Avis favorable de la CRE sur les nouvelles modalités de mise à disposition des personnes publiques et de transmission des données énergétiques

Les 13 août et 3 octobre 2019, la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après « CRE ») a été saisie par le Ministère de la Transition écologique et solidaire pour avis sur un projet de décret et un projet d’arrêté portant sur la mise à disposition et la transmission aux personnes publiques des données relatives au transport, à la distribution et à la production d’électricité, de gaz naturel et de biométhane, de produits pétroliers et de chaleur et de froid.

Pour rappel, l’article 179 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 (codifié à l’article L. 111-73 du Code de l’énergie) a ouvert aux personnes publiques un accès aux données de consommation d’énergies détenues par les gestionnaires de réseaux sous réserve que cet accès préserve la confidentialité de données qualifiées de « sensibles ».

Les modalités de cet accès ont été précisées par les décrets n°2016-973 et n° 2016-972 du 18 juillet 2016 (codifiés aux articles D. 111-52 et suivants du Code de l’énergie) et un arrêté du même jour.

Les projets de textes soumis à l’avis de la CRE modifient respectivement le décret n° 2016-973 et l’arrêté du 18 juillet 2016.

Concomitamment à sa saisine de la CRE, le Ministère de la Transition écologique et solidaire avait également lancé une consultation publique sur les deux projets de textes qui s’est terminée le 4 novembre 2019.

Le 7 novembre 2019, la CRE a rendu son avis sur lesdits projets par la délibération commentée et mise en ligne le 22 novembre suivant. C’est l’objet de la délibération ici commentée.

Concernant tout d’abord le projet de décret, la CRE relève que ce projet prévoit :

  • la définition d’une nouvelle catégorie de consommateurs visant les « petits professionnels » (soit un consommateur d’électricité de puissance souscrite inférieure ou égale à 36 kVA auquel est « associé un code NAF ou un SIRET »), à distinguer des consommateurs résidentiels et des entreprises ;

  • l’ajout d’une catégorie supplémentaire de données de transport d’électricité et de gaz naturel au périmètre des données mises à disposition des personnes publiques[1];
  • l’abaissement du seuil de 10 à 9 points de livraison en dessous duquel les données de consommation ne peuvent être divulguées aux personnes publiques (appelé aussi le seuil de « secrétisation »), qui devrait permettre aux personnes publiques, selon le Ministère, d’accéder à 20% de données supplémentaires ;

  • la définition de règles pour la mise à disposition et la transmission des données de consommation des petits professionnels et du secteur résidentiel, soulignant notamment que les consommations d’énergie des petits professionnels ne seront diffusées qu’à la maille des Ilots Regroupés pour l’Information Statistique (IRIS)[2] et non à la maille du bâtiment ;

  • la fixation de nouvelles dates et fréquences auxquelles les données doivent être transmises par les gestionnaires de réseaux au service statistique du ministère chargé de l’énergie (SDES) ;
  • l’ajout de nouvelles obligations aux fournisseurs d’énergies pour la communication de données aux gestionnaires des réseaux d’énergies.

 

S’agissant du projet d’arrêté soumis à son avis, la CRE a relevé que ce projet propose six modifications d’ordre technique concernant (i) le millésime du référentiel des IRIS applicable à la mise à disposition de données, (ii) l’exclusion des points de livraison dont la consommation est nulle, (iii) les nomenclatures des secteurs d’activité, (iv) les seuils de diffusion des données du secteur résidentiel (200 MWh/an) et des petits professionnels (50 MWh/an), (v) les règles de regroupements de bâtiments (en ligne avec celles décrites dans le projet de décret) et (vi) les dates de premières mises à disposition des données (par bâtiment en 2019 et à l’échelle des codes NAF à deux niveaux en 2022).

 

Par la délibération commentée, la CRE a émis un avis favorable sur le projet de décret et le projet d’arrêté qui reste soumis aux deux réserves suivantes :

  • d’une part, la CRE demande au Ministère d’adopter les mêmes règles de diffusion des données de consommation des petits professionnels par bâtiment que celles applicables aux agrégats par IRIS, dans la mesure où cette « […] non-diffusion […] constitue une exception préjudiciable qui n’apparait pas pleinement justifiée » ;
  • d’autre part, la CRE demande également au Ministère de corriger une incohérence entre les deux projets de textes. Il s’agirait de reprendre la distinction entre secteurs « résidentiel » et « non affecté » effectué par le projet d’arrêté dans le projet de décret, afin d’éviter que des petits professionnels, sans codes NAF ou SIRET, soient assimilés à des clients résidentiels.

La délibération commentée a été transmise au Ministre chargé de l’énergie à qui il reviendra de prendre en considération les deux réserves susvisées de la CRE.

[1] Il s’agit des données relatives à la « livraison totale annuelle de gaz et d’électricité, pour les installations directement raccordées au réseau concerné, par secteur d’activité et par point de livraison ».

[2] La CRE rappelle dans la délibération commentée que l’IRIS correspond à un « découpage du territoire effectué par l’INSEE à l’échelle infra-communale, selon un critère de population et de type d’activité ».

Définition du critère de proximité géographique en matière d’autoconsommation collective

Dans la foulée de l’avis rendu le 26 septembre 2019 par la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) sur le projet d’arrêté qu’elle lui avait soumis (Voir notre commentaire dans notre Lettre d’actualités juridiques Energie et environnement de novembre 2019), la Ministre de la Transition écologique et solidaire a, par arrêté en date du 21 novembre 2019, apporté les précisions attendues sur le critère de proximité géographique entrant dans la définition de l’autoconsommation collective étendue.

Il résulte ainsi de l’article 1er de l’arrêté du 21 novembre 2019 qu’une opération d’autoconsommation collective peut être caractérisée lorsque le(s) producteur(s) et consommateur(s) concernés sont liés entre eux au sein d’une personne morale, qu’ils sont raccordés au réseau basse tension d’un unique Gestionnaire de Réseau de Distribution (GRD) et :

  • se trouvent à une distance maximale de 2 kilomètres (la distance s’appréciant au regard des point(s) d’injection et de livraison les plus éloignés ;
  • la puissance cumulée des installations de production est inférieure à 3 MW sur le territoire métropolitain continental et 0,5 MW dans les zones non interconnectées.

La combinaison entre un critère d’éloignement géographique et un critère de puissance maximal est donc consacrée.

On note toutefois que la Ministre n’a pas suivi les recommandations de la CRE en maintenant le seuil maximal de puissance à 3MW pour le territoire métropolitain. La CRE avait en effet jugé ce seuil de 3MW excessif et recommandé son abaissement à 1MW.

Conformément à ce que prévoit l’article 126 I de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE), cette définition de l’autoconsommation collective étendue s’appliquera durant une période de cinq années commençant à courir le 23 mai 2019, et expirant donc le 22 mai 2024.

Par ailleurs, l’annexe unique de l’arrêté du 21 novembre 2019 commenté liste les données nécessaires à l’établissement du bilan de l’expérimentation dont la réalisation est imposée par l’article 126 II de la loi PACTE. A cet égard, la Ministre a complété la liste de ces données en reprenant de manière quasi intégrale les propositions d’ajouts formulés par la CRE dans sa délibération du 26 septembre 2019 mentionnée ci-avant.

Enfin, plusieurs dispositions de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat (faisant l’objet d’un commentaire distinct au sein de la présente lettre d’actualité), en lien avec la notion d’autoconsommation collective, méritent d’être signalées.

Ainsi, l’article 41 de la loi du 8 novembre 2019 consacre la possibilité pour les organismes d’habitation à loyer modéré de créer, gérer et participer à des opérations d’autoconsommation collective d’électricité, en particulier avec leurs locataires.

L’article 40 de la même loi introduit pour sa part en droit interne la notion de « communauté d’énergie renouvelable » issue de l’article 22 de la directive 2018/2001 du Parlement Européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. Le nouvel article L. 211-3-2 du Code de l’énergie issue de l’article 40 de la loi énergie climat définit ainsi la communauté d’énergie renouvelable comme une entité juridique autonome qui :

« 1° Repose sur une participation ouverte et volontaire ;

2° Est effectivement contrôlée par des actionnaires ou des membres se trouvant à proximité des projets d’énergie renouvelable auxquels elle a souscrit et qu’elle a élaborés. Ses actionnaires ou ses membres sont des personnes physiques, des petites et moyennes entreprises, des collectivités territoriales ou leurs groupements ;

3° A pour objectif premier de fournir des avantages environnementaux, économiques ou sociaux à ses actionnaires ou à ses membres ou aux territoires locaux où elle exerce ses activités, plutôt que de rechercher le profit ».

Une communauté d’énergie renouvelable est autorisée à :

« a) Produire, consommer, stocker et vendre de l’énergie renouvelable, y compris par des contrats d’achat d’électricité renouvelable ;

b) Partager, au sein de la communauté, l’énergie renouvelable produite par les unités de production détenues par ladite communauté ;

c) Accéder à tous les marchés de l’énergie pertinents, directement ou par l’intermédiaire d’un agrégateur ».

Un décret en Conseil d’Etat doit préciser les modalités d’application de ces nouvelles dispositions.

On soulignera également que la notion de « communauté énergétique citoyenne » visée par l’article 16 de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/ UE (refonte) devra prochainement être transposée en droit interne. Si certaines dispositions de la loi du 8 novembre 2019 font d’ores et déjà référence à cette notion (et à l’article 16 de la directive du 5 juin 2019), l’articulation avec les communautés d’énergie renouvelable peut à ce stade poser question.

Plus généralement, la possibilité et l’opportunité de s’inscrire dans le nouveau cadre juridique de la communauté d’énergie renouvelable, plutôt que dans celui, proche, de l’autoconsommation collective ou encore dans celui des sociétés à financement participatif pouvant être créées matière de production d’énergie renouvelable (art. L. 314-28 du Code de l’énergie), mériteront d’être analysées au cas par cas par les porteurs de projets.

Délai de validité d’un permis de construire et opérations de désamiantage

Un permis de construire a été délivré en 2008 par le Maire de la Commune de Sanary-sur-Mer à une société, portant sur la démolition d’une villa existante et sur la construction d’un immeuble de 17 logements.

Par la suite, le maire a rendu trois décisions en 2014 et en 2015, par lesquelles il a rejeté les demandes formées par un voisin du terrain d’assiette du projet, que soit constatée la caducité du permis de construire.

Le voisin estimait, en effet, que les opérations de désamiantage, préalables à la démolition de la villa existante, avaient été interrompues pendant plus d’une année et qu’en refusant de constater la caducité du permis, le maire avait violé les dispositions de l’article R. 424-17 du Code de l’urbanisme

Le voisin a alors saisi le Tribunal administratif de Toulon d’un recours en annulation contre les trois décisions de refus de constater la caducité du permis de construire, mais son recours ayant été rejeté par un jugement en date du 10 octobre 2017, il a interjeté appel.

Par un arrêt rendu le 10 octobre 2019, la Cour administrative d’appel de Marseille a également rejeté la requête au motif :

« qu’il ressort des pièces du dossier que l’inspection du travail a relevé, le 19 septembre 2012, qu’une canalisation en fibrociment située sous la véranda était susceptible de contenir de l’amiante et que la société devait faire réaliser, avant le début des travaux sur cette canalisation, un repérage indiquant la méthodologie de désamiantage. Il est constant que la phase désamiantage, obligatoire lorsque la présence d’amiante est suspectée, doit être prise en compte pour apprécier le maintien de la durée de validité du permis de construire, et ce, quelle que soit l’importance matérielle des analyses et travaux à réaliser ».

Poursuivant son raisonnement, la juridiction d’appel considère :

  • Qu’il ressort du compte-rendu d’analyse du laboratoire que des prélèvements sur le chantier des matériaux potentiellement amiantés ont été reçus par celui-ci le 31 mai 2013 et analysés le 4 juin suivant ;
  • Qu’il ressort, en outre, de l’attestation de l’une des entreprises de travaux que l’installation de chantier a eu lieu le 19 mai 2014 et le démarrage des travaux de terrassement le 21 mai suivant.

Ainsi, aucune interruption de travaux de plus d’un an n’ayant été constatée, la Cour administrative d’appel a considéré que le permis de construire n’était pas entaché de caducité et pouvait être exécuté.

Cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille est intéressant dans la mesure où elle indique clairement que les opérations de désamiantage, en ce compris la phase d’analyses préalables, doivent être comprises dans le commencement des travaux, au sens du Code de l’urbanisme.

Loi Energie-Climat : régulation et tarification des secteurs de l’électricité et du gaz

La loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat a été publiée au Journal Officiel le 9 novembre dernier après que le Conseil constitutionnel ait confirmé la conformité du texte à la Constitution (avec une réserve d’interprétation relative au mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire : cf. développements plus loin).

Comportant 69 articles, organisés en huit chapitres, cette loi « Energie-Climat » est entrée en vigueur le 10 novembre 2019, à l’exception de certaines mesures bénéficiant d’un dispositif transitoire et de celles dont l’entrée en vigueur nécessite une mesure règlementaire d’application. Cette loi ambitionne de répondre à l’« urgence écologique et climatique » de notre pays, inscrite à l’article 1er de la loi.

Elle s’inscrit également dans le prolongement de l’adoption par le Parlement européen des nouvelles règles d’organisation du marché de l’électricité rassemblées au sein du Paquet « Une énergie propre pour tous les Européens »[1]. Ainsi, elle habilite le Gouvernement à transposer (dans certains délais) et adapter le droit national à ces derniers textes par voie d’ordonnance (cf. Chapitre V).

Le présent focus portera son attention sur deux sujets traités par loi : d’une part celui des tarifs réglementés de vente de gaz et d’électricité et d’autre part celui de la régulation de l’énergie, tous deux objets respectivement des Chapitres VIII et VII de la loi commentée.

Les prochaines LAJEE qui paraîtront en janvier-février 2020 examineront les autres mesures adoptées par cette importante loi (développement des énergies renouvelables, évaluation environnementale, performance énergétique notamment).

1 – La suppression des tarifs réglementés de vente de gaz naturel

Si les tarifs réglementés de vente de gaz naturel pour les consommateurs professionnels ont progressivement disparu entre le 19 juin 2014 et le 1er janvier 2016, les tarifs destinés aux « petits » consommateurs, soit les sites non résidentiels ayant une consommation inférieure à 30 MWh par an, existent toujours.

Ces tarifs sont commercialisés par les fournisseurs dits « historiques », à savoir Engie (ex GDF) et les entreprises locales de distribution (ELD) chargées de la fourniture, chacune dans leur zone de desserte historique.

Toutefois, depuis 2017, l’avenir de ces tarifs avait sérieusement été remis en question. Et pour cause, le Conseil d’Etat avait jugé que la réglementation du prix de la fourniture du gaz naturel constituait une entrave à la réalisation du marché du gaz concurrentiel, qui n’était pas justifiée par un motif d’intérêt économique général. Ainsi, les dispositions législatives des articles L. 445-1 à L. 445-4 du Code de l’énergie étaient jugées incompatibles avec les objectifs de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE[2].

C’est dans ce contexte, que la suppression des tarifs réglementés de gaz naturel avait été introduite au sein de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi PACTE), pour être finalement retirée après la censure du Conseil constitutionnel au motif que l’article concerné ne présentait pas de lien direct ou indirect avec le projet de loi déposé initialement[3].

C’est la raison pour laquelle les mesures visant cette suppression ont finalement été introduites au sein de la loi Energie-Climat. Cette suppression interviendra en deux temps :

  • Le 1er décembre 2020 : seront supprimés les tarifs applicables à l’ensemble des consommateurs finals non domestiques, soit les professionnels (en effet, les professionnels consommant moins de 30 000 kWh de gaz par an peuvent encore être titulaires d’un contrat au tarif réglementé comme rappelé plus haut) ;
  • Le 1er juillet 2023 : seront supprimés les tarifs applicables aux consommateurs finals domestiques soit les particuliers, et également pour l’ensemble des immeubles d’habitation et copropriétés (les immeubles d’habitation et copropriétés consommant moins de 150 000 kWh de gaz par an peuvent encore être titulaires d’un contrat au tarif réglementé).

Par diverses mesures, la loi organise ainsi l’accompagnement et les modalités d’information des consommateurs par les fournisseurs dans le cadre de la fin de leur éligibilité à ces tarifs réglementés.

La loi Energie-Climat organise également la mise en place des dispositifs corrélatifs de « fourniture de dernier recours » et de « fourniture de secours » (article 63 9° de la loi qui crée les article L. 443-9-2 et L. 443-9-3 du Code de l’énergie) afin de prévoir les situations dans lesquelles un client final domestique ne trouverait pas de fournisseur ou que le fournisseur choisi serait défaillant.

Enfin, pour anticiper la fin de ces tarifs, la loi oblige les fournisseurs à cesser dès aujourd’hui leur commercialisation et au plus tard le 8 décembre (trente jours après la publication de la loi : cf. article 63 – XVI de la loi). C’est ainsi que certains fournisseurs ont d’ores et déjà cessé de commercialiser ces tarifs (depuis la mi-novembre 2019).

2 – La réforme des tarifs réglementés de vente d’électricité

A la différence des tarifs réglementés de gaz, les tarifs réglementés de vente de l’électricité, soit les tarifs dits « bleu » qui concernent les sites de puissance inférieure ou égale à 36 kVA, n’avaient pas été aussi radicalement remis en question par le Conseil d’Etat.

En effet, par son arrêt d’Assemblée du 18 mai 2018, Sté Engie et ANODE, n° 413688 et n° 414656, le Conseil d’Etat avait jugé que la réglementation des tarifs de vente d’électricité, inscrite à l’article L. 337-7 du Code de l’énergie, est une mesure clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable, et poursuit un objectif d’intérêt économique général de stabilité des prix. Le Conseil d’Etat avait en revanche considéré cette réglementation comme disproportionnée étant donné son caractère permanent (c’est-à-dire l’absence de  » réexamen périodique de la nécessité de l’intervention étatique sur les prix de vente au détail« ) et trop large dès lors qu’elle était applicable à tous les consommateurs finals, domestiques et non domestiques, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères.

En parallèle, la nouvelle directive la directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE a posé des conditions strictes au maintien des tarifs réglementés de vente d’électricité en Europe.

Elle n’admet la poursuite de la vente des tarifs réglementés que pour une période transitoire et que pour les clients finals domestiques et les micro-entreprises (occupant moins de 10 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total du bilan annuel n’excède pas 2 millions d’euros, selon la définition donnée à l’article 2 de la directive). Le Parlement Européen, a ainsi choisi de maintenir les tarifs réglementés de vente de l’électricité au moins jusqu’en 2025. Les États qui sont concernés par cette mesure devront procéder à des évaluations et de justifier auprès de la Commission européenne que les conditions que posent la directive (aux paragraphes 4 et 7 de son article 5) sont bien respectées.

L’article 5. 10 de la Directive prévoit en dernier lieu que la Commission envisagera au plus tard fin 2025 un éventuelle fin des tarifs règlementés de vente :  « Au plus tard le 31 décembre 2025, la Commission réexamine la mise en œuvre du présent article visant à parvenir à une fixation des prix de détail de l’électricité fondée sur le marché, et présente un rapport sur cette mise en œuvre au Parlement européen et au Conseil assorti ou suivi, s’il y a lieu, d’une proposition législative. Cette proposition législative peut comprendre une date de fin pour les prix réglementés ».

C’est dans ce contexte que l’article 64 de la loi a tiré les conséquences de la jurisprudence et de la nouvelle directive en limitant le bénéfice des tarifs réglementés de vente de l’électricité (qui sont inscrits à l’article L. 337-1 du Code de l’énergie), à partir du 31 décembre 2020, « aux consommateurs finals domestiques, y compris les propriétaires uniques et les syndicats de copropriétaires d’un immeuble unique à usage d’habitation » et « aux consommateurs finals non domestiques qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n’excèdent pas 2 millions d’euros« .

Et la loi prévoit un mécanisme d’évaluation des tarifs qui devra être mis en place au plus tard avant le 1er janvier 2022 et le 1er janvier 2025, puis tous les cinq ans, sur la base de rapports de la Commission de régulation de l’énergie et de l’Autorité de la concurrence (cf. Article 64 de la loi – article L. 337-9 du Code de l’énergie).

Cette évaluation des ministres chargés de l’énergie et de l’économie portera sur la contribution de ces tarifs aux objectifs d’intérêt économique général, notamment de stabilité des prix, de sécurité de l’approvisionnement et de cohésion sociale et territoriale, l’impact de ces tarifs sur le marché de détail et les catégories de consommateurs pour lesquels une réglementation des prix est nécessaire. Cette évaluation peut conduire au maintien, à la suppression ou à l’adaptation des tarifs.

La loi Energie-Climat comporte en outre diverses dispositions sur la communication auprès des clients que les fournisseurs doivent mettre en place de même que la communication à la charge du Médiateur de l’énergie et de la Commission de régulation de l’énergie

L’information des consommateurs est en outre renforcée avec la mise en place d’un comparateur des offres de fournitures en gaz naturel et en électricité via un accès en ligne gratuit par le médiateur national de l’énergie (article 66 de la loi – article L. 122-3 du Code de l’énergie).

3 – La régulation de l’énergie

La loi Energie-Climat consacre un chapitre aux aspects de régulation de l’énergie qui porte, d’une part sur les missions de la Commission de régulation de l’énergie (article 61 de la loi) et d’autre part sur la construction des tarifs réglementés de vente d’électricité, et plus particulièrement sur la part du nucléaire dans ces tarifs (article 62 de la loi).

C’est ainsi que le texte revoit la rédaction de l’article L. 336-5 du Code de l’énergie relatif à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (l’ARENH), mécanisme issu de la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 sur la Nouvelle Organisation du Marché de l’Electricité dite « loi NOME », prévoyant un accès aux fournisseurs alternatifs à une certaine quantité d’électricité d’origine nucléaire à un prix régulé reflétant les coûts du parc de production nucléaire d’EDF.

L’objectif du mécanisme ARENH était de permettre aux consommateurs de continuer à bénéficier du prix compétitif de l’électricité française tout en assurant un développement de la concurrence. Le prix de l’ARENH a été fixé à 40 € HT / MWh au 1er juillet 2011 et se situe depuis le 1er janvier 2012 à 42 € HT / MWh. Ce dispositif à vocation transitoire doit prendre fin au 31 décembre 2025.

Tous les fournisseurs d’électricité autorisés en France, y compris les sociétés contrôlées par l’entreprise EDF, ont donc la possibilité de demander de l’ARENH dans la limite d’un volume global maximal désigné « plafond ARENH » fixé par le législateur à 100 térawattheures (TWh)[4]. On précisera que si la loi fixe le volume maximal d’ARENH susceptible d’être cédé au fournisseur, le volume pouvant être cédé doit faire l’objet d’un arrêté des ministres, et ce conformément aux termes de l’article L. 336-2 du Code de l’énergie. L’arrêté en vigueur à ce jour qui fixe effectivement le plafond à 100 TWh par an est l’arrêté du 28 avril 2011 fixant le volume global maximal d’électricité devant être cédé par Electricité de France au titre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique.

Ce plafond a toutefois été atteint pour la première fois lors du guichet de l’année passée, le 21 novembre 2018, puisque la demande des fournisseurs, pour l’année 2019, s’est élevée à 132,98 TWh hors filiales EDF.

Un relèvement du plafond législatif est donc rapidement apparu nécessaire pour satisfaire les demandes des fournisseurs. C’est pourquoi, l’article 62 de la loi vient modifier la rédaction de l’article L. 336-2 du Code de l’énergie en fixant le plafond du volume global annuel d’électricité nucléaire historique pouvant être cédé aux fournisseurs par EDF à 150 térawattheures à compter du 1er janvier 2020, au lieu de 100 térawattheures actuellement[5]. Le relèvement effectif du plafond demeure néanmoins soumis à la publication d’un arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie.

Reste à voir néanmoins si le relèvement du plafond jusqu’à 150 TWh (qui devra en tout état de cause être arrêté par les ministres pour être appliqué) sera suffisant à l’avenir pour satisfaire les demandes de fournisseurs. Le doute est permis au vu de la récente communication faite par la CRE qui indique avoir reçu (au guichet de novembre dernier) pour l’année 2020 un total de demandes de 147,0 TWh d’électricité formulées par 73 fournisseurs (hors fourniture des pertes des gestionnaires de réseau et hors filiales d’EDF), alors que la quantité d’électricité allouée aux fournisseurs au prix de 42€ par MWh demeure encore plafonnée à 100 TWh[6].

Pour compléter ces développements relatifs à l’ARENH, on précisera que les sénateurs ayant déféré la loi Energie-Climat au Conseil constitutionnel reprochaient notamment à ces dispositions de contraindre EDF à céder aux autres fournisseurs d’électricité jusqu’à 150 térawattheures par an d’électricité nucléaire historique à un prix déterminé par arrêté, en méconnaissance de la liberté d’entreprendre.

Le Conseil constitutionnel a jugé que, si les dispositions portent atteinte à la liberté d’entreprendre d’EDF, elles sont justifiées par l’intérêt général. Le législateur a entendu assurer un fonctionnement concurrentiel du marché de l’électricité et garantir une stabilité des prix sur ce marché. Il considère, en outre, que des garanties ont été prévues pour réduire l’ampleur de l’atteinte apportée à la liberté d’entreprendre d’EDF.

Le Conseil a estimé cependant que le mécanisme transitoire défini par la loi concernant les règles de détermination du prix de l’électricité nucléaire historique devant être cédée par EDF aux autres fournisseurs d’électricité doit intégrer le coût de production d’électricité par les centrales nucléaires. Sous cette réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions.

C’est ici l’occasion de préciser d’ailleurs que la loi Energie-Climat reporte de 2025 à 2035 de l’objectif de ramener à 50%, contre plus de 70% aujourd’hui, la part du nucléaire dans la production d’électricité française. La feuille de route énergétique de la France prévoit dès lors la fermeture de 14 réacteurs nucléaires sur 58 d’ici 2035.

Ensuite, la loi comporte dans son article 62 d’autres dispositions visant à assurer un calcul des compléments de prix du mécanisme de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) tenant compte de l’effet de plafonnement prévu à l’article L. 336-1 du Code de l’énergie. Ces modalités de calcul et de répartition du complément de prix seront précisées par décret en Conseil d’Etat après avis de la Commission de régulation de l’énergie.

On observera que c’est dans ce cadre que la CRE a publié une délibération fin octobre dans le but de préciser les principes qui seront appliqués pour calculer le complément de prix en cas de dépassement du plafond[7].

L’article 64 de loi énergie climat ouvre également la possibilité d’une révision du prix de l’ARENH (actuellement fixé à 42 € par mégawattheure comme indiqué plus haut), sans attendre l’édiction du décret qui était prévu à l’article L. 337-15 du Code de l’énergie.

Enfin, l’article 65 de la loi vient utilement compléter l’article L. 337-6 du Code de l’énergie jusque-là silencieux sur la prise en compte dans la construction des tarifs réglementés de vente d’électricité du cout coût lié à l’atteinte du plafond de l’ARENH : « les tarifs réglementés de vente d’électricité sont établis par addition du prix d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, du coût du complément d’approvisionnement au prix de marché, de la garantie de capacité, des coûts d’acheminement de l’électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d’une rémunération normale de l’activité de fourniture tenant compte, le cas échéant, de l’atteinte du plafond mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 336-2 ».

En dépit de l’imprécision législative qui existait jusqu’à présent, le Conseil d’Etat a rejeté le recours formé par les associations UFC Que Choisir et Consommation logement et cadre de vie (CLCV) contre la décision ayant fixé les tarifs réglementés de vente d’électricité applicables à compter du 1er juin 2019 (qui avait donné lieu à une hausse significative de la facture d’électricité) et a validé la méthode retenue par la CRE pour construire les tarifs règlementés de vente d’électricité qui se sont appliqués sur l’année 2019 dans le contexte de l’atteinte du plafond ARENH[8].

On retiendra de ces dispositions que la consolidation d’un marché concurrentiel de l’énergie, et surtout de l’électricité, est loin d’être aboutie. La part de la production nucléaire dans les tarifs dépend de la capacité du marché de production d’électricité à se diversifier sur le terrain des énergies renouvelables. Les tarifs réglementés de vente d’électricité demeurent aujourd’hui très dépendants de cette diversification, d’autant que le Conseil d’Etat, dans sa décision du 6 novembre 2019 précitée, a validé la dernière évolution des tarifs (à la hausse), dans l’hypothèse d’une atteinte du plafond de l’ARENH, afin de permettre le « maintien d’une concurrence tarifaire effective sur le marché de détail » au détriment cependant de la protection des consommateurs.

Par Marie-Hélène Pachen-Lefèvre et Aurélie Cros

 

 

[1] Pour mémoire ce Paquet législatif a été adopté par le Parlement européen en mars 2019. Les textes ont été publiés au JOUE le 14 juin 2019 : la directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE ; le règlement 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l’électricité ;le règlement 2019/941 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur la préparation aux risques dans le secteur de l’électricité et abrogeant la directive 2005/89/CE ; le règlement 2019/942 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 instituant une agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie.

[2] CE, Ass., 19 juillet 2017, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE), n° 370321.

[3] Décision du Conseil constitutionnel n° 2019-781 DC du 16 mai 2019 (partiellement conforme)

[4] Ce plafond est fixé à l’article L. 336-2, al.2 du Code de l’énergie Ce plafond n’a pas évolué depuis la loi NOME de 2010 et il représente environ 25% de la production du parc nucléaire historique. Le projet de loi Nome indiquait initialement que « Le plafond ne sera sans doute pas atteint avant plusieurs années si la concurrence évolue au rythme habituellement constaté lors de l’ouverture de marchés ».

[5] L’article L. 336-2 alinéa 2 est depuis rédigé comme suit : « […] Le volume global maximal d’électricité nucléaire historique pouvant être cédé est déterminé par arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie, en fonction notamment du développement de la concurrence sur les marchés de la production d’électricité et de la fourniture de celle-ci à des consommateurs finals et dans l’objectif de contribuer à la stabilité des prix pour le consommateur final. Ce volume global maximal, qui demeure strictement proportionné aux objectifs poursuivis, ne peut excéder 100 térawattheures par an jusqu’au 31 décembre 2019 et 150 térawattheures par an à compter du 1er janvier 2020 ».

[6] Cf. information communiquée par la CRE le 29 novembre 2019 relative aux demandes d’ARENH pour 2020 : https://www.cre.fr/Actualites/les-demandes-d-arenh-pour-2020

[7] Délibération n°2019-237 de la Commission de régulation de l’énergie du 30 octobre 2019 portant décision sur la méthode de répartition des volumes d’ARENH en cas de dépassement du plafond prévu par la loi et portant orientations sur les principes retenus pour le calcul du complément de prix

[8] Cf. CE, 9-10 ch. réunies, 6 novembre 2019, Associations « UFC Que Choisir » et « Consommation, logement et cadre de vie », n° 431902 et communiqué de presse de la CRE : https://www.cre.fr/Actualites/tarif-reglemente-de-vente-d-electricite-les-grands-principes-de-la-construction-tarifaire-sont-valides-par-le-conseil-d-etat

 

Décompte général et définitif et appel en garantie : le premier n’exclut pas l’autre

Cette décision s’inscrit notamment dans la continuité de l’arrêt rendu le 6 mai 2019 par le Conseil d’Etat concernant les effets de l’établissement du décompte général et définitif d’un marché sur la recevabilité d’un appel en garantie (CE, 6 mai 2019, n° 420765).

Dans notre affaire, le maître d’ouvrage, dans un contentieux relatif au solde du marché l’opposant à certaines entreprises de travaux, avait appelé en garantie le groupement de maîtrise d’œuvre, qui avait été condamné à le garantir pour partie.

Il est par principe reconnu que le caractère définitif du décompte général entraine l’irrecevabilité de toutes demandes ou réclamations postérieures le concernant, ce sur quoi la jurisprudence a toutefois admis certains tempéraments.

Ainsi, le Conseil d’Etat est venu rappeler ici que :

«  […] la circonstance que le décompte général d’un marché public soit devenu définitif ne fait pas, par elle-même, obstacle à la recevabilité de conclusions d’appel en garantie du maître d’ouvrage contre le titulaire du marché, sauf s’il est établi que le maître d’ouvrage avait eu connaissance de l’existence du litige avant qu’il n’établisse le décompte général du marché et qu’il n’a pas assorti le décompte d’une réserve, même non chiffrée, concernant ce litige ».

Or, dès lors que la Cour n’a pas recherché si les conditions précitées étaient remplies pour accueillir, malgré l’établissement du décompte général et définitif, l’appel en garantie formé par le maître d’ouvrage, son arrêt est annulé et l’affaire renvoyée.

Le rejet opéré par la Cour sur l’appel en garantie formé par certains membres du groupement de maîtrise d’œuvre à l’encontre d’un autre membre du même groupement est également censuré.

En effet, « dans le cas d’un groupement, il appartient au juge administratif d’apprécier l’importance des fautes respectives de chaque membre de celui-ci pour déterminer le montant de cette garantie en se fondant, le cas échéant, sur la répartition des tâches prévue dans l’acte d’engagement ».

Aussi, même si le marché était silencieux sur la répartition des tâches entre les membres du groupement de maîtrise d’œuvre, la Cour se devait d’apprécier l’importance des fautes respectives de chaque membre de ce dernier.

En définitive, cette affaire souligne l’importance pour le maître d’ouvrage d’être vigilant à bien prendre en compte les litiges connus avant l’établissement du décompte général et définitif, ce qui, le cas échéant, conditionnera la recevabilité de ses appels en garantie.

Vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) et liste des travaux pouvant être réservés par l’acquéreur

Déjà abordé dans notre lettre d’actualité juridique de juillet dernier, le décret n° 2019-641 du 25 juin 2019, modifiant les dispositions de l’article L. 261-15 du Code de la construction et de l’habitation, était venu préciser la nature des travaux dont l’acquéreur en VEFA était susceptible de se réserver la réalisation après la livraison de son ouvrage.

Pour mémoire, aux termes de l’article R. 261-13-1 du même Code, étaient concernées les travaux de finition des murs intérieurs, de revêtements ou d’installation d’équipements de chauffage ou de sanitaires, et, le cas échéant, du mobilier pouvant les accueillir.

Par suite, l’arrêté du 28 octobre 2019, entré en vigueur le 8 novembre 2019, vient désormais apporter des précisions nécessaires en fixant la liste limitative de ces travaux.

L’article 1 de l’arrêté prévoit ainsi :

« 1° L’installation des équipements sanitaires de la cuisine et, le cas échéant, du mobilier pouvant les accueillir ;

2° L’installation des équipements sanitaires de la salle de bains ou de la salle d’eau et, le cas échéant, du mobilier pouvant les accueillir ;

3° L’installation des équipements sanitaires du cabinet d’aisance ;

4° La pose de carrelage mural ;

5° Le revêtement du sol à l’exclusion de l’isolation ;

6° L’équipement en convecteurs électriques, lorsque les caractéristiques de l’installation électrique le permettent et dans le respect de la puissance requise ;

7° La décoration des murs ».

Toutefois, sont expressément exclus les travaux relatifs aux installations d’alimentation en eau potable et évacuation des eaux usées de l’article R. 111-3 du code de la construction et de l’habitation.

Plus encore, de tels travaux devront impérativement respecter certaines caractéristiques énumérées à l’article 2 du même arrêté :

« – Ils sont sans incidence sur les éléments de structure ;

– Ils ne nécessitent pas d’intervention sur les chutes d’eau, sur les alimentations en fluide et sur les réseaux aérauliques situés à l’intérieur des gaines techniques appartenant aux parties communes du bâtiment ;

– Ils n’intègrent pas de modifications sur les canalisations d’alimentation en eau, d’évacuation d’eau et d’alimentation de gaz nécessitant une intervention sur les éléments de structure ;

– Ils ne portent pas sur les entrées d’air ;

– Ils ne conduisent pas à la modification ou au déplacement du tableau électrique du logement ».

En effet, il importe que les travaux réalisés ou confiés par l’acquéreur en VEFA n’impactent pas l’ouvrage déjà livré au regard de la responsabilité décennale des constructeurs.

Céder sa parcelle au nom de l’intérêt général, c’est perdre son droit de l’occuper

Par une décision en date du 8 novembre 2019, le Conseil d’Etat est venu préciser la portée d’une « clause de destination » contenue dans un acte de cession immobilier conclu avec un personne publique.

En l’occurrence, l’association Club seynois multisport, propriétaire de plusieurs parcelles à Seyne-sur-Mer, avait cédé certaines de celles-ci à la commune de Seyne-sur-Mer d’abord dans le cadre d’un « acte administratif de cession amiable » puis ultérieurement moyennant un acte notarié. La cession était conditionnée à ce que l’usage du tènement immobilier soit exclusivement destiné aux activités sportives de tennis. En contrepartie de cette cession gracieuse, la commune avait mis à disposition de l’association les équipements du complexe tennistique, avant de décider de ne pas renouveler conventionnellement cette autorisation d’occupation et saisir le juge administratif aux fins d’expulsion de l’association sportive.

Par un jugement en date du 12 octobre 2017, le Tribunal administratif de Toulon a fait droit à la demande d’expulsion de la commune, solution qui été confirmée en appel par un arrêt du 13 avril 2018 rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille.

Déboutée de ses demandes par les juges du fond, l’association sportive a donc formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat, afin qu’il annule l’arrêt rejetant son appel, et se prononce au fond sur la légalité de la demande d’expulsion de la commune.

Pour rejeter le pourvoi de l’association sportive, la Haute Assemblée a suivi un raisonnement en trois temps. En effet, elle a d’abord démontré que les dépendances cédées relevaient du domaine public communal dès lors que les équipements sportifs, propriétés communales, étaient affectés au service public d’activité sportive et qu’ils étaient spécialement aménagés à cet effet.

Ensuite, le Conseil d’Etat a considéré que la clause contractuelle relative à la destination des biens, était incompatible avec le régime de la domanialité publique et que l’association sportive ne pouvait en tout état de cause se prévaloir de l’existence d’une quelconque servitude conventionnelle lui donnant un droit d’occupation sur les dépendances.

Après avoir établi que l’association sportive ne disposait donc pas de titre pour occuper les équipements du complexe sportif, relevant du domaine public communal, la Haute juridiction a conclu à la légalité de l’expulsion de l’association sportive.

Rifseep : un CIA à un euro est régulier !

Si on a pu penser que le contrôle de légalité en matière de RH était mort, le Rifseep nous donne l’occasion de vérifier le contraire, tant les Préfets auront systématiquement déféré les délibérations des collectivités ayant tenté de contourner le strict canevas prévu par le Gouvernement.

Pour mémoire, le Rifseep est composé de deux parts, que sont l’indemnité tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (ci-dessous « IFSE ») et le complément indemnitaire annuel (ci-dessous « CIA »).

Si le L’IFSE se veut liée au poste de l’agent, selon les responsabilités données et le niveau d’expertise que les responsabilités requièrent, le CIA va varier non pas au regard du poste et de l’expérience mais au regard des qualités professionnelles de l’agent.

Une première tentative a consisté à fixer à 0 % le CIA, puisque l’article 4 du décret sur le RIFSEEP indiquait uniquement que les agents pouvaient bénéficier d’un tel complément, compris le cas échéant entre 0 et 100% du montant maximal du groupe de fonctions, mais après que le Conseil constitutionnel ait été saisi, il a été jugé qu’il fallait nécessairement prévoir la possibilité d’un CIA (Conseil constitutionnel, décision n° 2018-727 QPC du 13 juillet 2018, commune de Ploudiry).

Dans ces conditions, certaines communes ont décidé de le fixer à 1 euros et c’est fort logiquement que le Préfet a déféré au Tribunal administratif ces délibérations en considérant qu’il s’agissait là d’une violation de la décision du Conseil constitutionnel, un euro ne permettant pas de reconnaître la valeur professionnelle, l’investissement personnel dans l’exercice des fonctions et le sens du service public, la capacité de travailler en équipe ou encore la contribution au collectif de travail des agents.

Faisant propre d’une célérité inhabituelle, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise (Val d’Oise) devait pourtant rejeter ce déféré en jugeant que le principe de parité avec l’Etat, fixé à l’article 88 de la loi du 26 janvier 1984, avait pour conséquence que la seule réserve qui puisse être opposée aux collectivités était relative au plafond maximal de la part du CIA, dès lors que le CIA lui-même était prévu.

Précisions sur les délais de prescription applicables aux créances détenues par les personnes publiques

Par une décision du 4 octobre 2019 qui sera mentionnée aux Tables du Recueil Lebon, le Conseil d’Etat procède à un rappel et une précision des règles applicables en matière de comptabilité publique et plus précisément des délais de prescription applicables aux créances publiques.

En premier lieu, il rappelle l’articulation entre les délais de prescription légalement prévus. Les règles de la prescription quinquennale issues de l’article 2224 du Code civil ne s’appliquent pas lorsque des dispositions spéciales sont prévues. Dans cette affaire, tel était le cas du délai de prescription quadriennale fixée par l’article R. 332-21 du Code de l’urbanisme relatif à la participation des constructeurs pour non-réalisation d’aires de stationnement pour le recouvrement, par la personne publique, de la créance : de telles dispositions font obstacle à l’application du délai de prescription quinquennal institué par l’article 2224 précité.

Cette solution n’est pas nouvelle : le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion d’évoquer ces règles au sujet de l’ancienne prescription trentenaire alors prévue par l’article 2262 du code civil (CE, Section, 13 décembre 1935, Ministre des colonies c/ Compagnie des messageries fluviales de Cochinchine, n° 24102, p. 1186 ; CE, Assemblée, 13 mai 1960, Secrétaire d’Etat à l’agriculture, n° 34197, p. 328).

Il avait plus récemment fait application de cette règle en étant d’avis que le délai de prescription biennal institué par le premier alinéa de l’article 37-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations pour les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents, faisait obstacle à l’application de l’article 2224 du Code civil, mais en précisant toutefois que, dans les deux hypothèses dérogatoires mentionnées au deuxième alinéa de l’article 37-1 et qui excluent le délai de prescription biennal pour les paiements indus qui résulteraient du fait de l’agent, le délai de prescription de l’article 2224 était alors applicable (CE, Avis, 28 mai 2014, n°376501, Publié au Recueil).

Il avait ensuite précisé, toujours s’agissant de cette prescription biennale, que les causes d’interruption et de suspension de la prescription demeuraient néanmoins régies par les principes dont s’inspirent les dispositions du titre XX du livre III du Code civil, ce en l’absence de toute autre disposition à ce titre applicable dans les dispositions de l’article 37-1 de la loi 12 avril 2000 (CE, 31 mars 2017, n°405797, Publié au Recueil). Pour rappel, il ne saurait en aller de même s’agissant de la prescription quadriennale des créances détenues sur les personnes publiques, les dispositions de l’article 2 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics organisant un régime spécial d’interruption de la prescription quadriennale, rendant dans cette mesure inapplicables les principes dont s’inspirent les dispositions du Code civil.

Somme toute, il ne s’agit donc que de l’application de l’adage lex specialis derogat lex generali, selon lequel la loi spéciale déroge à la loi générale.

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat précise aussi, et c’est là le véritable apport de l’arrêt même s’il n’en est pas fait application dans cette espèce eu égard aux développements qui précèdent, que, lorsque l’article 2224 du Code civil est applicable aux créances détenues par les personnes publiques à défaut d’autres dispositions spéciales, il l’est non seulement à la prescription des actions en recouvrement de la créance (correspondant au délai laissé au comptable public pour recouvrer la créance une fois le titre émis), mais également à la prescription d’assiette (correspondant, elle, au délai laissé à l’administration pour émettre son titre).

Il importe toutefois de rappeler, en application des principes régissant l’articulation entre les délais de prescription précédemment évoqués, qu’en matière de recouvrement des créances détenues par les personnes publiques locales (c’est-à-dire pour le recouvrement des titres émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local en ce compris les établissements publics de santé), l’article L. 1617-5 du CGCT, 3°, institue lui aussi un délai quadriennal pour y procéder, de sorte que la prescription quinquennale de l’article 2224 ne peut être regardée comme applicable à ces actions, ce qui en réduit d’autant le champ d’application pour les collectivités territoriales.

Attribution rétroactive de l’aide médiale de l’Etat (AME) : un rappel bienvenu

Un récent jugement rendu par le Tribunal administratif de Paris est venu rappeler le point de départ du délai imparti afin de pouvoir déposer sa demande d’admission à l’attribution rétroactive de l’aide médicale de l’Etat (AME).

Il a en effet considéré qu’il résultait des dispositions du Code de l’action sociale et des familles et de l’article 44-1 du décret du 2 septembre 1954 que le délai de trente jours avant l’expiration duquel la demande doit être déposée pour pouvoir bénéficier de la prise en charge des soins délivrés antérieurement court à compter de la fin de l’hospitalisation. Il a précisé que cela valait dans l’hypothèse où la personne hospitalisée est dans l’incapacité de réunir les pièces nécessaires à l’instruction de sa demande.

L’article 44-1 du décret du 2 septembre 1954 modifié par le décret n° 2005-859 du 28 juillet 2005 prévoit en effet que «  La décision d’admission à l’aide médicale de l’Etat prend effet à la date du dépôt de la demande » et précise que « si la date de délivrance des soins est antérieure à la date du dépôt de la demande, ces soins peuvent être pris en charge dès lors que, à la date à laquelle ils ont été délivrés, le demandeur résidait en France de manière ininterrompue depuis plus de trois mois et que sa demande d’admission a été déposée avant l’expiration d’un délai de trente jours à compter de la délivrance des soins ».

Cependant, ces dispositions ne précisent pas ce qu’il convient de comprendre par les termes de « date de délivrance des soins ». En effet, un doute existe quant au fait de savoir s’il convient de retenir le jour auquel les soins ont débuté ou la date à laquelle ces derniers ont pris fin. Si la Sécurité sociale considérait qu’il convenait de prendre en compte le premier jour des soins afin de savoir si la demande d’AME avait été déposée dans le délai de trente jours, l’établissement requérant soutenait que demandeur de l’AME a le droit au bénéfice de la rétroactivité si la demande a été déposée dans les trente jours à compter du dernier jours des soins.

Si la première interprétation était celle faite par les Commissions départementales d’aide sociale (CDAS), rien ne présageait de l’interprétation qui serait retenue par les juges administratifs depuis le transfert de ce contentieux aux tribunaux administratifs. Rappelons en effet que depuis le 1er janvier 2019 et en application de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 20016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, le contentieux traité par les CDAS a été dévolu aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’admission à l’AME.

Cette décision est bienvenue à deux égards. Tout d’abord, car la personne prise en charge peut parfois se retrouver dans l’impossibilité matérielle de constituer sa demande d’AME. C’est ce qu’il s’était passé dans la décision en question où la personne hospitalisée avait été admise en soins psychiatriques et était dans l’impossibilité de procéder aux formalités nécessaires à une demande de prise en charge au titre de l’AME. Précisons que la constitution d’un dossier de demande d’AME requiert de rassembler plusieurs documents prouvant que le demandeur remplit les conditions de résidence stable et de ressources. Ce rassemblement est tout autant difficile pour les travailleurs sociaux de l’établissement lorsque l’état de santé de l’usager rend impossible toute communication avec ce dernier.

Ensuite, cela aurait pour conséquence de pénaliser l’établissement hospitalier qui, malgré les diligences de ses travailleurs sociaux, ne parvient pas toujours à rassembler, dans les temps, tous les documents nécessaires à la constitution du dossier de demande. Dans ce cas, l’établissement doit tirer un trait sur le recouvrement des frais engagés pour la prise en charge de la personne hospitalisée, les personnes éligibles à l’AME étant le plus souvent insolvables vouant à l’échec toute action contentieuse engagée à leur égard.

C’est d’ailleurs en ce sens que vont les propositions faites par le dernier rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des finances sur l’AME. Il est ainsi préconisé que soit fixé un délai de prise en charge rétroactive des soins à hauteur de trois mois afin de faciliter la facturation des soins par les hôpitaux.

Pesticides : la bataille juridique sur les possibilités d’intervention des élus locaux

Dans le cadre du débat actuel portant sur l’interdiction des produits phytopharmaceutiques et notamment du glyphosate, de nombreux élus locaux ont pris le parti de pallier la carence de l’Etat en la matière.

En particulier, nombre de maires ont ainsi pris des arrêtés en vue d’interdire ces produits sur le territoire de leur commune, au titre de leur pouvoir de police générale. Ces arrêtés, déférés par les préfets, sont pour la plupart actuellement examinés par les juridictions administratives. La question posée à ces juridictions est dès lors de savoir si les maires disposent de la compétence d’agir au titre de ce pouvoir de police générale, alors même qu’il existe une police administrative spéciale de l’Etat en matière d’utilisation et d’interdiction des produits phytopharmaceutiques. A ce jour, seul le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté les demandes de suspension dans deux affaires (n° 1912597 et 1912600), estimant que la carence de l’Etat et les circonstances locales particulières justifiaient l’action des maires en la matière et ainsi l’interdiction de ces produits.

Salariés protégés : nouvelles précisions

CE, 8 novembre 2019, n° 412566

Deux nouvelles précisions viennent d’être dégagées par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat s’agissant de la procédure spéciale de licenciement des salariés protégés.

S’agissant de la décision de la Cour de cassation, elle concerne la date d’appréciation de l’application de la procédure spéciale.

Si les textes ne précisent pas à quel moment l’employeur doit se placer pour savoir si le licenciement d’un salarié doit faire l’objet d’une telle autorisation, la jurisprudence judiciaire et administrative est claire en la matière : c’est à la date d’envoi par l’employeur de la convocation à l’entretien préalable qui détermine la procédure à suivre. La procédure spéciale est donc applicable même si la protection expire peu après et que le licenciement est notifié alors que le salarié n’est plus protégé (Cass. Soc., 26-3-2013 no 11-27.964 ; Cass. Soc. ,18-12-2013 no 12-23.745 CE 23-11-2016 no 392059).

Dans son arrêt du 23 octobre dernier, la Cour de cassation précise qu’il ne peut être dérogé à cette règle en invoquant à l’appui du licenciement des faits s’étant déroulés postérieurement à l’expiration de la période de protection.

L’autorisation administrative est requise lorsque le salarié bénéficie de la protection à la date d’envoi de la convocation à l’entretien préalable au licenciement peu important que l’employeur, dans la lettre de licenciement, retienne par ailleurs des faits commis postérieurement à l’expiration de la période de protection (Cass. Soc., 23 octobre 2019, n° 18-16.057, F-P+B).

La nullité de cette rupture ne peut pas être écartée au motif que le licenciement repose, en partie, sur des griefs valables commis après l’expiration de la période de protection, ce qui signifie qu’en tout état de cause l’autorisation administrative doit être sollicitée dès lors qu’à la date de l’envoi de la convocation préalable le salarié bénéficie d’une protection.

S’agissant de la précision apportée par le Conseil d’Etat, elle concerne le droit du salarié d’être entendu lors de l’enquête menée par l’inspecteur du travail précédant l’autorisation de licenciement.

Le Conseil d’Etat précise en effet que :

  • la possibilité d’être entendu par l’inspecteur du travail est un droit pour le salarié protégé qui ne le perd que dans l’hypothèse où il ne répondrait pas à la convocation à l’enquête contradictoire et ce, sans motif légitime ;

 

  • ce droit d’être entendu ne saurait être exercé collectivement, même à la demande du salarié. L’inspecteur du travail doit donc auditionner l’intéressé individuellement, même si d’autres salariés protégés font simultanément l’objet d’une demande d’autorisation de licenciement pour les mêmes faits.

Ainsi, lors de l’enquête le salarié protégé doit être entendu individuellement et personnellement, ce qui exclut donc qu’il soit auditionné en présence de l’employeur (CE, 28 avril 1997, nº 163971) ou d’un autre salarié protégé faisant également l’objet d’une procédure d’autorisation administrative de licenciement, et ce même si le salarié l’a demandé.

A défaut, la décision d’autorisation du licenciement de l’inspecteur du travail pourrait être annulée par la suite ouvrant droit à réintégration.

De la bonne défense de l’absence d’imputabilité au service d’une dépression

Mme G. avait demandé au tribunal administratif de Toulouse d’annuler la décision du 7 novembre 2016 par laquelle le président du conseil départemental de la Haute-Garonne avait refusé de reconnaître l’imputabilité au service de sa dépression.

Déboutée en première instance, elle a interjeté appel de ce jugement, en faisant valoir que sa vie personnelle et familiale était parfaitement équilibrée avant que n’apparaissent des troubles dépressifs trouvant leur origine dans le conflit l’opposant à l’une de ses collègues et la surcharge de travail dont elle aurait été victime.

L’intérêt de l’arrêt réside ici dans la démonstration selon laquelle les meilleures diligences de l’administration et leur traçage lui permettent, malgré une pathologie avérée et un climat professionnel dégradé, d’éviter que la dépression d’un agent ayant un lien avec le service soit reconnue comme imputable à celui-ci.

En effet, il ressortait clairement des pièces du dossier, et notamment du rapport du médecin du travail du 19 septembre 2011, que Mme G., qui n’avait pas d’antécédent psychiatrique, avait souffert d’un syndrome dépressif sévère ayant entraîné un premier arrêt de travail de juin à la fin de l’été 2010 puis un second arrêt de travail de mars 2011 à mars 2014. S’agissant du conflit avec l’une de ses collègues, il ressortait également des pièces du dossier, et notamment du rapport du médecin du travail du 16 mai 2013 et du rapport de l’enquête administrative, qu’il existait des tensions et désaccords entre les secrétaires sur la gestion des congés annuels et des permanences durant la pause méridienne ayant nécessité des réunions de médiation entre Mme G. et sa collègue.

Cependant, face à ces difficultés avérées, il avait été proposé à Mme G. de changer de bureaux, puis de changer de poste avec une des secrétaires de l’autre bureau et enfin de changer de poste dans un autre service. Mais la requérante ayant refusé l’ensemble de ces propositions, la Cour a jugé que « si ce conflit ne semble pas, au regard des rapports des médecins du travail, être dépourvu de tout lien avec la maladie dont a souffert Mme G…, son refus de donner suite aux propositions faites afin de l’éloigner de ce conflit conduisent, à ce titre, à détacher la survenance de sa maladie de son lien au service. ».

Plus encore, s’agissant de la surcharge de travail, il ressort des pièces du dossier que durant la période précédant son arrêt maladie, Mme G. avait exercé les fonctions d’assistante de direction du directeur général adjoint chargé des finances, des SIG et de l’informatique, auxquelles s’étaient ajoutées en 2010, des fonctions de secrétariat du directeur du contrôle et de l’évaluation. Relevant cependant qu’aucune pièce versée au dossier ne permettait d’établir que Mme G. se serait plainte auprès de sa hiérarchie d’une surcharge de travail excessive tandis que l’ensemble des assistantes de direction interrogées au cours de l’enquête administrative – que la collectivité avait pris le soin de diligenter sur ce sujet précis – se sont déclarées satisfaites de leurs conditions de travail, la Cour a également fait fi de la charge de travail visiblement conséquente de l’agent et, ce faisant, confirmé le bien-fondé du rejet de sa demande.

Cette décision confirmative de la décision du Tribunal est dans ces conditions particulièrement significative de l’intérêt que peut trouver une collectivité, dans un conflit comme celui-ci, à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires à sa cessation et sa relativisation, alors même que la situation initiale ne lui est pas particulièrement favorable.

Un agent qui refuse la transformation de son CDD en CDI et les conséquences que cela implique peut-il être considéré comme involontairement privé d’emploi ?

Les agents contractuels ont en principe droit lorsqu’ils sont involontairement privés d‘emploi au bénéfice de l’allocation d’assurance liée à la perte d’emploi (article L. 5422-1 et L. 5424-1 du Code du travail).

Le juge administratif considère de manière constante que l’agent qui refuse le renouvellement de son contrat ne peut être regardé comme involontairement privé d’emploi, à moins que ce refus soit fondé sur un motif légitime. Un tel motif peut être lié notamment au fait que le contrat a été modifié de façon substantielle sans justification de l’employeur (CE, 13 janvier 2003, n° 22951).

Par une décision en date du 8 novembre 2019 (n° 408514), le Conseil d’Etat rappelle ce principe au cas d’un refus quelque peu original de de transformation de contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.

Précisément, il s’agissait d’un professeur contractuel de l’enseignement secondaire qui, ayant bénéficié de contrats à durée déterminée depuis 2000, pouvait bénéficier des dispositions de l’article 8 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 et ainsi voir son CDD transformer en CDI, ce qui impliquait cependant une extension du périmètre au sein duquel l’agent aurait été susceptible d’être à l’avenir appelé à exercer ses fonctions.

Le Tribunal administratif de Grenoble saisi en première instance a considéré que cette extension du périmètre constituait une modification substantielle du contrat et qu’ainsi le refus de l’agent reposait sur un motif légitime permettant de la regarder comme involontairement privé d’emploi.

Le Conseil d’Etat considère en revanche que la modification du contrat bien que substantielle était nécessaire compte tenu des conditions d’emploi des professeurs sous contrat à durée indéterminée, lesquels ont vocation à enseigner dans l’ensemble des établissements du ressort de l’académie en fonction des besoins du service.

Par conséquent, l’agent ne peut donc prétendre au bénéfice de de l’allocation d’assurance pour perte d’emploi.

Compétence du juge judiciaire en matière de bail portant sur un bien du domaine privé et sans clause exorbitante du droit commun

Une SCI a consenti un bail commercial au profit d’une société qui a ; quelques années plus tard, a été placée en liquidation judiciaire.

La bailleresse a demandé au juge-commissaire de constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers dus postérieurement à l’ouverture de la liquidation judiciaire, requête rejetée par le juge.

La Cour d’appel, saisie du litige, confirme la décision du juge commissaire au motif que la demande du bailleur de résiliation de bail sur le fondement de l’article L. 622-14 du Code de commerce ne le dispensait pas de délivrer au préalable un commandement de payer conformément à l’article L. 145-41 du même Code.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt en toutes ses dispositions en retenant que le bailleur, qui agissait devant le juge-commissaire pour lui demander la constatation de la résiliation de plein droit du bail sans revendiquer le bénéfice d’une clause résolutoire, n’était pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du Code de commerce.

Par cet arrêt de principe rendu au visa des articles L. 641-12, 3° et R. 641-21, alinéa 2, la Cour de cassation énonce de manière claire que : « Lorsque le juge-commissaire est saisi, sur le fondement du premier de ces textes, d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d’un immeuble utilisé pour l’activité de l’entreprise, en raison d’un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail ».

Ainsi, la résiliation de bail pour impayés de loyers postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective du débiteur locataire obéit à des conditions distinctes et moins strictes que celles du statut des baux commerciaux.

Précision par le Conseil d’Etat des conséquences d’une information erronée sur le panneau d’affichage des autorisations d’urbanisme

La question des modalités d’affichage de l’autorisation d’urbanisme sur le terrain est essentielle, et à cet égard bien souvent au cœur des débats contentieux.

En effet, le code de l’urbanisme, et plus précisément son article R. 600-2, fait courir le délai de recours contre les permis et arrêté de non-opposition à déclaration préalable « à compter du premier jour d’une période continue de deux mois d’affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l’article R. 424-15 ». Cet article R. 424-15 du Code de l’urbanisme que les mentions obligatoires du panneau d’affichage, telles qu’énumérées aux articles A. 424-16 et A. 424-17, doivent apparaître de manière visible depuis l’espace public.

Dépend donc de cette affichage, de son caractère visible et complet la date à partir de laquelle court le délai de recours contre l’autorisation d’urbanisme concernée. Pour les praticiens du contentieux de l’urbanisme, chaque précision délivrée par la juridiction administrative est donc la bienvenue.

A l’occasion d’une décision du 16 octobre 2019 mentionnée aux tables, le Conseil d’Etat a affiner sa jurisprudence en précisant l’incidence que devait recouvrir une mention erronée sur le panneau d’affichage de l’autorisation d’urbanisme sur les voies et délais de recours.

Dans cette affaire, ce qui présentait une difficulté était la mention inexacte de la superficie du terrain d’assiette du projet sur le panneau d’affichage.

Les requérants qui sollicitaient l’annulation du permis de construire se prévalaient de cette mention erronée pour affirmer que les mesures de publicité n’avaient pas permis de faire courir les voies et délais de recours contre l’autorisation, et ainsi que le recours ne pouvait être regardé comme tardif.

Les juges de première instance avaient suivi ce raisonnement en jugeant que l’erreur sur les dimensions du terrain d’assiette viciait les modalités d’affichage et que, dans ces conditions, le recours ne saurait effectivement être regardé comme tardif.

La cour administrative d’appel saisie à son tour a censuré ce raisonnement et rejeté la requête comme tardive.

C’est dans ce contexte que les requérants ont formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat, qui a jugé dans le même sens que les juges d’appel aux termes du raisonnement suivant :

« 3. En imposant que figurent sur le panneau d’affichage du permis de construire diverses informations sur les caractéristiques de la construction projetée, les dispositions citées au point 2 ont pour objet de permettre aux tiers, à la seule lecture de ce panneau, d’apprécier l’importance et la consistance du projet, le délai de recours contentieux ne commençant à courir qu’à la date d’un affichage complet et régulier. Il s’ensuit que si les mentions prévues par l’article A. 424-16 doivent, en principe, obligatoirement figurer sur le panneau d’affichage, une erreur affectant l’une d’entre elles ne conduit à faire obstacle au déclenchement du délai de recours que dans le cas où cette erreur est de nature à empêcher les tiers d’apprécier l’importance et la consistance du projet. La circonstance qu’une telle erreur puisse affecter l’appréciation par les tiers de la légalité du permis est, en revanche, dépourvue d’incidence à cet égard, dans la mesure où l’objet de l’affichage n’est pas de permettre par lui-même d’apprécier la légalité de l’autorisation de construire. »

 

Ainsi, le Conseil d’Etat rappelle l’objet de l’affichage sur le terrain : il doit permettre aux tiers d’apprécier l’importance et la consistance du projet. Le Conseil réitère ce faisant une ancienne jurisprudence. Il a cependant entendu affiner sa jurisprudence sur ce point en prenant le soin de préciser que cet affichage n’a pas pour visée de permettre aux tiers d’apprécier la légalité du permis.

Ce faisant, constatant que les autres informations mentionnées sur le panneau d’affichage (le nombre de logements, la surface de plancher de la construction projetée, la nature de cette construction, sa hauteur, l’identité du bénéficiaire, etc.) permettaient aux tiers d’apprécier l’importance et la consistance du projet, sans que la mention erronée de la taille du terrain d’assiette ne remette en cause ce point, le Conseil d’Etat a jugé que le délai de recours avait bien commencé à courir dès le premier jour de l’affichage, et que la requête était alors tardive.

Le fait que l’erreur qui s’est glissée sur le panneau ne permette pas aux tiers d’apprécier pleinement la légalité du permis de construire n’a aucune incidence, puisque ce n’est pas l’objet de l’existence d’un tel affichage.

Les précisions de la Cour de justice de l’Union européenne sur la portée du droit au déréférencement

CJUE, 24 septembre 2019, aff. C-136/17

Dans deux arrêts aff. C-507/17 et aff. C-136/17 en date du 24 septembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après CJUE) a précisé le régime du déréférencement consacré par le précédent arrêt de principe de la CJUE en date du 13 mai 2014 « Google Spain » à l’occasion de deux questions préjudicielles posées par le Conseil d’Etat. Dans les deux affaires, la CJUE a examiné la question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat au regard de la directive 95/46 et du RGPD afin d’assurer des réponses utiles aux juridictions européennes.

 

  1. Sur l’arrêt C-507/17 

Par une délibération 2016-054 en date du 10 mars 2016, la formation restreinte de la CNIL a condamné Google Inc. à une amende de 100 000€ en raison du refus de la société, dans le cadre d’une demande de déréférencement et à la suite d’une mise en demeure de la présidente de la CNIL, d’appliquer ce droit à l’ensemble des extensions de nom de domaine de son moteur de recherche. La CNIL demandait que Google face droit à la demande de déréférencement au niveau mondial, ce que contestait la société américaine.

En effet, Google Inc. a exercé devant le Conseil d’Etat un recours contre la sanction de la CNIL. Dans le cadre de ce recours contentieux, le Conseil d’Etat a décidé de poser une question préjudicielle à la CJUE sur la portée du droit au déréférencement résultant de l’arrêt « Google Spain ».

La CJUE indique qu’ « il ne ressort aucunement des termes de l’article 12, sous b) et de l’article 14 premier alinéa sous a) de la directive 95/46 ou de l’article 17 du règlement 2016/679 que le législateur de l’Union aurait […] fait le choix de conférer aux droits consacrés à ces dispositions une portée qui dépasserait le territoire des Etats membres et qu’il aurait entendu imposer à un opérateur qui, tel que Google, relève du champs d’application de cette directive ou de ce règlement, une obligation de déréférencement portant également sur les versions nationales de son moteur de recherche qui ne correspondent pas aux Etats membres » (point 62).

En conséquence, la CJUE considère « qu’en l’état actuel, il n’existe, pour l’exploitant d’un moteur de recherche qui fait droit à une demande de déférencement […] pas d’obligation découlant du droit de l’Union de procéder à un tel déréférencement sur l’ensemble des versions de son moteur » (point 64).

Par suite, la CJUE répond à la question de savoir si le déréférencement doit être effectué sur toutes les versions des Etats membres de l’Union ou seulement sur la version de l’Etat membre dans lequel réside le bénéficiaire du déréférencement. A cette question, la CJUE répond au point 66 que « le déréférencement en cause est, en principe, censé être opéré pour l’ensemble des Etats membres ».

Cependant, ce principe d’un droit au déréférencement sur le territoire de l’ensemble des Etats membres de l’Union n’est pas un principe général. En effet, la CJUE apporte des précisions dans ses développements sur la portée de ce principe.

D’une part, au point 67, la CJUE indique que « l’intérêt du public à accéder à une information peut, même au sein de l’Union, varier d’un Etat membre à l’autre, de sorte que le résultat de la mise en balance à effectuer entre celui-ci, d’une part, et les droits au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel de la personne concernée, d’autre part, n’est pas forcément le même pour tous les Etats membres ».

D’autre part, la Cour de justice considère que « si […] le droit de l’Union n’impose pas, en l’état actuel, que le déréférencement auquel il serait fait droit porte sur l’ensemble des versions du moteur de recherche en cause, il ne l’interdit pas non plus. Partant, une autorité de contrôle ou une autorité judiciaire d’un Etat membre demeure compétente pour effectuer, a l’aune des standards nationaux de protection des droit fondamentaux […] une mise en balance entre d’une part, le droit de la personne concernée au respect de sa vie privée et la protection des données à caractère personnel la concernant et, d’autre part, le droit à la liberté d’information, et, au terme de cette mise en balance, pour enjoindre, le cas échant, à l’exploitant de ce moteur de recherche de procéder à un déréférencement portant sur l’ensemble des versions dudit moteur » (point 72).

En conséquence, la CJUE considère que par principe la portée territoriale du droit au déréférencement est celle du territoire de l’Union européenne, contrairement à la position de la CNIL qui estimait que Google Inc. devait faire droit à la demande de déréférencement, dont il était saisi, au niveau mondial.

Toutefois, il revient à présent au Conseil d’Etat d’effectuer la mise en balance entre le respect de la vie privée et du droit à la protection des données personnelles avec la liberté d’information pour déterminer la portée territoriale adéquate de la demande de déréférencement, en fonction des circonstances de l’espèce.

 

  1. Sur l’arrêt C-136/17

Dans cette affaire, quatre requérants ont demandé à Google de déréférencer du moteur de recherche plusieurs liens. A la suite du refus de Google, les requérants ont saisi la CNIL qui n’a pas donné suite à leurs demandes. Ces derniers ont contesté devant le Conseil d’Etat les refus de la CNIL. Le Conseil d’Etat a décidé de poser une question préjudicielle à la CJUE concernant l’application aux exploitants de moteur de recherche des dispositions de la directive 95/46 relatives aux traitements de certaines catégories de données personnelles particulières.

Plus précisément, les catégories de données concernées sont, d’une part, celles visées à l’article 8 paragraphe 1 de la directive 95/46 qui révèlent l’origine raciale, ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données relatives à la santé et à la vie sexuelle. D’autre part, celles visées à l’article 8 paragraphe 5 de la directive 95/46 qui encadre le traitement des données relatives aux infractions, aux condamnations pénales ou aux mesures de sûreté.

Dans sa décision, la CJUE considère que « les dispositions de l’article 8, paragraphes 1 et 5 de la directive 95/46 doivent être interprétées en ce sens que l’interdiction ou les restrictions relatives au traitement des catégories particulières de données à caractère personnel, visées par ces dispositions, s’appliquent, sous réserve des exceptions prévues par cette directive, également à l’exploitant d’un moteur de recherche dans le cadre de ses responsabilités, de ses compétences, à la suite d’une demande introduite par la personne concernée » (point 48).

La CJUE rappelle tout d’abord que par principe, l’exploitant d’un moteur de recherche doit « faire droit aux demandes de déréférencement portant sur des liens menant vers des pages web sur lesquelles figurent des données à caractère personnel » (point 69).

Ensuite, selon la CJUE, l’exploitant du moteur de recherche « peut refuser de faire droit à une demande de déréférencement lorsqu’il constate que les liens en cause mènent vers des contenus comportant des données à caractère personnel qui relèvent des catégories particulières visées à cet article 8, paragraphe 1, mais dont le traitement est couvert par l’exception prévue audit article 8, paragraphe 2, sous e), à condition que ce traitement réponde à l’ensemble des autres conditions de licéité posées par cette directive et à moins que la personne concernée n’ait, en vertu de l’article 14, premier alinéa, sous a), de ladite directive, le droit de s’opposer audit traitement pour des raisons prépondérantes et légitimes tenant à sa situation particulière » (point 69).

Enfin, la Cour estime que lorsqu’une personne exerce une demande de déréférencement auprès d’un moteur de recherche portant sur un lien qui renvoie vers une page web sur laquelle des données à caractères personnel relevant des catégories particulières visée à l’article 8 de la directive 95/46, sont publiées, « cet exploitant doit […] vérifier, au titre des motifs d’intérêt public important visés à l’article 8, paragraphe 4, de ladite directive et dans le respect des conditions prévues à cette dernière disposition, si l’inclusion de ce lien dans la liste de résultats, qui est affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom de cette personne, s’avère strictement nécessaire pour protéger la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à cette page web au moyen d’une telle recherche, consacrée à l’article 11 de la Charte » (point 69).

En outre, la Cour de justice rappelle que l’article 17 paragraphe 3, sous a) du RGPD relatif au droit à l’oubli « consacre ainsi explicitement l’exigence d’une mise en balance entre, d’une part, les droits fondamentaux au respect de la vie privée et de la protection des données […] et, d’autre part, le droit fondamental à la liberté d’information » (point 59).

Pour conclure, concernant les informations relatives à une procédure judiciaire, la CJUE estime que d’une part les « informations relatives à une procédure judiciaire dont une personne physique a été l’objet ainsi que, le cas échéant, celles relatives à la condamnation qui en a découlé constituent bien des données relatives aux « infractions » et aux « condamnations pénales », au sens de l’article 8, paragraphe 5 de cette directive » (point 79).

Ainsi, la CJUE estime que « l’exploitant d’un moteur de recherche est tenu de faire droit à une demande de déréférencement portant sur des liens vers des pages web, sur lesquelles figurent de telles informations, lorsque ces informations se rapportent à une étape antérieure de la procédure judiciaire en cause et ne correspondent plus, compte tenu du déroulement de celle-ci, à la situation actuelle, dans la mesure où il est constaté, dans le cadre de la vérification des motif d’intérêt public important […] que, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, les droits fondamentaux de la personne concernée […] prévalent sur ceux des internautes potentiellement intéressés » (point 79).

Publication par la CNIL d’une note sur les usages de la reconnaissance faciale

Le 15 novembre 2019, la CNIL a publié une note présentant les éléments techniques, juridiques et éthiques qui doivent, selon elle, être pris en compte dans le cadre d’un débat sur les usages de la reconnaissance faciale.

Dans le cadre de cette note, la CNIL présente tout d’abord ce qu’est la reconnaissance faciale (1), puis expose les risques de ces technologies (2) et le cadre juridique qui encadre son expérimentation (3) pour enfin informer les pouvoirs publics sur son rôle dans le cadre de la régulation de cette technologie (4).

 

  1. Sur la définition de la reconnaissance faciale

La CNIL précise que la reconnaissance faciale peut permettre de remplir deux fonctions distinctes :

  • Elle peut servir à authentifier une personne, c’est-à-dire à vérifier que cette personne est bien celle qu’elle prétend être. Dans ce cas, le système compare le visage de la personne avec un gabarit biométrique préenregistré.
  • Elle peut permettre d’identifier une personne au sein d’un groupe d’individu, dans un lieu, une image ou une base de données. Dans ce cas, le système teste chaque visage afin de vérifier s’il correspond à une personne connue. Il peut également être utilisé pour suivre une personne sans faire le lien avec son état civil.

 

Sur ces usages, la CNIL considère qu’une « gradation peut être envisagée, en fonction du degré de contrôle des personnes sur leurs données personnelles, de leur marge d’initiative dans le recours à cette technologie, des conséquences qui en découlent pour elles (en cas de reconnaissance ou de non-reconnaissance) et de l’ampleur des traitements mis en œuvre ».

Concernant ces différents usages, la commission estime que le raisonnement sur leur conformité au droit des données personnelles doit se faire « cas d’usage par cas d’usage » et ajoute que « s’il peut exister des cas légitimes et légaux d’usage de la reconnaissance faciale, ils ne doivent pas conduire à penser que tout serait souhaitable ou possible ».

 

  1. Sur l’impact et les risques de la reconnaissance faciale

Tout d’abord, la CNIL rappelle que les données biométriques sont des données sensibles et ont comme particularité de « permettre à tout moment l’identification de la personne concernée sur la base d’une réalité biologique qui lui est propre, permanente dans le temps et dont elle ne peut s’affranchir ».

Ensuite, la CNIL indique que potentiellement les données de reconnaissance faciale sont disponibles partout. En outre, cette technologie « sans contact » peut permettre le traitement de données à distance et à l’insu de la personne.

Enfin, la CNIL mentionne les limites de ces technologies. En effet, la reconnaissance faciale comporte actuellement des biais importants qui peuvent avoir des conséquences sur les individus. La commission rappelle que le taux d’erreur commis par les algorithmes de reconnaissance faciale peut varier avec le sexe ou la couleur de peau. La commission a déjà mentionné l’existence de ces biais dans le cadre de son rapport sur l’éthique des algorithmes et de l’intelligence artificielle publié en décembre 2017.

Une autre limite à cette technologie selon la CNIL concerne son coût. Ainsi, la commission estime que ce coût « pèse le plus souvent sur les collectivités territoriales ou sur les pouvoirs publics, dans un contexte global de rationalisation de la dépense publique, sans que le retour sur investissement soit toujours mesuré avec précision et méthode ».

 

  1. Sur le cadre juridique de l’expérimentation de la reconnaissance faciale

D’une part, la CNIL précise qu’elle a admis le recours à la reconnaissance faciale pour les dispositifs PARAFE ou ALICEM « en cas d’exigence d’un niveau particulièrement élevé d’authentification des personnes et sous réserve de leur maîtrise sur leurs données biométriques », ainsi que l’expérimentation de cette technologie sur un échantillon de volontaires et sans conséquence opérationnelle pour le filtrage des accès à la zone du carnaval de Nice.

Cependant, la commission rappelle qu’elle a interdit certains usages tels que l’utilisation de la reconnaissance faciale des enfants à des fins de contrôle d’accès à des établissements scolaires dès lors que cet objectif pouvait être atteint par un dispositif moins intrusif (voir notre brève consacrée à cet avis de la CNIL).

D’autre part, La CNIL considère que le droit à la protection des données et à la vie privée sont des droits fondamentaux. En conséquence, le consentement des personnes, en particulier dans le cadre d’expérimentation, devra être recueilli pour chaque dispositif le permettant et le contrôle des données sur des supports possédés par les individus devra être privilégié. De plus, les principes de transparence et de droit d’accès aux informations des personnes devront être garantis comme l’impose le RGPD. De surcroît, selon la commission, la sécurité des données biométrique devra constituer une « condition impérieuse de leur traitement ».

Enfin, la CNIL estime que « les expérimentations ne sauraient éthiquement avoir pour objet ou pour effet d’accoutumer les personnes à des techniques de surveillance intrusive, en ayant pour but plus ou moins explicite de préparer le terrain à un déploiement plus poussé ».

 

  1. Le rôle de la CNIL dans la régulation de la reconnaissance faciale

D’une part, la CNIL énonce qu’elle devra être consultée pour tout projet de texte législatif ou réglementaire visant à permettre ou faciliter d’éventuelles expérimentations.

D’autre part, la commission informe les pouvoir publics qu’elle est en mesure de les conseiller en amont de tout cadre d’expérimentation. Dans le cadre de cet accompagnement, la commission précise qu’il est préférable qu’elle dispose des analyses d’impact élaborées avant la mise en œuvre de chaque traitement et qu’elle soit destinataire des bilans périodiques d’expérimentation, afin d’être en mesure de contribuer pleinement au dispositif envisagé. Enfin, la CNIL précise qu’elle pourra à tout moment contrôler le respect du cadre juridique et au besoin imposer les corrections nécessaires.

A l’aune de l’ouverture à la concurrence… les TER fortement bousculés

Alors que l’ouverture à la concurrence des TER est imminente – à compter du 3 décembre prochain, les Régions peuvent officiellement expérimenter l’exploitation de tout ou partie de leur réseau après une procédure de sélection de l’exploitant – ce sont quelques « révolutions » qui ont résulté d’une série de jugements rendus par le Tribunal administratif de Marseille le 15 octobre dernier.

On le savait, les relations entre la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur (aujourd’hui Région Sud) avec la SNCF étaient particulièrement tendues depuis quelques années, ce qui avait conduit la Région à ne pas renouveler la convention TER avec SNCF Mobilités en 2016, et à ce que le service fonctionne sans contrat entre 2017 et 2019, une nouvelle convention ayant finalement été conclue début 2019.

 

1 – SNCF Mobilités avait alors déféré au Tribunal administratif de Marseille les délibérations respectivement prises par le Conseil régional, pour 2017 et 2018, imposant unilatéralement les prescriptions d’exécution du service et fixant le montant de la compensation financière prévisionnelle à verser à l’opérateur, celui-ci ayant été sommé d’assurer l’exécution du service au nom du principe de continuité du service public.

Devant la situation de blocage de négociation d’une nouvelle convention entre l’AOT régionale et SNCF Mobilités, le Tribunal juge que la Région pouvait avoir recours aux dispositions de l’article 5.5 du Règlement dit OSP du 23 octobre 2007 prévoyant la fixation unilatérale d’obligations de service public en cas de risque imminent d’interruption des services, dès lors qu’au mois de décembre 2016, les conditions d’exercice du service pour 2017 n’étaient toujours pas fixées, et ce « quels que soient les motifs de l’échec des négociations intervenues entre SNCF Mobilités et la région PACA ».

Le Tribunal précise par ailleurs que la Région n’était nullement tenue de proroger par avenant la convention TER en cours.

Il écarte ainsi le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions du Règlement, ainsi que celui tiré d’un détournement de pouvoir et de procédure, les délibérations en litige ayant été justifiées par les « nécessitées de l’intérêt général ».

Le Tribunal entérine donc le fait que les AOT ne sont pas tenues de conclure une convention TER avec SNCF Mobilités dont le contenu ne les satisfait pas et peuvent fixer unilatéralement le contenu du service et le montant de la contribution régionale à verser à l’opérateur.

 

2 – Autre pavé dans la mare, plus notable encore : le Tribunal juge que la convention TER passée entre la Région et SNCF Mobilités pour la période 2006-2016 est illégale en ce que ses dispositions financières, notamment celles forfaitisant des postes de charges englobant une quote part des frais de structures nationaux de la SNCF, ne sont pas suffisamment détaillées et sincères pour répondre aux impératifs du droit de l’Union européenne.

Ce faisant, le Tribunal remet complètement en cause le schéma contractuel même des services ferroviaires régionaux de voyageurs pratiqué par SNCF Mobilités (les modalités de calcul des charges) auprès de toutes les AOT régionales.

Bien plus, l’enjeu de cette décision – si elle devait ne pas être contestée ou être définitivement confirmée – est que les sommes versées par les AOT régionales à SNCF Mobilités seraient considérées comme des aides publiques illégales, que l’Etat français devrait reverser à l’Union européenne et récupérer auprès des différentes régions !

Il faudra donc examiner de près si la SNCF entend interjeter appel de ces décisions, et, le cas échéant, la position qui sera prise par la Cour administrative d’appel voire le Conseil d’Etat.

 

3 – Enfin, la Cour des comptes critique encore largement le fonctionnement des TER à l’heure de l’ouverture à la concurrence, dans un rapport thématique publié en octobre dernier. La Cour pointe notamment un investissement croissant des régions dans les services TER, et un niveau de subventionnement de l’opérateur monopolistique toujours plus élevé contrastant avec « une qualité de service insuffisante et une fréquentation en baisse». La Cour déplore l’état fortement dégradé d’une partie du réseau, en particulier s’agissant des lignes peu fréquentées, et l’absence de mesures incitatrices dans les conventions conclues avec SNCF Mobilités.

Depuis 2012, les coûts d’exploitation du service sont en hausse constante, dont 88% sont pris en charge par des subventions publiques ! La Cour pointe à cet égard la participation trop faible des usagers au coût du service, les exemples étrangers montrant l’importance de ce facteur dans la réussite du transport ferroviaire régional…

Enfin, la Cour souligne une préparation insuffisante à l’ouverture à la concurrence des services ferroviaires régionaux de voyageurs, et pointe, comme c’est souvent le cas à ce sujet, la problématique de la fourniture des données industrielles et commerciales de la SNCF aux AOT. Elles ne disposent pas d’une visibilité très précise sur les services de leur territoire, ce qui provoque(ra) des difficultés dans la préparation des appels d’offres.

 

 

 

Réforme du droit de la copropriété, quoi de neuf ?

L’ordonnance n° 2019-11010 du 30 octobre 2019, publiée au Journal Officiel du 31 octobre, a été prise sur le fondement de l’habilitation donnée par l’article 215 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Loi Elan).

Cette réforme, qui intéresse des millions de copropriétaires, parmi lesquelles de nombreuses personnes publiques, intervient plus de 50 ans après la loi créant le statut de la copropriété (loi n° 65-557 du 10 juillet 1965). L’objectif du législateur engagé dans le cadre de la loi Elan était de moderniser et adapter le statut de la copropriété au monde moderne.

Cette ordonnance répond à cette volonté, elle entrera en vigueur le 1er juin 2020, à l’exception de la disposition relative à l’ouverture d’un compte séparé qui entrera en vigueur le 1er décembre 2020.

Tout d’abord, cette ordonnance assouplie le champ d’application de la loi du 10 juillet 1965.

 

1 – Ainsi, l’ordonnance recentre le statut de la copropriété autour de la notion d’habitation. 

L’application impérative du statut concerne uniquement les immeubles à usage total ou partiel d’habitation.

Dès lors, les immeubles qui n’ont pas d’usage d’habitation et dont la propriété est répartie en lots entre plusieurs personnes pourront faire le choix d’un autre mode de gestion.

Dans ce cas, il faudra qu’une convention dérogeant expressément au statut de la copropriété, mettant en place une organisation dotée de la personnalité morale ayant pour objet la gestion de leurs éléments et services communs, soit établie.

Si, en revanche, les immeubles ou groupes d’immeubles sont déjà régis par le statut de la copropriété, il conviendra, pour changer de régime, d’obtenir un vote à l’unanimité des copropriétaires réunis en assemblée générale.

Enfin, les petites copropriétés, à savoir celles comportant au plus 5 lots à usage de logements, de bureaux ou de commerces ou dont le budget prévisionnel moyen sur une période de trois exercices consécutifs est inférieur à 15.000 euros, ou encore celles n’ayant que deux copropriétaires, pourront échapper au régime de la copropriété pour adopter un autre régime juridique proche de l’indivision.

 

2 – Par ailleurs, les pouvoirs du conseil syndical sont considérablement renforcés et ce, afin de favoriser la prise de décision et d’éviter ainsi les situations de blocage préjudiciables à la copropriété.

Ainsi, l’assemblée générale des copropriétaires pourra déléguer au conseil syndical composé d’au moins 3 membres, à la majorité absolue de l’article 25, le pouvoir de prendre tout ou partie des décisions relevant de la majorité simple comme par exemple les travaux d’entretien (majorité de l’article 24 à savoir majorité des voix exprimées des copropriétaires présents, représentés ou volant par correspondance).

Le conseil syndical délibérera à la majorité de ses membres, celle de son président étant prépondérante en cas de partage des voix.

 

3 – Les passerelles de majorité sont également mises en avant. Ainsi, si les conditions sont réunies, les décisions relevant de la majorité absolue pourront être votées à la majorité simple.

La passerelle de la double majorité vers la majorité absolue supprimée par la loi ALUR est ainsi rétablie. Cette modification devrait permettre de remédier à l’écueil provoqué par l’absentéisme des copropriétaires.

 

4 – L’ordonnance modifie également les modalités de désignation du syndic. La mise en concurrence triennale du syndic est abandonnée. Ainsi, la mise en concurrence doit intervenir lorsque l’assemblée est appelée à désigner un syndic.

La mise en concurrence nécessite la production de contrats types qui seront accompagnés de la nouvelle fiche d’information sur les prix et prestations proposées par le syndic dont le modèle sera fixé par arrêté (art. 20).

 

5 – De même, les sanctions relatives à l’absence de fiche synthétique (élément technique et financier de la copropriété) sont modifiées. L’ordonnance prévoit qu’en l’absence de mise à disposition d’une copropriété de la fiche synthétique au-delà d’un délai d’un mois à compter de la demande, des pénalités par jour de retard, dont le montant sera fixé par décret, seront imputées sur la rémunération forfaitaire annuelle du syndic.

Enfin, les modalités de non résiliation ou de résiliation du contrat de syndic sont modifiées afin de sécuriser les modalités de succession entre les syndics.

 

6- Par ailleurs, l’ordonnance offre également de nouveaux moyens aux copropriétaires qui pourront notamment à leurs frais exclusifs réaliser des travaux pour l’accessibilité des logements aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, qui affectent les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble.

A cet effet, ils devront notifier au syndic une demande d’inscription d’un point d’information à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale, accompagnée d’un descriptif détaillé des travaux.

L’assemblée générale pourra alors à la majorité des voix des copropriétaires (art. 25), s’opposer à la réalisation des travaux.

Cette décision devra être motivée par le fait que les travaux envisagés portent atteinte à la structure de l’immeuble ou à ses éléments d’équipements ou par la non-conformité à la destination de l’immeuble.

 

7 – Pour finir, les divisions en volume des ensembles immobiliers complexes ne nécessiteront plus l’avis du Maire et l’autorisation du Préfet à compter du 1er juin 2020.

 

Conclusion :

Le champ d’application du statut de la copropriété tend à se restreindre.

Ainsi, le statut n’est plus impératif s’agissant des copropriétés composées de lots autres qu’habitation.

Cependant, la nature ayant horreur du vide, un mode alternatif contractuel de gestion des parties communes et des équipements communs doit être adopté. Lequel sera-t-il ?

Serait-ce le retour en grâce des associations syndicales ?

 

Par Claire-Marie Dubois-Spaenlé