Réorganisation du temps de travail pour se conformer à la durée annuelle légale : pas de saisine du CHSCT

A la suite d’un rapport de la Chambre régionale des comptes et après une période de négociation médiatisée avec les représentants du personnel, les collectivités de l’agglomération rochelaise, dont la communauté d’agglomération, ont adopté une délibération mettant en conformité la durée du temps de travail de leurs agents avec la réglementation nationale.

Le Syndicat CGT des fonctionnaires territoriaux de la ville, de la communauté d’agglomération (CDA) et du centre communal d’action sociale (CCAS) de la Rochelle en ont sollicité l’annulation, au motif, notamment, de l’absence de saisine préalable du CHSCT.

Le Tribunal a rappelé qu’aux termes de l’article 45 du décret n° 85-565 du 10 juin 1985, le CHSCT doit être consulté, notamment, « sur les projets d’aménagement importants modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail […] », mais pour immédiatement constater que « n’entraînant aucune modification des conditions de travail ou de l’organisation du travail des agents de la communauté d’agglomération mais uniquement une adaptation de la durée annuelle, afin de la conformer à la durée légale, la délibération du 7 juillet 2016 pouvait être adoptée par le conseil communautaire sans consultation préalable du CHSCT. »

Alors que nombre de collectivités sont sujettes, depuis quelques années, à des demandes de mises en conformité de la durée annuelle de travail avec les dispositions nationales, le jugement du Tribunal administratif de Poitiers vient clarifier la procédure permettant d’aboutir à un respect du plancher de 1607 heures annuelles, laquelle ne comprend donc pas la saisine du CHSCT, seul le comité technique (CT) étant compétent.

A cet égard, il est enfin intéressant de relever que cette décision, pour l’obtention de laquelle le Cabinet représentait les intérêts des collectivités, indique également que « dans les circonstances de l’espèce, marquées par le refus déterminé des représentants du personnel de siéger à la réunion du comité technique amené à se prononcer sur le temps de travail, le vice de procédure relatif aux modalités de convocation aux deux réunions successives n’a privé les agents de cette collectivité d’aucune garantie et n’a eu aucune incidence sur la décision attaquée. »

Il s’en infère que les organisations syndicales ne sauraient se prévaloir d’erreurs de procédure lorsqu’elles ont, de fait, refusé de participer aux réunions obligatoires.

Application dans le temps de la prescription disciplinaire

Depuis l’entrée en vigueur de la loi « déontologie » du 20 avril 2016, un délai de prescription de trois ans s’impose à l’engagement de poursuites disciplinaires à l’encontre des agents publics.

Les autorités administratives doivent donc garder à l’esprit cette contrainte lorsqu’est envisagée la sanction de faits relativement anciens.

Le Conseil d’Etat a apporté au sujet de l’application de ce délai de prescription une précision importante justifiant sa mention aux tables du recueil Lebon. 

Par un arrêt du 20 décembre 2017, il a effet jugé, après avoir rappelé les termes de l’article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, que « lorsqu’une loi nouvelle institue ainsi, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d’une action disciplinaire dont l’exercice n’était précédemment enfermé dans aucun délai, le nouveau délai de prescription est immédiatement applicable aux procédures en cours mais ne peut, sauf à revêtir un caractère rétroactif, courir qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle ».

Sur le fondement du principe ainsi posé, le Conseil d’Etat a rejeté le moyen du requérant qui soutenait que les faits sanctionnés, intervenus en 2008 et 2009, mais poursuivis seulement en 2015 et sanctionnés en 2016, ne pouvaient l’être du fait de la prescription.

Le Conseil d’Etat rejoint sur ce point le principe posé par la chambre criminelle de la Cour de cassation pour l‘application dans le temps des lois modifiant les délais de prescription de l’action publique (Cass., Crim., 5 février 2008, n° 06-88.299). Par conséquent, le délai de prescription de trois ans ne court, à l’égard de l’ensemble des faits intervenus antérieurement à la loi du 20 avril 2016, qu’à compter de son entrée en vigueur.

Pratiquement, il faut donc retenir de cette jurisprudence que l’ensemble des faits fautifs commis antérieurement à cette loi pourrons faire l’objet d’une action disciplinaire jusqu’au 19 avril 2019. Le lendemain, l’ensemble de ces faits seront été frappés de l’effet de la prescription et ne pourront plus fonder une sanction.

Précisions sur la portée du jugement annulant un refus de permis de construire sur le contentieux de l’autorisation finalement délivrée

Par un arrêt en date du 12 octobre 2018, le Conseil d’Etat poursuit son œuvre prétorienne de clarification des diverses conséquences qui peuvent s’attacher à l’annulation d’un refus de permis de construire.

Dans la lignée de ses arrêts en date du 23 février 2017, n° 395274 – le juge, annulant un refus de permis de construire, peut enjoindre le réexamen de la demande -, et de celui en date du 25 mai 2018, n° 417350  » le juge, annulant un refus de permis de construire, peut enjoindre la délivrance de cette autorisation « , le Conseil d’Etat précise cette fois-ci les conséquences de l’annulation du refus de permis sur le contentieux du permis de construire alors délivré.

Dans cette affaire, une société avait sollicité un permis de construire en vue d’édifier quatre éoliennes et un poste de livraison électrique. Le préfet avait refusé l’octroi de cette autorisation, considérant que ces constructions étaient de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt de plusieurs sites classés ou inscrit. Au regard des pièces qui lui ont été soumises, le tribunal administratif saisi de cet arrêté de refus a jugé que le préfet avait commis une erreur d’appréciation en estimant qu’était caractérisée une telle atteinte aux divers sites avoisinants. Le refus du préfet a donc été annulé, et en l’absence d’appel il est devenu définitif.

Le préfet a alors délivré l’autorisation sollicitée en vue de l’implantation des éoliennes. Toutefois, cet arrêté de permis de construire a fait l’objet d’un recours en annulation devant le juge administratif. Ce faisant le tribunal administratif, comme la Cour administrative d’appel, ont annulé le permis de construire. Pour ce faire, la Cour s’est appuyée sur des documents nouveaux (qui n’avaient pas été versés au débat lors du contentieux contre le refus de permis) qui établiraient une covisibilité non négligeable des éoliennes avec plusieurs sites classés alentour. En somme, le projet était exactement le même, mais les documents versés lors de ce second contentieux permettaient d’établir plus efficacement la covisibilité traduisant une atteinte au caractère ou à l’intérêt des sites voisins.

Saisi dans le cadre d’un pourvoi de cette affaire, le Conseil d’Etat a cassé l’arrêt de la Cour administrative d’appel. En effet, il a jugé qu’en l’absence d’un quelconque changement qui aurait affecté la réalité de la situation de fait, la Cour ne pouvait ainsi s’affranchir de l’autorité de la chose jugée qui était attachée au jugement devenu définitif annulant le refus de permis de construire.  

En résumé, le Conseil d’Etat juge que lorsque le motif avancé pour refuser un permis de construire a été censuré par le juge administratif, l’autorisation délivrée en conséquence ne peut, en l’absence de modification dans les circonstances de fait ou de droit, être annulée sur ce même motif.

Résiliation irrégulière d’un marché public : précisions sur l’indemnisation du titulaire

Le Conseil d’Etat précise comment doit se calculer, en cas de résiliation irrégulière d’un marché public, l’indemnisation du titulaire au titre du bénéfice net dont il a été privé.

Pour rappel, le centre hospitalier de Vendôme a résilié le marché à bons de commande par lequel il avait confié à la société du docteur Jacques Franc l’interprétation des clichés radiographiques réalisés au sein de l’hôpital sur prescription des praticiens de celui-ci. Par un premier jugement avant-dire droit, le Tribunal administratif d’Orléans a jugé irrégulière cette résiliation et, par un second jugement faisant suite à une expertise, a condamné le centre hospitalier à indemniser la société au titre du manque à gagner subi du fait de la résiliation condamnée. Saisi par la société, la Cour administrative d’appel de Nantes a, par un arrêt du 15 mars 2017, augmenté la somme à verser au titre de l’indemnisation. Mais, le surplus de ses conclusions ayant été rejeté, la société a exercé un pourvoi en cassation et le Conseil d’Etat a statué le 10 octobre 2018 sur cette affaire.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat souligne, après avoir cité les dispositions de l’article 77 du Code des marchés publics alors applicable, que si le titulaire d’un marché résilié irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de « la perte du bénéfice net dont il a été privé », il lui appartient d’établir la réalité de ce préjudice.

Ensuite, et c’est là le principal apport de cette décision, mentionnée dans les tables du recueil Lebon sur ce point, le Conseil d’Etat juge que, dans le cas d’un marché à bons de commande dont les documents contractuels prévoient un minimum en valeur ou en quantité, « le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en ce qu’il porte sur ce minimum garanti ».

Une fois le montant du manque à gagner connu avec certitude, il convient, pour calculer le bénéfice indemnisable, d’en soustraire « l’ensemble des charges ». A cet égard, le Conseil d’Etat précise que la Cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que « le taux de marge devait être déterminé en prenant en compte non seulement les charges variables de la société mais également ses charges fixes ». La Cour n’a pas davantage commis d’erreur de droit en se référant, pour évaluer le taux de marge moyen de la société, aux résultats nets des quatre exercices précédant la résiliation du marché en litige.

Au regard de ce qui précède, le Conseil d’Etat conclut au rejet du pourvoi de la société.

Vers un alignement de la police municipale sur les forces de sécurité de l’Etat ?

Le 19 mars 2018, le Premier ministre commandait un rapport aux députés Alice THOUROT et Jean-Michel FAUVERGUE, visant à « repenser un continuum de sécurité ». Remis le 11 septembre dernier, il a eu un écho certain, en raison des propositions qu’il contient concernant la police municipale. Celles-ci, au nombre de 24, sont articulées autour de quatre thématiques principales, dont il ressort une volonté d’harmonisation des polices municipales et d’Etat peut-être excessive.

1- Repenser la coordination entre les polices

Les rapporteurs dressent là le constat d’une difficile articulation entre les différentes polices, due notamment à l’éparpillement géographique des polices municipales, lesquelles, comme leur nom l’indique, sont rattachées pour principe à la commune. En ce sens, il est préconisé de « privilégier une approche par bassin de vie », c’est-à-dire, d’encourager le développement des polices intercommunales.

Il est à ce titre proposé de « permettre à des policiers municipaux de sortir de leurs zones pour exercer des missions définies », ou encore de « mettre en place un dispositif assurant la péréquation financière entre les efforts consentis par les communes participant à une démarche de mutualisation ». Les dispositifs de vidéoprotection pourraient être mutualisés, la circulation d’information sur les procédures en cours serait, elle, améliorée. Plus encore, des hôtels de police pourraient être créés sur le bassin de vie, regroupant les différentes forces de police municipale, mais également les forces de l’Etat. Il est cependant à préciser que ce seraient les services de l’Etat qui seraient chargés de coordonner l’action des polices municipales au sein des bassins de vie.

2- Définir une nouvelle politique de ressources humaines

La formation des policiers municipaux s’est naturellement développée en parallèle du renforcement de leurs compétences. Ainsi, en 1999 était instituée l’obligation de formation préalable à l’agrément du policier municipal. S’il est dès lors envisagé de renforcer leurs missions, cela ne peut être envisagé sans une meilleure homogénéisation des formations, celles-ci étant, à l’heure actuelle, organisées de façon tout à fait hétérogène, par les centres de formation régionaux du centre national de la fonction publique territoriale.

Il est par conséquent proposé de créer une école nationale des polices municipales. En outre, puisque c’est la commune qui le recrute qui prend en charge sa formation, les rapporteurs proposent que les policiers formés soient débiteurs d’une obligation minimum de présence dans la commune en question de trois années. Des propositions sont également faites, concernant les titres et grades, ainsi que la fusion des cadres d’emplois des policiers municipaux et gardes champêtres.

Enfin, il est proposé de « clarifier le statut des agents de surveillance de la voie publique » en inscrivant leur existence dans la loi et leur fonctionnement et statut par un décret en Conseil d’Etat.

3- Faire évoluer les moyens d’action

C’est à n’en pas douter la proposition qui a suscité le plus de débats : « proposer l’armement obligatoire des polices municipales sauf décision motivée du maire ». Les auteurs avancent plusieurs raisons. En premier lieu, les policiers municipaux sont des cibles tout autant identifiées que les autres forces de sécurité, dès lors, elles doivent pouvoir être en mesure de se défendre. En second lieu, la proposition ici avancée ne serait qu’une simple harmonisation des règles : 84% des 18 044 policiers municipaux sont équipés d’une arme et 44% d’une arme à feu. Aujourd’hui, la police municipale n’est armée que si le maire en formule la demande motivée au préfet, qui doit l’approuver, sous réserve d’une formation préalable des agents. Dès lors, la présente proposition ne constituerait qu’un renversement de ce principe sans incidence concrète majeure.

Cette proposition doit nécessairement s’accompagner, selon les auteurs, de l’harmonisation des équipements, formations et modalités d’intervention, de sorte que les différentes forces pourront intervenir de concert. Enfin, pour rendre pleinement opérationnel le dispositif, les rapporteurs proposent d’assouplir les conditions d’habilitation des policiers municipaux mutés d’une commune à une autre, par exemple en supprimant l’obligation de délivrance préalable d’un nouvel agrément. 

Toujours dans le but d’harmoniser les moyens d’action des différentes polices, le rapport aborde la délicate question des fichiers de police en proposant d’en faciliter l’accès aux policiers municipaux, par exemple en supprimant l’entremise nécessaire de l’agent des forces de l’Etat, préalable à la consultation du fichier. Si les agents de police municipale disposent déjà d’un accès direct aux fichiers relatifs au permis de conduire et à la circulation des véhicules, une telle mesure pourrait cependant susciter des difficultés au regard des principes de la réglementation relative à la protection des données personnelles.

Dans le même sens, il est envisagé le déploiement des caméras-piéton, de la transmission automatique des procès-verbaux à l’officier du ministère public en certains cas, ou encore la participation aux actions de sécurisation de manifestations locales ou au traitement des ivresses publiques et manifestes.

4- Une extension des pouvoirs des maires et des polices municipales

Le rapport n’envisage là que des évolutions à la marge car la répartition actuelle des compétences y est perçue comme offrant « un large champ des possibles » pour les maires, dont les compétences sont « encadrées par une jurisprudence bien établie qui préserve les libertés fondamentales autant qu’elle affirme le contrôle supérieur de l’Etat ».

Les rapporteurs envisagent ainsi d’étendre les pouvoirs du maire « pour lui permettre de faire respecter ses arrêtés de police sous le contrôle de légalité du préfet », et notamment de l’habiliter à assortir ses arrêtés d’une décision de mise en demeure, ou de permettre d’augmenter « sensiblement » le montant des amendes prononcées pour non-respect des arrêtés municipaux. En outre, ses pouvoirs pourraient être renforcés en matière de fermeture d’établissements ou, s’agissant des policiers municipaux, de constatation des infractions commises sur la voie publique.

S’il est indéniable que ces propositions ne manqueront pas d’alimenter les débats à l’occasion des prochaines élections municipales, il convient de souligner la spécificité des pouvoirs de police du maire et des moyens d’action de la police municipale. Ceux-ci doivent être pensés davantage en termes de complémentarité que d’harmonisation avec les forces de sécurité de l’Etat.

En conséquent, l’un des reproches qui peut être adressé aux préconisations du présent rapport est de chercher à trop aligner les moyens et l’organisation de la police municipale sur ceux des forces de sécurité de l’Etat, au risque de la dénaturer et d’en affecter la spécificité et l’efficacité.

Précisons sur l’erreur et le vice du consentement

Erreur- Vice du consentement : la possibilité de mettre en location le bien acheté peut être envisagée comme une qualité essentielle de la chose, de nature à déterminer le consentement de l’acquéreur. Si cette qualité fait défaut, l’acquéreur peut solliciter l’annulation de la vente en se prévalent d’une erreur sur la substance.

Le 3 mai 2018, la troisième chambre civile de la Cour de cassation devait se prononcer sur le point de savoir si l’erreur sur la décence d’un logement déjà loué et acquis en vue d’une location par une société non professionnelle de l’immobilier sans moyens d’accès à la réglementation applicable était excusable.

En l’espèce, suivant acte authentique en date du 14 avril 2010 Monsieur et Madame X ont vendu à une société civile immobilière un appartement d’une superficie de 13,49 m2, alors loué à un tiers.

Suite à une visite effectuée dans les lieux en date du 29 octobre 2010, le service communal de d’hygiène et de santé a informé la SCI que la pièce principale était d’une superficie inférieure à 9 m2, ce qui est contraire à la réglementation en vigueur.

En conséquence la SCI a été enjoint de faire cesser l’occupation des lieux suivant un arrêté préfectoral.

Aussi, la SCI a assigné les vendeurs en annulation de la vente et la Cour d’appel a accueilli ses demandes.

Les vendeurs ont alors formé un pourvoi en cassation.

Au soutien de leur pourvoi, les vendeurs ont notamment fait valoir le caractère inexcusable de l’erreur commise par la SCI, dont l’objet social, « l’acquisition, la location, l’édification, l’exploitation et la gestion ainsi que la cession éventuelle de tous immeubles, biens et droits immobiliers » – exclurait selon eux qu’elle ait pu acquérir l’appartement en méconnaissance de ses dimensions et caractéristiques.

La Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond, qui ont souverainement relevé qu’il résultait de l’acte authentique de vente que le bien vendu était loué et qu’en se portant acquéreur du logement, la SCI entendait disposer de la pleine propriété du bien comprenant la possibilité de le mettre en location, qu‘il s’agissait d’une qualité essentielle de la chose vendue qui était entrée dans le champ contractuel et qui avait été déterminante de son consentement, qu’elle n’avait pas la qualité de professionnel de l’immobilier et que son erreur sur cette qualité essentielle du logement était excusable 

C’est ainsi que la Cour de cassation considère que l’erreur commise par la SCI (qui n’est pas considéré comme un professionnel bien que son objet social porte sur la location et la gestion de biens immobiliers) ayant acquis un appartement aux fins de le louer alors que ses dimensions et caractéristiques excluaient toute possibilité de location, compte tenu du règlement sanitaire départemental qui lui était applicable, est excusable.

Tentative de suicide et présomption d’imputabilité au service

Avant l’introduction par le nouvel article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droit et obligations des fonctionnaires d’une présomption générale d’imputabilité au service des accidents survenus dans le temps et le lieu du service, le Conseil d’Etat avait déjà reconnu qu’accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal présentait, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet événement du service, le caractère d’un accident de service (Conseil d’Etat, Section, 16 juillet 2014, Madame Andrée A, req n° 361820, publié au recueil).

Par un arrêt du 24 septembre 2018, la Cour Administrative d’appel a fait application de cette jurisprudence à la tentative de suicide d’une surveillante pénitentiaire intervenue à l’aide de son arme de service, sur ses lieu et temps de travail.

En l’espèce, l’agent avait fait l’objet en 2007 d’une agression physique de la part d’un autre agent pénitentiaire de la maison centrale de Saint Martin en Ré, lorsqu’elle l’avait elle-même empêché de se défenestrer, puis d’une agression verbale de ce même agent en 2008. Elle avait depuis lors développé un syndrome anxiodépressif et bénéficié de plusieurs arrêts de travail.

Le 15 mars 2013, apprenant le retour en service de cet agent, de surcroit dans l’équipe où son conjoint exerçait ses fonctions, l’intimée s’est isolée dans un mirador et s’est tiré une balle dans l’abdomen avec une arme de service.

Pour reconnaître l’imputabilité au service de cette tentative de suicide, la Cour a relevé en premier lieu que celle-ci avait eu lieu sur le temps et le lieu du service, de sorte qu’elle était présumée imputable au service sans que l’intimée ait à démontrer qu’elle trouverait sa cause certaine, directe et déterminante dans un état pathologique se rattachant lui-même directement au service.

La Cour a ensuite classiquement rappelé qu’il appartenait à l’administration pour écarter cette présomption, de démontrer que cette tentative de suicide se rattacherait à des circonstances particulières étrangères au service ou à une faute personnelle faisant obstacle à une telle reconnaissance d’imputabilité. Mais elle a relevé que les arguments avancés par le garde des sceaux pour minimiser la gravité l’agression physique subie par l’intimée en 2007, ainsi que la circonstance selon laquelle les troubles relevés chez l’agent trouveraient leur cause dans un différend personnel inconnu de l’administration ne permettaient pas en l’espèce de dégager des circonstances particulières étrangères au service ni une faute personnelle. L’annulation par le Tribunal de la décision de refus de reconnaissance de l’imputabilité au service de cette tentative de suicide a donc été confirmée.

Travaux dans un logement de fonction : favoritisme, abus de confiance et sanctions disciplinaires – Procédures pénales et CDBF cumulables

Nommé le 1er février 2007 en qualité de directeur général d’un CHU, celui-ci a, dès avant sa prise de fonction, mandaté un cabinet d’architecte afin de travailler sur le projet de rénovation de son futur logement de fonction ; le montant total des travaux s’est élevé à la somme de 639.933 euros HT. Pour financer ces travaux, le directeur général du CHU a eu recours au marché à bons de commande passé aux fins d’entretien des locaux de l’établissement hospitalier par le CHU avec différentes entreprises, ce qui a généré, outre un fractionnement du montant global des rénovations, des surfacturations et des surcoûts liés à l’inadaptation des prestations et matériaux prévus dans le marché.

Une information judiciaire a été ouverte du chef des délits de favoritisme et détournement de fonds publics, aux termes de laquelle le directeur général du CHU a été renvoyé devant le Tribunal correctionnel.

Par ailleurs poursuivi devant la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), le directeur de l’établissement a été déclaré – en sa qualité d’ordonnateur principal – responsable de la passation des marchés de maîtrise d’œuvre et de leurs avenants en violation des règles des marchés publics, ladite violation étant constitutive de l’infraction prévue et réprimée par l’article L. 313·4 du Code des juridictions financières.

Le 15 mai 2017, il a été condamné par la Cour d’appel de Caen à une peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis pour atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et abus de confiance.

Devant la Cour de cassation, le directeur général du CHU a tenté de faire valoir la règle non bis in idem, prétendant avoir déjà été jugé par la CDBF ; sur ce point, et s’agissant des poursuites engagées au titre du délit de favoritisme, la Cour a décidé que « l’interdiction d’une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l’article 4 du Protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, ne trouve à s’appliquer […] que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n’interdit pas le prononcé de sanctions disciplinaires parallèlement aux peines infligées par le juge répressif ».

En outre, les juges de cassation ont précisé – pour confirmer la décision de condamnation du directeur de l’établissement du chef d’abus de confiance – que « dès lors que l’usage abusif des fonds publics par le prévenu résulte du fait, par ce dernier, qui a utilisé les moyens mis à sa disposition dans le cadre de ses fonctions pour financer des travaux dont une partie, souverainement évaluée par les juges, s’est avérée de pure convenance, de se comporter comme le propriétaire des fonds employés, sans aucune mesure, à des fins sans rapport avec la nature du logement de fonction qu’il occupait et sans utilité pour la personne morale, la cour d’appel a justifié sa décision ».

L’école maternelle obligatoire à 3 ans

Progrès réel dans la formation des plus jeunes ? Ou habile coup de main à l’école privée ?

Le Ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a présenté, en début de semaine, devant le Conseil supérieur de l’Education nationale, un projet de loi dit «  Loi pour une école de la Confiance », qui sera soumis prochainement à l’Assemblée nationale.
Parmi les mesures principales du projet, figure celle rendant obligatoire la scolarisation des enfants, dès l’âge de 3 ans, contre 6 ans jusqu’à maintenant.

On rappellera qu’aux termes de l’actuel article L.131-1 du Code de l’Education, « L’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans ».

On soulignera, de plus, qu’aux termes de l’article L.113-1 du Code de l’Education, : « Les classes enfantines ou les écoles maternelles sont ouvertes, en milieu rural comme en milieu urbain, aux enfants qui n’ont pas atteint l’âge de la scolarité obligatoire. Tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si sa famille en fait la demande. »

L’accueil des enfants de 3 ans en maternelle n’est donc pas une nouveauté.

S’agissant de la scolarisation des enfants en maternelle à 3 ans, l’objectif a été déjà atteint en pratique, puisqu’en 2017, 97 % des enfants de 3 ans sont déjà en maternelle et, même insuffisants, les moyens de fonctionnement de ces classes maternelles ont été distribués, des personnels enseignants et de service ont été affectés.

C’est ce que confirme avec éclat un récent rapport de l’OCDE, pour qui la France est le pays où les enfants de trois ans sont scolarisés quasiment à 100%, alors que la moyenne de l’OCDE se situe à 70%.

Compte tenu de ce fait, il est permis de se demander si le but de cette mesure phare, n’est pas de dissimuler un moyen d’imposer aux communes de participer aux dépenses de fonctionnement matériel des écoles maternelles privées sous contrat de l’Etat.

Tant que l’enseignement obligatoire ne concernait pas les écoles maternelles, les communes n’étaient pas contraintes de construire des écoles maternelles publiques et de financer leurs dépenses de fonctionnement matériel.

De fait, très peu de communes s’abstenaient de construire et de financer le fonctionnement des écoles maternelles publiques pour accueillir le plus jeune de leurs habitants. Mais il n’en était pas de même jusqu’à présent, pour l’enseignement privé sous contrat d’association en maternelle. Les communes n’étaient pas tenues de prendre en charge leurs dépenses de fonctionnement, de prendre en charge les dépenses importantes de personnels que représentent les Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM).

Elles le seront, dès lors que la scolarisation des enfants de 3 ans aura un caractère obligatoire.

Projet de loi d’orientation des mobilités : l’avant-projet de loi a été transmis au Conseil d’Etat

La première mouture du projet de loi d’orientation des mobilités a été transmise pour avis au Conseil d’Etat à la fin du mois d’août.

Texte fondamental du quinquennat, le projet de loi apparaît pourtant considérablement amoindri au regard des ambitions initiales portées par le Ministère des transports et des travaux des Assises de la mobilité. Exit, notamment, les dispositions relatives à la programmation financière des infrastructures de transport pour la période 2018-2037, aux nouvelles possibilités de financement de la mobilité (péage urbain), aux sociétés de projets et aux réseaux d’infrastructures. Elles pourraient toutefois figurer au sein d’un second volet de la réforme des transports et de la mobilité.

Parmi les mesures phares du texte soumis au Conseil d’Etat, on peut relever :

  • l’extension de la liste des autorités organisatrices de la mobilité : les communautés de communes, les syndicats mixtes (ouverts ou fermés) et les pôles d’équilibre territorial et rural (après transfert de la compétence respectivement par les communes et les EPCI membres) sont visés à l’article L. 1231-1 du Code des transports. La Région devient également autorité organisatrice de la mobilité régionale (création d’un article L. 1231-3 au sein du Code des transports).
  • la volonté de résorption des « zones blanches» de la mobilité : si les communautés de communes ne s’emparent pas de la compétence mobilité d’ici le 31 décembre 2020 (et donc si cette compétence ne leur est pas transférée par leurs membres) elle pourra être exercée, sur leur territoire, par la région à compter du 1er janvier 2021. En l’état de la rédaction du texte, il ne s’agit que d’une faculté ouverte à la région laquelle ne s’appliquerait, en outre, que pour les compétences en matière de mobilité qui ne sont pas « déjà exercées par les communes » ;
  • une redéfinition des compétences des AOM : elles n’auraient plus à organiser obligatoirement les services réguliers de transport public urbain et non urbain de personnes dans leur ressort territorial. Par ailleurs, leurs compétences sont enrichies en matière de mobilités actives et d’usages partagés des véhicules terrestres à moteur. Il est également prévu qu’elles puissent prendre part aux frais de covoiturage et même créer un service public de covoiturage ;
  • la création d’une définition légale des mobilités actives : il s’agit de « l’ensemble des modes de déplacements où la force motrice humaine est nécessaire, avec ou sans assistance motorisée», parmi lesquels la marche, le vélo et le vélo à assistance électrique ;
  • la création d’un dispositif ambitieux en matière d’ouverture des données de mobilité, conformément aux dispositions du Règlement européen délégué n° 2017/1926 du 31 mai 2017. Un rôle de contrôle et de sanction est confié à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières en la matière ;
  • la favorisation des expérimentations des nouvelles mobilités : dans le délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, le Gouvernement est autorisé à intervenir par ordonnance afin de faciliter les expérimentations en matière de mobilité propre, connectée ou dans les zones peu denses notamment ;
  • les zones à circulation restreinte deviennent les « zones à faibles émissions» : la loi instaure un seuil de 100.000 habitants pour les agglomérations pouvant en créer (en plus des zones couvertes par un plan de protection de l’atmosphère). Bien plus, la Métropole de Lyon, les EPCI à fiscalité propre de plus de 100.000 habitants et ceux couverts par un plan de protection de l’atmosphère devront élaborer un plan d’action relatif à la réduction des émissions polluantes atmosphériques et au respect des normes de qualité de l’air. Ce plan d’action devra comporter une étude relative à l’instauration d’une ou plusieurs zones à faibles émissions, laquelle deviendra obligatoire avant le 31 décembre 2020 si les normes de qualité de l’air ne sont pas respectées de manière régulière sur le territoire ;
  • le versement transport devient le versement mobilité : il peut en théorie être levé par toutes les AOM, mais en pratique, le seuil de 10.000 habitants n’étant pas supprimé à l’article L. 2333-64 du Code général des collectivités territoriales, un certain nombre de communautés de communes existantes à l’heure actuelle pourraient ne pas pouvoir l’instaurer. La délibération instaurant le versement mobilité devra par ailleurs lister les services de mobilité mis en place ou prévus justifiant le taux du versement.

Le projet de loi devrait être présenté en Conseil des ministres au plus tôt à la fin du mois d’octobre, pour une discussion au Parlement au plus tôt à partir de janvier 2019.

Parution du Rapport 2018 sur les finances publiques locales : la Cour des comptes analyse le dispositif de contractualisation financière Etat-collectivités.

322 collectivités territoriales et EPCI entrant dans le champ du dispositif prévu par la loi de programmation des finances publiques pour la période 2018 à 2022 avaient jusqu’au 30 juin 2018 pour signer un contrat de maîtrise de la dépense locale avec l’Etat. A défaut, la loi a prévu la notification d’un arrêté préfectoral fixant le niveau maximal annuel des dépenses réelles de fonctionnement (DRF) de la collectivité. 92 collectivités, dont une part significative de départements, ont refusé de signer un contrat et se sont ainsi vus notifier leur trajectoire financière d’évolution des DRF pour la période 2018-2020 de manière unilatérale.

Dans son nouveau et sixième rapport annuel sur les finances publiques locales, paru le 25 septembre dernier, la Cour des comptes s’est attachée à analyser le dispositif de contractualisation entre l’Etat et ces collectivités locales de grande envergure.

  • Un dispositif novateur

La Cour des comptes relève tout d’abord le caractère novateur du dispositif mis en place en vue de la maîtrise de la dépense locale, puisqu’il ne consiste plus en une « action indirecte sur les recettes » (réduction des concours financiers de l’Etat) mais en une action directe sur la dépense, via la fixation d’un plafond de dépenses pour les exercices 2018 à 2020.

  • Une prise en compte apparente des particularités locales

S’agissant de la philosophie de ce dispositif, si la Cour relève qu’il répond « dans son principe » aux recommandations qu’elle a émises dans ses précédents rapports – une meilleure prise en compte des diversités locales et l’individualisation des efforts demandés aux collectivités -, elle constate qu’en pratique, la marge de manœuvre des préfets, chargés de conduire les négociations contractuelles, a été « relativement étroite » et, qu’en tout état de cause le dispositif, dans sa conception même, ne permet qu’une faible adaptation aux situations locales.

De fait, 103 des 322 collectivités concernées par le dispositif de contractualisation n’étaient éligibles à aucun critère de modulation (à la hausse ou à la baisse) de leurs dépenses par rapport à l’objectif national, fixé à 1.2%, et les dépenses ont été définies de sorte que le respect de cet objectif national ne soit pas compromis à l’échelle de ce panel de collectivités.

Sur ce point, la Cour insiste sur la situation particulière des départements, lesquels connaissent une grande diversité de situations au regard du poids et de la croissance de leurs dépenses sociales par rapport à leurs recettes fiscales. Elle déplore, d’une part, l’existence d’un écrêtement législatif prévu seulement pour les allocations individuelles de solidarité (c’est-à-dire le revenu de solidarité active, l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation de compensation du handicap), alors que les départements supportent bien d’autres dépenses sociales, et, d’autre part, l’absence d’explications quant au choix du taux de 2%. Elle souligne par ailleurs que la progression de ces dépenses est vive.

Afin de respecter leurs objectifs, les départements connaissant une augmentation de leurs AIS supérieure à 1.2% (après écrêtement) devront ainsi sensiblement limiter l’évolution de leurs autres DRF. De fait, la Cour constate que les départements subissent une « contrainte de gestion (…) plus forte que pour les autres catégories de collectivités ».

  • De faibles récompenses pour les collectivités signataires

La Cour des comptes souligne la faiblesse de la « récompense » pour les collectivités signataires et respectueuses de leurs objectifs contractuels, limitée à une possible bonification de la dotation de soutien à l’investissement local, laquelle ne concerne que les communes et EPCI.

  • Un champ trop restreint du périmètre budgétaire de la contractualisation

La Cour souligne qu’une part significative de la dépense publique locale reste en dehors du dispositif de contractualisation, notamment parce que les budgets annexes n’entrent pas dans son champ. Or, ils représentent 15% des charges de fonctionnement des communes et EPCI concernés par la contractualisation et, par ailleurs, s’ils avaient été pris en compte, le nombre d’EPCI entrant dans le champ de la contractualisation aurait été porté à 90 (au lieu de 65).

Elle relève également une anomalie francilienne, puisque les établissements publics territoriaux ne sont pas soumis à la contractualisation, alors que huit d’entre eux y auraient été soumis en principe.

En outre, selon la Cour, le dispositif devrait prendre davantage en compte le développement des EPCI, afin de prévenir le risque de transferts de compétences opportunistes. Elle préconise que le pacte financier de l’intercommunalité prenne ainsi en compte le plafond de dépenses fixé par l’arrêté ou le contrat de maîtrise de la dépense locale de la ville-centre de l’EPCI ou de l’EPCI lui-même.

Au total, les dépenses concernées par la contractualisation représentent moins de deux tiers des dépenses des collectivités territoriales et de leurs groupements et moins de la moitié des dépenses totales des administrations publiques locales.

  • Un mécanisme de reprise financière source de difficultés d’application

La discussion qui aura lieu entre les collectivités et les préfectures à l’occasion de l’examen du respect des objectifs contractualisés promet d’être difficile, notamment en raison du défaut de définition précise et exhaustive des données susceptibles d’affecter significativement le résultat de la collectivité.

Au total, au moment de l’examen en N+1, une nouvelle négociation, probablement difficile et source de disparités d’appréciations d’un territoire à un autre, s’annonce entre l’Etat et les collectivités.

  • Un objectif ambitieux mais atteignable à court terme

L’objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement à 1.2% par an et en valeur est comparable au taux de croissance annuel moyen constaté entre 2013 et 2017, mais est très inférieur à celui constaté lors la période antérieure 2010-2013 (3%). Le respect de l’objectif apparaît néanmoins atteignable au début de la période de référence, notamment parce que l’impact des nouvelles normes imposées par l’Etat sur la section de fonctionnement des budgets locaux va considérablement diminuer en 2018.

Pour autant, la Cour juge cet objectif ambitieux au regard de la reprise qu’a connu l’inflation depuis 2017. Mais il semble qu’il ait été effectivement pris en compte dans les budgets primitifs des collectivités pour 2018, et cette tendance a été confirmée par les données d’exécution au 31 août 2018 transmises par la Direction générale des finances publiques.

Au total, la Cour considère que si la trajectoire d’évolution des DRF des collectivités est conforme à l’objectif national de 1.2% (combinée à une progression de leurs ressources, notamment grâce à la fin de la baisse de la dotation globale de fonctionnement et à la poursuite du dynamisme de la fiscalité locale), elles  devraient connaître une forte augmentation de leur épargne, dont une large part serait disponible, et dont il est peu probable, d’après la Cour, qu’elle soit employée à la réduction de leur endettement ou de la fiscalité locale. Au total, les collectivités pourraient alors opter pour une relance de la dépense locale, ce qui devrait conduire l’Etat à s’interroger sur une baisse des dotations, à titre complémentaire au moins.

Expertise judiciaire et interruption du délai de l’action en garantie décennale

Cette décision rappelle le principe selon lequel l’interruption du délai de l’action en garantie décennale, de dix ans à compter de la date de réception de l’ouvrage, nécessite que soient identifiés de manière suffisamment précise les désordres concernés au sein de la requête en référé-expertise.

Le Conseil d’Etat, faisant application des dispositions de l’ancien article 2244 du code civil[1], était déjà venu confirmer qu’ « une demande en référé présentée par une collectivité publique, tendant à la désignation d’un expert aux fins de constater des désordres imputés à des constructeurs, ou d’en rechercher les causes, a pour effet non de suspendre mais d’interrompre le délai de dix ans à l’expiration duquel la responsabilité de ces constructeurs ne peut plus être recherchée devant le juge administratif à raison desdits désordres. » (CE, avis, 22 juillet 1992, n°136332, Commune de Marcilly-sur-Eure)

Dès lors qu’une telle interruption ouvre un nouveau délai d’action de dix ans, les enjeux d’une formulation précise de la demande d’expertise sont évidents, notamment pour le maître d’ouvrage.

En l’espèce, faisant suite à l’apparition de désordres affectant le « pôle mère-enfant » d’un centre hospitalier, réceptionné le 28 juillet 1995, une expertise judiciaire avait été sollicitée le 1er juillet 2005, avant que ne soient condamnés solidairement plusieurs constructeurs.

En appel, ce jugement a été réformé et le montant de la condamnation considérablement diminué au motif que la demande en référé expertise ne concernait qu’un seul poteau et qu’aucune interruption du délai de prescription n’était corrélativement intervenue pour les désordres affectant les autres poteaux de l’ouvrage.

Ce raisonnement n’est pas suivi par le Conseil d’Etat qui reprend les termes même de la demande de référé précitée, mentionnant l’existence d’un « phénomène de désagrégation des poteaux en béton armé qui soutiennent le bâtiment » et un « problème d’affaissement des planchers », ainsi que ceux de l’ordonnance de référé faisant droit à cette demande et chargeant l’expert de « visiter les lieux et constater les désordres », « d’en décrire la nature en indiquant la date la date à laquelle ils sont intervenus et en donnant tous les éléments de fait permettant d’apprécier s’ils rendent l’ouvrage impropre à sa destination ou en affectent la stabilité » et « d’en rechercher leurs causes (…) ». 

C’est pourquoi, « en estimant que la demande en référé ne concernait que le poteau P. 30 et que la mission de l’expert était limitée à ce seul poteau, pour en déduire que cette demande n’avait pas interrompu le délai de prescription de l’action en garantie décennale pour les désordres relatifs aux autres poteaux, la cour administrative d’appel de Marseille a méconnu la portée tant des écritures du centre hospitalier que de l’ordonnance du 21 octobre 2005 ».  

Il convient donc de veiller à bien définir la mission de l’expert judiciaire et les désordres concernés, afin de pouvoir bénéficier de l’effet interruptif d’une demande de référé-expertise.

[1] Dispositions reprises au sein du nouvel article 2241 du code civil : « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure ».

 

Cadre juridique applicable aux lanceurs d’alerte dans la fonction publique

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a défini la notion de lanceur d’alerte et a fixé le dispositif applicable aux alertes.

A cette occasion, le législateur a notamment entendu couvrir les signalements effectués dans un cadre professionnel. Il a ainsi prévu, pour les personnes morales de droit public ou de droit privé d’au moins cinquante salariés, les administrations de l’Etat, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions, une obligation d’établir des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels.

Le décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l’Etat apporte plusieurs précisions sur le contenu de ces procédures et les modalités de leur établissement.

Par une circulaire du 19 juillet 2018, le Ministre de l’action publique et des comptes publics rappelle le cadre juridique applicable aux alertes effectuées dans le cadre de la fonction publique. Cette circulaire identifie, plus précisément, les agents susceptibles de faire un signalement dans la fonction publique ainsi que les destinataires de celui-ci, les faits et actes susceptibles d’être signalés, les modalités encadrant les signalements ainsi que les mesures de garantie et de protection dont bénéficient les agents publics à l’origine d’un signalement, d’une part, et mis en cause par le signalement, d’autre part.

Ainsi, la circulaire indique tout d’abord qu’il résulte tant de la loi du 9 décembre 2016 que de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que sont exclus du champ des lanceurs d’alerte potentiels les tiers et usagers du service. En revanche, le droit d’alerte concerne tous les agents, quel que soit leur statut (fonctionnaires titulaires ou stagiaires, contractuels de droit public ou privé, collaborateurs extérieurs et occasionnels, stagiaires et apprentis notamment). Il ne se limite pas au service auprès duquel ces agents sont affectés mais s’étend à l’ensemble des services qui les emploient.

La circulaire rappelle ensuite que la loi identifie plusieurs destinataires possibles du signalement : le supérieur hiérarchique direct ou indirect, l’employeur ou un référent désigné par celui-ci. Elle précise que, dans la fonction publique territoriale, l’autorité territoriale peut également être rendue destinataire des signalements. Elle rappelle que la désignation d’un référent alerte est obligatoire et recommande de recourir à ce dernier, par préférence au supérieur hiérarchique. Elle indique encore qu’il serait souhaitable que le référent alerte soit également le référent déontologue prévu par le décret n° 2017-519 du 10 avril 2017. En tout état de cause, le destinataire du signalement, une fois choisi par le lanceur d’alerte, est le seul interlocuteur de ce dernier.

Il est encore indiqué que sont susceptibles d’être signalés tous actes et faits, dès lors qu’ils sont susceptibles d’être constitutifs de l’une des qualifications précisées à l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016, à savoir un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général. Sur ce dernier point, la circulaire précise que celui-ci recoupe les situations particulières dans lesquelles un signalement permettrait de prévenir ou de corriger des effets particulièrement néfastes provenant de dysfonctionnements graves au sein d’un organisme qui toucheraient tout secteur d’intérêt général, et donne les exemples de la santé publique, de l’environnement, de la sécurité des biens et des personnes. En outre, l’appréciation de la gravité des faits, actes, menaces et préjudices incombe en premier lieu au lanceur d’alerte.

S’agissant des modalités de l’alerte, la circulaire reprend les différentes hypothèses envisagées par la loi, à savoir le signalement interne, le signalement externe en l’absence de réponse donnée au signalement interne, la divulgation publique et les cas de dangers graves et imminents ou de risques de dommages irréversibles. Elle indique les différents supports susceptibles d’être utilisés pour l’établissement des procédures : code de bonne conduite, charte de déontologie, note de service.

Elle rappelle enfin les garanties et protections dont bénéficient le lanceur d’alerte : confidentialité, irresponsabilité pénale, inversement de la charge de la preuve dans l’hypothèse où l’agent ferait l’objet d’une sanction disciplinaire ou d’une mesure discriminatoire qu’il estimerait motivée par un signalement et nullité de ces sanctions ou mesures, et l’agent mis en cause par le signalement : confidentialité et protection fonctionnelle en cas de signalement infondé.

Propos tenus entre salariés sur Facebook et licenciement

Régulièrement la Cour de cassation rappelle que des circonstances extérieures à la vie professionnelle et tenant à la vie privée ou à la vie personnelle du salarié ne peuvent être prises en considération pour justifier une mesure de licenciement, sauf si elles affectent la relation salariale ( Cass., Soc., 20 nov. 1991, no 89-44.605) et causent soit « un trouble objectif à l’entreprise », soit « un trouble caractérisé » dans celle-ci ( Cass., Soc., 26 sept. 2001, no 99-43.636).

Sur le fondement de l’ article 9 du Code civil qui assure à chacun le droit au respect de sa vie privée  la Cour de cassation estime qu’« il ne peut être procédé à un licenciement pour une cause tirée de la vie privée du salarié que si le comportement de celui-ci, compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité propre de l’entreprise, a créé un trouble caractérisé au sein de cette dernière » (Cass., Soc., 22 janv. 1992, no 90-42.517)

Par arrêt du 12 septembre 2018 (n° 16-11.690) la Cour de cassation est, dans la droite ligne de sa jurisprudence, venue pour la première fois affirmer que des propos dénigrant l’employeur sur un groupe fermé Facebook avec un nombre de personnes limité dans ce groupe ne pouvaient pas justifier une mesure de licenciement.

La Cour de cassation considère en effet qu’il s’agit de propos tenus en privé.

Or, les actes de la vie privée ne peuvent, sauf conditions sus énoncées, fonder une mesure de licenciement.

Le projet de loi PACTE : Ce qui devrait changer pour les Entreprises

Faciliter la vie des entreprises et améliorer ainsi leur compétitivité, tels sont en substance les objectifs poursuivis par le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) que l’Assemblée nationale vient d’adopter à une large majorité en première lecture dans la soirée du 10 octobre 2018.

Porté par le Ministre de l’Economie et de Finances Bruno Le Maire, le projet de loi  PACTE a obtenu 361 voix contre 84 et 103 abstentions, les diverses oppositions déplorant un texte « fourre-tout » ou « une occasion manquée ». Il est vrai que dans sa version initiale, le projet de loi comportait 73 articles, il en compte désormais 140…

Si l’objectif premier de cette loi était de faciliter la croissance et la transformation des entreprises, force est de constater qu’elle comporte un certain nombre de mesures qui n’ont pas d’incidences directes sur la vie de celles-ci (voitures avec pilotes autonomes, transferts de fonds entre les produits d’épargne-retraite, etc.), ainsi que la privatisation de certaines entreprises publiques.

Ainsi, le projet de loi PACTE autorise la privatisation de la Française des Jeux (FDJ), actuellement détenu à 72 % par l’Etat qui devra toutefois conserver au minimum 20 % de participation.

Rappelons que la FDJ détient en France le monopole des jeux de tirage et de grattage. Ce monopole sera maintenu, mais pour une durée limitée à 25 ans. En outre, le principe d’une refonte de la régulation des jeux d’argent et de hasard par ordonnances a été posé avant toute privatisation.

Auparavant, dans la matinée, l’Assemblée avait déjà donné son feu vert à l’Etat (par 39 voix contre 7) pour procéder à la vente de tout ou partie des actifs qu’il détient dans Aéroports de Paris (ADP), soit 50,63 % (9,5 milliards d’euros). Cette privatisation prendra la forme d’une concession pour 70 ans, encadrée par un cahier des charges strict et contraignant, concernant notamment la régulation des tarifs.

Ces cessions, auxquelles doit s’ajouter celle d’actifs d’Engie (ex-GDF), doivent servir à alimenter un fonds de 10 milliards d’euros pour l’innovation de rupture.

Reste néanmoins que le projet de loi PACTE contient des mesures phares qui vont avoir d’importants impacts sur la vie des entreprises dès 2019.

1- La redéfinition de la notion d’entreprise et de société

L’une des mesures phares de ce texte est celle qui prône le renforcement du rôle social et environnemental des entreprises, en modifiant le Code civil et le Code de commerce.

Ces modifications législatives ont été proposées par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat dans leur rapport sur l’entreprise, objet d’intérêt collectif, remis en mars dernier au gouvernement. Elles visent à inciter les entreprises à « mieux partager la valeur créée et à repenser leur place dans la société ».

Ainsi, le projet de loi Pacte ajoute un alinéa à l’article 1833 du Code civil qui dispose  dorénavant que la société devra être « »gérée dans l’intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». L’article 1833 du Code civil est modifié pour consacrer la notion jurisprudentielle d’intérêt social, explique le gouvernement, dans son étude d’impact.

Le projet de loi complète aussi l’article 1835 du Code civil pour permettre aux sociétés qui le souhaitent de se doter d’une « raison d’être » dans leurs statuts. Contrairement à l’intérêt social, la notion de « raison d’être » est inédite tant sur le plan législatif que jurisprudentiel. Issue du rapport Senard-Notat, cette notion vise à éclairer l’intérêt propre de la société et de l’entreprise ainsi que la prise en considération de ses enjeux sociaux et environnementaux. La raison d’être se définit comme ce qui est indispensable pour remplir l’objet social, c’est-à-dire le champ des activités de l’entreprise.

Enfin, le Code de commerce (articles L. 225-35 et L. 225-64) est modifié : les conseils d’administration ou le directoire des sociétés anonymes et des sociétés en commandite par actions devront aussi déterminer les orientations de l’activité de leur société « conformément à son intérêt social, en considérant ses enjeux sociaux et environnementaux ». Pour ces organes, l’obligation nouvelle est bien la reprise de cette obligation de moyens, réaffirme le gouvernement. Ils devront aussi suivre la « raison d’être » de l’entreprise lorsque celle-ci sera mentionnée dans les statuts.

Le gouvernement prévoit d’appliquer ces nouvelles dispositions à toutes les sociétés civiles et commerciales, dès la publication de la loi. Il escompte, grâce à ces mesures, un meilleur respect des enjeux environnementaux lors de la prise de décision de gestion dans les sociétés, et par la fixation anticipée d’objectifs environnementaux.

Ces dispositions ne créent pas de nouveau régime de responsabilité délictuelle, affirme le gouvernement. Toute responsabilité, de la société comme de ses dirigeants, qui serait recherchée sur le fondement de l’absence de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux devrait s’inscrire dans l’une des hypothèses reconnues par le droit commun des sociétés (existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité).

Cependant, le dirigeant social devra dorénavant examiner en amont d’une décision de gestion donnée, les effets éventuels de celle-ci en matière sociale et environnementale. Il s’agira certes d’une obligation de moyens ne l’exonérant pas de démontrer qu’il a bien pris en considération tous les enjeux environnementaux et sociaux lors de toute prise de décision, ce qui n’est pas sans incidence sur la responsabilité des dirigeants sociaux.

2- L’intéressement et la participation encouragés

Le projet de loi Pacte prévoit de simplifier les dispositifs d’intéressement et de participation, qui permettent aux salariés de bénéficier des profits de leur entreprise. Le forfait social de 20% sera ainsi supprimé pour les entreprises de 0 à 250 salariés en ce qui concerne l’intéressement, et pour les entreprises de 0 à 50 salariés en ce qui concerne la participation.

3- La création, la transmission et la liquidation d’entreprise facilitées

L’abaissement du seuil de 10%, actuellement à 5% à partir duquel l’actionnaire majoritaire d’une société cotée peut forcer l’acquisition des titres des actionnaires minoritaires et donc leur retrait, pour lutter contre des stratégies d’investissement « parasites » empêchera l’actionnaire majoritaire de fermer le capital de la société.

Concernant la transmission d’entreprise, l’article 16 se propose d’assouplir les conditions posées pour que les cédants puissent bénéficier des dispositions particulièrement avantageuses du pacte Dutreil. Le texte devrait permettre d’étendre les possibilités d’apport de titre à une société holding et de maintenir partiellement le bénéfice du régime dans le cas d’une cession partielle des titres à un autre signataire du pacte. Autre changement, l’attestation annuelle visant à contrôler le respect des engagements sera supprimée.

Par ailleurs, l’article 50 va encourager le dispositif du crédit-vendeur par un étalement des prélèvements sur les plus-values pour les petites entreprises. Cette mesure était réclamée de longue date notamment par les experts-comptables et les notaires. Elle va s’appliquer aux cessions intervenues à partir du 1er janvier 2019. Signalons également que la transmission aux salariés va être encouragée (article 49).

En cas de reprise d’entreprise par les salariés : suppression du seuil de salariés minimum pour bénéficier du crédit d’impôt et mise en place d’un dispositif anti-abus avec un minimum de 2 ans de présence du salarié dans l’entreprise requis.

Le dispositif de crédit vendeur est encouragé par l’étalement des prélèvements sur les plus-values de cessions pour les entreprises ayant moins de 50 salariés et un chiffre d’affaires inférieur à 10 millions d’euros.

Toutefois, seules les cessions entrainant la perte du contrôle de l’entreprise seront concernées par ce dispositif.

Le projet de loi comporte également un ensemble de mesures concernant l’entreprise en difficulté.

Poursuivant son objectif de faciliter le rebond des entrepreneurs, le projet de loi PACTE prévoit que les tribunaux devront, avant de statuer sur une demande de résolution du plan de sauvegarde ou de redressement, une demande d’ouverture de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, obligatoirement examiner si la situation de l’entrepreneur répond aux conditions d’ouverture de la procédure de rétablissement professionnel.

La procédure de rétablissement professionnel, instituée par l’ordonnance du 12 mars 2014, ouverte aux entrepreneurs personnes physiques sous certaines conditions (absence de salarié, actif inférieur à 5.000 euros, absence de procédure de liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif ou de décision de clôture d’une procédure de rétablissement professionnel dans les 5 dernières années), permet l’effacement des dettes du débiteur sans recours à une procédure de liquidation judiciaire.

L’ouverture d’une telle procédure sera évidemment soumise à l’accord préalable du débiteur.

Afin de permettre la liquidation plus rapide des entreprises, le champ d’application de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée est étendu et son délai est réduit. Ainsi, la procédure de liquidation judiciaire simplifiée sera obligatoire pour toutes les entreprises employant cinq salariés au maximum et réalisant moins de 750.000 euros de chiffre d’affaires. Les cas de liquidation judiciaire simplifiée sont supprimés. En outre, la clôture devra intervenir en principe dans un délai de 6 mois, porté dans certaines conditions à un an (article 15 du projet).

Le projet de loi prévoit également des mesures de nature à favoriser la reprise d’entreprise.

On sait qu’en application des dispositions de l’article L. 642-7 du Code de commerce, le tribunal ordonne la cession au repreneur des contrats nécessaires au maintien de l’activité. Le bail fait partie des contrats visés par les dispositions de l’article L. 642-7 du Code de commerce. Le contrat de bail cédé stipule fréquemment une clause de garantie solidaire entre le cédant et le cessionnaire.

L’article L. 641-12 du Code de commerce neutralise les effets de cette clause dans la mesure où elle impose au cédant (société en liquidation judiciaire) une solidarité avec le cessionnaire. Le Livre IV ne prévoit aucune disposition similaire en faveur du cessionnaire, repreneur du bail dans le cadre d’un plan de cession. Il encourt donc le risque d’avoir à payer le passif locatif de l’entreprise en liquidation judiciaire qu’il reprend (Cass., Com., 27 septembre 2011, n° 10-23539). Le projet de loi PACTE, afin de faciliter la reprise d’entreprise, modifie les dispositions actuelles de l’article L. 642-7 du Code de commerce en réputant non écrite toute clause d’un contrat de bail imposant au cessionnaire des dispositions solidaires avec le cédant.

4- La modification de certains seuils sociaux et fiscaux

Le seuil de 20 salariés, qui impose des obligations fiscales et sociales aux entreprises sera supprimé et générera pour elles une économie de près de 500 millions d’euros. Les entreprises de 20 à 50 salariés ne seront plus soumises à certaines cotisations, comme par exemple la participation à l’effort de construction via Action Logement.

En cas de franchissement, le texte assouplit les règles en vigueur, avec notamment l’instauration d’un délai de cinq ans avant de se voir appliquer les nouvelles obligations.

En d’autres termes, les entreprises devront avoir dépassé les seuils de 10, 50 ou 250 salariés pendant cinq années consécutives avant de devoir respecter les obligations sociales et financières associées à ces seuils.

Le texte veut en outre imposer aux entreprises de plus de 5.000 salariés dans le monde ou de plus de 1.000 en France de publier la rémunération du premier et du troisième quartile, les rémunérations médiane et moyenne, les ratios entre la médiane et la plus haute d’une part, et la plus basse d’autre part. Et l’évolution des écarts de salaires devra être justifiée chaque année

5- La création d’actions spécifiques

L’article 28 du projet prévoit d’apporter au Code de commerce trois séries de modifications tout à fait intéressantes :

  • La création d’actions de préférence à droit de vote multiple

Jusqu’à présent, l’article L. 228-11 du Code de commerce renvoyait aux articles L. 225-122 à L. 225-125, qui fondent le principe de proportionnalité des droits de vote (« une action-une voix »), est assorti de deux exceptions : le droit de vote double et le plafonnement des droits de vote. Ce faisant il était impossible, même avec des actions de présence, de créer des droits de vote multiple.

Il est proposé de supprimer ce renvoi au principe de proportionnalité, pour les seules sociétés non cotées émettant des actions de préférence.

  • L’extension de la possibilité de supprimer le droit préférentiel de souscription

Dans les sociétés par actions, le droit préférentiel de souscription (droit permettant à un actionnaire de souscrire de nouvelles actions lors d’une augmentation de capital de manière prioritaire) protège les actionnaires contre les effets dilutifs d’une opération capitalistique.

Ainsi, le droit européen (art. 72 de la directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017) prévoit-il que les Etats membres peuvent ne pas prévoir de droit préférentiel de souscription pour les actions « auxquelles est attaché un droit limité de participation aux distributions […] ou au partage du patrimoine social de liquidation ».

Jusqu’à présent, le troisième alinéa de l’article L. 228-11 du Code de commerce surtransposait ce texte en ajoutant la condition selon laquelle ces mêmes actions devaient en outre être dénuées de droit de vote. Cette précision réduisait nettement la possibilité de supprimer le droit préférentiel de souscription, puisque les investisseurs, même indifférents à l’évolution du capital, souhaitent le plus souvent conserver le droit de vote, au moins de façon contingente.

Le projet de loi PACTE propose donc de mettre fin à cette surtransposition.

  • La clarification du régime d’émission des valeurs mobilières en présence d’actions de préférence

L’article L. 228-98 du Code de commerce qui encadre l’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital (VMDAC), prévoit en son deuxième alinéa que la société émettrice ne peut, à dater de l’émission desdits titres, « ni modifier les règles de répartition de ses bénéfices, ni amortir son capital, ni créer d’actions de préférence entraînant une telle modification ou un tel amortissement […] ».

Un troisième alinéa prévoit à son tour que « Sous ces mêmes réserves, elle peut cependant créer des actions de préférence ».

Le projet de loi propose de supprimer ce troisième alinéa.

6- L’augmentation du nombre de salariés au sein des Conseils d’Administration

Dans le but de renforcer la représentation des salariés au sein des conseils d’administration, une société soumise à l’obligation de désigner des administrateurs salariés, conformément aux dispositions de l’article L. 225-27-1 du Code de commerce, devra compter deux administrateurs salariés dès lors que son conseil d’administration compte plus de 8 administrateurs non-salariés.

Ce seuil ne s’appliquera qu’aux sociétés de plus de 1 000 salariés en France ou 5 000 salariés en France et à l’étranger.

7- Le renforcement du contrôle de la procédure des conventions règlementées

La transposition de la directive 2017/828 du 17 mai 2017 modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires est prise en compte dans le cadre de ce projet de loi.

Bien que cet article concerne principalement les sociétés cotées, certaines mesures intéressant les conventions réglementées s’appliqueront aux sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions, qu’elles soient cotées ou non.

Il sera précisé que l’interdiction de participer à la décision du conseil d’administration ou de surveillance autorisant la convention porte à la fois sur les délibérations et sur le vote, et que l’interdiction de vote à l’assemblée concerne la personne qui est « directement ou indirectement »intéressée.

Dans les sociétés cotées, un nouvel article disposera que « des informations sur les conventions mentionnées à l’article L. 225-38 sont publiées sur le site internet de la société au plus tard au moment de la conclusion de la convention ». Les actionnaires auront en outre le droit d’obtenir communication de la liste des conventions portant sur des

Cela permettra ainsi d’informer les actionnaires des conventions conclues entre un des mandataires sociaux de la société anonyme ou de la société en commandite par actions concernée (ou un actionnaire conséquent) et une filiale. Ces conventions ne seront pas soumises à la procédure d’autorisation et de contrôle des conventions réglementées au niveau de la société mère.

Avec la modification proposée par le projet de loi, seront aussi concernées les conventions conclues entre les mandataires sociaux de la société anonyme ou de la société en commandite par actions, ainsi que toute société contrôlée au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce.

8- L’allègement des obligations comptables liées à la désignation des commissaires aux comptes

La rédaction des articles L. 225-218 et L. 226-6 du Code de commerce concernant la nomination des commissaires aux comptes, respectivement dans les sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions, serait modifiée.

Seules seraient dans l’obligation de désigner un ou plusieurs commissaires aux comptes les SA et SCA franchissant, à la clôture de l’exercice, deux des trois seuils basés sur le total du bilan, le chiffre d’affaires net et le nombre moyen de salariés, définis ultérieurement par décret. Il est d’ailleurs prévu une harmonisation des seuils applicables avec le niveau des seuils européens (4 millions d’euros de bilan, 8 millions d’euros de chiffre d’affaires et 50 salariés).

Afin d’éviter qu’un groupe de sociétés n’échappe à toute obligation de certification des comptes (étant composé de différentes structures de plus petite taille), l’article 9 introduit également une obligation de désignation d’un commissaire aux comptes pour les sociétés contrôlant d’autres sociétés, « dès lors que l’ensemble formé par la société mère et ses filiales excède les seuils de désignation, indépendamment de l’obligation d’établir des comptes consolidés ».

À noter que la règle spécifique aux SAS, imposant la désignation d’un commissaire aux comptes lorsque la société est liée à une autre par un lien de contrôle, est supprimée.

Les dispositions de l’article 9 entreraient en vigueur à compter du premier exercice ouvert postérieurement à la publication du décret attendu, et au plus tard le 1er janvier 2019.

9- La simplification des formalités

Le projet de loi comporte des mesures ayant pour objectif de simplifier la vie des entreprises et favoriser leur développement :

  • La création d’un guichet unique électronique pour l’accomplissement des formalités liées à la création et à la vie des entreprises (art. 1er).

Ainsi, à l’exception des procédures et formalités nécessaires à l’accès aux activités réglementées et à l’exercice de celles-ci, les entreprises auront l’obligation de déposer par voie électronique auprès d’un organisme unique un dossier comportant l’ensemble des déclarations qu’elles seraient tenues d’effectuer en vue de leur création, la modification de leur situation ou la cessation de leurs activités. Il s’agit ainsi de substituer un guichet unique électronique aux sept réseaux de centres de formalités des entreprises (CFE) existants, ce qui engendrerait des réductions de coûts ainsi qu’un meilleur traitement des dossiers via cette procédure unique. L’article dispose que ce dispositif entrerait en vigueur le 1er janvier 2021.

  • La possibilité pour le gouvernement de créer par voie d’ordonnance un registre dématérialisé des entreprises afin de centraliser les informations légales les concernant. Cette mesure viendrait simplifier les formalités des entreprises. Il est à noter que le répertoire SIRENE de l’INSEE ne serait pas concerné.
  • La modification du dispositif d’inscription des journaux habilités à publier des annonces judiciaires ou légales (AJL). Y aurait désormais accès, non plus seulement la presse imprimée, mais également les services de presse en ligne au sens de l’article 1er de la loi 86-897 du 1er août 1986. Toutefois, les publications habilitées ne pourront pas consacrer plus de 50 % de leur contenu à la publicité aux annonces (art. 3).
  • Rendre facultatif le stage actuellement obligatoire de préparation à l’installation (SPI) pour le futur chef d’entreprise artisanal (perte de temps et coût potentiellement rédhibitoire).
  • En cas de fin d’activité de la société, les démarches seront simplifiées : la radiation des fichiers administratifs sera automatique après un délai de deux ans d’inactivité.
  • Dans un souci d’alléger les formalités des micro-entreprises, celles ayant un CA inférieur à 5.000 euros seront dispensées d’un compte bancaire dédié à l’activité professionnelle.

La volonté du gouvernement de doper l’économie à travers ces différentes mesures est clairement marquée dans ce projet de loi.

Selon de Gouvernement, la loi Pacte pourrait doper le PIB français de 0,3 point d’ici à 2025.

Toutefois, de vives critiques sont d’ores et déjà émises et le nombre important d’amendements qui ont été déposés risque de modifier encore substantiellement ce projet de loi qui sera de nouveau examiné par le Sénat vraisemblablement en janvier 2019. L’adoption définitive ne devrait pas avoir lieu avant le printemps prochain.

Pourtant, certaines dispositions devraient entrer en vigueur dès le 1er janvier 2019 ; en effet elles ont été transférées dans le projet de loi de finances 2019, texte qui doit être adopté avant la fin de l’année.

My-Kim YANG-PAYA, Avocate Associée et Hakim ZIANE, Avocat senior référent.

Obligation de respecter strictement les termes du protocole d’accord préélectoral

Dans un arrêt en date du 3 octobre 2018, la Cour de cassation a répondu à la question suivante : L’employeur peut-il décider unilatéralement de ne pas appliquer un protocole d’accord préélectoral et de faire évoluer une règle de manière plus favorable ?

Au cas particulier, un protocole d’accord préélectoral avait été conclu au sein d’une UES en 2011 pour la mise en place de deux comités centraux d’entreprise (CCE). Ledit accord prévoyait, dans le cas d’une démission d’un membre titulaire du CCE, son remplacement par un suppléant. En 2015, un membre du CCE en qualité de membre d’un comité d’établissement, démissionne.

Au lieu d’appliquer le protocole et de désigner un suppléant en remplacement de l’élu démissionnaire, le représentant de l’employeur au sein de l’établissement en cause décide de procéder à l’élection d’un nouveau membre au sein du comité d’établissement concerné en contradiction avec le protocole. La direction de l’UES initie une action contentieuse aux fins d’annulation de cette élection.

La Cour d’appel de Bordeaux rejette cette demande en relevant que le choix du représentant de l’entreprise de recourir au processus électoral ne pouvait pas en l’absence d’opposition des organisations syndicales, entraîner l’annulation des élections dans la mesure où ce mode de remplacement des élus était plus démocratique et donc plus favorable.

La Cour de cassation censure cette solution au motif que dès lors que le protocole d’accord préélectoral n’avait pas été modifié par avenant aux conditions de double majorité, il devait être respecté, nonobstant le caractère plus démocratique d’une élection par rapport à une désignation.

Dans ces conditions, l’élection du nouveau membre du CCE devait être annulée.

Sur ce point, il est rappelé que la validité du protocole d’accord préélectoral est subordonnée à une condition de double majorité (art. L. 2324-4-1 du Code du travail).

Ainsi, des modifications peuvent être apportées à ce protocole par un avenant négocié entre l’employeur et les organisations syndicales intéressées selon cette même condition de validité (Cass., Soc., 26 oct. 2011, n° 10-27.134).

Dès lors, la Cour de cassation qui applique cette jurisprudence à un protocole d’accord signé au sein d’une UES pour la mise en place du CCE, affirme que seule une modification du protocole d’accord dans les conditions susvisées aurait pu autoriser l’employeur à recourir à un autre mode de remplacement du représentant du personnel démissionnaire.

 

Le contenu du dossier de demande environnementale précisé

Le décret n° 2018-797 du 18 septembre 2018 a clarifié le contenu des dossiers de demande environnementale IOTA et ICPE.

S’agissant des IOTA, une simplification a été opérée par la suppression, de la liste des pièces requises au stade de la demande d’autorisation, du document permettant au pétitionnaire de justifier qu’il aura, avant la mise à l’enquête publique, la libre disposition des terrains ne dépendant pas du domaine public.

S’agissant des ICPE, la justification des capacités techniques et financières a été modifiée. Plus précisément, l’obligation pour l’exploitant d’adresser au préfet les éléments justifiant la constitution effective des capacités financières au plus tard à la mise en service de l’installation lorsque ces capacités n’ont pas été constituée au dépôt de la demande a été supprimée. Désormais, dans cette situation, le pétitionnaire devra présenter, dans son dossier de demande les modalités prévues pour les établir au plus tard à la mise en service de l’installation.

En ce qui concerne plus précisément les installations éoliennes, le décret précise que le dossier devra comprendre un document établi par le pétitionnaire justifiant que le projet est conforme, selon le cas, au règlement national d’urbanisme, au plan local d’urbanisme ou au document en tenant lieu ou à la carte communale en vigueur au moment de l’instruction. Une exception est prévue lorsqu’une procédure de modification ou de révision du document d’urbanisme est en cours. Dans ce cas, la délibération ou l’acte formalisant la procédure d’évolution du document doit être joint.

Enfin, le décret insère un article relatif aux « dossiers d’enregistrement intégré ». Ainsi, lorsque le projet comprend une ICPE soumise à enregistrement, le dossier de demande comporte un document justifiant du respect des prescriptions qui lui sont applicables. Ce document présente notamment les mesures retenues et les performances attendues par le demandeur pour garantir le respect de ces prescriptions.

Précisions jurisprudentielles sur les dispositions relatives à l’autorisation environnementale

Le Conseil d’Etat a, dans un avis en date du 26 juillet 2018 sollicité par le Tribunal administratif de Lille, apporté de nouvelles précisions sur l’autorisation environnementale.

  1. Il s’est ainsi d’abord prononcé sur les modalités d’application dans le temps des dispositions de l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale.

En effet, l’article 15 de cette ordonnance comporte une ambiguïté dans la mesure où, s’il indique que ces dernières entraient en vigueur le 1er mars 2017, il précise que les autorisations IOTA et ICPE ainsi que les autorisations uniques délivrées antérieurement à cette date « sont considérées comme des autorisations environnementales », et que les dispositions relatives à ces autorisations leur sont applicables, « notamment » lorsqu’elles sont contestées.

Le Conseil d’Etat a néanmoins considéré que les dispositions de l’ordonnance du 26 janvier 2017 n’ont « ni eu pour objet ni pour effet » de modifier rétroactivement les règles de procédure de délivrance des autorisations uniques, en cause dans l’affaire soumise au Tribunal administratif de Lille.

De sorte qu’il revient au juge d’apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation (en revanche, s’agissant d’un recours de plein contentieux, les règles de fond applicables sont celles en vigueur à la date à laquelle le juge se prononce).

Le Conseil d’Etat a, en revanche, précisé que, lorsque le juge administratif estime qu’une autorisation unique a été délivrée en méconnaissance des règles de procédure applicables à la date de sa délivrance, et si aucune régularisation n’est intervenue à la date à laquelle celui-ci statue, les dispositions de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement, créé par l’ordonnance du 26 janvier 2017, sont applicables. En application de cet article, le juge peut surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai qu’il fixe afin de permettre à l’administration de régulariser l’illégalité par une autorisation modificative.

Cette solution s’appliquera logiquement aux autorisations IOTA et ICPE.

  1. Le Conseil d’Etat s’est ensuite prononcé sur l’office du juge administratif saisi d’un recours dirigé contre une autorisation unique valant également permis de construire des éoliennes terrestres, prise antérieurement à l’entrée en vigueur des dispositions sur l’autorisation environnementale, mais statuant postérieurement à celle-ci.

En effet, depuis l’entrée en vigueur de l’autorisation environnementale, la délivrance d’un permis de construire n’est plus requise pour les projets d’installation d’éoliennes terrestres (article R. 425-29-2 du Code de l’environnement). De sorte que, si dans l’état antérieur du droit, l’autorisation unique valait également permis de construire, l’autorisation environnementale ne comprend pas de volet « permis de construire », dès lors que ce dernier n’est désormais plus requis. Dans ces conditions, la question était de savoir si les moyens soulevés à l’encontre d’une autorisation unique, en tant qu’elle vaut permis de construire, étaient devenus inopérants postérieurement au 1er mars 2017, et ce dans la mesure où, en application de l’article 15 de l’ordonnance du 26 janvier 2017, les autorisations uniques « sont considérées comme des autorisations environnementales ».

La Haute juridiction a jugé que « l’autorisation unique, alors même qu’elle doit être regardée comme une autorisation environnementale depuis le 1er mars 2017, continue également de produire ses effets en tant qu’elle vaut permis de construire ».

Dans ces conditions, le juge, saisi de moyens dirigés contre l’autorisation unique en tant qu’elle vaut permis de construire, statue comme juge de l’excès de pouvoir sur cette partie de l’autorisation. La suppression de l’exigence de délivrance d’un permis de construire pour les projets d’installation d’éoliennes terrestres est sans influence sur la légalité des autorisations uniques délivrées antérieurement à son entrée en vigueur.

  1. Le Conseil d’Etat s’est enfin prononcé sur les modalités du contrôle – juridictionnel et administratif – des capacités techniques et financières du pétitionnaire dans le cadre d’une demande d’autorisation environnementale.

Plus précisément, depuis la réforme de l’autorisation environnementale, le pétitionnaire peut justifier de la suffisance de ses capacités financières jusqu’à la mise en service à condition d’en exposer les modalités prévues de constitution au sein de son dossier de demande (articles L. 181-27 et D. 181-15-2 du Code de l’environnement). De sorte que la question était de savoir quelles devaient être les modalités du contrôle des capacités financières dans le cadre du nouveau régime.

Le Conseil d’Etat distingue deux hypothèses :

  • Si le juge se prononce avant la mise en service de l’installation, il lui appartient seulement de vérifier la pertinence des modalités de constitution des capacités ;
  • En revanche, si le juge se prononce après la mise en service, il lui revient de vérifier la réalité et le caractère suffisant des capacités financières et techniques du pétitionnaire.

La Haute juridiction a encore précisé que le préfet dispose de la possibilité de s’assurer tout au long de la vie de l’installation de la suffisance des capacités financières de l’exploitant, en prescrivant, sur le fondement de l’article R. 181-45 du Code de l’environnement, « la fourniture de précisions ou la mise à jour » de ces informations.

Enfin, si le préfet ne fait pas application de cette possibilité, alors les tiers peuvent le saisir à cette fin, en formant la réclamation préalable prévue par l’article R. 181-52 du Code de l’environnement. Si le préfet ne s’exécute pas, les tiers peuvent contester ce refus devant le juge.

Prestations annexes liées aux données de comptage : validation des tarifs par le Conseil d’Etat

En 2016, la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) a défini les tarifs des prestations annexes aux missions de service public confiées aux gestionnaires de réseaux réalisées exclusivement par les gestionnaires de réseaux s’agissant des données de comptage.

Ainsi, dans le cadre de la délibération du 16 novembre 2016 portant décision sur la tarification des prestations réalisées à titre exclusif par les gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité, la CRE avait fixé le contenu des tarifs de deux prestations relatives à l’accès aux données de comptage et à la transmission de courbes de mesure au pas de 10 minutes.

La première de ces prestations qui permet aux consommateurs équipés de compteurs évolués ou à des tiers autorisés de consulter leurs données brutes de comptage sur un portail mis à leur disposition par le gestionnaire de réseau de distribution et/ou de recevoir des historiques de données est gratuite. En revanche, la seconde qui consiste en un relevé et une transmission récurrente, mensuelle, hebdomadaire ou quotidienne, à l’utilisateur ou à un tiers autorisé de la courbe de mesure au pas de 10 mn avec correction éventuelle et validation de cette courbe est pour partie gratuite (transmission mensuelle et hebdomadaire) et pour partie payante transmission quotidienne). Elle est facturée 5 euros par mois.

La société EVELER, qui propose à ses clients des services de télé-relève et de traitement des informations générées par les compteurs évolués, avait alors attaqué cette décision devant le Conseil d’Etat, estimant que la délibération en cause portait atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie

Statuant sur ce recours, le Conseil d’Etat a validé la décision en considérant que la fixation de ces tarifs ne méconnaissait pas la liberté d’entreprendre et la liberté d’entreprise dès lors que les données en cause sont des « données brutes de comptage que seuls les gestionnaires de réseau sont en mesure de recueillir directement à partir de ces compteurs. Les prestations litigieuses, qui découlent des évolutions technologiques affectant les appareils de comptage, ne sont, ainsi, pas susceptibles d’être proposées par des entreprises n’ayant pas la qualité de gestionnaires de réseau ».

Par ailleurs, à l’appui de son recours, elle avait sollicité le renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité : à savoir celle de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution (en l’espèce la liberté d’entreprendre) de l’article L. 341-3 du Code de l’énergie qui fixe la compétence de la CRE en matière de tarification (Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité -TURPE- et prestations annexes). Dans une décision rendue le 28 juillet 2017 (n° 411454), le Conseil d’Etat avait estimé qu’il n’y avait pas lieu à renvoi au motif que la question soulevée, n’est pas nouvelle et ne présente pas un caractère sérieux.

On signalera enfin que cette décision s’inscrit dans le prolongement de la décision du Conseil d’Etat du 26 avril 2018, Sté Le Caloch Consultant, n° 404611) dans le cadre de laquelle il avait d’ores et déjà examiné la légalité d’une partie de la délibération du 16 novembre 2016, s’agissant de la prestation annexe intitulée « pré-étude de raccordement ou reprise d’étude » déclarée illégale (cf. LAJEE n° 40 – Juin 2018).

Retour sur les droits fondés en titre : précision sur leur existence et sa consistance légale

Nous avions déjà appréhendé la question des droits fondés en titre dans le cadre de la Lettre d’Actualités Juridiques Energie & Environnement du 9 novembre 2017.

Deux arrêts rendus le 25 septembre 2018 par la Cour administrative d’appel de Bordeaux sont pour nous l’occasion de préciser les conditions tenant à l’existence de ces droits et aux prérogatives qui leur sont attachées.

Pour rappel, les droits fondés en titre portent sur les cours d’eaux non domaniaux. Il s’agit plus précisément des droits d’eau attachés à des moulins qui ont été délivrés sous le régime féodal par la Couronne, soit avant la Révolution française et que la nuit du 4 août 1789 n’a pas abolis. Ces droits d’usage de l’eau particuliers sont exonérés des procédures d’autorisation ou de renouvellement prévus par le Code de l’énergie.  

Dans le cadre de la première affaire, la société Centrale des Vignes et la société Hydro les Vignes, respectivement, propriétaire et exploitante d’une centrale hydro-électrique installée sur une dérivation en rive droite du Gave de Pau, ont demandé au préfet des Pyrénées-Atlantiques de reconnaître le droit fondé dans la limite d’une consistance légale de 5 552 kW. Par jugement du 12 mai 2015, le Tribunal administratif de Pau, estimant que l’administration ne pouvait dénier à ces installations l’existence d’un droit fondé en titre, a annulé l’arrêté préfectoral du 11 septembre 2013 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a refusé de reconnaître l’existence d’un droit d’eau fondé en titre attaché à la centrale hydro-électrique. Le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

La cour administrative d’appel de Bordeaux, tenue de se prononcer sur l’existence d’un droit fondé en titre concernant la centrale hydro-électrique en cause, a rappelé le fondement de ce droit en jugeant que «  Sont notamment regardées comme fondées en titre ou ayant une existence légale, les prises d’eau sur des cours d’eaux domaniaux qui proviennent d’une vente de biens nationaux ou qui sont établies en vertu de droits acquis avant l’Edit de Moulins de 1566 ou, s’agissant des cours d’eaux situés dans le Béarn, avant 1620, année de rattachement de cette province à la France. Une prise d’eau est présumée établie en vertu d’un acte antérieur à ce rattachement dès lors qu’est prouvée son existence matérielle avant cette date ».

En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Bordeaux relève que la centrale hydro-électrique avait été construite en 1974 après l’acquisition d’une usine et de ses droits, centrale qui avait elle-même était construite sur le fondement de l’acquisition du groupe d’installations de Mirepeix bénéficiant d’une prise d’eau sur la rive droite du Gave de Pau.

Or, la cour administrative d’appel de Bordeaux constate que « les droits d’eau du groupe d’installations de Mirepeix figurent, en tout état de cause, dans un acte de dénombrement enregistré au Château de Pau le 30 janvier 1538 avant le rattachement en 1620 de la province du Béarn à la France et que ceux du moulin de Nay, auquel se sont raccordées en 1828 les installations de Mirepeix ont fait l’objet d’une vente de biens nationaux le 22 messidor an IV ».

Elle juge donc que la centrale hydro-électrique avait bien hérité des droits fondés en titre attaché au groupe d’installations de Mirepeix et cela, nonobstant le fait que « la centrale hydro-électrique des Vignes soit installée sur un emplacement différent de celui des usines dont elle a hérité les droits » au motif que cette circonstance « est sans influence sur l’existence d’un droit fondé en titre dès lors que ce droit consiste en un droit d’usage de la force motrice de l’eau et qu’il est lié non aux ouvrages destinés à l’utilisation effective de la force motrice du cours d’eau mais à l’existence d’une prise d’eau et aux ouvrages essentiels destinés à utiliser la pente et le volume de ce cours d’eau ».

Dans la seconde affaire, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a eu à trancher la question des prérogatives attachées aux droits fondés en titre.

Par un arrêté du 11 septembre 2013, le préfet des Pyrénées-Atlantiques avait reconnu le caractère fondé en titre du droit d’eau attaché à la centrale hydro-électrique exploitée par la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay. Toutefois, l’arrêté avait fixé à 5 m3 par seconde le débit à retenir pour fixer la consistance légale du droit fondé. L’arrêté imposait en conséquence à la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay de déposer, au titre du code de l’environnement, un dossier en vue de régulariser l’installation dans la mesure où sa consistance actuelle excédait sa consistance légale.

Par jugement du 12 mai 2015, le Tribunal administratif de Pau, estimant que la consistance légale de l’usine devait être fixée en considération d’un débit de 26,95 m3 par seconde, a annulé l’arrêté préfectoral du 11 septembre 2013. Le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a interjeté appel de ce jugement. La société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay demandait quant à elle, à l’occasion de cet appel, que la cour la déclare co-titulaire, avec les deux autres usines installées sur la même dérivation, d’un droit fondé en titre dans la limite d’une consistance légale de 5 552 kW correspondant à l’utilisation d’un débit maximal dérivé de 26,95 m3 par seconde sous une chute de 21 mètres.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux commence par rappeler la consistance d’un droit fondé en titre en jugeant qu’un « droit fondé en titre conserve la consistance qui était la sienne à l’origine. Dans le cas où des modifications de l’ouvrage auquel ce droit est attaché ont pour effet d’accroître la force motrice théoriquement disponible, appréciée au regard de la hauteur de la chute d’eau et du débit du cours d’eau ou du canal d’amenée, ces transformations n’ont pas pour conséquence de faire disparaître le droit fondé en titre, mais de soumettre l’installation au droit commun de l’autorisation ou de la concession pour la partie de la force motrice supérieure à la puissance fondée en titre ».

La Cour administrative d’appel de Bordeaux indique ensuite comment procéder au calcul de la consistance de ce droit en statuant qu’à « défaut de preuve contraire, la consistance légale d’origine d’un droit d’eau est présumée conforme à sa consistance actuelle qui correspond, non à la force motrice utile que l’exploitant retire de son installation, compte tenu de l’efficacité plus ou moins grande de l’usine hydro-électrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ».

En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Bordeaux constate, d’une part que « le rapport d’expertise de 1890 [invoqué par l’administration pour fixer la consistance du droit fondé], fait état d’un débit de 5 ou 7 m3 par seconde, [mais qu’] il s’agit non du débit maximum théorique de la dérivation à l’entrée du vannage, mais d’un débit usuel régulé » et, d’autre part, que le rapport dont se prévaut la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay fait état d’un débit de 26,95 m3 par seconde résulte d’un calcul hypothétique, au cas où les vannages et canaux seraient curés et où une usine installée en aval en 1843 serait détruite.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux juge que ces rapports ne sauraient constituer des preuves suffisantes permettant d’établir la consistance légale d’origine de ce droit fondé. Et elle juge que la consistance du droit d’eau fondé en titre dont est titulaire la société Centrale hydro-électrique de Mirepeix Nay doit donc être présumée comme conforme à sa consistance actuelle, soit 2 884 kW compte tenu d’un débit maximum de la dérivation de 14 m3 par seconde et d’une hauteur de chute de 21 mètres

Le contentieux des droits fondés en titre étant un contentieux de pleine juridiction, la Cour administrative d’appel de Bordeaux annule le jugement attaqué, fixe la consistance du droit fondé en titre à 2 884 kW et rejette le surplus des conclusions de la société intimée tendant à ce que la consistance de ce droit soit fixé à 5 552 kW.