le 08/02/2018

Vers l’émergence d’une jurisprudence unifiée sur les colonnes montantes

Le statut des colonnes montantes d’électricité donne lieu à une jurisprudence de plus en plus fournie qui s’explique par l’importance des enjeux juridiques et financiers que ce statut génère. Ces principaux enjeux résident en effet, d’une part, dans l’identification du débiteur de l’obligation d’entretenir et de rénover ces colonnes, et d’autre part, dans l’identification de la personne responsable en cas de dommage qui serait causé aux personnes ou aux biens par le défaut d’entretien desdites colonnes, cette seconde question étant intrinsèquement liée à la première.

Les décisions de justice se multiplient et on commentera ici le récent arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence le 23 janvier 2018 et une recommandation du Médiateur National de l’Energie publiée le 12 janvier 2018  lesquels contribuent à préciser le régime applicable aux colonnes montantes électriques.

Dans le présent focus, après avoir rappelé synthétiquement les deux principales problématiques juridiques posées par la question des colonnes montantes d’électricité (I), on exposera qu’il semble se dessiner progressivement une forme de convergence entre les jurisprudences administrative et judiciaire sur lesdites problématiques (II). Enfin, on fera état des précisions supplémentaires apportées par les deux décisions commentées, lesquelles viennent utilement compléter le régime applicable aux colonnes montantes d’électricité (III).

  1. Rappel des problématiques juridiques générées par la question des colonnes montantes d’électricité

Le débat relatif aux colonnes montantes d’électricité s’articule autour de deux questions principales : la première concerne la propriété de ces colonnes et la seconde les conditions dans lesquelles des propriétaires d’immeubles peuvent décider d’abandonner les droits – et les obligations – qu’ils détiennent sur ces ouvrages au profit du concessionnaire de la distribution publique d’électricité.

Propriété des colonnes montantes

 Cette première problématique consiste à déterminer s’il existe ou non une présomption  d’appartenance des colonnes montantes au réseau public de distribution d’électricité. En effet, si les colonnes appartiennent au réseau de distribution publique d’électricité, alors les Autorités Organisatrices de la Distribution publique d’Electricité (ci-après, AODE) en sont propriétaires et le gestionnaire du service public de la distribution d’électricité (la société Enedis sur 95% du territoire national, les Entreprises Locales de Distribution sur le reste du territoire) est en charge de leur entretien et de leur rénovation.

A notre sens, l’analyse des dispositions du décret n°46-2503 du 8 novembre 1946 relatif aux colonnes montantes d’électricité milite en faveur de la reconnaissance d’une telle présomption d’appartenance à compter de l’entrée en vigueur du décret susmentionné, et ce pour l’ensemble des colonnes montantes quelle que soit leur date de construction. Cette présomption ne cédant qu’en présence d’un acte exprès du propriétaire ou des copropriétaires de l’immeuble faisant état de son/leur souhait de conserver la propriété des colonnes, acte exprès dont la preuve doit être rapportée par le concessionnaire de la distribution d’électricité.

Le décret n° 55-326 du 29 mars 1955 relatif aux frais de renforcement des colonnes montantes d’électricité dans les immeubles d’habitation collective confirme indirectement cette approche puisqu’il détermine les conditions dans lesquelles procéder au renforcement des raccordements dans les immeubles d’habitation collective en distinguant selon que les ouvrages en cause relèvent ou non du réseau public de distribution d’électricité.

La position contraire, adoptée en particulier par la société Enedis, consiste à considérer que seules les colonnes montantes établies après l’entrée en vigueur d’un contrat de concession relatif à la distribution d’électricité accompagné d’un cahier des charges conforme au modèle approuvé par la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et des Régies (FNCCR) et la société EDF en 1992 font partie du réseau de distribution publique d’électricité dont la gestion est confiée à ladite société. La société Enedis estime en revanche que les colonnes montantes construites antérieurement à l’entrée en vigueur d’un tel contrat appartiennent aux propriétaires de l’immeuble concerné et que la preuve contraire incombe auxdits propriétaires.

Conditions d’exercice de la faculté d’abandon unilatéral

Par ailleurs, l’article 15 alinéa 6 du modèle de cahier des charges susmentionné, repris par l’essentiel des contrats de concession actuellement en cours d’exécution, consacre au profit des propriétaires d’immeubles qui auraient conservé la propriété des colonnes montantes, une faculté d’abandon de leurs droits sur ces colonnes au bénéfice du concessionnaire du service public de la distribution d’électricité (en qualité de gestionnaire et d’exploitant). Cet abandon, qui intervient par décision unilatérale, transfère au gestionnaire du réseau la charge de l’entretien des colonnes.

Sur ce second volet, la problématique juridique porte sur le point de savoir si cet abandon est conditionné au respect de certaines exigences de fond tenant, en particulier, à l’état d’entretien des ouvrages.

A notre sens, dans la mesure où ni l’article 15 du modèle de cahier des charges, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire, ne subordonne à une quelconque condition de fond l’exercice de cette faculté d’abandon, on doit pouvoir considérer que cette décision unilatérale peut intervenir librement.

La société Enedis soutient à l’inverse que cet abandon ne peut intervenir que si ces colonnes montantes se trouvent en bon état d’entretien.

Cette problématique de l’abandon des colonnes montantes, qui donne lieu à une jurisprudence abondante, n’est toutefois pas concernée par la décision et la recommandation qui font l’objet du présent commentaire.

  1. Vers une convergence progressive des jurisprudences administrative et judiciaire sur la question de la propriété des colonnes montantes

On précisera d’emblée que les deux ordres juridictionnels sont susceptibles de se prononcer sur les questions exposées ci-avant, en fonction de la nature juridique du propriétaire des colonnes. Ainsi, à titre d’exemple, tandis que les décisions d’abandon émanant des offices publics de l’habitat relèveront de la compétence du juge administratif compte tenu de leur qualité d’établissements publics à caractère industriel et commercial ( voir art. L. 421-1 du Code de la construction et de l’habitation et T. confl., 15 mai 2017, Enedis contre OPH de l’Aisne , n° 4079), les décisions similaires émanant des organismes privés d’habitation à loyer modéré (des sociétés anonymes par exemple) relèveront du juge judiciaire.

Et, si les deux ordres de juridiction ont dans un premier temps rendu des décisions présentant des nettes divergences, la tendance semble désormais plutôt à la convergence.

Ainsi, sur la question de l’existence d’une présomption d’incorporation au réseau public de distribution d’électricité, on a pu identifier dans un premier temps :

  • Une jurisprudence relativement constante du juge administratif reconnaissant le principe d’une telle présomption. L’on peut mentionner à cet égard les décisions rendues en particulier par la Cour administrative d’appel de Douai (CAA de Douai, 29 juin 2017, ERDF contre OPH de l’Aisne, req. n° 15DA00675) et différents tribunaux administratifs (voir en particulier TA de Montreuil, 9 mars 2017, sté Enedis, req. n° 1510315) ;
  • Des décisions du juge judiciaire refusant d’admettre le principe d’une telle incorporation et faisant peser sur les propriétaires la charge de la preuve de ce que les colonnes ne leur auraient pas appartenu (CA Montpellier, 15 février 2017, Monsieur Laurent Fabre, n°14/01912: CA Chambéry, 15 février 2017, Syndicat des copropriétaires « 63/77 rue Costa de Beauregard », n°14/01912 :;CA Paris, 25 mai 2016, Syndicat des copropriétaires du 14 rue Roger Morinet contre ERDF, n°14/04415 : CA Pau, 13 avril 2016, Syndicat des copropriétaires de la résidence Bigorre contre ERDF, n°15/00042).

On notera que le Médiateur National de l’Energie a, de longue date, adopté une position similaire à celle du juge administratif, reconnaissant la présomption d’incorporation des colonnes au réseau de distribution d’électricité (recommandation n°2013-0211 du 27 février 2013 ; recommandation n°2014-1090 du 2 septembre 2014).

Mais il semble que la jurisprudence du juge judiciaire soit de plus en plus nuancée sur cette question, plusieurs décisions ayant reconnu l’existence d’une telle présomption (voir en particulier en ce sens CA Limoges, 24 janvier 2017, ERDF contre Office public de l’Habitat de Limoges Métropole, n°15/01230 ; CA Versailles, 29 mars 2016, Syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé 12 rue de l’Epinette à Saint-Mandé contre ERDF, n°13/08946 ; Tribunal de grande instance de Paris, 21 novembre 2016, Syndicat des copropriétaires du 39 avenue Victor Hugo contre ERDF, n°16/00752).

Et, la décision de la Cour d’appel d’Aix en Provence du 23 janvier dernier ici commentée s’inscrit dans cette tendance puisqu’elle reconnaît très clairement l’existence de cette présomption. La juridiction était saisie d’un litige d’ordre indemnitaire introduit par un syndicat de copropriétaires et certains copropriétaires (ainsi que leurs assureurs respectifs) à l’encontre des sociétés Enedis et GRDF à la suite de la survenance d’un incendie d’origine électrique suivi d’une explosion au sein d’une colonne montante d’électricité et de gaz. La Cour d’appel, après avoir rappelé les termes du décret du 8 novembre 1946 précité, relève que :

« Ce décret a donc posé un principe de transfert des colonnes montantes dans les concessions de distribution publique d’électricité, indépendamment de la date de signature de la concession localement applicable, sauf celles dont les propriétaires voulaient expressément en conserver la propriété, sans pouvoir, néanmoins, continuer à percevoir des redevances, ce qui enlevait d’ailleurs tout intérêt à un tel choix.

Il n’est donc fait exception à l’incorporation aux réseaux des colonnes montantes que dans l’hypothèse où les propriétaires concernés faisaient le choix de conserver la propriété de leurs colonnes, choix qui devait être nécessairement porté à la connaissance du gestionnaire du réseau public et dont celui-ci a dû conserver la trace afin d’éviter toute contestation ».

La Cour ajoute, s’agissant de la charge de la preuve de la volonté des propriétaires de conserver la propriété des colonnes que : « Dès lors qu’il existe depuis 1946, une véritable présomption de transfert des colonnes montantes dans les concessions de distribution d’électricité, c’est au distributeur, qui se prévaut de l’exception instituée par l’article 1er du décret du 08 novembre 1946 de démontrer que les propriétaires de l’immeuble litigieux ont expressément manifesté la volonté d’en conserver la propriété, à charge pour eux de renoncer à la redevance. En effet, le fait qu’une colonne montante ne soit pas intégrée au réseau public ne peut, au regard des textes susvisés, que constituer une situation dérogatoire, dont la preuve incombe au concessionnaire ».

Ce faisant, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence s’inscrit pleinement dans le prolongement de la jurisprudence administrative et des décisions, de plus en plus nombreuses, du juge judiciaire ayant déjà statué en ce sens.

  • D’utiles précisions contribuant à la définition du régime applicable aux colonnes montantes

D’intéressantes précisions ont également été apportées par la décision et la recommandation commentées, d’une part, sur l’étendue des coûts devant être pris en charge par le concessionnaire de la distribution publique d’électricité à l’occasion d’une opération de rénovation d’une colonne montante et, d’autre part, sur la nature des préjudices susceptibles d’être indemnisées par le même concessionnaire en cas de fonctionnement défectueux de ces colonnes.

 Définition des travaux de rénovation de colonnes montantes

 La recommandation du Médiateur National de l’Energie du 29 juin 2017, publiée le 12 janvier 2018, vient préciser l’étendue des travaux à la charge du concessionnaire lorsqu’il est en charge de la rénovation d’une colonne.

Dans l’affaire ayant donné lieu à la recommandation, la société concessionnaire de la distribution d’électricité avait fait état aux copropriétaires d’un immeuble de l’état de vétusté généralisée dans lequel se trouvait la colonne montante dudit immeuble. Après avoir, dans un premier temps, contesté l’incorporation de la colonne dans le réseau de distribution d’électricité, le distributeur a fini, « après un nouvel examen de ses fichiers », par admettre que la colonne était intégrée à la concession (la recommandation n’indique pas sur quel document ou fichier le concessionnaire s’est fondé pour faire évoluer sa position).

Si le distributeur a alors accepté de prendre en charge les coûts de « réalimentation provisoire » et les « travaux de mise en conformité des parties électriques de cette colonne », il a en revanche refusé de prendre à sa charge « les travaux de génie civil « générés autour du renouvellement de la colonne », tels que dépose de coffrages, percements de planchers, pose de fourreaux, menuiserie et travaux de finition (enduits et peinture) », estimant que ces frais incombaient à la copropriété. Ladite copropriété a toutefois refusé de prendre en charge ces coûts.

Saisi du différend, le Médiateur National de l’Energie donne raison à la copropriété et recommande au distributeur « à chaque fois que la rénovation d’une colonne montante en concession sera décidée, de prendre à sa charge la totalité des travaux rendus indispensables, qu’ils portent sur la partie électrique ou le génie civil », justifiant sa position par la circonstance que la copropriété « est étrangère à ces travaux de rénovation et aux conséquences immobilières qui en résultent, d’autant qu’elle aura à subir, en toute hypothèse, les désagréments induits par la réalisation des travaux. »

Préjudices indemnisables en cas de dysfonctionnement des colonnes montantes

La décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence fournit, pour sa part, d’utiles précisions quant aux préjudices dont l’indemnisation peut être sollicitée par des copropriétaires d’un immeuble ayant été endommagé à la suite d’un dysfonctionnement d’une colonne montante.

Dans cette espèce, comme précédemment exposé, un sinistre d’origine électrique survenu au sein de la colonne montante de l’immeuble, accueillant les conduites d’électricité et de gaz, avait entrainé un incendie suivi d’une explosion dans l’immeuble. Le syndicat des copropriétaires et certains copropriétaires avaient alors introduit un recours indemnitaire à l’encontre des sociétés GRDF et Enedis. La Cour d’appel estime que seule la société Enedis est responsable du dommage dès lors que le sinistre trouve sa cause dans un dysfonctionnement du système électrique.

Se prononçant sur les préjudices matériels, la Cour estime que sont indemnisables les coûts afférents aux « réparations en lien direct avec le sinistre ». Toutefois, en l’espèce la Cour constate que les chiffrages produits ont été établis unilatéralement par les assureurs du syndicat des copropriétaires sans fournir d’explications quant au mode de calcul retenu. Elle prononce en conséquence une mesure d’expertise judicaire afin de déterminer de manière contradictoire les préjudices matériels subis.

Se prononçant ensuite sur différents préjudices d’ordre financier dont la réparation était sollicitée par les copropriétaires, la Cour renvoie également à un expert le soin de chiffrer : 

  • les pertes locativessubies par les propriétaires d’appartements n’ayant pu être loués ;
  • des pertes d’exploitation subies par l’un des copropriétaires exerçant une activité de chirurgien-dentiste au sein de l’immeuble;
  • le préjudice de jouissance subi par le syndicat des copropriétaires.

Si en l’espèce la Cour ne prononce pas d’indemnisation faute de disposer en l’état des chiffrages pertinents, elle admet la recevabilité de ces demandes et le principe de l’obligation pour le concessionnaire de la distribution publique d’électricité de devoir indemniser ce type de préjudices financiers consécutifs à la défectuosité de la colonne montante électrique, faute imputée (selon le raisonnement ci-avant exposé) au concessionnaire de la distribution publique d’électricité.

Au global, il semble se dessiner une forme de convergence progressive des juridictions administratives et judiciaires vers des solutions favorables aux propriétaires (bailleurs sociaux publics et privés notamment) et copropriétaires d’immeubles puisqu’elles font peser sur le concessionnaire de la distribution publique d’électricité des obligations et des responsabilités importantes relatives aux colonnes montantes électriques.

Marie-Hélène PACHEN-LEFEVRE – Avocat Associée

Marianne HAUTON  – Avocat à la cour