TVA s’appliquent aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et ne s’appliquent donc pas à une cession de terrains à bâtir qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d’un terrain bâti ».

Ainsi, les juges d’appel ont donc mal interprété les dispositions du Code général des impôts en jugeant que ne faisait pas obstacle à la mise en œuvre du régime de la TVA sur marge la circonstance que les biens cédés comme terrains à bâtir n’avaient pas été acquis comme tels.

Par Elie Lellouche

Squat : un amendement destiné à améliorer l’effectivité de la procédure d’expulsion

Principe :

L’article 38 de la loi n° 2007‑290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable était ainsi rédigé :

« En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, le propriétaire ou le locataire du logement occupé peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire.

La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Elle est notifiée aux occupants et publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Le cas échéant, elle est notifiée au propriétaire ou au locataire.

Lorsque la mise en demeure de quitter les lieux n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, le préfet doit procéder à l’évacuation forcée du logement, sauf opposition du propriétaire ou du locataire dans le délai fixé pour l’exécution de la mise en demeure ».

Il est toutefois apparu nécessaire d’améliorer l’effectivité de la procédure administrative d’expulsion de personnes occupant de façon illicite les logements occupés ou temporairement inoccupés, telles que les résidences secondaires.

Clarification :

Afin de clarifier le champ d’application de l’article 38 et mettre fin aux ambiguïtés interprétatives relatives à la notion de « domicile », un amendement (n° 695) a été adopté par l’Assemblée Nationale le 17 septembre 2020 dans le cadre du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, qui précise que le domicile correspond aussi bien aux résidences principales que secondaires ou occasionnelles, dans le but de rendre pleinement applicable la procédure d’expulsion aux personnes occupant de façon illicite ces résidences.

Deuxièmement, il introduit un délai d’instruction de 48 heures des demandes de mise en demeure des occupants présentées au préfet sur le fondement du premier alinéa de l’article 38. En cas de refus de donner suite aux demandes des propriétaires ou locataires lésés par le squat de leur logement, les services administratifs devront leur communiquer sans délai les motifs de la décision de refus.

Troisièmement, dans un même objectif de célérité procédurale, cet amendement précise que le préfet saisi d’une demande d’évacuation forcée du local devra intervenir « sans délai », ce qui permettra de renforcer concrètement le caractère opérationnel du dispositif.

Apport :

Cette évolution facilitera la protection du droit de propriété, en simplifiant et en accélérant les dispositions déjà existantes afin de lutter efficacement contre les squats de logements, qu’il s’agisse d’une résidence principale, secondaire ou occasionnelle.

 

Prise en charge de la maladie professionnelle liée à la Covid-19

Le fondement juridique :

Depuis août 2020, il est possible de demander la prise à charge en tant que maladie professionnelle de la Covid-19 contractée au travail. Un décret du 14 septembre 2020 donne un fondement réglementaire à cette prise en charge.

Le décret du 14 septembre 2020 confirme les informations déjà dévoilées dans un communiqué du 7 août 2020 de l’assurance maladie.

Les Apports :

Pour les assurés travaillant dans le secteur de la santé, la Covid 19 sera systématiquement prise en charge si elle a entraîné une affection respiratoire grave avec recours à l’oxygénothérapie ou toute autre forme d’assistance respiratoire. Les personnels concernés (personnel de soins et assimilé, de laboratoire, de service, d’entretien, administratif ou de services sociaux) et les attestations ou examens requis sont listés dans deux nouveaux tableaux de maladie professionnelle « Affections respiratoires aiguës liées à une infection au Sars-CoV2 » (tableau no 100 pour le régime général de sécurité sociale et 60 pour le régime agricole).

Pour les travailleurs des autres secteurs, ou pour ceux de la santé ne remplissant pas les conditions prévues par les tableaux précités, la Covid-19 pourra être prise en charge à titre professionnel sur avis d’un comité de reconnaissance des maladies professionnelles. Le décret du 14 septembre autorise la Cnam à confier à un comité unique, à compétence nationale et composition allégée, l’instruction de l’ensemble des demandes.

 

A noter : Un service de déclaration en ligne de maladie professionnelle liée à la Covid-19 a été mis en place : https://declare-maladiepro.ameli.fr/. Les assurés du régime général de sécurité sociale peuvent donc déposer leur demande en ligne. 

Par Meriem Khelif

Coronavirus : exigibilité des loyers commerciaux échus durant la période de fermeture administrative

L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’a pas suspendu l’exigibilité des loyers commerciaux qui peuvent être payés spontanément ou par compensation, mais interdit l’exercice de voies d’exécution forcée par le bailleur en vue de leur recouvrement.

Le jugement de la 18ème chambre du Tribunal judiciaire de Paris du 10 juillet 2020 nous fournit une première grille de lecture sur l’appréhension par les juridictions du contentieux relatif aux loyers commerciaux impayés durant la période de fermeture administrative imposée afin d’éviter la propagation de la Covid-19. En effet, ce jugement met en évidence l’exigibilité des loyers commerciaux durant cette période et révèle surtout l’intention des juridictions d’inviter les cocontractants à aménager eux-mêmes les répercussions économiques de la période de fermeture administrative, sous couvert de la bonne foi contractuelle.

En l’espèce, un preneur et son bailleur étaient en procédure depuis 2013 afin de fixer le montant du loyer de renouvellement d’un bail commercial. À la suite d’un arrêt du 29 janvier 2020 de la Cour d’appel de Paris, le bailleur a été déclaré redevable envers son preneur d’une certaine somme au titre d’un trop-perçu de loyer durant le cours de la procédure.

N’ayant pas provisionné la somme en question et rencontrant des difficultés économiques à raison de sa cessation d’activité du fait de la pandémie, le bailleur a sollicité tant des délais de paiement pour le solde de sa dette qu’une compensation avec les loyers échus durant la période de fermeture administrative et demeurés impayés par son preneur.

En réponse, le preneur a refusé tout délai de paiement et poursuivi l’exécution de la décision de la Cour d’appel de Paris du 29 janvier 2020.

Confronté à cette mesure, le bailleur a assigné à jour fixe afin d’obtenir un échelonnement de sa dette et sa compensation avec les créances de loyers impayés du preneur.

Dans son argumentaire, le preneur soutient notamment que la fermeture administrative de son commerce est de nature à le décharger de son obligation de paiement des loyers et qu’en conséquence, toute compensation avec la dette de son bailleur est à exclure. Il soutient plus particulièrement que la période juridiquement protégée a eu pour effet de reporter l’exigibilité des loyers échus et donc qu’aucune compensation ne peut s’opérer.

Après s’être déclaré compétent, le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’ayant pas suspendu l’exigibilité des loyers commerciaux, mais interdit uniquement l’exercice de voies d’exécution forcée par le bailleur en vue de leur recouvrement, la compensation des loyers impayés à son profit est donc acquise.

De plus, le Tribunal retient qu’en application de l’exigence de bonne foi, les parties étaient tenues de vérifier si les circonstances exceptionnelles ne rendaient pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives. Le bailleur ayant fait des propositions d’aménagement du paiement des loyers alors que le locataire n’a fait aucune démarche en retour, seul le bailleur avait exécuté ses obligations de bonne foi. Dès lors, le Tribunal a fait droit à sa demande de paiement intégral des loyers du deuxième trimestre 2020 par la voie de la compensation.

Si ce jugement est riche d’enseignement tant sur l’exigibilité des loyers que sur leur mode de recouvrement, il est toutefois regrettable que le preneur n’ait pas profité de ce tout premier débat judiciaire pour développer des moyens subsidiaires tels que la force majeure, l’exception d’inexécution, la perte temporaire de la chose louée ou encore l’imprévision.

Par Alexane Raynaldy

L’indemnisation pour perte d’exploitation auprès des assureurs Coronavirus : Axa condamné à indemniser un restaurant des Alpilles

Le 24 août dernier, le Tribunal de commerce de Tarascon (Bouches-du-Rhône) a condamné la compagnie Axa à indemniser un restaurateur des Alpilles pour ses pertes d’exploitation dues à l’épidémie de Covid-19, estimant « non écrite » la clause d’exclusion de garantie avancée par l’assureur.

Ce jugement, qui pourrait faire jurisprudence, prend le contrepied de celui du Tribunal de commerce de Toulouse qui, le 18 août dernier, dans un dossier similaire, avait débouté le chef étoilé Michel Sarran.

***

Dans cette ordonnance, le Tribunal de commerce de Tarascon estime « non écrite » la clause d’exclusion de garantie inscrite au contrat signé entre Axa et le restaurant La Bergerie de Mouriès, dans le massif des Alpilles, près d’Aix-en-Provence, celle-ci n’étant « ni formelle, ni limitée ».

En conséquence, il condamne Axa à indemniser le restaurateur à hauteur de 114.105 euros pour ses pertes d’exploitation entre mars et mai.

Si le contrat passé entre Axa et le restaurateur de Mouriès prévoyait bien l’indemnisation des pertes d’exploitation due à une fermeture « prise par une autorité administrative compétente », fermeture qui serait notamment «la conséquence d’une épidémie», l’assureur entendait faire jouer la clause d’exclusion de garantie inscrite au contrat. Cette clause écartait la couverture promise dans le cas où la décision de fermeture concernerait « au moins un autre établissement […] sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré ».

C’est donc cette clause qui a été écartée par le Tribunal de commerce de Tarascon, celui-ci estimant qu’elle « aurait nécessairement pour effet de vider de sa substance la garantie due par Axa » dans les cas d’épidémie.

Cette décision marque ainsi une avancée significative allant dans le sens de la prise en charge par les assureurs des pertes subies par les commerçants pendant la période de confinement face à la Covid-19.

Par Alexane Raynaldy

Locaux commerciaux, entrepôts, terrains squattés : Comment obtenir la libération des lieux ?

Les squats occupent depuis quelques semaines la 1ère page des journaux ;

Théoule-sur-Mer, une résidence occupée et une libération des lieux qui se fait attendre.

Seulement, il n’y a pas que les maisons d’habitation qui peuvent être squattées, il y a aussi des terrains nus, des entrepôts et des cellules commerciales.

Les conséquences peuvent être lourdes pour l’entrepreneur.

En premier lieu, aussi longtemps que l’occupation durera, le propriétaire ne pourra effectivement pas librement disposer de ses biens. Son accès aux emprises occupées, ou celui de toute autre personne régulièrement titrée, demeure strictement prohibé tout au long de l’occupation. Cette interdiction n’est pas à négliger puisque la braver exposerait alors son auteur à des poursuites pénales du chef de violation de domicile (que les lieux soient occupés à usage personnel ou professionnel). Le transport sur les lieux pour négocier une libération amiable ou pour sécuriser et récupérer des effets demeurés dans les lieux que certains propriétaires seraient alors tentés d’engager sont donc à proscrire, tout du moins sans l’accord exprès et formel de l’occupant ou l’autorisation préalable d’un juge.

En deuxième lieu, l’occupation sans droit ni titre expose le propriétaire à des conséquences financières, souvent significatives.

Les conséquences financières ne se limitent par ailleurs pas aux seuls loyers ou redevances perdues mais peuvent, et d’ailleurs assez fréquemment, également résulter de l’entrave à l’exploitation normale du bien que fait subir l’occupation irrégulière au propriétaire. Il en est ici question de l’obstacle à la remise en location ou, plus dommageable encore, de l’obstacle à la vente que présente l’occupation illicite.

Enfin et en dernier lieu, l’occupation sans droit ni titre expose le propriétaire à des risques en termes de responsabilité puisque, conformément aux dispositions de l’article 1244 du Code civil, le propriétaire d’un bâtiment est toujours responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par une suite du défaut d’entretien ou par le vice de sa construction. Cette responsabilité est d’autant plus sérieuse en la matière que, non seulement le propriétaire ne peut plus librement accéder à ses biens pour veiller à leur entretien ou réparer d’éventuels vices que, surtout, l’occupation illicite dont il est victime ne le décharge pas nécessairement de cette responsabilité.

Aussi, toute la problématique est de faire en sorte que cette occupation illicite soit la plus courte possible.

Dès lors qu’il ne constitue pas le domicile professionnel ou personnel d’un occupant titré (propriétaire, locataire, occupant précaire), la libération de tout bien immobilier (bâti ou non bâti) doit obligatoirement être ordonnée par un juge (I). Pour autant, le prononcé d’une décision d’expulsion n’emporte pas automatiquement ni nécessairement la libération immédiate des lieux. Il y a donc lieu de rester attentif à la procédure d’exécution de la décision prononcée, laquelle peut s’avère souvent longue et complexe (II).

 

 

I – La saisine obligatoire du juge

 

En cas d’occupation d’un bien ne constituant pas un domicile, l’introduction d’une procédure judiciaire constitue un préalable indispensable pour mettre fin à une occupation sans droit ni titre et obtenir le concours de la force publique, presque toujours indispensable pour y parvenir.

L’efficacité de la procédure introduite, que ce soit au regard du délai de l’instance que de la teneur de la décision espérée, dépendra alors très largement de la rigueur avec laquelle le plaideur préparera son dossier (A).

La collecte et l’exploitation des éléments du dossier lui permettront ensuite de déterminer à la fois le cadre procédural adapté au besoin du propriétaire entravé, mais également d’attirer l’attention du juge sur les éléments qui devront le conduire à ordonner une libération dans des délais les plus réduits possibles (B).

Une fois la décision d’expulsion prononcée, il reste au propriétaire alors au propriétaire d’en confier l’exécution à un huissier de justice (C).

 

A – Préparation du dossier : collecte et instruction des éléments indispensables au succès de l’instance

 

Si l’introduction d’une instance aux fins d’expulsion peut s’avérer relativement simple tant les règles juridiques en jeu sont a priori de compréhension facile, il ne faut pourtant pas négliger la collecte minutieuse des pièces justificatives nécessaires pour emporter la conviction du juge.

 

♦  Il est d’abord question de la qualité à agir, dont le plaideur devra faire la démonstration. Il lui faudra alors apporter la preuve de son droit de solliciter l’expulsion des occupants irréguliers.

La reine des preuves est bien entendu la production du titre de propriété, bien qu’une attestation notariée de propriété, pour peu qu’elle soit récente, suffise encore à la majorité des juridictions. Cette dernière présente par ailleurs un avantage parfois non négligeable puisqu’elle permet d’épargner au demandeur d’avoir à divulguer à l’adversaire les informations de l’acte de vente qu’il souhaiterait conserver confidentielles.

 

♦ Il est ensuite question de l’intérêt à agir ; autrement dit, de la démonstration apportée par le plaideur que les biens qui lui appartiennent font bien l’objet d’une occupation sans droit ni titre.

Cette preuve n’est pas aisée à rapporter puisque les juridictions ne se satisfont évidemment pas d’une simple déclaration du propriétaire.

Seul un procès-verbal de constat constituera alors la preuve suffisante pour établir, aux yeux du juge, la réalité de l’occupation irrégulière. Il permettra en outre de conférer date certaine à l’occupation irrégulière et d’offrir au juge une description des conditions d’occupation, informations fondamentales dans l’appréciation de la mesure d’expulsion sollicitée.

 

♦  Il est enfin question du bien-fondé des demandes qui seront présentées à la juridiction, notamment au regard de la suppression des délais de grâce qui pourra être sollicitée par le plaideur (cf. infra).

Les chances de succès d’une telle demande seront en grande partie conditionnée par la démonstration que fera le propriétaire de la nécessité urgente qu’il a de récupérer la jouissance des biens occupés.

Dès lors, il conviendra que le plaideur puisse collecter tous les éléments de nature à démontrer l’entrave que constitue l’occupation irrégulière sur l’exploitation de son bien tels qu’une promesse de vente, une promesse de bail, des marchés de travaux si le bien doit en faire l’objet, etc.

Ces éléments collectés, le propriétaire est alors préparé pour identifier et saisir la juridiction compétente.

 

B – L’introduction et le déroulement de l’instance : détermination de la juridiction compétente, de la voie procédurale et des moyens de droit

 

♦ Si la détermination de la juridiction compétente territorialement pose peu de difficultés puisqu’il s’agit toujours de celle dans le ressort de laquelle est situé le bien occupé, la détermination de la juridiction matériellement compétente mérite plus d’attention puisque l’action peut alternativement relever de la compétence du tribunal de grande instance ou de celle du tribunal d’instance.

Le partage de la compétence matérielle entre ces deux juridictions de premier degré est alors fixé par les dispositions de l’article R. 221-5 du Code de l’organisation judiciaire, lesquelles attribuent au tribunal d’instance une compétence exclusive pour les « actions tendant à l’expulsion des personnes qui occupent aux fins d’habitation des immeubles bâtis, sans droit ni titre ».

A contrario, tous les autres types d’occupations irrégulières en matière civile, qu’elles affectent des ouvrages bâtis à usage de commerce ou industriel ou qu’elles affectent des terrains nus à toutes fins (y compris aux fins d’habitation), relèvent de la compétence du tribunal de grande instance.

 

♦ Une fois la juridiction compétente identifiée, il convient de choisir la voie procédurale la plus opportune.

La voie du référé semble ici, de façon générale, devoir être privilégiée puisqu’elle emporte trois avantages considérables.

Ainsi, elle permet, du moins en théorie, d’obtenir un audiencement plus prompt qu’au fond. En deuxième lieu, elle confère l’exécution provisoire de droit à la décision à intervenir. Puis, en dernier lieu, elle n’est pas soumise à l’obligation d’une postulation devant le tribunal de grande instance.

En cas d’urgence dûment avérée, la voie du référé d’heure à heure (et du jour fixe si le fond est privilégié), quoique plus lourde puisqu’elle nécessite l’autorisation préalable de la juridiction saisie, est également adaptée puisqu’elle circonscrira les délais à une convocation à brefs délais et les débats à une audience.

Ceci étant, les plaideurs devront demeurer attentifs aux cas d’espèce particuliers qui, par la typologie de l’occupation irrégulière rencontrée, particulièrement lorsqu’elle est à usage d’habitation et qu’elle dure depuis une certaine durée, devront aussi envisager la saisine du juge du fond.

En effet, la Cour européenne des droits de l’Homme, à travers son arrêt « Winterstein »[1], a imposé au juge national d’exécuter un examen de proportionnalité entre la mesure d’expulsion sollicitée et l’ingérence qu’elle induit sur le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des occupants.

 

♦ Les moyens de droit et de fait, outre la cessation du trouble illicite que constitue l’occupation sans droit ni titre du bien appartenant à autrui, seront concentrés sur la suppression des délais dont les occupants pourront éventuellement bénéficier une fois la décision prononcée – lesquels peuvent durer jusqu’à trois ans.

La portée, le bénéfice et la durée de ces délais sont régis par le code des procédures civiles d’exécution aux termes de ses articles L. 412-1 et suivants[2].

Il résulte de ces articles que deux situations sont à distinguer.

L’occupation illicite ab initio bénéfice d’un régime plus strict qui permet au plaideur d’obtenir la suppression des délais visés aux articles L. 412-1 et L. 412-6 dès lors qu’elle s’exécute sur un bien à usage de domicile.

Pour sa part, l’occupation illicite qui résulte de l’échéance pour toute cause d’un titre d’occupation valablement accordé, offre quant à elle un régime plus protecteur pour l’occupant.

Ce dernier bénéficiera a minima d’un délai de 2 mois pour libérer spontanément les lieux à compter de la signification de la décision et, lorsqu’il s’agira de locaux à usage d’habitation, d’un sursis à exécution de l’expulsion pour cause de trêve hivernale (1er novembre – 31 mars).

Ceci étant, l’attention des propriétaires et des praticiens doit être attirée sur la possibilité pour l’occupant irrégulier de solliciter, en toute hypothèse, le bénéfice de délais de grâce sur le fondement des articles L. 412-3 et L. 412-4 du Code des procédures civiles d’exécution, lesquels peuvent alors durer de 3 mois à 3 ans.

Il est donc essentiel, pour éviter au propriétaire de subir les conséquences d’une longue occupation, que le plaideur puisse justifier dès l’introduction de son recours de toutes les circonstances de fait qui militent en faveur d’une libération urgente des lieux.

C’est sur la base de l’ensemble de ces éléments que le juge prononcera sa décision et déterminera les modalités de libération des lieux. Or, même dépourvue de délais, le prononcé de la décision d’expulsion n’emporte pas libération immédiate des lieux. Il appartient en effet au propriétaire de saisir un huissier, dont il relève de l’office exclusif la mise en œuvre de cette mesure.

 

 

II – La mise en œuvre de la décision d’expulsion : voies de recours et exécution

 

La mise en œuvre de la décision d’expulsion dépend essentiellement de deux paramètres : d’une part des voies recours que l’occupant évincé peut mobiliser (qui elles-mêmes se divisent en deux catégories) et, d’autre part, des diligences d’exécution forcée qui doivent être confiées à un huissier de justice.

 

♦ Tout d’abord, l’occupant peut contester le principe même de la décision dont il fait l’objet. Le recours s’exerce alors par la voie de l’appel devant la Cour dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l’ordonnance de référé et dans un délai d’un mois à compter de la signification du jugement au fond.

Toutefois, lorsque cet appel est interjeté à l’encontre d’une ordonnance de référé ou d’un jugement au fond assorti de l’exécution provisoire, l’appel n’interrompt pas les effets exécutoires de la décision contestée.

Dès lors, le propriétaire peut poursuivre, à ses risques et périls certes, l’exécution de la décision ordonnant l’expulsion des occupant sans droit ni titre. L’opportunité de la poursuite de l’exécution dans cette hypothèse s’évalue alors à chaque d’espèce, au regard de la décision prononcée par le juge du premier degré.

L’expérience montre néanmoins que, en matière de référé, les cas de réformation d’une ordonnance de première instance demeurent rares et ne tiennent, pour l’essentiel, qu’à des violations formelles de la loi (par exemple la violation du principe du contradictoire).

 

♦ Ensuite et surtout, indépendamment de l’appel interjeté contre la décision d’expulsion et dès lors que le commandement de quitter les lieux a été signifié à l’occupant litigieux, ce dernier peut toujours solliciter du juge de l’exécution l’octroi de délais supplémentaires pour se maintenir dans les lieux.

La saisine du juge de l’exécution (ci-après « JEX ») n’est pas davantage suspensive des effets exécutoires de la décision rendue (qui sont de droit en référé ou accordés par le juge du fond) jusqu’au prononcé de sa décision par le JEX.

Aussi, le propriétaire peut toujours poursuivre l’exécution de la procédure d’expulsion jusqu’à ce que le JEX n’ait purgé sa saisine par le prononcé d’une décision.

Toutefois, l’attention des plaideurs doit ici être attirée sur la circonstance que la saisine du JEX par l’occupant rend alors le propriétaire débiteur d’une « obligation de loyauté », laquelle lui commande de ne pas exécuter la décision d’expulsion dont le JEX se trouve saisi.

La violation de cette obligation de loyauté, si elle n’autorise pas le JEX à modifier le titre exécutoire ayant prononcé l’expulsion en ordonnant la réintégration de l’occupant dans les lieux, lui permet de condamner le propriétaire à réparer le préjudice en résultant.

Le risque est alors exclusivement pécuniaire et sera, souvent, compensé par les condamnations que les occupants sans droit ni titre auront été condamnés à verser par le juge du premier degré au titre de la violation du droit de propriété causé.

En revanche, si l’expulsion n’a pas été mise à exécution avant le prononcé de sa décision par le JEX, alors tout délai que ce dernier accorderait aux occupants feront obstacle à toute exécution jusqu’à leur expiration.

Le propriétaire pourra alors toujours interjeter appel du jugement qui accorderait de tels délais. Il faut toutefois savoir que, dans cette hypothèse, l’appel n’est pas suspensif des effets du jugement. L’opportunité d’un tel appel s’appréciera donc en fonction du délai accordé par le JEX et des délais d’audiencement à prévoir devant la Cour.

 

♦ Enfin, la libération effective des lieux dépendra des diligences exécutées par l’huissier de justice pour la mettre en œuvre.

Or et dans un premier temps, les délais d’exécution de ces diligences dépendent largement de la date à laquelle la force publique accordera son concours pour mettre fin à l’occupation illégitime.

La difficulté réside ici dans la disponibilité des forces de l’ordre, laquelle veut varier, parfois sensiblement, d’un secteur à l’autre et d’un cas d’espèce à l’autre. L’huissier instrumentaire des opérations ne disposent pas du pouvoir de contraindre l’Etat à accorder son concours et seule une action en responsabilité pourra permettre au propriétaire d’obtenir la réparation du préjudice qui résulterait d’un retard dans le concours sollicité.

Puis, dans un second temps, la libération effective des lieux suppose également qu’ils soient vidés des meubles éventuellement laissés sur place par les occupants.

Le sort des meubles, régi par les dispositions des articles L. 433-1 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution, permet alors au propriétaire de les laisser sur place jusqu’à ce que le JEX ne statue sur leur sort (mise en vente aux enchères ou abandon) ou encore de les déplacer, à ses frais avancés, dans un lieu de son choix jusqu’à ce que le JEX ne statue sur leur sort.

La date de l’audience à laquelle le juge de l’exécution sera appelé à statuer sur le sort des meubles est connue au jour de l’expulsion et communiquée aux occupants sous la forme d’une assignation qui leur est signifiée pendant cette opération.

Il convient donc pour le propriétaire d’anticiper les éventuelles difficultés que pourront présenter la gestion des meubles des occupants évincés.

 

 

En conclusion, l’efficacité d’une instance aux fins de libération de lieux occupés tient d’abord à la qualité des pièces justificatives (titre de propriété, titre d’occupation litigieux, acte de résiliation du titre d’occupation, procès-verbal de constat de la permanence de l’occupation) qui auront été rassemblées par le propriétaire préalablement à l’instance pour établir sa qualité, son intérêt et le bienfondé de son action.

L’examen de ces éléments permettra de choisir la voie procédurale adaptée qui, dans la majorité des cas sera celle du référé, laquelle offre des délais d’audiencement réduit, confère l’exécution provisoire de droit à la décision prononcée et exonère le plaideur d’une postulation obligatoire.

Les moyens de droit et de fait seront quant à eux concentrés sur le trouble causé par l’occupation sans droit ni titre et la suppression des délais dont l’occupant est susceptible de bénéficier.

L’exécution de la décision et la récupération effective des lieux par son propriétaire n’est toutefois pas immédiate. Elles supposent l’expiration des délais s’ils ont été accordés, éventuellement l’expiration des voies de recours et de la date à laquelle la force publique acceptera de prêter son concours.

Les propriétaires doivent ainsi garder à l’esprit les délais de procédure potentiellement importants qui peuvent s’écouler entre la constatation de l’occupation irrégulière et la libération effective des lieux, les invitant à faire preuve de célérité dans l’instruction et l’introduction de leur instance.

 

 – 

[1] Cour européenne des droits de l’Homme, Winterstein et autres c. France, requête n° 27013/07, 17 octobre 2013

[2] Code des procédures civiles d’exécution, article L. 412-1, modifié par la Ioi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 – art. 201 : Si l’expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l’article L. 442-4-1 du Code de la construction et de l’habitation n’a pas été suivie d’effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai. Le délai prévu au premier alinéa du présent article ne s’applique pas lorsque le juge qui ordonne l’expulsion constate que les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait.

Article L. 412-3, modifié par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 – art. 143 : Le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation. Le juge qui ordonne l’expulsion peut accorder les mêmes délais, dans les mêmes conditions. […]

Article L. 412-4, modifié par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 – art. 27 (V) : La durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du Code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés.

Article L. 412-6, modifié par la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 – art. 201 : Nonobstant toute décision d’expulsion passée en force de chose jugée et malgré l’expiration des délais accordés en vertu de l’article L. 412-3, il est sursis à toute mesure d’expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année jusqu’au 31 mars de l’année suivante, à moins que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille. Par dérogation au premier alinéa du présent article, ce sursis ne s’applique pas lorsque la mesure d’expulsion a été prononcée en raison d’une introduction sans droit ni titre dans le domicile d’autrui par voies de fait. Le juge peut supprimer ou réduire le bénéfice du sursis mentionné au même premier alinéa lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans tout autre lieu que le domicile à l’aide des procédés mentionnés au deuxième alinéa.

 

Par Claire-Marie Dubois-Sapenlé et Romain Desaix

Le droit à l’erreur est admis sur une demande de communication unique de documents dans le cadre de l’exercice du droit de préemption

Par un arrêt en date du 9 mars 2020, la Cour administrative d’appel de Douai se montre pragmatique lorsque le titulaire du droit de préemption commet de légères erreurs dans sa demande de communication unique de documents et accepte, tout de même, de suspendre le délai d’exercice du droit de préemption.

En l’espèce, le titulaire du droit de préemption avait formulé une demande unique en sollicitant la transmission des documents suivants :

  1. « une copie de l’avant-contrat de vente s’il existe » ;
  2. « le dossier technique mentionné à l’article L. 213-4 du Code de la construction et de l’habitation » ;
  3. « l’indication de la superficie des locaux ou s’il existe le mesurage effectué par un professionnel » ;
  4. « l’acte constitutif des servitudes et, si elles existent, ses annexes ».

On constate immédiatement que cette demande comporte certaines erreurs sur deux types de documents réclamés mais le juge administratif décide de ne pas les sanctionner :

  1. le titulaire du droit de préemption aurait dû solliciter « les extraits de l’avant-contrat de vente contenant les éléments significatifs relatifs à la consistance et l’état de l’immeuble » et non la copie entière de l’avant-contrat. Néanmoins, le juge administratif considère, compte tenu du caractère lacunaire de la déclaration d’intention d’aliéner quant à la consistance et l’état de l’immeuble en cause et à la référence faite à l’article R. 213-7 du Code de l’urbanisme que cette demande doit être regardée comme sollicitant les extraits de l’avant-contrat de vente contenant les éléments significatifs relatifs à la consistance et l’état de l’immeuble visés au 6° de l’article précité ;

  2. le titulaire du droit de préemption aurait dû viser l’article L. 271-4 du Code de la construction et de l’habitation au lieu de l’article L. 213-4 pour demander la communication du dossier de diagnostic technique. Pour autant, le juge administratif estime que cette erreur de plume n’a pas pu induire en erreur le professionnel de l’immobilier auquel était adressé ce courrier.

 

Finalement le juge administratif n’est pas inflexible sur les imperfections que pourraient comporter la demande de communication unique de documents et se refuse à tout excès de formalisme.

En conséquence, il admet de suspendre le délai d’exercice du droit de préemption, nonobstant les quelques erreurs affectant la demande de communication unique de documents.

Autorisation d’urbanisme et article R. 111-2 du Code de l’urbanisme : appréciation du risque pour la sécurité publique en présence d’un plan de prévention des risques naturels

Aux termes de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme :

« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations ».

Dans sa décision du 22 juillet 2020, le Conseil d’Etat a précisé l’analyse que devait poursuivre le service instructeur – puis, le cas échéant, le juge administratif – sur l’application de l’article R. 111-2 précité lorsqu’un plan de prévention des risques est opposable sur le territoire concerné :

« 4. Aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme : “ Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations “.

5. En vertu de l’article L. 562-1 du code de l’environnement, l’Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles, en particulier pour les inondations, qui ont notamment pour objet de délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de leur nature et de leur intensité, d’y interdire les constructions ou la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages ou de prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités. L’article L. 562-4 du même code précise que “ le plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé vaut servitude d’utilité publique. Il est annexé au plan d’occupation des sols, conformément à l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme […] “.

6. Les prescriptions d’un plan de prévention des risques naturels prévisibles, destinées notamment à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés aux risques en cause et valant servitude d’utilité publique, s’imposent directement aux autorisations de construire, sans que l’autorité administrative soit tenue de reprendre ces prescriptions dans le cadre de la délivrance du permis de construire. Il incombe à l’autorité compétente pour délivrer une autorisation d’urbanisme de vérifier que le projet respecte les prescriptions édictées par le plan de prévention et, le cas échéant, de préciser dans l’autorisation les conditions de leur application. Si les particularités de la situation l’exigent et sans apporter au projet de modifications substantielles nécessitant la présentation d’une nouvelle demande, il peut subordonner la délivrance du permis de construire sollicité à des prescriptions spéciales, s’ajoutant aux prescriptions édictées par le plan de prévention dans cette zone, si elles lui apparaissent nécessaires pour assurer la conformité de la construction aux dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme. Ce n’est que dans le cas où l’autorité compétente estime, au vu d’une appréciation concrète de l’ensemble des caractéristiques de la situation d’espèce qui lui est soumise et du projet pour lequel l’autorisation de construire est sollicitée, y compris d’éléments déjà connus lors de l’élaboration du plan de prévention des risques naturels, qu’il n’est pas légalement possible d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions permettant d’assurer la conformité de la construction aux dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, qu’elle peut refuser, pour ce motif, de délivrer le permis » (CE 22 juillet 2020, n° 426139).

Autrement dit et au regard des conclusions éclairantes de Monsieur le rapporteur public, Olivier Fuchs, sur cette affaire, il convient, dans une telle hypothèse, de :

  • Vérifier que le projet respecte les dispositions réglementaires du PPRI et que ces dernières sont suffisantes pour garantir la sécurité publique au regard du projet en cause ;
  • Si tel n’est pas le cas, s’interroger sur le fait de savoir si des prescriptions supplémentaires peuvent être imposées sur le fondement de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme ;
  • Et ce n’est qu’à défaut de pouvoir imposer de telles prescriptions que le permis de construire doit être refusé.

Ainsi, dans l’affaire en cause, le Conseil d’Etat a considéré que le tribunal administratif de Versailles avait commis une erreur de droit en annulant le permis de construire sans rechercher si les prescriptions du plan de prévention du risque d’inondation de la vallée de la Seine avait été respectées et n’étaient pas, à elles seules ou, le cas échéant, complétées de prescriptions spéciales, de nature à prévenir les risques d’atteinte à la sécurité publique :

« 7. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le projet autorisé par le permis de construire litigieux consiste en la réalisation de 758 logements devant accueillir environ 2 000 personnes, de plusieurs commerces et d’une crèche de 60 berceaux, sur un terrain situé au bord du bras de la Darse, long d’environ 850 mètres, dans la zone “ ciel “ du plan de prévention du risque d’inondation (PPRI) de la vallée de la Seine, correspondant à un aléa “ moyen “. Le tribunal a relevé, d’une part, qu’il ressort de l’étude hydraulique produite au dossier qu’en cas de forte crue, équivalente à la crue centennale, le site serait intégralement inondé, avec une hauteur d’eau moyenne d’un mètre et qu’en cas de crue moins importante, l’îlot central serait inondé, ainsi qu’une grande partie des parcelles voisines et, d’autre part, que l’Agence régionale de santé a émis un avis défavorable sur le projet. En en déduisant que, au vu de l’importance du projet et de la circonstance qu’il prévoit l’installation sur le site d’un établissement accueillant de très jeunes enfants, le maire avait commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme en accordant le permis de construire attaqué, sans rechercher si, comme il était soutenu devant lui, les prescriptions du plan de prévention du risque d’inondation de la vallée de la Seine avait été respectées et n’étaient pas, à elles seules ou, le cas échéant, complétées de prescriptions spéciales, de nature à prévenir les risques d’atteinte à la sécurité publique, le tribunal a commis une erreur de droit ».

Précision par le Conseil d’Etat de l’autorité compétente pour régulariser un PLU

L’article L. 600-9 du Code de l’urbanisme, introduit par la loi n° 2014-366 dite loi ALUR, n’en finit pas de nourrir le contentieux administratif.

Pour rappel, cet article, bonne illustration de la volonté d’introduire toujours plus de pragmatisme dans le contentieux de l’urbanisme, permet au juge administratif, saisi de la légalité d’un SCOT, d’un PLU ou encore d’une carte communale, de surseoir à statuer dans l’attente de la régularisation d’un ou plusieurs vices dont serait entaché le document d’urbanisme en cause (il permet également de n’annuler que partiellement ces documents, mais ce n’est pas l’objet de la jurisprudence commentée).

La décision SCI l’Harmas du 29 juillet dernier apporte de nouvelles précisions sur les conditions d’utilisation de cet outil contentieux.

Dans cette affaire, la SCI l’Harmas a sollicité le juge administratif afin que celui-ci annule la délibération du 23 juillet 2015 par laquelle la commune d’Aix-en-Provence a approuvé son plan local d’urbanisme.

Cette délibération a fait parallèlement l’objet d’un autre contentieux, à l’occasion duquel, le Tribunal administratif de Marseille a accueilli le moyen tenant à l’insuffisance de motivation du rapport de la commission d’enquête. Ce faisant, le tribunal a sursis à statuer en application de l’article L. 600-9, dans l’attente de la régularisation de ce vice. Par suite, la commission d’enquête a complété sa motivation en juillet 2017, et la commune d’Aix-en-Provence a approuvé cette régularisation par une nouvelle délibération intervenue en septembre 2017.

Parallèlement, devant la CAA de Marseille, la SCI l’Harmas avait également soulevé le moyen relatif à l’insuffisance de motivation du rapport de la commission d’enquête. Pour écarter ce moyen, la cour a tenu compte de la régularisation opérée par la délibération du 26 septembre 2017 de la commune d’Aix-en-Provence.

La SCI, devant le Conseil d’Etat, a critiqué l’arrêt de la CAA de Marseille, en soutenant que la régularisation n’avait pu valablement être opérée, dans la mesure où la commune d’Aix-en-Provence n’était plus compétente en matière de plan local d’urbanisme, au regard de la création, le 1er janvier 2016, de la Métropole Aix-Marseille-Provence.

Pour répondre à ce moyen de cassation, le Conseil d’Etat a commencé par rappeler sa jurisprudence commune de Sempy (CE, 22 déc. 2017, n°395963) en jugeant que « il appartient à l’autorité compétente de régulariser le vice de forme ou de procédure affectant la décision attaquée en faisant application des dispositions en vigueur à la date à laquelle cette décision a été prise ».

En revanche, le Conseil d’Etat précise dans la suite de sa décision que « la compétence de l’autorité appelée à approuver la régularisation doit être appréciée au regard des dispositions en vigueur à la date de cette approbation ». Ce faisant, c’est l’autorité compétente en matière de PLU au jour de l’approbation de la régularisation, et non au jour de l’édiction de la décision initiale, qui peut valablement approuver la régularisation du document d’urbanisme litigieux.

Toute la question était alors ici de savoir si, entre la délibération du 23 juillet 2015 approuvant le PLU, et la délibération du 29 septembre 2017 approuvant la régularisation du PLU, la compétence PLU avait été transférée à la Métropole. En cas de réponse positive, il fallait alors considérer que la commune ne pouvait valablement adopter la délibération du 29 septembre 2017. Toutefois, la compétence n’a été transférée à la Métropole qu’à compter du 1er janvier 2018, de sorte que la commune pouvait valablement approuver la régularisation du PLU.

Cette jurisprudence doit inciter à une vigilance accrue lors de la mise en œuvre des procédures de régularisation, seule l’autorité compétente au jour de la délibération de régularisation peut valablement acter d’une telle régularisation.

Droit de préférence du preneur et possibilités du bailleur

A l’occasion d’un litige en fixation de loyer avec son preneur, un bailleur notifie à ce dernier, en application de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, une offre de vente des locaux à un prix de 5.050.000 €, outre d’importants frais notariés et 300.000 € de frais d’agence à la charge de l’acquéreur, par lettre recommandée en date du 19 octobre 2018, réitérée par acte d’huissier le 24 octobre 2018.

Le preneur conteste l’offre le 29 octobre 2018 et, le 9 novembre suivant, le bailleur conclut avec un tiers acquéreur une promesse unilatérale de vente sous réserve de la purge du droit de préférence du preneur.

Le bailleur assigne son preneur à jour fixe aux fins de confirmation de la purge du droit de préférence légal avait bien été mise en œuvre par ses soins.

Le bailleur ayant obtenu gain de cause en première instance, le preneur relève appel du jugement au motif que la notification de l’offre de vente aurait dû être antérieure à toute négociation avec un tiers, avant tout mandat de vente et avant tout avant-contrat.

Suivant arrêt du 27 mai 2020, la Cour d’appel de Paris déboute le preneur de l’intégralité de ses demandes et confirme ainsi le jugement entrepris.

Les juges du second degré estiment en effet que le bailleur pouvait, sans remettre en cause la validité de l’offre de vente au preneur, entamer des démarches aux fins de commercialisation de son bien, de détermination de sa valeur et de vérification d’un marché de la vente.

L’arrêt rappelle au passage que l’inclusion dans le prix de l’offre de vente, sans introduire de confusion dans l’esprit de l’acquéreur, du coût des honoraires de l’agent immobilier alors qu’ils ne sont pas dus, n’est pas une cause de nullité de l’offre de vente.

Régime applicable au bail reconduit après la cession à un organisme HLM

Un bailleur a donné à bail à un couple de locataire à compter du 15 juillet 1991 un appartement acquis en 2001 par un organisme HLM.

Par la suite, un nouveau bail est régularisé entre les locataires et l’organismes HLM.

En 2015, après avoir fait plusieurs offres de relogement refusées par la locataire, le bailleur lui notifie un congé pour démolir demeuré infructueux et l’assigne en expulsion, sur le fondement de dispositions applicables aux logements sociaux non conventionnés.

Le bailleur ayant obtenu gain de cause en première instance et en appel, la locataire forme un pourvoi en cassation. Elle prétend que le congé aurait dû respecter les formes et conditions de l’article 15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, le bail étant selon elle soumis à cette législation et non à celle relative aux logements sociaux non conventionnés.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère que c’est à bon droit que la Cour d’Appel a dit que les dispositions propres aux logements appartenant à des organismes HLM ne faisant pas l’objet d’une convention ne sont pas applicables aux baux en cours lors de l’acquisition de ces logements par l’organisme HLM, mais que, les baux reconduits étant de nouveaux baux, ceux-ci ne peuvent, lors de leur reconduction, demeurer régis par les dispositions de droit commun des baux d’habitation auxquelles ils étaient initialement soumis.

Ainsi, ce n’est qu’à l’occasion d’une reconduction de bail ou d’un nouveau bail que le régime de ce dernier suit celui la qualité du nouveau bailleur.

Précisions sur la notion d’établissement recevant du public (ERP) et l’application de la réglementation en vigueur

Par un jugement rendu le 18 juin 2020, le Tribunal administratif de Montreuil a eu l’occasion de revenir sur la notion d’établissement recevant du public et sur l’application de la réglementation en vigueur.

En l’espèce et d’un point de vue factuel, une association a conclu un bail commercial portant sur un local situé au premier étage d’un bâtiment.

A la suite d’une visite inopinée et après avoir constaté de nombreuses anomalies, la commission communale de sécurité et d’accessibilité a émis un avis défavorable à l’admission du public au sein de ce local ainsi que celui situé au même étage et occupé par une seconde association distincte.

Sur la base de cet avis et en raison des dangers pour le public, la commune a pris un arrêté de fermeture de l’ensemble de l’établissement recevant du public et a mis en demeure les présidents de chacune des associations de respecter et faire respecter ledit arrêté municipal.

L’une des associations a alors formé un recours gracieux infructueux puis un recours contentieux afin notamment d’obtenir l’annulation de l’arrêté de fermeture pris par la commune.

A cet effet, cette dernière a fait valoir que le maire de la commune avait, de manière erronée, considéré que les locaux de chacune des deux associations faisaient partie d’un même établissement recevant du public, alors que ces locaux faisaient l’objet de baux commerciaux distincts, que les preneurs de ces baux étaient distincts et qu’ils n’accueillaient pas le même public.

Toutefois, après avoir rappelé les dispositions des articles R. 123-2 et R 123-21 du  Code de la construction et de l’habitation ainsi que celle de ‘l’article GN 2 de l’arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public, le Tribunal a jugé qu’il ressort de ces dispositions que « lorsqu’elles ne sont pas isolées conformément aux dispositions réglementaires, les exploitations distinctes regroupées dans un même bâtiment sont considérées comme un seul établissement recevant du public, au sens et pour l’application de la réglementation contre les risques d’incendie et de panique, nonobstant la circonstance qu’il s’agisse d’établissements indépendants au regard du droit des sociétés et du droit commercial ».

Autrement dit, plusieurs exploitations de types similaires peuvent coexister dans le même bâtiment et constituer autant d’établissements recevant le public, sous réserve que ces exploitations regroupées au sein d’un même bâtiment répondent à des conditions d’isolement.

En l’espèce et pour rejeter sa requête, le Tribunal a ainsi considéré que l’association requérante qui avait ouvert son local au public sans autorisation municipale n’alléguait pas que ces conditions d’isolement seraient remplies, étant précisé que l’existence de baux commerciaux, de preneurs et de publics distincts est indifférente à la définition physique de l’établissement recevant du public.

Il a ainsi conclu que, compte tenu de la description des lieux telle qu’elle ressort du procès-verbal de la commission communale de sécurité et d’accessibilité, la commune, qui contrairement à ce que soutenait l’association requérante, avait effectivement constaté que les locaux étaient exploités par deux associations distinctes, a pu considérer que les deux locaux, desservis par le même accès et le même escalier intérieur au même étage du même bâtiment, constituent un seul établissement recevant du public au sens et pour l’application de la réglementation contre les risques d’incendie et de panique.

Cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence très stricte sur l’application de la réglementation en vigueur concernant les établissements recevant du public lesquels endossent une grande responsabilité.

Dépôt du rapport d’expertise et dessaisissement de l’expert judiciaire

Par un arrêt rendu le 9 juillet 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation est revenue sur les règles applicables en matière d’expertise judiciaire. 

En l’espèce et très brièvement, à la fin de ses opérations d’expertise, l’Expert a déposé un premier rapport d’expertise. 

Postérieurement, et sans en aviser les parties, l’Expert a déposé un second rapport. 

En première instance, la Cour d’appel a écarté des débats ce rapport d’expertise complémentaire déposé après le dessaisissement de l’expert judiciaire désigné. 

La Cour de cassation a alors confirmé l’arrêt de la Cour d’appel en considérant que : 

« […] ayant relevé que, dans son rapport déposé le 27 mars 2017, l’expert judiciaire ne s’était pas prononcé sur l’incidence fiscale de la cession des parts sociales, point qui ne figurait pas dans les chefs de sa mission, mais qu’il avait pris l’initiative, sans en aviser les parties, de déposer le 10 avril 2017, après son dessaisissement, un second rapport comprenant un développement sur cette incidence et modifiant certains postes d’éléments de l’actif et ayant retenu que ce rapport complémentaire avait été établi en dehors des règles de l’expertise civile, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a souverainement déduit que celui-ci devait être écarté des débats. » 

Autrement dit, après dépôt de son rapport d’expertise, l’Expert judiciaire désigné est dessaisi et ne peut reprendre ses opérations d’expertise sans obtenir l’autorisation du juge. 

En pratique, les exceptions à ce principe sont restreintes et encadrées de sorte que les parties doivent être particulièrement vigilantes avant le dépôt du rapport de l’Expert judiciaire si elles souhaitent encore produire des pièces, formuler des observations ou demandes indemnitaires complémentaires.   

Retour sur les contours de l’assurance obligatoire en cas de travaux sur existants

Par un arrêt rendu le 25 juin 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de revenir, une nouvelle fois, sur la question de l’assurance obligatoire en cas de travaux sur existants.

Pour mémoire, il résulte des dispositions de l’article L. 243-1-1 du Code des assurances que :

« I. – Ne sont pas soumis aux obligations d’assurance édictées par les articles L. 241-1, L. 241-2, et L. 242-1 les ouvrages maritimes, lacustres, fluviaux, les ouvrages d’infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires, héliportuaires, ferroviaires, les ouvrages de traitement de résidus urbains, de déchets industriels et d’effluents, ainsi que les éléments d’équipement de l’un ou l’autre de ces ouvrages. Les voiries, les ouvrages piétonniers, les parcs de stationnement, les réseaux divers, les canalisations, les lignes ou câbles et leurs supports, les ouvrages de transport, de production, de stockage et de distribution d’énergie, les ouvrages de télécommunications, les ouvrages sportifs non couverts, ainsi que leurs éléments d’équipement, sont également exclus des obligations d’assurance mentionnées au premier alinéa, sauf si l’ouvrage ou l’élément d’équipement est accessoire à un ouvrage soumis à ces obligations d’assurance. II. – Ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».

En l’espèce, des particuliers ont confié à une entreprise l’aménagement des combles d’une maison après modification de la charpente et création d’un plancher ainsi que de trois fenêtres.

Postérieurement, ils se sont plaints de l’apparition d’infiltrations et de désordres à l’intérieur et à l’extérieur de l’immeuble.

Après une expertise judiciaire, ils assignent l’entreprise ainsi que son assureur responsabilité civile décennale en indemnisation de leurs préjudices.

Aux termes de son arrêt, la Cour d’appel a limité la condamnation de l’assureur à garantir l’entreprise « au montant du coût des travaux de reprise de l’ouvrage neuf […] ».

La Cour de cassation confirme l’arrêt sur ce point et considère que « la cour d’appel a exactement retenu que les dommages causés par répercussion à l’ouvrage existant ne relevaient de l’obligation d’assurance que si cet ouvrage était totalement incorporé à l’ouvrage neuf et en devenait techniquement indivisible » ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque « la modification de la charpente avait consisté à rigidifier le triangle supérieur des fermettes par la suppression des contre-fiches et l’ajout à chacune d’elles des renforts d’arbalétriers et des entraits et la mise en place de jambettes et d’une sorte d’entrait retroussé » et non une incorporation totale à l’ouvrage neuf.

Elle a ainsi conclu que l’assureur ne devait sa garantie à l’entreprise que pour les travaux de reprise des désordres affectant l’ouvrage neuf réalisé.

Encore une opportunité pour la Cour de clarifier les contours de l’assurance obligatoire en cas de travaux sur existants dont l’appréciation ne peut se faire qu’au cas par cas.

Vers une éventuelle fusion de SUEZ et VEOLIA, les deux opérateurs majeurs du secteur de l’eau et des déchets en France

Véritable serpent de mer depuis 2006, le rapprochement des deux groupes français, acteurs mondiaux majeurs dans le domaine de l’eau et des déchets, semble relancé.

ENGIE, qui détient plus de 32 % de parts de SUEZ, souhaite vendre sa participation pour simplifier sa structure et rendre plus cohérentes et lisibles ses activités, plutôt éloignées du domaine de l’eau. Cette vente a nécessairement reçu le soutien de l’Etat, lui-même actionnaire à hauteur de 23 % d’ENGIE, et qui n’a évidemment pas intérêt à ce que la vente se fasse à vil prix.

VEOLIA a fait montre de son intérêt de rachat de ces parts, et envisage ensuite de lancer une OPA sur les 68 % restants.

Cette fusion aurait probablement un sens à l’international, afin de permettre à ce futur géant du secteur de concurrencer les grosses entreprises américaines ou chinoises. Pour le PDG de VEOLIA, Antoine Frérot, il s’agirait de créer « un super champion mondial de la transition écologique », réalisant alors près de 41 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulé.

C’est du point de vue national que cette fusion interroge.

D’abord, il est clair que la fusion de ces deux entreprises qui détiennent à elles-deux (la SAUR étant le troisième acteur minoritaire) le monopole du secteur de la gestion de l’eau en France, va enfreindre le droit de la concurrence : il est d’ores et déjà envisagé que VEOLIA vende la branche Eau de SUEZ et un acquéreur a déjà été trouvé, le fonds français d’infrastructures MERIDIAM. Si l’opération aboutit, ce seront pas moins de 4 à 5 milliards d’euros d’actifs qui devraient être cédés à ce fonds, qui a plutôt bonne presse et est considéré comme un acteur important en faveur du développement durable.

Au-delà du secteur de l’eau, il est également probable que cette fusion conduise aux mêmes problèmes anticoncurrentiels dans le domaine de l’incinération des déchets et qu’une vente de la branche Déchets soit donc aussi à envisager.

SUEZ craint une suppression massive d’emplois (le chiffre de 2.000 suppressions de postes en France est évoqué, notamment en raison de doublons dans des fonctions support et des centres de services partagés).

Les collectivités doivent-elles craindre cette fusion ?

Il est vrai qu’il n’est pas rassurant de voir les deux acteurs principaux du secteur fusionner, là où le monopole est souvent source d’abus de prix, conduisant d’ailleurs de nombreux élus à faire le choix d’un retour en régie. Et si les nouveaux actionnaires de SUEZ et de sa branche Eau ont de fortes exigences de rentabilité – ce qu’on peut raisonnablement anticiper s’agissant d’un fonds de pension –, on peut imaginer que le groupe privilégie les gros contrats de concession, délaissant les plus petites collectivités ou leur proposant un prix déraisonnable. En tout état de cause, les collectivités auront moins de poids dans les négociations des contrats puisque la concurrence se réduit à peau de chagrin.

Les parlementaires s’emparent en tous cas du sujet et une commission vient d’être créée pour que la représentation nationale soit informée des intentions de chacun.

En parallèle, les dirigeants de SUEZ préparent une contre-offre en vue de faire racheter les parts d’ENGIE par un consortium dont la liste des membres n’est pas encore arrêtée. A ce stade, sont cités parmi les acquéreurs potentiels les fonds d’investissement français ARDIAN et ANTIN, qui pourraient être rejoints par un fonds européen voire par le groupe AXA. Cette contre-offre a été présentée le 15 septembre 2020 au Conseil d’administration de SUEZ, au Ministre de l’économie et des finances le lendemain et devrait être rendue publique dans les prochains jours.

Affaire à suivre donc.

Modalités de transfert des compétences eau et assainissement au regard du dispositif législatif dérogatoire dans les communautés de communes

La loi du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes prévoit que les communes d’une communauté de communes  pouvaient s’opposer au transfert des compétences eau et assainissement au 1er janvier 2020 « si, avant le 1er juillet 2019, au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population ont délibéré en ce sens. En ce cas, le transfert de compétences prend effet le 1er janvier 2026. […] Si, après le 1er janvier 2020, une communauté de communes n’exerce pas les compétences relatives à l’eau et à l’assainissement ou l’une d’entre elles, l’organe délibérant de la communauté de communes peut également, à tout moment, se prononcer par un vote sur l’exercice de plein droit d’une ou de ces compétences par la communauté. Les communes membres peuvent toutefois s’opposer à cette délibération, dans les trois mois », dans les conditions de majorité précitée. 

En l’espèce, conformément à la loi du 3 août 2018, les communes de la communauté de communes Corbières Salanque Méditerranée se sont opposées avant le 1er juillet 2019 au transfert des compétences eau et assainissement. Néanmoins, la Communauté a procédé, par une délibération du 22 juillet 2019, à l’engagement de la procédure de transfert desdites compétences, en application de l’article L. 5211-17 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). On rappellera qu’en application de cet article, les communes peuvent transférer une ou plusieurs compétences par délibérations concordantes de l’organe délibérant de la communauté de communes et des conseils municipaux se prononçant dans les conditions de majorité requises pour la création d’un établissement public de coopération intercommunale. 

Le Conseil d’Etat a alors précisé que, dès lors que les communes ont exprimé leur opposition, dans les conditions prévues par la loi, au transfert des compétences eau et assainissement, avec pour effet de repousser au 1er janvier 2026 le transfert obligatoire desdites compétences eau et assainissement à la communauté de communes, alors cette dernière ne pouvait mettre en œuvre la procédure de l’article L. 5211-17 du CGCT entre le 1er juillet 2019 et le 1er janvier 2020 en vue d’un transfert de ces mêmes compétences au 1er janvier 2020. En somme, le juge refuse le recours aux règles de droit commun qui permettrait, au regard des règles de majorité différentes, de surmonter les oppositions de certaines communes au transfert et ainsi de faire échec au dispositif d’opposition au transfert. 

Saisie-attribution : précisions sur le caractère exécutoire du jugement de première instance

Réclamées par de nombreux observateurs, des précisions ont enfin été apportées par la Cour de cassation sur la qualité de titre exécutoire conférée au jugement de première instance.

En l’espèce, une banque avait obtenu, en 2011, la condamnation de son débiteur par un jugement revêtu de l’exécution provisoire, confirmé par un arrêt de Cour d’appel en 2014. C’est pourtant sur le fondement du jugement de première instance, et non de l’arrêt confirmatif, que la banque créancière avait fait pratiquer une saisie-attribution sur le compte bancaire de son débiteur.

Le débiteur a contesté cette saisie-attribution devant le juge de l’exécution qui a déclaré non avenu le jugement en vertu duquel la saisie avait été pratiquée au motif qu’il n’était pas justifié de sa signification (et pour cause puisque la banque n’avait pas comparu) et ordonné la mainlevée de la saisie.

La Cour d’appel a infirmé le jugement du juge de l’exécution dès lors que la banque appelante a pu justifier, en cause d’appel, avoir signifié le jugement en vertu duquel la saisie avait été pratiquée.

En cassation, le pourvoi du débiteur est rejeté par la deuxième chambre civile. En effet, le jugement de première instance était revêtu de l’exécution provisoire de sorte qu’il était exécutoire et l’arrêt d’appel de 2014, l’ayant purement et simplement confirmé, ne pouvait lui faire perdre son caractère de titre exécutoire ni son autorité de chose jugée.

Ainsi, le créancier dispose de deux titres exécutoires : le jugement de première instance, assorti de l’exécution provisoire et l’arrêt d’appel exécutoire dès son prononcé. La saisie-attribution peut donc être fondée sur l’une ou l’autre des décisions, conformément à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution.

Par ailleurs, selon l’article 501 du Code de procédure civile, le jugement est exécutoire à partir du moment où il passe en force de chose jugée, donc lorsqu’ il n’est pas susceptible d’un recours suspensif d’exécution ou, s’il est susceptible d’un tel recours, à l’expiration du délai de recours.