Les clauses d’adhésion obligatoire aux associations de commerçants jugées nulles

Le 27 septembre 2017 la première chambre civile de la Cour de cassation est venue confirmer et affiner sa jurisprudence relative aux clauses d’adhésion obligatoires à des associations par les commerçants.

En l’espèce, une société exploitant un commerce de détail concluait en 1998 un bail commercial avec la société gestionnaire d’un centre commercial, ce contrat contenait une clause stipulant comme condition l’adhésion du preneur à l’association des commerçants du centre commercial dans lequel est situé le local loué.

Plusieurs années après, le preneur notifiait à l’association son retrait de celle-ci à compter du 1er janvier 2012 et cessait de régler ses cotisations.

L’association déposait une requête en injonction de payer les cotisations ultérieures devant le Président du Tribunal de commerce. La société demandait donc reconventionnellement la nullité de la clause d’adhésion obligatoire, le remboursement des cotisations payées et l’indemnisation du préjudice subi.

Dans un premier temps, concernant la nullité de la clause d’adhésion obligatoire. La première chambre civile énonce que « l’association ne produisait aucun bulletin d’adhésion et que le seul paiement des cotisations pendant plusieurs années ne constituait pas l’expression d’une volonté libre d’adhérer, et énoncé exactement que les statuts de l’association, qui imposent à la société locataire d’y adhérer, sans possibilité de démissionner, méconnaissaient l’article 4 de la loi du 1er juillet 1901 et l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que l’adhésion de la société locataire devait être annulée ». La solution apportée par cet arrêt est désormais classique puisque les différentes chambres de la Cour de Cassation se sont accordées pour statuer en ce sens (Cass, civ., 3ème, 12 juin 2003, n° 02-10.778 ; Cass, civ., 1ème,  20 mai 2010, n° 09-65.045). La Cour de cassation vient donc rappeler que la liberté d’association implique le droit de ne pas adhérer et celui de se retirer à tout moment.

Ensuite, Concernant les conséquences financières de l’annulation d’une clause d’adhésion obligatoire à une association dans un bail commercial, la Cour de cassation  confirme les conséquences financières de l’annulation d’une telle clause en condamnant l’association au remboursement de l’intégralité des contributions indument perçues.

En effet, après quelques divergences, les chambres de la Cour de cassation ont, dans un premier temps, relevé que le fait d’annuler une telle clause tout en maintenant ses conséquences financières pour le preneur revenait à une reconnaissance théorique dénué de toute efficacité de la liberté du preneur incompatible avec l’article 13 de la Convention européenne des Droits de l’Homme garantissant un recours effectif (Cass, civ., 1ère, 20 mai 2010, n° 10-23.928).

Ensuite, il a été affirmé que l’annulation à raison de l’atteinte à la liberté fondamentale de ne pas s’associer ne faisait pas échec au principe des restitutions réciproques que peut impliquer l’annulation d’un contrat exécuté (Cass. civ., 3ème, 23 novembre 2011, pourvoi n° 10-23.928). Il s’agit donc de confirmer dans ce récent arrêt l’application du droit commun des nullités et des restitutions.

Enfin, si par principe les restitutions doivent s’effectuer en nature, il est admis qu’elles le soient en valeur lorsque les prestations sont définitivement acquises à l’une des parties, ce qui est le cas en l’espèce (Cass, Civ 1e, 12 juillet 2012, n°10-23.928 ; Cass, Civ 1e, 2 octobre 2013, n° 12-24.867). La Cour de cassation précise que l’évaluation des restitutions est de l’appréciation souveraine des juges du fond en fonction des éléments mis à leur disposition (Cass, civ., 1ère, 12 juillet 2012, n° 10-23.928 ; Cass, civ., 1ère, 2 octobre 2013, n° 12-24.867). Ainsi, la société peut prétendre à ce que lui soit restituer l’intégralité des cotisations qu’elle a payé depuis son adhésion forcée mais devra également en contrepartie indemniser l’association des bénéfices que cette dernière lui a procuré (Cass, Civ 1e, 27 septembre 2017, n° 16-878).

Toutefois, et là est le point novateur de cet arrêt, la première chambre civile de la Cour de cassation tout en s’inscrivant dans la stricte continuité des arrêts précédents, n’hésite pas à aller au-delà en apportant une précision dont on ne saurait négliger l’importance. 

En effet, en l’espèce, la Cour d’appel de Versailles avait rejeté la demande de dommages-intérêts formée par la société en retenant que celle-ci ne caractérisait pas la faute de l’association dès lors qu’elle s’est vue contrainte d’y adhérer en sa seule qualité de preneur à bail au sein du centre commercial.

La première chambre civile précise alors qu’en « statuant ainsi, alors que la méconnaissance, par l’association, de la liberté fondamentale de la société locataire de ne pas y adhérer, constituait une faute civile, la cour d’appel a violé l’article 1382 du Code civil, devenu l’article 1240 du Code civil ».

La précision est d’ampleur puisque sa portée commande qu’une société qui s’est vue contrainte d’adhérer à une association par la signature d’un bail commercial n’aura plus a démontrer l’existence d’une faute distincte de la violation de la liberté fondamentale d’association pour prétendre à l’allocation de dommages et intérêts. En conséquence, la seule violation de cette liberté d’association constitue en elle-même une faute emportant l’allocation de dommages et intérêts indépendant du préjudice financier né des contributions indument versées par la société.

Le délai de prescription de l’action en rétractation du bailleur court à compter du jour où il a eu connaissance du motif grave et légitime fondant son refus de renouvellement

Un bailleur avait consenti un bail commercial à une locataire le 1er février 1999 qu’il a entendu renouveler suivant congé avec offre de renouvellement signifié le 14 février 2008.

Ayant appris le 7 mars 2012 que les lieux n’étaient pas exploités conformément à leur destination contractuelle, le bailleur a adressé une mise en demeure au locataire le 4 janvier 2013.

En l’absence de mise en conformité de sa locataire, le bailleur a rétracté le 18 mars 2013 son offre en raison d’un motif grave tenant à la violation de la destination contractuelle.

Le bailleur a assigné son locataire le 19 avril 2013 en validité du congé avec refus de renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction.

La Cour d’appel ayant accueilli la demande du bailleur, le locataire s’est pourvu en cassation au motif que l’action en rétractation du bailleur serait prescrite.

Plus précisément, le preneur avançait d’une part que le point de départ du délai de prescription de l’action du bailleur est la date de délivrance du congé, et d’autre part, que le délai de prescription de l’action en rétractation de l’offre de renouvellement court à compter du jour où un bailleur prudent ou diligent aurait dû découvrir le motif grave et légitime qui fonde son refus de renouvellement.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi en considérant que :

« Le délai de prescription de l’action en rétractation de l’offre de renouvellement de bail pour motif grave et légitime court à compter du jour où le bailleur a eu connaissance de l’infraction qui fonde son refus ».

En l’espèce, l’action du bailleur n’était pas prescrite puisqu’il a eu connaissance du motif grave et légitime de refuser le renouvellement le 7 mars 2012 et a assigné son locataire le 19 avril 2013, respectant la prescription biennale de l’article L145-60 du Code de commerce.

En retenant comme point de départ du délai de prescription de l’action en rétractation du bailleur au jour où ce dernier a effectivement eu connaissance de l’infraction et non au jour où il aurait dû en avoir connaissance, la Cour de cassation préserve la possibilité d’action de ce dernier.

Loi de finances pour 2018 : le Conseil Constitutionnel censure « l’amendement Collomb ».

Saisi du contrôle de constitutionnalité de la loi de finances pour 2018, le Conseil constitutionnel a notamment censuré son article 85, autrement appelé « amendement Collomb », lequel prévoyait un régime dérogatoire spécifique à la Métropole de Lyon s’agissant de la répartition du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) entre celle-ci et la Région Rhône-Alpes.

Il était en effet prévu pour ces deux seules collectivités d’annuler le transfert de 25 points de CVAE de la Métropole au profit de la Région, en application de l’article 89 III de la loi de finances pour 2016 (loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015). Ces dispositions prévoient en effet le versement d’une attribution de compensation financière raison des transferts de compétences, des départements aux régions, en matière de transport (qui ont respectivement eu lieu le 1er janvier 2017 pour le transport interurbain de voyageurs et le 1er septembre 2017 pour le transport scolaire, en application de la loi NOTRe).

La philosophie de ces dispositions est ainsi de compenser les charges transférées aux régions en raison des nouvelles compétences dont elles se trouvent investies en matière de transport : à cet effet, il a été prévu que 25% du produit de la CVAE départementale perçue l’année précédant l’application des dispositions bénéficierait désormais aux régions. In fine et en fonction du montant des charges transférées, une compensation financière est à verser soit au profit du département soit de la région.

Or, en l’occurrence aucune compétence n’ayant été transférée par la Métropole de Lyon à la Région Rhône-Alpes en matière de transport, la loi de finances pour 2018 a entendu corriger « une anomalie fiscale » en prévoyant que ce mécanisme de transfert fiscal ne s’appliquerait pas en l’espèce.

Les Sages censurent ces dispositions comme contraires au principe d’égalité devant les charges publiques, en considérant que « le législateur ne s’est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec le but » poursuivi.

Ils soulignent en effet que, bien que la Région Rhône-Alpes ne se voie transférer aucune compétence en matière de transports par la métropole lyonnaise, le transfert de fiscalité prévue par l’article 89 de la loi de finances pour 2016 est également justifié par la circonstance que les régions voient leur rôle renforcé en matière de développement économique.

Le Conseil constitutionnel s’inscrit ainsi dans la ligne du Conseil d’Etat, qui avait refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point s’agissant de la situation comparable que connaissent les Départements d’Ile-de-France, la Région se voyant en effet attribuer 25 points de CVAE départementale alors qu’elle ne s’est vue transférer aucune compétence en matière de transports, ceux-ci étant exclusivement organisés par le STIF (Conseil d’Etat, 28 juillet 2017, n° 410616).

On ne peut que s’étonner de cette convergence de positionnement entre la juridiction administrative suprême et le juge constitutionnel, qui a pour effet d’avaliser une rupture d’égalité entre les régions, laquelle ne se trouve fondée sur aucun critère objectif aisément décelable : on peine en effet à saisir la raison pour laquelle les régions qui se sont vues transférer des compétences en matière de transport publics (lesquelles demandent des moyens très importants) et les autres régions perçoivent exactement la même compensation fiscale de CVAE, quand ces dernières pourront les consacrer en totalité au développement économique régional. La position du juge constitutionnel apparaît d’autant plus paradoxale s’agissant de la métropole lyonnaise, investie de larges compétences en matière de développement économique.

Nouvelles décisions de l’ARAFER en matière de gares routières.

Par deux décisions en date du 4 décembre 2017 (n° 2017-125 et n° 2017-126), l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER), précise et accroit les obligations incombant aux exploitants des gares routières.

La première décision (mettant à jour une précédente décision du 13 avril 2016) concerne le registre public des gares routières et autres aménagements routiers, qu’il incombe à l’Autorité de tenir à destination des entreprises de transport public routier (en application de l’article  L. 3114-10 du Code des transports).

Ceux-ci doivent en effet pouvoir « accéder aux informations pertinentes relatives à ces aménagements » (identité du responsable de l’exploitation, conditions de demandes et règles d’accès notamment).

A cette fin, il appartient aux exploitants des gares routières de déclarer à l’Autorité les éléments nécessaires à la tenue de ce registre. Concrètement :

  • des informations complémentaires sont demandées aux exploitants, notamment s’agissant des règles d’accessibilité et des services offerts au sein de l’aménagement (voir le point 13 de la décision);
  • les modalités de déclaration sont simplifiées, celle-ci ayant lieu via une plateforme d’échange de données mise en place par l’Autorité, un espace sécurisé (avec identifiant et mot de passe) étant prévu pour chaque exploitant.

Les exploitants déjà enregistrés ont jusqu’au 4 février 2018 pour mettre à jour leur déclaration tandis que les exploitants de nouveaux aménagements (entrant dans le champ de cette réglementation, voir partie 4 de la décision) disposent d’un délai d’un mois à compter du démarrage de l’exploitation pour y procéder.

La seconde décision a pour objet plus général la transmission d’informations par les exploitants d’aménagements routiers de nature à « alimenter des actions d’information, dans le respect du secret des affaires ».

Rappelons que l’Autorité dispose d’un droit d’accès à la comptabilité, mais également aux informations économiques, financières et sociales, notamment des exploitants d’aménagements routiers (article L. 1264-2 du Code des transports).

Conformément à cette décision, les exploitants devront fournir des informations relatives à leurs activités (préciser s’ils sont également exploitants ou ont un lien capitalistique avec un exploitant de transport public urbain ou interurbain de personnes), à la comptabilité de l’aménagement (existence ou non d’une comptabilité propre à l’aménagement ; montants des recettes et des charges d’exploitation et d’amortissement pour l’année N et N+1, notamment) aux investissements réalisés (type et nature d’investissement ;  montants brut et net de subventions, l’exploitant devant préciser si l’investissement a été induit par la fréquentation de services librement organisés (SLO)) ainsi qu’à la fréquentation de l’infrastructure (types de services ; nombre de mouvements par an, par jour de semaine ou de week-end ; existence d’heures de pointe, etc.)

Les données doivent être fournies au régulateur au plus tard le 30 juin 2018, puis annuellement à cette date.

La détention d’informations précises sur la localisation, les caractéristiques (telles que la présence d’espaces d’attente et de toilettes pour les voyageurs, l’accès Wifi) et les données financières et statistiques des gares routières est en effet essentielle à la conception des offres des transporteurs. Il s’agit d’un enjeu identifié comme central pour les exploitants des « cars Macron ».

http://www.arafer.fr/wp-content/uploads/2017/12/decision-n-2017-126-transmission-dinformations-exploitants-damenagements-routiers-version-publique.pdf

Lorsque le vendeur ne peut ignorer les vices affectant le bien vendu, la clause de non-garantie des vices cachés est inopposable à l’acquéreur

Par acte du 14 novembre 2007, et par l’intermédiaire d’un agent immobilier, les consorts X ont vendu à une société civile immobilière (SCI) le rez-de-chaussée d’un immeuble où avait été exploité un garage automobile.

L’acquéreur avait expressément indiqué dans l’acte de vente qu’il avait l’intention d’affecter ce bien l’habitation.

L’acte de vente stipulait également que l’acquéreur prendrait les biens vendus « dans l’état où il se trouveront le jour de l’entrée en jouissance sans aucune garantie de la part du vendeur, soit de l’état du sol ou du sous-sol de l’immeuble à raison de fouilles ou excavations qui auraient pu être pratiquées, soit de l’état des biens vendus, de l’immeuble dont ils dépendent, des vices de toute nature apparents ou cachés dont ils peuvent être affectés ».

L’acquéreur a fait procéder, postérieurement à la vente, à une étude de diagnostic qui lui a révélé la présence dans le sous-sol d’hydrocarbures et de métaux lourds provenant de cuves enterrées qui se sont révélées fuyardes, le tout rendant nécessaire la dépollution des sols.

La SCI a par conséquent assigné notamment les consorts X, vendeurs, et les notaires instrumentaires, en garantie des vices cachés et indemnisation de son préjudice.

La Cour de cassation, approuvant la Cour d’appel de Toulouse, a considéré « qu’ayant retenu à bon droit qu’en sa qualité de dernier exploitant du garage précédemment exploité par son père, M. X ne pouvait ignorer les vices affectant les locaux et que l’existence des cuves enterrées qui se sont avérées fuyardes n’avait été révélée à l’acquéreur que postérieurement à la vente, la cour d’appel, appréciant souverainement la portée du rapport d’expertise, en a exactement déduit que le vendeur ne pouvait se prévaloir de la clause de non-garantie des vices cachés ».

Ainsi, lorsqu’il est démontré que le vendeur ne pouvait ignorer le vice affectant le bien vendu et qu’il n’en a pourtant nullement informé le futur acquéreur, le vendeur ne peut pas se prévaloir de la clause de non-garantie des vices cachés.

Les vendeurs doivent donc avoir conscience que l’insertion d’une telle clause au sein d’un acte authentique de vente, ne les dispense en rien d’informer leurs acquéreurs des vices affectant le bien dont ils auraient connaissance.

Condamnation de journalistes pour une émission critiquant le traitement du cancer dans un hôpital : absence d’atteinte disproportionnée a la liberté d’expression selon la CEDH

Par un arrêt « Frisk et Jensen c/ Danemark » rendu le 5 décembre 2017, la Cour européenne a jugé conventionnelle la condamnation des journalistes ayant critiqué les choix effectués par l’Hôpital Universitaire de Copenhague en matière de chimiothérapie, à l’occasion d’un documentaire télévisé.   

Les faits sont simples. Dans le documentaire litigieux, les journalistes insinuaient que les services de cet hôpital privilégiaient l’utilisation d’un médicament sans proposer d’autres traitements thérapeutiques à leurs patients. Poursuivis pour diffamation par l’hôpital et le médecin principalement mis en cause, la productrice et le responsable du contenu de ce documentaire avaient été reconnu coupables de diffamation.

Saisie par ces derniers du caractère disproportionné de l’atteinte ainsi portée à la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la CESDH, la Cour européenne a rejeté ce moyen au motif que, en dépit de sa contribution au débat public et de la notoriété entourant les personnes mises en cause (médecin et hôpital public) :

 – Du fait de sa large diffusion, ce documentaire a causé d’importants préjudices pour l’hôpital et son médecin ;

 – La base factuelle sur laquelle il repose était en réalité assez fragile ;

 – La sanction prononcée contre les requérants ne leur portait pas un préjudice excessif et n’est pas de nature à les dissuader de continuer d’exercer leur liberté d’expression.

 

La protection des lanceurs d’alerte s’étend lentement en Europe, mais des progrès s’affirment

La justice Luxembourgeoise LuxLeaks reconnaît le statut de lanceur d’alerte à l’un des auteurs des fuites.
Les accords transmis à la presse par deux hommes, dans le cadre de l’affaire dite des « LuxLeaks » garantissaient pour la plupart une fiscalité très avantageuse aux branches luxembourgeoises de grandes multinationales, vers lesquelles les profits étaient artificiellement déplacés.
A la suite du vaste scandale qui résulta de la diffusion de ces informations, une directive imposant aux pays européens de s’échanger ces accords secrets, a été adoptée à l’automne 2015. L’un des auteurs des fuites a obtenu le prix du citoyen européen en 2015, décerné par le Parlement européen
Mais la justice Luxembourgeoise a tardé à tirer toutes les conséquences de ce scandale, puisque les deux auteurs des fuites étaient toujours poursuivis au début de l’année 2018 et que ce n’est que le 11 janvier dernier que la Cour de cassation du Luxembourg a reconnu pleinement le statut de lanceur d’alerte à l’un des auteurs des fuites, ancien auditeur Français au sein du cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC).
Toutes les actions engagées contre lui pour vol domestique, divulgation de secrets d’affaires, violation de secret professionnel et blanchiment et ses condamnations en première instance comme en appel, se sont effondrées à l’exception des poursuites pour avoir emporté des documents qu’il n’a pas diffusés.
L’autre auteur des fuites n’a, toutefois, pas encore obtenu le statut reconnu au premier et demeure condamné à plusieurs titres. Ses avocats ont annoncé un recours devant la CEDH. Ses chances de succès devraient y être fortes si l’on se rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu le statut de lanceur d’alerte, dès 2008, et considère qu’il autorise à violer légitimement d’autres obligations légales, comme le secret des affaires, si cela permet de révéler des informations d’intérêt général.
Des progrès donc, mais encore limités. Six pays, dont la France, sur les 28 pays de l’Union européenne, ont institué une protection légale expresse des lanceurs d’alerte. Ces législations restent imparfaites.
Ainsi, en France, la procédure de signalement* n’est pas simple et n’autorise à alerter la presse qu’après plusieurs démarches (alerter le référent ou son supérieur hiérarchique puis l’autorité judiciaire puis, en cas d’inaction, alerter la presse), sous peine de se retrouver devant les tribunaux pour « signalement abusif ou déloyal ».
La procédure de signalement exclut, en outre, les personnes morales, associations, ONG, les IRP (institutions représentatives du personnel) dans les entreprises, les organisations syndicales. Les journalistes, les inspecteurs du travail, les magistrats, extérieures à l’entreprise, ne peuvent bénéficier de cette protection.
Enfin, si le mécanisme de création d’une Directive européenne a été enclenché avec le vote, d’un rapport en ce sens le 24/10/17 par le Parlement européen, une longue procédure reste à suivre.
Encore sous le coup de l’explosion d’une bombe disposée sous la voiture d’une lanceuse d’alerte maltaise*, le Parlement européen a réagi rapidement, il reste encore à la Commission à en faire une loi pour les Etats membres. Ce qui signifie de longues négociations avec les eurodéputés, les 28 pays.

Une chose est certaine, les lanceurs d’alerte seront très vite de nouveau en pleine actualité. Volet connexe de l’affaire LuxLeaks, la justice française doit, se prononcer le 6 février 2018, sur la validité d’une ordonnance délivrée par le tribunal de grande instance de Metz en 2014, ayant permis à PwC de faire fouiller le domicile de l’un des lanceurs d’alertes en 2014 pour identifier s’il était la source du journaliste. Le parquet a estimé, mardi 9 janvier, qu’une telle ordonnance était «de nature à porter atteinte directement et indirectement au secret des sources des journalistes, sans motif légitime». A suivre de près.

*loi Sapin II du 9/ 2/2016 transparence, lutte contre la corruption et loi organique du 9/12/2016 sur la compétence du Défenseur des droits pour l’orientation et la protection des lanceurs d’alerte
**assassinat d’une journaliste maltaise anti-corruption, Daphne Caruana Galizia, tuée le 16 octobre 2016 par une bombe placée sous sa voiture.

Publication du décret relatif à la création du Tribunal d’instance de Paris et à la suppression des vingt Tribunaux d’instance d’arrondissement

C’est le 2 décembre dernier que le décret portant création du tribunal d’instance de Paris et à la suppression des vingt tribunaux d’instance d’arrondissement a été publié au Journal officiel.

L’entrée en vigueur de ce texte, qui marquera la fin des Tribunaux d’arrondissement et centralisera l’ensemble du contentieux d’instance au nouveau Palais de justice des Batignolles, est toutefois différée au 14 mai 2018.

Dans ce prolongement, les quelques compétences exclusives dévolues à certains Tribunaux d’arrondissement en matière électorale ou sociale, relèveront également à compter du 14 mai 2018 de la compétence du tribunal d’instance de Paris.

Au plan procédural, à compter du 14 mai 2018, les nouvelles demandes devront être portées devant le tribunal d’instance de Paris.

Toutefois, les Tribunaux d’instance primitivement saisis demeurent compétents pour statuer sur les procédures introduites antérieurement jusqu’aux dates déterminées ainsi qu’il suit :

– Tribunal d’instance de Paris 1er arrondissement : 12 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 2e arrondissement : 1er juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 3e arrondissement : 12 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 4e arrondissement : 31 mai 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 5e arrondissement : 11 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 6e arrondissement : 13 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 7e arrondissement : 11 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 8e arrondissement : 13 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 9e arrondissement : 1er juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 10e arrondissement : 5 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 11e arrondissement : 31 mai 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 12e arrondissement : 11 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 13e arrondissement : 6 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 14e arrondissement : 31 mai 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 15e arrondissement : 7 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 16e arrondissement : 12 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 17e arrondissement : 4 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 18e arrondissement : 7 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 19e arrondissement : 14 juin 2018 ;

– Tribunal d’instance de Paris 20e arrondissement : 4 juin 2018.

Au lendemain de ces dernières, les Tribunaux concernés sont supprimés et les procédures transférées en l’état au tribunal d’instance de Paris qui, au 15 juin 2018, demeurera la seule juridiction parisienne à connaître du contentieux d’instance.

 

Sur le point de départ de l’obligation de reprise des salaires en cas de substitution à l’avis d’aptitude du médecin du travail d’une décision d’inaptitude de l’inspecteur du travail

Dans un arrêt du 20 décembre 2017 (Cass. soc., 20 décembre 2017 ; n°15-28.367), la Cour de cassation a précisé quel était le point de départ de l’obligation de reprise des salaires en cas de substitution à l’avis d’aptitude du médecin du travail d’une décision d’inaptitude de l’inspecteur du travail.
Dans cette espèce, à la suite d’un accident du travail, Madame X. gardienne d’immeuble, a été placée en arrêt de travail du 18 septembre 2008 au 20 septembre 2009.
Le médecin du travail l’ayant déclarée apte à son poste avec restrictions à l’issue d’une visite de reprise du 29 septembre 2009, Madame X. a formé un recours contre cet avis.
Le 6 décembre 2010, l’inspecteur du travail déclarait l’intéressée inapte à son poste.
Dans ces circonstances, par un arrêt du 29 octobre 2015 (n°14/13122), la Cour d’appel de Paris condamnait l’employeur au paiement d’une provision à titre de rappel de salaires pour la période du 29 octobre 2009 au 23 septembre 2015, retenant qu’en cas de difficultés ou de désaccord sur l’avis émis par le médecin du travail, il appartient à l’inspecteur du travail de se prononcer définitivement sur l’aptitude du salarié, conformément à l’article L. 4624-1 du code du travail.
En outre selon la Cour, l’appréciation de ce dernier, qui se substitue entièrement à celle du médecin du travail, doit être regardée comme portée dès la date à laquelle l’avis du médecin du travail a été émis, qu’elle la confirme ou qu’elle l’infirme, nonobstant la circonstance que l’inspecteur du travail doive se prononcer en fonction des circonstances de fait et de droit à la date à laquelle il prend sa décision.
Aussi, l’avis de l’inspecteur du travail en date du 6 décembre 2010 qui a déclaré la salariée inapte au poste de gardienne d’immeuble mais apte à un poste administratif à mi-temps, s’est substitué, à compter du 29 septembre 2009, à l’avis d’aptitude avec restrictions du médecin du travail rendu à cette date et donc la salariée devait soit être reclassée, soit être licenciée.
En conséquence, selon la Cour d’appel de Paris, l’employeur devait commencer à verser les salaires à compter du 29 octobre 2009 et ce, conformément à l’article L. 1226-11 du Code du travail qui prévoit que « lorsqu’à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la date de l’examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n’est pas reclassé dans l’entreprise ou s’il n’est pas licencié, l’employeur lui verse, dès l’expiration de ce délai, le salaire correspondant à l’emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail (Ces dispositions s’appliquant également en cas d’inaptitude à tout emploi dans l’entreprise constatée par le médecin du travail) ».
Or, par un arrêt du 20 décembre 2017 (Cass. soc., 20 décembre 2017 ; n°15-28367), la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel en précisant d’une part, que la substitution à l’avis d’aptitude délivré par le médecin du travail d’une décision d’inaptitude de l’inspecteur du travail ne fait pas naître rétroactivement l’obligation pour l’employeur de reprendre le paiement du salaire et d’autre part que cette obligation ne s’impose à celui-ci qu’à l’issue du délai d’un mois suivant la date à laquelle l’inspecteur du travail prend sa décision.

Agents publics et agents privés employés d’une même structure : quid du principe d’égalité en matière de rémunération ?

Au gré notamment des évolutions de certains établissements publics, comme les Offices publics de l’Habitat ou, dans le cas d’espèce, des agences Pôle Emploi, des fonctionnaires et des contractuels de droit public peuvent côtoyer des personnels salariés, soumis au Code du travail.

Se pose alors, au travers du principe d’égalité, la question de l’application de l’adage « A travail égal, salaire égal ».

Déjà saisie de la problématique s’agissant du personnel mixte de La Poste, la Cour de cassation avait précisé que le principe n’est applicable qu’à la condition qu’il existe une identité de situation juridique entre les personnels ou que l’élément de rémunération en cause soit versé au regard de mêmes fonctions : « celui qui emploie à la fois des fonctionnaires et agents de droit public et des agents de droit privé est fondé à justifier une différence de rémunération entre ces catégories de personnels dont la rémunération de base et certains éléments sont calculés, en fonction pour les premiers, de règles de droit public et, pour les seconds, de dispositions conventionnelles de droit privé [mais] il en va autrement s’agissant d’un complément de rémunération fixé, par décision de l’employeur applicable à l’ensemble du personnel sur le critère de la fonction ou du poste de travail occupé » (Cass., Ass. plén., 27 févr. 2009, La Poste, n° 08-40.059).

Le 12 juillet 2017, saisi d’une affaire de cet ordre par un agent public, le Conseil d’Etat est allé dans le même sens que son homologue de l’ordre judiciaire.

Ainsi, alors qu’une fonctionnaire de Pôle Emploi considérait avoir subi un préjudice financier par rapport à ses collègues salariés mieux rémunérés, le Conseil d’Etat a jugé que la requérante ne pouvait se prévaloir d’une méconnaissance du principe d’égalité entre agents de droit public et agents de droit privé au regard de leur différence de situation juridique et de ce que, au surplus, il lui avait été offert une option pour le statut salarié qu’elle n’avait pas souhaité saisir.

La suspension conservatoire des agents contractuels de la fonction publique territoriale

L’article 30 du statut général (loi n°83-634 du 13 janvier 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires) est bien connu : il permet d’écarter du service temporairement, sur une période maximale de quatre mois voire plus si il y a déclenchement de l’action publique, des fonctionnaires à l’encontre desquels l’autorité territoriale considère qu’il existe une présomption vraisemblable de faute grave.

La rémunération du fonctionnaire suspendu est particulièrement encadrée par la loi : il conserve, durant les quatre premiers mois, son traitement indiciaire ainsi que l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires bien que concrètement il n’exerce pas ses fonctions. Normalement, au terme de ces quatre mois le fonctionnaire est soit réintégré et affecté sur un emploi de son grade, auquel cas il perçoit l’intégralité de sa rémunération, soit une décision pénale l’empêche de reprendre ses fonctions (contrôle judiciaire ou incarcération) et l’employeur peut alors appliquer une retenue allant jusqu’à la moitié du traitement indiciaire.

C’est pour tenter de mettre un terme à certaines utilisations abusives de cette mesure (et notamment la durée excessive des suspensions) que le régime de la suspension conservatoire – à ne pas confondre avec la sanction de l’exclusion temporaire de fonctions prévue à l’article 89 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale – a été récemment modifié par la loi n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, afin de redéfinir notamment les conditions de réintégration, en renforçant à cet égard les droits des agents.

Mais l’article 30 étant initialement lapidaire, le Juge administratif, régulièrement saisi de la légalité de ces décisions, est venu préciser ses conditions d’application, en considérant que le caractère conservatoire de la suspension s’opposait à l’obligation préalable de consultation du dossier, ou encore à la nécessité de motivation (Conseil d’Etat, 29 janvier 1988, req. 58152).

De la même manière, la jurisprudence administrative est abondante s’agissant par exemple des interactions entre la maladie et la suspension : après avoir jugé que le congé de maladie interrompait la suspension (Conseil d’Etat, 26 juillet 2011, req.343837), le Conseil d’Etat a récemment considéré que la mesure de suspension prise alors que le fonctionnaire est placé en congé de maladie ordinaire n’entre en vigueur qu’à compter de la date où celui-ci se termine, en dehors même de toute précision dans la décision (Conseil d’Etat, 31 mars 2017, req. 388109). En revanche, dans cette seconde hypothèse, la durée de la suspension (limitée à quatre mois en dehors de poursuites pénales) est décomptée à compter de la signature de la suspension, réduisant ainsi quasiment à néant les effets d’une telle décision.

En d’autres termes, le régime de la suspension des fonctionnaires est largement encadré par les textes et par la jurisprudence.

Tel n’est pas le cas, loin s’en faut, de celui des contractuels.

Avant toute chose, et bien que cela soit largement méconnu, il doit être rappelé que l’article 30 ne s’applique pas aux contractuels.

C’est en effet ce qui ressort expressément de l’article 32 de la loi précitée du 13 juillet 1983, qui dispose : « II. – Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, sont applicables aux agents contractuels le chapitre II, l’article 22, l’article 22 ter, l’article 22 quater, l’article 23 bis à l’exception de ses II et III, l’article 24 et le présent chapitre IV, à l’exception de l’article 30 ».

Cela s’explique par le fait qu’il est de jurisprudence constante, et fort ancienne, qu’« il appartient à l’autorité qualifiée, lorsqu’elle estime que l’intérêt du service l’exige, d’écarter provisoirement de l’exercice de son emploi et jusqu’à ce qu’il ait été prononcé sur son cas, le fonctionnaire qui se trouve sous le coup de poursuites pénales ou disciplinaires » (Conseil d’Etat, 19 octobre 1938, Commune de Blida, rec.774 et Conseil d’Etat, 23 novembre 1938 Andrieu, rec.872).

C’est ainsi qu’il est établi qu’une mesure de suspension peut toujours être prononcée, dans l’intérêt du service, par l’autorité investie du pouvoir disciplinaire et ce même en l’absence de texte ou même à l’encontre d’un agent d’une autre personne publique (Conseil d’Etat, 11 décembre 1968, Calloud,  T. 889 et 989 et Conseil d’Etat, 25 juin 1982, Odeye,  Dr adm 1982 n° 300).

En réalité, et la nature ayant horreur du vide, la jurisprudence a aligné la plupart des règles encadrant la procédure (absence de consultation préalable du dossier, pas de motivation obligatoire) sur celles applicables aux fonctionnaires, quand cela était cohérent avec l’état du droit.

Mais pour certaines questions précises, le régime de l’article 30 ne pouvait être calqué, ce qui aboutit in fine à un régime réellement différent.

La première conséquence de cette exclusion de l’article 30 porte sur la procédure menée pour prononcer la suspension du contractuel.

En premier lieu, sur la compétence pour signer un tel acte, on peut sans difficulté affirmer qu’à l’instar de toute décision individuelle relative aux agents de la collectivité, l’autorité territoriale ou toute personne à laquelle elle aura régulièrement donné délégation est compétente pour édicter un tel acte.

En second lieu, sur les formalités entourant cet acte, ces dernières n’étant fixées par aucun texte il est probable que les règles applicables aux fonctionnaires (absence de consultation du dossier et de motivation) le soient également pour les contractuels. En tout état de cause, aucune disposition législative ni règlementaire, pas plus que jurisprudentielle, ne vient imposer le respect d’un quelconque contradictoire qui serait, sur le fond, contradictoire avec l’impératif d’urgence qui s’attache à une telle décision.

La question pourrait se poser de l’obligation pour l’employeur territorial d’informer la commission consultative paritaire (CCP), l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984 disposant que « Les commissions consultatives paritaires connaissent des décisions individuelles prises à l’égard des agents contractuels et de toute question d’ordre individuel concernant leur situation professionnelle ».

Mais par ailleurs, le même texte indique que « Les dispositions relatives à la composition, aux modalités d’élection et de désignation des membres, à l’organisation, aux compétences et aux règles de fonctionnement des commissions consultatives paritaires sont définies par décret en Conseil d’Etat ».

En outre, le décret 88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels des collectivités territoriales précise expressément lorsque la CCP est saisie pour avis ou simplement informée de décisions, et ainsi que nous avons pu déjà avoir l’occasion de le dire, rien n’est prévu concernant la suspension dans ce décret.

Enfin, une telle information n’est prévue ni pour les fonctionnaires, ni pour les agents contractuels de l’Etat.

Dès lors, en cet état des textes, il semble que la CCP n’aura pas à être informée de la suspension d’un contractuel.

En dernier lieu, une décision récente du Juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil (TA Montreuil, Ordonnance du Juge des référés suspension, 3 novembre 2017 NOUR, req.1709269) est venu semer le trouble sur la question de la nécessité d’une procédure disciplinaire préalable à la suspension du contractuel.

En effet, et ainsi que cela a été vu, le considérant de principe du Conseil d’Etat semble imposer que l’agent contractuel soit préalablement sous le coup d’une procédure pénale ou disciplinaire pour que l’autorité territoriale puisse le suspendre : « il appartient à l’autorité qualifiée, lorsqu’elle estime que l’intérêt du service l’exige, d’écarter provisoirement de l’exercice de son emploi et jusqu’à ce qu’il ait été prononcé sur son cas, le fonctionnaire qui se trouve sous le coup de poursuites pénales ou disciplinaires ».

C’est ainsi que le Juge des référés a pu considérer que l’absence de toute procédure disciplinaire à la date de la décision attaquée, était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision.

En d’autres termes, la procédure disciplinaire devrait être déjà engagée quand l’autorité territoriale va suspendre l’agent contractuel.

Pourtant, dans une affaire récente, les conclusions du Rapporteur public, Madame Gaëlle Dumortier, étaient particulièrement éclairantes :

 « M. Maixent discute également le délai d’engagement de la procédure  disciplinaire. Il ne saurait utilement se prévaloir des dispositions de l’article 30 de la loi du 13   juillet 1983 selon lesquelles l’autorité disciplinaire qui prend une décision de suspension  « saisit, sans délai, le conseil de discipline », puisqu’elles sont inapplicables. La rédaction de l’article 30 de la loi de 1983 ne vous a d’ailleurs pas empêchés de juger que, même dans son champ d’application, l’action disciplinaire n’était pas enfermée dans un délai déterminé et qu’elle pouvait être exercée même après l’expiration des quatre mois (12 février 1988 Mme Alezrah, n° 72309, p. 63). Quant à celles de l’article L. 951-4, elles ne disent mot sur la nécessité d’engager une procédure disciplinaire dans un délai déterminé, même s’il est en principe inhérent au caractère conservatoire de la suspension qu’une procédure disciplinaire soit engagée en parallèle ».

Dans cette affaire, précisément, le Conseil d’Etat a jugé :

 « que la suspension d’un professeur des universités sur la base de ces dispositions est une mesure à caractère conservatoire, prise dans le souci de préserver l’intérêt du service public universitaire ; qu’elle peut être prononcée lorsque les faits imputés à l’intéressé présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité ; qu’en l’absence de poursuites pénales, son maintien en vigueur ou sa prorogation sont subordonnés à l’engagement de poursuites disciplinaires dans un délai raisonnable après son édiction ;

Considérant qu’ainsi qu’il a été dit au point 2, une mesure de suspension ne peut être prorogée si des poursuites disciplinaires n’ont pas été engagées dans un délai raisonnable après son édiction ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date de la nouvelle mesure de suspension, soit quatre mois après l’édiction de la première mesure, le président de l’université n’avait pas engagé de poursuites disciplinaires à l’encontre de M. Maixent ; que la circonstance, invoquée par l’université, que la section disciplinaire du conseil d’administration n’avait toujours pas été désignée à la suite des élections universitaires intervenues en avril 2012 ne peut justifier ce délai anormalement long pris par le président de l’université pour engager des poursuites disciplinaires » (CE, 10 décembre 2014, M. Maixent, n° 363202).

Ainsi, il semble résulter de la jurisprudence du Conseil d’Etat que l’engagement des poursuites disciplinaires n’a pas à précéder la prise de la mesure de suspension, mais doit simplement intervenir dans une proximité temporelle avec cette dernière.

Le raisonnement du Conseil d’Etat à cet égard apparaît logique : la mesure de suspension étant justifiée par la vraisemblance de la commission d’actes graves, cette vraisemblance doit être confirmée par l’engagement de poursuites disciplinaires, mais l’urgence d’écarter l’agent de ses fonctions prévaut nécessairement et c’est donc uniquement dans un délai raisonnable après la suspension que les poursuites doivent être engagées.

Le Conseil d’Etat ayant été saisi de l’appel de l’ordonnance de référé du Tribunal administratif de Montreuil du 3 novembre dernier, la réponse à cette question devrait prochainement intervenir.

La seconde conséquence de l’exclusion de l’article 30 porte sur la rémunération du contractuel suspendu.

Il a ainsi été rapidement jugé que les agents non titulaires pouvaient, en raison d’une mesure de suspension, être privés de toute rémunération (Conseil d’Etat, 12 novembre 1954, Dupuy, Rec. p. 592), ce qui s’explique aisément par le fait que c’est bien l’article 30 qui permet une dérogation à l’article 20 de la même loi, lequel, pour mémoire, impose que le fonctionnaire ne soit rémunéré qu’après service fait. Naturellement, l’article 20 est, lui, applicable aux contractuels.

Dès lors qu’aucune norme législative ni qu’aucune jurisprudence ne permet de rémunérer un contractuel suspendu alors que par définition il n’y a pas de service fait, aucune rémunération ne peut lui être versée.

Si le Conseil d’Etat n’a pas eu l’occasion de poser clairement le principe de l’absence de rémunération du contractuel suspendu, il ressort cependant d’un arrêt d’assemblée (Conseil d’Etat, 29 avril 1994, Colombani, req. 105401), qu’un employeur doit rembourser à l’agent la rémunération qui ne lui a pas été versée durant la suspension, sans qu’aucune critique n’apparaisse sur ce fait.

Il semble dès lors établi que, pour le moins, le contractuel ne dispose d’aucun droit acquis au versement d’une quelconque rémunération lorsqu’il fait l’objet d’une mesure de suspension.

La troisième conséquence est relative à la durée de la suspension : le régime mis en place par l’article 30 avec un délai de quatre mois au terme duquel le fonctionnaire est nécessairement réintégré sauf décision pénale, n’est pas applicable.

C’est ainsi que dans l’arrêt précité, Monsieur COLOMBANI a pu être suspendu pendant près de deux ans, sans que cela ne puisse être remis en cause.

En effet, le critère de la suspension étant que l’agent soit sous le coup de poursuite pénales ou disciplinaires, ces dernières – notamment pénales – peuvent avoir une durée bien supérieure à quatre mois, et aucun texte ne prévoit la nécessité de réintégrer l’agent contractuel s’il n’est pas incarcéré.

On pourrait donc imaginer qu’un contractuel, placé sous statut de témoin assisté, ne soit pas réintégré pendant toute l’instruction pénale, ce qui ne serait pas le cas d’un fonctionnaire en dehors de l’hypothèse d’un contrôle judiciaire l’empêchant d’exercer ses fonctions.

On notera également que de ce fait, il ne saurait être question de « prolongation » de la suspension : elle n’a juste pas vocation à prendre fin tant que les poursuites pénales ou disciplinaires demeurent.

En conclusion, si le régime de la suspension des agents contractuels de la fonction publique territoriale présente des similitudes avec celui des fonctionnaires, pour autant il est beaucoup plus sévère. On peut cependant regretter que le législateur n’ait pas profité de la loi déontologie et de ses décrets d’application pour prévoir des dispositions propres à la suspension des agents contractuels, en adaptant, par exemple, le régime propre aux agents contractuels de l’Etat.

 Lorène CARRERE – Avocat Associée 

 

Dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 affectant le secteur médico-social

La loi n° 2017-1836 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 a été publiée au Journal officiel le 30 décembre 2017. Elle fixe à 477,5 milliards d’euros les dépenses de l’ensemble des régimes de base. L’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) est fixé à 190,7 milliards, dont 9 milliards de contribution aux dépenses des établissements et services pour personnes âgées et 10,9 milliards pour les structures pour personnes handicapées. Une enveloppe de 100 millions d’euros sera affectée à l’amélioration du taux et de la qualité d’encadrements dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Au-delà de ces données d’ordre budgétaire, la LFSS comporte plusieurs dispositions affectant plus spécifiquement le secteur sanitaire et médico-social. Certaines sont de simples ajustements techniques ; d’autres en revanche sous-tendent des mouvements plus profonds. Ces mesures sont présentées ci-dessous dans l’ordre de leur intégration à la loi. 

  1. La substitution du crédit d’impôt de taxe sur les salaires (CITS) par un allègement de cotisations sociales (articles 87 de la loi n°2017-1837 du 30 décembre 2017 de finance pour 2018 et 9 LFSS)

Le CITS a été instauré par la loi de finances pour 2017 et codifié à l’article 231 A du code général des impôts (CGI) afin d’étendre le bénéfice du mécanisme du Crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE) au secteur non lucratif.

Pour mémoire, l’article L. 314-7 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoit que l’autorité de tarification approuve les prévisions de charges et de produits d’exploitation. Parmi les produits d’exploitation, il convient d’identifier les produits en atténuation qui correspondent à des recettes perçues par l’établissement, en dehors de produits de la tarification. Les recettes en atténuation ne sont pas expressément visées par l’article D. 314-12 du CASF qui donne une liste (non-exhaustive) des produits qui doivent être retracés au sein de la section d’exploitation du budget général d’un établissement, mais le cadre normalisé de présentation du budget prévisionnel prévoit l’inscription des produits d’exploitation autres que ceux de la tarification (qui se composent notamment de remboursements sur les dépenses de rémunérations, de subventions d’exploitation, de rabais sur les achats et les achats extérieurs), ainsi que de produits financiers. Il convient donc de préciser que le CITS ne correspond pas à une recette en atténuation et ne saurait donc venir en diminution des charges d’exploitation de l’établissement.

La taxe sur les salaires est à la charge des personnes ou organismes qui paient des rémunérations et qui ne sont pas assujettis à la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour au moins 90% de leur activité. Le crédit d’impôt affecté à cette taxe était applicable aux employeurs visés à l’article 1679 A du CGI, soit notamment les associations régies par la loi de 1901, les fondations reconnues d’utilité publique, les syndicats professionnels et leurs unions. Il était assis sur les rémunérations que les employeurs versent à leurs salariés au cours d’une année civile,  qui n’excèdent pas une somme correspondant à 2,5 fois le SMIC, heures supplémentaires incluses à l’exception de leurs majorations. Son taux était de 4% et il s’imputait sur la taxe sur les salaires due au titre des rémunérations versées en année N, lors du solde de cette taxe, donc en année N+1.

La loi de finance pour 2018 a supprimé le CITS en abrogeant l’article 231 A du CGI, tout en précisant que cette abrogation prendra effet à compter du 1er janvier 2019.

Dès lors, son impact budgétaire sera effectif à compter de 2020, dans la mesure où il s’impute l’année suivant celle au cours de laquelle les rémunérations sur lesquelles il est assis sont versées. Plus concrètement, les bénéficiaires du CITS continueront de bénéficier du dispositif du CITS lors de l’exercice 2018, mais également au cours de l’année 2019, au titre des rémunérations versées en 2018.

En tout état de cause, le CITS ne constitue pas par définition un produit ou une recette en atténuation des charges d’exploitation d’un établissement, mais un crédit permettant de s’acquitter de tout ou partie de la taxe sur les salaires amorti sur une période de trois années. Sa reprise dans la tarification est par conséquent illégale.

  1. Le développement des expérimentations et des innovations (article 51)

Cet article modifie considérablement l’article L. 162-31-1 du Code de la Sécurité sociale (CSS) en offrant un cadre juridique au développement des expérimentations, notamment dans le secteur médico-social.

Cet article procède de la volonté de faire évoluer le système de santé, pour le « rationnaliser » et « dégager des marges de manœuvres budgétaires ». Pour ce faire, l’Etat souhaite « capitaliser sur les innovations les plus probantes et permettre aux acteurs de tester de nouveaux modes de financement complémentaires et alternatifs, ainsi que de nouvelles modalités d’organisation » (Etude d’impact du Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 (PLFSS), Article 35, Présentation de la mesure).

D’abord, ces expérimentations doivent répondre à l’un des deux objectifs spécifiques prévus par la loi, à savoir :

–        permettre « l’émergence d’organisations innovantes dans les secteurs sanitaires et médico-social concourant à l’amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l’efficience du système de santé et de l’accès aux soins » en améliorant la coordination du parcours de santé, en participant à la structuration des soins ambulatoires ou encore en visant à renforcer l’offre de soin dans les zones où celle-ci s’avère insuffisante (article L. 162-31-1, I, 1° CSS) ;

–       favoriser « la pertinence de la prise en charge par l’assurance maladie » de certains médicaments, produits ou prestations (article L. 162-31-1, I, 2° CSS).

Il sera possible, aux fins de mise en œuvre de ces expérimentations, de déroger à l’ensemble des dispositions prévues à l’article L. 162-31-1, II CSS, et notamment aux règles de tarification applicables aux établissements et services sociaux et médico-sociaux.

Ces expérimentations, d’une durée de 5 ans maximum, peuvent être à dimension nationale ou régionale. Celles qui sont d’ordre national sont autorisées par arrêté des ministres en charge de la sécurité sociale et de la santé, le cas échéant après avis de la Haute autorité de santé (HAS) ; les expérimentations régionales seront autorisées par arrêté des Directeurs généraux des Agences régionales de santé (ARS), le cas échéant après avis de la HAS.

Un décret en Conseil d’Etat précisera les catégories d’expérimentations, les modalités de sélection, d’autorisation et de financement des projets, les règles de nomination au sein des conseils stratégiques ou comités techniques, créés par la présente loi, qui veilleront à la mise en œuvre de ces nouvelles règles.

Les attentes du gouvernement sont importantes en la matière, la ministre estimant ainsi en séance qu’il s’agit là « probablement de l’article le plus important de la loi » (intervention de Madame Agnès BUZYN, ministre des solidarités et de la santé, lors de l’examen de l’article 35 PLFSS, deuxième séance du vendredi 27 octobre 2017, Assemblée nationale), qui vise notamment à renforcer les synergies entre le secteur médico-social et le secteur sanitaire. Elle prenait notamment l’exemple du développement de l’hôtellerie hospitalière, qui permettrait de lutter contre les déserts médicaux et le manque de lits d’hospitalisation. Elle annonçait, par la même occasion la mise en place prochaine d’un fonds pour l’innovation du système de santé.

III.           Le développement de l’expérimentation portant sur la réalisation d’actes de télésurveillance dans le secteur médico-social (article 54)

L’article 54 abroge le cadre expérimental de prise en charge de la télémédecine afin d’en permettre le développement. Cette mesure s’inscrit dans la continuité de l’accord entre les représentants des médecins et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM), signé le 1er mars 2017, qui admettait au remboursement de droit commun l’acte de téléconsultation d’un résident en EHPAD et l’acte de télé expertise entre deux médecins généralistes concernant un patient admis en EHPAD. Le présent article crée les conditions d’une généralisation de l’admission au remboursement de droit commun par l’assurance maladie de ces deux types d’actes.

En parallèle, la loi modifie l’article L. 162-14-1 CSS et permet, pour quatre ans, des expérimentations portant notamment sur la réalisation d’actes de télésurveillance, procédé qui permet à un professionnel d’analyser et d’interpréter à distance des données recueillies sur le lieu de vie du patient. Les patients pris en charge entre autre par des structures médico-sociales (et notamment les EHPAD) seront concernés par cette expérimentation qui permettra notamment de déroger aux règles tarifaires et d’organisation applicables aux établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). Par opposition à la téléconsultation et à la télé expertise, dont les modalités de remboursement entrent dans le droit commun, la télésurveillance fait intervenir de très nombreux acteurs, notamment industriels, ce qui, selon l’Etat, induirait un temps d’appropriation plus long et justifie la présente mesure.

Les dépenses ainsi engagées seront prises en charge par le fonds d’intervention régional, géré par les ARS. Pour autant, la loi prévoit que les produits ou prestations permettant de réaliser ces actes de télésurveillance. Les conditions de mise en œuvre seront définies dans un cahier des charges arrêté par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale.

  1. L’élargissement des cas où il est possible d’effectuer un constat de caducité partielle d’autorisation d’un ESSMS (article 70)

Lorsqu’un investisseur souhaite créer ou modifier les capacités d’accueil d’un ESSMS, il doit solliciter une autorisation préalable auprès des autorités compétentes. Il avait jusqu’à très récemment trois ans pour ouvrir au public dans les conditions requises, faute de quoi l’autorisation était caduque dans son intégralité. Un  décret en date du 28 novembre 2017, pris en application de la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2017, est venu assouplir cette règle, allongeant le délai de droit commun à quatre ans et ouvrant des possibilités de prorogation du délai de caducité (voir la brève : http://www.seban-associes.avocat.fr/de-nouvelles-regles-de-caducite-etablissements-sociaux-medico-sociaux/).

L’article 70 de la loi du 30 décembre 2017 est venu introduire la possibilité, pour les autorités compétentes, d’opérer des constats de caducité partielle d’autorisation dans les cas où seule une partie de la capacité de l’établissement ou du service serait ouverte au public (les délais et conditions d’applications sont fixées par décret).

L’objectif de cette mesure est de faciliter la réaffectation de crédits fléchés pour les projets d’ESSMS, dont une partie n’est pas ouverte au public, au financement de nouveaux projets. Cette caducité partielle des autorisations existait déjà dans le secteur sanitaire. Selon l’Etat ce régime de caducité partielle « permettrait de reconnaître la divisibilité et la souplesse propres aux autorisations sociales et médico-sociales ». Enfin, elle aurait « un impact direct sur la réponse aux besoins identifiés dans les outils de planification » (Etude d’impact du PLFSS, Article 50, Présentation de la mesure).

  1. Règles tendant à l’harmonisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) multi-activité (article 70)

L’article 70 de la loi prévoit également une harmonisation des dispositions relatives aux CPOM pluriactivités relevant du secteur des personnes âgées et des personnes âgées.

Pour mémoire, la loi du 28 décembre 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement a introduit l’obligation pour les gestionnaires d’EHPAD de conclure un CPOM à compter du 1er janvier 2017. Elle avait également prévu la possibilité, pour les gestionnaires ayant plusieurs établissements au sein du même département, de conclure un CPOM unique. Il était même possible, aux mêmes conditions, d’introduire des établissements situés dans d’autres départements, voire des ESSMS autres que les EHPAD, sous réserve de l’autorisation des autorités de tarification. Or, l’obligation de modulation des tarifs en fonction des objectifs d’activités fixés par le CPOM, n’était applicable initialement qu’aux seuls EHPAD, et seulement optionnelle dans le cadre des CPOM du secteur du handicap. Dès lors, en cas de CPOM pluriactivité, cette situation faisait courir un risque d’insécurité juridique pour les signataires et limitait les possibilités d’optimiser la rationalisation des coûts pourtant rendue possible par l’introduction de l’instrument de modulation tarifaire.

Par conséquent, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a introduit la possibilité, pour les CPOM pluriactivité  du secteur des personnes âgées, de moduler les tarifs appliqués dans le cadre de ce CPOM selon des modalités dont l’harmonisation sera opérée via un décret en Conseil d’Etat.

La loi ne vient cependant pas lever toutes les interrogations. Il n’est en effet pas précisé dans quelle mesure les services et établissements compris dans un CPOM pluriactivités qui ne sont pas soumis à l’obligation d’être sous CPOM et qui, par conséquent, ne peuvent bénéficier du système de la modulation tarifaire, devront ou non être soumis à une modulation tarifaire.

Le même article de la loi de financement de la sécurité sociale ouvre en outre la possibilité pour les gestionnaires des services et des établissements du secteur du handicap visés à l’article L. 313-12-2 du CASF, de conclure un CPOM pluriactivité avec des ESSMS, à l’exception des EHPAD avec lesquelles les relations sont régies selon les dispositions présentées au paragraphe précédent.

La loi consacre ainsi deux régimes distincts de CPOM pluriactivités, renforçant de la sorte la dynamique de contractualisation dans l’organisation des relations entre les autorités de tarification et les gestionnaires.

  1. La suppression de l’opposabilité des conventions collectives de travail (article 70)

L’article 70 prévoit en outre la suppression de l’opposabilité des conventions collectives de travail, d’entreprise et d’établissement aux ESSMS en modifiant l’article L. 314-6 Code de l’action sociale et des familles (CASF).

La procédure d’agrément est toutefois conservée pour « la prise d’effet » des seules conventions collectives.

Autrement dit, les conventions collectives (notamment CCN du 31 octobre 1951 et CCN du 15 mars 1966) et leurs futurs avenants devront toujours être agréés pour prendre effet dans le cadre des relations « employeurs – employés ». Cependant, bien qu’agréés, ces mêmes conventions collectives et avenants conventionnels ne seront plus opposables à l’autorité de tarification pour les ESSMS sous CPOM.

Soulignons à ce stade que la loi nouvelle ne s’applique pas, sauf rétroactivité expressément décidée par le législateur (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), aux actes juridiques conclus antérieurement à son entrée en vigueur.

A ce titre, si la convention collective du 31 octobre 1951 a déjà opéré sa mutation, les conséquences pour le projet de refonte de la convention collective du 15 mars 1966 pourraient être importantes. En effet, cette éventuelle convention nouvelle, bien qu’agréée, ne serait plus opposable à l’autorité de tarification… et ce alors même que nombre d’ESSMS serait, à cette date, en plein milieu de leur CPOM. Comment, dans ces conditions, anticiper et négocier sereinement une tarification sur la base d’un état prévisionnel de dépenses et de recettes ?

Le risque d’une déstabilisation du secteur n’est pas à exclure, surtout si les ESSMS décidaient de quitter en nombre, dans un mouvement de repli et de limitation des coûts, les organisations syndicales employeurs. Par un effet d’aubaine, le débat sur la nécessité d’une convention collective unique et étendue pourrait revenir sur le devant de la scène.

Par ailleurs, la fin de l’agrément pour les ESSMS sous CPOM devrait logiquement mettre un terme à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle l’usage et la décision unilatérale devaient également faire l’objet d’un agrément pour être opposables tant aux financeurs qu’aux salariés.

La refonte de l’article L. 314-6 du CASF a fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, au motif qu’elle « instaurerait une différence de traitement injustifiée avec les établissements n’ayant pas conclu un tel contrat. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi ». Les sages ont, dans une décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017, écarté ce grief, au motif que la différence de traitement instituée par la disposition contestée est en rapport direct avec l’objet de la loi, « le législateur [ayant] entendu tenir compte de la spécificité des modalités de gestion et de financement de ces établissements ».

Bien qu’encore appréhendée aujourd’hui par le prisme de l’exception, la disparition de l’agrément et de l’opposabilité ont, à mesure de la généralisation des CPOM, vocation à devenir la règle.

Nadia BEN AYED, Avocat à la Cour, Cabinet SEBAN & Associés et Stéphane PICARD, Avocat à la Cour, Associé fondateur du Cabinet PICARD Avocats

Publication d’un décret relatif à l’utilisation d’énergies d’origine renouvelable dans le secteur des transports

Le décret n°2017-1559 du 13 novembre 2017 modifiant l’article D. 641-13 du Code de l’énergie a intégré dans le Code de l’énergie certaines dispositions du droit de l’Union Européenne concernant les objectifs d’utilisation d’énergie produite à partir de sources d’origine renouvelable dans le secteur du transport.

Pour mémoire, l’article L. 641-6 du Code de l’énergie dispose que « l’Etat crée les conditions pour que la part de l’énergie produite à partir de sources renouvelables utilisée dans tous les modes de transport en 2020 soit égale à 10 % au moins de la consommation finale d’énergie dans le secteur des transports ». Et l’article D. 641-13 du Code de l’énergie fournit les précisions nécessaires au calcul de ce taux de 10% en indiquant en particulier les types d’énergies et les types de moyens de transports pris en compte.

Dans ce cadre, l’article 2 de la directive (UE) 2015/1513 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 modifiant la directive 98/70/CE concernant la qualité de l’essence et des carburants diesel et modifiant la directive 2009/28/CE relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables a apporté des modifications aux modalités de calcul de la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans le secteur des transports, lesquelles modifications sont transposées en droit interne par le décret du 13 novembre 2017 susvisé.

Ainsi que le considérant n° 14 de la directive du 9 septembre 2015 précitéz l’exprimait, il s’agit « de mettre en place des mesures incitatives supplémentaires pour stimuler l’utilisation d’électricité produite à partir de sources renouvelables dans le secteur des transports et d’augmenter les facteurs multiplicatifs pour le calcul de la contribution de l’électricité produite à partir de sources renouvelables consommée par le transport ferroviaire électrifié et les véhicules routiers électriques de façon à en accroître le déploiement et la pénétration sur le marché. »

En pratique, dans cette optique consistant à favoriser le recours aux énergies renouvelables dans les secteurs ferroviaire et routier, les nouvelles dispositions introduites par la Directive précitée et transposées par le décret du 13 novembre 2017 prévoient que, dans le cadre du calcul du taux minimal de 10 % susvisé:

–       dans le secteur ferroviaire les consommations d’électricité produites à partir de sources renouvelables sont comptabilisées 2,5 fois ;

–       dans le secteur routier, les consommations d’électricité produites à partir de sources d’origine renouvelable sont désormais comptabilisées 5 fois (contre 2,5 fois auparavant).

Par ailleurs, toujours dans la lignée de la directive du 9 septembre 2015, le décret complète le 1° de l’article D. 641-13 du Code de l’énergie en étendant la liste des types de carburants devant être pris en compte dans le calcul du total de la consommation finale d’énergie constatée dans le secteur des transports, pour ajouter au dénominateur « l’électricité utilisée pour la production de carburants liquides et gazeux renouvelables, d’origine non biologique ».

Si ces dispositions concernent l’intégralité du secteur du transport, on sait que le cadre juridique interne impose d’ores et déjà aux personnes publiques des obligations particulièrement ambitieuses en matière de recours aux véhicules dits « propres ». En effet, les personnes publiques, qui gèrent directement ou indirectement un parc de plus de vingt autobus et autocars pour assurer des services de transport public de personnes réguliers ou à la demande, ont l’obligation de disposer à compter du 1er janvier 2020 d’au moins 50 % d’autobus ou autocars à faibles émissions lors du renouvellement du parc. Cette obligation est portée à 100 % à compter du 1er janvier 2025 (art. L. 224-8 du Code de l’environnement).

De même, les personnes publiques, lorsqu’elles gèrent directement ou indirectement, pour des activités n’appartenant pas au secteur concurrentiel, un parc de plus de vingt véhicules automobiles dont le poids total autorisé en charge est inférieur à 3,5 tonnes, doivent acquérir ou utiliser lors du renouvellement dudit parc :

–       pour l’Etat et ses établissements publics, un minimum de 50 % de véhicules à faibles émissions ;

–       pour les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que pour les entreprises nationales, un minimum de 20 % de véhicules à faibles émissions (art. L. 224-7 du Code de l’environnement).

Substitution de motifs et servitudes de surplomb

Mme C. avait envisagé de réaliser un lotissement sur sa propriété sise au lieu-dit « Mont Vert » sur le territoire de la commune du Robert et a demandé en conséquence à la société anonyme EDF Martinique (ci-après, « EDF ») de réaliser une étude de faisabilité de déplacement de la ligne électrique de 63 kilovolts qui surplombe sa propriété. Dans le prolongement de cette étude, Mme C. a sollicité l’enlèvement de la ligne électrique. EDF devait rejeter cette demande. Mme C. a alors introduit un recours en excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de la Martinique contre cette décision de rejet. Le Tribunal administratif de la Martinique a annulé cette décision d’EDF aux motifs qu’EDF était dépourvue de titre l’autorisant à faire passer la ligne électrique en surplomb de la propriété de Mme C.  

EDF a donc interjeté appel de ce jugement.

Dans la décision du 15 novembre 2017 ici commentée, la Cour administrative d’appel de Bordeaux procède à une substitution de motifs sur le fondement de la décision dite « Hallal » du Conseil d’Etat du 6 février 2004 aux termes de laquelle « l’administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l’excès de pouvoir que la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis l’auteur du recours à même de présenter ses observations sur ce nouveau motif, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d’apprécier s’il résulte de l’instruction que l’administration aurait pris la même décision si elle s’était fondée initialement sur ce motif. Dans l’affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué »[1].

En effet, dans le cadre de son recours, EDF a fait valoir, pour la première fois devant la Cour administrative d’appel, qu’elle était titulaire d’une servitude l’autorisant à faire passer la ligne électrique en surplomb de la propriété de Mme C. dès lors que le préfet de la Martinique avait, par un arrêté, déclaré d’utilité publique la réalisation des travaux prévus au programme général d’électrification du département, puis, par deux arrêtés ultérieurs, approuvé le projet de construction d’une ligne haute tension 63 kilovolts « Fort-de-France/Lamentin/Robert/Trinité » ainsi que les servitudes qui en découlent.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a en conséquence jugé, d’une part, qu’EDF était en droit de procéder à une substitution de motifs de sa décision dès lors qu’elle répondait aux critères de la jurisprudence « Hallal » précité et, d’autre part, que dans ces conditions, la circonstance qu’EDF soit titulaire d’une servitude de surplomb de la propriété de Mme C. était de nature à justifier légalement le refus d’enlèvement de la ligne électrique.

En conséquence, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de la Martinique et rejeté le recours de Mme C.

[1] CE, 6 février 2004, Hallal, n° 240560.

Les SRCAE, et SRE qui leur sont annexés, devaient faire l’objet d’une évaluation environnementale même sans texte réglementaire le prévoyant

Dans deux décisions du 18 décembre 2017, le Conseil d’Etat a jugé que les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie, et les schémas régionaux éoliens qui leur sont annexés, devaient faire l’objet d’une évaluation environnementale, même en l’absence de disposition réglementaire en ce sens.

L’article L. 122-4 du Code de l’environnement, pris pour la transposition des dispositions de l’article 3 de la directive du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement, prévoyait, dans sa version applicable à la date d’adoption des schémas en cause dans les affaires soumises au Conseil d’Etat, que font l’objet d’une évaluation environnementale « les plans, schémas, programmes et autres documents de planification susceptibles d’avoir des incidences sur l’environnement qui, sans autoriser par eux-mêmes la réalisation de travaux ou prescrire des projets d’aménagement, sont applicables à la réalisation de tels travaux ou projets ».

Etaient plus précisément visés les « plans, schémas, programmes et autres documents de planification adoptés par l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements et les établissements publics en dépendant, relatifs à l’agriculture, à la sylviculture, à la pêche, à l’énergie ou à l’industrie, aux transports, à la gestion des déchets ou à la gestion de l’eau, aux télécommunications, au tourisme ou à l’aménagement du territoire qui ont pour objet de définir le cadre de mise en œuvre les travaux et projets d’aménagement entrant dans le champ d’application de l’étude d’impact en application de l’article L. 122-1 ».

Le même article prévoyait qu’un décret en Conseil d’Etat définissait les plans, schémas, programmes et documents visés supra qui devaient faire l’objet d’une évaluation environnementale « après un examen au cas par cas effectué par l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement ».

L’article R. 122-17 du Code de l’environnement fixe une liste de plans, schémas, programmes et autres documents de planification devant être systématiquement soumis à évaluation environnementale au titre de l’article L. 122-4 susmentionné du même code.

Dans sa rédaction alors applicable, le SRCAE et le SRE n’étaient pas mentionnés par cet article. Cela n’a été le cas qu’à compter du décret n° 2012-616 du 2 mai 2012 relatif à l’évaluation de certains plans et documents ayant une incidence sur l’environnement.

De sorte que les SRCAE et SRE adoptés antérieurement à cette date n’avaient pas été précédés d’une évaluation environnementale.

Néanmoins, le Conseil d’Etat, confirmant l’analyse faite par la Cour administrative d’appel de Nancy et par celle de Lyon, a jugé que les dispositions de l’article L. 122-4 du Code de l’environnement fondaient à elles seules l’obligation de procéder à une telle évaluation, antérieurement à l’adoption des SRCAE et SRE. Il a, à cet égard, indiqué que cet article ne prévoyait l’intervention d’un décret d’application que pour définir les plans, schémas, programmes et documents qui font l’objet d’une évaluation environnementale après évaluation au cas par cas, et non systématiquement.

Pour considérer que les SRCAE et SRE entraient dans le champ d’application de l’article L. 122-4 du Code de l’environnement, il a rappelé l’objet de ces schémas, à savoir, pour le SRACE, définir les orientations permettant d’atténuer les effets du changement climatique et de s’y adapter ainsi que de prévenir ou de réduire la pollution atmosphérique ou d’en atténuer les effets, définir, par zones géographiques, les objectifs qualitatifs et quantitatifs à atteindre en matière de valorisation du potentiel énergétique terrestre, renouvelable et de récupération et en matière de mise en œuvre de techniques performantes d’efficacité énergétique et, pour le SRE, déterminer les parties du territoire favorables au développement de l’énergie éolienne, conformément aux objectifs du SRCAE.

Le Conseil d’Etat s’est également référé à l’obligation de compatibilité des plans de protection de l’atmosphère, plans de déplacement urbain et plans locaux d’urbanisme avec les orientations définies par le SRCAE.

Il en a déduit que les schémas en cause devaient être regardés « comme définissant, au sens des dispositions du I de l’article L. 122-4 du code de l’environnement, le cadre de mise en œuvre de travaux et projets d’aménagement entrant dans le champ d’application de l’étude d’impact dans les domaines, notamment, de l’industrie, de l’énergie et des transports », et qu’ils devaient, en conséquence, faire l’objet d’une évaluation environnementale.

Il a, en toute logique, jugé que les dispositions de l’article R. 122-17 du Code de l’environnement étaient illégales à la date des schémas attaqués, et confirmé l’annulation des schémas adoptés sans évaluation environnementale préalable.

GeMAPI : les dernières évolutions législatives de la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations pour une mise en œuvre au 1er janvier 2018

Déposée le 17 octobre 2017, la proposition de loi Fesneau a été discutée sur les mois de novembre et décembre pour être finalement définitivement adoptée le 30 décembre 2017 (loi n° 2017-1838). Ainsi que cela avait été annoncé, il n’était pas question ici de laisser un nouveau délai aux collectivités pour organiser l’exercice de la compétence mais de préciser ou modifier certaines dispositions jusqu’alors applicables pour favoriser une meilleure gouvernance. Les principales mesures adoptées par cette nouvelle loi doivent immédiatement être présentées.

1 – Affirmation du rôle des départements et des régions

Le transfert de la GeMAPI aux communes et EPCI à fiscalité propre, tel que prévu par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014, dite MAPTAM, avait pour effet de priver les départements, les régions et leurs groupements du droit de toute intervention dans ce domaine. L’article 59 de la loi avait toutefois prévu un dispositif transitoire permettant à ces collectivités de maintenir leur participation dans les domaines de la GeMAPI dans lesquels ils contribuaient avant l’adoption de la loi, jusqu’au 1er janvier 2020. La loi prévoyait également une intervention de l’Etat pour la gestion de ses digues jusqu’au 27 janvier 2024.

Si cette période transitoire était nécessaire dans la mesure où un grand nombre de départements et de régions participaient, soit par en tant que membres de syndicats mixtes, soit par le versement d’aides financières, elle n’était pas encore suffisante au vu de l’importance de ces participations et des difficultés soulevées par l’interdiction pour ces collectivités de participer aux financements des missions de la GeMAPI à compter de 2020.

Pour y remédier, la loi du 30 décembre 2017 permet ainsi aux départements et aux régions de continuer à assurer, au-delà du 1er janvier 2020, les missions de la GeMAPI qu’ils assuraient au 1er janvier 2018. L’Assemblée nationale a toutefois souhaité encadrer leur intervention par la conclusion avec les EPCI concernés (ou encore avec les communes mentionnées à l’article L. 5210-1-1 du Code général des collectivités territoriales – CGCT), pour une durée de cinq ans, d’une convention qui détermine « notamment les missions exercées respectivement par le département ou la région, d’une part, par la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, d’autre part, ainsi que la coordination de leurs actions et les modalités de financement de ces missions ».

Aucune nouvelle disposition n’est toutefois adoptée concernant le rôle de l’Etat pendant la période transitoire accordée par la loi MAPTAM ni au-delà.

2 – Mise en œuvre d’une « période transitoire » de responsabilité des EPCI compétents

La proposition de loi initiale prévoyait une disposition par laquelle la responsabilité des EPCI compétents en GeMAPI serait limitée, jusqu’au 31 décembre 2019, à « ce qui concerne l’organisation de la compétence à la suite du transfert au 1er janvier 2018 ».

Cette disposition n’a finalement pas été retenue mais remplacée par une modification de l’article L. 562-8-1 du Code de l’environnement, relatif à la responsabilité des EPCI en matière d’inondation.

Désormais l’article est complété des dispositions suivantes : « Lorsqu’une commune ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre s’est vu mettre à disposition un ouvrage en application de l’article L. 566-12-1, si un sinistre survient avant l’expiration du délai maximal fixé par le décret en Conseil d’Etat mentionné au troisième alinéa du présent article, à l’échéance duquel l’ouvrage n’est plus constitutif d’une digue au sens du I de l’article L. 566-12-1 ou est réputé ne pas contribuer à la prévention des inondations et submersions, la responsabilité du gestionnaire de l’ouvrage ne peut être engagée à raison des dommages que celui-ci n’a pas permis de prévenir, dès lors que ces dommages ne sont pas imputables à un défaut d’entretien de l’ouvrage par le gestionnaire au cours de la période considérée ».

Ces nouvelles dispositions ont vocation à régir la responsabilité de l’EPCI compétent en matière de GeMAPI pendant la période de mise en conformité des ouvrages qui leur ont été mis à disposition en application de l’article L. 566-12-1 du code de  l’environnement. Ce délai est fixé par les articles R. 562-14 C. env., relatif à la définition des systèmes d’endiguement, et R. 562-19 du même code, relatif à la définition des aménagements hydrauliques, issus du décret digues (décret n° 2015-526 du 12 mai 2015) au 31 décembre 2019 lorsque les ouvrages (digues ou barrages) relèvent de la classe A ou de la classe B et au 31 décembre 2021 lorsqu’ils relèvent de la classe C. En effet, à l’issue de ce délai, soit les ouvrages sont intégrés dans un système d’endiguement ou un aménagement hydraulique, soit ils sont « neutralisés », c’est-à-dire qu’ils n’ont plus vocation à prévenir contre les inondations. Pendant cette période de définition des systèmes d’endiguement et des aménagements hydrauliques, la loi prévoit donc désormais qu’en cas de survenance d’un dommage, la responsabilité de l’EPCI ne semble pas devoir être engagée automatiquement mais seulement si « ces dommages ne sont pas imputables à un défaut d’entretien de l’ouvrage par le gestionnaire au cours de la période considérée ». Cette formulation reste toutefois assez vague et semble laisser une place importante à l’interprétation.

3 – Précision sur le transfert de compétence aux syndicats

Dès la version initiale de la proposition de loi, deux sujets ont été abordés qui avaient posé question dans le cadre des études de gouvernance préalable à la mise en place de la GeMAPI :

–          la possibilité pour un syndicat mixte ouvert d’adhérer à un autre syndicat mixte ouvert ;

–          la possibilité de scinder la compétence non seulement entre les items mais également au sein de chacun d’eux, cette seconde possibilité étant nommé « sécabilité intra-item ».

Le rôle important des syndicats dans la gestion de l’eau et surtout leur existence avec la création de la compétence GeMAPI rendait la résolution de ces problématiques primordiales. La loi du 30 décembre 2017 adopte donc de nouvelles dispositions pour régir les situations précitées et en profite pour introduire un dispositif nouveau concernant la délégation de la compétence :

–          d’abord, l’ambigüité existante concernant la possibilité pour un syndicat mixte ouvert d’adhérer à un autre syndicat mixte ouvert est levée : une telle adhésion est désormais expressément prévue par l’article L. 211-7 I quater du Code de l’environnement qui dispose que « Par dérogation à la règle selon laquelle un syndicat mixte ouvert mentionné à l’article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales ne peut adhérer à un autre syndicat mixte ouvert, un tel syndicat exerçant l’une des missions mentionnées aux 1°, 2°, 5° et 8° du I du présent article peut, jusqu’au 31 décembre 2019, au titre de ces compétences et avec l’accord du préfet coordonnateur de bassin, adhérer à un autre syndicat mixte ouvert ». Cette formulation peut étonner dans la mesure où il n’existe en réalité aucune règle légale interdisant l’adhésion d’un syndicat mixte ouvert à un autre. Par ailleurs, elle limite la possibilité d’une telle adhésion dans le temps, celle-ci étant, à compter du 1er janvier 2020, envisageable dans la seule hypothèse où le syndicat mixte ouvert qui souhaite adhérer à un autre est un EPAGE et que la structure d’accueil est un EPTB ;

–          de plus, l’article L. 5211-61 du CGCT, relatif au transfert de certaines compétences (cours d’eau, eau potable, assainissement, déchets, électricité et gaz) d’un EPCI ou un EPT à un syndicat sur un partie seulement de son territoire (transfert partiel géographique) est modifié de manière à intégrer expressément la sécabilité de la compétence dans son contenu et plus encore la sécabilité intra item.

L’article L. 5211-61 du CGCT dispose donc désormais que : « En matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations, un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou un établissement public territorial peut transférer à un syndicat de communes ou à un syndicat mixte l’ensemble des missions relevant de cette compétence, définie au I bis de l’article L. 211-7 du code de l’environnement, ou certaines d’entre elles, en totalité ou partiellement. Par dérogation au premier alinéa du présent article, ce transfert total ou partiel peut être réalisé au profit d’un syndicat de communes ou d’un syndicat mixte sur tout ou partie du territoire de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou de l’établissement public territorial ou au profit de plusieurs syndicats situés chacun sur des parties distinctes du territoire de l’établissement ».

–          Enfin, s’agissant de la délégation de compétence du Code de l’environnement, il convient de noter, en premier lieu que la sécabilité intra items et la délégation partielle géographique sont également expressément prévues par la modification des articles L. 5211-61 du CGCT ainsi que de l’article L. 213-12 C. env. qui renvoient à la notion de délégation de l’ensemble des missions de la GeMAPI ou certaines d’entre elles, en totalité ou partiellement, sur tout ou partie du territoire de l’EPCI à fiscalité propre concerné. 

Toutefois, si les articles L. 5211-61 du CGCT et L. 213-12 C. env. sont complétés de manière à prévoir les modalités de cette délégation pour les EPTB et les EPAGE, l’article 4 point III de la loi introduit un dispositif transitoire, jusqu’au 31 décembre 2019, pendant lequel la délégation est également possible au profit d’un syndicat mixte de droit commun.

Pour être complet, on noter que l’article 4 de la loi introduit de nouvelles dispositions à l’article 59 de la loi MAPTAM destinées, a priori, à valider les délibérations qui ont été adoptées par certains EPCI avant qu’ils en détiennent la compétence GeMAPI, visant à opérer le transfert de cette compétence à des syndicats avant le 1er janvier 2018 :

« IV bis.- Un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre qui n’assure pas les missions mentionnées au I du présent article peut décider, par délibération prise avant le 1er janvier 2018, de transférer l’ensemble de ces missions ou certaines d’entre elles, en totalité ou partiellement, à un syndicat de communes ou à un syndicat mixte, sur tout ou partie de son territoire, ou à plusieurs syndicats situés chacun sur des parties distinctes de son territoire ».

La loi ne semble exclure aucune évolution ultérieure des textes. En effet, deux dispositions de la loi prévoient la rédaction de rapports destinés à établir un premier bilan de l’exercice de la compétence :

–          le premier doit être présenté dans les six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2017. Il s’agit d’un rapport d’évaluation des conséquences, pour la gestion des fleuves, des zones côtières et des digues domaniales ainsi que dans les zones de montagne qui a vocation à présenter « un bilan de la protection du territoire national contre les risques d’inondations fluviales et de submersion marine et étudie notamment les évolutions institutionnelles et financières possibles de cette gestion ». Ce rapport doit évaluer « l’application dans les territoires ultramarins du transfert de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre » ;

le second doit être présenté dans un délai de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2017 et mentionner « les types d’opérations et d’équipements susceptibles d’être financés par le fonds de prévention des risques naturels majeurs mentionné à l’article L. 561-3 du code de l’environnement et par le produit de la taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations mentionnée à l’article 1530 bis du code général des impôts. Dans ce même rapport, le Gouvernement indique quelles modifications législatives ou réglementaires il envisage, afin de : 1° Préciser la répartition des compétences en la matière entre les collectivités territoriales et leurs groupements ; 2° Clarifier l’articulation entre la mission de maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement et de lutte contre l’érosion des sols mentionnée au 4° du I de l’article L. 211-7 du code de l’environnement, le service public administratif de gestion des eaux pluviales urbaines mentionné à l’article L. 2226-1 du code général des collectivités territoriales, et la compétence en matière d’assainissement mentionnée à l’article L. 2224-8 du même code ; 3° Améliorer le financement des opérations et équipements concourant à la prévention des inondations par la maîtrise des eaux pluviales et de ruissellement ».

Clémence DU ROSTU – Avocat à la Cour

Chèque Energie : la généralisation officiellement actée pour 2018

La généralisation du dispositif du chèque énergie a été confirmée le 5 janvier 2018 par voie de communiqué de presse du Secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire. Le chèque énergie remplace depuis le 1er janvier 2018 les tarifs sociaux qui étaient en vigueur jusqu’à présent.

On rappellera tout d’abord que le décret n°2016-555 du 6 mai 2016 relatif au chèque énergie pris en application de l’article L.124-1 du Code de l’énergie[1], avait précisé les modalités de mise en œuvre du chèque énergie en remplacement des tarifs sociaux, soit le tarif de première nécessité (pour l’électricité) et le tarif spécial de solidarité (pour le gaz). Le chèque énergie devait être expérimenté dans quatre départements (Ardèche, Aveyron, Côtes-d’Armor et Pas-de-Calais).

Dans ce cadre, la loi avait prévu que, dans un délai de trois mois avant le terme de l’expérimentation, le Gouvernement remettrait au Parlement un rapport d’évaluation. L’article 2 du décret du 6 mai 2016 relatif au chèque énergie précisait le contenu et les modalités de restitution de ce rapport.

C’est donc au terme des deux années d’expérimentation du chèque énergie que Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire, a présenté le 18 décembre dernier le bilan de l’expérimentation ainsi faite et a remis au Parlement le rapport d’évaluation.

Il ressort de ce rapport, disponible sur le site du Ministère de la transitoire écologique et solidaire, que 170 000 chèques énergie ont été distribués dans 4 départements expérimentateurs en 2016 et 2017. Les montants, désormais identiques quelle que soit l’énergie de chauffage, se sont traduits, selon ce rapport, par une aide en général supérieure aux tarifs sociaux pour les ménages les plus modestes, sauf pour les ménages chauffés au gaz naturel.

Le rapport synthétise les enseignements tirés de l’expérimentation menée. Il précise que l’information des bénéficiaires devra être renforcée et qu’il conviendra de mieux associer les relais sociaux. A cet égard, le rapport propose la mise en œuvre d’une campagne de communication nationale préalable à l’envoi des chèques énergie, afin de limiter le nombre de chèques qui ne sont pas identifiés à la réception, perdus ou oubliés. Le rapport propose également de mieux associer les relais sociaux et leur apporter l’information dont ils ont besoin : collectivités territoriales, associations, CCAS, services sociaux.

Ensuite, le rapport propose de simplifier l’usage du chèque en poursuivant le développement des modalités d’utilisation en ligne du chèque énergie, ainsi que la préaffectation, tout en conservant la possibilité d’un usage papier du chèque énergie pour les bénéficiaires n’ayant pas accès aux services numériques.

Le rapport propose, en outre, de mieux informer les bénéficiaires du chèque énergie sur les dispositifs d’aide à la rénovation thermique des logements et de revaloriser le montant du chèque énergie de 50€ en 2019, pour le porter à un montant moyen de 200€ par ménage et par an.

Actuellement, pour avoir droit à ce chèque énergie, une personne vivant seule ne doit pas dépasser le revenu fiscal de référence de 7.700 euros par an. Pour un couple avec deux enfants, ce plafond est situé à 16.170 euros par an. Le montant du chèque énergie 2018 s’échelonne de 48 à 227 euros ; il est de 150 euros en moyenne. La liste des ménages remplissant les conditions d’octroi du chèque énergie est adressée chaque année par l’administration fiscale à l’Agence de services et de paiement, laquelle est notamment chargée d’éditer, d’émettre et de distribuer ce titre de paiement.

Le rapport concluait que la généralisation interviendrait comme prévu en 2018 et que les ménages recevront leur chèque énergie au printemps de l’année 2018, compte-tenu de la date de mise à disposition des données fiscales.

La généralisation du dispositif a ainsi été confirmée, le vendredi 5 janvier dernier par le secrétaire d’État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, Sébastien Lecornu. Ce dernier a ainsi annoncé, par communiqué de presse, que le chèque énergie serait distribué à partir du 26 mars 2018 à 4 millions de ménages.  Le chèque sera directement envoyé aux ménages éligibles par voie postale et aucune démarche n’est nécessaire pour le recevoir.

[1] Cf. brève dans la LAJEE n°18 de juin 2016 : « Précisions sur le chèque énergie »

Open data : mise à disposition du public des données détaillées de consommation issues des systèmes de comptage en électricité et en gaz

En application de l’article 23 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, les gestionnaires des réseaux publics de distribution (GRD) et de transport d’électricité (GRT) et de gaz doivent désormais « procéder au traitement des données détaillées de consommation et de production issues dans leur système de comptage d’énergie » et les mettre à disposition du public « par voie électronique, dans un format ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé sous une forme agrégée garantissant leur caractère anonyme »[1].

Ces dispositions qui figurent dans le Code de l’énergie, aux articles L.111-73-1 (en ce qui concerne les gestionnaires des réseaux publics de distribution et de transport d’électricité) et L.111-77-1 (en ce qui concerne les gestionnaires des réseaux publics de distribution et de transport de gaz) viennent ainsi mettre à disposition du public des données de consommation et de production d’électricité et de gaz dans le prolongement du déploiement des compteurs communicants Linky et Gazpar.

Cette mise à disposition des données a pour objectif de favoriser le développement d’offres d’énergie, d’usages et de services énergétiques (par exemple de nouvelles offres tarifaires, des solutions d’effacement ou encore de nouveaux objets connectés).

Le décret n° 2017-486 du 5 avril 2017 relatif au traitement et à la mise à disposition du public des données détaillées de comptage des gestionnaires des réseaux de transport et de distribution d’électricité et de gaz naturel, a dressé la liste des informations à mettre à disposition du public (désormais énumérées et définies aux articles D. 111-59 et suivants du Code de l’énergie) et fixé leurs modalités de traitement et de diffusion permettant notamment de garantir leur anonymisation.

Ce décret prévoyait en outre que les « modalités d’application » de certaines de ses dispositions seront définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l’énergie et de l’économie (article D. 111-66 du Code de l’énergie). C’est l’objet de l’arrêté ici commenté qui vient définir les paramètres à appliquer à différentes catégories d’informations devant être mises à disposition par les GRT et GRD et  fixer les dates d’entrée en vigueur de l’ensemble de ces dispositions, selon la nature et la taille des gestionnaires de réseaux.

On rappellera que s’agissant des données « énergétiques » devant être mises à disposition dans le cadre de l’Open Data, deux cas sont à distinguer :

–   la mise à disposition des personnes publiques de données annuelles et locales relatives au transport, à la distribution et la production d’électricité, de gaz naturel et de biométhane (régie par les articles D111-52 à D111-58 du Code de l’énergie) .

– la mise à disposition du public de courbes de mesure relatives au transport et à la distribution d’électricité et de gaz naturel (articles D111-59 à D111-66 du Code de l’énergie). Ce sont ces données qui sont concernées par l’arrêté du 29 décembre 2017.

L’arrêté définit ainsi les modalités de mise à disposition du public de courbes de mesures relatives au transport et à la distribution d’électricité et de gaz naturel.

Il définit les mailles territoriales, les catégories de points d’injection ou de soutirage à considérer pour agréger les données de comptage, les intervalles de temps et de mesure et la fréquence de la mise à disposition du public des données, ainsi que les modalités d’élaboration des courbes de mesure reconstituées.

L’arrêté prévoit des dates d’entrée en vigueur échelonnées entre le 1er janvier 2018 et le 1er janvier 2021.

Par ailleurs, on précisera que ces données de comptage en Open data doivent être distinguées des données mises à disposition des consommateurs par les gestionnaires de réseaux publics de distribution d’électricité et de gaz naturel de leurs données de comptage, ainsi que des systèmes d’alerte liés au niveau de leur consommation et des éléments de comparaison issus de moyennes statistiques basées sur les données de consommation locales et nationales [2]

Ces dispositions doivent encore être distinguées des données mises à disposition par les gestionnaires de réseaux public de distribution d’électricité et de gaz naturel aux propriétaires ou gestionnaires d’immeubles à usage résidentiel ou tertiaire. Il s’agit là des données de consommation des occupants de ces immeubles[3].

[1] Cf. Focus dans la LAJEE dn°22 de novembre 2016 : « La loi pour une république numérique poursuit l’ouverture des données énergétiques : service public de la donnée, données d’intérêt général et données de comptage »

[2] Ces obligations sont prévues par les articles L. 341-4 et L. 453-7 du Code de l’énergie, lesquels ont été complétés par le décret n° 2017-948 du 10 mai 2017 relatif aux modalités de mise à disposition des consommateurs des données de consommation d’électricité et de gaz (article D.341-18 et s. du Code de l’énergie, articles D.453-14 et s. du Code de l’énergie). Cf. brève dans la LAJEE n° 29 de juin 2017 : « Accès aux données de consommation d’électricité ou de gaz naturel et mise à disposition par les fournisseurs et les gestionnaires de réseaux publics de distribution d’électricité »

[3] Cf. brève dans la LAJEE n° 17 de mai 2016 : « Données de comptage d’énergie : mise à disposition par les gestionnaires de réseau » à propos du Décret n° 2016-447 du 12 avril 2016 relatif à la mise à disposition de données de comptage d’énergie aux propriétaires ou gestionnaires d’immeuble par les gestionnaires de réseau d’énergie

Les « réseaux intérieurs des bâtiments » et autres nouveautés de la loi mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement

Adoptée par l’Assemblée nationale dans sa version définitive le 19 décembre 2017, la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement a été publiée dans le dernier numéro de l’année 2017 du Journal officiel de la République française.

Le texte de loi définitivement adopté rend plus concrètes les perspectives du projet de loi initial en matière d’électricité et de gaz, que nous avions déjà évoquées dans ces colonnes (cf. notre Lettre d’actualités juridiques Energie et Environnement n° 32 d’octobre 2017 sur le sujet). En effet, outre la fin de l’octroi des permis de recherche de gisements d’hydrocarbures et du renouvellement des concessions d’exploitation d’hydrocarbures au-delà de 2040, plusieurs autres points intéressant les acteurs du marché de l’électricité et du gaz figurent également dans la loi.

Tout d’abord, l’article 16 du chapitre III de la loi commentée vient compléter le titre IV du livre III du Code de l’énergie par un chapitre V intitulé « Les réseaux intérieurs des bâtiments » et composé de huit articles (du L. 345-1 au L. 345-8 du même Code).

Aux termes des articles L. 345-1 et L. 345-2 du code de l’énergie, ces réseaux sont définis comme « […]les installations intérieures d’électricité à haute ou basse tension […] » des « […] immeubles à usage principal de bureaux qui appartiennent à un propriétaire unique […] ». Par exclusion, ne pourront être qualifiés de réseaux intérieurs des bâtiments « […] les installations électriques alimentant : 1° Un ou plusieurs logements ; 2° Plusieurs bâtiments non contigus ou parties distinctes non contiguës d’un même bâtiment ; 3° Un bâtiment appartenant à plusieurs propriétaires » (cf. second alinéa de l’article L. 345-2 du code de l’énergie).

Ces réseaux intérieurs des bâtiments constituent donc une nouvelle catégorie de réseaux électriques, à distinguer des réseaux publics de distribution d’électricité au sens de l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales, ainsi que des réseaux fermés de distribution d’électricité au sens de l’article L. 344-1 du code de l’énergie.

Il s’agit en réalité d’autoriser les raccordements indirects de consommateurs à la suite de la décision contraire de la Cour d’appel de Paris du 12 janvier 2017, Société Valsophia SARL (n°2015/15157), et non de créer un « statut spécifique pour les « gestionnaires » de ces réseaux intérieurs » (cf. nos Lettre d’actualités juridiques Energie et Environnement n°26 de mars 2017 et n° 32 d’octobre 2017 sur ces sujets).

A signaler, outre que ces réseaux ne pourront faire obstacle à la liberté de choix des consommateurs de leur fournisseur d’électricité ou aux mécanismes d’effacements de consommation ou de soutien aux installations de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable, que les compteurs électriques seront installés par le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité et le comptage facturé par ce dernier dans les conditions d’une prestation annexe.

De même, le propriétaire de l’immeuble aura la possibilité (ou l’obligation en cas de division ou de vente partielle de l’immeuble) d’« abandonner » son réseau au profit du gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité après une remise en état à ses frais.

On précisera également que l’intervention d’un décret simple portant sur les modalités d’application des articles L. 345-1 et suivants du code l’énergie est attendue pour permettre leur entrée en vigueur définitive.

La loi commentée comporte, en outre, des autres dispositions relatives aux secteurs de l’électricité et du gaz.

En effet, toujours au chapitre III de la loi commentée, la compétence en matière de régulation tarifaire de la CRE est élargie aux prestations de gestion de la clientèle fournies par les fournisseurs aux gestionnaires de distribution d’énergie.

Quant à l’article 15 du même chapitre III de la loi commentée, il précise les conditions d’indemnisation des producteurs d’électricité par le gestionnaire du réseau pour les retards de raccordement des installations d’éoliennes en mer ou limitations partielles ou totales de la production de ces éoliennes imputables aux dysfonctionnements ou avaries des ouvrages de la partie marine du réseau.

Par ailleurs, le chapitre II de la loi commentée institue un nouveau cadre régulatoire pour l’accès des infrastructures souterraines de stockage de gaz naturel, dans le cadre de la consultation publique de la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après la « CRE ») relative à la mise en œuvre de l’accès régulé des tiers aux stockages souterrains de gaz naturel en France, dont les ultimes réponses sont attendues pour le 23 janvier prochain.

Le Gouvernement est également habilité à prendre, par voie d’ordonnance, toutes mesures relevant du domaine de la loi « nécessaire(s) au renforcement de la sécurité d’approvisionnement en gaz » (et relatives au fonctionnement du système gazier et missions de chacun de ses acteurs, aux capacités interruptibles et au délestage de la consommation de gaz naturel).

A l’image de la longueur du débat parlementaire sur un texte relativement court (16 pages environ), et adopté par la voie d’une procédure accélérée, l’exécution de cette nouvelle loi ne manquera pas de susciter le débat, notamment quant à l’articulation des réseaux « intérieurs des bâtiments » avec ceux préexistants.

 

Nouvelle validation par le juge d’administratif de l’abandon de colonnes montantes d’électricité pour être incorporées au réseau public de distribution d’électricité

Par sept jugements en date du 28 décembre 2017, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a validé le transfert des colonnes montantes d’électricité situées dans le patrimoine de sept offices publics de l’habitat au réseau public de distribution d’électricité, (Tribunal administratif de Clermont-Ferrand, 28 décembre 2017, Société ENEDIS, req. n°s 1501891, 1501898, 1502017, 1502074, 1502080,1600038 et 1600667).

En l’espèce, dans chacune de ces affaires, le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité avait formé un recours pour excès de pouvoir contre une délibération d’un office public de l’habitat par laquelle ce dernier avait, en application de l’article 15 du cahier des charges de concession liant chaque autorité concédante à ce gestionnaire de réseau, décidé, d’après les termes du jugement, « d’abandonner ses droits sur les colonnes montantes de distribution d’électricité pour l’ensemble de son patrimoine ».

D’abord, le tribunal administratif a écarté l’ensemble des moyens de légalité externe soulevés par la société Enedis relatifs à la notification de la délibération attaquée, à la compétence des offices publics de l’habitat, à la composition leur organe ayant pris cette délibération, et à la motivation de cette dernière.

Puis, il a jugé que « l’article 15 du cahier des charges de concession de distribution d’énergie électrique a prévu, par des stipulations claires qui présentent un caractère réglementaire et qui constituent le fondement de la délibération attaquée, la possibilité pour les propriétaires des immeubles situés dans le périmètre des concessions de réseaux d’électricité, qui ont conservé la propriété des colonnes montantes de distribution d’électricité, de faire abandon de leurs droits sur ces ouvrages au concessionnaire sans condition de fond tenant, notamment, à l’état de ces derniers ». Il en a déduit que les offices publics de l’habitat concernés n’avaient pas à rapporter la preuve du respect d’une condition préalable à l’abandon qui aurait été posée dans cet article, et encore que cet abandon n’était pas conditionné à un état des lieux préalable des ouvrages.

Ce faisant, le tribunal administratif a validé l’abandon des colonnes montantes d’électricité sans condition.

En outre, il a rejeté le moyen relatif à l’atteinte au principe de sécurité juridique, en jugeant que l’article 15 du cahier des charges des concessions, sur lequel les décisions attaquées étaient fondées, « ne présente pas le caractère d’une réglementation nouvelle, mais celui d’une mesure d’application, susceptible d’intervenir à tout moment, d’une stipulation contractuelle de caractère réglementaire à laquelle la société Enedis a consenti et dont elle ne pouvait ignorer ni l’existence, ni les conséquences ».

L’article 15 en cause est issu de modèle de cahier des charges négocié en 1992 entre la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR) et Électricité de France (EDF, auquel s’est depuis substituée la société Électricité Réseau Distribution France, dénommée aujourd’hui Enedis).

Enfin, le tribunal administratif, jugeant notamment que la société concessionnaire a « consenti à l’avance à l’incorporation dans son patrimoine des colonnes montantes d’électricité » et qu’elle « ne pouvait ignorer que cet abandon était susceptible d’intervenir à tout moment », a rejeté le moyen relatif à l’atteinte au droit de propriété de la requérante.

Par conséquent, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté les sept requêtes de la société concessionnaire.

Cette décision s’inscrit dans le droit fil d’un jugement du tribunal administratif de Montreuil (Tribunal administratif de Montreuil, 9 mars 2017, Société ENEDIS, n° 1510315, voir notre brève à ce sujet) et, plus récemment, d’un arrêt de la cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai, 29 juin 2017, ERDF contre OPH de l’Aisne, n°15DA00675, voir notre brève à ce sujet).