Absence d’exception d’illégalité de la délibération créant la zone d’aménagement concerté à l’appui d’un recours contre la déclaration d’utilité publique

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat énonce que l’illégalité frappant la délibération créant une zone d’aménagement concerté (ZAC) ne peut être utilement invoquée, par la voie de l’exception, à l’encontre de la contestation de la déclaration d’utilité publique (DUP) des travaux nécessaires à l’aménagement de cette zone.

Néanmoins, lorsqu’il se prononce sur l’utilité publique d’une opération, le juge de l’excès de voir tient compte, le cas échéant, au titre des inconvénients que comporte l’opération contestée devant lui, des motifs de fond qui auraient été susceptibles d’entacher d’illégalité l’acte de création de la zone d’aménagement concerté pour la réalisation de laquelle la déclaration d’utilité publique a été prise et qui seraient de nature à remettre en cause cette utilité.

Ainsi, le Conseil d’Etat refuse de voir une opération complexe entre l’acte de création de la ZAC et la DUP prise pour l’acquisition des terrains nécessaires aux travaux de cette ZAC.

 

La responsabilité de l’avocat en matière de dénonciation de l’assignation en acquisition de clause résolutoire aux créanciers inscrits

Il ressort d’un arrêt récent de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 25 octobre 2018 qu’il incombe à l’avocat, qui représente les bailleurs lors d’une instance en résiliation de bail dont il a rédigé l’acte introductif, de veiller à ce que l’acte introductif d’instance soit bien notifié aux créanciers inscrits.

En l’espèce, une ordonnance de référé du 6 décembre 2005 a constaté l’acquisition de la clause résolutoire prévue au contrat de bail commercial conclu entre des bailleurs et un preneur. 

L’assignation délivrée par l’avocat des bailleurs n’ayant pas été dénoncée à une société créancière du preneur et titulaire d’un nantissement inscrit sur le fonds de commerce, cette dernière a alors assigné en réparation de son préjudice les bailleurs.

A leur tour, les bailleurs ont appelé en garantie l’huissier en charge de l’affaire ainsi que leur avocat.

Par un arrêt du 24 février 2017, la Cour d’appel de Colmar a estimé que la mission confiée à l’avocat ne consiste qu’en la rédaction de l’assignation.

A contrario, ledit arrêt considère que c’est à l’huissier qu’il revient de s’assurer de requérir l’état des inscriptions sur le fonds de la société auprès du tribunal de grande instance du lieu du siège de la société et de procéder à sa dénonciation.

La Cour de cassation est venu casser cet arrêt dans une décision du 25 octobre 2018 précisant que l’avocat investi d’un devoir de compétence, est, lui, tenu d’accomplir, dans le respect des règles déontologiques, toutes les diligences utiles à la défense des intérêts de son client.

En statuant ainsi, il a été jugé que la Cour d’appel avait violé les dispositions des articles L.143-2 du Code de commerce et 1240 du Code civil.

L’absence d’inscription au RCS n’empêche pas la soumission au statut des baux commerciaux d’un ancien bail dérogatoire

Une bailleresse a consenti à un preneur un bail dérogatoire d’une durée de 23 mois à un preneur comportant une obligation pour ce dernier de fournir une attestation d’inscription au RCS dans un délai de 2 mois suivant la prise d’effet du bail le 15 février 2004 sous peine de caducité.

Par la suite, 3 autres baux dérogatoires ont été conclus, à effet respectivement au 1er février 2006, 2008 et 2010 à l’issue desquels le preneur a été laissé en possession des lieux loués.

Ce dernier a assigné le 6 août la bailleresse aux fins de voir constater qu’il était titulaire d’un bail commercial à compter du 1er février 2006.

La bailleresse s’est prévalue de l’absence d’immatriculation pour solliciter le rejet de la demande du preneur et à titre reconventionnel l’acquisition de la clause résolutoire du dernier bail dérogatoire

La Cour de cassation, confirmant l’arrêt d’appel, rejette le pourvoi de la bailleresse en jugeant que :

« L’inscription au registre du commerce et des sociétés n’est pas nécessaire pour que s’opère un nouveau bail régi par le statut des baux commerciaux ».

Peut-être la solution eût été différente si la bailleresse avait soulevé la caducité du premier bail dérogatoire, le preneur n’ayant pas respecté l’obligation d’immatriculation qu’il contenait.

Droit au maintien dans les lieux du sous-locataire dont le bail est régi par la loi du 1er septembre 1948 en cas de décès du locataire principal et absence de cotitularité du bail de la veuve qui ne vivait pas dans les lieux

Au décès de leur locataire titulaire d’un bail soumis à la loi du 1er septembre 1948, des bailleurs ont assigné sa veuve, ainsi que la sous-locataire, elle-même titulaire d’un bail loi de 1948, en expulsion et paiement d’une indemnité d’occupation.

Déboutés par la Cour d’appel, les bailleurs se sont pourvus en cassation. Selon eux, la veuve du locataire, bien qu’elle n’occupât pas les lieux loués, en percevait les loyers et s’était donc comportée comme locataire.

Quant à la sous-locataire, les demandeurs prétendent qu’elle ne pouvait bénéficier du droit au maintien dans les lieux offert uniquement au conjoint ou au partenaire de pacs, aux ascendants, personnes handicapées et mineurs jusqu’à leur majorité qui vivaient effectivement avec le locataire décédé depuis plus d’un an.

La troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 14 juin 2018, rejette le pourvoi des demandeurs.

Selon elle, le contrat de sous-location étant soumis à la loi du 1er septembre 1948, il avait fait naître, en vertu de l’article 4 de cette loi, un droit au maintien dans les lieux du sous-locataire occupant de bonne foi personnel et indépendant des droits du locataire principal.

La juridiction suprême rappelle également que la cotitularité du bail au profit du conjoint ou du partenaire de pacs de l’article 1751 du Code civil ne s’applique que lorsque le titulaire occupe effectivement les lieux, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Dès lors, la veuve du locataire décédé ne pouvait être redevable d’une indemnité d’occupation.

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que la loi du 1er septembre 1948 s’applique aux baux conclus sous son régime, qu’il s’agisse d’un bail principal ou d’un contrat de sous-location.

Les futures règles de procédure applicables aux contestations de décisions de la sécurité sociale et de l’aide sociale

Le décret n° 2018-928 du 29 octobre dernier relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale est venu fixer les règles de procédure applicables aux contestations de décisions rendues par divers organismes qui entreront en vigueur au 1er janvier 2019.

Ce décret s’inscrit dans le mouvement de réforme débuté en mai dernier par deux ordonnances[1] et un décret[2] visant à simplifier le système actuel et pour le moins complexe relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale. A compter du 1er janvier 2019, les juridictions spécifiques du contentieux général et du contentieux technique de la sécurité sociale ainsi que de l’aide sociale seront supprimées. Un transfert de ces contentieux est ainsi opéré au profit des juridictions judiciaires (Tribunaux de grande instance et Cours d’appel spécialement désignées) et administratives (Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel) de droit commun, selon les modalités prévues par le décret n° 2018-772 du 4 septembre 2018.

Le décret précité du 29 octobre prévoit la procédure applicable dans les cas de contestations des décisions des organismes de sécurité sociale, des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et des autorités administratives intervenant dans le domaine de l’aide sociale notamment les départements, autant au stade du recours préalable qu’à celui du recours juridictionnel.

Un des importants apports du décret concerne l’insertion du recours préalable obligatoire qui vient remplacer le « recours gracieux ». Ce recours préalable obligatoire peut être l’occasion d’exposer les motifs de la contestation et les éléments insuffisamment ou incorrectement pris en compte et sera analysé selon les mêmes modalités que la demande initiale.

Par ailleurs, le recours préalable obligatoire formé contre les décisions de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées sera dépourvu d’effet suspensif, sauf lorsqu’il est formé par la personne handicapée ou son représentant légal à l’encontre des décisions concernant le placement en établissement ou service pour enfants ou adultes handicapés. A noter  que pour l’aide sociale, le silence gardé pendant plus de deux mois par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées vaudra décision de rejet de la demande.

En matière d’aide sociale et de décisions des MDPH, ce décret prévoit que le Tribunal administratif de Paris aura la compétence – qui était celle de la commission centrale d’aide sociale jusque là – de trancher les litiges de compétence entre départements lorsqu’un président de conseil départemental ne reconnaît pas sa compétence sur une demande d’admission à l’aide sociale.

Le décret apporte par ailleurs des précisions quant au fonctionnement des formations des TGI compétents en modifiant le code de l’organisation judiciaire. Le code de justice administrative est aussi amendé afin de prendre en compte la suppression de la commission centrale d’aide sociale.

[1] Ordonnances n°2018-358 du 16 mai 2018 relative au traitement juridictionnel du contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale et n°2018-359 du 16 mai 2018 fixant les modalités de transfert des personnels administratifs des juridictions concernées

[2] Décret n°2018-360 du 16 mai 2018  pris pour l’application de l’ordonnance n°2018-359 du 16 mai 2018

La CNIL réagit face aux détournements de finalités

Décision n° MED 2018-037 du 25 septembre 2018 mettant en demeure la société Humanis Assurances 

Décision n° MED 2018-038 du 25 septembre 2018 mettant en demeure la société Mutuelle Humanis Nationale 

Décision n° MED 2018-036 du 25 septembre 2018 mettant en demeure la société AUXIA 

Décision n° MED 2018-034 du 25 septembre 2018 mettant en demeure la société MALAKOFF MÉDÉRIC MUTUELLE 

Le 25 septembre 2018, la présidente de la CNIL a décidé de mettre en demeure cinq sociétés (Grand Est Mutuelle, Humanis Assurances, Mutuelle Humanis Nationale, Auxia, Malakoff Médéric Mutuelle) appartenant aux groupes Humanis et Malakoff-Médéric.

Pour rappel, ces sociétés ont pour activité principale la mise en œuvre des régimes de retraite complémentaires en réalisant des opérations de gestion. En raison de ces missions, celles-ci ont accès à des données personnelles mises à disposition par les fédérations AGIRC-ARRCO aux fins de recouvrer les cotisations et payer les allocations retraite.

Cependant, à la suite de contrôles réalisés en février et mars 2018 dans les locaux de ces sociétés, la CNIL a constaté que les bases de données à des fins de prospection commerciale, notamment pour les produits d’assurance de personne, étaient alimentées par des données issues des bases informatiques de l’AGIRC-ARRCO transmises par flux pour des finalités initiales de gestion de la retraite complémentaire.

Ces sociétés ont été mises en demeure au motif que :

  • sous-traitantes de l’AGIRC-ARRCO, elles ont décidé, sans l’aval de leur responsable de traitement, de modifier les finalités pour lesquelles la collecte était réalisée ;
  • placées dans une situation de responsable de traitement de fait, elles disposaient de données sans que les personnes concernées ne soient informées de la finalité de ce traitement et ne puissent exercer leurs droits ;
  • plusieurs centaines de milliers de personnes sont concernées.

La présidente de la CNIL a laissé à ces sociétés un délai d’un mois pour que celles-ci mettent fin à la violation de la loi informatique et liberté.

Date de référence pour la fixation des indemnités d’expropriation dans le cas de la création d’emplacements réservés

Par un arrêt en date du 24 mai 2018, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a apporté des précisions intéressantes sur la date de référence qu’il convient de retenir dans le cadre de la fixation du montant des indemnités d’expropriation.

Pour rappel, si le bien exproprié doit être indemnisé à hauteur de sa valeur au jour où la juridiction de l’expropriation de première instance rend son jugement, l’usage effectif du bien, c’est-à-dire sa constructibilité ou sa destination, doit être arrêté à une date de référence.

L’article L. 322-2 du Code de l’expropriation prévoit le principe selon lequel la date de référence doit être fixée un an avant la date d’ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique.

L’article L. 322-6 du même Code prévoit une autre date de référence lorsqu’est en cause un terrain compris dans un emplacement réservé par un plan local d’urbanisme. Dans ce cas, la date de référence « est celle de l’acte le plus récent rendant opposable le plan local d’urbanisme, le document d’urbanisme en tenant lieu ou le plan d’occupation des sols et délimitant la zone dans laquelle est situé l’emplacement réservé ».

En l’espèce, le projet d’aménagement justifiant le recours à l’expropriation emportait mise en compatibilité du document d’urbanisme communal (en l’occurrence, le plan d’occupation des sols) et créait des emplacements réservés.

La DREAL a demandé que la date de référence soit fixée un an avant l’enquête préalable à la DUP, conformément à l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation.

Les juges du fond n’ont pas fait droit à sa demande et ont fixé l’indemnité d’expropriation en prenant comme date de référence celle de l’adoption de l’arrêté préfectoral emportant DUP et mise en compatibilité du plan d’occupation des sols et délimitant la zone dans laquelle étaient situés les emplacements réservés justifiant le recours à l’expropriation.

La DREAL a formé un pourvoi en cassation, au motif que l’article L. 322-6 du Code de l’expropriation doit être interprété de manière stricte, c’est-à-dire que la date de référence prévue par cet article doit être retenue seulement « lorsque l’emplacement réservé est créé en dehors de toute déclaration d’utilité publique ».

L’argumentation avancée par l’autorité expropriante consiste à expliquer que l’usage effectif du bien ne saurait être indemnisé en tenant compte du projet d’aménagement justifiant le recours à l’expropriation (qui, dans la très grande majorité des cas, emporte une valorisation de cet usage effectif).

Toutefois, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, a rejeté le pourvoi de la DREAL, en se tenant aux termes mêmes employés dans l’article L. 322-6 du Code de l’expropriation qui n’excluent pas explicitement la situation dans laquelle l’emplacement réservé est créé spécifiquement dans le cadre de la DUP :

« Mais attendu que l’arrêté déclarant l’opération d’utilité publique et emportant mise en compatibilité du plan d’occupation des sols constitue un acte entrant dans les prévisions de l’article L. 322-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ; qu’ayant relevé que l’arrêté du 6 décembre 2011 déclarant d’utilité publique le projet d’aménagement de la rocade ouest de la commune de Mende et emportant mise en compatibilité du plan d’occupation des sols était l’acte le plus récent rendant celui-ci opposable et délimitant la zone dans laquelle était situé l’emplacement réservé, la cour d’appel a exactement fixé la date de référence au jour de cet arrêté ».

Nul doute que cette décision constitue une jurisprudence dont pourront se prévaloir avantageusement les expropriés.

Objet social des SPL et lien avec les compétences des collectivités actionnaires

Conseil d’Etat, 14 novembre 2018, Syndicat mixte pour l’aménagement et le développement des Combrailles, n° 405628   

Par un arrêt du 14 novembre 2018, le Conseil d’Etat a, en se fondant sur les articles L. 1531-1, L. 1521-1 et L. 1524-5 du Code général des collectivités territoriales, considéré que : « hormis le cas, prévu par l’article L. 1521-1 du code général des collectivités territoriales, où l’objet social de la société s’inscrit dans le cadre d’une compétence que la commune n’exerce plus du fait de son transfert, après la création de la société, à un établissement public de coopération intercommunale, la participation d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales à une société publique locale, qui lui confère un siège au conseil d’administration ou au conseil de surveillance et a nécessairement pour effet de lui ouvrir droit à participer au vote des décisions prises par ces organes, est exclue lorsque cette collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités territoriales n’exerce pas l’ensemble des compétences sur lesquelles porte l’objet social de la société. ».

Jusqu’alors, plusieurs décisions divergentes avaient retenu l’attention au sujet du lien qui doit être établi entre les missions de la SPL et les compétences de chacun de ses actionnaires.

Il en résultait une incertitude sur le fait de savoir si, en présence d’une SPL à objet multiple, une collectivité (ou un groupement de collectivités) ne pouvait y participer :

  • que si elle détenait toutes les compétences correspondant à l’objet social de la société (CAA de Nantes, 19 sept. 2014, Syndicat intercommunal de la Baie et a., n13NT01683) ;
  • ou, de manière moins stricte, que si la partie prépondérante des missions de la société n’excédait pas son domaine de compétence − autrement dit si elle disposait de la ou des compétences correspondant à la partie prépondérante de ces missions (CAA de Lyon, 4 octobre 2016, SEMERAP, n° 14LY02753, objet de ce pourvoi).

La position du Conseil d’Etat était donc attendue.

Celui-ci opte pour la position la plus stricte en considérant que la Cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit. Il est vrai qu’en participant à une SPL dont l’objet excède ses propres compétences, une collectivité est susceptible de prendre part, en sa qualité d’actionnaire, à des décisions ayant trait à la mise en œuvre d’une compétence qu’elle ne possède pas.

Désormais, pour participer à une SPL, la collectivité (ou le groupement de collectivités) devra détenir l’ensemble des compétences correspondant à l’objet social de la société.

On notera toutefois que le Conseil d’Etat – comme l’avait fait la Cour administrative d’appel de Nantes – prend soin d’exclure le cas prévu à l’article L. 1521-1 du CGCT, à savoir celui où l’objet social de la société s’inscrit dans le cadre d’une compétence que la commune n’exerce plus du fait de son transfert, après la création de la société, à un établissement public de coopération intercommunale. La commune pourra donc, dans cette hypothèse, continuer de participer au capital de la SPL en question.

La portée de cet arrêt sur de nombreuses SPL existantes ou en cours de création mérite donc la plus grande attention de la part des collectivités ou de leurs groupements concernés.

Les pouvoirs de police du maire face aux situations de péril

A la suite des évènements dramatiques survenus à Marseille, il paraît important de rappeler brièvement les fondements des pouvoirs de police du maire en la matière, leurs modalités de mise en œuvre ainsi que leurs conséquences.

1. Les fondements textuels applicables 

En matière de péril, le maire peut faire application soit de ses pouvoirs de police spéciale, propres aux édifices menaçant ruine, sur le fondement des articles L.511-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation, soit de ses pouvoirs de police générale, sur le fondement des articles L.2212-2-5° et L.2212-4 du Code général des collectivités territoriales.

Si ces pouvoirs poursuivent le même objectif, à savoir l’exécution de mesures nécessaires à faire cesser le péril existant et rétablir la sécurité publique, leurs champs d’application se distinguent.

De même, les procédures applicables, le formalisme associé ainsi que les effets juridiques qui en découlent sont différents, de sorte que le maire doit être attentif au choix opéré de recourir à l’une ou l’autre de ces procédures.

2. Le critère de distinction entre police générale et police spéciale 

Le champ d’application respectif des polices générale et spéciale du maire est strictement défini, sous peine de censure par le juge, la jurisprudence posant comme critère de distinction « l’origine du péril »[1] affectant l’immeuble.

Ainsi, la police spéciale des édifices menaçant ruine peut être mise en œuvre lorsque l’existence du péril émane d’une cause propre à l’immeuble, à savoir, un défaut d’entretien, un caractère vétuste ou encore des vices de construction.

A l’inverse, la police générale trouve application lorsque l’existence du péril est extérieure à l’immeuble, tels que des évènements naturels (mouvement de terrain, inondation etc.) ou des faits de l’homme.

Lorsque l’état de péril est provoqué par une pluralité de cause, et que coexistent des causes intrinsèque et externe, c’est la cause prépondérante qui doit être recherchée, c’est-à-dire celle sans laquelle les désordres ne seraient pas survenus[2].

3. L’exception du « péril immédiat »

Dans les cas d’extrême urgence, lorsque le délai de mise en œuvre d’une procédure de péril imminent[3] est incompatible avec une situation de péril particulièrement grave et immédiate, le maire doit faire usage de ses pouvoirs de police générale, et ce, quelle que soit la cause du péril[4].

Il appartient au maire de justifier précisément de l’existence de circonstances exceptionnelles et d’une situation d’extrême urgence.

Dans ce cadre, les travaux sont exécutés d’office aux frais de la commune, les textes ne prévoyant pas expressément la possibilité de les recouvrer auprès des propriétaires de l’immeuble en cause.

4. La mise en œuvre des procédures de péril 

En ce qui concerne le pouvoir de police générale du maire, le Code général des collectivités territoriales ne prévoit pas de formalisme particulier, l’arrêté devant néanmoins être motivé et les mesures ordonnées strictement nécessaires et proportionnées. 

A l’inverse, s’agissant des pouvoirs de police spéciale, des règles procédurales sont strictement définies aux articles L.511-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation[5], et permettent au maire de mettre en œuvre la procédure de péril selon deux modalités distinctes :

  • La procédure de péril ordinaire[6]

Après constatation de l’existence d’une situation de péril, le maire en informe les propriétaires de l’immeuble concerné et les invite à présenter leurs observations dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois.

A l’issue de ce délai, le maire prend un arrêté mettant en demeure les propriétaires de procéder aux travaux de réparation ou de démolition nécessaires afin de mettre fin au péril. Après une nouvelle mise en demeure infructueuse, ces travaux sont réalisés d’office par la commune, aux frais des propriétaires défaillants.

  • La procédure de péril imminent[7]

Après constatation de l’existence d’une situation de péril imminent, le maire en informe les propriétaires et saisit le Tribunal administratif en vue de la désignation d’un expert judiciaire qui devra, dans les 24h suivant sa nomination, examiner l’immeuble litigieux, dresser un constat de l’état des bâtiments mitoyens et proposer des mesures de nature à mettre fin à l’imminence du péril qu’il constatera.

Sur la base du rapport de l’expert, le maire ordonne alors les mesures provisoires nécessaires pour mettre un terme à l’imminence du péril, lesquelles seront effectuées d’office par la commune en cas de carence des propriétaires, et aux frais de ces derniers.

5. Les mesures pouvant être prescrites au titre de la police spéciale

Dans le cadre d’une procédure de péril imminent, seules des mesures provisoires et conservatoires sont susceptibles d’être prescrites.

Si ces mesures ne sont pas suffisantes pour mettre durablement fin au péril, le maire doit poursuivre une procédure de péril ordinaire, nécessitant un délai de mise en œuvre de plusieurs mois, au titre de laquelle il pourra prescrire des travaux plus lourd, comme par exemple la réhabilitation ou la démolition de l’immeuble.

Dans ce dernier cas et face à la carence des propriétaires, les travaux de démolition de l’immeuble ne pourront pas être réalisés d’office par la commune, et devront préalablement être autorisés par le juge judiciaire, statuant en la forme des référés[8].

6. Les conséquences d’un arrêté de péril 

L’arrêté de péril prescrit par le maire, qu’il soit ordinaire ou imminent, emporte plusieurs conséquences tant pour le propriétaire et ses occupants que pour la commune, lorsque celle-ci doit se substituer au propriétaire défaillant.

  • La suspension du paiement du loyer

L’édiction d’un arrêté de péril par le maire ne met pas automatiquement fin aux baux en cours de l’immeuble concerné.

Au contraire, les loyers en principal ou toutes autres sommes versées en contrepartie de l’occupation cessent d’être due à compter du 1er jour qui suit la notification ou l’affichage de l’arrêté et ce, jusqu’au premier jour du mois qui suit la date d’achèvement constatée par l’arrêté. 

  • L’obligation d’héberger ou de reloger les occupants

En vertu de l’article L. 521-3-1 du Code de la construction et de l’habitation, les propriétaires d’un immeuble frappé par un arrêté de péril sont tenus d’assurer à leurs occupant un hébergement décent, en cas d’interdiction temporaire d’habiter, ou un relogement définitif, en cas d’interdiction permanente d’habiter.

En cas de carence des propriétaires, dans les délais fixés par l’arrêté, ces obligations sont alors automatiquement dévolues à la commune.

7. Le recouvrement des frais engagés par la commune

Par application des dispositions des articles L. 511-2 et 511-3 du Code de la construction et de l’habitation, les frais de toute nature, avancés par la commune lorsqu’elle est substituée aux propriétaires défaillants, sont recouvrés comme en matière de contribution directe.

Ce recouvrement n’est susceptible d’intervenir que dans le cadre des pouvoirs de police spéciale, et peut en particulier concerner les frais d’expertise, les coûts des travaux réalisés d’office ainsi que les coûts afférents à l’obligation d’hébergement et de relogement.

 

Par Cyril CROIX et Axelle LASSERRE

 

 

[1] CE, 27 juin 2005, Ville d’Orléans, n°262199 ;

[2] CE, 31 mars 2006, Perone, n°279664 ;

[3] Article L.511-3 du Code de la construction et de l’habitation ;

[4] CE, 10 octobre 2005, Commune de Badinières, n°259205 ; CE, 6 novembre 2013, Commune de Cayenne, n°349245 ;

[5] «Le maire peut prescrire la réparation ou la démolition des murs, bâtiments ou édifices quelconques lorsqu’ils menacent ruine et pourraient, par leur effondrement, compromettre la sécurité ou lorsque, d’une façon générale, ils n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique, dans les conditions prévues à l’article L. 511-2. Toutefois, si leur état fait courir imminent, le maire ordonne préalablement les mesures provisoires indispensables pour écarter ce péril, dans les conditions prévues à l’article L.511-3. » ;

[6] Article L.511-2 du code de la construction et de l’habitation ;

[7] Article L.511-3 du code de la construction et de l’habitation ;

[8] TC, 6 juillet 2009, n°0903702 ; L.511-2-5°.

 

La régularisation des autorisations d’occupation du sol : bilan et perspectives

La régularisation des autorisations d’occupation du sol peut être engagée à l’initiative, d’une part, du pétitionnaire et/ou de l’autorité compétente et, d’autre part, depuis un période plus récente, par le Juge administratif.

C’est chronologiquement la possibilité d’une régularisation du permis de construire à l’initiative de l’Administration qui a été admise par le juge (d’abord en ce qui concerne les défauts de conformité d’un projet de construction au regard des règles d’urbanisme applicables : CE,  2 octobre 1987, n°66391 –  CE, 15 janv. 1997, n°100494 ; et par la suite en ce qui concerne les vices de formes et de procédures : CE, 2 fév. 2004, SCI La Fontaine de Villiers, n°238315).

En revanche, ce n’est qu’avec l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, sur proposition du rapport Labetoulle[1], qu’a été octroyé au Juge administratif le pouvoir  de surseoir à statuer avant d’inviter les parties à procéder à la régularisation du permis de construire, de démolir ou d’aménager (L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme).

Même si ce texte est récent, il a d’ores et déjà donné lieu a une abondante jurisprudence venant préciser les contours de ces nouveaux pouvoirs octroyés au juge, et donc des modalités et des conditions de régularisation des autorisations d’occupation du sol (I.). Mais ce premier retour d’expérience a permis de faire ressortir les limites de ces nouveaux mécanismes, limites que le législateur entend essayer de corriger (II.).

I – BILAN

Cela fait bientôt six ans que le Juge administratif manie ce nouveau pouvoir qui lui a été octroyé par l’ordonnance du 18 juillet 2013.

Sur le papier, il s’agissait à l’évidence d’un outil pouvant emporter une réforme très profonde du contentieux de l’urbanisme, susceptible de marquer encore davantage les particularités de ce contentieux, que l’on peut aujourd’hui analyser comme étant à mi chemin entre le contentieux de l’excès de pouvoir et le plein contentieux. Cependant, évidemment, la portée effective de ce nouvel outil dépendait nécessairement de l’usage qui en serait fait par l’autorité chargée de le mettre en œuvre, le Juge administratif.

Ce premier bilan devra permettre de constater que, dans leur grande majorité, les juridictions administratives se sont pleinement approprié ce pouvoir, d’une part, en en dessinant des contours procéduraux devant permettre de donner une pleine portée à cet outil contentieux et, d’autre part, en construisant un champ d’application relativement élargi des possibilités de régularisation.

1 – Des contours procéduraux affinés au gré de la jurisprudence administrative

Comme relevé précédemment, l’insertion de l’article L. 600-5-1 dans le Code de l’urbanisme a été suggéré par le rapport Labetoulle[2].

Toutefois, les auteurs de ce rapport ont entendu laisser au Juge administratif le soin de polir les contours de ce nouvel outil contentieux, afin de trouver un juste et délicat équilibre entre la préservation efficace du droit au recours, et le gain de temps pour le porteur de projet :

« Par la rédaction qu’il a retenue à cette fin, le groupe de travail n’a pas prétendu régler à l’avance toutes les questions – elles sont nombreuses – qui ne manqueront pas de se poser dans l’application de cette disposition (faudratil, par exemple, admettre l’appel contre le jugement avantdire droit ou, comme cela paraît souhaitable, reporter la contestation des motifs pour lesquels ont été écartés les autres moyens jusqu’à l’intervention du jugement comportant le dispositif final ?). Il lui a semblé que la voie jurisprudentielle était la plus appropriée pour couvrir, progressivement, l’ensemble des hypothèses ».

Pour ce faire, le Juge administratif n’a pas hésité à interpréter largement les possibilités offertes par l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme. En effet, la lecture stricte de ces dispositions qui prévoient la régularisation d’ « un vice » devrait porter à croire qu’un seul vice est susceptible d’être régularisé par autorisation d’urbanisme, et que le constat de plusieurs irrégularités entachant la légalité de ladite autorisation devrait emporter l’impossibilité de mettre en œuvre l’article L. 600-5-1.

Toutefois, par souci de pragmatisme semble-t-il, le Juge administratif a rapidement permis qu’à l’occasion d’un contentieux engagé contre une autorisation d’urbanisme, plusieurs vices puissent être régularisés (voir par exemple en ce sens : CAA Nancy, 23 janv. 2014, n° 13NC00783 ; CAA Paris, 16 fév. 2015, n° 13PA03456 ; CAA Bordeaux, 9 juill. 2015, n° 12BX02902 ; CAA Marseille, 26 oct. 2017, n° 16MA00230 ; CAA Versailles, 7 déc. 2017, n° 15VE02620 ; CAA Lyon, 3 mai 2018, n° 16LY02240).

Par ailleurs, et afin de préserver effectivement le gain de temps contentieux et procédural du porteur de projet, le Conseil d’Etat a rapidement entendu préciser que la contestation de la légalité du permis de construire modificatif (PCM) de régularisation ne doit pas faire l’objet d’une nouvelle instance indépendante, mais doit être réglée dans le cadre de l’instance en cours contre le permis initial que le permis modificatif entend régulariser (CE, Avis, 18 juin 2014, n° 376760 ; CE, 19 juin 2017, n° 398531). Juger le contraire n’aurait pas été constructif au regard des objectifs affichés de la réforme en cause. Toutefois, cela n’est valable que pour les parties à l’instance. Pour les tiers, il est toujours loisible de former un recours indépendant contre le permis modificatif. Cependant, encore faudrait-il que ce tiers démontre son intérêt à agir, et que les moyens articulés pour contester ce permis modificatif ne portent que sur cette nouvelle autorisation, le recours contre un PCM ne réouvrant pas un nouveau délai de recours contre le permis de construire initial.

De manière générale, les prises de position du Juge administratif depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 18 juillet 2013, marquent semble-t-il la volonté d’ouvrir une large place à la régularisation des autorisations d’urbanisme en cours de procédure. En ce sens, le Conseil d’Etat a jugé que dans l’hypothèse d’une première tentative infructueuse de régularisation à l’initiative de l’Administration et du porteur de projet, rien n’interdit au Juge administratif d’utiliser les pouvoirs qui lui sont dévolus par l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme lorsqu’il constate que le moyen est régularisable, afin de laisser une seconde chance de régularisation de l’autorisation (CE, 22 fév. 2018, n° 4114561). Mais surtout, et après avoir d’abord pris position contre cette possibilité (CE, 30 déc. 2015, n° 375276), le Conseil d’Etat a jugé que le fait de constater que la construction objet de l’autorisation à régulariser est achevée ne doit pas s’opposer à la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1 (CE, 22 fév. 2017, n° 392998), et donc à la régularisation de ladite autorisation (en revanche, le constat d’un tel achèvement continue à s’opposer, à la lecture de la jurisprudence, à l’annulation partielle de l’autorisation prévue par l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme).

2 – Un champ matériel large mais nécessairement encadré par la notion de permis de construire modificatif

L’efficacité de ce nouvel outil au regard des objectifs qui lui sont assignés, dépend également de l’appréciation prétorienne du caractère ou non régularisable de différents types de vices dont est susceptible d’être entachée une autorisation d’occupation du sol.

De ce point de vue une nouvelle fois, les décisions du Juge administratif démontrent la volonté d’ouvrir de nombreuses possibilités de régularisation des autorisations d’urbanisme en cours d’instance.

A cet égard, le Juge administratif a sursis à statuer dans l’attente de la régularisation de dossiers de demande au sein desquels manquaient des pièces obligatoires (voir par exemple pour la pièce marquant l’accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d’autorisation d’occupation du domaine public : CAA Bordeaux, 22 juin 2018, n° 15BX03115) ou au sein desquels figuraient toutes les pièces requises mais dont certaines étaient incomplètes (voir par exemple pour des plans ne faisant pas ressortir toutes les informations nécessaires à l’instruction de la demande : CAA Marseille, 31 mai 2018, n° 16MA00230 ; CAA Lyon, 3 mai 2018, n° 16LY02240).

De la même façon, l’absence de la saisine pour avis d’une tierce personne alors qu’elle était obligatoire peut être régularisée (par exemple, dans le cas de la saisine pour avis simple de l’Architecte des Bâtiments de France quand il fallait en réalité une autorisation : CAA Marseille, 19 juill. 2018, n° 17MA01850).

L’absence d’une formalité obligatoire préalable à l’autorisation d’urbanisme peut également faire l’objet de la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1 (pour l’exemple de l’absence de déclassement préalable du domaine public d’une parcelle sur laquelle portait le permis de construire : CAA Bordeaux, 28 août 2018, n° 15BX01143 – en l’absence d’autorisation de défrichement préalable pourtant obligatoire : CAA Nantes, 10 nov. 2017, n° 15NT02043).

L’incompétence de l’auteur de l’acte est  également susceptible d’être régularisée (CAA Lyon, 3 mai 2018, n° 16LY02240), tout comme l’absence de signature de l’acte (CAA Marseille, 14 janvier 2016, n° 14MA00803).

La question est plus subtile quand la régularisation rend nécessaire la modification du projet de construction en lui-même.

En effet, l’article L. 600-5-1 prévoit que l’outil de la régularisation doit prendre la forme d’un « permis modificatif ». Ce faisant, le législateur a nécessairement encadré les conditions de la régularisation lorsque celle-ci implique de modifier le projet de construction en lui-même, puisque pour entrer dans le champs d’application de l’article L.600-5-1, ces modifications doivent pouvoir être actées à travers l’adoption d’un permis de construire modificatif. En d’autres termes, les amendements à apporter au projet ne doivent pas être trop importants.

Ainsi, le Juge administratif examine si  « les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d’illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale ». Dans le cas où les modifications entreprises remettent en cause la conception générale du projet, alors l’autorisation d’occupation du sol ne peut être régularisée à l’occasion de la délivrance d’un permis modificatif, et l’utilisation de l’article L. 600-5-1 doit donc être exclue.

En résumé, si la régularisation de l’autorisation rend nécessaire de légères modifications du projet de construction, le juge peut surseoir à statuer dans l’attente d’une telle régularisation (par exemple pour l’ajout de places de stationnement : CAA Bordeaux, 6 juin 2017, n° 16BX00402 ; pour la nécessité d’un léger recul supplémentaire par rapport aux limites séparatives : CAA Bordeaux, 30 mars 2018, n° 16BX00931, 16BX01003). Au contraire, lorsque les modifications nécessaires sont trop importantes, alors le Juge administratif refuse de faire usage des pouvoirs qui lui sont octroyés par l’article L. 600-5-1 (dans le cas d’une importante modification de l’emprise au sol et de notables amendements des caractéristiques de la toiture : CAA Lyon, 25 oct. 2018, n° 17LY00416 : dans le cas d’une importante baisse de l’emprise au sol, des hauteurs et de l’aspect extérieur de la construction : CAA Lyon, 13 mars 2018, n° 15LY02376 ; dans le cas du projet de lotissement auquel il conviendrait d’ajouter 200 m² d’espaces verts : CAA Lyon, 15 fév. 2018, n° 16LY00967).

D’autres types de vices sont assez logiquement exclus de la possibilité de régularisation. Tel est le cas par exemple lorsque le vice en cause est la caducité du permis lui-même (CAA Marseille, 1er juin 2018, n° 17MA01872), ou encore lorsque la construction autorisée l’a été en zone inconstructible du PLU ou sur une parcelle sur laquelle toute construction est interdite aux termes du PPRI (CAA Nantes, 27 juillet 2018, n° 16NT03188 ; CAA Bordeaux, 27 sept. 2018, n° 16BX03616, 16BX03905).

II – PERSPECTIVES

Le bilan des six premières années de la pratique de la procédure de régularisation permet de constater que la majorité des juridictions administratives a entendu faire un large usage des pouvoirs qui leur sont conférés en application de l’article L. 600-5-1.

En réalité, le plus souvent, les limites de ce nouvel outil telles qu’elles ressortent de la jurisprudence administrative résultent de la rédaction du texte en lui-même. Or, si le Juge administratif dispose d’un large pouvoir d’interprétation des textes, il n’est en revanche pas censé s’écarter de la lettre même du texte lorsque celle-ci est parfaitement claire.

Désireux d’élargir les pouvoirs de régularisation du Juge administratif, le législateur a, sur les préconisations du Rapport dit Rapport Maugüe[3], et à l’occasion de l’élaboration de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (dite loi ELAN) définitivement adoptée depuis le 16 octobre dernier, retravaillé la rédaction du texte des articles L. 600-5-1 et L. 600-5 du Code de l’urbanisme.

La rédaction de l’article L. 600-5-1 issue de la loi ELAN est la suivante :

« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 6005, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ».

Il ressort de l’étude d’impact de cette loi publiée 3 avril 2018[4], que ce faisant, l’objectif poursuivi est le suivant :

« Le second objectif est de sécuriser les autorisations accordées en renforçant les pouvoirs que le juge administratif détient des articles L.600-5 et L.600-5-1 du code de l’urbanisme, et qui lui permettent de n’annuler que partiellement une autorisation de construire, ou de surseoir à statuer si l’illégalité est régularisable ».

La même étude d’impact résume les apports d’une telle réforme :

« Il est ainsi prévu que ces mécanismes soient désormais possibles en cas de permis de construire de régularisation et non plus seulement en cas de permis modificatif. Le juge aura par ailleurs l’obligation de motiver son refus de faire usage de ces deux articles. Enfin, la mise en œuvre de ces deux mécanismes est étendue aux déclarations préalables et devient possible même après l’achèvement des travaux ».

La refonte opérée par l’article 80 4° et 5° de la loi ELAN des articles L. 600-5-1 et L. 600-5[5], doit emporter au moins quatre incidences principales sur les procédures de régularisation des autorisations d’occupation du sol.

1 – La possibilité de régulariser les non-oppositions à déclaration préalable

La rédaction de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme issue de l’ordonnance du 18 juillet 2013 et en vigueur jusqu’à présent, ne renvoie qu’aux « permis construire, de démolir ou d’aménager », et pas aux arrêtés de non-oppositions à déclaration préalable, de sorte que l’illégalité d’une déclaration préalable n’est pas régularisable, comme cela a pu être rappelé à l’occasion de diverses réponses ministérielles (pour un exemple : Réponse ministérielle JO Sénat 20 fév. 2014 p. 475 à la Question ministérielle n° 08740 JO Sénat 17 oct. 2013 p.3006).

Aux termes de la rédaction issue de la loi ELAN, l’article L. 600-5-1 (comme d’ailleurs le futur article L. 600-5) renvoie pour la régularisation à la déclaration préalable : « le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ».

Ainsi, à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de cet article du Code de l’urbanisme, il ne sera plus nécessaire de reprendre l’entière procédure de déclaration préalable pour régulariser un vice dont pourrait être entachée une telle autorisation.

2 – L’obligation pour le Juge administratif de mettre en œuvre ses pouvoirs issus de l’article L. 600-5-1 dès lors qu’il constate que le ou les vices sont régularisables

Tel qu’elle a été conçue à l’origine, l’utilisation de l’outil de régularisation entre les mains du Juge administratif était une simple faculté. En ce sens, l’article L. 600-5-1 prévoit que le juge « peut » surseoir à statuer.

Afin de donner davantage d’envergure à cet outil, et également d’inciter les juridictions administratives récalcitrantes à en faire usage, la loi ELAN transforme cette faculté en obligation :

« D’autre part, l’article L. 600-5-1 est rédigé pour transformer en obligation la faculté de recourir au sursis à statuer. Si le juge peut refuser de faire droit à des demandes d’annulation partielle ou de sursis à statuer, il doit alors modifier ce refus ».

Partant, le simple constat du caractère régularisable du ou des vices dont serait entachée une autorisation d’occupation des sols devra imposer au juge, saisi de la légalité de cette autorisation, de surseoir à statuer dans l’attente d’une régularisation de ces vices.

Le refus de faire droit à une telle demande devra être motivée. Cela devrait avoir une conséquence relativement importante. En effet, jusqu’à présent, et compte de la rédaction actuelle de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a refusé de contrôler le refus des juges du fond de mettre en œuvre l’outil de régularisation.

En effet, le Conseil d’Etat juge que l’appréciation portée sur le caractère ou non régularisable d’un vice, et l’opportunité de surseoir à statuer relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond :

« L’exercice de la faculté de surseoir à statuer afin de permettre la régularisation du permis de construire faisant l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, instituée par les dispositions citées au point 10 de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, est un pouvoir propre du juge. Toutefois, lorsqu’il est saisi de conclusions tendant à la mise en œuvre de ces dispositions, la décision du juge du fond de faire droit à celles-ci ou de les rejeter relève de son appréciation souveraine, tant sur le caractère régularisable du vice entachant l’autorisation attaquée que sur l’exercice de la faculté, ouverte par l’article L. 600-5-1, de surseoir à statuer pour qu’il soit procédé à cette régularisation dans un délai qu’il lui appartient de fixer eu égard à son office, sous réserve du contrôle par le juge de cassation de l’erreur de droit et de la dénaturation » (CE, 22 déc. 2017, n° 402362 – voir également CE, 6 déc. 2017, n° 405839).

Or, le fait de muter la faculté en obligation devrait amener le Conseil d’Etat à modifier les conditions de son contrôle sur le caractère régularisable ou non d’un vice, et sur le refus de recourir au sursis à statuer. En effet, l’obligation de motivation d’un tel refus a pour objet notamment de pouvoir censurer un tel raisonnement.

On comprend que la motivation ne sera développée que dans le cas où les parties défenderesses auront, aux termes de leurs mémoires, sollicité, le cas échéant à titre subsidiaire, la mise en œuvre par le juge de l’article L. 600-5-1 en vue de la régularisation de l’autorisation. En l’absence d’une telle demande, le juge n’aurait semble-t-il pas à exposer le choix de son refus. On le sait, la mise en œuvre de cet article n’est pas conditionnée à une demande en ce sens des parties, puisque le juge peut de sa propre initiative surseoir à statuer. Toutefois, on peut envisager qu’en l’absence d’une demande des parties en 1ère instance ou en appel, il serait plus difficile d’articuler auprès du Conseil d’Etat un moyen tenant à la non mise en œuvre par les juges du fond des pouvoirs qu’ils tiennent de l’article L. 600-5-1.

Par conséquent, dans le cas où il apparaît au pétitionnaire et/ou à l’Administration que l’un des moyens d’annulation de l’autorisation pourrait être sérieux, il semble peut-être judicieux de demander, à titre subsidiaire, au juge de surseoir à statuer dans l’attente d’une régularisation, pour l’obliger à motiver le cas échéant le refus de la mise en œuvre de cet outil.

3 – L’élargissement de la forme que peut prendre l’acte de régularisation

Comme cela a été exposé précédemment, la rédaction actuelle de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme puisqu’elle renvoie comme outil de la régularisation à un « permis modificatif » restreint nécessairement les vices régularisables à ceux susceptibles d’être compris dans un permis de construire modificatif.

Ainsi, les modifications de la construction le cas échéant nécessaires à la régularisation ne doivent pas remettre en cause la conception générale de la construction.

En ne renvoyant plus simplement à un « permis modificatif » mais désormais à une « mesure de régularisation », détaillée au futur article L. 600-5-2 comme pouvant être un « permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation », il semble que le législateur a entendu élargir les facultés de régularisation, de sorte que les modifications qui pourraient être envisagées pour régulariser l’autorisation pourraient être bien plus larges que celles susceptibles d’être contenues dans un permis de construire modificatif.

4 – L’inscription dans la loi de la possibilité de régulariser même après l’achèvement des travaux

On l’a vu, le Conseil d’Etat a semblé hésiter sur la possibilité de régulariser des autorisations d’occupation du sol portant sur des constructions achevées. A cet égard, si les juges du Palais Royal ont semblé exclure dans un premier temps cette possibilité, ils  ont fini par l’admettre en février 2017 (CE, 22 fév. 2017, n° 392998).

La future rédaction de l’article L. 600-5-1 issue de la loi ELAN transpose dans le Code de l’urbanisme cette jurisprudence en prévoyant que la régularisation peut intervenir « même après l’achèvement des travaux », et prévoit la même chose pour l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme (pour lequel le Conseil d’Etat n’avait pas admis qu’une annulation partielle pouvait intervenir même après le constat de l’achèvement des travaux).

Cette nouvelle rédaction devrait mettre un terme aux divergences jurisprudentielles qui existent entre les Cours administratives d’appel. En effet, si certaines cours ont adopté le même raisonnement que le Conseil d’Etat en jugeant que l’achèvement des travaux ne devait pas empêcher la mise en œuvre de l’article L. 600-5-1 (CAA Bordeaux, 29 mars 2018, n° 15BX01143), d’autres résistent en continuant à rechercher si les travaux objets de l’autorisation attaquée sont ou non achevés quand se pose la question du sursis à statuer (CAA Nantes, 29 juin 2018, n° 17NT02567 ; CE Versailles, 29 mars 2018, n° 16VE02775), et refusent de mettre en œuvre l’article L. 600-5-1 quand elles constatent un tel achèvement (CAA Lyon, 19 déc. 2017, n° 15LY03417).

Par Céline LHERMINIER et Emmanuelle BARON

 

[1] Rapport « Construction et droit au recours pour un meilleur équilibre » http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Labetoulle.pdf

[2] Rapport « Construction et droit au recours : pour un meilleur équilibre » – 25 avril 2013

[3] Rapport au ministre de la cohésion des territoires présenté par le groupe de travail présidé par Christine Maugüé, conseillère d’Etat « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace »

http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/IMG/pdf/2018.01.11_rapport_contentieux_des_autorisations_d_urbanisme.pdf

[4] http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl0846-ei.asp#TopOfPage

[5] http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2017-2018/721.html

 

 

Biens de retour : précisions utiles sur les provisions pour renouvellement

Dans un arrêt en date du 18 octobre 2018, le Conseil d’État a validé la loi du Pays qu’avait adoptée l’Assemblée de Polynésie française en mars dernier relative aux provisions pour renouvellement des immobilisations dans les délégations de service public[1].

Cette loi visait à préciser les modalités de constitution et d’utilisation de ces provisions par les délégataires de service public en Polynésie française. Elle prévoyait notamment que les provisions pour renouvellement constituent un « financement de l’autorité délégante » et que toutes les provisions non utilisées en fin de contrat doivent revenir à l’autorité délégante.

Estimant cette loi illégale, une société concessionnaire du service public de l’électricité en Polynésie (la société Electricité de Tahiti-Engie), avait alors engagé un recours à l’encontre de cette loi sur le fondement des dispositions de l’article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française afin que le Conseil d’Etat se prononce sur la conformité de cette loi au  bloc de légalité défini au III de l’article 176 de la loi organique précitée.

Par sa décision ici commentée, le Conseil d’Etat valide la majeure partie des dispositions de la loi attaquée en posant le principe que toutes les sommes constituées par les délégataires de service public en vue du renouvellement de biens nécessaires au fonctionnement du service public doivent revenir à l’autorité concédante en fin de contrat.

Rappelant d’abord les principes généraux applicables aux biens de retour des délégations de service public dégagés par la décision de principe « Commune de Douai » (CE, Assemblée 21 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788), le Conseil d’Etat juge ensuite que « les sommes requises pour l’exécution de travaux de renouvellement des biens nécessaires au fonctionnement du service public qui ont seulement donné lieu, à l’expiration du contrat, à des provisions » font retour à la personne publique.

Le Conseil d’Etat précise en outre que les sommes qui auraient fait l’objet de provisions pour des montants excédant le besoin de renouvellement appartiennent également à la personne publique au motif que l’équilibre économique du contrat ne justifie pas que le concessionnaire les conserve  « […] Il en va de même des sommes qui auraient fait l’objet de provisions en vue de l’exécution des travaux de renouvellement pour des montants excédant ce que ceux-ci exigeaient, l’équilibre économique du contrat ne justifiant pas leur conservation par le concessionnaire […] ».

En définitive, le Conseil d’Etat juge que toutes les sommes constituant des provisions (y compris celles surestimées) appartiennent à la personne publique.

Le Conseil d’Etat censure toutefois les points II et III de l’article LP 6 qui prévoyaient que les provisions pour renouvellement devenues sans objet puissent abonder un fonds de travaux, sur un compte bancaire dédié.

Par suite, le Conseil d’Etat valide dans sa quasi-totalité les dispositions de la loi du Pays attaquée dès lors qu’elles « découlent du régime des concessions de service public » et ne méconnaissent ni les libertés contractuelle et d’entreprendre, ni le droit de propriété, ni le principe de libre administration des collectivités territoriales, ni les principes de la commande publique.

La loi du Pays ainsi validée a été promulguée le 30 octobre dernier[2] par le Président de la Polynésie française.

[1] Texte adopté n° 2018-16 LP/APF du 14 mars 2018 de la loi du pays relative aux provisions pour renouvellement des immobilisations dans les délégations de service public

[2] Loi du Pays n° 2018-34 du 30 octobre 2018 relative aux provisions pour renouvellement des immobilisations dans les délégations de service public.

Responsabilité pour faute de l’Etat dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police dans le cadre de la remise en état d’une Installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) soumis à déclaration

Dans cette espèce, la Mutuelle d’épargne de retraite et de prévoyance CARAC a tenté d’engager la responsabilité pour faute simple de l’Etat à la suite de la cessation d’activité de la Société Oil France qui exploitait une station-service. La Mutuelle considérait, en effet, que l’Etat avait commis plusieurs fautes de nature à engager sa responsabilité :

  • d’abord elle reprochait au Préfet de ne pas avoir mis en œuvre de mesures contraignantes à l’encontre de la Société Oil France en vue de l’exécution de travaux de dépollution des sols et de s’être borné à procéder à de simples demandes ou mises en demeure dans des délais anormaux ;
  • par ailleurs, la Mutuelle considérait que l’Etat avait commis une faute en ne donnant pas suite à sa proposition d’effectuer les travaux de dépollution en lieu et place de l’ancien exploitant sur le fondement de l’article L. 512-21 du Code de l’environnement, relatif à la remise en état d’un site pollué par un tiers intéressé ;
  • enfin, il était reproché à l’Etat d’avoir émis des prescriptions incohérentes.

Le juge a rejeté les trois moyens soulevés par la Mutuelle.

Concernant la première faute invoquée, le juge a considéré qu’elle n’est pas caractérisée dès lors qu’il n’appartenait pas au Préfet de mettre en œuvre les mesures contraignantes prévues à l’article L. 171-8 du Code de l’environnement du simple fait qu’ait été constaté l’existence d’un délai pendant lequel une pollution a perduré sur un site à la suite de sa cessation d’activité et de l’absence concomitante de mise en œuvre des mesures coercitives de la part de l’administration. Par ailleurs, le juge a constaté que, dans les faits de l’espèce, il n’existait pas de risque sanitaire pour la population et l’environnement qui justifiait une intervention du Préfet sur le fondement des dispositions précitées et que la demande de la Mutuelle visait principalement à défendre ses intérêts économiques dont l’atteinte ne pouvait être réparée par la mise en œuvre par le Préfet des mesures précitées.

S’agissant de la deuxième faute invoquée, le juge l’a également rejeté au motif, d’une part, que la demande de la Mutuelle sur le fondement de l’article L. 512-21 du Code de l’environnement était formulée en termes généraux et n’avait pas rencontré l’accord de l’exploitant à qui elle devait se substituer, et, d’autre part, que le contenu du dossier que devait remettre le tiers intéressé n’était, à l’époque, pas précisé par les textes.

Concernant enfin la troisième faute invoquée, le juge a considéré qu’elle n’est pas plus caractérisée et a contesté les incohérences soulevées.

Eau – Retrait d’une autorisation d’exploiter une microcentrale hydroélectrique aggravant le risque d’inondation

Le litige porte sur la décision du Préfet des Alpes Maritime du 6 septembre 2011 de retirer à la Société SAS Energie Var 3 l’autorisation qui lui avait été délivrée en application de l’article L. 214-1 du Code de l’environnement, relatif aux autorisations des installations, les ouvrages, travaux et activités (IOTA) entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, pour l’exploitation une microcentrale hydroélectrique située au niveau d’un seuil situé sur le Var.

La requête en annulation de cette décision, déposée par la SAS Energie Var 3, avait d’abord été rejetée en première instance puis en appel. L’affaire ayant été portée devant le Conseil d’Etat, celui-ci a alors cassé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille en considérant que celle-ci n’avait pas suffisamment motivé son arrêt « en jugeant, après avoir relevé que les installations de cette société faisaient obstacle à l’écoulement des eaux du fleuve Var, que ce motif justifiait le retrait de l’autorisation sur le fondement du 2° du II de l’article L. 214-4 du code de l’environnement, sans rechercher si cet obstacle à l’écoulement des eaux avait une incidence, dans les circonstances de l’espèce, sur le risque d’inondation et si, par suite, sa suppression était nécessaire pour prévenir ou faire cesser les inondations » (CE, 16 février 2018, n°393267).

L’affaire ayant été renvoyée devant la Cour administrative d’appel, celle-ci confirme sa position selon laquelle le recours contre l’arrêté prononçant le retrait de l’autorisation devait être rejeté en développant les éléments l’ayant conduit à adopter cette décision.

En particulier, la Cour administrative d’appel relève que le contexte de crues récurrentes sur le fleuve du Var entre 1993 et 2002, provoquées ou aggravées par des aménagements successifs, avait entraîné la nécessité d’abaisser certains seuils qui rehaussaient artificiellement le niveau du fleuve, dans le but notamment de limiter les risques de débordement et donc de prévenir des inondations. Cette opération avait d’ailleurs été préconisée par le schéma d’aménagement et de gestion des eaux de la vallée du Var. Dans ce contexte, et dans la mesure où la microcentrale de la Société SAS Energie Var 3 était construite sur l’un des seuils à abaisser, la destruction de cette exploitation ainsi que de la digue située en travers du fleuve qui supportait la voie d’accès au bâtiment était nécessaire. Partant, le retrait de l’autorisation d’exploitation, qui avait été délivrée pour 45 ans, était indispensable afin de permettre les travaux dont le caractère d’intérêt général était reconnu par l’arrêté préfectoral. La Cour administrative d’appel se fonde encore, pour justifier sa décision, sur une étude technique réalisée par les services de l’Etat ainsi que sur l’absence de solution sérieuse de la part de la Société visant au maintien de son activité.

Les contestations contre les compteurs Linky ne trouvent pas grâce devant la juridiction administrative

L’installation des compteurs Linky d’ENEDIS ne cesse d’être contestée par de nombreuses communes mais cette opposition n’est pas favorablement accueillie par le juge administratif.

Ainsi, dans deux arrêts récents du 5 octobre 2018, la Cour administrative d’appel de Nantes a rejeté les appels interjetés à l’encontre de deux jugements du Tribunal administratif de Rennes par lesquels le Tribunal a annulé deux délibérations par lesquelles le conseil municipal des communes intéressées avait refusé le déploiement des compteurs « Linky » sur leur territoire communal.

Dans les deux affaires en cause, les conseils municipaux des communes avaient adopté des délibérations par lesquelles elles refusaient l’ « élimination » sur leur territoire des compteurs électriques existants et leur remplacement par les compteurs dits « Linky ».

Ces délibérations avaient été contestées par la société ENEDIS par des recours pour excès de pouvoir introduits devant le Tribunal administratif de Rennes. Le Tribunal ayant jugé les délibérations en cause illégales et prononcé leur annulation, les communes intéressées ont interjeté appel de ces jugements.

La Cour administrative d’appel de Nantes a tout d’abord relevé que les communes étaient membres de syndicats départementaux d’énergie et qu’elles n’étaient donc pas, en application des dispositions combinées de l’article L. 322-4 du Code de l’énergie et du IV de l’article L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales, propriétaires des ouvrages affectés à ces réseaux, et notamment des compteurs électriques installés sur leur territoire.

La Cour administrative d’appel de Nantes a donc jugé que les conseils municipaux des communes intéressées ne disposaient pas, sur le fondement de ces textes, de la compétence pour s’opposer au déploiement des compteurs « Linky » sur leur territoire.

Chaque commune avait également développé un moyen subsidiaire propre, que la Cour administrative d’appel de Nantes a également rejeté.

Dans l’affaire n° 18NT00454, la commune de Bovel se prévalait des dispositions de l’article L. 1321-1 du Code général des collectivités territoriales pour soutenir qu’elle avait conservé la propriété des compteurs électriques depuis le transfert de la compétence en matière d’organisation des réseaux de distribution publique d’électricité au syndicat départemental d’énergie d’Ille-et-Vilaine dont elle était membre. Cependant, la Cour administrative d’appel de Nantes relève que les compteurs électriques, en tant que dispositifs de comptage, font partie du réseau public de distribution d’électricité et que leur propriété avait donc été transférée au syndicat départemental d’énergie d’Ille-et-Vilaine. En conséquence, la commune de Bovel n’était plus propriétaire de ces compteurs de sorte que le conseil municipal de Bovel « n’avait pas davantage compétence pour subordonner, par ces mêmes délibérations, la désaffectation des compteurs d’électricité existants et leur remplacement par les dispositifs de comptage « Linky » à un accord préalable de la commune et à une décision de désaffectation prise par le conseil municipal ».

Dans l’affaire n° 17NT01495, la commune de Cast soutenait que l’implantation des compteurs « Linky » causait un trouble à l’ordre public et que le maire de la commune de Cast était fondé à faire usage de ses pouvoirs de police administrative pour justifier la prise de ces délibérations. Toutefois, la Cour administrative d’appel de Nantes juge, d’une part, que les troubles à l’ordre public n’étaient pas établis et, d’autre part, que les dispositions des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales réservent exclusivement au maire l’exercice des pouvoirs de police et que la commune ne saurait donc les invoquer pour justifier, au titre de la police municipale, les délibérations adoptées par le conseil municipal.

CAA Nantes, 5 oct 2018, req. n° 18NT00454

Approbation du projet d’ouvrage par le préfet pour les nouveaux ouvrages électriques

L’article 59 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite « loi ESSOC », a modifié l’article L. 323-11 du Code de l’énergie, qui prévoit une approbation du projet d’ouvrage (ci-après, « APO ») par le préfet pour les nouveaux ouvrages électriques. La loi ESSOC limite désormais l’approbation aux seules lignes électriques aériennes. Les lignes électriques souterraines et les postes électriques n’y sont plus soumis.

En contrepartie de cette simplification, l’article L. 323-11 du Code de l’énergie prévoit dorénavant la mise en place d’un contrôle externe réalisé par un organisme indépendant destiné à vérifier la conformité électrique de ces ouvrages ne faisant plus l’objet d’une APO, afin d’assurer la sécurité des tiers (ce contrôle est limité aux seuls ouvrages électriques qui cheminent sur le domaine public ou sur des terrains appartenant à des tiers).

L’article L. 323-11 du Code de l’énergie prévoit également qu’un décret en Conseil d’État détermine les modalités de ce contrôle externe. Le ministre de la transition écologique et solidaire a donc saisi la Commission de régulation de l’énergie (ci-après, « CRE ») pour avis sur son projet de décret d’application de l’article 59 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance.

La CRE relève que l’APO pour les nouveaux ouvrages électriques aux réseaux publics d’électricité est désormais limitée aux seules lignes électriques aériennes dont le niveau de tension est supérieur à 50 kV et aux lignes électriques aériennes, les lignes électriques souterraines et les postes électriques n’y étant plus soumises. La CRE se révèle favorable à ces dispositions dès que lors que le contrôle technique semble suffisante et que « ces modifications réglementaires permettront, d’une part, de réduire les délais de réalisation des différents ouvrages et, d’autre part, d’assurer la sécurité des tiers ».

S’agissant des contrôles de conformité des ouvrages assimilables aux réseaux publics d’électricité, l’article 4 du projet de décret prévoit que les ouvrages situés en amont du point d’injection par les producteurs sur le réseau public d’électricité et ceux qui sont situés en aval du point de raccordement des consommateurs au réseau public, autres que les lignes électriques aériennes et les lignes sous-marines, feront l’objet d’un « contrôle de conformité sur pièces et sur place », par un organisme agréé, tenu à la disposition des autorités compétentes. Or, la CRE estime qu’il convient de s’assurer que les nouvelles modalités de contrôle, mises en place dans un objectif de simplification, n’engendrent pas de difficultés ou risques complémentaires en imposant, par exemple, de laisser une tranchée ouverte le temps de son contrôle.

En conséquence, la CRE propose de modifier le troisième alinéa de l’article 4 du projet de décret et de rajouter que les ouvrages font l’objet d’un « contrôle de conformité sur pièces et sur place, pendant ou après la réalisation des travaux ».

Recueil des données individuelles de comptage et données personnelles des consommateurs

La société DIRECT ENERGIE, fournisseur d’électricité, dans le cadre de cette mission et afin de faciliter la facturation de ses services, a demandé au gestionnaire du réseau de distribution, la société ENEDIS, de lui transmettre les données de ses clients correspondant à leur consommation journalière d’électricité ainsi que les données de consommation à la demi-heure.

Or, aux termes des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (ci-après, la « Loi Informatique et Libertés ») ces données ne peuvent être recueillies qu’après avoir obtenu le consentement des personnes concernées.

Le président de la Commission nationale informatique et libertés (ci-après, la « CNIL ») a donc diligenté une mission ayant pour objet de procéder à la vérification de la conformité des demandes et pratiques de la société DIRECT ENERGIE aux dispositions de la Loi Informatique et Libertés.

A l’issue de son contrôle, la CNIL a pu conclure que, au regard des éléments qui lui avaient été communiqués, le consentement donné par le client en vue de la transmission de ses données de consommation au pas de trente minutes à la société DIRECT ENERGIE ne pouvait être considéré comme libre, éclairé et spécifique.

La CNIL a pu conclure à une telle absence de consentement aux motifs notamment que « la finalité affichée de la collecte des données de consommations (vous assurer une facturation au plus juste) ne correspond pas à la réalité puisqu’aux jours des contrôles, la société ne proposait pas à ses clients d’offre basée sur la consommation au pas de trente minutes » et que « le consentement est recueilli de manière générale sur la collecte de données relatives à la courbe de charge, sans aucune précision sur la cadence effective de cette collecte – à savoir le pas de trente minutes ».

La CNIL a conclu dans le même sens s’agissant du recueil des données relatives aux consommations quotidiennes. En effet, la CNIL a relevé que s’il existait une information des personnes quant à la collecte des données de consommations quotidiennes, il ressortait de l’ensemble de ces éléments que le consentement exprès des clients et futurs clients n’était recueilli à aucun stade de la conclusion du contrat ou de la souscription aux offres de la société DIRECT ENERGIE.

Au regard de ces manquements, le Président de la CNIL a demandé à la société DIRECT ENERGIE, par une décision n° 2018-007 du 5 mars 2018, de « recueillir le consentement préalablement à la collecte des données relatives aux consommations au pas de trente minutes et aux consommations quotidiennes des clients, y compris de ceux dont les données sont déjà enregistrées par la société et à défaut, supprimer lesdites données collectées » ainsi que de « justifier auprès de la CNIL que l’ensemble des demandes précitées a bien été respecté, et ce dans le délai imparti ».

En outre et compte tenu du nombre de clients concernés par ces traitements (plusieurs centaines de milliers en février 2018), la CNIL a décidé de rendre publique cette décision de mise en demeure afin de sensibiliser les personnes quant à leurs droits et leur capacité de maîtrise sur leurs données de consommation énergétique.

La nouvelle stratégie collectivités de l’ADEME

A la suite des récentes lois sur l’organisation des territoires – loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (RCT), loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 dite MAPTAM, loi n° 2015-991 du 7 août 2015, dite NOTRe, loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages – les Régions et les intercommunalités, au premier rang desquelles les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, sont désormais les échelons principaux compétents en matière de transition énergétique et écologique (TEE).

Pour autant, les arbitrages des collectivités en faveur de la TEE sont rendus difficiles par la technicité croissante des projets, la complexité des débats publics conjuguée à des attentes toujours plus fortes en matière de démocratie locale, et les contraintes financières qui pèsent sur l’ensemble des collectivités.

C’est pourquoi l’ADEME a publié le 30 octobre dernier une « stratégie pour les collectivités » courant jusqu’à 2022 et visant à renforcer l’engagement de l’agence auprès de ces dernières, afin qu’elles puissent se mobiliser davantage en faveur de la TEE.

Cette stratégie comprend les éléments suivants :

  • Amplifier le partenariat avec les Régions et les intercommunalités, dont les compétences sont désormais alignées avec les objectifs de la TEE ;
  • S’appuyer sur les partenariats déjà installés via les communautés de travail sous l’égide des préfets, mais aussi les Régions, le monde associatif, les acteurs du financement, voire les entreprises ;
  • Maintenir une intervention spécifique de l’ADEME vers les collectivités d’outre-mer et la Corse.

En particulier, le renforcement du partenariat avec les Régions et les intercommunalités passera par les actions suivantes :

  • La poursuite du cofinancement, via les Contrats Plan Etats Régions, de nombreux programmes de massification de la TEE avec les Régions, compétentes en matière de schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRAD-DET) et de schémas régionaux de développement économique d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) ;
  • La montée en puissance des EPCI à fiscalité propre, ambassadeurs, coordinateurs et opérateurs sur leur territoire de la mise en œuvre de la TEE, notamment à travers leur plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) – désormais obligatoires pour les EPCI à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants existants au 1er janvier 2017.

En particulier :

  • Les métropoles ont vocation à devenir de véritables « locomotives » de la TEE compte tenu de leur taille critique et de leurs compétences ;
  • Les EPCI peu engagés seront davantage accompagnés par l’ADEME, en particulier au travers de son système d’aides financières, mais également par une aide au mûrissement de projets et de démarches de nature à appréhender de façon globale la TEE ;
  • Les EPCI les plus exemplaires feront l’objet de partenariats intégrés de nature à mobiliser et à accompagner l’ensemble des acteurs de leur territoire, communes et administrés. L’accompagnement de l’ADEME portera désormais pour eux sur l’innovation, la labellisation et l’évaluation de démarches, ou encore l’apport de connaissances voire l’appui en expertise.

Lancement d’une consultation « sur l’avenir de l’eau » par le Ministère de la transition écologique et solidaire

Afin d’élaborer le plan de gestion des eaux (ou schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux – Sdage) et le plan de gestion des risques d’inondation (PGRI, élaboré par le Préfet Coordonnateur de bassin aux termes de l’article R. 566-11 du Code de l’environnement) pour les années 2022 à 2027, des comités de bassin ont choisi de lancer, en lien avec l’Etat, une concertation intitulée « Donnez votre avis sur l’avenir de l’eau » et courant du 2 novembre 2018 au 2 mars 2019.

Les comités de bassins, « parlements locaux de l’eau », réunissent les représentants des collectivités locales, des industriels, des agriculteurs, des consommateurs, des associations et de l’État, à l’échelle du bassin.

Plus précisément, l’article L. 213-8 du Code de l’environnement dispose que chaque comité est constitué :

  • D’un premier collège composé d’au moins un député ou un sénateur, de représentants des conseils départementaux et régionaux et, majoritairement, de représentants des communes ou de groupements de collectivités territoriales compétents dans le domaine de l’eau, à hauteur de 40% ;
  • D’un deuxième collège composé de représentants des usagers de l’eau, des milieux aquatiques, des milieux marins et de la biodiversité, des organisations socioprofessionnelles, des associations agréées de protection de l’environnement et de défense des consommateurs et des instances représentatives de la pêche ainsi que de personnes qualifiées, à hauteur de 40% ;
  • D’un troisième collège composé de représentants de l’Etat ou de ses établissements publics concernés, à hauteur de 20%.

Conformément aux dispositions de l’article L. 212-2 du même Code, le comité de bassin élabore, met à jour et assure le suivi des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux.

L’avis du public français est attendu sur les enjeux et les pistes d’action pour :

  • Garantir la qualité de l’eau ;
  • Partager la ressource dans un contexte de changement climatique ;
  • Sécuriser l’eau potable ;
  • Réduire les pollutions ;
  • Préserver la santé et la biodiversité des milieux aquatiques ;
  • Prévenir le risque d’inondation.

Tous les avis seront analysés et pris en compte par les comités de bassin et l’État dans l’élaboration des documents sur lesquels ils se baseront pour élaborer le plan de gestion des eaux et le plan de gestion des risques d’inondation.

Un arrêté du 3 octobre 2018 définit les modalités de cette consultation du public. Les modalités de consultation des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux seront ainsi portées à la connaissance du public par voie électronique sur le site internet www.eaufrance.fr et par voie de publication dans un quotidien régional. La mise à disposition de ces documents et des synthèses effectuées à l’issue de chaque phase de consultation du public sera effectuée sur le même site internet. 

Présentation du décret n° 2018-847 du 4 octobre 2018 relatif aux schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux et schémas d’aménagement et de gestion des eaux

Ce décret, publié au Journal officiel du 6 octobre 2018, a pour objet la prise en compte de deux séries d’évolutions législatives datant de 2016 :

  • les changements relatifs aux règles de participation du public applicables aux schémas directeurs d’aménagement et de gestion de l’eau (SDAGE) et aux schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) et issus de l’ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement, dite « ordonnance sur la démocratisation du dialogue environnemental » ;
  • les modifications apportées par la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, et notamment les dispositions relatives à la gestion des milieux aquatiques ainsi que celles relatives à l’obligation de conformité du plan départemental de protection du milieu aquatique et de gestion des ressources piscicoles avec le SDAGE et le SAGE.

Le décret vient également préciser la notion de détérioration des masses d’eau, à la suite d’une jurisprudence apportée par la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 1er juillet 2015 (affaire C-461/13, grande chambre).

En effet, le Code de l’environnement ne prenait pas en compte jusqu’à présent la notion d’élément de qualité des masses d’eau. Désormais, l’article R. 212-10 du Code définit l’état d’une eau de surface comme « la moins bonne des appréciations portées respectivement sur son état écologique et sur son état chimique » et précise d’une part que l’état écologique comprend cinq classes (de très bon à mauvais) définies par rapport à une situation exempte d’altérations dues à l’activité humaine, et d’autre part que l’état chimique des eaux de surface est considéré comme bon lorsque les concentrations en polluants ne dépassent pas les normes de qualité environnementale. Par ailleurs, aux termes de l’article R. 212-12, l’état d’une eau souterraine est défini par « la moins bonne des appréciations portées respectivement sur son état quantitatif et sur son état chimique ».

Sont également prises en compte par le décret les recommandations en matière de simplification des procédures de modification et de révision du schéma d’aménagement et de gestion des eaux, formulées par le Comité national de l’eau.  

Les dispositions du Code général des collectivités territoriales relatives à la Corse sont mises en cohérence avec ces modifications.

Enfin, le décret ajuste les dispositions relatives aux comités de gestion des poissons migrateurs et aux plans de gestion des poissons migrateurs afin de faciliter leur prise en compte dans les SDAGE.

Illustration de l’interprétation du contrat de concession de distribution d’électricité et de ses conventions associées par le juge administratif

Après avoir donné lieu à une décision majeure relative, notamment, à la qualification de bien de retour d’une délégation de service public et à l’inventaire desdits biens que le concédant est en mesure d’exiger de son délégataire (CE, Ass., 21 décembre 2012, Cne de Douai c/ ERDF, n° 342788), les relations contractuelles existant entre la commune de Douai et les sociétés concessionnaires de la distribution publique d’électricité et de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente continuent de nourrir le contentieux administratif.

Ainsi, par un arrêt du 11 octobre 2018, la Cour administrative d’appel de Douai a fourni de très intéressantes précisions concernant l’interprétation du contrat de concession relatif à la distribution publique d’électricité et des conventions qui sont souvent conclues en marge de celui-ci.

La commune de Douai avait conclu avec la société Saint-Quentinoise d’éclairage et de chauffage un contrat de concession du service public de la distribution de l’électricité sur son territoire pour une durée de quarante ans par contrat de concession du 17 décembre 1923, entré en vigueur le 9 janvier 1924. Les Parties avaient également conclu le même jour une convention pour l’éclairage public prévoyant, au titre des conditions tarifaires, la fourniture à la ville par le concessionnaire d’une gratuité partielle d’électricité au regard des besoins constatés en 1923. Electricité de France (EDF) a ensuite été substituée à cette société, comme titulaire du contrat de concession, par application de la loi du 8 avril 1946 portant nationalisation et création d’un monopole pour le transport et la distribution de l’électricité en France. Par la suite, c’est la société ErDF, devenue Enedis, qui s’est elle-même substituée à la société EDF au titre de la mission de distribution d’électricité.

Par un avenant au contrat de concession du 29 mai 1952, approuvé par le préfet le 27 mars 1953, adopté dans un contexte de rénovation de l’éclairage public et d’augmentation de sa puissance, les parties ont décidé « d’annuler » la convention d’éclairage public du 17 décembre 1923 et d’intégrer notamment les avantages tarifaires consentis dans l’article 12 du cahier des charges modifié. Cet avenant prévoyait ainsi que la commune qui « s’engage à prendre au concessionnaire toute l’énergie électrique nécessaire à ses services » bénéficierait d’une réduction de 20 à 25 % sur le tarif applicable aux particuliers pour l’éclairage des voies publiques et des bâtiments communaux. Il était également prévu par l’avenant que la ville de Douai bénéficierait de 105 000 kwh gratuits pour l’année 1952 avec une augmentation de 700 kwh par année à compter de 1953 et dans la limite de 25% de l’énergie totale fournie pour l’éclairage public. 

Le concessionnaire a cessé, à compter de l’expiration de la concession le 9 janvier 1964, d’appliquer les remises tarifaires susmentionnées à la commune de Douai. Ladite commune a alors demandé à Electricité de France, puis au Tribunal administratif de Lille, que lui soit versée la somme de 10 479 853 euros, calculée à compter de l’année 1984 (la raison de ce choix ne résulte pas clairement de l’arrêt) au titre des remises non appliquées. Le Tribunal administratif de Lille a rejeté ces demandes dans un jugement du 23 mai 2016 contre lequel la commune a interjeté appel devant la CAA de Douai.

La Cour administrative de Douai confirme le jugement de première instance au terme d’un arrêt particulièrement intéressant quant aux méthodes mises en œuvre par le juge pour interpréter la convention.

Le cœur du débat portait en effet sur l’identification des règles applicables dans le temps, aucune des parties ne semblait en effet en mesure de retracer avec certitude la succession des avenants et autres actes contractuels adoptés.

Pour identifier ces règles, le juge administratif procède à une analyse fine de l’ensemble des actes à sa disposition (notamment une délibération adoptée par la commune concomitamment à l’engagement de négociations portant sur l’élaboration d’un nouveau contrat de concession ou encore les échanges de courriers qui lui ont été produits par les parties) et se réfère à la « commune intention des parties » qui n’était pas, selon lui, « de maintenir les avantages tarifaires antérieurement consentis au-delà du 9 janvier 1964 ».

On relèvera en outre que dans le cadre de ce travail de reconstitution du cadre contractuel applicable au fil du temps, la CAA de Douai a prononcé une mesure d’instruction destinée à obtenir la communication par la commune de Douai de la convention qui serait entrée en vigueur à compter de 1964, mais sans succès.

Le juge se réfère également, à la « pratique constante » des Parties pour corroborer l’analyse de ce qu’il estime pouvoir faire de leur commune intention. Et, pour conclure à l’inapplicabilité des dispositions dont se prévalait la commune, le juge constate que ces avantages ont été abandonnés au profit d’autres avantages consentis à la collectivité.

Au final, la CAA donne raison à la société EDF et estime que l’avantage tarifaire dont la privation faisait l’objet de la demande indemnitaire présentée par la commune n’était pas dû par la société concessionnaire, d’autres mécanismes tarifaires ayant, au fil du temps, été intégrés dans le contrat et s’étant substitué audit mécanisme.

Cet arrêt témoigne enfin de l’importance de réaliser, préalablement à toute renégociation d’un contrat de concession, à un audit exhaustif des obligations contenues, dans le cahier des charges et ses annexes en premier lieu, mais également dans l’ensemble des conventions qui s’y ajoutent. Selon les territoires en effet un certain nombre d’obligations, importantes pour l’autorité concédante peuvent figurer dans ces actes annexes.