Fonction publique – L’expérimentation de la médiation préalable obligatoire

C’était une mesure passée – presque – inaperçue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle : l’introduction d’une expérimentation de médiation préalable obligatoire aux contentieux – notamment – de la fonction publique.

Au sein de son titre II relatif à l’introduction de modes alternatifs de règlement des différends, dont la faculté de médiation devant le juge administratif ouverte par le nouveau Chapitre IV du Titre Ier du Livre Ier du code de justice administrative (articles L. 114-1 et suivants), le IV de l’article 5 de la loi prévoyait une mesure de médiation préalable obligatoire dans la fonction publique de l’éducation nationale et la fonction publique territoriale :

« V.-A titre expérimental et pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation de la présente loi, les recours contentieux formés par certains agents soumis aux dispositions de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle et les requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi peuvent faire l’objet d’une médiation préalable obligatoire, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ».

Il aura toutefois fallu attendre le mois de mars 2018 pour que ce texte trouve application.

C’est chose faite avec le décret n° 2018-101 du 16 février 2018 portant expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique et de litiges sociaux et, pour la fonction publique, l’arrêté des ministres de la justice et de l’éducation nationale du 1er mars 2018 relatif à l’expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique de l’éducation nationale et l’arrêté des ministres de la justice, de l’intérieur et de la cohésion des territoires du 2 mars 2018 relatif à l’expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique territoriale.

Un certain nombre de litiges entre les fonctionnaires et leurs employeurs doivent donc dorénavant à titre expérimental, dans les conditions que nous détaillerons dans cet article, obligatoirement être précédés d’une médiation, sous peine d’irrecevabilité du recours devant le tribunal administratif.

L’objectif affiché du gouvernement est de tenter de désengorger les Tribunaux administratifs de certains contentieux de fonction publique, mais également de privilégier le dialogue afin de désamorcer certaines situations laissées en suspens et qui peuvent conduire, à défaut d’une prise en main pédagogique rapide, à des contentieux plus importants.

I-             Les agents concernés

Tous les agents ne sont pas concernés.

D’une part, pour la fonction publique de l’Etat, seuls sont soumis à la médiation préalable obligatoire :

  • Les agents affectés dans les services du ministère chargé des affaires étrangères[1];
  • Les agents affectés dans les services académiques et départementaux, les écoles maternelles et élémentaires et établissements publics locaux d’enseignement des académies d’Aix-Marseille, Clermont-Ferrand et Montpellier[2];

D’autre part, pour les fonctionnaires territoriaux, seuls sont concernés les agents des collectivités et établissements publics territoriaux situés dans les départements suivants : Aisne, Aude, Aveyron, Bas-Rhin, Charente-Maritime, Côtes d’Armor, Drôme, Essonne, Eure, Finistère, Gard, Gironde, Guadeloupe, Guyane, Haute-Loire, Hautes-Pyrénées, Haute-Saône, Haute-Savoie, Hauts-de-Seine, Ille-et-Vilaine, Indre-et-Loire, Isère, Landes, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Manche, Martinique, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Nord, Pas-de-Calais, Puy-de-Dôme, Pyrénées-Atlantiques, Pyrénées-Orientales, Rhône, Saône-et-Loire, Savoie, Seine-Maritime, Seine-Saint-Denis, Tarn, Val-de-Marne, Val-d’Oise, Vendée, Vienne, Yonne, Yvelines[3].

Ne seront toutefois régis par ce dispositif que les agents territoriaux des collectivités et établissements qui auront conclu, avant le 1er septembre 2018, une convention en ce sens avec leur centre départemental de gestion, lui confiant la mission de médiation préalable obligatoire en cas de litige avec leurs agents[4].

Il semble que cette convention ne soit pas obligatoire : chaque collectivité et établissement public local devra donc décider, avant cette date, de souscrire ou non à l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire aux contentieux.

Passé cette date, il ne sera plus possible de souscrire au dispositif.

II-            La limitation des décisions concernées

Le décret[5] fixe une liste limitative de décisions pour lesquelles tout litige devra être précédé d’une saisine du médiateur. Il ne s’agit que des litiges relatifs aux décisions individuelles défavorables dans les domaines suivants :

  • Rémunération[6];
  • Refus de détachement, de disponibilité, de congés non rémunérés des agents contractuels[7];
  • Réintégration à l’issue du détachement, d’une disponibilité, d’un congé parental ou réemploi d’un contractuel à l’issue d’un congé non rémunéré ;
  • Classement à la suite d’un avancement de grade ou d’un changement de corps (le texte omet, probablement involontairement, les changements de cadre d’emplois : ils ne seront donc pas concernés) ;
  • Formation professionnelle ;
  • Mesures appropriées prises à l’égard des travailleurs handicapés[8]
  • Aménagement des conditions de travail des fonctionnaires inaptes ;

Sont concernées naturellement tant les décisions explicites qu’implicites. Par ailleurs, le texte ne le précisant pas, seront concernés à notre sens tant les recours en excès de pouvoir que les recours de plein contentieux.

Notons aussi que ne sont concernées que les décisions intervenues à compter du 1er avril 2018 et susceptibles de faire l’objet d’un recours contentieux jusqu’au 18 novembre 2020.

III-           Les modalités de la médiation

Les agents des administrations concernées, lorsqu’ils souhaiteront attaquer une des décisions susvisées, devront saisir le médiateur avant de déposer une requête devant le tribunal dans le délai de recours contentieux de deux mois.

La saisine du médiateur suspend les délais de prescription, qui recommencent à courir à l’issue de la procédure de médiation, et interrompt le délai de recours contentieux, un nouveau délai de deux mois repartant à l’issue de la médiation.

Toutefois, un recours hiérarchique ou gracieux effectué après la médiation n’interrompra pas à nouveau le délai contentieux (sauf si ce recours constitue lui aussi un recours préalable obligatoire, auquel cas il n’y aura pas de priorité entre les deux modalités préalables)[9]. Seul le recours hiérarchique ou contentieux exercé avant la médiation aura un tel effet[10].

Pour que le délai de recours soit opposable aux agents, l’obligation de médiation préalable dans le délai de recours contentieux devra être mentionnée dans la décision avec indication des coordonnées du médiateur compétent (complétant la mention des voies et délais de recours)[11].

Les parties peuvent décider, d’un commun accord, de suspendre les effets de la décision litigieuse pendant la durée de la médiation[12]. A défaut, et par principe donc, il n’y aura pas de suspension. Mais compte tenu de la brièveté des délais de recours, il y aura tout intérêt à la solliciter.

C’est à l’agent qu’il appartient de saisir le médiateur par le biais d’une lettre de saisine avec copie de la décision contestée ou de la demande initiale s’il s’agit d’une décision implicite de rejet[13].

La médiation est gratuite pour les deux parties[14].

Elle est soumise, sauf accord contraire des parties, à un strict principe de confidentialité : les échanges ayant eu lieu lors de la médiation et les constatations du médiateur ne pourront pas être divulgués aux tiers ni être réutilisés devant une quelconque instance juridictionnelle ou arbitrale sans l’accord commun des parties[15].

Notons que le Code de justice administrative impose au médiateur une obligation d’impartialité, de compétence et de diligence[16]. Si l’inscription de ces principes est récente et ne permet pas encore d’en dégager les conséquences, notamment par le biais de jurisprudences, elle laisse à penser qu’il incombera aux médiateurs d’avoir reçu une formation spécifique et qu’il conviendra, pour les administrations d’Etat concernées et les centres départementaux de gestion de s’assurer de ce que les conditions de recrutement et d’emploi des médiateurs coïncident avec ces exigences.

IV-          L’issue de la médiation

Le médiateur n’a aucun pouvoir de décision. Ce sont donc les parties, seules, qui peuvent donner une suite ou non à la médiation.

La médiation étant un processus de tentative d’explication et d’accord, et le médiateur n’étant présent que pour tenter de permettre aux parties de discuter et d’échanger sur les difficultés rencontrées autour de la décision et de trouver un potentiel accord, il peut être mis fin à la médiation à tout moment :

  • Par le médiateur ;
  • Par l’une ou l’autre des parties, ensemble ou séparément[17].

Mais dans cette hypothèse, la déclaration de fin de médiation doit être non équivoque et permettre, par tout moyen, d’en assurer la connaissance par toutes les parties.

L’administration peut procéder au retrait de sa décision. Les parties peuvent également rédiger un accord, lequel pourra faire l’objet d’une homologation par le juge administratif pour lui donner force exécutoire, à la demande d’une ou des deux parties[18].

Le Code de justice administrative rappelle à cet égard que « l’accord auquel parviennent les parties ne peut porter atteinte à des droits dont elles n’ont pas la libre disposition » : l’administration, pas plus que son agent, ne peuvent s’engager à des concessions qu’elles ne peuvent assurer.

On soulignera également que les décisions issues de la médiation devront évidemment répondre à l’impératif de légalité, aussi bien sur le fond que dans le processus conduisant à leur adoption.

On aurait pu légitimement s’interroger quant à la possibilité pour le représentant de l’administration d’engager financièrement la collectivité territoriale ou l’établissement public local dans le cadre d’un accord de médiation, sans autorisation du conseil municipal.

Dans cette hypothèse, il nous semble que l’accord auxquelles les parties peuvent aboutir à l’issue d’une médiation n’est autre qu’une transaction au sens de l’article L.2044 du code civil, qui énonce que « La transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. »

Le Code de justice administrative ne semble pas avoir créé de nouvel accord spécifique qui dérogerait au régime de la transaction. Au contraire, le dispositif de médiation convie, à notre sens, les administrations à envisager la transaction comme mode alternatif de règlement des litiges.

Or, pour la fonction publique territoriale une transaction, lorsqu’elle comporte un engagement financier, doit nécessairement être validée préalablement par l’organe délibérant, qui seul peut autoriser l’exécutif à la signer[19]. Dans cette hypothèse, « lorsqu’il entend autoriser le maire à conclure une transaction, le conseil municipal doit, sauf à méconnaître l’étendue de sa compétence, se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à intervenir, au nombre desquels figurent notamment la contestation précise que la transaction a pour objet de prévenir ou de terminer et les concessions réciproques que les parties se consentent à cette fin » (CE, 11 septembre 2006, Commune de Théoule-sur-Mer, n° 255273)

C’est la procédure que devra suivre à notre sens l’accord de médiation s’il comporte des engagements financiers, lequel devra ainsi également être soumis au contrôle de légalité.

Si cette procédure semble nuire à la confidentialité de l’accord de médiation, elle a été entièrement envisagée par le Code de justice administrative qui rappelle qu’il est fait exception à cette confidentialité « lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre. »[20]

Dans cette hypothèse, l’homologation de l’accord de médiation par le juge administratif recouvre donc à notre sens un intérêt limité.

En conclusion, le processus de médiation préalable obligatoire en matière de fonction publique a pour vocation d’amener les administrations et leurs agents à échanger sur les litiges à naître, permettant soit à l’agent de revoir l’éventualité d’un contentieux, soit à l’administration d’envisager, lorsque la situation s’y prête, de retirer la décision litigieuse ou de transiger.

Des interrogations restent en suspend sur les médiateurs qui seront nommés dans les administrations centrales et déconcentrées et dans les centres départementaux de gestion : quelle personne interviendra ? Quel sera son parcours ? Sa formation ? Quel sera le degré d’indépendance exigé par rapport aux administrations sujettes à la médiation ? (cumul d’activités, carrière de l’agent médiateur…)

Dans cette hypothèse également, nous ne pouvons que conseiller aux administrations locales de prendre attache avec les centres de gestion afin de définir avec eux les modalités de cette médiation : les centres de gestion de chaque département concerné se sont portés volontaires pour gérer le dispositif et ont déjà, nécessairement, engagé des démarches pour organiser au mieux son déroulement.

Il conviendra aussi de prendre un soin particulier à la rédaction des conventions de mise en place du dispositif.

Naturellement, il semble nécessaire, lorsque le dispositif entrera en vigueur ou, s’il est déjà entré en vigueur, d’informer les agents, par une note interne, de ces nouvelles règles, lesquelles n’ont vocation qu’à faciliter le dialogue avec l’administration.

Il est très probable qu’à l’issue du dispositif expérimental, la médiation préalable soit étendue aux autres administrations et à un nombre plus grand de décisions, ce pourquoi souscrire au dispositif peut être une anticipation intéressante d’une évolution juridique à moyen terme.

Notons naturellement que, si le texte n’en prévoit pas expressément la possibilité, les parties peuvent naturellement se faire accompagner lors de la médiation par leurs conseils habituels afin de sécuriser l’intégralité du processus.

Emilien BATÔT – Avocat Sénior référent 

 

[1] Art. 1, II 1° du décret n° 2018-101.

[2] Liste dressée par l’arrêté du 1er mars 2018 (NOR JUSC1724093A), en application du 2° du II de l’art. 1 du décret n° 2018-101.

[3] Liste dressée par l’arrêté du 2 mars 2018 (NOR JUSC1802894A), en application du 3° du II de l’art. 1 du décret n° 2018-101.

[4] Art. 1er, II, 3° du décret n° 2018-101.

[5] Art. 1, I.

[6] Le texte indique « un des éléments de rémunération mentionnés au premier alinéa de l’article 20 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée »

[7] Il s’agit des congés suivants :

  • Congé pour élever un enfant de moins de huit ans, sonner des soins à un enfant à charge, au conjoint, au partenaire de PACS, à un ascendant à la suite d’un accident ou d’une maladie grave ou atteint d’un handicap nécessitant la présence d’une tierce personne pour suivre son conjoint ou partenaire de PACS ;
  • Congé pour convenances personnelles ;
  • Congé pour création d’entreprise ;
  • Congé de mobilité.

[8] Art. 6 sexies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

[9] Art. 4 du décret n° 2018-101 et art. R. 213-4 du cCde de justice administrative.

[10] Sur le fondement de l’art. L. 411-2 du code des relations entre le public et l’administration, lequel précise que ce recours doit être effectué dans le délai de recours « initial » et qu’il crée un nouveau délai de recours à son issue.

[11] Art. 3 al. 2 du décret n° 2018-101.

[12] Art. 5 du décret n° 2018-101.

[13] Art. 3 al. 3 du décret n° 2018-101.

[14] Art. L. 213-5 du Code de justice administrative.

[15] Art. L. 213-2 du Code de justice administrative.

[16] Art. L. 213-2 du Code de justice administrative.

[17] Art. 4 al. 1er du décret n° 2018-101.

[18] Art. L. 213-4 du Code de justice administrative.

[19] Art. L. 122-19 du Code des communes.

[20] Art. L. 213-2 al. 5 du Code de justice administrative.

Condamnation pénale d’un maire pour avoir fait échec a l’exécution de la loi en matière de police judiciaire

Par arrêt en date du 21 mars 2018, la Cour a confirmé la condamnation d’un Maire du chef de trois délits distincts:
Immixtion dans l’exercice d’une fonction publique, délit prévu et réprimé par l’article L.433-12 du Code pénal ; 
Détournement ou destruction de biens publics, délit prévu et réprimé par l’article 432-15 du Code pénal ;
Prise de mesure destinée à faire échec à l’exécution de la loi par une personne dépositaire de l’autorité publique, délit prévu et réprimé par l’article 432-1 du Code pénal.

En l’espèce, le Maire d’une grande ville avait ordonné à ses policiers municipaux de ne pas constater certaines contraventions, qu’ils étaient pourtant tenus de relever dans le cadre de leur mission d’agents de police judiciaire adjoints (mission prévue par les articles L. 511-1 du Code de sécurité intérieure et 21 du Code de procédure pénale).

Au soutien de sa décision, la Cour de cassation a considéré que la Cour d’appel avait suffisamment caractérisé les trois délits précités, sans méconnaître le principe non bis in idem selon lequel nul ne peut faire l’objet de plusieurs poursuites pénales pour les mêmes faits.

D’abord, les juges ont retenu la culpabilité pour immixtion dans la mesure où le Maire décidait de transmettre ou non certains procès-verbaux de contraventions au Procureur de la République, s’immisçant ainsi dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites, conféré à lui seul par l’article 40-1 du Code de procédure pénale.

Ensuite, les juges ont retenu la culpabilité du prévenu pour le délit de détournement de biens publics, résultant, selon eux, du détournement « de plusieurs milliers de procès-verbaux, qui découle de l’infraction d’immixtion » et de « l’effacement de la saisie des contraventions dans le logiciel destiné à établir l’état des amendes forfaitaires majorées constituant la soustraction d’un titre effet ou pièce représentatif d’une recette publique et donc de fonds publics à recouvrer ».

A cet égard, il est à noter que la Cour n’a pas relevé de violation du principe non bis in idem du fait de la condamnation du prévenu du chef des deux délits précités. En effet, ces deux infractions reposent sur des faits que la Cour a jugé distincts : celui de transmettre ou non certains procès-verbaux de contraventions à la place du Procureur de la République d’une part, et celui d’annuler les références des contraventions constatées d’autre part.

Enfin, les juges ont considéré que les agissements reprochés avait fait échec à l’application des articles L. 511-1 du Code de sécurité intérieure et 21 du Code de procédure pénale, imposant aux policiers municipaux, en leur qualité d’agents de police judiciaire adjoints, « de rendre compte à leurs chefs hiérarchiques de tous crimes, délits ou contraventions dont ils ont connaissance ».

En définitive, cette décision a le mérite de rappeler que les policiers municipaux placés sous l’autorité du Maire, lui-même officier de policier judicaire n’ayant pas l’opportunité des poursuites judiciaires, ont également la qualité d’agents de police judiciaire adjoints, dont les attributions doivent être exercées « sous la seule autorité du Procureur de la République ».

L’extension de la dérogation aux seuils des petites extensions de capacité des ESSMS

Un décret n° 2017-1862 du 29 décembre 2017, relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au directeur général de l’agence régionale de santé, vient d’autoriser quatre Directeurs généraux d’Autorités régionales de santé, à déroger au seuil des petites extensions de capacité des établissements ou services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), à compter du 1er janvier 2018 et pour une durée de deux ans.

L’article L. 313-1-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoit en effet que les projets de création, de transformation et d’extension des ESSMS sont soumis à autorisation préalable. Dès lors que ces projets mobilisent des financements publics, l’autorité compétente doit, en outre, saisir pour avis une commission de sélection d’appel à projet social ou médico-social, associant notamment des représentants des usagers. 

L’article D. 313-2 du CASF prévoit les conditions dans lesquelles cette est commission saisie, et notamment son caractère facultatif en deçà de certains seuils.  Aussi, sa saisine est facultative pour tout projet d’extension d’un ESSMS inférieur à 30% de sa capacité d’accueil initiale. Elle est également facultative s’agissant des projets d’extension d’établissements d’une capacité d’accueil initiale inférieure à 10 places et dont le projet la porterait à 14 places maximum.

Le décret du 29 décembre 2017 prévoit donc la possibilité, pour les Directeur généraux des ARS d’Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France, Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur, de déroger aux seuils prévus par l’article D. 313-2 du CASF, sous deux conditions : la dérogation est justifiée par un motif d’intérêt général ; elle tient compte des circonstances locales.

Le présent décret permet également de déroger aux dispositions du 4° de l’article R. 313-4-1 du CASF, qui encadre strictement les délais de réponse des candidats aux avis d’appels à projets d’extension des ESSMS.

Il est à noter que ces dérogations ne sont pas prévues par le CASF. Le Premier ministre s’est fondé sur son droit général à l’expérimentation découlant de l’article 37-1 de la Constitution pour déroger aux dispositions réglementaires précitées. Cette pratique, relativement rare dans le domaine médico-social, reste encadrée par le Conseil constitutionnel, selon lequel l’article 37-1 de la Constitution permet « d’autoriser, dans la perspective de leur éventuelle généralisation, des expérimentations dérogeant, pour un objet et une durée limités, au principe d’égalité devant la loi ; que, toutefois, le législateur doit en définir de façon suffisamment précise l’objet et les conditions et ne pas méconnaître les autres exigences de valeur constitutionnelle » (décision n° 2004-503 DC du 12 aout 2004).

Le décret a fait l’objet d’une instruction ministérielle du Ministère des solidarités et de la santé n°SG/2018/66 du 16 février 2018, qui vise à la mise en œuvre de chacune des mesures de dérogation autorisée et qui en précise les modalités de suivi et d’évaluation.   

Validation partielle par le Conseil d’Etat des tarifs plafonds des ESAT pour l’année 2015

Par une décision n° 394811 du 28 juillet 2017, le Conseil d’Etat a très partiellement censuré l’arrêté du ministre des finances et des comptes publics et du ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes du 18 mai 2015 fixant les tarifs plafond des dotations régionales limitatives destinées au financement des établissements et services d’aide par le travail (ESAT).
L’article L. 314-4 du Code de l’action sociale et des familles prévoit que le montant total des dépenses prises en compte pour le calcul de dotation globale de fonctionnement des ESAT est constitué en dotations régionales limitatives, dont le montant est fixé par arrêté ministériel. Comme chaque année depuis 2009, les ministres concernés arrêtaient ces montants, le 18 mai 2015 en l’occurrence. Ils fixaient ainsi les tarifs plafonds applicables aux ESAT en disposant qu’ils sont opposables à l’ensemble d’entre eux, exception faite de ceux qui avaient conclu un Contrat Pluriannuel d’Objectifs de Moyens avant le 21 mai 2014 et encore en cours de validité pour l’année 2015.
Saisi d’un recours contre l’arrêté ministériel par des fédérations d’établissements et d’usagers, le Conseil d’Etat a censuré les dispositions imposant aux CPOM signés à compter de la parution de l’arrêté de comporter un volet financier prévoyant les modalités de fixation annuelle de tarification conformes aux règles permettant de ramener les tarifs pratiqués au niveau des tarifs plafonds.
Cette décision s’inscrit dans la droite ligne d’une décision du 7 avril 2016 par laquelle le Conseil d’Etat avait censuré des dispositions similaires d’un arrêté du 30 avril 2014 au motif qu’elles méconnaissaient les dispositions de l’article R. 314-40 dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 1er janvier 2017. Ce dernier prévoyait, dans sa rédaction d’alors, des modalités de financement excluant l’application de tout plafond de financement, privant ainsi de base légale l’arrêté contesté qui disposait que « les modalités de fixation annuelle de la tarification [doivent être] conformes aux règles permettant de ramener les tarifs pratiques au niveau des tarifs plafonds ».

Détermination du délai applicable pour l’instruction d’une demande de permis de construire portant sur la transformation partielle d’un hangar agricole en logement

Le Conseil d’Etat a rendu un arrêt en date du 26 mars 2018, par lequel il précise le champ d’application du délai de trois mois (durée maximale), applicable à l’instruction des demandes de permis de construire portant sur des projets autres que des maisons individuelles.
Rappelons qu’en application de l’article R. 423-23 du Code de l’urbanisme :
« Le délai d’instruction de droit commun est de :
(…) b) Deux mois pour les demandes de permis de démolir et pour les demandes de permis de construire portant sur une maison individuelle, au sens du titre III du livre II du code de la construction et de l’habitation, ou ses annexes ;
c) Trois mois pour les autres demandes de permis de construire et pour les demandes de permis d’aménager ».
En l’espèce, un particulier s’était vu refuser l’octroi d’un permis de construire aux fins de régularisation de travaux de transformation d’une partie d’un hangar agricole en logement (pour une surface de plancher de 138,46 m² dans un hangar d’une surface totale de 534,05 m²).
Sollicitant l’annulation de la décision de refus de permis, le demandeur du permis se prévalait de l’octroi d’une décision de permis de construire tacite, en arguant de l’application du délai d’instruction de deux mois prévu par le b° de l’article R. 423-23 du Code de l’urbanisme.
Le Tribunal administratif de Marseille, puis la Cour administrative d’appel de Marseille ont rejeté son recours, considérant que le délai de trois mois prévu par le c° de l’article R. 423-23 du Code de l’urbanisme s’appliquait.
Le Conseil d’Etat en a fait de même en retenant que « relèvent seules du b de cet article R. 423-23 les demandes portant sur un immeuble dont les surfaces sont exclusivement ou principalement affectées à un usage d’habitation et qui, selon les termes de l’article L. 231-1 du code de la construction et de l’habitation, ne comporte « pas plus de deux logements destinés au même maître de l’ouvrage ».
En l’occurrence, le bâtiment en question gardait une vocation agricole prédominante, de sorte que le délai de trois mois s’appliquait pour l’instruction de la demande de permis de construire.

Un règlement de PLU ne peut fixer des règles trop précises sur la répartition de logements dans les projets d’habitat collectif

Par un arrêt en date du 30 mars 2018 mentionné aux Tables, le Conseil d’Etat apporte des précisions intéressantes quant au contenu du règlement d’un plan local d’urbanisme (ci-après « PLU »), concernant la répartition des logements dans les programmes de logements collectifs.

Il convient de rappeler que l’article L. 151-14 du Code de l’urbanisme (ancien article L. 123-1-5 II 3°) prévoit que « le règlement peut délimiter, dans les zones urbaines ou à urbaniser, des secteurs dans lesquels les programmes de logements comportent une proportion de logements d’une taille minimale qu’il fixe ».

Au cas particulier, une société s’était vu refuser l’octroi d’un permis de construire portant sur un projet de 13 logements par le maire des Sables-d’Olonne au motif qu’il méconnaissait l’article UB 2.3 du règlement du PLU, qui impose une répartition très précise des logements dans les programmes de logements collectifs, en l’occurrence l’obligation de consacrer au moins 80 % de la surface de plancher totale à l’aménagement de T3 ou de logements de taille plus importante.

Le refus de permis avait été annulé par le Tribunal administratif qui avait considéré que les rédacteurs du PLU étaient allés au-delà de ce que permettait l’article L. 123-1-5 II 3° du Code de l’urbanisme, alors applicable.

La commune des Sables-d’Olonne avait interjeté appel, tout en demandant le sursis à exécution du jugement rendu en première instance, en vain.

Sur pourvoi de la Commune, la Haute juridiction administrative a censuré l’arrêt de la cour d’appel pour insuffisance de motivation, tout en rejetant la demande de sursis à exécution du jugement rendu en première instance, approuvant ainsi les premiers juges d’avoir considéré que le règlement du PLU excédait ce que permet le législateur :

« Considérant que si, en application de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 25 mars 2009 dont elles sont issues, le plan local d’urbanisme peut imposer, dans les secteurs des zones urbaines ou à urbaniser qu’il définit, que les programmes immobiliers comportent, afin d’assurer une meilleure prise en compte des besoins des familles, une proportion de logements d’une taille minimale, définie en fonction du nombre de pièces dont ils se composent, proportion qui peut être exprimée sous la forme d’un pourcentage de la surface totale des logements, il ne saurait, en revanche imposer sur ce fondement aux constructeurs une répartition détaillée des logements selon leur taille, notamment en imposant plusieurs types de logements et en fixant des proportions minimales à respecter pour plusieurs types ».

Cet arrêt vient ainsi rappeler aux rédacteurs de PLU qu’il est nécessaire de garder une certaine mesure dans la fixation des obligations qu’ils entendent imposer aux constructeurs.

Le contrôle du juge administratif de l’exception d’ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public

Le devoir d’obéissance hiérarchique des fonctionnaires prévu par les dispositions de l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires n’est pas absolu, puisqu’il prévoit que cette obligation peut être écartée dans l’hypothèse « où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public ».

Par un arrêt en date du 15 mars 2018, la Cour administrative d’appel de Versailles a eu à faire application de ce principe à l’occasion de l’examen d’un recours dirigé contre deux sanctions disciplinaires du premier groupe.

Le requérant avait fait l’objet d’un avertissement puis d’une exclusion temporaire de fonctions prononcée un mois après, pour avoir refusé à deux reprises de se soumettre à un système d’horodatage des horaires par biométrie pendant un mois.

Quant à la question de savoir si l’obligation de procéder à cet enregistrement biométrique était constitutif d’un ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public, la Cour s’est livrée à une analyse très complète des dispositions applicables. En l’espèce, la Cour relève qu’une délibération du 27 avril 2006 de la CNIL prévoyait un régime d’autorisation s’agissant de la gestion des horaires et des contrôles d’accès aux locaux par un dispositif biométrique.

Bien que la commune n’ait pas respecté l’obligation de procéder à une information individuelle préalable des personnels concernés par ce dispositif, telle qu’elle lui avait été rappelée à deux reprises par la CNIL, la Cour a relevé que cette méconnaissance ne rendait pas inopposable la décision instaurant ce système biométrique aux personnels concernés.

Par ailleurs, la Cour relève que si la CNIL, par une délibération du 20 septembre 2012 a estimé que l’usage de la biométrie pour contrôler les horaires des agents municipaux est disproportionnée à l’objectif recherché, la circonstance qu’elle ait donné un délai de cinq ans aux organismes publics et privés concernés pour mettre en conformité leurs dispositifs de contrôle empêchait de regarder l’atteinte à la vie privée induite par ces systèmes de contrôle biométrique comme un motif légitime de s’opposer au traitement des données personnelles.

Enfin, la Cour observe que le requérant s’est borné à se prévaloir de considérations générales tendant à remettre en cause la mise en œuvre d’un système de contrôle biométrique du temps de présence des agents, sans apporter d’éléments précis relatifs à sa situation particulière.

En définitive, la Cour considère que l’ordre donné au requérant n’était ni manifestement illégal, et n’était pas de nature à compromettre gravement un intérêt public.

En conséquence, elle considère que les deux sanctions attaquées, et notamment l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux jours motivée par la persistance du comportement fautif du requérant n’étaient pas disproportionnées.

Les partenariats public-privé : des outils insuffisants et des avantages limités selon la Cour des comptes européenne

La Cour des comptes européenne (ci-après, la « CCE ») a publié le 20 mars 2018 un rapport intitulé « Les partenariats public-privé dans l’UE : de multiples insuffisances et des avantages limités », mettant en garde les Etats membres sur les insuffisances liées au recours aux partenariats public-privé (ci-après, les « PPP »).

Dans le cadre de ce rapport, la CCE dresse un bilan de l’audit de 12 PPP (sur les 84 PPP cofinancés en UE entre les mêmes années) cofinancés par l’UE entre les années 2000 et 2014 dans le domaine des technologies de la communication et dont le coût total s’élevait à 9,6 milliards d’euros.

A l’occasion de ce rapport, la CCE a dégagé de nombreuses problématiques relatives à l’usage des PPP sur le plan de la concurrence, de l’efficience, des coûts engendrés et de l’insuffisante maîtrise de cet outil contractuel par les pouvoirs adjudicateurs de plusieurs Etats membres.

En premier lieu, la CCE a relevé que ces partenariats, qui permettent de confier la réalisation de grandes infrastructures à un partenaire unique, accroissent le risque de concurrence insuffisante et fragilisent par là même le pouvoir de négociation des pouvoirs adjudicateurs.

En deuxième lieu, la CCE a souligné l’inefficience des PPP et les risques de dérapage des coûts. Elle a ainsi constaté d’importantes carences, notamment dans la phase de construction, puisque les projets dans leur majorité ont accusé des retards allant jusqu’à cinquante-deux mois ainsi qu’une augmentation de leurs coûts. Le rapport souligne effectivement que des « fonds publics supplémentaires d’un montant de près de 1,5 milliards d’euros ont été nécessaires à l’achèvement de cinq autoroutes auditées en Grèce et en Espagne ».

En troisième lieu, les auditeurs ont constaté une maîtrise insuffisante de cet outil contractuel par les pouvoirs adjudicateurs. Le rapport affirme ainsi que les analyses préalables sont fréquemment fondées sur des scénarios trop optimistes et que la répartition des risques entre les partenaires publics et privés est « souvent inappropriée, incohérente et inefficace ». Enfin, la CCE a indiqué que « les taux de rémunération élevée (jusqu’à 14%) du capital-risque du partenaire privé ne reflétaient pas toujours les faibles risques supportés par celui-ci ».

Au regard de ce qui précède, la CCE conclut que seul un faible nombre d’Etats membres disposent actuellement des cadres institutionnels et juridiques appropriés assortis des capacités administratives pour assurer une mise en œuvre réussie des PPP.

Partant de ce constat, les auditeurs préconisent les recommandations suivantes à l’intention de la Commission européenne et des Etats membres quant à la bonne utilisation des PPP :

–          Ne pas promouvoir un recours accru et généralisé aux PPP tant que les problèmes relevés n’auront pas été résolus (on notera que la France a d’ores et déjà opté pour cette solution en rendant le recours aux PPP plus strict dans le cadre de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et son décret d’application) ;

–          Atténuer l’impact financier des retards et de la renégociation de la part des coûts des PPP supportée par le partenaire public ;

–          Fonder le choix du PPP sur des analyses comparatives solides de la meilleure option en matière de marchés publics ;

–          Veiller à disposer de la capacité administrative nécessaire et définir des politiques et stratégies claires dans le domaine des PPP afin de réussir la mise en œuvre des PPP soutenues par l’UE ;

–          Améliorer le cadre de l’UE afin d’augmenter l’efficacité des projets en PPP, afin que le choix de cette option soit justifié par des considérations en matière d’optimisation des ressources.

Communications électroniques : Taxe sur la valeur ajoutée et majoration de relance en cas d’impayé

Dans le cadre de son activité de commercialisation d’abonnements aux services d’accès au téléphone fixe et mobile, à internet et à la télévision numérique, Orange prévoit, au titre des conditions générales d’abonnement de sa gamme « Livebox 1 haut débit », une majoration de relance qualifiée de « pénalité », s’élevant à 9,48 euros et distincte du montant correspondant à la majoration pour retard de paiement, appliquée à l’encontre des clients ne s’étant pas acquittés du paiement de leur abonnement après avoir fait l’objet d’une lettre de relance pour impayé.

L’administration fiscale considérait que cette majoration de relance devait s’analyser comme la contrepartie d’un service rendu par Orange, à savoir l’abonnement à la gamme « Livebox 1 haut débit », dès lors qu’Orange maintenait les services de cette gamme aux clients en cause et ne résiliait pas l’abonnement nonobstant les retards de paiement. En d’autres termes, la majoration de relance demeurait, selon l’administration fiscale, la contrepartie directe du service rendue par Orange et devait en conséquence être imposée à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après, « TVA »).

Le Tribunal administratif de Montreuil n’a pas suivi cette argumentation et a jugé que cette majoration de relance avait pour « objet de réparer le préjudice né de l’absence de paiement jusqu’à la dernière lettre de relance de la société Orange, lequel ne se réduit pas au retard d’encaissement des sommes dues, ainsi que de pénaliser les clients n’ayant pas payé leur facture ». Le Tribunal a donc conclu que cette « pénalité » ne constituait pas la contrepartie directe d’une prestation de service assujettie à la TVA. Le tribunal a donc jugé que la société Orange était bien fondée à demander la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée relative à l’application, par l’administration fiscale, de la TVA aux majorations de relance.

Le Conseil d’Etat confirme que la possibilité donnée à l’acheteur d’autoriser les soumissionnaires à régulariser leurs offres n’est qu’une faculté et non une obligation

Par une décision en date du 21 mars 2018, le Conseil d’Etat fait application de l’article 59-II du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics et confirme que la possibilité offerte aux acheteurs d’autoriser la régularisation des offres irrégulières est une simple faculté et non une obligation.

Dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres en vue de l’attribution d’un marché ayant pour objet l’exécution de travaux d’entretien, de rénovation, de réparation et d’amélioration des bâtiments de son patrimoine immobilier, le département des Bouches-du-Rhône a rejeté comme irrégulière l’offre que la société coopérative de peinture et d’aménagement (SCPA) avait présenté pour un des lots. Par une ordonnance du 8 novembre 2017, le juge des référés du Tribunal administratif de Marseille a annulé la procédure de passation au stade de l’analyse des offres.

Saisi d’un pourvoi en cassation par le département des Bouches-du-Rhône, le Conseil d’Etat commence par rappeler qu’aux termes de l’article 59-II du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : « I. L’acheteur vérifie que les offres (…) sont régulières, acceptables et appropriées. / Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu’elle est incomplète (…) / II. Dans les procédures d’appel d’offres et les procédures adaptées sans négociation, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. Toutefois, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses (…) / IV. La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier les caractéristiques substantielles des offres (…) ».

Elle déduit de ces dispositions, et c’est là tout l’intérêt de la décision, que « si, dans les procédures d’appel d’offres, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires dont l’offre est irrégulière à la régulariser, dès lors qu’elle n’est pas anormalement basse et que la régularisation n’a pas pour effet d’en modifier des caractéristiques substantielles, il ne s’agit toutefois que d’une faculté, non d’une obligation ».

Elle conclut que le juge des référés a commis une erreur de droit en jugeant que le département des Bouches-du-Rhône ne pouvait éliminer l’offre de la société SCPA sans l’inviter au préalable à la régulariser et annule son ordonnance.

 

 

 

Clause Molière : la Cour administrative d’appel de Paris suspend l’exécution d’un marché public de services contenant une clause intitulée  » Langue et rédaction de propositions et d’exécution des prestations « 

Par un arrêt en date du 13 mars 2018, la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris a annulé l’ordonnance n° 1715915/9 du juge des référés du tribunal administratif (TA) de Paris du 15 novembre 2017.

Par une délibération du 22 juin 2016, le conseil d’administration du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) a décidé de créer une société d’économie mixte à opération unique (SEMOP) pour l’exploitation de l’usine d’épuration de Seine-Amont et de lancer une procédure d’appel d’offres pour sélectionner l’actionnaire opérateur économique de cette société. Le marché a été attribué, par délibération du 6 juillet 2017, à la société Véolia Eau – Compagnie générale des eaux pour un montant de 397.253.586 euros HT sur une période de douze ans. Le préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris, a saisi le TA de Paris d’un déféré tendant à l’annulation de ce contrat, ainsi que le juge des référés de ce tribunal d’une demande tendant à sa suspension. La société Suez Services France, candidate évincée, a également fait une demande d’intervention à l’appui de cette requête.

Par une ordonnance du 15 novembre 2017, le juge des référés a rejeté l’intervention de la société Suez Services France et suspendu l’exécution du contrat à compter du 1er décembre 2017 si à cette date la signature n’avait pas été régularisée par la SEMOP. Il a par ailleurs estimé qu’aucun des autres vices invoqués par le préfet n’apparaissait de nature, en l’état de l’instruction, à faire naître un doute quant à la validité du contrat objet du litige en question.

Saisie par le préfet et la société Suez Services France, la CAA de Paris, par cet arrêt du 13 mars 2018, annule cette ordonnance.

Outre le fait qu’elle admet l’intervention de la société Suez Services France, la Cour considère, contrairement au juge des référés du TA de Paris, que le moyen tiré de la contrariété des dispositions de l’article 8.5 du règlement de la consultation, intitulé « Langue et rédaction de propositions et d’exécution des prestations », selon lesquelles « La langue de travail pour les opérations préalables à l’attribution du marché et pour son exécution est le français exclusivement », avec les libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, était de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la validité du contrat.

En outre, la Cour juge que la suspension de l’exécution de ce contrat ne peut être regardée comme portant une atteinte excessive à l’intérêt général compte tenu des possibilités de prolongation de l’actuel contrat qui, selon elle, n’ont pas été « sérieusement contestées », ceci quand bien même la société Veolia Eau – Compagnie générale des eaux avait appelé à tenir compte d’une première prolongation de 10 mois.

S’inscrivant dans la jurisprudence récente sur les clauses dites « Molière » (v. nos brèves sur CE, 4 décembre 2017, Ministre de l’Intérieur c/ Région Pays de la Loire, req. n° 413366 ; TA, 13 décembre 2017, Préfet de Région Auvergne-Rhône-Alpes, req. n° 1707697), cette affaire se distingue en ce que les dispositions visant à imposer l’usage exclusif du français portent ici sur un marché public de services et non de travaux.

Extension de la garantie décennale au fournisseur de béton agissant comme un maître d’œuvre

En vue de l’édification d’un bâtiment industriel, un maître d’ouvrage avait commandé un certain type de béton auprès d’un fournisseur pour la réalisation d’une dalle.

Se plaignant de désordres, le maître d’ouvrage assignait le fournisseur en réparation, ce dernier appelant en garantie l’entreprise chargée de la pose.

La Cour d’appel retenait la responsabilité décennale du fournisseur en relevant « que la société Lafarge, dont le préposé, présent sur les lieux lors du coulage des deux premières trames, avait donné au poseur des instructions techniques précises, notamment quant à l’inutilité de joints de fractionnement complémentaires, auxquelles le maçon, qui ne connaissait pas les caractéristiques du matériau sophistiqué fourni, s’était conformé, avait ainsi participé activement à la construction dont elle avait assumé la maîtrise d’œuvre ».

Le fournisseur formait un pourvoi en cassation en soutenant, d’une part, que le contrat le liant au maître d’ouvrage est un contrat de vente et non de louage d’ouvrage, condition nécessaire pour engager sa responsabilité décennale. D’autre part, l’obligation de conseil du vendeur imposant de donner des prescriptions techniques pour la pose du produit ne pouvait être assimilée à un rôle de maître d’œuvre. Enfin, le fournisseur considère que le béton litigieux ne peut entrer dans la situation de l’article 1792-4 du Code civil alinéa 1er prévoyant la qualification d’élément pouvant entraîner la responsabilité solidaire (EPERS).

La Cour de cassation rejette ces trois branches du moyen soulevé en se ralliant au raisonnement des juges du fond qui ont pu en déduire « que la société Lafarge n’était pas seulement intervenue comme fournisseur du matériau, mais en qualité de constructeur au sens de l’article 1792 du code civil (…) »

L’appel en garantie de l’entreprise chargée de la pose est également rejeté, la faute reposant uniquement sur les instructions précises du fournisseur.

On observait déjà une tendance générale de la Cour de cassation à étendre le champ matériel  de la garantie décennale (cf. jurisprudence relative à l’application de la garantie décennale à des éléments d’équipements dissociables sur existants : Cass., 3ème civ., 15 juin 2017, n° 16-19640 ; Cass., 3ème civ., 14 septembre 2017, n° 16-17.323 ; Cass. 3ème civ., 26 octobre 2017, n° 16-18.120).

La Cour de cassation semble donc également poursuivre cette application de la responsabilité décennale jusqu’aux fournisseurs de produits dans le cadre d’une opération de construction, cette tendance étant particulièrement sévère pour les fournisseurs concernés qui se voient contraints de souscrire une assurance décennale pour leurs produits dans des conditions qui restent à préciser par le juge civil.

 

Les éléments d’appréciation d’un sous-critère n’ont pas à être communiqués par le pouvoir adjudicateur lorsque ceux-ci n’influencent pas la présentation des offres

Cette affaire a donné l’occasion au Conseil d’Etat de rappeler les modalités de communication des éléments d’appréciation des sous-critères d’attribution d’un marché.

En l’espèce, à la suite d’un appel d’offres pour la passation d’un accord-cadre à bons de commande portant sur la création et la maintenance d’un système de gestion des bibliothèques numériques, le Ministère de la défense a attribué ledit marché à la Société AUSY. Par une ordonnance contre laquelle le Ministère de la défense se pourvoit en cassation, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a annulé la procédure de passation à la demande de la Société ARCHIMED dont l’offre avait été rejetée.

Pour annuler la procédure de passation du marché, le juge des référés retenait que : « les candidats n’avaient pas été informés par les documents de la consultation que l’un des sous-critères d’appréciation du critère technique serait apprécié à partir d’éléments devant eux-mêmes être regardés comme des critères d’attribution du marché ».

Dans cette espèce, le chapitre VI du règlement de la consultation, prévoyait deux critères : l’un financier l’autre technique, pour une valeur pondérée respectivement à hauteur de 30% et 70%.

Le critère technique se divisait en cinq sous-critères, parmi lesquels un sous-critères dit SC2 – libellé « Présentation de la solution » –  représentait la note de 30 points sur 100.

Le litige s’est ainsi cristallisé sur les modalités d’appréciation du sous-critère SC2, puisque deux éléments d’appréciation (« présentation de la solution hors robustesses » ; « présentation de la solution – partie robustesse ») pondérés à l’identique, n’avaient pas été portés à la connaissance des soumissionnaires.

Censurant l’ordonnance rendue par le juge des référés, Le Conseil d’Etat a considéré que celui-ci avait commis une erreur de qualification juridique « en estimant qu’il s’agissait de critères qui aurait dû être communiqués aux candidats, alors que ces mentions constituaient seulement des éléments d’appréciation, définis par le pouvoir adjudicateur pour préciser ses attentes au regard de chaque critère, lesquels n’étaient pas susceptibles d’exercer une influence sur la présentation des offres, la pondération identique de ces deux éléments manifestant l’intention du pouvoir adjudicateur de ne pas accorder à l’un d’entre eux une importance particulière ».

Par cette décision, le Conseil d’Etat entend rappeler le principe selon lequel, le pouvoir adjudicateur est tenu d’informer les candidats d’un sous-critère si et seulement si, celui-ci est susceptible d’exercer une influence sur la présentation des offres. Dans la présente affaire, l’identique pondération des éléments d’appréciation du sous-critère SC2, matérialisait l’absence d’influence sur la présentation des offres.

En définitive, « une méthode de notation traduit l’existence d’un critère ou sous-critère lorsqu’elle a pour effet de donner à certaines caractéristiques des offres qui n’ont pas été identifiées au nombre des critères ou sous-critères annoncés une importance particulière dans leur évaluation[1] ». En l’espèce au vu de leur importance marginale, les éléments attachés au sous-critère SC2 revêtaient le caractère de simples éléments d’appréciation et non celui de critères d’attribution. Par conséquent, le Ministère de la Défense était fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée.

[1] CE, 6 avril 2016, Commune de la Bohalle, req. n° 388123 : Conclusions du rapporteur Gilles Pellissier

Impacts sur la gestion des données personnelles des salariés par les employeurs du Règlement européen sur la protection des données personnelles

Le Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel (RGPD) entrera en application le 25 mai prochain.
Directement applicable sans nécessiter de transposition comme tout Règlement de l’UE, le RGPD conduira à la modification de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (loi « informatique et libertés ») par le biais d’un projet de loi en cours d’examen par le Parlement.
Pour les employeurs, le RGPD maintient les obligations tenant :
– à la licéité du traitement qui doit sous réserve de certaines dérogations prévues par les textes, soit reposer sur le consentement, soit être nécessaire à l’exécution d’un contrat, ou au respect d’une obligation légale, ou à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne concernée ou d’une autre personne physique, ou à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique ou aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers ;
– au respect de la ou des finalités préalablement déterminées pour lesquelles les données sont recueillies ;
– à la limitation de la durée de conservation des données qui ne doit pas excéder celle qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées et doit être en tout état de cause, « limitée au strict minimum » ;
– à la mise en place de procédures visant à garantir l’effectivité des droits d’accès, d’opposition et de rectification dont bénéficient le salarié ou toute personne concernée par le traitement des données.
En outre, le RGPD vient renforcer des obligations déjà existantes, dans la mesure où :
– il instaure une obligation de transparence qui constitue une mutation de l’obligation d’information. En effet, la personne auprès de qui les données sont collectées doit se voir délivrer une information « d’une façon concise, transparente, compréhensible et aisément accessible, en des termes clairs et simples » ;
– il accroit l’obligation de sécurité puisque le responsable de traitement devra « garantir un niveau de sécurité adapté au risque » notamment par la mise en place de mesures techniques et organisationnelles, ce qui suppose en pratique, la réalisation en amont, d’un audit détaillé de l’infrastructure et la configuration du réseau et des postes, et de tous les périphériques en réseau (imprimantes partagées, serveurs NAS, etc.) ;
– il transforme l’obligation de proportionnalité (adéquation de la collecte des données à la finalité poursuivie) en un principe de minimisation : le responsable de traitement doit collecter et traiter uniquement les données strictement nécessaires au traitement.
Par exemple, lors de la phase de recrutement d’un salarié, les données collectées devront être limitées à celles strictement nécessaires à l’évaluation des capacités du candidat à occuper le poste proposé. Dans ces conditions, seules les données relatives à la qualification et à l’expérience du candidat pourront être collectées (ex : formations et diplômes, emplois précédemment occupés,…).
Par conséquent, les formulaires de candidature ne peuvent imposer la divulgation de données à caractère personnel qui révèle la situation familiale, l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou l’appartenance syndicale du candidat. De même, ne pourront être collectées par l’employeur les données génétiques ou biométriques aux fins d’identifier une personne physique de manière unique, celles concernant la santé ou concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle du candidat.
– il raccourcit le délai entre la demande d’accès aux données à caractère personnel formulée par l’intéressé et la réponse faite par le responsable de traitement, celui-ci passant de deux à un mois.
Par ailleurs, le RGPD crée de nouvelles obligations à la charge des employeurs, à savoir :
– des obligations de notification de violation des données présentant un « risque pour les droits et libertés des personnes physiques » à la CNIL dans un délai de 72 heures et lorsque ce risque est « élevé », à la personne concernée ;
– l’obligation d’établir un registre des traitements puisqu’en cas de contrôle, le responsable de traitement doit pouvoir démontrer qu’il a documenté ses traitements et tout événement impactant ceux-ci. Le registre devra préciser les finalités, les catégories de données, les destinataires, les durées de conservation, les mesures de sécurité mises en place, les éventuels transferts dans un pays tiers, etc. ;
– l’obligation des sous-traitants de justifier de garanties suffisantes et de disposer d’un registre des traitements, ce dont les entreprises utilisatrices doivent s’assurer ;
– l’obligation de mener une étude d’impact en cas de « risques élevés » pour la vie privée des personnes concernées ;
– l’obligation de désigner un délégué à la protection des données (ou data protection officer [DPO]) qui succède au correspondant informatique et libertés (CIL), pour les organismes publics, les entreprises qui traitent des données sensibles à grande échelle et les entreprises qui font du profilage. Pour les autres entreprises, cette désignation est facultative. Doté de missions plus étendues et différentes de celles du CIL, le DPO a surtout une mission de contrôle et de conseil de l’entreprise dans ses activités de traitement de données.
Parallèlement, le RGPD crée de nouveaux droits aux profits des personnes concernées tels que :
– un droit à la limitation du traitement. Lorsque le traitement est mis en œuvre, la personne concernée peut demander, par exemple, qu’il soit suspendu notamment lorsqu’il existe un doute ou une contestation quant à l’exactitude des données ;
– un droit à la portabilité des données à caractère personnel traitées de manière automatisée consistant en une possibilité pour l’intéressé, de demander à ce que les données qu’il a fournies lui soient transmises ou qu’elles soient communiquées à un autre responsable de traitement.
Enfin, le RGPD augmente considérablement les sanctions en cas de non-respect des obligations, le plafond des amendes étant porté, selon les types de manquement, à 10 millions ou pour les entreprise, à 2% du chiffre d’affaires mondial, et 20 millions d’euros ou pour les entreprise, à 4 % du chiffre d’affaires mondial, le montant retenu étant la somme la plus élevée.

Majeurs protégés : qualification d’acte grave d’une demande de transfert dans un autre établissement de soins

Le 20 avril, la première Chambre civile de la Cour de cassation devait se prononcer sur la qualification juridique d’une demande de transfert dans un autre établissement de soins d’une personne mise sous tutelle.  

En l’espèce, une personne née en 1976 avait été victime le 29 septembre 2008 d’un accident de la circulation, lequel lui avait causé un grave traumatisme crânien et l’avait rendu tétraplégique.

Par jugement du 10 mars 2016, le Juge des tutelles l’avait placé sous tutelle pour une durée de cent vingt mois, désignant son épouse en qualité de tutrice pour le représenter dans l’administration de ses biens et la protection de sa personne.

Par requête du 12 août 2016, les parents de la personne mise sous tutelle ainsi que l’un de ses demi-frères et l’une de ses sœurs ont saisi le Juge des tutelles d’une requête aux fins, notamment, de transfert du mis sous tutelle dans un autre établissement hospitalier.

Le Juge des tutelles ayant déclaré leur requête irrecevable, les demandeurs ont alors interjeté appel de la décision.

Par arrêt du 24 mars 2017, la Cour d’appel de Reims a infirmé partiellement la décision rendue en première instance et déclaré la demande des appelants recevable, au motif  qu’aucun texte ne précisait les personnes habilitées à saisir le Juge des tutelles sur le fondement de l’article 459-2 du Code civil, de sorte que les membres de la famille et proches devaient pouvoir saisir le Juge des difficultés relatives au lieu de vie de la personne protégée.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel.

  • La 1ère Chambre civile a en effet rappelé dans un attendu de principe et aux visas des articles 459-2 et 459 alinéa 3 du Code civil, que le droit fondamental de la personne au libre choix de son établissement de santé incluait celui de changer d’établissement au cours de la prise en charge, de sorte que dans le cas d’un majeur représenté par son tuteur pour les actes relatifs à sa personne, seul le tuteur pouvait exercer ce droit.
  • La Cour de cassation a donc rappelé dans cet arrêt de principe que, dans le cadre d’une tutelle, le transfert dans un autre établissement de soins constitue un acte grave au sens de l’article 439 alinéa 3 du Code civil et que, partant, seul le tuteur est recevable à présenter la requête. 

Les demandes reconventionnelles formées après l’échec d’une médiation sont directement recevables devant le juge, sauf stipulations expressément contraires

La médiation a vocation à être de plus en plus fréquemment mobilisée dans le règlement des conflits civils. A ce titre, nombre d’opérateurs prévoient désormais, dès la formalisation de leurs engagements contractuels, la mise en œuvre d’une clause de médiation en cas de conflit dans l’exécution de leurs obligations.

La Cour de cassation a précisé la portée des clauses de médiation, notamment lorsque l’échec d’une première médiation a conduit l’une des Parties à saisir le juge.

En l’espèce, une société A avait contracté avec une société B. Il était prévu aux termes du contrat que si les Parties devaient entrer en désaccord, elles s’efforceraient alors de trouver une issue amiable à leur difficulté.

Or, un différend est né entre elles de sorte que conformément aux stipulations de leur contrat, elles ont entamé une médiation.

Cette dernière s’est soldée par un échec si bien que la société A a saisi la juridiction compétente d’une demande principale en paiement de sommes contractuellement dues et, subsidiairement, d’une demande en résiliation du contrat.

Une fois l’instance introduite, la société B, faisant part d’autres griefs, a sollicité à titre reconventionnel la résiliation du contrat.

La société A a soulevé l’irrecevabilité de cette demande reconventionnelle au motif qu’elle n’avait pas été précédée de la procédure de médiation contractuellement prévue.

La Cour d’appel a fait droit à cette argumentation, jugeant la situation de défenderesse de la société B à la procédure engagée par la société A ne lui interdisait nullement de saisir le médiateur des nouveaux griefs qu’elle opposait.

Saisi d’un pourvoi, la Cour de cassation a censuré cette analyse, jugeant au visa des article 122, 126 et ensemble 53 du Code de procédure civile que :

 » Attendu que l’instance étant en cours au moment où elle est formée, la recevabilité d’une demande reconventionnelle n’est pas, sauf stipulation contraire, subordonnée à la mise en œuvre d’une procédure contractuelle de médiation préalable à la saisine du juge ;

Attendu que pour dire irrecevable la demande reconventionnelle de la société IDD, l’arrêt retient que sa situation de défenderesse à la procédure engagée par la société Biogaran ne lui interdisait nullement de saisir le médiateur des nouveaux griefs qu’elle opposait ; 

 

Qu’en statuant ainsi, alors que le contrat n’instituait pas une fin de non-recevoir en pareil cas, la cour d’appel a violé les textes susvisés. « 

 

Cet arrêt doit ainsi inviter les opérateurs à la plus grande prudence dans la rédaction des clauses de médiation et les conduire à élargir expressément la recevabilité de demandes reconventionnelles à un préalable de médiation.

A défaut et tel que ce fût le cas en l’espèce, les Parties s’exposeraient alors au risque que des griefs étrangers à une première médiation infructueuse soient directement portés et tranchés devant le juge.

Contrôle URSSAF : la fin des redressements automatiques de l’ Urssaf en cas de transaction à la suite d’un licenciement pour faute grave

Jusqu’au 15 mars dernier, en cas de conclusion d’une transaction avec un salarié à la suite d’un licenciement pour faute grave, les employeurs s’exposaient à un risque de redressement de la part des URSSAF.
En effet, ces dernières n’hésitaient pas à redresser les indemnités transactionnelles versées à la suite de licenciements pour faute grave pour leur partie correspondant à l’indemnité compensatrice de préavis.
S’appuyant sur un arrêt du 20 septembre 2012 (n° 11-21.149), elles considéraient que le fait de verser une indemnité supérieure à l’indemnité compensatrice de congés payés impliquait que l’employeur avait renoncé au licenciement pour faute grave et que de ce fait l’indemnité transactionnelle comportait une indemnité de préavis et de licenciement.
Par un arrêt en date du 15 mars 2018, la Cour de cassation met un terme à cette pratique de redressement automatique des URSSAF en indiquant qu’en présence d’un protocole dont les termes « clairs, précis, sans ambiguïté » expriment expressément la volonté des parties, la preuve de la nature exclusivement indemnitaire de l’indemnité transactionnelle est rapportée par l’employeur, de sorte que l’URSSAF n’est pas fondée à pratiquer un redressement.
Ainsi, en présence de termes clairs et précis, la Cour de cassation n’invite plus les juges du fond à rechercher une quelconque volonté implicite de l’employeur.
En conséquence, pour l’avenir, il conviendra de prévoir de façon claire dans le protocole transactionnel que le salarié renonce à toute demande tendant au paiement d’indemnités ou de sommes de toute nature résultant de la conclusion, de l’exécution et/ou de la rupture de son contrat.

L’exception de nullité d’un acte de procédure pour vice de forme doit être doit être soulevée in limine litis et avant toute défense au fond

Une association condamnée en première instance a interjeté appel du jugement du Tribunal de grande instance et a fait signifier sa déclaration d’appel, puis ses conclusions d’appelant à la société intimé. Cette dernière a constitué avocat, puis a conclu au fond.

L’association appelante a saisi le conseiller de la mise en état d’un incident, afin de voir déclarer les conclusions de l’intimé tardives au regard des dispositions de l’article 909 du code de procédure civile. Dans ses conclusions en réponse à l’incident, la société intimée a soulevé la nullité de la signification des conclusions de l’appelante, au motif qu’un acte ne peut être délivré à peine de nullité à domicile que si la signification à personne s’avère impossible, cette impossibilité devant être constatée dans l’acte lui-même.

La Cour d’appel a fait droit à l’exception de nullité soulevée par l’intimée, considérant que l’acte de signification était en effet irrégulier et qu’il n’avait donc pas fait courir le délai de l’article 909 du Code de procédure civile, les conclusions de l’intimé étant de ce fait recevables.

Au visa des articles 74 et 112 du Code de procédure civile, la Cour de cassation a jugé :

« Qu’en accueillant l’exception de nullité de la signification des conclusions de l’appelant alors qu’elle avait constaté que l’intimée avait préalablement fait valoir sa défense au fond, la Cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Cet arrêt rappelle donc utilement qu’une exception de nullité d’un acte de procédure pour vice de forme doit être soulevée in limine litis, avant de formuler une fin de non-recevoir ou un moyen au fond.

Aussi est-ce l’occasion de rappeler qu’en effet, les exceptions de procédure ne sont pas des fins de non-recevoir, les premières devant être soulevées in limine litis, tandis que les secondes peuvent être soulevées en tout état de cause et même en appel.

Ainsi, les fins de non-recevoir sont des moyens d’irrecevabilité, et non des exceptions d’irrecevabilité.

 

 

Règlement général sur la protection des données : L’heure est à la désignation d’un pilote pour tous les acteurs publics !

Le 29 mars dernier, la Commission nationale informatique et liberté (CNIL) mettait en ligne le formulaire de désignation d’un délégué à la protection des données (DPD), aujourd’hui pleinement opérationnel ; l’occasion de faire le point sur ces futurs acteurs centraux de la protection des données personnelles et de préciser à l’ensemble des acteurs publics qu’il leur est permis, dès aujourd’hui et au plus tard, idéalement, le 25 mai 2018, de procéder à la désignation de leur DPD.

D’emblée, il sera d’ailleurs reprécisé, ainsi que la Présidente de la CNIL n’a cessé de le rappeler à chacune de ses interventions, que le 25 mai 2018 prochain, date d’entrée en application du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), ne sera pas un couperet.

Halte donc à toute idée reçue et aux décomptes qui envahissent la toile laissant suggérer le caractère buttoir de l’échéance, alors que le projet de loi relatif à la protection des données personnelles visant à mettre la loi CNIL du 6 janvier 1978 en conformité au RGPD n’est pas même encore voté par le Parlement !

A partir de mai 2018, il s’agira donc, plus raisonnablement, de l’ouverture d’une période transitoire d’entrée en application de cette nouvelle réglementation, dont les contours définitifs ne seront vraisemblablement connus qu’à la fin de l’année 2018, lorsque l’ordonnance de l’article 38 de la Constitution permettant une réécriture de la loi du 6 janvier 1978, annoncée dans le projet de loi précité, aura été ratifiée et que les décrets d’application seront parus.

Au 25 mai 2018, il ne sera donc pas demandé aux acteurs publics de démontrer leur parfaite conformité au RGPD mais d’avoir engagé le processus.

A ce stade, la seule urgence, est, à notre sens, celle pour tout acteur public de s’atteler à la désignation de son pilote (II), laquelle nécessite de prime abord de bien comprendre les missions qui lui seront confiées (I).

I- Le rôle du DPD et ses premières missions

Si des incertitudes persistent sur le rôle exact qu’auront à endosser les DPD et le futur statut qui sera conféré, dont on espère qu’ils seront précisés dans les mois à venir par la parution d’un document directif (lignes directrices de la CNIL ou acte réglementaire), de nombreux éléments permettent d’ores et déjà d’appréhender de façon générale les fonctions qui leur seront dévolues et à tout le moins les missions auxquelles ils devront s’atteler en priorité.

Au sein du RGPD, ce sont les articles 37, 38 et 39 qui précisent respectivement les conditions de la désignation, la fonction et les missions des DPD et, s’ils n’apportent pas une définition précise de ces DPD, la CNIL les qualifie, de façon particulièrement juste et éclairante de chefs d’orchestre de la conformité en matière de protection des données au sein de l’organisme qui les a désignés.

C’est donc cette image de chef d’orchestre de la conformité qu’il convient de retenir et qui transcrit, fidèlement, la pluralité des missions que les DPD devront exécuter et la diversité des interlocuteurs qu’ils devront accorder.

Ainsi que le synthétise la CNIL, les DPD auront en effet pour rôle :

  • d’informer et de conseillerl’organisme qui les a désignés, ainsi que ses employés ;
  • de contrôler le respect du règlement et du droit national en matière de protection des données ;
  • de conseiller l’organismesur la réalisation d’une analyse d’impact relative à la protection des données et d’en vérifier l’exécution ;
  • d’être contacté par les personnes concernées pour toute question ;
  • de coopérer avec la CNIL et d’être son point de contact.

En ce sens, sitôt désignés et idéalement désormais le plus vite possible, les DPD auront pour premières missions de réaliser un audit complet de tous les traitements de données existants au sein de la structure qui les a désignés.

Pour ce faire, ils pourront, dans un premier temps, solliciter de la CNIL l’envoi d’un récapitulatif de l’ensemble des traitements ayant fait l’objet d’une déclaration ou d’une demande d’autorisation auprès d’elle. 

Au-delà, il leur appartiendra de déterminer si d’éventuels traitements n’auraient pas été omis parce que moins évidents, à l’instar des fichiers attachés exemple à l’usage d’un badge d’entrée ou de l’accès au WIFI.

Cet inventaire réalisé, les DPD devront ensuite réaliser un plan d’action de la mise en conformité de l’ensemble de ces traitements au RGPD (évolution des mentions obligatoires, intégration de nouvelles clauses au sein des contrats, définition de nouvelles mesures de sécurité techniques et organisationnelles, formation du personnel, etc.).

Ils auront ensuite la charge de la rédaction et de la tenue d’un registre des traitements, lequel leur permettra de garantir en toutes circonstances la conformité de l’organisme à cette nouvelle réglementation.

Ils assumeront enfin un rôle fondamental de structuration, d’animation et de sensibilisation de l’ensemble des acteurs intervenant sur les données personnelles aux fins de maintenir le niveau d’exigence escompté.

II- La dimension stratégique de la désignation du DPD

Eu égard à la présentation qui précède afférente à cette fonction nouvelle de DPD et aux responsabilités que ces délégués auront vocation à assumer dans les mois et années à venir, leur désignation revêt nécessairement une dimension stratégique.

Le RGPD lui-même est, au-delà, très exigeant puisqu’il en ressort que le DPD doit être compétent, doit disposer de moyens suffisants pour exercer sa mission et avoir la capacité d’agir en toute indépendance (article 37 § 5 du RGPD).

Dans sa très récente rubrique « Désigner un délégué à la protection des données (DPD) » mise en ligne le 29 mars dernier, la CNIL invite, par conséquent, chaque organisme concerné, à s’assurer rigoureusement de la satisfaction de ces conditions avant de procéder à la désignation en ligne de leur DPD.

Par suite, pour répondre à cette obligation nouvelle de désignation d’un DPD, qui concerne rappelons-le tous les acteurs publics (article 37 §1a du RGPD), quelle que soit leur taille (y compris donc les petites communes), on peut retenir synthétiquement que les acteurs publics disposent de trois options alternatives, lesquelles présentent des avantages et inconvénients distincts.

Ils peuvent tout d’abord désigner un DPD en interne, lequel disposera d’une parfaite connaissance de la structure et de son fonctionnement lui permettant d’appréhender immédiatement les finalités de ses principaux traitements de données. La difficulté résidera néanmoins dans la détermination de la bonne personne pour assumer une telle responsabilité, laquelle devra disposer, des compétences, des moyens et de l’indépendance nécessaires à la réalisation des missions afférentes. L’idéal serait de pouvoir disposer d’un poste dédié à la gestion des données et à la protection des données personnelles. Les nouveaux cursus de formation proposés par les grandes universités augurent une telle orientation dans les plus grandes collectivités territoriales notamment.

Ils peuvent également décider de désigner un DPD mutualisé avec d’autres acteurs publics (solution qui aura essentiellement vocation à concerner les organismes publics de petites tailles et principalement, les communes de moins de 1 000 habitants). La CNIL a, dans ce cadre, immédiatement encouragé les syndicats mixtes et autres structures concernées par l’informatique et le numérique en collectivités à proposer des formules de DPO mutualisé.

Ils peuvent, enfin, décider d’externaliser leur DPD, soit de recourir à un prestataire professionnel externe qui assurera cette responsabilité pour l’organisme, dans les conditions définies contractuellement. Plusieurs cabinets d’avocats et sociétés de consultants en numérique proposent à ce jour cette prestation. S’il est indéniable qu’un DPD externe ne disposera pas, au moins dans un premier temps, d’une pleine connaissance de la structure et de son mode de fonctionnement, que l’audit qu’il sera conduit à mener pourra être perçu comme une intrusion par le personnel de l’organisme et que cette solution pourra être au départ plus onéreuse, cette option présente néanmoins de sérieux avantages en termes d’expertise et d’indépendance.

Quoi qu’il en soit et après de premiers retours d’expérience, notre sentiment est celui du grand intérêt de mener une réflexion sans a priori et la plus large possible pour procéder à un tel choix, lequel sera nécessairement fonction de multiples critères inhérents à chaque structure (attrait particulier d’un des agents pour ce type d’enjeux, politique d’open data menée par ailleurs, adhésion à un syndicat mixte, ampleur des traitements recensés, etc.).

D’autant que cette réflexion peut également être l’occasion d’un travail plus global d’optimisation de la gestion et l’usage des données.

Au demeurant et dans la mesure où rien n’interdit d’opter, dans l’attente, pour une solution transitoire, il est tout à fait possible d’engager une telle étude, y compris si son rendu ne pouvait intervenir qu’après le 25 mai 2018.

A noter enfin que les formations, à l’instar que celles que nous proposons, gratuitement, au Cabinet, le 4 mai 2018, peuvent participer de cette réflexion et la faciliter !

Elise Humbert – Avocat 

Une annulation partielle du TURPE 5 mais la confirmation de la prise en compte des passifs de concession dans le calcul de ce tarif

Par une décision du 9 mars 2018, le Conseil d’Etat a annulé partiellement les Tarifs d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité dans les domaines de Haute Tension A (HTA) et Basse Tension (BT), applicables depuis le 1er août 2017 (ci-après le « TURPE 5 »).

Pour mémoire, les TURPE BT et HTA sont acquittés par tous les consommateurs finals d’électricité au titre de la part d’acheminement de l’électricité par les réseaux publics de distribution avec deux niveaux de tension (basse tension ou haute tension A). Bien que trop peu connus du grand public, un tiers environ du montant des factures de consommation d’électricité dépend des tarifs d’acheminement de l’électricité.

Adoptés pour la 5ème période tarifaire courant de 2017 à 2020, le TURPE 5 était contesté devant le Conseil d’Etat.

On exposera le contexte de la décision rendue par le Conseil d’Etat le 9 mars 2018 (1.), les motifs d’annulation partielle du TURPE 5 (2.), la confirmation toutefois de la méthode de calcul des charges de la société Enedis (3.) et les conséquences à en tirer (4.).

  1. CONTEXTE DU CONTENTIEUX « TURPE 5 » DEVANT LE CONSEIL D’ETAT

En vertu des articles L. 341-2 et suivants du code de l’énergie, les tarifs d’acheminement de l’électricité sont fixés par délibération de la Commission de régulation de l’énergie (ci-après la « CRE ») qui, après avoir été transmise au ministre en charge de l’énergie et sauf opposition de sa part, entre en vigueur à compter de sa publication au Journal officiel de la République française.

Dans l’affaire commentée, pas moins de quatre requêtes en annulation avaient été déposées devant le Conseil d’Etat à l’encontre des délibérations de la CRE du 17 novembre 2016 portant décision sur le TURPE 5 (cf. notre brève LAJEE du 6 décembre 2016) et du 19 janvier 2017 intervenue à la suite de la demande visant à prendre une nouvelle délibération de la part du ministre chargé de l’énergie en date du 17 janvier 2017 5 (cf. notre brève LAJEE du 2 février 2017).

On relèvera que, outre les requêtes de la société Enedis, de la société EDF et du ministre chargé de l’énergie, la quatrième requête, émanant de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres Energies (« CFE-CGC Energies »), a été jugée irrecevable par le Conseil d’Etat. Nonobstant le poids plus que significatif du TURPE sur les recettes de la société Enedis (92% du total des recettes), les représentants du personnel d’Enedis ont été regardés comme ayant un intérêt à agir insuffisant par le Conseil d’Etat.

Enfin, l’association UFC-Que Choisir a été admise au débat contentieux en tant qu’intervenante en défense aux côtés de la CRE.

  1. UN CONTENTIEUX AVEC PAS MOINS D’UNE VINGTAINE DE MOYENS, TOUS REJETES PAR LE CONSEIL D’ETAT À UNE EXCEPTION PRES

Par la jonction des trois requêtes jugées recevables dans une seule décision, le Conseil d’Etat rejette l’essentiel de l’argumentation des requérants (2.1), sauf une erreur de droit commise par la CRE (2.2).

  • 1 Le rejet de nombreux moyens soulevés à l’encontre du TURPE 5

Dans la première partie de la décision commentée, l’ensemble des moyens d’illégalité externe soulevés par les requérants sont écartés par le Conseil d’Etat, tant sur le point des consultations préalables de la CRE, dont celle non obligatoire du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), que sur le respect du délai de convocation des membres de la CRE, ou encore, en deuxième partie de la décision commentée, sur les orientations de politique énergétique du ministre chargé de l’énergie.

Dans une troisième partie, le Conseil d’Etat rejette les moyens de légalité interne portant sur deux mécanismes de régulation incitative de la CRE et, dans une cinquième partie, ceux portant sur la structure du tarif.

Quant à la quatrième partie de la décision commentée relative aux coûts pris en compte pour la détermination du TURPE, le Conseil d’Etat ne retient, ni les moyens portant sur les charges d’exploitation, ni ceux sur le compte de régularisation des charges et des produits (CRCP), ni encore ceux relatifs aux charges de capital (à une exception évoquée ci-après).

Plus spécifiquement sur les charges de capital, le Conseil d’Etat rejette le moyen soulevé par les sociétés EDF et Enedis sur une minoration desdites charges par la CRE liée, alors qu’elle n’y serait pas autorisée, à la politique de distribution des dividendes d’Enedis à sa maison mère EDF.

A cet égard, le Conseil d’Etat admet que la CRE puisse rappeler à Enedis, d’une part, que « la politique de dividende décidée par l’actionnaire ne saurait constituer un frein à la réalisation par Enedis des investissements » à effectuer sur les réseaux et, d’autre part, qu’une hausse de la rémunération du capital d’Enedis par le TURPE sur la période 2017-2020 « viendrait augmenter, sans justification, les bénéfices de l’opérateur et indirectement les bénéfices de son actionnaire ».

Il faut en effet rappeler que la société Enedis est détenue à 100% par la société EDF, cette dissociation résultant de l’obligation de séparer les activités de distribution et de fourniture d’électricité au nom de la transparence des coûts.

  • 2 L’annulation partielle du TURPE 5

La société Enedis soutenait que la rémunération des charges de capital dans le TURPE 5 ne prenait pas en compte, à tort, les provisions pour renouvellement constituées sur les ouvrages concédés, ni le passif correspondant à la remise d’ouvrages aux concédants, qui avaient été constitués sur la période tarifaire courant de 2006 à 2008 et qui n’avaient pas été déduits du TURPE alors applicable (TURPE 2).

Le Conseil d’Etat fait droit à cet argumentaire et juge que les délibérations attaquées doivent être annulées en tant qu’elles n’ont pas appliqué, dans le calcul du capital investi par Enedis, un taux « sans risque » en plus d’une « prime de risque » à ces deux catégories d’actifs sur la période 2006-2008.

La CRE devra donc prendre une nouvelle délibération pour appliquer ledit taux sur la seule fraction non amortie desdits actifs, en prenant en compte les économies d’impôts réalisées par la société Enedis sur la période, à partir de documents comptables que doit lui fournir Enedis.

Pour autant, l’intérêt de la décision commentée réside davantage dans la précision utilement apportée à la méthode de calcul de la rémunération des charges de capital d’Enedis que la CRE peut employer.

  1. LE BIEN-FONDE DE LA PRISE EN COMPTE DE LA STRUCTURE REELLE DU PASSIF D’ENEDIS POUR CALCULER SES CHARGES

La société Enedis contestait la légalité de la méthode de calcul de la rémunération de ses charges de capital dans le TURPE 5 au regard de l’article L. 341-2 du code de l’énergie modifié par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Avant toute chose, on rappellera que les TURPE sont calculés par la CRE, conformément à l’article L. 341-2 du code de l’énergie, « afin de couvrir l’ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d’un gestionnaire efficace », y compris ceux « résultant de l’exécution des missions et des contrats de service public ».

Pour y parvenir jusqu’au 18 août 2015, la CRE a tout d’abord adopté, lors du TURPE 2, une méthode de calcul de la rémunération des charges de capital d’Enedis assise sur un « coût moyen pondéré du capital » (CMPC), reconduite pour le TURPE 3, lequel avait été annulé par le Conseil d’Etat[1] au motif de son inadéquation avec la réalité financière et comptable d’Enedis.

Tirant les conséquences de cette annulation lors du TURPE 3 bis puis du TURPE 4, une nouvelle méthode basée sur un « modèle d’évaluation des actifs financiers » a été mise en place par la CRE, y incluant les éléments de passif liés à la spécificité des contrats de concession, portant, d’une part, sur les « comptes spécifiques des concessions »[2] et, d’autre part, sur les provisions pour renouvellement.

Après le 18 août 2015, date d’entrée en vigueur de la loi relative à la transition énergétique, la CRE a reconduit la seconde méthode de calcul, validée par le Conseil d’Etat pour le TURPE 4[3], pour fixer le TURPE 5, sans prendre en compte le nouvel alinéa de l’article L. 341-2 du code de l’énergie, ce qui était reproché à la CRE par la société Enedis.

Aux termes de l’article L. 341-2 du code de l’énergie :

« Pour le calcul du coût du capital investi par les gestionnaires de ces réseaux, la méthodologie est indépendante du régime juridique selon lequel sont exploités les réseaux d’électricité et de ses conséquences comptables. Elle peut se fonder sur la rémunération d’une base d’actifs régulée, définie comme le produit de cette base par le coût moyen pondéré du capital, établi à partir d’une structure normative du passif du gestionnaire de réseau, par référence à la structure du passif d’entreprises comparables du même secteur dans l’Union européenne ».

Par la décision commentée, le Conseil d’Etat admet que la CRE puisse, à nouveau, « se fonder (…) sur (…) un coût du capital ne tenant pas compte de la présence, au passif du gestionnaire du réseau de distribution, des droits des concédants et donc de la forme concessive sous laquelle est exploité ». Ce faisant, et comme l’a observé le Rapporteur Public, Madame Emilie Bodkam-Tognetti, lors de l‘audience à laquelle cette affaire était appelée, la loi du 18 août 2015 revient sur la méthode de calcul des TURPE 2 et 3 alors même qu’elle avait été censurée par le Conseil d’Etat.

Mais, il s’agit néanmoins pour la CRE « d’une simple faculté et non d’une obligation » selon le Conseil d’Etat.

En l’espèce donc, le Conseil d’Etat a jugé que la rémunération des charges de capital d’Enedis dans le TURPE 5 peut légalement s’appuyer sur un modèle d’évaluation des actifs financiers de la CRE tenant compte des droits des autorités concédantes et, plus généralement, de la spécificité du mode de gestion concessif des réseaux de distribution d’électricité en France.

  1. LES EFFETS DIFFERES DE LA DECISION DU CONSEIL D’ETAT

La sixième et dernière partie de la décision commentée du Conseil d’Etat porte sur les effets différés dans le temps de l’annulation partielle du TURPE 5.

Rappelant la grille d’analyse constante (cf. CE, 11 mai 2004, Association AC ! et autres, n°255886), le Conseil d’Etat considère, en l’espèce, que le TURPE 5 est appliqué depuis moins de huit mois (depuis le 1er août 2017) et, qu’en cas d’annulation rétroactive, Enedis devrait adresser des factures rectificatives à l’ensemble des utilisateurs du réseau.

Dans ses conclusions, le Rapporteur public avait également ajouté que, concrètement, il s’agirait pour Enedis de ne récupérer que quelques euros sur les factures des utilisateurs, pour proposer de différer de trois mois les effets de l’annulation, laissant à la CRE le temps de prendre une décision.

Le Conseil d’Etat a jugé dans le même sens que les effets des délibérations attaquées relatives au TURPE 5 sont considérés comme définitifs et que leur annulation partielle n’aura d’effet qu’au 1er août 2018.

Un TURPE 5 bis est donc attendu avant le 1er août prochain, et dont il résultera le montant exact de l’augmentation sur les factures d’électricité.

Marie-Hélène Pachen-Lefèvre, Avocat Associée

Maxime Gardellin, Avocat

 

[1] Cf. CE, 28 novembre 2012, Société Direct Energie et SIPPEREC, n° 330548, 332639, 332643.

[2] Il s’agit de l’élément de passif correspondant au droit des concédants de récupérer gratuitement les biens de la concession en fin de contrat dès lors qu’ils les ont financés.

[3] Cf. CE, 13 mai 2016, Société Direct Energie, n°375501.