Le droit à l’erreur est admis sur une demande de communication unique de documents dans le cadre de l’exercice du droit de préemption

Par un arrêt en date du 9 mars 2020, la Cour administrative d’appel de Douai se montre pragmatique lorsque le titulaire du droit de préemption commet de légères erreurs dans sa demande de communication unique de documents et accepte, tout de même, de suspendre le délai d’exercice du droit de préemption.

En l’espèce, le titulaire du droit de préemption avait formulé une demande unique en sollicitant la transmission des documents suivants :

  1. « une copie de l’avant-contrat de vente s’il existe » ;
  2. « le dossier technique mentionné à l’article L. 213-4 du Code de la construction et de l’habitation » ;
  3. « l’indication de la superficie des locaux ou s’il existe le mesurage effectué par un professionnel » ;
  4. « l’acte constitutif des servitudes et, si elles existent, ses annexes ».

On constate immédiatement que cette demande comporte certaines erreurs sur deux types de documents réclamés mais le juge administratif décide de ne pas les sanctionner :

  1. le titulaire du droit de préemption aurait dû solliciter « les extraits de l’avant-contrat de vente contenant les éléments significatifs relatifs à la consistance et l’état de l’immeuble » et non la copie entière de l’avant-contrat. Néanmoins, le juge administratif considère, compte tenu du caractère lacunaire de la déclaration d’intention d’aliéner quant à la consistance et l’état de l’immeuble en cause et à la référence faite à l’article R. 213-7 du Code de l’urbanisme que cette demande doit être regardée comme sollicitant les extraits de l’avant-contrat de vente contenant les éléments significatifs relatifs à la consistance et l’état de l’immeuble visés au 6° de l’article précité ;

  2. le titulaire du droit de préemption aurait dû viser l’article L. 271-4 du Code de la construction et de l’habitation au lieu de l’article L. 213-4 pour demander la communication du dossier de diagnostic technique. Pour autant, le juge administratif estime que cette erreur de plume n’a pas pu induire en erreur le professionnel de l’immobilier auquel était adressé ce courrier.

 

Finalement le juge administratif n’est pas inflexible sur les imperfections que pourraient comporter la demande de communication unique de documents et se refuse à tout excès de formalisme.

En conséquence, il admet de suspendre le délai d’exercice du droit de préemption, nonobstant les quelques erreurs affectant la demande de communication unique de documents.

Autorisation d’urbanisme et article R. 111-2 du Code de l’urbanisme : appréciation du risque pour la sécurité publique en présence d’un plan de prévention des risques naturels

Aux termes de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme :

« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations ».

Dans sa décision du 22 juillet 2020, le Conseil d’Etat a précisé l’analyse que devait poursuivre le service instructeur – puis, le cas échéant, le juge administratif – sur l’application de l’article R. 111-2 précité lorsqu’un plan de prévention des risques est opposable sur le territoire concerné :

« 4. Aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme : “ Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations “.

5. En vertu de l’article L. 562-1 du code de l’environnement, l’Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles, en particulier pour les inondations, qui ont notamment pour objet de délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de leur nature et de leur intensité, d’y interdire les constructions ou la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages ou de prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités. L’article L. 562-4 du même code précise que “ le plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé vaut servitude d’utilité publique. Il est annexé au plan d’occupation des sols, conformément à l’article L. 126-1 du code de l’urbanisme […] “.

6. Les prescriptions d’un plan de prévention des risques naturels prévisibles, destinées notamment à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés aux risques en cause et valant servitude d’utilité publique, s’imposent directement aux autorisations de construire, sans que l’autorité administrative soit tenue de reprendre ces prescriptions dans le cadre de la délivrance du permis de construire. Il incombe à l’autorité compétente pour délivrer une autorisation d’urbanisme de vérifier que le projet respecte les prescriptions édictées par le plan de prévention et, le cas échéant, de préciser dans l’autorisation les conditions de leur application. Si les particularités de la situation l’exigent et sans apporter au projet de modifications substantielles nécessitant la présentation d’une nouvelle demande, il peut subordonner la délivrance du permis de construire sollicité à des prescriptions spéciales, s’ajoutant aux prescriptions édictées par le plan de prévention dans cette zone, si elles lui apparaissent nécessaires pour assurer la conformité de la construction aux dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme. Ce n’est que dans le cas où l’autorité compétente estime, au vu d’une appréciation concrète de l’ensemble des caractéristiques de la situation d’espèce qui lui est soumise et du projet pour lequel l’autorisation de construire est sollicitée, y compris d’éléments déjà connus lors de l’élaboration du plan de prévention des risques naturels, qu’il n’est pas légalement possible d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions permettant d’assurer la conformité de la construction aux dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, qu’elle peut refuser, pour ce motif, de délivrer le permis » (CE 22 juillet 2020, n° 426139).

Autrement dit et au regard des conclusions éclairantes de Monsieur le rapporteur public, Olivier Fuchs, sur cette affaire, il convient, dans une telle hypothèse, de :

  • Vérifier que le projet respecte les dispositions réglementaires du PPRI et que ces dernières sont suffisantes pour garantir la sécurité publique au regard du projet en cause ;
  • Si tel n’est pas le cas, s’interroger sur le fait de savoir si des prescriptions supplémentaires peuvent être imposées sur le fondement de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme ;
  • Et ce n’est qu’à défaut de pouvoir imposer de telles prescriptions que le permis de construire doit être refusé.

Ainsi, dans l’affaire en cause, le Conseil d’Etat a considéré que le tribunal administratif de Versailles avait commis une erreur de droit en annulant le permis de construire sans rechercher si les prescriptions du plan de prévention du risque d’inondation de la vallée de la Seine avait été respectées et n’étaient pas, à elles seules ou, le cas échéant, complétées de prescriptions spéciales, de nature à prévenir les risques d’atteinte à la sécurité publique :

« 7. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le projet autorisé par le permis de construire litigieux consiste en la réalisation de 758 logements devant accueillir environ 2 000 personnes, de plusieurs commerces et d’une crèche de 60 berceaux, sur un terrain situé au bord du bras de la Darse, long d’environ 850 mètres, dans la zone “ ciel “ du plan de prévention du risque d’inondation (PPRI) de la vallée de la Seine, correspondant à un aléa “ moyen “. Le tribunal a relevé, d’une part, qu’il ressort de l’étude hydraulique produite au dossier qu’en cas de forte crue, équivalente à la crue centennale, le site serait intégralement inondé, avec une hauteur d’eau moyenne d’un mètre et qu’en cas de crue moins importante, l’îlot central serait inondé, ainsi qu’une grande partie des parcelles voisines et, d’autre part, que l’Agence régionale de santé a émis un avis défavorable sur le projet. En en déduisant que, au vu de l’importance du projet et de la circonstance qu’il prévoit l’installation sur le site d’un établissement accueillant de très jeunes enfants, le maire avait commis une erreur manifeste d’appréciation dans l’application de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme en accordant le permis de construire attaqué, sans rechercher si, comme il était soutenu devant lui, les prescriptions du plan de prévention du risque d’inondation de la vallée de la Seine avait été respectées et n’étaient pas, à elles seules ou, le cas échéant, complétées de prescriptions spéciales, de nature à prévenir les risques d’atteinte à la sécurité publique, le tribunal a commis une erreur de droit ».

Précision par le Conseil d’Etat de l’autorité compétente pour régulariser un PLU

L’article L. 600-9 du Code de l’urbanisme, introduit par la loi n° 2014-366 dite loi ALUR, n’en finit pas de nourrir le contentieux administratif.

Pour rappel, cet article, bonne illustration de la volonté d’introduire toujours plus de pragmatisme dans le contentieux de l’urbanisme, permet au juge administratif, saisi de la légalité d’un SCOT, d’un PLU ou encore d’une carte communale, de surseoir à statuer dans l’attente de la régularisation d’un ou plusieurs vices dont serait entaché le document d’urbanisme en cause (il permet également de n’annuler que partiellement ces documents, mais ce n’est pas l’objet de la jurisprudence commentée).

La décision SCI l’Harmas du 29 juillet dernier apporte de nouvelles précisions sur les conditions d’utilisation de cet outil contentieux.

Dans cette affaire, la SCI l’Harmas a sollicité le juge administratif afin que celui-ci annule la délibération du 23 juillet 2015 par laquelle la commune d’Aix-en-Provence a approuvé son plan local d’urbanisme.

Cette délibération a fait parallèlement l’objet d’un autre contentieux, à l’occasion duquel, le Tribunal administratif de Marseille a accueilli le moyen tenant à l’insuffisance de motivation du rapport de la commission d’enquête. Ce faisant, le tribunal a sursis à statuer en application de l’article L. 600-9, dans l’attente de la régularisation de ce vice. Par suite, la commission d’enquête a complété sa motivation en juillet 2017, et la commune d’Aix-en-Provence a approuvé cette régularisation par une nouvelle délibération intervenue en septembre 2017.

Parallèlement, devant la CAA de Marseille, la SCI l’Harmas avait également soulevé le moyen relatif à l’insuffisance de motivation du rapport de la commission d’enquête. Pour écarter ce moyen, la cour a tenu compte de la régularisation opérée par la délibération du 26 septembre 2017 de la commune d’Aix-en-Provence.

La SCI, devant le Conseil d’Etat, a critiqué l’arrêt de la CAA de Marseille, en soutenant que la régularisation n’avait pu valablement être opérée, dans la mesure où la commune d’Aix-en-Provence n’était plus compétente en matière de plan local d’urbanisme, au regard de la création, le 1er janvier 2016, de la Métropole Aix-Marseille-Provence.

Pour répondre à ce moyen de cassation, le Conseil d’Etat a commencé par rappeler sa jurisprudence commune de Sempy (CE, 22 déc. 2017, n°395963) en jugeant que « il appartient à l’autorité compétente de régulariser le vice de forme ou de procédure affectant la décision attaquée en faisant application des dispositions en vigueur à la date à laquelle cette décision a été prise ».

En revanche, le Conseil d’Etat précise dans la suite de sa décision que « la compétence de l’autorité appelée à approuver la régularisation doit être appréciée au regard des dispositions en vigueur à la date de cette approbation ». Ce faisant, c’est l’autorité compétente en matière de PLU au jour de l’approbation de la régularisation, et non au jour de l’édiction de la décision initiale, qui peut valablement approuver la régularisation du document d’urbanisme litigieux.

Toute la question était alors ici de savoir si, entre la délibération du 23 juillet 2015 approuvant le PLU, et la délibération du 29 septembre 2017 approuvant la régularisation du PLU, la compétence PLU avait été transférée à la Métropole. En cas de réponse positive, il fallait alors considérer que la commune ne pouvait valablement adopter la délibération du 29 septembre 2017. Toutefois, la compétence n’a été transférée à la Métropole qu’à compter du 1er janvier 2018, de sorte que la commune pouvait valablement approuver la régularisation du PLU.

Cette jurisprudence doit inciter à une vigilance accrue lors de la mise en œuvre des procédures de régularisation, seule l’autorité compétente au jour de la délibération de régularisation peut valablement acter d’une telle régularisation.

Droit de préférence du preneur et possibilités du bailleur

A l’occasion d’un litige en fixation de loyer avec son preneur, un bailleur notifie à ce dernier, en application de l’article L.145-46-1 du Code de commerce, une offre de vente des locaux à un prix de 5.050.000 €, outre d’importants frais notariés et 300.000 € de frais d’agence à la charge de l’acquéreur, par lettre recommandée en date du 19 octobre 2018, réitérée par acte d’huissier le 24 octobre 2018.

Le preneur conteste l’offre le 29 octobre 2018 et, le 9 novembre suivant, le bailleur conclut avec un tiers acquéreur une promesse unilatérale de vente sous réserve de la purge du droit de préférence du preneur.

Le bailleur assigne son preneur à jour fixe aux fins de confirmation de la purge du droit de préférence légal avait bien été mise en œuvre par ses soins.

Le bailleur ayant obtenu gain de cause en première instance, le preneur relève appel du jugement au motif que la notification de l’offre de vente aurait dû être antérieure à toute négociation avec un tiers, avant tout mandat de vente et avant tout avant-contrat.

Suivant arrêt du 27 mai 2020, la Cour d’appel de Paris déboute le preneur de l’intégralité de ses demandes et confirme ainsi le jugement entrepris.

Les juges du second degré estiment en effet que le bailleur pouvait, sans remettre en cause la validité de l’offre de vente au preneur, entamer des démarches aux fins de commercialisation de son bien, de détermination de sa valeur et de vérification d’un marché de la vente.

L’arrêt rappelle au passage que l’inclusion dans le prix de l’offre de vente, sans introduire de confusion dans l’esprit de l’acquéreur, du coût des honoraires de l’agent immobilier alors qu’ils ne sont pas dus, n’est pas une cause de nullité de l’offre de vente.

Régime applicable au bail reconduit après la cession à un organisme HLM

Un bailleur a donné à bail à un couple de locataire à compter du 15 juillet 1991 un appartement acquis en 2001 par un organisme HLM.

Par la suite, un nouveau bail est régularisé entre les locataires et l’organismes HLM.

En 2015, après avoir fait plusieurs offres de relogement refusées par la locataire, le bailleur lui notifie un congé pour démolir demeuré infructueux et l’assigne en expulsion, sur le fondement de dispositions applicables aux logements sociaux non conventionnés.

Le bailleur ayant obtenu gain de cause en première instance et en appel, la locataire forme un pourvoi en cassation. Elle prétend que le congé aurait dû respecter les formes et conditions de l’article 15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, le bail étant selon elle soumis à cette législation et non à celle relative aux logements sociaux non conventionnés.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère que c’est à bon droit que la Cour d’Appel a dit que les dispositions propres aux logements appartenant à des organismes HLM ne faisant pas l’objet d’une convention ne sont pas applicables aux baux en cours lors de l’acquisition de ces logements par l’organisme HLM, mais que, les baux reconduits étant de nouveaux baux, ceux-ci ne peuvent, lors de leur reconduction, demeurer régis par les dispositions de droit commun des baux d’habitation auxquelles ils étaient initialement soumis.

Ainsi, ce n’est qu’à l’occasion d’une reconduction de bail ou d’un nouveau bail que le régime de ce dernier suit celui la qualité du nouveau bailleur.

Précisions sur la notion d’établissement recevant du public (ERP) et l’application de la réglementation en vigueur

Par un jugement rendu le 18 juin 2020, le Tribunal administratif de Montreuil a eu l’occasion de revenir sur la notion d’établissement recevant du public et sur l’application de la réglementation en vigueur.

En l’espèce et d’un point de vue factuel, une association a conclu un bail commercial portant sur un local situé au premier étage d’un bâtiment.

A la suite d’une visite inopinée et après avoir constaté de nombreuses anomalies, la commission communale de sécurité et d’accessibilité a émis un avis défavorable à l’admission du public au sein de ce local ainsi que celui situé au même étage et occupé par une seconde association distincte.

Sur la base de cet avis et en raison des dangers pour le public, la commune a pris un arrêté de fermeture de l’ensemble de l’établissement recevant du public et a mis en demeure les présidents de chacune des associations de respecter et faire respecter ledit arrêté municipal.

L’une des associations a alors formé un recours gracieux infructueux puis un recours contentieux afin notamment d’obtenir l’annulation de l’arrêté de fermeture pris par la commune.

A cet effet, cette dernière a fait valoir que le maire de la commune avait, de manière erronée, considéré que les locaux de chacune des deux associations faisaient partie d’un même établissement recevant du public, alors que ces locaux faisaient l’objet de baux commerciaux distincts, que les preneurs de ces baux étaient distincts et qu’ils n’accueillaient pas le même public.

Toutefois, après avoir rappelé les dispositions des articles R. 123-2 et R 123-21 du  Code de la construction et de l’habitation ainsi que celle de ‘l’article GN 2 de l’arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public, le Tribunal a jugé qu’il ressort de ces dispositions que « lorsqu’elles ne sont pas isolées conformément aux dispositions réglementaires, les exploitations distinctes regroupées dans un même bâtiment sont considérées comme un seul établissement recevant du public, au sens et pour l’application de la réglementation contre les risques d’incendie et de panique, nonobstant la circonstance qu’il s’agisse d’établissements indépendants au regard du droit des sociétés et du droit commercial ».

Autrement dit, plusieurs exploitations de types similaires peuvent coexister dans le même bâtiment et constituer autant d’établissements recevant le public, sous réserve que ces exploitations regroupées au sein d’un même bâtiment répondent à des conditions d’isolement.

En l’espèce et pour rejeter sa requête, le Tribunal a ainsi considéré que l’association requérante qui avait ouvert son local au public sans autorisation municipale n’alléguait pas que ces conditions d’isolement seraient remplies, étant précisé que l’existence de baux commerciaux, de preneurs et de publics distincts est indifférente à la définition physique de l’établissement recevant du public.

Il a ainsi conclu que, compte tenu de la description des lieux telle qu’elle ressort du procès-verbal de la commission communale de sécurité et d’accessibilité, la commune, qui contrairement à ce que soutenait l’association requérante, avait effectivement constaté que les locaux étaient exploités par deux associations distinctes, a pu considérer que les deux locaux, desservis par le même accès et le même escalier intérieur au même étage du même bâtiment, constituent un seul établissement recevant du public au sens et pour l’application de la réglementation contre les risques d’incendie et de panique.

Cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence très stricte sur l’application de la réglementation en vigueur concernant les établissements recevant du public lesquels endossent une grande responsabilité.

Dépôt du rapport d’expertise et dessaisissement de l’expert judiciaire

Par un arrêt rendu le 9 juillet 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation est revenue sur les règles applicables en matière d’expertise judiciaire. 

En l’espèce et très brièvement, à la fin de ses opérations d’expertise, l’Expert a déposé un premier rapport d’expertise. 

Postérieurement, et sans en aviser les parties, l’Expert a déposé un second rapport. 

En première instance, la Cour d’appel a écarté des débats ce rapport d’expertise complémentaire déposé après le dessaisissement de l’expert judiciaire désigné. 

La Cour de cassation a alors confirmé l’arrêt de la Cour d’appel en considérant que : 

« […] ayant relevé que, dans son rapport déposé le 27 mars 2017, l’expert judiciaire ne s’était pas prononcé sur l’incidence fiscale de la cession des parts sociales, point qui ne figurait pas dans les chefs de sa mission, mais qu’il avait pris l’initiative, sans en aviser les parties, de déposer le 10 avril 2017, après son dessaisissement, un second rapport comprenant un développement sur cette incidence et modifiant certains postes d’éléments de l’actif et ayant retenu que ce rapport complémentaire avait été établi en dehors des règles de l’expertise civile, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, en a souverainement déduit que celui-ci devait être écarté des débats. » 

Autrement dit, après dépôt de son rapport d’expertise, l’Expert judiciaire désigné est dessaisi et ne peut reprendre ses opérations d’expertise sans obtenir l’autorisation du juge. 

En pratique, les exceptions à ce principe sont restreintes et encadrées de sorte que les parties doivent être particulièrement vigilantes avant le dépôt du rapport de l’Expert judiciaire si elles souhaitent encore produire des pièces, formuler des observations ou demandes indemnitaires complémentaires.   

Retour sur les contours de l’assurance obligatoire en cas de travaux sur existants

Par un arrêt rendu le 25 juin 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de revenir, une nouvelle fois, sur la question de l’assurance obligatoire en cas de travaux sur existants.

Pour mémoire, il résulte des dispositions de l’article L. 243-1-1 du Code des assurances que :

« I. – Ne sont pas soumis aux obligations d’assurance édictées par les articles L. 241-1, L. 241-2, et L. 242-1 les ouvrages maritimes, lacustres, fluviaux, les ouvrages d’infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires, héliportuaires, ferroviaires, les ouvrages de traitement de résidus urbains, de déchets industriels et d’effluents, ainsi que les éléments d’équipement de l’un ou l’autre de ces ouvrages. Les voiries, les ouvrages piétonniers, les parcs de stationnement, les réseaux divers, les canalisations, les lignes ou câbles et leurs supports, les ouvrages de transport, de production, de stockage et de distribution d’énergie, les ouvrages de télécommunications, les ouvrages sportifs non couverts, ainsi que leurs éléments d’équipement, sont également exclus des obligations d’assurance mentionnées au premier alinéa, sauf si l’ouvrage ou l’élément d’équipement est accessoire à un ouvrage soumis à ces obligations d’assurance. II. – Ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».

En l’espèce, des particuliers ont confié à une entreprise l’aménagement des combles d’une maison après modification de la charpente et création d’un plancher ainsi que de trois fenêtres.

Postérieurement, ils se sont plaints de l’apparition d’infiltrations et de désordres à l’intérieur et à l’extérieur de l’immeuble.

Après une expertise judiciaire, ils assignent l’entreprise ainsi que son assureur responsabilité civile décennale en indemnisation de leurs préjudices.

Aux termes de son arrêt, la Cour d’appel a limité la condamnation de l’assureur à garantir l’entreprise « au montant du coût des travaux de reprise de l’ouvrage neuf […] ».

La Cour de cassation confirme l’arrêt sur ce point et considère que « la cour d’appel a exactement retenu que les dommages causés par répercussion à l’ouvrage existant ne relevaient de l’obligation d’assurance que si cet ouvrage était totalement incorporé à l’ouvrage neuf et en devenait techniquement indivisible » ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque « la modification de la charpente avait consisté à rigidifier le triangle supérieur des fermettes par la suppression des contre-fiches et l’ajout à chacune d’elles des renforts d’arbalétriers et des entraits et la mise en place de jambettes et d’une sorte d’entrait retroussé » et non une incorporation totale à l’ouvrage neuf.

Elle a ainsi conclu que l’assureur ne devait sa garantie à l’entreprise que pour les travaux de reprise des désordres affectant l’ouvrage neuf réalisé.

Encore une opportunité pour la Cour de clarifier les contours de l’assurance obligatoire en cas de travaux sur existants dont l’appréciation ne peut se faire qu’au cas par cas.

Vers une éventuelle fusion de SUEZ et VEOLIA, les deux opérateurs majeurs du secteur de l’eau et des déchets en France

Véritable serpent de mer depuis 2006, le rapprochement des deux groupes français, acteurs mondiaux majeurs dans le domaine de l’eau et des déchets, semble relancé.

ENGIE, qui détient plus de 32 % de parts de SUEZ, souhaite vendre sa participation pour simplifier sa structure et rendre plus cohérentes et lisibles ses activités, plutôt éloignées du domaine de l’eau. Cette vente a nécessairement reçu le soutien de l’Etat, lui-même actionnaire à hauteur de 23 % d’ENGIE, et qui n’a évidemment pas intérêt à ce que la vente se fasse à vil prix.

VEOLIA a fait montre de son intérêt de rachat de ces parts, et envisage ensuite de lancer une OPA sur les 68 % restants.

Cette fusion aurait probablement un sens à l’international, afin de permettre à ce futur géant du secteur de concurrencer les grosses entreprises américaines ou chinoises. Pour le PDG de VEOLIA, Antoine Frérot, il s’agirait de créer « un super champion mondial de la transition écologique », réalisant alors près de 41 milliards d’euros de chiffre d’affaires cumulé.

C’est du point de vue national que cette fusion interroge.

D’abord, il est clair que la fusion de ces deux entreprises qui détiennent à elles-deux (la SAUR étant le troisième acteur minoritaire) le monopole du secteur de la gestion de l’eau en France, va enfreindre le droit de la concurrence : il est d’ores et déjà envisagé que VEOLIA vende la branche Eau de SUEZ et un acquéreur a déjà été trouvé, le fonds français d’infrastructures MERIDIAM. Si l’opération aboutit, ce seront pas moins de 4 à 5 milliards d’euros d’actifs qui devraient être cédés à ce fonds, qui a plutôt bonne presse et est considéré comme un acteur important en faveur du développement durable.

Au-delà du secteur de l’eau, il est également probable que cette fusion conduise aux mêmes problèmes anticoncurrentiels dans le domaine de l’incinération des déchets et qu’une vente de la branche Déchets soit donc aussi à envisager.

SUEZ craint une suppression massive d’emplois (le chiffre de 2.000 suppressions de postes en France est évoqué, notamment en raison de doublons dans des fonctions support et des centres de services partagés).

Les collectivités doivent-elles craindre cette fusion ?

Il est vrai qu’il n’est pas rassurant de voir les deux acteurs principaux du secteur fusionner, là où le monopole est souvent source d’abus de prix, conduisant d’ailleurs de nombreux élus à faire le choix d’un retour en régie. Et si les nouveaux actionnaires de SUEZ et de sa branche Eau ont de fortes exigences de rentabilité – ce qu’on peut raisonnablement anticiper s’agissant d’un fonds de pension –, on peut imaginer que le groupe privilégie les gros contrats de concession, délaissant les plus petites collectivités ou leur proposant un prix déraisonnable. En tout état de cause, les collectivités auront moins de poids dans les négociations des contrats puisque la concurrence se réduit à peau de chagrin.

Les parlementaires s’emparent en tous cas du sujet et une commission vient d’être créée pour que la représentation nationale soit informée des intentions de chacun.

En parallèle, les dirigeants de SUEZ préparent une contre-offre en vue de faire racheter les parts d’ENGIE par un consortium dont la liste des membres n’est pas encore arrêtée. A ce stade, sont cités parmi les acquéreurs potentiels les fonds d’investissement français ARDIAN et ANTIN, qui pourraient être rejoints par un fonds européen voire par le groupe AXA. Cette contre-offre a été présentée le 15 septembre 2020 au Conseil d’administration de SUEZ, au Ministre de l’économie et des finances le lendemain et devrait être rendue publique dans les prochains jours.

Affaire à suivre donc.

Modalités de transfert des compétences eau et assainissement au regard du dispositif législatif dérogatoire dans les communautés de communes

La loi du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes prévoit que les communes d’une communauté de communes  pouvaient s’opposer au transfert des compétences eau et assainissement au 1er janvier 2020 « si, avant le 1er juillet 2019, au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population ont délibéré en ce sens. En ce cas, le transfert de compétences prend effet le 1er janvier 2026. […] Si, après le 1er janvier 2020, une communauté de communes n’exerce pas les compétences relatives à l’eau et à l’assainissement ou l’une d’entre elles, l’organe délibérant de la communauté de communes peut également, à tout moment, se prononcer par un vote sur l’exercice de plein droit d’une ou de ces compétences par la communauté. Les communes membres peuvent toutefois s’opposer à cette délibération, dans les trois mois », dans les conditions de majorité précitée. 

En l’espèce, conformément à la loi du 3 août 2018, les communes de la communauté de communes Corbières Salanque Méditerranée se sont opposées avant le 1er juillet 2019 au transfert des compétences eau et assainissement. Néanmoins, la Communauté a procédé, par une délibération du 22 juillet 2019, à l’engagement de la procédure de transfert desdites compétences, en application de l’article L. 5211-17 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). On rappellera qu’en application de cet article, les communes peuvent transférer une ou plusieurs compétences par délibérations concordantes de l’organe délibérant de la communauté de communes et des conseils municipaux se prononçant dans les conditions de majorité requises pour la création d’un établissement public de coopération intercommunale. 

Le Conseil d’Etat a alors précisé que, dès lors que les communes ont exprimé leur opposition, dans les conditions prévues par la loi, au transfert des compétences eau et assainissement, avec pour effet de repousser au 1er janvier 2026 le transfert obligatoire desdites compétences eau et assainissement à la communauté de communes, alors cette dernière ne pouvait mettre en œuvre la procédure de l’article L. 5211-17 du CGCT entre le 1er juillet 2019 et le 1er janvier 2020 en vue d’un transfert de ces mêmes compétences au 1er janvier 2020. En somme, le juge refuse le recours aux règles de droit commun qui permettrait, au regard des règles de majorité différentes, de surmonter les oppositions de certaines communes au transfert et ainsi de faire échec au dispositif d’opposition au transfert. 

Saisie-attribution : précisions sur le caractère exécutoire du jugement de première instance

Réclamées par de nombreux observateurs, des précisions ont enfin été apportées par la Cour de cassation sur la qualité de titre exécutoire conférée au jugement de première instance.

En l’espèce, une banque avait obtenu, en 2011, la condamnation de son débiteur par un jugement revêtu de l’exécution provisoire, confirmé par un arrêt de Cour d’appel en 2014. C’est pourtant sur le fondement du jugement de première instance, et non de l’arrêt confirmatif, que la banque créancière avait fait pratiquer une saisie-attribution sur le compte bancaire de son débiteur.

Le débiteur a contesté cette saisie-attribution devant le juge de l’exécution qui a déclaré non avenu le jugement en vertu duquel la saisie avait été pratiquée au motif qu’il n’était pas justifié de sa signification (et pour cause puisque la banque n’avait pas comparu) et ordonné la mainlevée de la saisie.

La Cour d’appel a infirmé le jugement du juge de l’exécution dès lors que la banque appelante a pu justifier, en cause d’appel, avoir signifié le jugement en vertu duquel la saisie avait été pratiquée.

En cassation, le pourvoi du débiteur est rejeté par la deuxième chambre civile. En effet, le jugement de première instance était revêtu de l’exécution provisoire de sorte qu’il était exécutoire et l’arrêt d’appel de 2014, l’ayant purement et simplement confirmé, ne pouvait lui faire perdre son caractère de titre exécutoire ni son autorité de chose jugée.

Ainsi, le créancier dispose de deux titres exécutoires : le jugement de première instance, assorti de l’exécution provisoire et l’arrêt d’appel exécutoire dès son prononcé. La saisie-attribution peut donc être fondée sur l’une ou l’autre des décisions, conformément à l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution.

Par ailleurs, selon l’article 501 du Code de procédure civile, le jugement est exécutoire à partir du moment où il passe en force de chose jugée, donc lorsqu’ il n’est pas susceptible d’un recours suspensif d’exécution ou, s’il est susceptible d’un tel recours, à l’expiration du délai de recours.

Pas de survie des clauses en cas de caducité du contrat de location financière en conséquence de l’anéantissement de la vente

En décidant que la résolution de la vente entraîne la caducité du contrat de location avec option d’achat, la Cour de cassation poursuit le revirement entrepris en 2018 dans le contentieux du crédit-bail.

En l’espèce, une personne physique a commandé un navire de plaisance fabriqué par la société Bavaria Yachtbau GmbH et cédé à la société Yacht Azur par le distributeur exclusif de la marque, la société Bateaux moteur Bavaria France. Pour cette acquisition, l’acquéreur a conclu un contrat de location avec option d’achat avec la société BNP Paribas. La société Yacht Azur a été placée par la suite en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire.

Le 17 février 2009, il assigne la société Yacht Azur en résolution de la vente et du contrat de location. La Cour d’appel décide que la résolution du contrat de vente relatif au navire litigieux entraînait la caducité du contrat de financement du fait que ces contrats étaient indivisibles. Au soutien de son pourvoi, la banque affirme que l’anéantissement du contrat de vente entraîne la résiliation du contrat de location avec option d’achat, sous réserve de l’application des clauses ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation.

Or, la Cour de cassation refuse une telle lecture et précise que la résolution du contrat de vente entraîne, par voie de conséquence, la caducité, à la date d’effet de la résolution, du contrat de location avec option d’achat et que sont inapplicables les clauses prévues en cas de résiliation du contrat.

Cette décision fait application d’un arrêt de chambre mixte du 13 avril 2018 en matière de crédit de location avec option d’achat. D’une part, la ressemblance entre l’opération de crédit-bail et la location avec option d’achat plaide pour un alignement des solutions.  D’autre part, les clauses prévues dans le cadre d’une résiliation sont donc parfaitement inapplicables puisque la caducité intervient au jour de la résolution du contrat de vente.

Ainsi, cette décision est majeure puisqu’elle affirme le principe selon lequel la disparition du contrat de vente entraine la caducité du contrat de location avec option d’achat.

Précisions sur la déontologie de la fonction publique apportées par le rapport annuel 2019 de la HATVP

Le 9 juillet 2020, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique a publié son rapport annuel, celui-ci revêtant cette année une portée particulière puisqu’il aborde, pour la première fois, la mission de contrôle déontologique dont elle est désormais chargée à l’égard des fonctionnaires depuis la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Concernant ce dernier sujet, le rapport est peu disert sur les questions déontologiques, en comparaison de l’exhaustivité des rapports qui étaient émis par la commission de déontologie, mais il apporte néanmoins quelques informations intéressantes.

Pour mémoire, la nouvelle procédure déontologique mise en place par la loi du 6 août 2019 délègue aux employeurs publics une grande partie du pouvoir de contrôle qui appartenait jusqu’alors exclusivement à la commission de déontologie. Concrètement, c’est donc, sauf pour ceux qui exercent les plus hautes responsabilités, l’employeur public, le cas échéant assisté du référent déontologue, qui contrôle notamment la compatibilité déontologique et pénale des allers-retours entre le secteur public et le secteur privé des fonctionnaires.

Cette nouvelle procédure transfère de facto le contrôle du respect des principes déontologiques aux employeurs publics, qui ne disposent pas nécessairement des moyens dont était dotée la commission de déontologie, tant en termes de personnel que de compétence et de spécialisation.

Dans ce contexte, le rapport est avare d’exemple de cas étudiés, ou d’éléments précis sur la façon dont la HATVP procède le cas échéant au contrôle déontologique. En outre, la HATVP insiste sur le fait qu’elle ne publiera pas d’avis, même anonymisés : ceux-ci étant confidentiels, ils ne seront rendus publics qu’avec l’accord de la personne à l’origine de la saisine (lesquels, a priori, ne seront pas les avis négatifs, dont les agents seront naturellement peu enclins à accepter la publication, alors qu’ils sont les plus riches d’enseignement).

Par ailleurs, la HATVP précise qu’elle n’est pas « tenue par la doctrine de la commission de déontologie de la fonction publique »[1]. Autrement dit, les rapports successifs jusqu’alors publiés annuellement par la commission de déontologie, ne constitueraient plus une source parfaitement fiable d’interprétation des règles déontologiques, puisque la HATVP se réserve maintenant officiellement le droit de diverger de l’interprétation suivie par la commission de déontologie.

C’est, d’ailleurs, ce qu’elle fait immédiatement après concernant les critères de définition de l’entreprise privée[2] : alors que la commission de déontologie retenait trois critères (nature de l’activité ; répartition du capital ; mode de financement[3]), la HATVP indique désormais qu’elle adoptera des critères légèrement différents : elle prendra ainsi en compte le poids économique de l’entité ; la nature de ses membres ou actionnaires et l’inscription de l’organisme sur le registre des représentants d’intérêts.

Enfin, la HATVP indique assurer, au-delà de ses missions de contrôle, une réelle mission de conseil en matière déontologique.

Elle précise en premier lieu accepter de délivrer des avis directement aux institutions, et notamment en ce qui concerne les chartes déontologiques que les employeurs publics pourraient être amenés à édicter. Cette possibilité est précieuse : à défaut de disposer d’une jurisprudence permettant d’assurer un contrôle fin sur le plan déontologique, les employeurs peuvent s’engager dans l’élaboration d’une charte qui, elle, pourra revêtir un degré de précision suffisant, et doté d’une sécurité juridique forte puisqu’elle pourra être validée directement par la HATVP.

En deuxième lieu, on peut noter deux mesures de renforcement de la sécurité des contrôles.

D’abord, la HATVP a indiqué accepter, pour le moment du moins, de répondre directement aux interrogations qui lui sont adressées par les référents déontologues, ces derniers étant, pour rappels, chargés du deuxième degré de contrôle déontologique, après les employeurs publics eux-mêmes.

Ensuite, un guide des conflits d’intérêts, qui portera notamment sur les questions de compatibilité pénale et déontologique ainsi que le risque de prise illégale d’intérêt pourrait être publié à destination des administrations chargées de les prévenir dans le cadre de la compétence qui leur a été attribuée par l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

[1] Rapport HATVP 2019, p. 77

[2] Rapport, p. 77

[3] Rapp. de la commission de déontologie 2016, p. 29

Fixation à titre temporaire des règles dérogatoires de formation et de titularisation de certains fonctionnaires territoriaux en raison de la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19

Ce décret paru au Journal officiel le 23 août dernier instaure des règles dérogatoires de formation et de titularisation de certains fonctionnaires territoriaux en raison de la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19.

L’article 1 dudit décret libère l’agent stagiaire dont la titularisation est prévue au plus tard au 31 décembre 2020 de l’obligation de formation d’intégration, dès lors qu’en raison de la crise sanitaire, le stagiaire n’a pu suivre en tout ou partie ladite formation entre le 17 mars 2020 et le 31 décembre 2020.

Toutefois, l’article 2 précise que la formation d’intégration doit avoir été suivie par l’agent concerné postérieurement à la titularisation et au plus tard, avant le 30 juin 2021.

Tous les cadres d’emplois visés en annexe du décret sont concernés, à savoir la plupart de ceux de la fonction publique territoriale. Nécessairement, l’article 2 exclut expressément les agents soumis à scolarisation préalablement à la nomination dans un grade des cadres d’emplois suivants : administrateurs territoriaux, ingénieurs en chef territoriaux, conservateurs du patrimoine territoriaux, conservateurs des bibliothèques territoriaux.

Le décret s’attarde également sur la situation particulière des stagiaires de la filière police municipale, précisément les agents des cadres d’emplois des agents de police municipale, des chefs de service de police municipale et des directeurs de police municipale, astreints à une formation préalable obligatoire à l’exercice de leur fonction. Ils voient soit, « une comptabilisation, au titre des stages prévus dans le cadre de la période obligatoire de formation, des services accomplis par les stagiaires auprès de la collectivité territoriale qui les emploie, sous réserve que cette collectivité effectue une évaluation du stage. » soit, « une dispense d’une durée maximale de quinze jours au titre des enseignements théoriques de la formation ».

Précisions sur le détachement d’office

La loi de transformation de la fonction publique intervenue en 2019 a créé une mesure de détachement d’office des fonctionnaires, en modifiant l’article 15 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, et en prévoyant que lorsqu’une activité d’une personne morale de droit public employant des fonctionnaires est transférée à une personne morale de droit privé ou à une personne morale de droit public gérant un service public industriel et commercial, alors les fonctionnaires sont détachés d’office auprès du cocontractant de l’administration, selon un contrat à durée indéterminée soumis au Code du travail.

Depuis la parution le 11 juin d’un décret n° 2020-714 modifiant dans les trois fonctions publiques les décrets afférents au détachement, cette nouvelle mesure est applicable, lorsqu’une opération entre dans son champ d’application, c’est-à-dire dans le cadre de l’exécution d’un contrat par lequel une administration, pour une durée donnée, transfère à un tiers de droit privé une de ses activités de service public.

Les trois décrets prévoient désormais la procédure de détachement dans chacune des fonctions publiques, en indiquant notamment que le fonctionnaire transféré – qui n’a pas en réalité le choix d’accepter ou non là où jusqu’alors le détachement était un acte volontaire – doit être informé au moins trois mois à l’avance de ses conditions d’emploi et de sa rémunération.

L’autorité hiérarchique a par ailleurs l’obligation d’exercer un contrôle déontologique, en consultant, en cas de doute, le référent déontologue, voire la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Notamment, le décret encadre les conditions de rémunération, en indiquant que le fonctionnaire reçoit la rémunération la plus élevée entre celle qu’il percevait au cours des douze mois précédents et celle applicable à un salarié ayant la même ancienneté et exerçant les mêmes fonctions dans l’organisme de détachement.

S’agissant précisément de son ancienneté, les services accomplis en détachement entrent dans le calcul des services publics effectifs.

Enfin, et surtout, le décret précise les modalités de fin du détachement, selon plusieurs hypothèses, dont le cas où le contrat entre la personne publique et l’organisme d’accueil n’est pas lui-même renouvelé. Trois options sont alors à disposition de l’agent : une réintégration, si besoin en surnombre, un placement dans une autre position statutaire que l’activité ou, troisième option, une indemnité, en contrepartie de son départ de la fonction publique et s’il n’est pas à moins de deux ans de l’âge d’ouverture des droits à la retraite.

Parution du rapport d’activité 2019 de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

Dossier de presse

 

Comme habituellement, ce rapport est très instructif et complet, une partie du rapport étant dédiée à chaque type de mission assuré par la HATVP : contrôle des déclarations des responsables publics, prévention des conflits d’intérêts, encadrement de la représentation d’intérêts, participation à la diffusion d’une culture d’intégrité et des principes déontologiques et, pour l’horizon 2020, les nouvelles fonctions assurées par la HATVP en matière de contrôle et de conseil déontologique à l’égard des fonctionnaires et agents publics, par suite de la suppression de la Commission de déontologie de la fonction publique (conséquemment à l’entrée en vigueur des dispositions de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, le 1er février 2020).

Ainsi qu’elle y procède chaque année, la HATVP a formulé un certain nombre de propositions (neuf) parmi lesquelles :

  • Se voir doter d’un pouvoir de sanction administrative pour certains manquements aux obligations déclaratives et déontologiques ;

  • L’évolution du cadre juridique du contrôle des instruments financiers applicable à certains responsables publics (pour les membres du Gouvernement, leur permettre de les conserver en-deçà d’un certain seuil ou prévoir la cession de ces instruments après leur nomination) ;

  • Un certain nombre d’évolutions en matière de représentation d’intérêts, parmi lesquelles une modification significative du cadre juridique en vigueur. La HATVP propose la suppression des critères de l’activité principale ou régulière et de l’initiative dans la définition de la représentation d’intérêts – ce qui plaide donc en faveur d’une définition plus large du représentant d’intérêts –, ainsi que le passage à un rythme de déclaration semestriel (et plus annuel), notamment ; le report de deux ans de l’extension du Répertoire des représentants d’intérêts aux relations avec les collectivités territoriales, prévue pour 2021 ; prévoir un délit d’entrave aux missions des agents de la HATVP ; encourager la publicité en open data des rencontres entre responsables publics avec les représentants d’intérêts.

 

Par ailleurs, parmi les éléments intéressant de ce Rapport, il est notamment à relever que la HATVP prévoit la publication prochaine d’un Guide intégralement dédié aux conflits d’intérêts.

La HATVP rappelle, à raison, que l’appréhension du conflit d’intérêts est complexe et que les jurisprudences administratives et judiciaires demeurent relativement méconnues. En pratique, il apparaît qu’une partie des élus et des responsables publics ont une connaissance encore approximative de cette notion et de son appréciation et, par ailleurs, une partie des élus et dirigeants publics ignorent qu’ils doivent déclarer leur patrimoine et leurs intérêts (cela est surtout vrai pour les dirigeants publics, précisément parce que la liste des établissements et entreprises et celle des fonctions dirigeantes concernées en leur sein par cette obligation n’est pas assez précisément identifiable par la loi, de sorte que la HATVP a demandé à plusieurs reprises la publication d’un décret à ce sujet).

S’agissant des obligations déclaratives, justement, la HATVP relève une meilleure appropriation de celles-ci de manière générale par les déclarants, ainsi qu’une amélioration de la qualité et du contenu des déclarations. Pour l’année 2019, 9,3 % des déclarations d’intérêts ont donné lieu à un contrôle approfondi et 9 dossiers ont été transmis au Parquet pour manquement aux obligations déclaratives.

Il convient par ailleurs de rappeler que le Conseil d’Etat a récemment jugé que l’appréciation publique portée sur une déclaration de patrimoine par la HATVP constitue un acte faisant grief susceptible de recours devant le juge administratif (CE Ass., 19 juillet 2019, n° 426389).  

En matière de représentation d’intérêts, si les acteurs s’approprient progressivement le dispositif, la HATVP relève l’existence de difficultés persistantes. Elle insiste sur la complexité du cadre juridique du registre et réitère sa demande que les décisions individuelles exclues du dispositif soient précisées par voie réglementaire. Elle souhaite également que l’objectif initial de l’instauration du registre, c’est-à-dire « retracer l’empreinte normative de la loi et du règlement » puisse être atteint grâce à un élargissement et une plus grande précision des informations que devraient déclarer les représentant d’intérêts dans les fiches d’activité.

Les premiers contrôles déontologiques ont eu lieu au début de l’année 2019 et la HATVP a cherché à faire œuvre d’une grande pédagogie (assistance téléphonique, demi-journée d’information, publication d’une fiche pratique, création d’une foire aux questions sur le site web de la Haute autorité).

Pour faire respecter la loi, rappelons que la HATVP dispose de pouvoirs importants et, notamment, de faire diligenter des contrôles sur pièce et sur place en cas de soupçon de non-respect des obligations déontologiques. Elle souhaite qu’un délit d’entrave à la bonne exécution du contrôle des représentants d’intérêts soit créé, comme cela existe en Irlande.

En outre, à compter de cette année (le 1er février 2020), la HATVP doit s’emparer de ses nouvelles fonctions en matière de déontologie des fonctionnaires et agents publics (correspondant à une partie des missions qu’exerçait la Commission de déontologie de la fonction publique). Le champ d’action de la HATVP est redéfini en matière de contrôle du cumul d’activités avec des fonctions publiques ou de reconversion dans le secteur privé et, par ailleurs, elle aura à effectuer des contrôles « pré-nomination » dans le cadre du retour d’un agent public au sein de la fonction publique après avoir effectué une mobilité dans le secteur privé. Au-delà, le principe est celui de l’internalisation du contrôle (c’est-à-dire opéré en très grande majorité par l’administration elle-même) et la saisine de la Haute autorité selon un principe de subsidiarité (une saisine obligatoire demeurant pour les plus hauts emplois).

Enfin, la gouvernance de la HATVP a par ailleurs été remaniée puisqu’un nouveau Président, Didier Migaud, ancien Premier président de la Cour des comptes, est entré en fonctions au mois de janvier 2020 et que le collège de la Haute autorité a été élargi à 13 membres.

 

Le plan de relance du gouvernement prévoit une baisse de 10 milliards d’euros de la fiscalité économique locale en 2021, et d’autant en 2022

Par Laëtitia Pignier, Avocate associée, Arbord, Tournoud & Associés

Dans le but affiché de « relocaliser » l’industrie et d’asseoir son indépendance le Gouvernement, a confirmé une baisse des impôts de production, applicable dès 2021, qui viserait la Contribution économique territoriale (CET) – composée de la Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de la Cotisation foncière des entreprises (CFE) – et la Taxe foncière sur les propriétés bâties :

  • la CVAE serait réduite de moitié ;
  • les modalités de calcul CFE et la Taxe foncière des établissements industriels seraient à nouveau modifiés afin d’aboutir à une réduction de moitié de la valeur locative servant d’assiette à ces impôts ;
  • le plafonnement de la CET serait abaissé à 2 % de la valeur ajoutée (au lieu des 3 % actuels).

La baisse prévue est significative : en deux ans, les impôts de production diminueraient de 28 % alors que le produit annuel de ces impôts s’élève à plus de 70 milliards d’euros, soit près du quart de l’ensemble de la fiscalité qui pèse sur les entreprises, et représente 3 % du PIB français (contre 1,6 % en moyenne en Europe).

Selon les calculs de Matignon, les 10 milliards d’euros de baisse d’impôts devraient profiter à environ 32.000 entreprises dont 42 % d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) et 32 % de petites et moyennes entreprises (PME). Le secteur industriel percevrait au total 37 % du gain total, loin devant le commerce (15%).

Selon le ministre, les pertes au titre de la CVAE reposeraient uniquement sur les régions et devraient faire l’objet d’une compensation intégrale par l’état alors que les conséquences de cette réforme viendront s’ajouter aux pertes budgétaires liées à la suppression de la taxe d’habitation qui sera effective entre 2012 et 2023.

Le détail technique de ces différentes mesures figurera dans le projet de loi de finances pour 2021 qui devrait être disponible à la fin du mois de septembre après la présentation du projet de loi de finances en Conseil des ministres.

 

 

Droit de préemption : un durcissement dans l’appréciation de la réalité du projet ?

Le Conseil d’Etat a rendu un arrêt dans lequel il semble amorcer une exigence plus accrue sur les justifications à apporter pour démontrer la réalité d’un projet d’aménagement justifiant le recours à l’exercice du droit de préemption urbain.

En l’espèce, le maire de la commune d’Echirolles avait préempté une parcelle dans l’optique de construire des logements, conformément à l’objectif du programme local de l’habitat selon lequel doit être proposée une offre de logements suffisante.

Le vendeur a introduit un recours contre la décision de préemption, mais a vu celui-ci rejeté tant en première instance qu’en appel sur renvoi.

Le Conseil d’Etat étant saisi une seconde fois, il devait régler l’affaire au fond.

Il retient que la réalité du projet n’est pas établie par la commune, aux motifs que :

  • Le programme local de l’habitat ne prévoyait pas de construction de logements dans le secteur de la parcelle concernée sur la période considérée ;

  • Le schéma de faisabilité, prévoyant la construction de deux lots sur la parcelle, était particulièrement succinct ;

  • De fortes contraintes entourent la construction de la parcelle, à savoir une situation d’enclave sur trois côtés, sa situation en zone de dangers d’une centrale hydroélectrique et à proximité d’une plateforme chimique, et son zonage au plan local d’urbanisme (PLU) ne permet la constructibilité qu’à condition que des dispositifs constructifs de confinement vis-à-vis des aléas technologiques soient mis en place.

 

On voit donc, dans cet arrêt, que le juge administratif apprécie finement l’ensemble des éléments qui lui est soumis, et que, pour apprécier la réalité d’un projet, il peut tenir compte des difficultés objectives potentielles de mise en œuvre de l’opération, si les autres documents ne lui permettent pas d’appréhender suffisamment ce point.

Technologies de l’information : Bilan des dernières décisions en droit des contrats et marchés informatiques

Il est temps d’établir un bilan des décisions rendues en droit des contrats et marchés informatiques au cours de l’année écoulée, depuis la LAJ #101 d’octobre 2019. Bien que marquée par un net ralentissement de l’activité des juridictions du fait de la crise sanitaire, un certain nombre de décisions, rendues ou portées à notre connaissance depuis ce dernier panorama, ont retenu notre attention et méritent d’être évoquées aujourd’hui.

 

Précisions sur la qualification de marché public, sur le mécanisme de coopération public-public et le risque de favoritisme

 

CJUE, 28 mai 2020, aff. C-796-18, Informatikgesellschaft für Software-Entwicklung (ISE) mbH c/ Stadt Köln

La question posée à la Cour de justice est celle de savoir si la mise à disposition gratuite d’un logiciel entre deux pouvoirs adjudicateurs est ou non qualifiable de marché public et, si dans l’affirmative, si les règles applicables à la coopération public-public pouvaient ou non s’appliquer. Il était en outre demandé à la Cour de se prononcer sur le risque de favoritisme dans le cadre des marchés publics de maintenance, d’adaptation et de développement de logiciels.

En l’espèce, dans cette affaire, le Land de Berlin et la Ville de Cologne avaient conclu en 2017 une convention de mise à disposition gratuite d’un logiciel de suivi des interventions des pompiers dans la lutte contre les incendies, l’assistance technique, le secours d’urgence et la protection civile (« IGNIS Plus »).

Une convention de coopération en vue de la maintenance, de l’adaptation et le développement du logiciel avait également été conclue entre les deux pouvoirs adjudicateurs. Aux termes de cette seconde convention, chacune des deux parties s’engageait à mettre gratuitement à la disposition de l’autre les futurs développements de ce logiciel.

Ces deux conventions ont été conclues sans publicité ni mise en concurrence. De sorte qu’un opérateur concurrent de l’éditeur du logiciel a contesté la mise à disposition gratuite du logiciel, arguant, d’une part, que l’opération de mise à disposition gratuite du logiciel aurait dû respecter les règles de la commande publique et, d’autre part, que les futurs marchés publics de maintenance, d’adaptation et de développement du logiciel favoriseraient nécessairement l’éditeur dudit logiciel compte-tenu de la complexité du processus d’adaptation d’un tel logiciel.

Sur la première question, à savoir la qualification de marché public d’une convention de mise à disposition gratuite d’un logiciel entre deux pouvoir adjudicateurs, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé qu’un marché public est tout d’abord un contrat conclu à titre onéreux, que ce soit entre un pouvoir adjudicateur et un opérateur économique ou entre deux pouvoirs adjudicateurs.

Pour qualifier cette convention de contrat conclu à titre onéreux, la CJUE a rappelé qu’il convenait d’en rechercher la contrepartie. Or, en l’espèce, la Cour de justice a constaté que la convention de coopération, présentait un intérêt financier certain pour le Land de Berlin dans la mesure où chaque partie était obligée de mettre gratuitement à la disposition de l’autre les futurs développements du logiciel ; étant précisé que de telles adaptations devaient intervenir de manière certaine, y compris de la part de la Ville de Cologne, de sorte que cet intérêt financier revêtait un caractère certain et non hypothétique.

Malgré la qualification de marché public, la CJUE a toutefois reconnu qu’en l’espèce les règles de la commande publique ne s’appliquaient pas nécessairement à la convention de mise à disposition gratuite du logiciel car on se trouvait en l’espèce en présence d’une coopération public-public, c’est-à-dire un marché conclu entre deux pouvoirs adjudicateurs permettant la mise en œuvre d’une coopération dans le but de garantir que les services publics assurés par les pouvoirs adjudicateurs soient réalisés en vue d’atteindre des objectifs communs.

La Cour de justice précise dans sa décision que la coopération n’a pas à porter directement sur le service public et peut porter sur une activité accessoire à celui-ci, dès lors que cette activité accessoire contribue à la réalisation effective de la mission de service public. Ainsi, une coopération portant sur la mise à disposition d’un logiciel dont l’utilisation contribue à une mission de service public entre dans le champ de la coopération public-public, qualification exclusive de l’applicable des règles de la commande publique.

Sur la dernière question, à savoir le risque de favoritisme pesant sur les futurs marchés publics de maintenance, d’adaptation et de développement du logiciel, la CJUE apporte plusieurs précisions utiles quant aux conditions de mise en concurrence.

Afin de mettre en œuvre leurs engagements respectifs quant à l’évolution du logiciel conformément aux prévisions de la convention de coopération, tant le Land de Berlin que la Ville de Cologne devront conclure des futurs marchés publics de maintenance, d’adaptation et de développement du logiciel. Or, de tels marchés devront en principe faire l’objet d’une procédure de publicité et de mise en concurrence. De sorte que, conformément aux règles de la commande publique, les concurrents de l’éditeur dudit logiciel qui souhaiteront se porter candidats à de tels marchés, devront être traités sur un pied d’égalité avec cet éditeur.

Toutefois, l’un des concurrents de cet éditeur soutenait que ce dernier se trouvait favorisé dès lors que la complexité attachée au processus d’adaptation d’un tel logiciel nécessitait de disposer non seulement du code source mais également d’autres connaissances concernant le développement de ce code source.

En réponse à cette argumentation, la Cour de justice a répondu qu’il appartenait au pouvoir adjudicateur, dans le cadre d’un tel marché, de veiller à communiquer suffisamment d’informations aux candidats afin de permettre le développement d’une concurrence effective sur le marché dérivé de maintenance, d’adaptation et de développement du logiciel. Il est donc indispensable, afin de ne pas fausser le jeu de la concurrence, que le pouvoir adjudicateur communique le code source du logiciel aux candidats et que l’accès à ce code source suffise à garantir que les candidats soient traités d’une manière égalitaire, transparente et non discriminatoire.

Une telle exigence dépend toutefois des droits acquis initialement sur le logiciel par le pouvoir adjudicateur. En effet, cela ne peut concerner que les logiciels sur lesquels le pouvoir adjudicateur aura acquis le droit de procéder à des adaptations. Il est dès lors recommandé dans cette perspective de prévoir systématiquement, dans le cadre du marché initial, les droits d’adaptation, la communication du code source et de toutes les informations pertinentes au développement d’adaptation du logiciel. A défaut d’une telle prévision, le pouvoir adjudicateur se trouvera bloqué lors de la passation d’un marché dérivé de maintenance, d’adaptation et de développement du logiciel acquis dans le cadre du marché initial.

 

 

 

Vice du consentement : de l’importance de s’assurer des besoins du client et de la rédaction du devis

 

CA Colmar, 3e chambre civile, section A, 27 janvier 2020, n° 18/02590

La Cour d’appel de Colmar rappelle dans cette décision l’attention qui doit être portée à la rédaction des devis. En l’espèce, le devis accepté par le client portait sur l’installation d’un dispositif de surveillance vidéo. Il précisait que le matériel installé fournirait une qualité d’image en haute définition permettant l’enregistrement et la relecture d’images extrêmement détaillées et que les résolutions obtenues seraient quatre fois supérieures à la résolution des caméras analogiques les plus performantes du marché.

Toutefois, le client a pu constater, à l’occasion d’un acte de vandalisme intervenu en pleine nuit, que l’installation ne permettait pas de lire les plaques d’immatriculation la nuit, malgré le parfait état de fonctionnement du système. Il s’est ainsi avéré que le système en place ne permettait pas, en raison des réglages techniques des caméras, la lecture et l’identification des plaques d’immatriculation des véhicules la nuit.

Or, pour les juges, il résulte des termes du devis que le client recherchait un système de vidéosurveillance lui procurant l’enregistrement d’images extrêmement détaillées, en mode jour comme en mode nuit, afin de lui permettre l’identification d’auteurs d’actes de vandalisme dans ses locaux.

Il appartenait ainsi au vendeur de s’informer des besoins de son client et de l’informer ensuite des contraintes techniques de la chose vendue ainsi que des contre-indications quant au but recherché.

Cette décision est aussi l’occasion de rappeler qu’il appartient au vendeur de rapporter la preuve de l’exécution de son obligation d’information, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce. Faute de rapporter la preuve que le client avait été informé des contre-indications relatives à ses besoins exprimés, le contrat est annulé pour vice du consentement, au visa des articles 1109 et 1110 du Code civil (ancienne rédaction).

 

 

 

Obligation de délivrance conforme

 

CA Aix-en-Provence, 7 mai 2019, n° 15/12810

Cette affaire a été l’occasion pour les juges de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence de rappeler une nouvelle fois que l’obligation de délivrance conforme d’un logiciel est une obligation de moyen et non une obligation de résultat et que l’obligation de délivrance n’est pleinement exécutée que sous réserve de la mise au point effective du logiciel, sous réserve toutefois que le prestataire ait été mis en mesure, à travers les informations transmises par son client, de réaliser ladite mise au point.

En l’espèce, le client avait constaté le mauvais paramétrage de son logiciel de paie à l’occasion d’un contrôle URSSAF ayant mis en évidence des erreurs de calcul au regard d’une réforme récente.

Les juges rejettent ici les demandes du client dans la mesure où « les dysfonctionnements à l’origine du trop-payé par [le client] ne sont pas liés à la qualité intrinsèque du progiciel ou à l’utilisation elle-même de l’une ou l’autre fonctionnalité mais à l’introduction, dans le cadre de l’opération de paramétrage, de données comptables ou techniques totalement détachées de toute spécificité informatique et qui relèvent de la connaissance, soit du service comptabilité [du client], soit de [son] service des ressources humaines de sorte que, nanti d’informations erronées transmises par [le client], le paramétrage effectué ne pouvait qu’aboutir aux erreurs constatées par l’URSSAF ».

Il est à cet égard rappelé que le prestataire ne pouvait atteindre seul l’objectif de paramétrage pertinent du logiciel de paie et qu’il appartenait à son client de lui fournir toutes les informations « non seulement nécessaires mais encore fiables », étant précisé que le client ne peut « s’affranchir de [son] obligation de contrôler le travail effectué » par son prestataire.

 

 

 

Exécution du contrat

 

CA Versailles,  23 janvier 2020, n° 18/05773

Dans cette affaire, un client reprochait divers griefs à son prestataire au soutien de son refus de régler les factures de ce dernier, dans le cadre d’une mission de développement spécifique d’un logiciel.

Il était ainsi reproché au prestataire de ne pas avoir respecté le planning, d’avoir confié la mission à du personnel incompétent et de ne pas avoir respecté les mécanismes contractuels de suivi du projet, à savoir la mise en place d’un comité de pilotage.

Pour écarter ces griefs, la Cour d’appel relève que tant le non-respect du planning que le personnel du prestataire ou encore l’absence de comité de pilotage n’avait fait l’objet d’aucune critique du client au cours de l’exécution du contrat.

Au contraire, le client avait expressément accepté la prolongation de la mission par la signature de plusieurs avenants postérieurement à la date initiale de fin de mission. Ces renouvellements de la mission de son prestataire par le client n’avaient été accompagnés d’aucune réserve quant au personnel mis à disposition.

Enfin, malgré l’absence de mise en place effective d’un comité de pilotage, dont l’objectif était de contrôler l’avancement du projet et son approbation par le client, les échanges de courriels démontraient que le client avait dûment été informé de l’avancement du projet et avait eu la possibilité d’émettre des critiques, ce qu’il n’avait pas fait, tout en décidant de prolonger le projet.

En conclusion, ce sont les renouvellements successifs de la mission par le client, sans critique particulière quant à l’exécution du projet, qui ont permis à la Cour d’appel de Versailles de décider qu’en l’espèce, le client n’était pas fondé à se prévaloir d’une exception d’inexécution pour refuser de régler les factures de son prestataire.

Cette décision rappelle ainsi l’importance, en tant que client, d’émettre des réserves et critique, par écrit, tout au long de l’exécution du projet.

 

CA Caen, 2e chambre civile et commerciale, 28 novembre 2019, n° 17/03258

La Cour d’appel de Caen rappelle dans cette affaire que c’est au client qu’il revient de prouver le manquement de son prestataire à son obligation de délivrance conforme.

En l’espèce, le procès-verbal de recette avait été adressé au client, qui ne l’avait pas retourné signé. Or, pour les juges, cela tendait à démontrer que les livrables (en l’espèce il s’agissait de deux sites de e-commerce et d’une application mobile) étaient conformes à la commande et non l’inverse puisque « dans le cas contraire il suffisait [au client] de retourner le document signé après y avoir coché la case non conforme, ce qu'[il] n’a pas fait et ce qui autorise à en déduire que tel n’était pas le cas ». Ceci est d’autant plus vrai que les livrables ont ensuite été mis en environnement de production sans difficulté, démontrant que les éventuelles réserves, qui auraient pu ou dû être formulées par le client, n’auraient pas empêché par leur utilisation.

La Cour d’appel de Caen a ainsi reconnu qu’une recette pouvait intervenir de manière tacite, confirmant, à nouveau, l’importance de l’expression des critiques et réserves par le client tout au long du projet, puisqu’en la matière « qui ne dit mot consent ». 

 

 

 

Responsabilité contractuelle du prestataire

 

I – Force probante d’une expertise privée, caractérisation de la force majeure en matière informatique et indemnisation du préjudice de perte de données

 

CA Paris, Pôle 5, chambre 11, 7 février 2020, n° 18/03616

Ayant conclu un contrat d’assistance et de maintenance informatique comprenant la sécurisation et la sauvegarde de données, une société engage la responsabilité de son prestataire après avoir été victime d’un virus informatique dénommé « Locky » ayant eu pour effet de rendre inutilisables les fichiers infectés en les cryptant.

Cette décision a soulevé trois points successivement abordés ci-dessous :

  • La force probante d’une expertise privée
  • La caractérisation de la force majeure en matière informatique
  • L’indemnisation du préjudice de perte de données

 

    • La valeur probante d’une expertise privée

Afin de constater son préjudice, la société a fait appel à un huissier, accompagné d’un expert informatique. Ce constat a permis de mettre en évidence que les sauvegardes étaient réalisées sur des emplacements réseau et non pas sur un support numérique connecté directement au serveur mettant en échec les sauvegardes.

A la question de savoir si un tel constat constituait ou non une expertise privée non contradictoire, les juges répondent par la négative, estimant que le prestataire ne rapportait aucun élément de nature à remettre en cause l’objectivité des constatations effectuées. En outre, le caractère non contradictoire de cette expertise n’était pas de nature à lui ôter toute valeur probante dans la mesure où elle avait été dûment soumise au débat contradictoire et formait un élément de preuve parmi d’autres sur lequel le juge ne s’était pas fondé exclusivement.

 

    • La caractérisation de la force majeure en matière informatique

La Cour d’appel de Paris rappelle qu’ « un virus informatique ne présente ni un caractère imprévisible, ni un caractère irrésistible et ne constitue donc pas un cas de force majeure ni même un fait fortuit exonératoire de responsabilité ».

 

    • L’indemnisation du préjudice de perte de données

Ensuite, la Cour d’appel, constatant un lien de causalité entre la faute du prestataire (le défaut de sauvegarde exploitable) et le dommage du client (la perte de données), procède à l’évaluation du préjudice indemnisable de ce dernier.

En l’espèce, ce sont l’ensemble des frais liés à la perte des données de la société que le prestataire est condamné à indemniser (à hauteur de 41.172 euros), à savoir :

  • Les audits de sécurité ayant notamment pour objet la récupération et la réintégration de données ;
  • La sollicitation d’un expert-comptable pour la récupération d’archives et une saisie manuelle en urgence des déclarations de TVA du client ;
  • Le montant de la rançon pour la récupération des fichiers ;
  • L’intervention d’un expert informatique et d’un huissier ;
  • La mobilisation de son personnel.

 

II – Clause limitative de responsabilité écartée du fait du caractère dérisoire de l’indemnisation

CA Versailles, 12e chambre, 24 octobre 2019, n° 18/07160

Dans le cadre d’un contrat de fourniture d’accès à internet, le prestataire s’était engagé, aux termes des documents contractuels (et notamment des spécifications techniques), à fournir un certain débit. Les juges, constatant l’usage de termes clairs et précis (« débit Ethernet symétrique et garanti de 93 Mbps ») retiennent l’existence d’une obligation de résultat à la charge du prestataire.

Or, en l’espèce, les débits constatés par la société cliente étaient largement inférieurs aux promesses formulées, sans que l’assistance technique du prestataire, sollicitée à plusieurs reprises, ne soit en mesure de remédier au problème.

Constatant une faute et un préjudice, évalué en l’espèce à 15.880 euros, la Cour est ensuite amenée à se prononcer sur l’applicabilité de la clause limitative de responsabilité.

En l’espèce, les conditions générales du service renvoyaient aux conditions particulières pour la détermination du montant de la pénalité due par le prestataire en cas de non-respect des garanties de qualité de service, étant précisé que ladite pénalité était plafonnée à un mois d’abonnement. Les conditions particulières limitaient pour leur part l’indemnisation à 50% du montant de l’abonnement mensuel.

L’application de ces stipulations aurait ainsi conduit à un montant maximum d’indemnisation à hauteur de 340 euros HT.

Toutefois, la Cour d’appel a écarté l’application de cette clause limitative de responsabilité, constatant que le caractère dérisoire de l’indemnisation vidait de sa substance une obligation essentielle du prestataire de fournir sans interruption un service Internet avec un débit garanti symétrique de 93 Mbps et un engagement de résolution des dysfonctionnements sous quatre heures.

En effet, une telle limitation créait un déséquilibre dans la relation contractuelle puisque le coût d’une absence ou d’un dysfonctionnement du service était si faible pour le prestataire qu’il dénaturait son obligation, la rendant in fine non contraignante. A cet égard, les juges constatent qu’en l’espèce, le prestataire n’est finalement intervenu que contraint et forcé à la suite d’une assignation.

 

III – Refus d’indemniser la perte de temps consacrée par ses dirigeants à la résolution du litige

CA Rennes, 3e chambre commerciale, 25 Juin 2019, n° 16/06165

La Cour d’appel de Rennes retient dans cette décision le principe de la responsabilité contractuelle du prestataire compte-tenu de ses manquements dans l’exécution de ses obligations, à savoir un retard dans la livraison du produit commandé et les défauts qui ont affecté pendant plusieurs mois le fonctionnement des sites internet, auxquels il n’a été mis fin que par l’intervention d’une société tierce. 

Pour le calcul des dommages-intérêts, le client réclamait une indemnisation au titre de la perte de temps consacrée par ses dirigeants à la résolution du litige (en l’occurrence, 10 heures par semaine pendant 5 mois).

Cependant, la Cour d’appel refuse de donner droit à cette demande, considérant que « la gestion de ce type de difficultés faisait partie des tâches inhérentes à la fonction de dirigeant alors par ailleurs que celui-ci est rémunéré de manière forfaitaire et sans égard au temps consacré par lui à son activité professionnelle ».

 

Par Audrey Lefèvre et Sara Ben-Abdeladhim

 

 

 

 

 

 

Accès à l’électricité nucléaire : les modifications à venir

Modifications de l’accord-cadre ARENH conclu avec EDF

Consultation publique n° 2020-014 du 30 juillet 2020 relative à une proposition de modification de l’accord cadre ARENH

 

Une consultation publique est actuellement ouverte jusqu’au 15 septembre prochain.

Elle vise à recueillir les positions des acteurs sur les modifications de l’accord-cadre ARENH que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) envisage afin de clarifier les stipulations applicables notamment en cas de survenance d’un événement de force majeure.

L’accord-cadre ARENH est conclu avec EDF en application des dispositions de l’article L. 336-5 du Code de l’énergie et cet « accord-cadre conclu avec Électricité de France garantit, dans les conditions définies par le présent chapitre, les modalités selon lesquelles ce fournisseur peut, à sa demande, exercer son droit d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique pendant la période transitoire par la voie de cessions d’une durée d’un an ».

Au cours de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, des conflits d’interprétation sont apparus dans l’application des stipulations de cet accord-cadre relatives à la force majeure (voir notre commentaire dans notre précédente Lettre d’actualité n° 61 – mai 2020). C’est pourquoi la CRE envisage des modifications.

L’article 13 de l’accord-cadre prévoit que l’accord peut être suspendu en cas de survenance d’un événement de force majeure. Dans le cadre de cette consultation, la CRE propose de modifier la définition de l’événement de force majeure figurant à l’article 10 de l’accord-cadre qui le définit comme un « événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des Parties dans des conditions économiques raisonnables ».

Cette modification a pour objectif de simplifier la définition de l’événement de force majeure et de la rapprocher de la définition de la force majeure figurant à l’article 1218 du Code civil en supprimant de cette clause la référence aux « conditions économiques raisonnables ». Elle fait toutefois échec (pour l’avenir) aux solutions qui avaient été favorablement apportées aux fournisseurs par les juridictions saisies.

Ensuite, la CRE propose de préciser les modalités opérationnelles applicables lorsqu’une partie à l’accord-cadre invoque le bénéfice de la force majeure (clarification des délais et des modalités de notification, échanges entre les parties et avec la CRE…).

Enfin, la CRE propose de clarifier la signification du caractère de « plein droit » de l’interruption consécutive à l’invocation du bénéfice de la force majeure. La CRE propose également de clarifier les conditions de mise en œuvre de la résiliation anticipée à l’initiative de l’Acheteur.

Une fois ces modifications arrêtées, elles devront être entérinées par un arrêté du ministre chargé de l’énergie pris sur proposition de la CRE.

 

 

 

Réforme envisagée de l’ARENH : Rapport sur l’atteinte du plafond ARENH pour les années 2019 et 2020

Rapport pris en application de l’article R.336-39 du Code de l’énergie analysant les causes et les enjeux de l’atteinte du plafond du dispositif ARENH

 

Le 22 juillet dernier, la CRE a publié son rapport relatif à l’atteinte du plafond ARENH.

Elle y indique que l’atteinte du plafond ARENH s’explique par l’intensification de l’activité concurrentielle et la compétitivité du produit ARENH par rapport au niveau des prix de marché.

En effet, les demandes d’ARENH ont augmenté de manière continue entre 2017 et 2020, jusqu’à finalement dépasser le plafond de 100 TWh une première fois à l’occasion du guichet de novembre 2018 (153 TWh demandés dont 133 TWh à destination des consommateurs finals) puis à l’occasion du guichet de novembre 2019 (173 TWh demandés dont 147 TWh à destination des consommateurs finals).

Cette hausse s’explique en partie par l’augmentation du nombre de fournisseurs ayant recours au mécanisme ARENH : la CRE a ainsi reçu 73 dossiers de demande en novembre 2019 contre seulement 30 en 2017.

Dans ce rapport la CRE met en évidence « un défaut structurel du cadre réglementaire de l’ARENH aujourd’hui en vigueur ». Elle estime que l’élaboration d’un nouveau cadre devrait lui être confiée dans la mesure où, selon la CRE, une loi ou un décret en Conseil d’Etat ne seraient pas adaptés pour faire évoluer ce type de disposition.

Selon le régulateur, le dispositif gagnerait en efficacité si cette responsabilité lui revenait.

La CRE considère ainsi qu’une réforme de l’ARENH constituerait une avancée importante pour le fonctionnement du marché de l’électricité. Dans l’attente de l’adoption de cette réforme, la CRE recommande que le plafond de l’ARENH soit porté à 150 TWh en vue du prochain guichet de novembre 2020 portant sur l’année 2021. Si le dispositif actuel de l’ARENH devait aller jusqu’à son terme prévu en 2025, une hausse à 200 TWh de ce plafond devrait même être envisagée selon la CRE, au vu du rythme de développement de la concurrence sur le marché de détail.

Enfin, la CRE indique que  la question de la révision du prix ARENH, fixé à 42 €/MWh depuis 2012, se pose toujours mais qu’elle doit être traitée dans le cadre de la nouvelle régulation du nucléaire qui est notamment en cours de discussion avec la Commission européenne.