le 08/03/2018

Compétence du Conseil d’Etat pour connaître des prérogatives de sanction du CoRDiS et conditions d’application de la suspension de l’obligation de conclure un achat d’électricité produite par une installation de production d’énergie renouvelable

CE, 7 février 2018, Société ACMM, n° 399683

Par une demande du 30 août 2010, la société Solareo, agissant pour le compte de la société Ateliers de construction mécanique de Marigny (ci-après, « ACMM »), avait sollicité auprès de la société Electricité Réseau Distribution France (ci-après, « ERDF »), désormais nommée Enedis, son raccordement au réseau public de distribution d’électricité dans le cadre d’un projet de centrale photovoltaïque.

ERDF avait communiqué une offre de raccordement composée d’une convention de raccordement et d’une convention d’exploitation à la société ACMM qui a signé ses conventions le 3 décembre 2010. Cependant, ERDF a décidé de ne pas exécuter la convention de raccordement signée et notifiée par la société ACMM au motif qu’elle tombait dans le champ d’application du décret du 9 décembre 2010 par lequel le Premier ministre avait suspendu pour une durée de trois mois à compter de son entrée en vigueur, soit le 10 décembre 2010, l’obligation de conclure un contrat d’achat de l’électricité produite par les installations, d’une puissance installée inférieure ou égale à 12 mégawatts.

La société ACMM avait alors saisi le Comité de règlement des différends et des sanctions (ci-après, le « CoRDiS ») de la Commission de régulation de l’énergie (ci-après, la « CRE ») d’une demande de règlement des différends pour qu’ERDF exécute la convention et réalise les travaux de raccordement. Par une décision du 2 juillet 2012, le CoRDiS a fait droit à cette demande au motif que la société ERDF ne pouvait invoquer le décret précité du 9 décembre 2010 suspendant l’obligation d’achat de l’électricité produite par certaines installations utilisant l’énergie radiative du soleil pour s’opposer à l’exécution de la convention de raccordement. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 septembre 2013.

Sur le fondement de cet arrêt, les travaux de raccordement ont été achevés les 29 et 30 octobre 2012 et l’installation a été mise en service le 8 février 2013. Cependant, par décisions des 12 mars et 13 mai 2013, la société Electricité de France (ci-après, « EDF ») a refusé de conclure avec la société ACMM un contrat d’achat d’électricité, au motif que le décret du 9 décembre 2010 précité était applicable au cas d’espèce. EDF a donc invité la société à déposer une nouvelle demande de raccordement auprès d’ERDF. La société ACMM a alors saisi le CoRDiS d’une demande de sanction à l’encontre d’EDF en application de l’article L. 134-25 du code de l’énergie mais le membre désigné du CoRDiS rejette sa demande et refuse de mettre en œuvre le pouvoir de sanction du CoRDiS. La société ACMM a alors demandé au Conseil d’Etat l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 février 2016 par laquelle le membre désigné par le CoRDiS a refusé de donner suite à sa demande de sanction dans les conditions fixées par l’article R. 134-33 du même code.

Le Conseil d’Etat a d’abord dû se prononcer sur sa compétence. Celle-ci n’était pas acquise car l’article L. 134-34 du code de l’énergie ne donne compétence au Conseil d’Etat que pour connaître des décisions de sanction prononcées par le CoRDiS. Dans la continuité de ce texte, le Conseil d’Etat a estimé qu’il était également compétent pour connaître des décisions par lesquelles le CoRDiS refuse, sur le fondement de l’article R. 134-33 du Code de l’énergie, de donner suite à une demande de sanction. Le Conseil d’Etat a ensuite admis, selon une jurisprudence bien établie (CE, sect., 30 novembre 2007, Tinez, n° 293952) que le recours de la société ACMM contre la décision de refus du CoRDiS de faire usage de son pouvoir de sanction était recevable (aux termes de la jurisprudence précitée le Conseil d’Etat exerce effectivement un contrôle restreint sur le refus d’une autorité administrative indépendante d’instruire une demande tendant à ce qu’elle fasse usage de ses pouvoirs de sanction).

Ces questions préliminaires de compétence et de recevabilité réglées, le Conseil d’Etat a examiné au fond le refus du CoRDiS de faire usage de ses pouvoirs de sanction.

En premier lieu, il a jugé que le membre désigné du CoRDiS n’avait pas commis d’erreur de droit en se fondant, pour refuser de donner suite à la demande de sanction à l’encontre de la société EDF s’agissant de l’opposition à la décision du 2 juillet 2012 invoquée par la société ACMM, sur ce que la société EDF était un tiers au regard de cette décision. En effet, si la demande de raccordement est un préalable à la conclusion d’un contrat d’achat d’électricité, le litige du 2 juillet 2012 opposait ERDF à la société ACMM concernant la demande de raccordement. Dès lors, il ne pouvait être opposé à EDF à l’occasion d’un litige relatif à l’achat d’électricité.

En second lieu, le Conseil d’Etat a jugé que le décret du 9 décembre 2010 trouvait à s’appliquer en l’espèce. En effet, « il résulte des dispositions des articles 1er et 3 du décret du 9 décembre 2010 que l’obligation de conclure un contrat d’achat prévue par l’article 10 de la loi du 10 février 2000 a été suspendue pour une durée de trois mois à compter du 10 décembre 2010 et qu’ont notamment été exclues du champ de cette suspension les installations pour lesquelles l’acceptation de la proposition technique et financière a été notifiée au gestionnaire du réseau avant le 2 décembre 2010 ». Le Conseil d’Etat ajoute qu’« il découle également de ces dispositions que la suspension instituée par le décret ne saurait davantage s’appliquer au cas où une convention de raccordement a été proposée par le gestionnaire de réseau sans formalisation préalable d’une proposition technique et financière et où cette convention a été signée et notifiée au gestionnaire du réseau avant le 2 décembre 2010 ». Or, le Conseil d’Etat relève que tel était le cas en l’espèce puisque la société ERDF avait adressé directement une convention de raccordement à la société ACMM sans formalisation préalable et que la convention a été signée après le 2 décembre 2010. Le Conseil d’Etat en conclut que le membre désigné du CoRDiS n’a pas commis d’erreur de droit en estimant, pour refuser de donner suite à la demande de sanction à l’encontre d’EDF, que la suspension de l’obligation d’achat d’électricité prévue par le décret du 9 décembre 2010 était applicable à la société ACMM.

La solution juridique retenue pour motivée qu’elle soit aboutit toutefois à une solution bien inopportune.