La campagne à la ville ou la (re) découverte du bail rural

De nombreuses collectivités possèdent dans leur patrimoine, outre des immeubles, des terrains nus destinés à accueillir des aménagements, des terres agricoles.

Souvent oubliées, elles sont aujourd’hui redécouvertes et font l’objet de toutes les attentions.

En effet, ces terres représentant une richesse participant à l’équilibre d’un territoire, au bien-être de ses habitants.

Dans ces conditions, beaucoup de collectivités s’interrogent aux fins de savoir comment assurer la pérennité d’une activité agricole sur leur territoire tout en s’assurant que la production locale bénéficiera en partie à sa population qui pourra cueillir, ramasser, acheter des fruits et légumes directement sur leur lieu de production.

Le bail rural semble être l’outil idoine.

I-             Le régime juridique du bail rural

L’activité agricole est une activité réglementée.

Le bail rural a été créé par le Législateur pour assurer la pérennité des exploitations agricoles.

C’est un statut d’ordre public, il est donc interdit d’y déroger.

L’article L. 411-1 du Code rural définit le bail rural comme « toute mise à disposition à titre onéreux d’un immeuble à usage agricole en vue d’y exploiter pour y exercer une activité agricole définie par l’article L.311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l’article L.411-2 ».

Ainsi, trois critères sont indispensables pour que le bail puisse être qualifié de rural :

–       il s’agit tout d’abord d’une mise à disposition d’un bien à titre onéreux. En effet, la mise à disposition doit comporter une contrepartie. A défaut, en cas de gratuité, il s’agit d’un prêt à usage. Le loyer n’est pas libre. Il doit s’inscrire dans une fourchette de prix fixée par arrêté préfectoral.

–       par ailleurs, l’immeuble mis à disposition à tire onéreux doit avoir une destination agricole.

–       enfin, le preneur doit avoir l’intention d’y exercer une activité agricole. Ainsi, il ne suffit pas que les biens aient un usage agricole, encore faut-il que le preneur ait l’intention de les exploiter. Ainsi, il n’y a pas de bail rural si le preneur conclut un contrat pour exercer une activité agricole dérivée mais non une activité agricole de production. Tel serait le cas d’un camping sur une partie duquel serait installé des chevaux (Cass., 3ème civ., 23 mars 2005, n° 04-11.345).

Selon l’article L. 411-5 du Code rural, la durée du bail ne peut être inférieure à 9 ans. Le bail peut donc avoir une durée supérieure.

Toutefois, il convient de noter que si la durée du bail excède douze années, il doit être publié au service de publicité foncière.

Le preneur a droit au renouvellement de son bail (L.411-46 du Code Rural). Cette disposition est d’ordre public.

Le droit au renouvellement emporte conclusion d’un nouveau contrat aux mêmes conditions que l’ancien. Les parties fixent le prix du bail renouvelé. Si elles n’y parviennent pas amiablement, le prix sera fixé par le Tribunal paritaire des baux ruraux.

Le renouvellement étant un nouveau contrat, il se trouve soumis aux règles applicables lors de ce renouvellement (Cass., 3ème civ., 19 septembre 2007, n° 06-17267).

Cependant, le bailleur peut s’opposer au renouvellement du bail. Il n’a toutefois pas un droit discrétionnaire à le faire. En effet, les causes du non renouvellement sont strictement définies.

Il s’agit du non-respect des conditions d’exploitation, l’âge du fermier (atteinte de l’âge de la retraite), reprise du bien par le bailleur pour construire (L. 411-57 du Code rural).

En cas de non renouvellement, le bailleur doit, par acte d’Huissier, notifier le congé au preneur 18 mois avant la fin du bail.

Le fermier dispose d’un délai de 4 mois pour le contester devant le Tribunal paritaire des baux ruraux. A défaut de notification du congé dans les délais légaux, le bail est renouvelé.

Enfin, le bail peut être résilié à tout moment à l’amiable ou de manière judiciaire dans des cas limitativement prévu par le code.

II-            L’intérêt pour la collectivité de conclure un bail rural

Dès lors, il est établi que la collectivité en concluant un bail rural assure la pérennité de la destination agricole des terres dans la mesure où ainsi qu’il vient d’être vu, il est difficile d’y mettre fin à partir du moment où la destination agricole est respectée.

Plus encore, la collectivité, en concluant un bail rural, pourra s’assurer que ce « poumon vert » au cœur de la ville bénéficiera à ses habitants.

En effet, la collectivité, en sa qualité de bailleresse, pourra négocier et inclure dans ce bail rural des clauses aux termes desquelles le fermier s’engagera à vendre une partie de sa production sur le marché local, à fournir la restauration scolaire, à prévoir des ateliers pédagogiques, de sensibilisation à la nature, voir même de la formation pour adultes.

Dès lors, conclure un bail rural permet à la collectivité de participer au développement de son territoire, d’encourager l’ancrage territorial, de favoriser la production et la commercialisation des produits agricoles, de contribuer à la protection de la santé publique, et de promouvoir l’emploi de proximité.

Claire-Marie DUBOIS SPAENLE – Avocat Associé

Hakim ZIANE – Avocat à la Cour

Protection des données personnelles : le projet de loi vient d’être publié

Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) entrera en vigueur le 25 mai 2018, soit dans cinq mois.

Pour être appliqué, chaque pays doit prendre une loi locale. En France, le projet de loi relatif à la protection des données personnelles vient d’être publié.

La Commission Informatique et Libertés (CNIL) et le Conseil d’Etat ont donné leur avis sur ce projet.

Le RGPD est directement applicable mais certains ajustements peuvent être décidés par le législateur national.

Il s’agit, notamment, de « l’âge à partir duquel un mineur peut consentir une offre directe de services de la société numérique », fixé à 16 ans au niveau européen mais qui peut être abaissé jusqu’à 13 ans. Le Gouvernement a décidé de le maintenir à 16 ans ; donc avant cet âge, l’autorisation de l’autorité parentale est requise.

Par ailleurs, le Gouvernement souhaite « anticiper le développement d’une administration numérique » en « ouvrant plus largement la possibilité pour l’administration de recourir à des décisions automatisées (sur le fondement d’un algorithme), à la condition d’offrir d’importantes garanties en contrepartie, en matière d’information pleine et entière des personnes, de droits de recours et de données traitées et de maîtrise par le responsable du traitement algorithmique et de ses évolutions ».

Enfin, la Gouvernement décide de profiter de la marge manœuvre prévue à l’article 23 du règlement, relatif à la limitation de certains droits des personnes concernées, quand « elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir certains objectifs », comme la sécurité nationale.

La CNIL salue cette étape et souligne que le projet de loi jour pleinement le jeu du règlement et de l’harmonisation recherchée par celui-ci, en ne maintenant les dérogations nationales que lorsqu’elles sont réellement justifiées, comme en matière de santé.

En revanche, elle regrette que d’autres propositions n’aient pas été retenues, tendant notamment à l’ajout de garanties supplémentaires lors de l’utilisation de traitements algorithmiques débouchant sur des décisions administratives, ou à l’adaptation de ses procédures pour lui permettre de faire face à l’augmentation d’activité liée au nouveau règlement.

De nouvelles règles de caducité pour les établissements sociaux et médico-sociaux

En application de l’article 89 de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017, le décret du 28 novembre 2017 est venu modifier l’article D. 313-7-2 du code de l’action sociale et des familles relatif à la caducité des autorisations accordées aux établissements sociaux et médico-sociaux.
Aux termes de cet article, l’autorisation est désormais réputée caduque en l’absence d’ouverture au public de l’établissement ou du service dans un délai de 4 ans (et non plus trois ans) suivant la notification de la décision d’autorisation. Néanmoins, dans l’hypothèse où le projet d’établissement ou de service ne nécessite pas la construction d’un immeuble ou des travaux de rénovation sur un immeuble bâti, l’autorisation peut déterminer un délai inférieur en fonction de l’importance du projet et de la nature des prestations fournies. Il ne peut toutefois être inférieur à 3 mois.
Le décret prévoit la possibilité de proroger le délai de caducité dans les conditions suivantes :
 – dans la limite de trois ans, lorsque l’autorité, ou conjointement, les autorités compétentes constatent que l’établissement ou le service n’a pu ouvrir au public pour un motif non imputable à l’organisme gestionnaire ;

 – dans la limite d’un an, lorsque l’autorité ou, conjointement, les autorités compétentes constatent que l’ouverture complète au public de la capacité autorisée est en mesure d’être achevée dans ce délai.

Pour obtenir une prorogation, le titulaire de l’autorisation adresse sa demande de prorogation à l’autorité, ou conjointement, aux autorités compétentes, par tout moyen permettant d’attester de la date de sa réception au plus tard deux mois avant l’expiration des délais susmentionnés. La demande doit être accompagnée de tout document justificatif. Si aucune décision ne lui a été notifiée dans un délai de deux mois à compter de la réception de sa demande par l’une des autorités compétentes, le titulaire de l’autorisation doit considérer sa demande de prorogation comme acquise.
La caducité doit être constatée par l’autorité ou, conjointement, par les autorités compétentes dans un délai de deux mois suivant l’expiration des délais fixés par l’autorisation initiale (4 ans ou moins), et le cas échéant l’autorisation de prorogation. Cette décision doit être publiée et notifiée dans les mêmes conditions que l’autorisation initiale.
Le décret précise que ces nouvelles règles sont applicables uniquement aux autorisations accordées à compter du 1er janvier 2018. Demeurent régies par les dispositions de l’article D. 313-7-2 du Code de l’action sociale et des familles dans sa rédaction antérieure au présent décret les décisions d’autorisation pour lesquelles une procédure d’appel à projet a été engagée antérieurement au 1er janvier 2018 et celles ne faisant pas l’objet d’une procédure d’appel à projet et pour lesquelles une demande d’autorisation a été déposée avant le 1er janvier 2018.

Projet de disposition législative visant à simplifier la réalisation d’installations de production d’énergie renouvelable en mer

L’article 34 du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance a pour objet de simplifier les procédures nécessaires à la réalisation d’installations de production d’énergie renouvelable en mer. Ce projet de loi vise plus largement à simplifier les relations des citoyens et des entreprises avec les administrations et à instaurer un « droit à l’erreur ».

 À ce jour, les différentes étapes de la pose d’une installation de production d’électricité en mer sont les suivantes : choix de la zone d’implantation de l’installation par l’État, lancement d’une procédure d’appel d’offres visant à sélectionner une entreprise pour réaliser ce projet, obtention des autorisations administratives par le candidat sélectionné (autorisation d’occupation du domaine public maritime et autorisations environnementales), et enfin construction de l’installation.

 Or, la réalisation de l’ensemble de ces étapes peut se révéler très longue.

 L’objectif de l’article 34 du projet de loi précité est donc de simplifier, d’alléger et d’accélérer les procédures nécessaires à la pose de ces installations.

 Ainsi, cet article autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi visant en particulier à :

–       adapter l’autorisation environnementale prévue à l’article L.181-1 du code de l’environnement et l’autorisation unique prévue au chapitre II du titre II de l’ordonnance n° 2016-1687 du 8 décembre 2016 relative aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française, pour permettre la délivrance à l’État d’une autorisation relative à une installation de production d’énergie renouvelable en mer qui serait ensuite transférée au candidat retenu à l’issue de la procédure de mise en concurrence prévue à l’article L. 311-10 du code de l’énergie ;

–       permettre que les candidatures à cette procédure de mise en concurrence vaillent demande d’autorisation d’occupation du domaine public maritime, et que la décision portant désignation du lauréat de cette procédure emporte attribution de cette autorisation ;

–       simplifier la procédure d’élaboration et de révision des schémas régionaux de raccordement au réseau des installations de production d’électricité usant d’énergies renouvelables prévue par l’article L. 321-7 du code de l’énergie ;

–       rendre applicable aux ouvrages des réseaux publics d’électricité la procédure d’extrême urgence prévue par les articles L.522-1 et suivants du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Ces ordonnances devront, selon leur objet, être prises dans un délai de 12 à 18 mois à compter de la publication de la loi.

Ce projet de loi a été déposé à l’Assemblée nationale le 27 novembre 2017.

 

Le caractère irrégulier de l’implantation d’un poteau électrique ne justifie pas nécessairement sa démolition : l’intérêt général l’emporte au nom du bon fonctionnement du service public de la distribution d’électricité

Si les concessionnaires de réseaux de transport et de distribution d’électricité détiennent un droit légal d’occuper les voies publiques et leurs dépendances pour y exécuter les travaux nécessaires à l’établissement et à l’entretien des ouvrages de ces réseaux en application de l’article L. 323-1 du Code de l’énergie, tel n’est pas le cas sur les propriétés privées.

La Cour administrative d’appel de Lyon (ci-après la « Cour ») vient rappeler, dans un récent arrêt du 5 octobre 2017 ici commenté, le pouvoir du juge administratif d’ordonner la démolition d’un ouvrage public mal implanté si celle-ci n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général. Mais au vu des intérêts publics à préserver, la Cour a en l’espèce refusé d’ordonner la démolition d’un poteau irrégulièrement implanté servant de support à une ligne électrique, validant de fait l’implantation irrégulière de cet ouvrage public.

À l’origine du litige porté par Monsieur D. devant le Tribunal administratif de Grenoble, puis devant la Cour administrative d’appel de Lyon, se trouve un poteau électrique implanté sur une parcelle appartenant au requérant.

Ce poteau avait été implanté dès 1983 par la société Électricité de France (« EDF »), devenue par la suite, s’agissant du service public de la distribution d’électricité, la société Électricité réseau distribution France (« ERDF »), et aujourd’hui dénommée ENEDIS.

En 1990, Monsieur D., le requérant, est devenu propriétaire de plusieurs parcelles. L’une d’entre elles est le terrain d’assiette d’une maison d’habitation, tandis qu’une autre est celle sur laquelle le poteau électrique avait été installé.

Puis, en 2002, Monsieur D. a obtenu un permis de construire l’autorisant à édifier un garage accolé à sa maison, mais dont l’accès est aménagé sur la parcelle sur laquelle se trouve le poteau électrique.

Quelques années plus tard, en 2009, Monsieur D. a demandé à la société ERDF de déplacer à ses frais le poteau électrique implanté sur la parcelle dont il est seul propriétaire.

Se voyant opposer un refus à sa demande, Monsieur D. saisit le Tribunal administratif de Grenoble d’un recours en annulation de cette décision de rejet et demande la condamnation d’ERDF à déposer ce poteau sous astreinte.

Par un jugement en date du 23 juin 2016, le Tribunal administratif de Grenoble a rejeté ce recours.

C’est de cette décision que Monsieur D. a interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Lyon.

Si la solution de cette dernière peut à première vue surprendre, elle résulte en réalité d’une stricte application au cas d’espèce d’une jurisprudence pour sa part « bien implantée » !

Pour arriver à cette solution, la Cour a qualifié le poteau électrique d’ouvrage public mal implanté qui ne pouvait pas faire l’objet d’une régularisation (I.).

Puis, aux termes d’un bilan coûts-avantages de la démolition de ce poteau, elle a jugé que l’intérêt général justifiait que ce support demeure irrégulièrement implanté, faisant ainsi survivre la théorie de l’intangibilité des ouvrages publics (II.).

I- La qualification du poteau électrique d’ouvrage public mal implanté

Dans le litige soumis à la Cour, il s’agissait d’abord de qualifier le poteau électrique litigieux (A.), et de se demander si l’implantation de ce poteau pouvait être régularisée (B.).

A –La qualification attendue d’ouvrage public

Pour rappel, les contours de la notion d’ouvrage public ont été dessinés par la jurisprudence pour la première fois en 2010 seulement, dans un avis du Conseil d’État « M. et Mme Béligaud » (CE, Avis, 29 avril 2010, n°323179 ; voir également Tribunal des conflits, 12 avril 2010, ERDF contre Michel, n°C3718).

Selon cet avis du Conseil d’État, outre le cas de la détermination par la loi de la qualification d’ouvrage public, sont des ouvrages publics (notamment) les biens (i) revêtant un caractère immobilier, (ii) résultant d’un aménagement et (iii) qui sont directement affectés à un service public, « y compris s’ils appartiennent à une personne privée chargée de l’exécution de ce service public ».

Ce faisant, le Conseil d’État décorèle la notion d’ouvrage public de celle de propriété publique et de domanialité publique. En d’autres termes, certains ouvrages publics ne font pas partie du domaine public, et le domaine public englobe, bien sûr, des biens meubles et immeubles qui ne sont pas aménagés (voir sur le sujet F. Melleray, « Définition de la notion d’ouvrage public et précisions sur le service public de l’électricité », RFDA 2010, p.572).

On relèvera par ailleurs que le Conseil d’État ayant utilisé l’adverbe « notamment », cette qualification d’ouvrage public n’est pas limitée aux biens présentant ces trois caractéristiques.

L’ouvrage objet du litige soumis à la Cour est un poteau électrique en béton servant notamment à supporter une ligne électrique basse tension.

La Cour a appliqué à ce poteau les règles relatives aux ouvrages publics mal implantés.

Cela est tout à fait fondé, dans la mesure où ledit poteau (i) est un bien immeuble, (ii) résultant d’un aménagement puisque construit par l’homme, et (iii) qui est directement affecté au service public de la distribution d’électricité.

En effet, on rappellera, sur ce dernier point, qu’en application de l’article L.121-2 du Code de l’énergie, « le service public de l’électricité assure les missions de développement équilibré de l’approvisionnement en électricité, de développement et d’exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité ainsi que de fourniture d’électricité, dans les conditions définies à la présente section », et qu’en application de l’article L. 121-4 du même Code, la mission de développement et d’exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité consiste notamment à assurer le raccordement et l’accès à ces réseaux.

Et on a joutera que ce service public est exploité dans le cadre des concessions locales conclues par les autorités organisatrices de la distribution d’électricité, en application de l’article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales.

Le Tribunal des conflits avait d’ailleurs déjà jugé « qu’un poteau électrique, qui est directement affecté au service public de la distribution d’électricité dont la société ERDF est chargée, a le caractère d’un ouvrage public » (TC, 17 juin 2013, Bergoend, n° C3911).

Le poteau litigieux est donc bien un ouvrage public.

B –L’impossibilité de régulariser l’implantation du poteau électrique

Le poteau électrique était implanté sur la propriété de Monsieur D., sans que ce dernier n’ait consenti à cette implantation par la signature d’une convention de servitude, et sans qu’une déclaration d’utilité publique des travaux d’EDF (en son temps) n’ait été menée à bien.

S’agissant de l’absence de servitude conventionnelle, la Cour précise que « l’existence d’une autorisation valide ne p[eut] se déduire du seul fait que l’implantation était nécessaire à la desserte de la propriété où il est implanté ».

La Cour affirme donc que « le poteau litigieux est irrégulièrement implanté », faute sans doute de démonstration contraire du gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité.

Et, dans ce cas, la Cour rappelle qu’il appartient au juge administratif saisi d’une demande d’injonction de suppression d’un ouvrage public, pour déterminer s’il convient de faire droit à cette demande « de rechercher, d’abord, si, eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible ».

Or, selon l’article L. 323-4 3° du Code de l’énergie, la déclaration d’utilité publique confère au concessionnaire de la distribution d’électricité le droit « [d]’ établir à demeure des canalisations souterraines, ou des supports pour conducteurs aériens, sur des terrains privés non bâtis, qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes ».

Cet article a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel en 2016, sous réserve toutefois que « les servitudes instituées par les dispositions contestées n’entraînent pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 mais une limitation apportée à l’exercice du droit de propriété » (Conseil constitutionnel, 2 février 2016, Association Avenir Haute Durance et autres, n° 2015-518 QPC). Tel serait le cas « si la sujétion ainsi imposée devait aboutir, compte tenu de l’ampleur de ses conséquences sur une jouissance normale de la propriété grevée de servitude, à vider le droit de propriété de son contenu ».

L’article L. 323-6 du code de l’énergie, également visé par la Cour, précise ensuite que « [l]a pose des canalisations ou supports dans un terrain ouvert et non bâti ne fait pas non plus obstacle au droit du propriétaire de se clore ou de bâtir ».

En d’autres termes, dès lors qu’un terrain est bâti, et/ou clôturé, et même si les travaux envisagés par le concessionnaire ont été déclarés d’utilité publique, le concessionnaire ne peut installer de nouveaux supports pour conducteurs aériens, tel que le poteau en béton objet du litige, sur une propriété privée.

Or, en l’espèce, le terrain d’assiette du poteau comprenant un garage, il s’agissait d’un terrain bâti.

La Cour en conclut que l’implantation irrégulière du poteau électrique ne peut pas faire l’objet d’une régularisation appropriée par l’implantation de ce même poteau sur le terrain du requérant.

La seule solution pour mettre fin à cette implantation irrégulière consistait dès lors à déplacer ou démolir cet ouvrage.

Telle n’a cependant pas été la solution retenue par la Cour.

II – L’absence d’injonction de démolir le poteau mal implanté, ou la survivance de la théorie de l’intangibilité des ouvrages publics

De jurisprudence désormais constante, c’est le juge administratif qui est compétent pour ordonner le déplacement, la transformation ou la suppression d’un ouvrage public (TC, 12 avril 2010, ERDF contre Michel, n°C3718, précité ; TC, 17 juin 2013, Bergoend, n° C3911, précité).

Ainsi saisie, la Cour a confirmé l’affaiblissement de la théorie de l’intangibilité des ouvrages publics (A.), mais a jugé, au bénéfice de la préservation du bon fonctionnement du service public, que le poteau électrique mal implanté ne devait pas être démoli (B.).

A- La confirmation de l’affaiblissement de la théorie de l’intangibilité des ouvrages publics

La Cour a jugé, dans un considérant de principe :

« qu’il appartient au juge administratif, saisi d’une demande d’injonction de suppression d’un ouvrage public, pour déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue en qualité de juge de plein contentieux, s’il convient de faire droit à cette demande, au cas où l’ouvrage public dont la démolition est demandée est édifié irrégulièrement, de rechercher, d’abord, si, eu égard notamment à la nature de l’irrégularité, une régularisation appropriée est possible ; que, dans la négative, il lui revient ensuite de prendre en considération, d’une part, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général ».

Ce faisant, il a rappelé le principe consacré par le Conseil d’Etat dans un arrêt de 2003 portant sur une ligne électrique mal implantée (CE, 29 janvier 2003, Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-Maritimes et Commune de Clans, n°245239).

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a remis en cause le caractère absolu du principe de l’intangibilité des ouvrages publics, en acceptant que ce dernier puisse, au vu des divers intérêts publics et privés en présence, ne pas toujours prévaloir.

Comme l’indique le rapporteur public dans cette affaire, ce principe était principalement fondé sur la volonté de préserver l’intérêt général auquel est affecté l’ouvrage public, ce qui implique de protéger l’intégrité et le fonctionnement de ce dernier (C. Maugüé, Conclusions sous CE, 29 janvier 2003, n°245239, Revue juridique de l’entreprise publique, n°597, avril 2003). Mais, dans un contexte d’infléchissements jurisprudentiels de ce principe, et de réaffirmation par la Cour européenne des droits de l’homme de sa volonté de protéger le droit de propriété, il est apparu raisonnable au Conseil d’État d’apporter des exceptions à ce principe.

Cet arrêt a par la suite été confirmé (voir par exemple, s’agissant d’une cale d’accès à la mer dont le juge n’a pas ordonné la démolition : CE, 13 février 2009, Communauté de communes du canton de Saint-Malo-de-la-Lande contre Association Manche Nature, n°295885).

Dans l’arrêt commenté, la Cour a donc, en application de cette jurisprudence constante du Conseil d’Etat, utilisé la théorie du bilan pour trancher la demande d’injonction de suppression du poteau électrique mal implanté qui lui était soumise.

B – La prévalence de l’intérêt général tenant à la préservation du service public

En l’espèce, la Cour a mis en balance les inconvénients tenant à la présence irrégulière du poteau électrique, et ceux que présenterait la démolition de cet ouvrage.

Ainsi, d’après la Cour, le poteau empiète certes sur la propriété privée de Monsieur D., mais il n’est pas prouvé que cet empiètement, « d’ampleur limitée » et qui se trouve à proximité de la limite de la propriété avec la voie publique, fasse obstacle à ce que le requérant puisse clore sa propriété, ni n’entraine de difficultés significatives de desserte de cette propriété ou de circulation pour les usagers de ladite voie publique. Elle juge donc que ces inconvénients ont un « caractère limité ».

À l’inverse, le déplacement de l’ouvrage, qui consisterait soit à enfouir la ligne électrique, soit à poser un nouveau poteau (le requérant n’étant pas parvenu à prouver que l’augmentation de la portance d’un poteau voisin serait suffisante pour solutionner le problème) emporterait selon l’appréciation de la Cour une atteinte excessive à l’intérêt général. La Cour fonde cette conclusion sur le fait que le poteau supporte à la fois une ligne électrique desservant plusieurs usagers, un point d’éclairage public et un réseau de télécommunications.

Par conséquent, la Cour renonce, pour des considérations d’intérêt général, à mettre fin à une irrégularité, et confirme le jugement de première instance par lequel le Tribunal administratif de Grenoble avait rejeté le refus d’enjoindre à la société ENEDIS de déplacer ou de supprimer le poteau.

Ce faisant, la Cour entend préserver le bon fonctionnement des services publics de la distribution d’électricité, de l’éclairage public et des communications électroniques.

Elle confirme ainsi que la théorie de l’intangibilité des ouvrages publics, bien qu’affaiblie, demeure. Elle fait également revivre l’adage selon lequel « Ouvrage public mal planté ne se détruit pas », dont la doctrine attribue l’origine, au moyen d’une interprétation relativement extensive, à un arrêt du Conseil d’État de 1853 (CE, 7 juillet 1953, Robin de la Grimaudière, Rec. CE 1953 p.693).

C’est donc la sauvegarde des intérêts du service public de la distribution d’électricité qui prévaut sur les intérêts particuliers, sous réserve toutefois d’en démontrer l’importance au regard des inconvénients que la démolition d’un ouvrage mal implanté emporterait.

Cette solution retiendra l’attention des autorités organisatrices de la distribution d’électricité, comme des gestionnaires des réseaux publics de la distribution d’électricité, qui n’auraient pas conservé dans leurs archives, l’historique complet de l’implantation des ouvrages de réseau.

Marie-Hélène Pachen-Lefèvre – Avocat Associée

Astrid Layrisse – Avocat

Fixation des taux des coûts de raccordements couverts par le TURPE des consommateurs et des installations de production d’électricité d’origine renouvelable (dits « taux de réfaction »).

Arrêté du 30 novembre 2017 relatif au niveau de prise en charge des coûts de raccordement à certains réseaux publics de distribution de gaz naturel des installations de production de biogaz, en application de l’article L. 452-1 du code de l’énergie.

Publiés au Journal officiel de la République française du 3 décembre 2017, deux arrêtés viennent préciser les taux de réfaction applicables aux coûts de raccordement des consommateurs d’électricité, des installations de production d’électricité d’origine renouvelable aux réseaux publics de distribution ou de transport d’électricité et des installations de production de biogaz aux réseaux publics de distribution de gaz naturel.

Ces taux de réfaction correspondent à la partie du prix d’un raccordement qui ne sera pas facturée par le gestionnaire du réseau au demandeur du raccordement (par exemple le producteur d’électricité d’origine renouvelable), mais sera couvert par le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (ci-après le « TURPE ») facturé, lui, aux consommateurs finals d’électricité (ou celui relatif à l’accès des tiers aux réseaux de distribution de gaz naturel pour le biogaz, ci-après l’ « ATRD », facturé aux consommateurs finals de gaz naturel).

Pour le raccordement d’installations de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable, l’article L. 341-2 du code de l’énergie dispose désormais, à la suite de la ratification de l’ordonnance n°2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables par une loi du 24 février 2017[1], que le TURPE doit couvrir :

« 3° Une partie des coûts de raccordement à ces réseaux et une partie des coûts des prestations annexes réalisées à titre exclusif par les gestionnaires de ces réseaux, l’autre partie pouvant faire l’objet d’une contribution dans les conditions fixées aux articles L. 342-6 à L. 342-12. Peuvent bénéficier de la prise en charge prévue au présent 3° : (…)

c) Les producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable dont les installations sont raccordées aux réseaux publics de distribution, quel que soit le maître d’ouvrage de ces travaux. (…)

 Le niveau de la prise en charge prévue au présent 3° ne peut excéder 40 % du coût du raccordement et peut être différencié par niveau de puissance et par source d’énergie. Il est arrêté par l’autorité administrative après avis de la Commission de régulation de l’énergie.

La prise en charge prévue au présent 3° n’est pas applicable lorsque les conditions de raccordement sont fixées dans le cadre de la procédure de mise en concurrence prévue à l’article L. 311-10 ».

Si l’assiette des taux de réfaction visés à l’article L. 341-2 du Code de l’énergie précité est déterminée à l’article 4 d’un arrêté du 28 août 2007[2] (c’est la part moyenne des coûts des travaux d’extension ou de branchement portant sur des ouvrages en basse et/ou en moyenne tension des réseaux publics de distribution), le niveau exact du taux pour les installations de production d’origine renouvelable était resté, quant à lui, indéterminé.

Ce n’est désormais plus le cas avec le premier arrêté du 30 novembre 2017 commenté qui porte à la fois sur le raccordement des installations de production d’origine renouvelable et sur celui des consommateurs (par abrogation de l’arrêté du 17 juillet 2008 fixant les taux de réfaction[3]).

En vertu des trois premiers articles du premier arrêté commenté, les différents taux de réfaction tarifaire sont fixés à un niveau égal à :

  • 40 % pour le raccordement des consommateurs aux réseaux publics de distribution d’électricité, pour celui d’un réseau public de distribution à un réseau public en moyenne tension (HTA) mais aussi pour le raccordement des installations de production d’électricité d’origine renouvelable d’une puissance installée égale ou inférieure à 100 kilovoltampères ;
  • 30 % pour le raccordement des consommateurs aux réseaux publics en haute tension (HTB) ainsi que pour le raccordement d’un réseau public de distribution à un réseau public en haute tension (HTB).

Pour les installations de production d’électricité d’origine renouvelable d’une puissance installée supérieure à 100 kilovoltampères et inférieure à 1 mégawatt, l’article 4 de l’arrêté commenté fixe un barème de réfaction selon la puissance de l’installation, la qualification d’ouvrage propre au sens de l’article D. 342-22 du Code de l’énergie ou pour la quote-part définie au même article D. 342-22 (cf. tableau de l’article 4 de l’arrêté commenté).

Pour ces dernières installations, le taux oscille de 40% pour les installations d’une puissance installée comprise entre 100 kilovoltampères et 500 kilowattheures jusqu’à l’absence totale de réfaction pour les installations d’une puissance installée inférieure à 5 mégawattheures.

Enfin, le second arrêté du 30 novembre 2017 commenté fixe, quant à lui, un taux égal à 40 % du coût relatif au raccordement des installations de production de biogaz aux réseaux publics de distribution de gaz naturel conformément à l’article 452-1 du Code de l’énergie.

[1] Cf. Loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables.

[2]  Cf. Arrêté du 28 août 2007 fixant les principes de calcul de la contribution mentionnée aux articles 4 et 18 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité.

[3] Cf. Arrêté du 17 juillet 2008 fixant les taux de réfaction mentionnés dans l’arrêté du 28 août 2007 fixant les principes de calcul de la contribution mentionnée aux articles 4 et 18 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité.

 

Le Conseil d’Etat valide l’arrêté d’un maire interdisant la fouille de poubelles

Par un arrêt n° 403275 du 15 novembre 2017, le Conseil d’Etat a validé la légalité l’arrêté d’un maire interdisant « la fouille des poubelles, de conteneurs ou de tout autre lieu de regroupement de déchets » sur le territoire de sa commune.

En l’espèce, le Maire de La Madeleine, dans le département du Nord, avait été alerté sur les désagréments causés en plusieurs endroits du territoire de sa Commune par la fouille des poubelles destinées à la collecte des déchets, provoquant un éparpillement sur la voie publique et la perturbation du bon fonctionnement du service public de ramassage des déchets. Ainsi, par un arrêté du 29 juillet 2011, le maire a interdit la fouille des poubelles, conteneurs et lieux de regroupement de déchets sur le territoire de sa commune au titre de ces pouvoirs de police.

La Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen a alors tenté d’obtenir l’annulation de cet arrêté municipal par un recours en excès de pouvoir, le considérant à la fois disproportionné et discriminant. Mais le Conseil d’Etat a confirmé la décision de la Cour administrative d’appel de Douai en validant la légalité de cet arrêté de police.

Pour fonder sa décision, le Conseil d’Etat rappelle les conditions que la mesure de police doit respecter pour être légale : la mesure doit répondre à un trouble à l’ordre public, elle doit être proportionnée et ne doit pas présenter un caractère discriminatoire. 

En application de ces critères, la Haute juridiction administrative a admis, en l’espèce, « l’existence d’un trouble à l’ordre public résultant de la fouille des poubelles » et a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Douai, qui avait jugé que « l’arrêté municipal constituait une mesure de police proportionnée à l’objectif de préservation de l’ordre public ». Le Conseil valide ainsi la légalité de cet arrêté de police au motif que celui-ci « n’a pas pour objet d’interdire l’appropriation d’objets placés dans les poubelles, traditionnellement admise, mais qu’il se borne à interdire la pratique consistant en une exploration systématique des conteneurs entraînant l’éparpillement des déchets qu’ils renferment ». Concernant l’aspect discriminatoire du texte, le Conseil d’Etat juge encore que la circonstance, à la supposer établie, que l’arrêté municipal aurait été traduit en roumain et en bulgare, n’aurait pas démontré son caractère discriminatoire.

Un nouveau projet de tri mécano-biologique rejeté sur la base de la loi de transition écologique

Dans un arrêt du 14 novembre 2017, la Cour d’appel de Bordeaux a annulé une autorisation d’exploitation d’une unité de tri mécano-biologique au motif que ce projet n’était pas compatible avec les dispositions de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique et pour la croissance verte et plus particulièrement avec les dispositions de l’article L. 541-1 du Code de l’environnement dans sa rédaction issue de ladite loi.

En effet, depuis la loi de transition énergétique, l’article L. 541-1 du Code de l’environnement définit non seulement la hiérarchie des modes de traitement de déchets, mais également les objectifs à suivre par la politique de prévention des déchets pour parvenir à respecter cette hiérarchie. Parmi ces objectifs, on évoquera plus particulièrement, en l’espèce, celui de l’augmentation de la quantité de déchets faisant l’objet d’une valorisation conduisant le service public de gestion des déchets à progresser dans le développement du tri à la source des déchets organiques. Dans le cadre de cet objectif, l’article L. 541-1 précité dispose que : « La généralisation du tri à la source des biodéchets, en orientant ces déchets vers des filières de valorisation matière de qualité, rend non pertinente la création de nouvelles installations de tri mécano-biologique d’ordures ménagères résiduelles n’ayant pas fait l’objet d’un tri à la source des biodéchets, qui doit donc être évitée et ne fait, en conséquence, plus l’objet d’aides des pouvoirs publics. ».

Or l’article L. 512-14 du Code de l’environnement impose que les objectifs visés à l’article L. 541-1 soient pris en compte par les décisions d’autorisation des installations classées pour la protection de l’environnement intéressant les déchets. Il appartient donc au juge, saisi de conclusions en ce sens, de vérifier si la création d’une nouvelle installation de tri mécano-biologique est ou non compatible avec la hiérarchie des modalités de gestion des déchets imposée par l’article L. 541-1.

En l’espèce, le Préfet des Hautes-Pyrénées a délivré une autorisation d’exploitation d’une unité de valorisation de déchets non dangereux par tri mécano-biologique sur le territoire de la commune de Bordières-sur-l’Echez.

Saisie d’une demande d’annulation du jugement antérieur rendue par le Tribunal administratif de Pau qui annule cet arrêté d’autorisation d’exploitation, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a confirmé le jugement.

Elle s’appuie alors sur l’article L. 541-1 du Code de l’environnement, précité, pour conclure qu’il « résulte de ces dispositions, éclairées par les débats parlementaires, que la préférence accordée à la généralisation du tri à la source doit, en principe, conduire l’autorité administrative à rejeter les demandes d’autorisations de nouvelles installations de tri mécano-biologique. ». La Cour d’appel de Bordeaux écarte également les différents motifs invoqués par le bénéficiaire de l’autorisation pour tenter de justifier de la légalité de l’autorisation  considérant qu’aucun n’était de « de nature à justifier qu’il soit en l’espèce dérogé à la préférence à accorder à la généralisation du tri à la source ».

Ainsi, après la Cour administrative d’appel de Lyon qui s’est prononcée dans un sens similaire le 4 juillet 2017 (CAA Lyon, 4 juillet 2017, SMICTOM Nord Allier, n° 14LY02514), la Cour d’appel de Bordeaux annule encore l’autorisation d’exploitation d’une installation de traitement des déchets non dangereux mettant en oeuvre un procédé de tri mécano biologique sur le fondement des dispositions de l’article L. 541-1 du Code de l’environnement.

Le Conseil d’Etat devra statuer sur l’application du régime d’autorisation environnementale

Par un arrêt n°15DA01535 rendu le 16 novembre 2017, la Cour administrative d’appel de Douai a transmis quatre questions au Conseil d’Etat sur l’application du régime résultant de la réforme relative à l’autorisation environnementale en application de l’ordonnance du 26 janvier 2017.

La Cour administrative d’appel de Douai a été saisie d’une requête en annulation d’un jugement du Tribunal administratif d’Amiens, lequel avait rejeté le recours formé contre l’arrêté du 1er février 2013 par lequel le préfet de la Somme a accordé à la société civile d’exploitation agricole (SCEA) Côte de la Justice l’autorisation d’exploiter un élevage bovin de 500 vaches laitières (exploitation de la ferme dite « des 1000 vaches »).

Aux termes de l’article R. 512-3 du Code de l’environnement dans sa version applicable au litige, le dossier de demande d’autorisation pour les installations classées pour la protection de l’environnement, soumis par l’exploitant à l’autorité administrative compétente, doit notamment contenir « les capacités techniques et financières de l’exploitant […] ».  C’est sur le fondement de ces dispositions, que la Cour reconnaît l’existence d’une irrégularité dans la procédure d’adoption de l’arrêté querellé en constatant le caractère incomplet des informations émises par l’exploitant relatives à sur ses capacités financières. Elle considère en effet que cela a entraîné un défaut d’information du public sur les capacités financières de l’exploitant et donc un vice de procédure.

Cependant, avant de tirer les conséquences de cette irrégularité, la Cour a renvoyé au Conseil d’Etat une demande d’avis. Les questions posées au Conseil d’Etat portent alors sur la mise en œuvre de dispositions nouvelles, issues de l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale, qui soulèvent, selon la Cour, des questions d’interprétation délicates. En effet, dans la mesure où la Cour ne retient, parmi les moyens soulevés, que le vice de procédure, précité, comme étant susceptible de provoquer l’annulation de la décision, elle s’interroge sur la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 181-18 du Code de l’environnement, issue de l’ordonnance du 26 janvier 2017, qui l’autorise à régulariser un vice qui affecte une phase de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale dans certaines hypothèses.

Plus précisément, la Cour se fonde, en premier  lieu, sur l’article L. 181-18 du Code de l’environnement et sur l’article 15 de l’ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale pour admettre que les autorisations délivrées au titre du régime des installations classées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance qui sont considérées comme des autorisations environnementales sont soumises au régime de l’autorisation environnementale. Ainsi, la Cour retient que ces dispositions sont applicables en l’espèce et que l’autorité administrative doit alors se prononcer sur la demande de régularisation de l’autorisation environnementale en vertu des nouvelles dispositions applicables.

En second lieu, la Cour invoque les dispositions du I de l’article D. 181-15-2 du Code de l’environnement issues du décret du 24 avril 2017 qui prévoient que dans le cadre d’une demande d’autorisation environnementale concernant une installation classée soumise à autorisation, le dossier de demande est complété par :  « Une description des capacités techniques et financières mentionnées à l’article L. 181-27 dont le pétitionnaire dispose, ou, lorsque ces capacités ne sont pas constituées au dépôt de la demande d’autorisation, les modalités prévues pour les établir. Dans ce dernier cas, l’exploitant adresse au préfet les éléments justifiant la constitution effective des capacités techniques et financières au plus tard à la mise en service de l’installation ».

Ainsi, la Cour administrative d’appel saisit le Conseil d’Etat sur l’interprétation de ces nouvelles dispositions qui sont susceptibles d’être mises en œuvre dans la présente affaire. La Cour transmet donc quatre questions au Conseil d’Etat :

« 1°) La combinaison des dispositions du 1° et du 2° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement permet-elle à la juridiction administrative d’ordonner le sursis à statuer en vue d’une régularisation lorsque le vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation ou ces dispositions sont-elles exclusives l’une de l’autre ?

2°) Les dispositions du II de l’article L. 181-18 du code de l’environnement concernant les cas d’annulation ou de sursis à statuer affectant « une partie seulement de l’autorisation environnementale » sont-elles applicables lorsque le juge met en œuvre les dispositions du 1° en limitant la portée de l’annulation qu’il prononce à la « phase de l’instruction » viciée ? Dans le cas où ces dispositions ne seraient pas applicables dans un tel cas, peut-on faire application de la règle posée par la décision du Conseil d’Etat, statuant au contentieux, du 15 mai 2013 ARF n° 353010 concernant l’office du juge lorsqu’il annule une autorisation relative à l’exploitation d’une installation classée ?

3°) Dans l’hypothèse où la juridiction administrative se plaçant sur le terrain du 1° du I de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, prononce une annulation limitée à une phase de l’instruction de la demande et enjoint à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase de l’instruction ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité, cette autorité administrative doit-elle nécessairement prendre une nouvelle décision à l’issue de cette procédure ? La juridiction peut-elle le lui ordonner ?

4°) Lorsque la mise en service de l’installation a eu lieu à la date à laquelle la juridiction administrative statue, y a-t-il encore lieu, au regard notamment des dispositions du 3° du I de l’article D. 181-15-2 du code de l’environnement, d’exiger la régularisation de cette phase de l’instruction alors que l’autorité administrative compétente est réputée avoir reçu, au plus tard à la date de cette mise en service, les éléments justifiant la constitution effective des capacités techniques et financières qui auraient pu manquer initialement au dossier ? Si une telle régularisation doit continuer à être exigée, y a-t-il lieu d’ordonner une nouvelle enquête publique si le défaut d’information se situait à ce stade de la phase d’instruction ? »

Le Conseil d’Etat rendra en principe son avis dans un délai maximum de trois mois.

Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 9 novembre 2017 portant avis sur le projet de décret relatif à la date d’entrée en vigueur de l’obligation d’adresser aux consommateurs domestiques, une offre de transmission des données de consommation, exprimées en euros, au moyen d’un dispositif déporté

L’article 28 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (ci-après, la « loi de transition énergétique ») prévoit que, dans le cadre du déploiement des compteurs évolués d’électricité et de gaz naturel, les fournisseurs doivent mettre à disposition des consommateurs domestiques « une offre de transmission de données de consommation, exprimées en euros, au moyen d’un dispositif déporté ».

Les modalités d’application, qui tiennent compte du déploiement des compteurs évolués ont été précisées par le décret n° 2016-1618 du 29 novembre 2016 relatif à l’offre, par les fournisseurs d’électricité et de gaz naturel, de transmission des données de consommation exprimées en euros au moyen d’un dispositif déporté.

Ce décret prévoyait son entrée en vigueur le 1er janvier 2018 et l’adoption de deux arrêtés du ministre chargé de l’énergie. Le premier devait définir les spécifications techniques minimales des émetteurs radios utilisés pour transmettre des informations en temps réel tandis que le second devait préciser les informations que le dispositif déporté devait être en mesure d’afficher.

Toutefois, moins de deux mois avant l’entrée en vigueur du décret du 29 novembre 2016 précité, seul le premier arrêté a été publié, suscitant l’inquiétude des fournisseurs d’électricité et de gaz naturel appelés à développer leur offre de transmission de données.

Dès lors, un projet de décret relatif à la date d’entrée en vigueur de l’obligation d’adresser aux consommateurs domestiques une offre de transmission des données de consommation, exprimées en euros, au moyen d’un dispositif déporté a prévu de reporter au 1er janvier 2019 la date d’entrée en vigueur du décret du 29 novembre 2016 susmentionné.

Par courrier reçu le 30 octobre 2017, la Commission de régulation de l’énergie (ci-après, la « CRE ») a été saisie pour avis par le Ministre de la transition écologique et solidaire, de ce projet de décret.

Dans son avis du 9 novembre 2017, faisant l’objet de la présente brève, la CRE a constaté que les fournisseurs ne pouvaient pas se conformer aux dispositions relatives à la transmission de données et qu’un report de l’entrée en vigueur de ces dispositions était donc nécessaire.

La CRE estime que la nouvelle date d’entrée en vigueur fixée au 1er janvier 2019 apparaît adaptée pour autant que l’arrêté manquant soit bien publié en temps utile. Elle émet donc un avis favorable au projet de décret tout en recommandant de repousser également au 1er juillet 2021 la date à laquelle elle devra rendre une évaluation technico-économique de ce dispositif de transmission des données de consommation pour tenir compte de l’entrée en vigueur décalée de ce mécanisme.

Laurent Bonnard

Précisions sur la procédure d’appel d’offres portant sur le développement de capacités d’effacement de consommation d’électricité

Introduite dans l’ordonnancement juridique par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la notion d’effacement de consommation d’électricité « se définit comme l’action visant à baisser temporairement, sur sollicitation ponctuelle envoyée à un ou plusieurs consommateurs finals par un opérateur d’effacement ou un fournisseur d’électricité, le niveau de soutirage effectif d’électricité sur les réseaux publics de transport ou de distribution d’électricité d’un ou de plusieurs sites de consommation, par rapport à un programme prévisionnel de consommation ou à une consommation estimée » (art. L.  271-1 du Code de l’énergie).

Les effacements de consommations d’électricité sont valorisables par les consommateurs finals selon différentes modalités (via leur fournisseur d’électricité dans le cadre d’une offre d’effacement couplée à leur offre de fourniture, sur les marchés de l’énergie ou encore via le mécanisme d’ajustement mentionné à l’article L. 321-10  du Code de l’énergie par l’intermédiaire d’un opérateur d’effacement qui propose un service dissociable d’une offre de fourniture).

Par ailleurs, l’article L. 271-4 du Code de l’énergie (également créé par la loi relative à la transition énergétique) a prévu un mécanisme spécifique d’appel d’offres applicable « lorsque les capacités d’effacement ne répondent pas aux objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie ou lorsque leur développement est insuffisant au vu des besoins mis en évidence dans le bilan prévisionnel pluriannuel ». Dans ce cadre, l’autorité administrative peut mettre en œuvre une telle procédure d’appel d’offres dont les modalités d’organisation demeuraient, depuis la publication de la loi du 17 août 2015 précitée, encore à préciser.

C’est l’objet de l’arrêté du 31 octobre 2017 qui précise notamment les éléments suivants :

  • si l’initiative du lancement de l’appel d’offres incombe au Ministre chargé de l’énergie qui en fixe les « orientations », c’est au gestionnaire du réseau public de transport d’électricité que revient la mission d’élaborer le projet de cahier des charges de l’appel d’offres (dans le respect des règles fixées par l’article 2 de l’arrêté s’agissant du contenu dudit cahier des charges), d’organiser une concertation sur ce projet, avant de le proposer au Ministre chargé de l’énergie (qui dispose néanmoins de la possibilité d’y apporter des modifications) ;
  • l’appel d’offres fait l’objet d’une publicité au Journal officiel de l’Union européenne ainsi que sur le site internet du gestionnaire du réseau de transport d’électricité ;
  • cet appel d’offres peut comprendre une ou plusieurs périodes successives, dont la durée est déterminée en prenant en compte notamment la catégorie d’effacement concernée et le temps de retour sur investissement attendu pour chaque catégorie ;
  • la liste exhaustive des critères de classement des offres doit être communiquée aux candidats. Parmi ces critères figure nécessairement le prix des offres. En revanche, la pondération ou hiérarchisation desdits critères n’est pas obligatoire ;
  • si l’analyse des offres, effectuée sur la base des critères annoncés, est assurée par le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, c’est au Ministre qu’il revient de désigner le ou les candidat(s) retenu(s).

Cet arrêté est entré en vigueur le lendemain de sa publication au Journal Officiel intervenue le 17 novembre 2017, soit le 18 novembre 2017.

Publication d’un arrêté relatif aux modalités de contrôle des installations de production d’électricité

Pris en application du décret n° 2016-1726 du 14 décembre 2016 relatif à la mise en service, aux contrôles et aux sanctions applicables à certaines installations de production d’électricité ayant créé l’article R. 311-43 du Code de l’énergie, un arrêté du 2 novembre 2017 du Ministre de la transition écologique et solidaire fixe désormais les règles relatives aux modalités de contrôle des installations de production d’électricité.

Les prescriptions générales, fixées par l’article 1er de cet arrêté, sont applicables à toutes les installations, quels que soient leur date de mise en service, la filière à laquelle elles appartiennent ou le type de contrat conclu et la procédure d’attribution mise en œuvre. Elles sont les suivantes :

  • 1° Description de l’installation (localisation, machines électrogènes et équipements et composants associés, puissance installée) et éligibilité de l’installation au dispositif de soutien demandé (notamment source d’énergie utilisée et conditions par filière, hors conditions couvertes par le 4°) ;
  • 2° Données relatives au producteur mentionnées à l’article R. 314-4 du code de l’énergie [à savoir le producteur souhaitant bénéficier de l’obligation d’achat ou du complément de rémunération et ayant adressé une demande en ce sens] ;
  • 3° Dispositif de comptage (adéquation et inviolabilité du dispositif, cas de fonctionnement simultané de machines électrogènes le cas échéant, comptages liés à l’énergie thermique et électrique) et énergie produite ;
  • 4° Conditions d’exploitation (livraison de l’électricité, indicateurs de production, dispositions relatives aux combustibles et à l’approvisionnement de l’installation, aux besoins en énergie thermique et critères d’efficacité énergétique le cas échéant);
  • 5° Eléments juridiques et financiers conditionnant le cas échéant le soutien et sa valeur, notamment conformité du programme d’investissement et conditions de cumul des aides.

Le respect de ces prescriptions est assuré sur la base des documents de référence suivants (cf. art. 2 de l’arrêté) :

  • les arrêtés fixant les conditions d’achat et les conditions spécifiques du complément de rémunération pour l’électricité produite par les installations éligibles;
  • les cahiers des charges des procédures de mise en concurrence ;
  • le contrat d’achat ou de complément de rémunération, la demande de contrat initiale complète, le cas échéant les demandes de contrat modificatives, les demandes d’avenant et les offres des candidats déposées dans le cadre de procédures de mise en concurrence ;
  • les référentiels de contrôle pour chaque filière et chaque procédure de mise en concurrence pour laquelle des contrôles sont prévus.

Parmi les autres dispositions de cet arrêté, on notera notamment que l’article 4 dresse la liste des installations de production d’électricité, bénéficiant d’un contrat d’achat ou de complément de rémunération, qui sont soumises, pour leur part, à des contrôles périodiques tous les quatre ans. Ou encore l’article 8 qui précise les modalités selon lesquelles tout organisme peut solliciter, auprès de l’Etat, un agrément lui permettant d’exercer l’activité de contrôle des prescriptions résultant de l’arrêté.

Cet arrêté est entré en vigueur le lendemain de sa publication au Journal Officiel intervenue le 21 novembre 2017, soit le 22 novembre 2017.

Publication d’un livre blanc sur la suppression des tarifs réglementés de vente d’électricité.

Le 28 novembre dernier, l’Association Nationale des Opérateurs Détaillants en Energie (ci-après l’« ANODE ») a mis en ligne un rapport, sous la forme d’un livre blanc, sur la suppression des tarifs réglementés de vente d’électricité (ci-après les « TRVE »).

Dans la continuité de la décision du Conseil d’Etat du 19 juillet 2017 (n° 370321) sur la contrariété des tarifs réglementés du gaz naturel au droit de l’Union européenne, l’ANODE a mandaté un groupe d’experts indépendants pour se prononcer sur la pertinence de maintenir en France la fourniture de l’électricité à un tarif fixé par voie réglementaire.

Ce groupe d’experts était composé, sous la direction de Philippe de Ladoucette (ancien président de la CRE et des Charbonnages de France) et la coordination d’un cabinet de conseil stratégique, de trois économistes (David Martimort, Pascal Perri, Jérôme Pouyet) et un juriste (Francesco Martucci).

Cette expertise pluridisciplinaire se retrouve dans les conclusions principales du rapport : les TRVE seraient « inefficaces d’un point de vue économique », « incompatibles avec le droit de l’Union européenne » et nuisibles « aux intérêts des consommateurs » alors que leur suppression leur serait au contraire favorable. Après avoir avancé les arguments économiques et juridiques en faveur d’une suppression des TRVE, le rapport formule également des propositions pour organiser cette suppression. 

Les objectifs de ces propositions sont d’aboutir le plus rapidement possible à un régime d’offres de marché par une suppression des TRVE qui ne doit pas, pour autant, se concrétiser au détriment des intérêts des consommateurs.

Le rapport préconise que la suppression des TRVE soit envisagée sous réserve de plusieurs modalités :

  • cette suppression devrait tout d’abord s’accompagner, selon les auteurs du rapport, (i) d’un maintien des dispositifs de protection des consommateurs (système de péréquation et pérennisation du chèque-énergie) et (ii) de la mise en place de dispositifs d’accompagnement des consommateurs (dispositifs permettant aux consommateurs d’apprécier les offres de marchés – à l’instar des dispositifs existants de comparateurs des prix de l’électricité – et instauration éventuelle d’un tarif de référence de l’électricité qui ne serait pas un tarif plafond) ;
  • elle devrait être précédée, toujours aux termes du rapport commenté, d’une période transitoire et préalable à une suppression définitive reposant sur trois « piliers » : une campagne de communication, un partage de données entre le fournisseur historique de l’électricité (la société EDF) et les fournisseurs alternatifs, la mise en place d’un système d’incitation à la souscription d’offres de marché à destination des consommateurs.
  • Enfin, cette suppression des TRVE pour les auteurs du rapport devrait être secondée, après suppression définitive, par la désignation d’un fournisseur dit « de dernier recours » pour continuer à fournir de l’électricité aux consommateurs n’ayant pas souscrit à une offre de marché après la fin de la TRVE (ces consommateurs sont nommés dans le rapport comme les clients « dormants »).

Ces propositions s’appuient également sur une analyse plus scientifique de la pertinence de maintenir des TRVE dans un marché de l’électricité où la commercialisation est ouverte à la concurrence. Cette analyse d’ordre scientifique se trouve dans trois des quatre annexes du rapport :

  • l’annexe 2 a pour objet d’analyser les conséquences sur les TRVE de la construction par l’Union européenne d’un marché intérieur de l’électricité et de l’ouverture à la concurrence de la fourniture de l’électricité ;
  • l’annexe 3 expose les modalités techniques de fixation des TRVE en France ;
  • l’annexe 4 présente une « étude économique académique » sur l’impact néfaste de la réglementation des prix sur les marchés de l’électricité.

Enfin, ces analyses scientifiques sont synthétisées dans le communiqué de presse de l’ANODE par une énumération plus simpliste de quatre constats et sept recommandations préalable à la suppression des TRVE.

Si le langage du rapport « livre blanc » commandé par l’ANODE est, certes, scientifique, son ton est engagé, comme le titre permet d’en juger avant sa lecture.

 

 

GeMAPI : les évolutions de la proposition de loi

Le 30 novembre dernier, l’Assemblée Nationale a adopté une nouvelle version de la proposition de loi relative à la compétence GeMAPI. Parmi les mesures les plus remarquables, on notera que, sans revenir sur le caractère sécable de la compétence, la nouvelle version du texte organise encore l’exercice de la compétence par les syndicats.

Elle prévoit, en premier lieu, la possibilité pour les EPCI à fiscalité propre de déléguer tout ou partie de la compétence GeMAPI sur le fondement de l’article L. 1111-8 du CGCT,  aux syndicats mixtes ouverts ou fermés de droit commun (cette possibilité de délégation étant en principe ouverte au profit des seuls EPAGE et EPTB).  Cette délégation n’est toutefois envisageable que pendant une période transitoire allant jusqu’au 1er janvier 2020.

En deuxième lieu, le texte prévoit d’insérer à l’article 59 de la loi n° 2014-58 dite MAPTAM un point IV bis rédigé en ces termes : « IV bis. – Un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre qui n’assure pas les missions mentionnées au I du présent article peut décider, par délibération prise avant le 1er janvier 2018, de transférer l’ensemble de ces missions ou certaines d’entre elles, en totalité ou partiellement, à un syndicat de communes ou à un syndicat mixte, sur tout ou partie de son territoire, ou à plusieurs syndicats situés chacun sur des parties distinctes de son territoire ».

En troisième lieu, l’article 1er bis de la proposition de loi prévoit d’introduire à l’article L. 211-7 du Code de l’environnement des dispositions autorisant expressément l’adhésion d’un syndicat mixte ouvert à un autre syndicat mixte ouvert pour la compétence GeMAPI. Cette possibilité n’est toutefois ouverte que jusqu’au 31 décembre 2019,  celle-ci étant réservée, à compter du 1er janvier 2020 « aux établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau mentionnés au II de l’article L. 213-12 du présent code qui souhaitent adhérer à des établissements publics territoriaux de bassin mentionnés au I du même article L. 213-12 ».

On notera encore que la disposition, insérée dans la proposition de loi initiale,  visant à limiter la responsabilité des EPCI, pendant une période transitoire, à « l’organisation de la compétence » a disparu. Elle est toutefois remplacée par une nouvelle rédaction de l’article L. 562-8-1 du Code de l’environnement qui a pour objet de limiter la responsabilité de l’EPCI gestionnaire des digues  en ces termes « Si un dommage survient postérieurement au transfert de la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre en application du I de l’article 59 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles mais antérieurement à l’expiration du délai maximal fixé par le décret mentionné au troisième alinéa du présent article, à l’échéance duquel l’ouvrage n’est plus constitutif d’une digue au sens du I de l’article L. 566-12-1 du présent code, la responsabilité du gestionnaire de l’ouvrage ne peut être engagée à raison des dommages que cet ouvrage n’a pas permis de prévenir, dès lors que ces dommages ne sont pas imputables à un défaut d’entretien de l’ouvrage par l’établissement sur la période considérée. »

Enfin, on relèvera que le rôle des missions d’appui technique est renforcé dès lors que l’article 59 de la loi MAPTAM doit être complété d’une disposition prévoyant que « Cette mission peut poursuivre son action jusqu’au 1er janvier 2020 ».

Mineurs étrangers isolés : rappel des critères d’appréciation d’un placement

Le 16 novembre 2017, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a rappelé les critères devant être appréciés pour décider du placement d’un mineur étranger isolé auprès de l’Aide Sociale à l’Enfance.
En l’espèce, après quelques jours l’accueil d’un enfant albanais en foyer d’urgence, le Procureur de la République avait ordonné le placement provisoire du mineur à l’Aide Sociale à l’Enfance et saisit le Juge des enfants d’une requête en assistance éducative, lequel avait fait droit à cette demande.
Dans un arrêt rendu le 4 juillet 2017, la Cour d’appel de Chambery avait ordonné la mainlevée du placement, retenant d’une part que l’arrivée du mineur sur le territoire français résultait d’une décision de ses parents, qu’aucune situation de danger n’était constatée à son encontre en Albanie, et qu’il restait soumis à l’autorité parentale que ses parents exerçaient depuis ce pays.
D’autre part, la Cour avait retenu que le mineur disposait de relations sociales et familiales en France, de sorte qu’il ne relevait pas de la protection des mineurs non accompagnés.
La Cour de cassation a invalidé le raisonnement de la Cour d’appel en cassant l’arrêt rendu le 4 juillet 2017.
En effet, la Haute Juridiction a considéré qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si le mineur disposait d’un représentant légal sur le territoire national ou était effectivement pris en charge par une personne majeure, la Cour d’appel avait privé sa décision de base légale.
La Cour de cassation a également pris un attendu de principe au visa des articles 375 et 375-5 du Code civil et L. 112-3 et L. 221-2-2 du Code de l’action sociale et des familles, rappelant qu’il résulte de ces textes que la protection de l’enfance a pour but, notamment, de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge, et que si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par le Juge des enfants, ce dernier devant prendre sa décision en stricte considération de l’intérêt de l’enfant.

Toujours pas de délai de stand-still dans le cadre d’un marché à procédure adapté

Le Conseil d’Etat vient à nouveau de se prononcer sur la nécessité ou non de respecter un délai de stand-still dans le cadre des marchés à procédure adaptée et confirme sa position déjà exprimée depuis plusieurs années, cette fois sur le fondement des nouvelles règles applicables aux marchés publics.

On le sait, dans le cadre des procédures formalisées, l’acheteur est tenu de respecter un délai entre la notification du rejet de l’offre au candidat évincé et la conclusion du marché, permettant ainsi au candidat d’introduire un éventuel recours en référé précontractuel. Cette obligation de respecter ce délai de stand-still est rappelée à l’article 101 du décret n° 2016-360 relatif aux marchés publics.

Mais dans le cadre d’un marché passé selon une procédure adaptée, les textes n’imposent pas un tel formalisme et le juge administratif n’a jamais franchi ce Rubicon en faisant œuvre prétorienne, la logique d’un accès efficient au juge des référés pouvait militer en ce sens.

Plus précisément, la seule obligation pesant sur les acheteurs en procédure adaptée est celle de l’information immédiate des candidats évincés du rejet de leur offre (ou de leur candidature) contenue dans l’article 99 du décret précité.

En l’espèce, un candidat avait introduit un référé précontractuel à l’encontre d’une procédure de passation d’un marché à procédure adaptée pour le renforcement, l’amélioration et l’extension d’un réseau d’eau potable. Informé de la signature du marché par l’acheteur, la société a transformé son recours en référé contractuel tout en soutenant que la réforme de la commande publique imposait au pouvoir adjudicateur de respecter un délai de stand-still, d’autant plus que le marché avait été signé le même jour que la réception du courrier de rejet de son offre : autrement dit, l’introduction d’un référé précontractuel était impossible dans ces conditions.

Mais pour le Conseil d’Etat, si l’acheteur est tenu de notifier immédiatement le rejet d’une offre dans le cadre d’un marché à procédure adaptée, tel n’est pas le cas de la décision d’attribution du marché et aucun délai, ni même un « délai raisonnable », ne contraint l’acheteur à attendre avant de signer son marché.

Par suite, le juge des référés contractuel ne peut sanctionner une signature immédiate du marché et le recours de la société est rejeté.

Incidence de l’extension de la garantie décennale à des éléments d’équipement sur existants

Dans la lignée du revirement de jurisprudence du 15 juin dernier (Cass., 3ème civ., 15 juin 2017, n° 16-19640 confirmé par Cass., 3ème civ., 14 septembre 2017, n° 16-17.323) ayant validé l’application de la garantie décennale à une pompe à chaleur posée sur existants à condition de rendre l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, l’arrêt du 26 octobre 2017 permet d’appréhender les premières incidences de cette évolution en droit des assurances.

En l’espèce, des propriétaires ont installé une cheminée à foyer fermé par une société spécialisée. Un incendie s’est déclenché et a détruit l’habitation en raison d’une non-conformité avec le cahier des charges applicable à la cheminée. Les propriétaires ayant été partiellement indemnisés par leur assureur, ils ont assigné ce dernier ainsi que la société tombée en liquidation et son assureur pour le complément.

Les juges du fond ont fait droit à cette demande en admettant l’application de la garantie décennale. L’assureur du constructeur a formé un pourvoi en cassation.

A l’appui de son pourvoi, l’assureur se fonde sur l’article L. 243-1-1 du Code des assurances qui prévoit dans son II :
« Les obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ».

En application de cet article, l’assureur ne devrait indemniser que les dommages causés aux existants incorporés dans l’ouvrage neuf.

En outre, l’assureur soutient que le paiement de l’intégralité des dommages causés aux existants est soumis à la démonstration de l’indissociabilité par rapport à l’ouvrage neuf, ce qui n’aurait pas été fait par les juges du fond.

Enfin, pour exclure toute obligation de réparation, l’assureur soulève le fait que ce sont les propriétaires qui ont réalisé l’habillage de la cheminée en vue de son intégration à la pièce. Par conséquent, le caractère d’indissociabilité des ouvrages ne résulte pas, en tout état de cause, des travaux du constructeur, mais de ceux des propriétaires.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en reprenant sa solution du 15 juin 2017 et en relevant que « les dispositions de l’article L. 243-1-1, II, du code des assurances ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant ».
Le fait générateur de l’incendie étant le défaut de conformité de l’installation de la cheminée et l’article L. 243-1-1 n’étant pas applicable à un élément d’équipement, la garantie décennale doit s’appliquer et l’assureur doit réparer les désordres.
On voit donc bien ici l’impact a posteriori du revirement de juin 2017 sur les contrats d’assurance qui devront être adaptés à la garantie de ces nouveaux risques.

Le Conseil d’Etat et la protection des mineurs étrangers isolés

Par circulaire du 1er novembre 2016, le Ministre de la Justice a confirmé la décision de mettre en œuvre, à titre exceptionnel, un dispositif national d’orientation des mineurs isolés dans la perspective de l’expulsion des nombreux réfugiés rassemblés dans le lieu appelé ‘ « La Lande » à Calais.
Cette création de centres d’accueil et d’orientation spéciaux, gérés par l’Etat, répartis sur tout le territoire national, et destinés à accueillir, pendant 3 mois, les mineurs isolés et étrangers évacué du camp de Calais a soulevé, très vite, de fortes objections chez les acteurs de l’aide à l’enfance.
Outre qu’en octobre 2016, les 70 centres d’accueil et d’orientation pour mineurs (CAOMI) avaient été créés dans l’urgence, leur existence avait un caractère manifestement dérogatoire par rapport au dispositif existant. Depuis la décentralisation, en effet, la protection de l’enfance est confiée aux départements, qui assurent la prise en charge des mineurs non accompagnés.
Leurs services d’Aide sociale à l’enfance sont même très spécialisés dans cet accueil, dans l’évaluation des jeunes pour une durée provisoire de cinq jours, pour évaluer leur situation et établir, sur la base d’entretiens, s’ils sont effectivement mineurs, et décider, dans ce cas, de leur prise en charge et notamment de leur hébergement.
Les moins de 16 ans peuvent ensuite s’inscrire à l’école, et tous ceux pris en charge par l’ASE ont droit à la couverture maladie universelle (CMU), qui donne un meilleur accès aux soins que l’aide médicale d’Etat (AME), accordée aux étrangers en situation irrégulière.
Les CAOMI créés en 2016, dans la perspective de l’évacuation de la « jungle de Calais », ont accueilli les mineurs non accompagnés, vivant dans le camp, pour une durée de 3 mois, avant que ces derniers puissent être orientés, soit vers le Royaume-Uni, soit vers le dispositif de protection de l’enfance de droit commun.
Pendant la période de présence des mineurs dans leurs locaux, les CAOMI proposaient, ainsi que l’énonce la circulaire ministérielle du 1er novembre 2016, un hébergement dans des conditions de sécurité et de salubrité « optimales ». Ils devaient assurer la sécurité des mineurs et le gardiennage des locaux 24 h/24. Ils veillaient, également, à l’identification et à la prise en charge de leurs besoins, notamment médicaux et psychologiques.
Les CAOMI devaient de plus proposer des animations éducatives, sportives et une sensibilisation à l’apprentissage du français.
Les initiatives gouvernementales annoncées dans la circulaire du 1er novembre 2016, ont été vivement contestées par les associations d’aides aux mineurs isolés, les associations de défense des droits de l’homme, les organisations de défense des droits des étrangers.
C’est dans ces conditions que le Groupe d’information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers et la Ligue des droits de l’homme, ont saisi, le 22 décembre 2016, le Conseil d’Etat d’une requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du ministre de la justice du 1er novembre 2016 créant un dispositif national d’orientation des mineurs non accompagnés dans le cadre des opérations de démantèlement de la Lande de Calais et la décision par laquelle le ministre de l’intérieur, le ministre du logement et de l’habitat durable, le ministre de la justice et le ministre des familles et des droits des femmes ont entrepris la création et l’ouverture des centres d’accueil et d’orientation pour mineurs isolés et défini leur modalité d’organisation.
Les requérants ont fait valoir que les décisions contestées entraient en contradiction complète avec les dispositions de l’article L. 221-1 du Code de l’action sociale et des familles, qui ont fait de l’aide à l’enfance un service de la seule compétence du département. Ils ont soutenu que ces dispositions créant, dans une grande précipitation, des structures d’accueil spéciales, dispersées sur tout le territoire, et placées sous la responsabilité de l’Etat, aboutiraient au morcellement des structures garantissant aux mineurs concernés, de bénéficier des mesures protectrices d’évaluation, de traitement et de placement judiciaire du régime commun
Mais le Conseil d’Etat n’a pas tenu compte de ces arguments, avançant d’abord, que la circulaire du 1er novembre 2016, se limitant, pour partie à une description des conditions d’accueil dans les centres, dénuée de caractère impératif et ne faisant aucun grief, n’était pas susceptible d’un recours à ce titre.
Par ailleurs, que des mineurs puissent être maintenus, en vue de leur placement, près de trois mois dans les centres dispersés sur tout le territoire, n’était selon lui, nullement illégal, cette disposition relevant de la simple mesure d’organisation exigée par le caractère exceptionnel de la situation.
Enfin, pour le Conseil d’Etat, la compétence du département en matière d’aide sociale à l’enfance ne fait pas obstacle à l’intervention de l’Etat au titre de ses pouvoirs de police, notamment de protection de la dignité humaine, et cela, surtout lorsqu’il est manifeste, selon lui, que les moyens du Département du Pas de Calais ne sont pas suffisants pour faire face au caractère exceptionnel des évènements.
Que des mesures particulières s’imposent lors d’évènements tel que l’évacuation d’un camp réunissant des milliers de personnes et notamment de très nombreux mineurs isolés est évident. Et l’on peut concevoir que l’Etat intervienne au nom des pouvoirs de police dont il dispose. La question se pose, toutefois, de savoir si une telle action ne nécessite pas de maintenir un lien étroit avec les départements, s’agissant du cas des mineurs isolés en particulier.
On peut le penser lorsque l’on sait que le Pas de Calais voit de nouveau, un an après l’évacuation de la zone de la « jungle », augmenter le nombre des mineurs étrangers isolés espérant pouvoir passer au Royaume-Uni.

1) L’Aide Sociale à l’Enfance est un service non personnalisé du département (art. L. 221-1 al.1 Code de l’Action Sociale et des Familles). Le service de l’Aide Sociale à l’Enfance est placé sous l’autorité du président du conseil général (article L. 221-2 Code de l’Action Sociale et des Familles)
2) « Des réfugiés mineurs de retour sur le terrain de l’ancienne “Jungle” de Calais » Publié le mercredi 22 février 2017 par « Info MIE »

Journal municipal, Conseil municipal et diffamation publique : nouveaux éclairages de la Chambre criminelle

Deux arrêts particulièrement intéressants ont été rendus fin octobre et courant novembre 2017, en matière de diffamation publique commise via le Journal municipal (2) et lors des débats publics d’un Conseil municipal (1).

Dans la première affaire, le Maire d’une Commune avait fait citer devant le Tribunal correctionnel un conseiller municipal qui, à l’occasion du Conseil municipal, avait pris la parole pour dénoncer à son encontre « les conditions douteuses dans lesquelles vous avez acquis de manière quasi concomitante le véhicule de marque Volkswagen, modèle Golf, de manière totalement arbitraire pour la mairie et l’achat de votre propre véhicule de la même marque chez le même concessionnaire  » ;  » irrégularités délictueuses ». Les premiers juges et la Cour d’appel étaient entrés en voie de condamnation, au motif que les imputations de mélanger vie professionnelle et activité de Maire pour en tirer un profit personnel constituaient l’infraction de diffamation publique envers une personne chargée d’un mandat public, et que le prévenu n’était pas éligible au bénéfice de la bonne foi (moyen de défense habituel du prévenu en matière diffamatoire et composé des critères suivants : prudence dans l’expression, sérieux de l’enquête, absence d’animosité personnelle et légitimité d’information du public).

Le prévenu, dans son pourvoi, arguait d’une violation de la loi et d’un manque de base légale ; à ce titre, il rappelait que, avant de prononcer les propos poursuivis, il avait bien précisé qu’il dénonçait ces irrégularités dans le fonctionnement des affaires municipales en application de l’article 40 du Code de procédure pénale ; il soutenait de surcroît avoir lu lors du Conseil le texte de cet article ; dès lors, le prévenu considérait que la Cour d’appel avait commis une erreur dans l’analyse des éléments constitutifs de sa bonne foi, puisque son intervention au Conseil municipal s’inscrivait dans le cadre de dispositions légales qui l’autorisaient à dénoncer des faits infractionnels dont il avait eu connaissance à raison de ses fonctions.

La Cour de cassation ne faisait pas droit à cet argument : « dès lors que les propos en cause, même s’ils concernaient un sujet d’intérêt général et fussent-ils précédés de la lecture de l’article 40 du Code de procédure pénale qui impose à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, de le révéler sans délai au procureur de la République, étaient, en ce qu’ils imputaient à la partie civile la commission des délits de favoritisme et de prise illégale d’intérêt, dépourvus d’une base factuelle suffisante et constituaient des attaques personnelles excédant les limites admissibles de la polémique politique ».

Par ailleurs, le conseiller municipal (prévenu) contestait la compétence matérielle de l’autorité judiciaire pour allouer au Maire (victime) des dommages et intérêts, au visa des articles 10 à 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, du principe de la séparation des pouvoirs, selon lesquels « les tribunaux répressifs de l’ordre judiciaire sont incompétents pour statuer sur la responsabilité d’une administration ou d’un service public, en raison du fait dommageable commis par l’un de leurs agents ; qu’en outre, l’agent d’un service public n’est personnellement responsable des conséquences dommageables de l’acte délictueux qu’il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ».

La Cour de cassation rejetait également l’argument, au motif que « il n’a été ni établi ni prétendu que M. X… était un conseiller municipal ayant reçu délégation ».

Dans la seconde affaire, un Maire était poursuivi devant le Tribunal correctionnel, en qualité de directeur de publication, pour des propos publiés dans le journal municipal ; estimant l’infraction non constituée, les premiers juges avaient débouté la partie civile de ses demandes.

La partie civile interjetait seule appel, de sorte que la Cour d’appel n’était saisie que de la question des intérêts civils, cette question étant elle-même décomposée en deux sous-questions :

–           la question de la faute : existe-t-il une faute civile (et non plus pénale à raison de la relaxe définitive) de diffamation publique commise par le Maire ?

–           la question de la réparation : dans l’affirmative, y a-t-il lieu à allouer des dommages et intérêts ?

En appel, le Maire intimé contestait la compétence matérielle de l’autorité judiciaire, au visa des articles 10 à 13 de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III, pour connaître de l’ensemble des intérêts civils (les deux sous-questions ci-dessus rappelées).

La Cour d’appel faisait droit à cet argumentation au visa de ces mêmes textes, en considérant que la faute n’était pas personnelle et détachable des fonctions de Maire: « la rédaction, l’édition et la publication du bulletin municipal sous la direction du maire de la commune, directeur de publication, relèvent du fonctionnement normal de la commune, de sorte que les faits reprochés à celui-ci sont indissociables de l’exercice de ses fonctions, et qu’en l’état aucune faute personnelle détachable du service n’est établie ».

Saisie du pourvoi de la partie civile, la Chambre criminelle annulait l’arrêt au motif que : « Vu les articles 2, 509 et 515 du code de procédure pénale ; Attendu qu’il se déduit de ces textes que la cour d’appel, saisie du seul appel de la partie civile, est compétente, même dans le cas où la réparation du dommage ressortirait à la compétence exclusive de la juridiction administrative, pour dire si le prévenu définitivement relaxé a commis une faute civile à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ».

*

Ces arrêts apportent un éclairage important sur deux des principes juridiques essentiels qui régissent les actions de presse diligentées à l’occasion des activités d’une Commune (journal municipal ; conseil municipal) ; cet éclairage est à la fois relatif au principe de la compétence matérielle de l’ordre judiciaire (juge pénal) puis au principe de la bonne foi du diffamateur :

–           S’agissant de la compétence matérielle de l’ordre judiciaire au titre de l’action civile diligentée contre un élu municipal fautif, la Cour de cassation rappelle que :

         L’incompétence matérielle, lorsque la faute de diffamation ne sera pas personnelle et détachable des fonctions, ne se limite qu’à empêcher l’allocation de dommages et intérêts à la victime ; l’ordre judiciaire reste ainsi compétent pour apprécier s’il existe une faute pénale de diffamation, mais également s’il existe une faute civile (cas du seul appel de la partie civile sur une décision de relaxe – espèce n°2) ;

En cas de faute non personnelle et non détachable, il appartiendra au juge administratif d’allouer des dommages et intérêts.

         Le juge judiciaire ne doit s’interroger sur la question de sa compétence matérielle, dans le cadre et les conditions ci-dessus rappelés, que si l’auteur de la faute est un agent d’une administration ou d’un service public – qualité que la Chambre criminelle semble visiblement rejeter à un conseiller municipal n’ayant reçu aucune délégation (espèce n°1) et qu’elle accorde bien évidemment au Maire (espèce n°2) ;

–           S’agissant des éléments d’appréciation de la bonne foi du diffamateur, la Cour de cassation n’accorde aucune incidence à un contexte de publication qui serait fondé sur l’article 40 du Code de procédure pénale.

Ainsi, la circonstance que l’auteur des propos se prévale publiquement, avant son discours diffamatoire ou concomitamment à sa publication, du cadre légal de l’article 40 du Code de procédure pénale (CPP), y compris s’il fait lecture de ce texte, ne constitue pas à elle seule la garantie de sa bonne foi.

Autrement dit, ce cadre d’intervention pourtant prévu par la Loi ne rend pas les propos prudents, dépourvus d’animosité personnelle et reposant sur une enquête sérieuse ou sur des éléments de base factuelle suffisants.

La décision apparaît conforme aux principes du droit de la presse, étant précisé qu’une dénonciation fondée sur l’article 40 du CPP (instrument souvent subsidiaire à une plainte) n’est pas nécessairement le gage de la certitude des accusations qu’elle comporte.

L’article 40 du CPP ne saurait donc être détourné de son objet, étranger à l’expression publique et cantonné à l’information du Procureur de la République ; il ne constituera donc pas, pour celui qui entend accuser publiquement et sans fondement un élu de la République, un moyen de garantir sa liberté d’expression et l’impunité de son propos diffamatoire.

(1) Crim., 31 octobre 2017, n°16-87632

(2) Crim., 14 novembre 2017, n°17-80934

Le recours en reprise des relations contractuelles – dit « Béziers II » – ne s’applique pas aux décisions de modification unilatérale des contrats administratifs

Par un contrat de délégation de service public, signé le 27 janvier 1999, le Centre national d’art et de culture Georges Pompidou (ci-après, le « Centre Georges Pompidou ») avait confié à la société « Les Fils de Mme A… » (ci-après, la « Société délégataire ») l’exploitation du parc de stationnement dudit Centre. Par une décision du 15 mai 2013, le président du Centre Georges Pompidou a fait part à la Société délégataire de sa décision unilatérale de retirer du périmètre de cette concession les 3542 m² de la gare routière. La Société Délégataire a attaqué cette décision devant le Tribunal administratif de Paris, en se fondant sur la jurisprudence dite « Béziers II » (CE, Sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806) pour demander, d’une part, le rétablissement de l’état antérieur du contrat et, d’autre part, l’indemnisation du préjudice résultant selon elle de cette modification. Par un jugement du 7 juillet 2014, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande et un arrêt du 28 juin 2016 de la Cour administrative d’appel de Paris, contre lequel la Société délégataire s’est pourvue en cassation, a confirmé ce jugement.

Saisi de ce pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat énonce dans un considérant de principe que « si une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d’une telle mesure d’exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles, ce juge, saisi par une partie d’un litige relatif à une mesure d’exécution du contrat autre qu’une résiliation, peut seulement rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité ».

Faisant application de ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat relève qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la décision du 15 mai 2013 du président du Centre Georges Pompidou consistait en une modification unilatérale du contrat de délégation de service public et non une décision de résiliation unilatérale et que la Société Délégataire ne pouvait donc pas demander au juge du contrat l’annulation de cette décision, mais seulement l’indemnisation du préjudice qu’elle lui avait causé. Le Conseil d’Etat juge donc que la cour administrative d’appel de Paris n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit en rejetant la demande de la Société délégataire tendant au rétablissement du contrat dans son état antérieur à la décision litigieuse.

Par cette décision, le Conseil d’Etat précise sa jurisprudence « Béziers II » et en circonscrit le champ d’application aux seules décisions unilatérales de résiliation des contrats administratifs. En d’autres termes, les cocontractants de l’administration à un contrat administratif ne sont pas fondés à demander l’annulation d’une décision de modification unilatérale de ce contrat à l’exception des décisions de résiliation qui peuvent faire l’objet d’un tel recours. Hormis ce cas particulier, les cocontractants de l’administration peuvent uniquement demander au juge du contrat d’être indemnisés du préjudice subi à raison de la décision d’exécution litigieuse.