le 22/11/2018

Les pouvoirs de police du maire face aux situations de péril

A la suite des évènements dramatiques survenus à Marseille, il paraît important de rappeler brièvement les fondements des pouvoirs de police du maire en la matière, leurs modalités de mise en œuvre ainsi que leurs conséquences.

1. Les fondements textuels applicables 

En matière de péril, le maire peut faire application soit de ses pouvoirs de police spéciale, propres aux édifices menaçant ruine, sur le fondement des articles L.511-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation, soit de ses pouvoirs de police générale, sur le fondement des articles L.2212-2-5° et L.2212-4 du Code général des collectivités territoriales.

Si ces pouvoirs poursuivent le même objectif, à savoir l’exécution de mesures nécessaires à faire cesser le péril existant et rétablir la sécurité publique, leurs champs d’application se distinguent.

De même, les procédures applicables, le formalisme associé ainsi que les effets juridiques qui en découlent sont différents, de sorte que le maire doit être attentif au choix opéré de recourir à l’une ou l’autre de ces procédures.

2. Le critère de distinction entre police générale et police spéciale 

Le champ d’application respectif des polices générale et spéciale du maire est strictement défini, sous peine de censure par le juge, la jurisprudence posant comme critère de distinction « l’origine du péril »[1] affectant l’immeuble.

Ainsi, la police spéciale des édifices menaçant ruine peut être mise en œuvre lorsque l’existence du péril émane d’une cause propre à l’immeuble, à savoir, un défaut d’entretien, un caractère vétuste ou encore des vices de construction.

A l’inverse, la police générale trouve application lorsque l’existence du péril est extérieure à l’immeuble, tels que des évènements naturels (mouvement de terrain, inondation etc.) ou des faits de l’homme.

Lorsque l’état de péril est provoqué par une pluralité de cause, et que coexistent des causes intrinsèque et externe, c’est la cause prépondérante qui doit être recherchée, c’est-à-dire celle sans laquelle les désordres ne seraient pas survenus[2].

3. L’exception du « péril immédiat »

Dans les cas d’extrême urgence, lorsque le délai de mise en œuvre d’une procédure de péril imminent[3] est incompatible avec une situation de péril particulièrement grave et immédiate, le maire doit faire usage de ses pouvoirs de police générale, et ce, quelle que soit la cause du péril[4].

Il appartient au maire de justifier précisément de l’existence de circonstances exceptionnelles et d’une situation d’extrême urgence.

Dans ce cadre, les travaux sont exécutés d’office aux frais de la commune, les textes ne prévoyant pas expressément la possibilité de les recouvrer auprès des propriétaires de l’immeuble en cause.

4. La mise en œuvre des procédures de péril 

En ce qui concerne le pouvoir de police générale du maire, le Code général des collectivités territoriales ne prévoit pas de formalisme particulier, l’arrêté devant néanmoins être motivé et les mesures ordonnées strictement nécessaires et proportionnées. 

A l’inverse, s’agissant des pouvoirs de police spéciale, des règles procédurales sont strictement définies aux articles L.511-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation[5], et permettent au maire de mettre en œuvre la procédure de péril selon deux modalités distinctes :

  • La procédure de péril ordinaire[6]

Après constatation de l’existence d’une situation de péril, le maire en informe les propriétaires de l’immeuble concerné et les invite à présenter leurs observations dans un délai qui ne peut être inférieur à un mois.

A l’issue de ce délai, le maire prend un arrêté mettant en demeure les propriétaires de procéder aux travaux de réparation ou de démolition nécessaires afin de mettre fin au péril. Après une nouvelle mise en demeure infructueuse, ces travaux sont réalisés d’office par la commune, aux frais des propriétaires défaillants.

  • La procédure de péril imminent[7]

Après constatation de l’existence d’une situation de péril imminent, le maire en informe les propriétaires et saisit le Tribunal administratif en vue de la désignation d’un expert judiciaire qui devra, dans les 24h suivant sa nomination, examiner l’immeuble litigieux, dresser un constat de l’état des bâtiments mitoyens et proposer des mesures de nature à mettre fin à l’imminence du péril qu’il constatera.

Sur la base du rapport de l’expert, le maire ordonne alors les mesures provisoires nécessaires pour mettre un terme à l’imminence du péril, lesquelles seront effectuées d’office par la commune en cas de carence des propriétaires, et aux frais de ces derniers.

5. Les mesures pouvant être prescrites au titre de la police spéciale

Dans le cadre d’une procédure de péril imminent, seules des mesures provisoires et conservatoires sont susceptibles d’être prescrites.

Si ces mesures ne sont pas suffisantes pour mettre durablement fin au péril, le maire doit poursuivre une procédure de péril ordinaire, nécessitant un délai de mise en œuvre de plusieurs mois, au titre de laquelle il pourra prescrire des travaux plus lourd, comme par exemple la réhabilitation ou la démolition de l’immeuble.

Dans ce dernier cas et face à la carence des propriétaires, les travaux de démolition de l’immeuble ne pourront pas être réalisés d’office par la commune, et devront préalablement être autorisés par le juge judiciaire, statuant en la forme des référés[8].

6. Les conséquences d’un arrêté de péril 

L’arrêté de péril prescrit par le maire, qu’il soit ordinaire ou imminent, emporte plusieurs conséquences tant pour le propriétaire et ses occupants que pour la commune, lorsque celle-ci doit se substituer au propriétaire défaillant.

  • La suspension du paiement du loyer

L’édiction d’un arrêté de péril par le maire ne met pas automatiquement fin aux baux en cours de l’immeuble concerné.

Au contraire, les loyers en principal ou toutes autres sommes versées en contrepartie de l’occupation cessent d’être due à compter du 1er jour qui suit la notification ou l’affichage de l’arrêté et ce, jusqu’au premier jour du mois qui suit la date d’achèvement constatée par l’arrêté. 

  • L’obligation d’héberger ou de reloger les occupants

En vertu de l’article L. 521-3-1 du Code de la construction et de l’habitation, les propriétaires d’un immeuble frappé par un arrêté de péril sont tenus d’assurer à leurs occupant un hébergement décent, en cas d’interdiction temporaire d’habiter, ou un relogement définitif, en cas d’interdiction permanente d’habiter.

En cas de carence des propriétaires, dans les délais fixés par l’arrêté, ces obligations sont alors automatiquement dévolues à la commune.

7. Le recouvrement des frais engagés par la commune

Par application des dispositions des articles L. 511-2 et 511-3 du Code de la construction et de l’habitation, les frais de toute nature, avancés par la commune lorsqu’elle est substituée aux propriétaires défaillants, sont recouvrés comme en matière de contribution directe.

Ce recouvrement n’est susceptible d’intervenir que dans le cadre des pouvoirs de police spéciale, et peut en particulier concerner les frais d’expertise, les coûts des travaux réalisés d’office ainsi que les coûts afférents à l’obligation d’hébergement et de relogement.

 

Par Cyril CROIX et Axelle LASSERRE

 

 

[1] CE, 27 juin 2005, Ville d’Orléans, n°262199 ;

[2] CE, 31 mars 2006, Perone, n°279664 ;

[3] Article L.511-3 du Code de la construction et de l’habitation ;

[4] CE, 10 octobre 2005, Commune de Badinières, n°259205 ; CE, 6 novembre 2013, Commune de Cayenne, n°349245 ;

[5] «Le maire peut prescrire la réparation ou la démolition des murs, bâtiments ou édifices quelconques lorsqu’ils menacent ruine et pourraient, par leur effondrement, compromettre la sécurité ou lorsque, d’une façon générale, ils n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique, dans les conditions prévues à l’article L. 511-2. Toutefois, si leur état fait courir imminent, le maire ordonne préalablement les mesures provisoires indispensables pour écarter ce péril, dans les conditions prévues à l’article L.511-3. » ;

[6] Article L.511-2 du code de la construction et de l’habitation ;

[7] Article L.511-3 du code de la construction et de l’habitation ;

[8] TC, 6 juillet 2009, n°0903702 ; L.511-2-5°.