le 08/11/2018

Le point sur le régime juridique de l’autoconsommation d’électricité

L’autoconsommation (souvent associée ou confondue avec l’autoproduction) se place progressivement comme une solution permettant à la fois de promouvoir les énergies renouvelables mais aussi de préparer les acteurs à la décentralisation du système électrique français.

Elle implique chaque acteur du système électrique à des degrés divers.

Perspective nouvelle pour les consommateurs, celle de l’autosuffisance électrique, l’autoconsommation est également un nouveau débouché pour les producteurs d’électricité. Pour les propriétaires et gestionnaires des réseaux publics d’électricité, elle constitue un défi financier et technique, alors que les pouvoirs publics en ont fait une de leurs priorités en matière de politique énergétique nationale et locale.

Si seulement 20.000 autoconsommateurs ont été compatibilisés à la fin de l’année 2017, leur développement à plus grande échelle n’est sans nul doute qu’à ses débuts.

Avant d’entrevoir le régime juridique qui s’applique à l’autoconsommation ainsi que ses perspectives d’évolution, revenons tout d’abord sur les conditions qui ont permis son essor en France.

  • Les deux initiatives en faveur du développement de l’autoconsommation

C’est le Législateur a qui donné la première impulsion par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Par cette loi, le Gouvernement s’est vu autoriser à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin « de mettre en place les mesures nécessaires à un développement maîtrisé et sécurisé des installations destinées à consommer tout ou partie de leur production électrique, comportant notamment la définition du régime de l’autoproduction et de l’autoconsommation, les conditions d’assujettissement de ces installations au tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité et le recours à des expérimentations » (cf. article 119 la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 précitée).

Sur ce fondement, le cadre juridique de l’autoconsommation a été instauré par l’ordonnance n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation, dont les dispositions sont codifiées aux articles L. 315-1 et suivants du Code de l’énergie.

Cette ordonnance a ensuite été ratifiée en 2017[1] et ses modalités d’applications ont été précisées la même année par un décret n° 2017-676 du 28 avril 2017[2], dont les dispositions sont codifiées aux articles R. 315-1 et suivants du Code de l’énergie.

Concomitamment, l’ordonnance n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables a également remis à plat les dispositifs existants de soutien à la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables.

Désormais, un producteur d’électricité est, d’une part, autorisé à consommer sa propre production d’électricité (la plupart du temps d’origine renouvelable pour le domestique), et d’autre part, à bénéficier d’un tarif lié à une obligation d’achat ou d’une prime de rémunération pour la part d’électricité qu’il ne souhaite pas consommer lui-même.

La deuxième impulsion en faveur de l’autoconsommation résulte des appels d’offres expérimentaux de l’Etat portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables en autoconsommation.

Ils visent à atteindre les objectifs de la France en matière de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables tels qu’inscrits dans la programmation pluriannuelle des investissements (PPI).

L’arrêté du 24 avril 2016 relatif aux objectifs de développement des énergies renouvelables a fixé la date de lancement au 31 décembre 2016, ainsi que le calendrier indicatif, des appels d’offres qui portent sur un volume total de 150 MW annuel sur 3 ans avec 9 périodes de candidature.

La première période a été attribuée à 145 projets le 11 décembre 2017[3]. Depuis lors, les deuxième, troisième et quatrième périodes ont été attribuées en janvier, mai et septembre 2018. La cinquième période de l’appel d’offres est encore ouverte jusqu’au 21 janvier 2019[4].

  • La distinction entre autoconsommation individuelle et collective

D’une part, l’autoconsommation « individuelle » consiste à ce qu’un producteur (ou autoproducteur) consomme « lui-même et sur un même site tout ou partie de l’électricité produite par son installation », que cette électricité soit consommée « instantanément » ou « après une période de stockage », en vertu de l’article L. 315-1 du Code de l’énergie.

D’autre part, l’autoconsommation « collective » concerne un ou plusieurs producteurs et consommateurs liés, aux fins de produire et de consommer de l’électricité entre eux, par la création d’une personne morale commune, responsable de l’opération.

Point de rigidité pour l’autoconsommation collective, les points de soutirage (pour les consommateurs) et d’injection (pour les producteurs) doivent obligatoirement être « situés en aval d’un même poste public de transformation d’électricité de moyenne en basse tension » (appelé aussi « poche de réseau ») en vertu de l’article L. 315-2 du Code de l’énergie.

On verra d’ailleurs que le régime de l’autoconsommation collective est plus contraignant, comme en témoigne les obligations selon lesquelles la quantité d’électricité autoconsommée ne doit pas excéder celle produite, et l’électricité produite doit être affectée selon la consommation mesurée de chacun des consommateurs participants (cf. article D. 315-4 du Code de l’énergie).

Pour autant, quelle que soit la situation, le régime juridique de l’autoconsommation s’écarte des régimes applicables aux « réseaux fermés de distribution d’électricité » (cf. notre brève de janvier 2017) ou aux « réseaux intérieurs des bâtiments » (cf. nos brèves de janvier et juin 2018).

En effet, il ressort des particularités de son régime juridique qu’une opération d’autoconsommation doit nécessairement être raccordée aux réseaux publics de distribution d’électricité.

  • L’articulation entre autoconsommation et réseaux publics de distribution d’électricité

S’agissant des participants à une opération d’autoconsommation, ceux-ci doivent s’adresser au gestionnaire du réseau de distribution d’électricité (GRD) compétent préalablement à la mise en service de l’opération (cf. article L. 315-7 du Code de l’énergie).

Ils sont également assujettis à certaines obligations à l’égard du GRD. 

En cours d’exploitation, le ou les participant(s) à une opération d’autoconsommation ont l’obligation de céder le surplus d’électricité produite à titre gratuit au GRD[5], lorsque ce surplus n’est pas vendu à des tiers via une obligation d’achat ou dans le cadre d’un complément de rémunération ou encore sur le marché (cf. article L. 315-5 du Code de l’énergie).

Enfin, pour les opérations d’autoconsommation collective, le responsable de l’opération doit indiquer au GRD de quelle manière la production autoconsommée est répartie entre les consommateurs impliqués, par un coefficient de répartition ou une méthode de calcul (cf. articles L. 315-4 et D. 315-6 du Code de l’énergie).

S’agissant du GRD, celui-ci doit lui-aussi respecter des obligations particulières à l’égard des autoproducteurs, notamment en situation d’autoconsommation collective.

Le GRD a aussi pour obligation de mettre en œuvre les dispositifs nécessaires pour le bon fonctionnement de l’autoconsommation suivants :

  • les dispositifs de comptage électrique pour l’autoconsommation collective (cf. article D. 315-3 du Code de l’énergie) ;
  • les formulaires pour les déclarations d’autoconsommation individuelle et collective (cf. article D. 315-11 du Code de l’énergie) ;
  • les modalités de traitement des demandes d’autoconsommation collective (cf. article D. 315-8 du Code de l’énergie) ;
  • le calcul de la quantité d’électricité consommée auprès d’un fournisseur pour compléter l’alimentation électrique d’un consommateur en situation d’autoconsommation collective (cf. articles L. 315-4 et D. 315-7 du Code de l’énergie).

Enfin, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) participe également à l’articulation entre l’autoconsommation et réseaux publics de distribution d’électricité.

La CRE doit ainsi fixer le tarif particulier qui s’applique aux participants à une opération d’autoconsommation collective pour leur utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité (cf. article L. 315-3 du Code de l’énergie).

Ce tarif s’applique aux « installations de productions d‘électricité », dont la puissance est inférieure à 100 kW, entendue comme « l’ensemble des installations appartenant à un même producteur participant à l’opération d’autoconsommation collective » (cf. article D. 315-2 du Code de l’énergie).

Concrètement, la CRE a donc intégré l’autoconsommation, en distinguant le traitement de l’autoconsommation collective et individuelle, au sein des tarifs existants d’utilisation des réseaux publics d’électricité dans les domaines de tension HTA et BT (« TURPE HTA BT »).

C’est le cas depuis le « TURPE 4 », qui fût applicable du 1er janvier 2014 à fin janvier 2017, de même que sur la période tarifaire en cours du « TURPE 5 », dont la prise en compte de l’autoconsommation a été modifiée récemment par une délibération du 7 juin 2018 et entrée en vigueur depuis le 1er août dernier[6].

  • L’articulation entre autoconsommation et tarifs réglementés de vente d’électricité

La CRE a proposé d’adapter les modalités de fixation des tarifs réglementés de vente d’électricité[7] afin que le TURPE associé aux soutirages autoproduits soit facturé aux participants à une opération d’autoconsommation collective.

En d’autres termes, la proposition visait à résoudre le cas où, un participant à une opération d’autoconsommation collective ayant souscrit une offre de fourniture d’électricité pour compléter son alimentation en électricité, le fournisseur d’électricité ne peut facturer à ce client que l’électricité qu’il lui a fournie et non la part autoproduite de sa consommation.

Cette proposition de la CRE a été suivie par le Ministre de la transition écologique et solidaire et le Ministre de l’économie et des finances dans leurs deux décisions conjointes du 27 juillet 2018 relatives aux tarifs réglementés de vente[8].

Désormais, les différents tarifs réglementés de vente entrés en vigueur depuis le 1er août 2018 intègrent une majoration de l’abonnement pour les consommateurs participant à une opération d’autoconsommation individuelle avec injection, ainsi qu’un prix pour les flux autoproduits des consommateurs participant à une opération d’autoconsommation.

  • Perspectives d’évolution du régime juridique de l’autoconsommation

L’autoconsommation collective devrait prochainement couvrir un champ d’application plus large afin d’intéresser davantage de producteurs et de consommateurs d’électricité.

Il est indéniable que l’autoconsommation collective peut intéresser un plus grand nombre de consommateurs que l’autoconsommation individuelle, notamment dans les secteurs industriels, agricoles ou encore tertiaires (comme les centres commerciaux), et en particulier en cas d’opérations d’urbanisme de grande envergure.

C’est pourquoi un élargissement de son champ d’application est déjà envisagé dans le cadre d’un amendement au projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (dit projet de loi « PACTE ») actuellement en cours de discussion au Parlement.

Cet amendement, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, prévoit de mettre fin à la limite du périmètre d’une même opération d’autoconsommation collective au seul poste de distribution publique auquel il est raccordé, par un critère de proximité géographique défini par arrêté du ministre chargé de l’énergie, après avis de la CRE, et cela à titre expérimental pendant une période de cinq ans.

Cette suppression a également été préconisée par la CRE[9].

Le cadre juridique de l’autoconsommation reste également à parfaire.

Comme le suggère la CRE dans sa délibération n° 2018-027 du 15 février 2018 portant orientations et recommandations sur l’autoconsommation[10], plusieurs points méritent encore d’être précisés.

Il en va ainsi des conditions de raccordement, des modalités de déclaration, des compteurs communicants d’électricité chez les autoproducteurs, du nombre de contrats à conclure en autoconsommation individuelle, ou encore des règles de répartition de la production en autoconsommation collective.

Ce sont ces différents éléments de perspective qui, d’un point de vue juridique, sont envisagés à ce jour pour que l’évolution du droit puisse contribuer encore davantage au développement de l’autoconsommation, source importante de développement des énergies renouvelables.

Maxime GARDELLIN, Avocat à la cour et Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE, Avocat Associé

 

[1] Cf. Loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables

[2] Cf. Décret n° 2017-676 du 28 avril 2017 relatif à l’autoconsommation d’électricité et modifiant les articles D. 314-15 et D. 314-23 à D. 314-25 du Code de l’énergie

[3] Communiqué de presse du ministère de la transition écologique et solidaire « Dans le cadre du Sommet sur le Climat « One Planet Summit », Nicolas Hulot accélère le développement de l’énergie solaire et de l’autoconsommation », 11 décembre 2017.

[4] Cf. site de la CRE : https://www.cre.fr/Documents/Appels-d-offres/Appel-d-offres-portant-sur-la-realisation-et-l-exploitation-d-Installations-de-production-d-electricite-a-partir-d-energies-renouvelables-en-auto.

[5] Pour les seules installations de production d’électricité dont la puissance installée maximale est de 3 kilowatts en vertu des articles L. 315-5 et D. 315-10 du Code de l’énergie.

[6] Cf. délibération de la CRE du 7 juin 2018 portant décision sur la tarification de l’autoconsommation, et modification de la délibération de la CRE du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité dans les domaines de tension HTA et BT, faisant suite à la consultation publique n°2018-003 lancée le 15 février 2018 relative à la prise en compte de l’autoconsommation dans la structure du TURPE HTA-BT et des tarifs réglementés de vente.

[7] Cf. Consultation publique n°2018-003 lancée le 15 février 2018 relative à la prise en compte de l’autoconsommation dans la structure du TURPE HTA-BT et des tarifs réglementés de vente.

[8] Cf. Décision du 27 juillet 2018 relative aux tarifs règlementés de vente de l’électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale et décision du 27 juillet 2018 relative aux tarifs réglementés de vente de l’électricité applicables aux consommateurs résidentiels en France métropolitaine continentale.

[9] Cf. Délibération n° 2018-027 du 15 février 2018 portant orientations et recommandations sur l’autoconsommation.

[10] Faisant suite à une conférence organisée en septembre 2017, à de plusieurs ateliers jusqu’à la mi-octobre 2017 et d’appels à contributions sur un site internet dédié (cf. notre brève sur le sujet du 9 novembre 2017).