Les tarifs plafonds des centres d’hébergement de réinsertion sociale (CHRS), conformes au principe de l’accueil inconditionnel ?

Une question parlementaire posée le 20 novembre 2018 avait trait aux tarifs plafonds instaurés par l’arrêté du 2 mai 2018[1]. En effet, Madame la députée Emmanuelle Anthoine s’est interrogée sur la conformité de ces plafonds au principe d’accueil inconditionnel inscrit à l’article L. 345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoyant que toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale doit avoir accès à un dispositif d’hébergement.

Cet arrêté a été pris consécutivement aux lois de financement de la Sécurité sociale pour 2008 et 2009 et la loi de finances pour 2009 qui prévoyaient que des tarifs plafonds et leurs règles de calcul étaient fixés pour les établissements et services sociaux financés par l’Etat, comprenant notamment les CHRS. C’est ainsi que plus de neuf ans après que le législateur en a eu prévu la possibilité, le gouvernement a fixé, conformément à l’article L. 314-4 alinéa 2 du CASF, les premiers tarifs plafonds imposés aux CHRS au titre de l’exercice 2018. Les différents montants retenus ont été reconduits pour l’exercice 2019 par un arrêté du 13 mai de cette année[2].

Les centres d’hébergement doivent ainsi ramener les tarifs de l’établissement aux niveaux des tarifs plafonds fixés en fonction des 12 Groupes Homogènes d’Activité et de Missions (GHAM) dont ces établissements relèvent. Pour un GHAM donné, les structures dont le coût brut à la place est supérieur au tarif plafond se voient appliquer une convergence à la baisse. Au-delà de cette baisse mécanique, l’arrêté prévoit également une possibilité pour les services déconcentrés de l’Etat d’imposer dans le cadre des dialogues de gestion un « taux d’effort budgétaire supplémentaire » pouvant aller jusqu’à la totalité de l’écart entre le tarif plafond et le coût à la place de la structure.

Par une réponse du 9 juillet dernier, le Ministère de la Ville et du Logement a d’abord rappelé les actions engagées par le Gouvernent pour augmenter sensiblement les places d’hébergement disponibles. Elle a ensuite expliqué que les tarifs plafonds ont été mis en place en 2018 par le Gouvernement, ce dernier ayant constaté une très forte hétérogénéité dans les crédits attribués aux CHRS, afin de garantir un « plus d’équité dans la répartition des ressources, avec des tarifs harmonisés selon les prestations délivrées ». « Cette réforme ne remet aucunement en cause les deux principes au fondement de la politique de l’hébergement : l’inconditionnalité de l’accueil et la continuité de la prise en charge. Cette politique tarifaire doit permettre aux établissement de se recentrer sur leur cœur de métier et d’envisager, s’ils estiment pertinente, la mutualisation de moyens, sans que cela ne conduise à une dégradation de la qualité des prestations ni à une sélection des publics à l’entrée selon des critères de solvabilité ».

Il est cependant évident que la tarification plafond intervient dans un contexte de restriction budgétaire avec un objectif gouvernemental de diminution du budget des CHRS. Le risque d’une baisse de la qualité de l’accompagnement des personnes hébergées et de fermeture de places voire de centres ne peut, dans ces conditions, être exclu.

Si un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté de fixation des tarifs plafonds pourrait être envisagé, le procédé a cependant été validé par le Conseil d’Etat lors d’un des nombreux recours exercés contre les tarifs plafonds des Etablissements et Service d’Aide par le Travail (ESAT) par les organisations représentatives, autres établissements et services se voyant fixer des tarifs plafonds (arrêt du 17 juillet 2013, req. n° 344035, considérants n° 5, 7 et 8). La Haute juridiction administrative a par ailleurs déjà jugé qu’un arrêté fixant des tarifs plafonds pouvait survenir en cours d’année. Le Conseil d’État a ainsi confirmé que les arrêtés interministériels fixant les tarifs plafonds n’étaient pas entachés d’une rétroactivité illégale dans la mesure où ils ne pouvaient s’appliquer qu’aux arrêtés de tarification pris postérieurement à leur publication au Journal officiel (même arrêt).

[1] Arrêté du 2 mai 2018 fixant les tarifs plafonds prévus au deuxième alinéa de l’article L. 314-4 du code de l’action sociale et des familles applicable aux établissements mentionnés au 8° du I de l’article L. 312-1 du même code au titre de l’année 2018

[2] Arrêté du 13 mai 2019 fixant les tarifs plafonds prévus au deuxième alinéa de l’article L. 314-4 du code de l’action sociale et des familles applicable aux établissements mentionnés au 8° du I de l’article L. 312-1 du même code au titre de l’année 2019

Présence d’un médecin spécialiste de la pathologie au sein de la commission de réforme

CE, 24 avril 2019, n° 414584

Par un arrêt en date du 24 juillet 2019 ( n°417902), le Conseil d’État a rappelé qu’il résultait des articles 3 et 16 de l’arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière que l’absence d’un médecin spécialiste lors de l’examen du cas d’un fonctionnaire par la commission de réforme était « susceptible de priver l’intéressé d’une garantie et d’entacher ainsi la procédure devant la commission d’une irrégularité justifiant l’annulation de la décision de mise à la retraite d’office pour invalidité ».

Dans ce dossier, il a ainsi annulé la décision de la Cour administrative d’appel querellée en jugeant qu’en s’abstenant de rechercher s’il ressortait manifestement des éléments dont elle disposait que la présence d’un médecin spécialiste en neurologie était nécessaire lors du passage d’un agent devant la commission de réforme, la cour administrative d’appel avait entaché son arrêt d’une erreur de droit.

Néanmoins, il reste des cas où – compte-tenu de la rédaction de l’arrêté du 4 août 2004, qui ne fait de la présence du spécialiste une option (« Cette commission comprend :1. Deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, s’il y a lieu, pour l’examen des cas relevant de sa compétence, un médecin spécialiste qui participe aux débats mais ne prend pas part aux votes ») – le Conseil d’Etat juge que cette absence n’est pas de nature à vicier la décision.

C’est ce qu’il a jugé tout récemment dans une autre décision du 24 avril dans laquelle il lui est apparu qu’il ne résultait pas des éléments du dossier que les troubles anxio-depressifs dont souffrait un agent impliquaient nécessairement, pour l’examen de l’imputabilité au service de sa pathologie, le concours d’un médecin psychiatre afin d’éclairer la commission de réforme.

Le fait est cependant que, dans le doute, il est préférable que l’administration, qui n’a pas la maîtrise de la composition de la commission mais assume les conséquences d’un vice de procédure, s’assure par tout moyen de la présence d’un expert des pathologies considérées. C’est la raison pour laquelle il est utile que l’administration elle-même veille en amont à une expertise d’un spécialiste dont les conclusions pourront être adressées à l’instance médicale et ainsi permettre de soutenir au besoin que, même en l’absence d’un tel médecin à l’occasion de la réunion, l’agent n’a pas été privé d’une garantie au vu de ce que la commission disposait déjà des conclusions nécessaires. La jurisprudence Danthony (CE, ass., 23 déc. 2011, n° 335033) pourrait alors permettre de couvrir un vice de procédure.

Actualité du contentieux des « faux auto-entrepreneurs »

En fin d’année 2018, la Cour administrative d’appel de Marseille condamnait la Ville pour avoir eu recours à une auto-entrepreneuse au sein de son service de communication, en allouant à celle-ci la somme de 8.000 euros en réparation de ses préjudices.

Par un arrêt du 9 octobre 2019, le Conseil d’Etat est venu enrichir cette jurisprudence sur les « faux auto-entrepreneurs » (de faux vacataires en somme), en jugeant qu’un contrat de prestation de service conclu entre un auto-entrepreneur et le CNRS entre dans le calcul du nombre d’années permettant de demander la transformation d’un contrat à durée déterminé en contrat à durée indéterminée.

En l’espèce, M. A. avait été embauché à dix reprises, entre le 10 mai 2004 et le 22 mars 2011, en CDD par le CNRS en tant qu’ingénieur d’études spécialisé dans le traitement des images au sein du Laboratoire d’astrophysique de Marseille (LAM). Il avait également été employé en CDD par l’Université Provence Aix Marseille I en tant qu’ingénieur d’études au sein du même laboratoire entre mai et juillet 2009, puis entre juin et juillet 2010. Enfin, le 6 mai 2011, il avait conclu, sous le statut d’auto-entrepreneur, un contrat de prestation de services avec le CNRS et l’université de Provence-Aix-Marseille I pour réaliser une prestation pour le laboratoire. Ce contrat a été prolongé de sorte que, en mars 2013, M. A. a demandé au CNRS le bénéfice d’un contrat à durée indéterminée en application des dispositions de l’article 8 de la loi du 12 mars 2012.

 
Saisi de contentieux, passé lui aussi via la CAA de Marseille, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi du CNRS et jugé qu’« il résulte de ces dispositions que lorsqu’un agent demande la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée, il appartient au juge administratif, saisi par l’intéressé, de rechercher, en recourant au besoin à la méthode du faisceau d’indices, si en dépit de l’existence de plusieurs employeurs apparents, l’agent peut être regardé comme ayant accompli la durée nécessaire de services publics effectifs auprès d’un employeur unique. Ces indices peuvent être notamment les conditions d’exécution du contrat, en particulier le lieu d’affectation de l’agent, la nature des missions qui lui sont confiées et l’existence ou non d’un lien de subordination vis-à-vis du chef du service concerné ».

C’est ainsi qu’il a retenu qu’en l’espèce les faits sus rappelés ouvraient droit à la requalification sollicitée, d’autant qu’il ressortait des pièces du dossier que le choix de conclure avec M. A. le 6 mai 2011 un contrat de prestation de services en tant qu’auto-entrepreneur avait pour but de ne pas entrer dans l’hypothèse d’une durée de services comme contractuel de plus de six ans, elle-même de nature à justifier de l’octroi d’un CDI.

Le même jour, le Conseil d’Etat a également rendu une décision défavorable au CNRS dans le contentieux plus connu de refus de bénéfice d’un CDI à un agent en CDD : CE, 9 octobre 2019, n° 422868.

La garantie des droits de la défense des agents publics garantie par le Conseil Constitutionnel

Historiquement prohibé pour les agents du service public (CE, 7 aout 1909, Winkell, au Lebon), l’exercice du droit de grève s’est progressivement étendu à tous les corps et cadres des trois versants de la fonction publique, non sans qu’il subsiste dans certains métiers spécifiques des restrictions importantes, voire une interdiction totale de son exercice.

C’est notamment le cas des fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire dont le statut est régi par les dispositions de l’ordonnance du 6 août 1958, et dont l’article 3 indique (ou plutôt indiquait) que « toute cessation concertée du service, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée de la part des personnels des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire est interdit. Ces faits lorsqu’ils sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, pourront être sanctionnés en dehors des garanties disciplinaires ».

À l’occasion d’un recours contentieux engagé contre une exclusion temporaire de fonctions prononcée à l’encontre d’un fonctionnaire ayant participé à un mouvement de grève, un agent a cependant contesté, au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité, l’absence de garanties disciplinaires encadrant le prononcé de sanctions disciplinaires dans pareil cas.

La question était d’une importance suffisante pour que le Conseil d’Etat soumette cette QPC au Conseil constitutionnel, qui s’est prononcé, de manière limpide, par une décision du 13 mai 2019.

Le Conseil constitutionnel juge que l’ordonnance précitée méconnaît le principe du contradictoire posé par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Hommet du Citoyen selon lequel « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » dès lors que les dispositions attaquées prévoient que les sanctions disciplinaires prononcées en vue de sanctionner la participation à un mouvement de grève échappent aux garanties disciplines que peuvent par ailleurs invoquer les agents publics s’agissant de n’importe quelle autre sanction disciplinaire.

Partant, le Conseil d’Etat prononce l’abrogation de la seconde phrase de l’article attaqué, avec effet immédiat, et notamment sur les très nombreuses procédures engagées par des agents des services de l’administration pénitentiaire dans la même période et non encore jugées.

Cette décision implique désormais d’engager une procédure disciplinaire à l’égard des agents grévistes, laquelle est assortie de garanties qui permettent de s’assurer du caractère proportionné des sanctions infligées, à l’aune de la jurisprudence Dahan du Conseil d’Etat (CE, 13 novembre 2013, Dahan, req n°347704, au Lebon).

L’effet dissuasif qui consistait à faire échapper aux garanties disciplinaires les fautes considérées comme les plus graves (le fait pour des agents investis de fonctions régaliennes d’empêcher la continuité du service public) est donc voué à disparaître ou, à tout le moins, à s’étioler.

L’URSSAF reconnaît enfin que les contributions des collectivités aux régimes de retraite supplémentaires FONPEL et CAREL de leurs élus locaux ne sont pas soumises à cotisations sociales en applications de l’article L. 242-1 du Code de sécurité sociale

Depuis de nombreuses années, les URSSAF s’entêtent à prononcer des chefs de redressement à l’encontre des communes concernant les contributions versées par ces dernières pour la retraite supplémentaire de leurs élus locaux.

Les Urssaf estimaient que ces contributions devaient s’analyser en participations patronales soumises à cotisations sociales en application de l’article L. 242-1 du Code de sécurité sociale.

La Commission de recours amiable vient de donner tort aux URSSAF. En effet, cette dernière a annulé le redressement admettant expressément que la participation des collectivités territoriales au financement de retraite supplémentaire FONPEL et CAREL était exclue de l’assiette des cotisations sociales dans les limites prévues à l’article D. 242-1 du Code de sécurité sociale.

C’est une bonne nouvelle pour les collectivités qui doivent expressément contester de tels redressements.

L’encadrement impossible du déploiement anarchique des vélos et trottinettes en libre-service ?

C’est un « casse-tête » pour toutes les grandes agglomérations françaises, où le mécontentement monte : les vélos et trottinettes sans stations d’attache, ces solutions de mobilité en libre-service (ou free floating), sont apparues depuis plus d’un an déjà sur les trottoirs parisiens et d’autres grandes villes, et s’y sont développées de manière anarchique.

Face aux problématiques d’utilisation de l’espace public et de sécurité des usagers des engins et de la voie publique et au vide juridique en la matière, les mairies ont vite été conduites à tenter de réguler ce nouveau marché, de manière tout à fait réactionnelle dans un premier temps.

Elles ont fait usage de leurs pouvoirs de police en matière de circulation et de stationnement (verbalisation des usagers roulant sur les trottoirs et des stationnements anarchiques avec mise en fourrière), d’une part, et, d’autre part, ont signé des chartes ou codes de bonne conduite avec les opérateurs du secteur (à Paris, Lyon et Bordeaux par exemple).

Dans l’attente de la LOM (loi d’orientation des mobilités) qui devrait être définitivement adoptée au mieux d’ici la fin de l’année, cela se structure désormais plus précisément. La Mairie de Paris a très récemment lancé un appel à projets visant à la sélection de trois opérateurs qui devront se partager le marché parisien, et, plus précisément, une flotte de 5.000 trottinettes chacun. Ils devront respecter des exigences sociales (emplois stables de leur main d’œuvre), environnementales (équipements durables et stables et traitement des batteries usagées par des filières spécialisées) et de sécurité (assurance, doubles freins).

Par ailleurs, la ville va créer 2.500 zones de stationnement pour les engins en free floating.

Dans son état actuel, la LOM traite ce sujet sous l’angle de l’occupation du domaine public (et non du stationnement).

Ainsi, il est prévu que les opérateurs se voient délivrer un titre d’occupation du domaine public par l’autorité gestionnaire dudit domaine, de manière non discriminatoire (après une publicité préalable de nature à permettre la manifestation d’un intérêt pertinent et à informer de manière
non discriminatoire les candidats potentiels), après avis de l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM). Ce titre pourra être prescriptif, s’agissant, par exemple, des conditions spatiales de déploiement des engins, de l’information des usagers sur les règles applicables au code de la route, des modalités de retrait des engins hors d’usage, ou, encore, des restrictions d’apposition de publicité sur les engins. Il est par ailleurs prévu que, dans les six mois à compter de la publication de la loi, le Ministre des transports établisse, en concertation avec les acteurs du secteur, des recommandations relatives auxdites prescriptions.

Les opérateurs devront s’acquitter du paiement d’une redevance d’occupation du domaine public et, conséquemment, ne seront pas soumis au paiement de la redevance de stationnement.

Notons qu’initialement, la LOM avait prévu un dispositif de prescriptions particulières définies par délibération de l’AOM et l’application d’une sanction pécuniaire (d’un montant maximum de 300.000 euros) en cas non-respect de celles-ci.

La nouvelle rédaction de l’article 18 de la LOM résulte d’un amendement adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, ce sujet ayant donné lieu à de vifs débats en séance.

Ce sujet devrait en tout état de cause être définitivement encadré par la loi avant les échéances électorales municipales de mars 2020, mais l’enjeu d’une mise en pratique effective sur les territoires ne sera pas totalement réglé d’ici là, et il y a tout lieu de penser qu’il s’agira en tout état de cause d’un sujet épineux pour les candidats aux élections.

Notification du terme du CDD de remplacement sans terme précis : un simple appel téléphonique suffit !

Si le plus souvent les CDD ont un terme précis, ce n’est pas le cas pour certains de ces contrats conclus pour le remplacement d’un salarié absent. Le contrat est conclu pour une durée minimale et a pour terme « la fin de l’absence de la personne remplacée » (C. trav., art. L. 1242-7) qui correspond :

  • au retour du salarié absent de l’entreprise ( Cass. Soc., 24 juin 2015, n° 14-12.610) ou
  • à la date de la rupture du contrat de travail du salarié absent si ce dernier ne reprend pas son activité.

Afin d’éviter que le contrat se poursuive après l’échéance du terme et qu’il se transforme en CDI (C. trav. art. L 1243-11), l’employeur doit en informer le salarié : qu’en est-il de la forme ?

C’est sur cette question que s’est prononcée la Cour de cassation dans son arrêt du 18 septembre 2019.

En l’espèce, en 2012, une salariée conclu un CDD pour pourvoir au remplacement une salarié pour maladie. Le jour de la notification du licenciement, le 10 décembre 2014, la salariée qui la remplace est informée, par téléphone, que son CDD prend fin du fait du licenciement pour inaptitude de la salariée remplacée. La salariée, par courriel adressé au directeur régional conteste la fin de son CDD et demande la confirmation écrite de la fin de son contrat, courrier qui lui est adressé le lendemain. Le 11 décembre 2014, la salariée se présente à son poste de travail.

La salariée évincée le 10 décembre 2014, date de la notification du licenciement de la salariée remplacée, saisie le Conseil de prud’hommes. Elle soutient que son contrat s’était poursuivi après l’échéance de son terme et sollicite la condamnation de l’employeur au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En première instance, la salariée obtient gain de cause : les conseillers prud’homaux considérant que l’employeur ayant notifié par écrit la fin du contrat le 11 décembre 2014, celui-ci s’est poursuivi après son terme. Cette décision est infirmée par la Cour d’appel : les dispositions relatives au CDD de remplacement ne prévoyant pas les modalités d’information du salarié sur le terme de son contrat, l’information par téléphone le 10 décembre 2014 suffisait à rompre valablement son contrat.

Saisie par la salariée, la chambre sociale de la Cour de cassation approuve la décision de la cour d’appel : « si, en application de l’article L. 1242-7 du code du travail, le contrat à durée déterminée conclu pour remplacer un salarié absent a pour terme la fin de l’absence de ce salarié, il n’est pas exigé que l’employeur y mette fin par écrit ».

En définitive, dans le silence des textes, la Cour de cassation refuse de créer à la charge une obligation de notification écrite au salarié sous CDD de remplacement qui seule aurait pour effet de valablement mettre fin au contrat.

Deux apports sont donc à souligner dans cet arrêt :

  • le CDD de remplacement prend fin au moment où s’achève l’absence du salarié remplacé ;
  • l’information sur l’événement constitutif de la fin du CDD nécessaire afin que le salarié n’exécute aucune prestation de travail au-delà du terme du contrat ne doit revêtir aucune forme particulière : un simple appel téléphonique suffit pour notifier valablement la rupture du CDD.

Interruption et suspension de prescription en matière de contentieux de la construction : attention aux délais d’action

Par un arrêt rendu le 19 septembre 2019, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation revient sur une double problématique relative, d’une part, à l’interruption de la prescription et, d’autre part, à la suspension de la prescription.

Dans cette espèce et sur le plan factuel, la société LA VALLEE HAUTE, assurée auprès de la société GAN au titre de l’assurance dommages-ouvrage et d’une assurance constructeur non-réalisateur, a fait construire un groupe d’immeubles sous la maitrise d’œuvre d’exécution de la société REGLES D’ART assurée auprès de la société L’AUXILIAIRE.

Les travaux de gros œuvre ont été confiés à l’entreprise PATREGNANI, assurée auprès de la société AXA FRANCE IARD.

La réception de l’ouvrage est intervenue sans réserve le 19 juillet 2001.

Les 5 et 6 août 2010, le syndicat des copropriétaires et plusieurs copropriétaires ont assigné en référé expertise la société LA VALLEE HAUTE et son assureur la société GAN.

Les 21 et 30 septembre 2010, ces derniers ont appelé en intervention forcée l’entreprise chargée du gros œuvre et son assureur la société AXA FRANCE IARD puis le maitre d’œuvre.

Le 11 septembre 2014, le syndicat des copropriétaires et plusieurs copropriétaires ont assigné au fond les sociétés LA VALLEE HAUTE, PATREGNANI, REGLES D’ART et leurs assureurs respectifs GAN, AXA FRANCE IARD et L’AUXILIAIRE, en indemnisation de leurs préjudices.

 

Par un arrêt rendu le 16 janvier 2018, la Cour d’appel de Chambéry a considéré, s’agissant de la mise en cause de la société AXA FRANCE IARD, assureur de responsabilité décennale de l’entreprise PATREGNANI, que :

« L’action de la victime contre l’assureur de responsabilité qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action contre le responsable et ne peut être exercée contre l’assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré, c’est à dire en l’occurrence, 10 ans à compter de la réception, outre 2 ans du recours de l’assuré contre son assureur par application de l’article L.114-1 du code des assurances, soit jusqu’au 17 juillet 2013.

Cependant, selon l’article 2239 du code civil, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Tel est bien le cas en l’occurrence, puisque la compagnie AXA a été appelée à l’expertise de M. G. par ordonnance de référé du 21/10/2010, et que le rapport n’a été rendu que le 07/06/2014.

Le délai de prescription n’a alors recommencé à courir que six mois après, soit le 07/12/2014. 

Dès lors, cette période ne compte pas dans la prescription (étant précisé que, si le délai décennal, délai d’épreuve, est bien un délai de forclusion, on est en présence ici d’un délai de prescription, s’agissant des relations du tiers lésé et de l’assureur d’un locateur d’ouvrage). »

La Cour d’appel a ainsi jugé que la société AXA FRANCE IARD avait été assignée en juin 2014 de sorte que l’action du tiers lésé n’était pas prescrite.

 

Toutefois, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel en considérant que :

« […] pour être interruptive de prescription, une demande en justice doit être dirigée contre celui qu’on veut empêcher de prescrire et que la suspension de la prescription résultant de la mise en œuvre d’une mesure d’instruction n’est pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale ».

Cette jurisprudence s’inscrit donc dans le cadre d’un certain nombre d’arrêts rendus récemment par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation qui prend, à nouveau, le soin de rappeler la nécessité d’être vigilant quant aux délais d’interruption de prescription.

Ainsi et au regard de la durée des opérations d’expertise judiciaire, il est donc plus que jamais nécessaire d’être très prudent quant aux délais d’actions et il est préférable d’assigner au fond en sollicitant un sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport.

 

Expropriation : précisions sur la date de référence d’un bien soumis au droit de préemption urbain lorsque la modification du PLU n’affecte pas le classement des parcelles expropriées

En matière d’expropriation, l’usage effectif du bien est apprécié à une date dite « de référence », conformément au deuxième alinéa de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

En principe, cette date est fixée à un an avant l’ouverture de l’enquête publique relative à la déclaration d’utilité publique du projet sauf, notamment, lorsque le bien est soumis au droit de préemption urbain, auquel cas il y a lieu de faire application des dispositions des articles L. 213-6 et L. 213-4 a) du Code de l’urbanisme.

Dans cette dernière hypothèse, la date de référence à retenir est celle à laquelle a été publié l’acte approuvant, révisant ou modifiant le plan d’occupation des sols ou le plan local d’urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.

Par un arrêt en date du 13 juin 2019 (n° 18-18445) publié au bulletin, la Cour de cassation précisait qu’une telle date est prise en compte lorsque la modification concerne le périmètre de la zone dans laquelle est située la parcelle expropriée, mais aussi lorsque celle-ci affecte les caractéristiques de cette même zone.

Par le présent arrêt, la Cour de cassation fait application de sa jurisprudence récente en cassant et annulant un arrêt d’une Cour d’appel qui, après avoir constaté que la délibération portant modification du plan local d’urbanisme « avait modifié certaines caractéristiques de la zone où se situent les parcelles expropriées, notamment relatives à la hauteur des bâtiments », et alors même que cette modification n’affectait pas leur classement, n’a pas retenu la date de ladite délibération comme date de référence.

Le Conseil d’Etat valide les lignes directrices de la CNIL sur l’utilisation des cookies sur un site internet

Le Conseil d’Etat a rendu sa décision le 16 octobre 2019 sur le recours pour excès de pouvoir introduit par la Quadrature du Net et Caliopen contre la délibération de la CNIL n° 2019-093 du 4 juillet 2019 portant adoption de lignes directrices.

Dans cette décision, le Conseil d’Etat estime que le délai de tolérance laissé par la CNIL aux acteurs du secteur pour se conformer aux nouvelles règles n’est pas illégal. En effet, le Conseil d’état estime qu’un « un tel choix permet à l’autorité de régulation d’accompagner les acteurs concernés, confrontés à la nécessité de définir de nouvelles modalités pratiques de recueil du consentement susceptibles d’apporter, sur le plan technique, les garanties qu’exige l’état du droit en vigueur, dans la réalisation de l’objectif d’une complète mise en conformité de l’ensemble des acteurs à l’horizon de l’été 2020 ». 

Le Conseil d’Etat rappelle que la CNIL continuera de réaliser des contrôles au cours de cette période sur « le respect des règles relatives au caractère préalable du consentement, à la possibilité d’accès au service même en cas de refus et à la disponibilité d’un dispositif de retrait du consentement facile d’accès et d’usage » et de sanctionner, le cas échéant, les manquements les plus graves à ses nouvelles lignes directrices.

Enfin, le Conseil d’Etat écarte l’atteinte au droit à la vie privée protégé par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que l’atteinte au droit à la protection des données personnelles garanti par l’article 8 de la charte des droits fondamentaux de l’Union.

Par conséquent, le Conseil d’Etat rejette le recours formé par la Quadrature du Net et Caliopen.

Le consentement actif des internautes au placement de cookies

Dans le cadre d’une question préjudicielle, la Cour fédérale de justice allemande a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’interpréter les articles 2, sous f) et l’article 5 paragraphe 3 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, lus en combinaison avec l’article 2, sous h) de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 et de l’article 6, paragraphe 1, sous a) du RGPD concernant le consentement et l’information des internautes au placement de cookies.

Les cookies sont des fichiers déposés sur le disque dur de l’internaute par l’éditeur du site internet visité. L’éditeur de ce site peut accéder à nouveaux à ces fichiers lors d’une nouvelle visite ce qui lui permet de faciliter la navigation sur son site internet ou d’obtenir des informations sur le comportement de l’internaute. Il n’est pas rare que les sites institutionnels des collectivités ou des établissements publics utilisent des cookies.

Dans cet arrêt, la Cour de justice de l’Union considère que « le consentement visé à ces dispositions n’est pas valablement donné lorsque le stockage d’informations ou l’accès à des informations déjà stockées dans l’équipement terminal de l’utilisateur d’un site Internet, par l’intermédiaire de cookies, est autorisé au moyen d’une case cochée par défaut que cet utilisateur doit décocher pour refuser de donner son consentement ».

La juridiction de renvoi demande également à la CJUE si les dispositions dont il est demandé l’interprétation à la Cour de justice doivent être interprétées différemment selon que les informations stockées par les cookies constituent ou non des données à caractère personnel. A ce sujet, la CJUE considère que la protection de la vie privée « s’applique à toute information stockée sur cet équipement terminal, indépendamment du fait qu’il s’agisse ou non de données à caractère personnel ». Ainsi les dispositions encadrant le consentement de l’utilisateur au placement de cookie ne doivent pas être interprétées différemment selon que les informations stockées sont ou non des données à caractère personnel.

Enfin la CJUE estime que l’utilisateur d’un site internet doit être informé par l’éditeur de service de la durée de fonctionnement des cookies ainsi que la possibilité ou non pour des tiers d’avoir accès à ces cookies.

Par conséquent, il revient à la juridiction allemande compétente de résoudre l’affaire en conformité avec la décision de la CJUE.

Pour conclure, cet arrêt lie également les juridictions françaises qui seraient saisies d’un litige similaire. Il convient de rappeler que sur la question du consentement à l’utilisation des cookies sur un site internet, la CNIL a par une délibération n° 2019-093 du 4 juillet 2019 précisé sa doctrine à ce sujet. Ces nouvelles lignes directrices ont fait l’objet de deux recours, d’une part par les associations de défense des libertés sur internet et d’autre part, par les professionnels de la communication digitale. Par une décision rendue le 16 octobre 2019, le Conseil d’Etat a rejeté le recours pour excès de pouvoir introduit par la Quadrature du Net et Caliopen (voir notre brève consacrée à cette décision).

Propos injurieux contre un fonctionnaire : Recherche de la personne pénalement responsable d’un site édité à partir de l’étranger

Le 8 juin 2016, un fonctionnaire public était visé par des propos injurieux sur un site Internet édité à partir de la Suisse ; il faisait alors citer devant le Tribunal correctionnel la personne qu’il estimait être le directeur de publication du site suisse, au visa de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, afin de bénéficier des facilités de preuve offertes par cet article et par l’exercice même de la fonction de directeur de publication. En effet, rappelons d’emblée que l’article 93-3 de la loi précitée met le directeur de publication en première ligne des personnes dont la responsabilité pénale peut être recherchée pour une infraction de presse commise en ligne. Et dans ce cadre, ce dernier engage sa responsabilité pénale de plein droit : le directeur de publication ne peut ainsi s’exonérer seul de cette responsabilité qu’en démontrant qu’il n’était pas ou plus directeur de publication au moment de la diffusion, ou alors qu’il avait expressément donné l’ordre de ne pas publier – ces moyens de défense personnelle étant dès lors très limités.

La Cour d’appel, pour entrer en voie de condamnation, avait recherché si cette personne assumait effectivement la fonction de directeur de publication au sens de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 ; constatant qu’elle exerçait cette fonction, elle lui appliquait le principe de sa responsabilité pénale de plein droit ; elle oubliait toutefois que le service de communication au public était édité à partir de l’étranger, la Suisse, ce que soulignera le second moyen du pourvoi.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel : « Vu l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ; il résulte de ce texte que la responsabilité en cascade qu’il prévoit ne s’applique que lorsque le service de communication au public par voie électronique est fourni depuis la France. […] Alors qu’il résultait de ses propres constatations que le service de communication en ligne accessible à l’adresse […] était fourni par l’association […] ayant son siège en Suisse, sans examiner si la responsabilité pénale du prévenu pouvait être engagée en une autre qualité que celle de directeur de la publication, la juridiction correctionnelle ayant le pouvoir d’apprécier le mode de participation de la personne poursuivie aux faits spécifiés et qualifiés dans la poursuite, les restrictions que la loi sur la presse impose aux pouvoirs de cette juridiction n’étant relatives qu’à la qualification par rapport au fait incriminé, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe précédemment rappelé ».

L’arrêt de la Cour de cassation n’est pas novateur ; s’il peut apparaitre sévère pour les victimes, il a pour vertu de recadrer des éléments de procédure bien souvent ignorés ou malmenés :

  • Lorsque le site Internet est édité à partir de l’étranger, et même si ce site est consultable à partir de la France, le mécanisme de l’article 93-3 de la loi de 1982 ne peut pas trouver application – principe également applicable à la presse imprimée ; dès lors, la personne qui assure la direction de publication de ce site étranger ne peut pas voir sa responsabilité engager en cette qualité et sous ce mécanisme ; le principe de la responsabilité de plein droit des directeurs de publication qui en découle ne lui sera pas opposable.

     

    Puisque ce mécanisme et ce principe ne s’appliquent pas, les juges doivent alors motiver leur décision de condamnation selon les règles pénales du droit commun, c’est-à-dire rechercher un acte positif de participation personnelle de la personne poursuivie à l’acte de publication – ce qui prévaut déjà en matière de diffamation par voie de courriel électronique par exemple.

     

    Le directeur de publication d’un site étranger bénéficie donc de moyens de défense au fond beaucoup plus importants que celui d’un site français – circonstance qui contribue déjà à la délocalisation à l’étranger de certains sites, comme celui poursuivi en l’espèce.

  • Le juge de presse reste libre d’apprécier le mode de participation de la personne poursuivie aux faits de publication, sans être tenu par l’acte introductif des poursuites ; il importait alors peu, au cas d’espèce, que la citation ait visé (à tort) le responsable du site comme directeur de publication ; la Cour d’appel aurait dû rechercher, selon les règles pénales de droit commun, si cette personne avait personnellement participé à la publication et, à défaut d’élément, la relaxer.

Adoption d’une directive européenne visant à protéger les lanceurs d’alertes

Le 7 octobre 2019, la directive européenne sur la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l’Union a été définitivement adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne.

L’adoption de ce texte coïncide, dans l’actualité, avec la procédure d’Impeachment récemment initiée à l’encontre du Président des Etats-Unis, sur la base d’éléments fournis par un, voire même plusieurs, lanceurs d’alertes.

Ce texte européen vise à donner un socle commun à la protection des lanceurs d’alerte au sein de l’Union, dans un certain nombre de secteurs clés, tels que les infractions relevant des actes de l’Union dans plusieurs domaines majeurs (marchés publics, sécurité des produits et des transports, protection de l’environnement et sûreté nucléaire, sécurité des aliments, santé publique, protection des consommateurs, protection de la vie privée et des données personnelles, etc.), les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou, encore, les infractions relatives au marché intérieur (Article 1er de la directive).

Il faut relever qu’à ce jour, la protection des lanceurs d’alertes est très inégale d’un pays européen à l’autre : seuls dix pays de l’Union disposeraient d’une législation complète de protection des lanceurs d’alertes, parmi lesquels le Royaume-Uni, l’Italie et la France (la France s’est en effet dotée d’un dispositif législatif et règlementaire particulièrement abouti de protection des lanceurs d’alertes depuis la loi Sapin II du 9 décembre 2016).

C’est pourquoi est apparue la nécessité de créer une base minimale de protection des lanceurs d’alertes au niveau supra-national, étant précisé que les Etats membres sont naturellement libres d’aller au-delà de ces prescriptions (Article 12 de la directive – Traitement plus favorable).

La directive européenne prévoit des canaux de signalement internes (notamment applicables aux entreprises de plus de cinquante salariés, aux administrations centrales et aux « municipalités » de plus de 10.000 habitants) et externes (tel que cela existe également en droit interne), étant précisé que le signalement interne doit être la voie encouragée pour le déclenchement d’une alerte en premier lieu.

La directive fixe la règle d’interdiction des représailles contre les informateurs, le texte fixant une liste exhaustive de la forme que sont susceptibles prendre ces représailles (rétrogradations, suspension de formation, non-renouvellement ou résiliation anticipée du contrat de travail temporaire, annulation d’une licence ou d’un permis). Elle prévoit également les règles afférentes aux mesures de protection des informateurs contre les représailles.

Il est également prévu que les Etats membres doivent disposer de personnels spécialisés ayant reçu une formation spécifique aux fins du traitement des signalements externes (Article 8) et, par ailleurs, veiller à ce que les autorités compétentes tiennent un registre des signalements reçus.

Enfin, le dispositif doit être éprouvé régulièrement, puisque les autorités compétentes doivent réviser leurs procédures de réception et de suivi des signalements au minimum bi-annuellement (Article 12).

Les Etats membres ont jusqu’au 15 mai 2021 pour transposer le contenu de cette directive européenne.

Copropriété : Bien saisi par le syndicat de copropriété et condamnation à indemnité d’occupation

Le 6 juin 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation devait se prononcer sur le droit d’occupation du débiteur saisi à la suite de la vente forcée de son bien.

En l’espèce, le syndicat des copropriétaires d’un immeuble a engagé une procédure de saisie immobilière à l’encontre du propriétaire d’un lot de copropriété. Le bien saisi a été adjugé au syndicat des copropriétaires – créancier poursuivant – selon jugement en date du 29 novembre 2012.

Postérieurement, le syndicat des copropriétaires a saisi le tribunal d’Instance pour que le débiteur saisi qui continuait à occuper les lieux soit condamné à lui verser une indemnité d’occupation du jour de l’adjudication au jour de son expulsion, soit le 23 octobre 2013.

Le Tribunal a fait droit à la demande du syndicat des copropriétaires, son jugement ayant été confirmé par la Cour d’appel.

Le débiteur saisi a formé un pourvoi en cassation et soutient « que l’indemnité d’occupation n’est due par le débiteur qui s’est maintenu dans les lieux que depuis la date de la signification du jugement d’adjudication ; qu’en énonçant que le syndicat des copropriétaires est devenu propriétaire dès le jugement du 29 novembre 2012 et que Monsieur X était dès lors occupant sans droit ni titre, tenu au paiement d’une indemnité d’occupation jusqu’à la date où il a quitté les lieux à savoir son expulsion le 23 octobre 2013, après avoir constaté que le jugement d’adjudication du 29 novembre 2012 avait été signifié à Monsieur X seulement le 11 mars 2013, la Cour d’Appel a violé les articles 502 et 503 du Code civil, ensemble l’article 1382 du Code civil, devenu 1240 du même Code ».

La Cour de cassation rejette le pourvoi en rappelant le principe selon lequel, en application de l’article L.322-10 du Code des procédures civiles d’exécution, l’adjudication emporte vente forcée du bien saisi et en transmet la propriété à l’adjudicataire, le saisi étant dès lors tenu, à l’égard de l’adjudicataire, à la délivrance du bien.

Dans ces conditions et sauf disposition contraire du cahier des conditions de vente, le saisi perd tout droit d’occupation dès le prononcé du jugement d’adjudication.

La Haute Cour ajoute que l’indemnité d’occupation est la contrepartie de l’utilisation sans titre du bien et qu’en conséquence le syndicat des copropriétaires, étant devenu propriétaire dès le jugement d’adjudication du 29 novembre 2012, était légitime à obtenir le paiement d’une indemnité d’occupation depuis cette date.

De nouvelles précisions sur la durée de la période d’essai

Déterminer le terme de la période d’essai est essentiel pour l’employeur ; En effet, soit la période d’essai a pris fin et l’employeur qui souhaite rompre le contrat de travail doit procéder à une mesure de licenciement en suivant la procédure ad hoc et en invoquant un juste motif de licenciement, soit le salarié est toujours en période d’essai et le contrat peut être rompu, après respect d’un délai de préavis sans la moindre motivation.

Si l’employeur estime à tort que le salarié est toujours en période d’essai, la rupture du contrat sera requalifiée en une mesure de licenciement de surplus sans cause réelle ni sérieuse, l’employeur n’ayant pas motivé cette rupture.

Il est dès lors nécessaire de déterminer la durée précise de la période d’essai en s’appuyant sur les précisions jurisprudentielles.

Ainsi, la Cour de cassation a déjà jugé que, pour permettre à l’employeur d’apprécier les capacités professionnelles du salarié, la période d’essai était rallongée de la durée des absences suivantes :

  • congés payés (Cass. Soc., 31 janv. 2018, n° 16-11.598) ;
  • congé ssans solde (Cass. Soc., 3 juin 1998, n° 96-40.344) ; 
  • accident du travail (Cass. Soc., 12 janv. 1993, n° 88-44.572).

Au terme de l’arrêt sus visé, la Cour de cassation, pour la première fois, vient préciser que les jours d’absence pour RTT prolongent la durée de la période d’essai, étant rappelé que la prolongation de la période d’essai se décompte en jours calendaires, en l’absence de dispositions conventionnelles ou contractuelles contraires.

Conséquences indemnitaires de la résiliation d’un marché pour motif d’intérêt général : non indemnisation des dépenses engagées à l’initiative du titulaire

L’affaire dans laquelle la Cour administrative d’appel de Marseille a rendu son arrêt du 16 septembre 2019 sous le numéro 18MA02656 fournit une utile illustration des frais et investissements exposés par le titulaire d’un marché résilié pour motif d’intérêt général qui n’ont pas vocation à être pris en compte dans le calcul de l’indemnité prévue par l’article 33 du Cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de fournitures courantes et services (CCAG FCS).

Pour rappel, l’article 33 du CCAG FCS stipule que lorsque le pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d’intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial HT du marché, diminué du montant HT non révisé des prestations admises, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %. En outre, le titulaire a droit à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n’aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d’apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l’indemnité dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché.

En l’espèce, le marché en question, auquel s’appliquait l’article 33 du CCAG FCS précité, avait pour objet la livraison de quatre véhicules dotés de bennes à ordures ménagères et avait été attribué par la Communauté d’agglomération du bassin de Thau, dite « Thau Agglomération », à la Société Faun Environnement en décembre 2014. En juillet 2016, la Collectivité a résilié ce marché pour un motif d’intérêt général. Après avoir émis une réclamation préalable, la Société Faun Environnement a saisi le Tribunal administratif de Montpellier d’une requête tendant à ce que Thau Agglomération soit condamnée à lui payer une indemnité de 461.559 euros au titre des frais et investissements engagés pour l’exécution du marché en cause avant sa résiliation, ainsi que l’indemnité forfaitaire de 5 % du montant du marché prévue par l’article 33 du CCAG FCS. Par un jugement n° 1604757 du 12 avril 2018, le Tribunal n’a fait droit qu’à la seconde partie de la demande et condamné Thau Agglomération à verser à la Société requérante une somme de 23.504 euros, tout en rejetant l’autre partie de la demande indemnitaire.

Saisie d’une requête d’appel par la Société Faun Environnement, la Cour administrative d’appel de Marseille commence, dans son arrêt du 16 septembre 2019, par annuler le jugement de première instance pour méconnaissance du principe du contradictoire. En effet, le Tribunal administratif avait soulevé d’office une fin de non-recevoir tirée du non respect par la requérante du délai de quinze jour à compter de la notification de la résiliation pour présenter toutes les justifications nécessaires à la fixation de son indemnité au titre des frais et investissements engagés, alors même que cette fin de non recevoir n’était pas d’ordre public et qu’il n’en avait pas avisé les parties au préalable. Puis, jugeant l’affaire au fond, la Cour constate que la réclamation indemnitaire d’un montant de 461.559 euros HT présentée par la Société requérante correspond « au coût d’acquisition des châssis, des matières premières, de la main d’oeuvre, de frais de nature indéterminée et de frais de sous-traitance pour chacun des véhicules » et qu’elle recouvre donc en réalité, non des frais et investissements exposés par l’entreprise pour l’exécution du marché, mais l’intégralité du coût de fabrication des bennes objets du marché. Or, dans la mesure où aucun ordre de service n’avait été notifié à l’entreprise à l’effet de commencer l’exécution du marché et, plus généralement, que la Collectivité n’avait pas entendu lui ordonner le démarrage des travaux de fabrication, ces coûts doivent être regardés comme ayant été exposés « à l’initiative de la société requérante ». De plus, les véhicules en cause étant « dépourvus de caractéristiques spécifiques ou d’adaptations exigées par le pouvoir adjudicateur », ils auraient pu être vendus à d’autres clients de la société, voire à d’autres prestataires exerçant une activité similaire à la sienne. Pour ce double motif, la Cour considère que les frais dont fait état la Société requérante ne peuvent être regardés comme des frais et investissements strictement nécessaires à l’exécution du marché et rejette donc sa demande indemnitaire.

Le défaut de consultation annuelle du Comité d’entreprise (ou du Comité social et économique) sur la politique sociale n’entraine pas l’inopposabilité d’un accord sur l’organisation du temps de travail

Dans une décision du 18 septembre 2019 (n° 17-31.274), la Cour de cassation s’est prononcée sur les conséquences d’un défaut de consultation annuelle du Comité d’entreprise (CE) sur la politique sociale sur une décision de l’employeur prise en application d’un accord d’entreprise portant sur l’aménagement du temps de travail ou la durée du travail.

Pour rappel, la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite « Loi Rebsamen », a supprimé expressément l’obligation légale pour l’employeur de consulter le CE sur les projets d’accords collectifs d’entreprise.

Cependant, des interrogations demeuraient sur le caractère impératif d’une telle consultation sur les mesures de mise en œuvre au titre de telles dispositions conventionnelles, dans le cadre d’une consultation ponctuelle sur marche générale de l’entreprise ou seulement dans le cadre de la consultation annuelle récurrente sur la politique sociale de l’entreprise.

Dans cette affaire, dans le cadre d’un accord de modulation, le programme global indicatif de modulation mis en place par l’employeur au titre des dispositions conventionnelles, n’avait pas été soumis à l’avis préalable du CE. Une salariée avait saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir requalifier son contrat de travail en contrat à temps plein et de solliciter une indemnisation pour non-respect des dispositions légales relatives au temps partiel modulé et au non-paiement de l’intégralité de ses heures de travail.

A cet effet, elle soutenait que l’absence de consultation rendait l’accord inopposable au personnel de l’entreprise entrant dans le champ d’application de ce dispositif.

La Cour d’appel a infirmé le jugement du Conseil de prud’hommes qui avait fait droit à ses demandes.

La Cour de cassation approuve cette décision en retenant que si le défaut de consultation du CE au titre de la politique sociale, des conditions de travail et de l’emploi, sur les décisions de l’employeur résultant de l’application d’un accord d’entreprise sur l’aménagement du temps de travail ou la durée du travail peut être sanctionné en application des règles régissant le fonctionnement du comité, il n’a, en revanche, pas pour effet d’entrainer l’inopposabilité de l’accord de modulation en cause à l’ensemble des salariés.

En conséquence, il semble résulter implicitement de la solution adoptée par la Chambre sociale que les « décisions de l’employeur » résultant de la mise en œuvre de cet accord, dès lors qu’elles entrent dans le champ des attributions du CE relatives à la durée du travail, doivent être soumises à l’avis du CE dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale, et non au titre de la marche générale de l’entreprise.

Cette décision a une portée particulièrement large puisqu’elle n’intéresse pas seulement les décisions de l’employeur relatives à la durée du travail mais plus généralement, toutes celles dont l’objet relève des consultations annuelles du CE sur la situation financière, les orientations stratégiques (formation, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences,…) et la politique sociale de l’entreprise (qualification professionnelle, actions de prévention en matière de santé et de sécurité, congés, conditions de travail, égalité professionnelle entre les femmes et les hommes,…).

De plus, dès lors que la base de données économiques et sociales (BDES) constitue le support de mise à disposition des informations nécessaires aux trois consultations récurrentes (C. trav., art. R. 2312-7), les données relatives aux décisions de l’employeur et les mesures qui en résultent prises en application des dispositions conventionnelles d’entreprise devraient y être intégrées.

Par ailleurs, dans la mesure où la Cour de cassation considère que l’absence de consultation du CE sur les décisions de l’employeur résultant de l’application d’un accord d’entreprise entraîne, non pas l’inopposabilité de l’accord mais une sanction prise en application des « règles régissant le fonctionnement du comité », seul le comité peut saisir le juge d’un délit d’entrave et/ou d’une demande de dommages-intérêts contre l’employeur.

En toute hypothèse, les missions du CSE étant inchangées, et la consultation sur la politique sociale étant conservée, cette solution rendue à propos du CE est applicable au comité social et économique (CSE).

Toutefois, rappelons que le contenu de la BDES, de même que les consultations récurrentes peuvent être largement aménagés par voie conventionnelle. En effet, il est possible par un accord d’entreprise, ou en l’absence de délégué syndical, par un accord avec le CSE adopté à la majorité de ses membres titulaires, de définir :

  • le contenu des consultations,
  • leur périodicité, dans la limite de 3 ans maximum,
  • leurs modalités,
  • la liste et le contenu des informations nécessaires à ces consultations,
  • les niveaux auxquelles les consultations sont conduites, et le cas échéant, leur articulation,
  • la possibilité pour le CSE d’émettre un avis unique portant sur tout ou partie des thèmes des trois grandes consultations (C. trav., art. L. 2312-19).

Champ d’application restreint de la règle de cristallisation des règles d’urbanisme suivant l’achèvement d’un lotissement

Le Conseil d’Etat a été saisi d’un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux ayant rejeté le recours indemnitaire, introduit par un constructeur, en responsabilité pour faute dirigé contre une commune, la faute résidant dans la faute de la commune lui ayant refusé de lui octroyer un permis de construire, suite à l’annulation par jugement du Tribunal administratif de Pau du permis d’aménager.

L’annulation du permis d’aménager faisait elle-même suite à l’annulation, en cours d’instance, du plan local d’urbanisme (ci-après « PLU »). Par l’effet de l’annulation du PLU, l’ancien plan d’occupation des sols a été remis en vigueur. Sous l’empire de cet ancien document d’urbanisme, les terrains à lotir objet du permis d’aménager étaient classées en zone inconstructible.

Dans le cadre de son pourvoi, le constructeur se prévalait des dispositions de l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme, dans sa version antérieure à la loi ELAN en date du 23 novembre 2018, selon lequel « Dans les cinq ans suivant l’achèvement d’un lotissement, constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à l’autorisation du lotissement ».

En appel, le recours indemnitaire du constructeur avait été rejeté au motif qu’il n’existait pas de lien de causalité direct entre l’illégalité du PLU et l’impossibilité de réaliser le lotissement objet du permis d’aménager.

La Cour administrative d’appel (CAA) s’était alors basée sur les dispositions de l’ancien article L. 442-14 du Code de l’urbanisme pour écarter l’existence de ce lien de causalité, en estimant que la règle de cristallisation des règles d’urbanisme qu’elle prévoit suite à l’achèvement d’un lotissement s’applique également en cas d’annulation du PLU.

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la CAA pour erreur de droit, en faisant une application stricte de l’ancien article L. 442-14 du Code de l’urbanisme :

« Si ces dispositions font obstacle à ce que, dans le délai qu’elles prévoient, des dispositions d’urbanisme adoptées après l’autorisation du lotissement puissent fonder un refus de permis de construire au sein de ce lotissement, elles n’ont, en revanche, pas pour effet de faire obstacle à un refus fondé sur des dispositions d’urbanisme antérieures remises en vigueur, conformément aux dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, devenu l’article L.600-12 du même code, par l’effet d’une annulation contentieuse intervenue postérieurement à l’autorisation du lotissement. Ce n’est d’ailleurs que la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, inapplicable en l’espèce, qui a ajouté à l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme un dernier alinéa selon lequel “ l’annulation, totale ou partielle, ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale pour un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au lotissement ne fait pas obstacle, pour l’application du présent article, au maintien de l’application des règles au vu desquelles le permis d’aménager a été accordé ou la décision de non-opposition a été prise “.

[…] Il résulte de ce qui précède qu’en se fondant, pour juger qu’il n’existait pas de lien de causalité direct entre l’illégalité du plan local d’urbanisme du 18 décembre 2006 ayant conduit à son annulation et l’impossibilité, pour la société du Mouliès, de réaliser le lotissement en litige, sur la circonstance que les dispositions alors applicables de l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme faisaient obstacle à ce que les dispositions du plan d’occupation des sols du 18 décembre 1998 puissent être opposées aux demandes de permis de construire présentées dans le délai de cinq ans suivant l’achèvement du lotissement, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, la société du Mouliès est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ».

Ainsi que le souligne la Haute juridiction administrative dans son considérant de principe, le législateur, lequel avait dû anticiper le présent arrêt du Conseil d’Etat, a, à l’occasion de la loi ELAN du 23 novembre 2018, ajouté un alinéa à l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme, permettant de cristalliser les règles d’urbanisme suite à la délivrance d’un permis d’aménager, dans l’hypothèse où le document d’urbanisme serait annulé.

La présente jurisprudence du Conseil d’Etat n’a donc qu’une portée relative, eu égard au récent changement de la législation en la matière.

Externalisation des instructions des autorisations d’urbanisme par la loi ELAN : qui fait quoi ?

Si la loi ELAN avait opéré une clarification bienvenue concernant la possibilité de recourir à un prestataire privé dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme, son décret d’application du 23 mai 2019 semble aller à l’encontre de la volonté initiale du législateur et apporte de nouvelles incertitudes.

 

1 – La clarification opérée par la loi ELAN

La loi ELAN (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018) a modifié l’article L. 423-1 du Code de l’urbanisme en y inscrivant la possibilité de confier l’instruction des demandes d’urbanisme à des prestataires privés.

Celle-ci reste, toutefois, encadrée. Ainsi, la personne publique compétente doit conserver sa compétence s’agissant de la signature des actes d’instruction et n’est pas dans l’obligation de suivre la proposition du ou des prestataires. Ces derniers ne peuvent pas se voir confier des missions qui les exposeraient à un intérêt privé de nature à influencer, ou paraître influencer, l’exercice indépendant, impartial et objectif de leurs fonctions. Enfin, cette externalisation ne doit entraîner aucune charge supplémentaire pour le pétitionnaire :

« L’organe délibérant de la commune mentionnée à l’article L. 422-1 ou de l’établissement public de coopération intercommunale mentionné à l’article L. 422-3 peut confier l’instruction des demandes mentionnées au premier alinéa du présent article à un ou plusieurs prestataires privés, dans la mesure où l’autorité de délivrance mentionnée au même premier alinéa conserve la compétence de signature des actes d’instruction. Ces prestataires privés ne peuvent pas se voir confier des missions qui les exposeraient à un intérêt privé de nature à influencer, ou paraître influencer, l’exercice indépendant, impartial et objectif de leurs fonctions. Ils agissent sous la responsabilité de l’autorité mentionnée au sixième alinéa, et celle-ci garde l’entière liberté de ne pas suivre la proposition du ou des prestataires. Les missions confiées en application du présent alinéa ne doivent entraîner aucune charge financière pour les pétitionnaires.

Les modalités d’application de l’avant-dernier alinéa du présent article sont précisées par un décret en Conseil d’Etat » (article L. 423-1 alinéas 7 et 8). » 

 

Il ressort des travaux parlementaires que l’objectif poursuivi par le législateur n’était pas, à l’origine, de confier les actes d’instruction à des prestataires privés mais de clarifier les modalités d’intervention de ces derniers et de les limiter à de l’aide à la décision.

En cela, la volonté du législateur s’inscrivait dans la continuité de la doctrine administrative qui avait pu rappeler qu’ « une commune ne peut pas confier l’instruction des actes d’urbanisme à des prestataires privés » (Rép. min. n° 06861: JO Sénat Q 19 juin 2014, p. 1473) ou « que l’aide ne peut pas comprendre la rédaction des actes d’instruction » (selon la Rép. Orale JO Sénat du 19 novembre 2014, p. 8375).

Cette position avait également été retenue par le Tribunal administratif de Lyon qui a considéré :

« les dispositions des articles R. 410-5 et R. 423-15 du code de l’urbanisme limitent les personnes à qui peuvent être confiés les actes d’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme et déclarations préalables, (…) n’interdisent pas aux autorités compétentes de confier l’instruction de ces dossiers à des prestataires privés. Par suite, la commune de Lucena pouvait prévoir, par la convention de groupement de commandes approuvée par la délibération en litige, de confier à un prestataire privé l’examen des dossiers d’autorisations du droit des sols dans la mesure où elle conserve la compétence en ce qui concerne les actes d’instruction » (TA Lyon 4 mai 2017, commune de Lucenay, n° 1409329).

Jugement confirmé très récemment par la Cour administrative d’appel de Douai qui distingue clairement ce qui relève, d’une part de l’étude technique des dossiers, et d’autre part l’acte d’instruction :

« 3. Selon les dispositions des articles R.* 410-4 du code de l’urbanisme, s’agissant des certificats d’urbanisme et R.* 423-14 de ce code, s’agissant des autorisations d’urbanisme et des déclarations préalables,  » Lorsque la décision est prise au nom de la commune (…), l’instruction est faite au nom et sous l’autorité du maire « . En application des article R.* 410-5 et R.* 423-15,  » (…) l’autorité compétente peut charger des actes d’instruction : / a) Les services de la commune ; / b) Les services d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités ; / c) Les services d’un syndicat mixte ne constituant pas un groupement de collectivités ; / d) Une agence départementale créée en application de l’article L. 5511-1 du code général des collectivités territoriales ; / e) Les services de l’Etat, lorsque la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale remplit les conditions fixées à l’article L. 422-8. « .

4. Ces dispositions, qui fixent la liste limitative des services auxquels peuvent être confiés les actes matériels nécessaires à l’instruction des demandes de certificat d’urbanisme, des autorisations d’urbanisme et des déclarations préalables, n’interdisent cependant pas aux autorités compétentes pour les délivrer de confier, à titre onéreux et après mise en concurrence, l’étude technique de ces dossiers, exclusive de tout acte d’instruction, à des prestataires extérieurs, qu’ils soient d’ailleurs privés ou publics » (CAA Lyon 28 février 2019, req. n° 17LY02514).

 

La clarification opérée par le législateur permettait ainsi de fournir un cadre à cette intervention même s’il sera difficile de déterminer la limite au-delà de laquelle l’intérêt privé ne permettrait pas de confier une telle mission (au regard de la rédaction de la limite posée par la nouvelle rédaction de l’article L. 423-1 précité : « Ces prestataires privés ne peuvent pas se voir confier des missions qui les exposeraient à un intérêt privé de nature à influencer, ou paraître influencer, l’exercice indépendant, impartial et objectif de leurs fonctions »).

Au regard de ce qui précède, la rédaction du décret n° 2019-505 du 23 mai 2019 relatif à l’instruction par des prestataires privés des demandes d’autorisation d’urbanisme pris en application de la loi ELAN semble présenter une contradiction avec l’esprit de la loi.

 

2. Les incertitudes issues de son décret d’application

Selon les termes de la notice de ce décret, son objet est d’ouvrir la possibilité pour les communes et les EPCI de confier l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme à des prestataires privés :

« Notice : l’article L. 423-1 du code de l’urbanisme ouvre la possibilité pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale de confier l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme à des prestataires privés. Le décret complète en conséquence l’article R.* 423-15 du même code en ajoutant ces prestataires à la liste des services pouvant être chargés des actes d’instruction des demandes de permis et des déclarations préalables ».

Il est ainsi ajouté un f) à l’article R. 423-15 du Code de l’urbanisme aux termes duquel désormais :

« Dans le cas prévu à l’article précédent, l’autorité compétente peut charger des actes d’instruction :

a) Les services de la commune ;

b) Les services d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités ;

 c) Les services d’un syndicat mixte ne constituant pas un groupement de collectivités ;

d) Une agence départementale créée en application de l’article L. 5511-1 du code général des collectivités territoriales ;

 e) Les services de l’Etat, lorsque la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale remplit les conditions fixées à l’article L. 422-8 ;

 f) Un prestataire privé, dans les conditions prévues au septième alinéa de l’article L. 423-1 ».

 

Il en résulte qu’un prestataire privé pourrait donc désormais, sous l’autorité du maire ou du président de l’EPCI, se voir confier les actes d’instructions (par exemple : notification de la demande d’autorisation d’urbanisme ou du caractère incomplet du dossier ou encore un d’un délai d’instruction différent du droit commun).

Si cela ne va pas directement à l’encontre du texte de l’article L. 423-1 précité issu de la loi ELAN (la compétence n’est pas transférée), l’esprit du texte semble quelque peu remis en cause.

La lecture combinée des articles L. 423-1 et R. 423-15 du Code de l’urbanisme amène à la conclusion qu’en l’état des textes, un prestataire privé pourrait se voir confier, sous conditions, l’analyse des dossiers de demandes d’autorisations d’urbanisme en ce compris les actes d’instruction.

Reste à savoir comment ces nouvelles dispositions seront mises en pratique par les collectivités locales d’une part, et comment elles seront interprétées par le juge administratif, d’autre part.

 

Par Arthur Gayet et Pierre Laffitte

Le simple rappel au droit d’un arrêté municipal sur les conditions d’installation des compteurs « Linky » ne fait pas grief selon le Tribunal administratif de Nice

Le Tribunal administratif de Nice a partiellement annulé, par cinq jugements du 25 septembre 2019, plusieurs arrêtés municipaux portant sur la réglementation de l’installation des compteurs communicants d’électricité, compteurs dits « Linky ».

Pour répondre aux sollicitations de leurs administrés, les maires de cinq communes du département des Alpes-Maritimes (Saint-Laurent-du-Var, Vence, Gilette, Villeneuve-Loubet et Saint-Cézaire-sur-Siagne) ont pris des arrêtés municipaux aux fins de soumettre la pose des compteurs « Linky » à l’accord préalable des usagers, et laissant la possibilité à ces derniers d’opposer leur refus à cette pose par lettre simple.

Ces arrêtés municipaux disposent également que l’accès aux logements ou propriétés privées pour la pose des compteurs « Linky », et la transmission des données issues desdits compteurs à des partenaires commerciaux, doivent être autorisés par les usagers au gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité en charge de leur pose.

Estimant notamment que ces arrêtés faisaient obstacle au déploiement des compteurs « Linky » sur le territoire des communes concernées, le Préfet des Alpes-Maritimes et le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité ont demandé leur annulation au Tribunal administratif de Nice.

Dans les cinq jugements commentés, le Tribunal administratif de Nice a tout d’abord jugé que les cinq communes, ayant transféré leur compétence en matière d’autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité à un syndicat départemental d’électricité qui, en cette qualité, est propriétaire des compteurs électriques, ne sont pas compétentes pour soumettre la pose des compteurs « Linky » à l’accord formel et préalable de chacun de usagers.

Le Tribunal a également considéré qu’aucun trouble à l’ordre public ne justifiait l’usage des pouvoirs de police administrative du maire pour réglementer l’installation des compteurs « Linky », malgré la forte préoccupation des habitants face à des pratiques du gestionnaire lors de l’installation desdits compteurs.

Par suite, les dispositions des arrêtés portant sur l’accord préalable ou refus possible de l’installation d’un compteur « Linky » par les usagers ont été annulées par le Tribunal.

En revanche, le Tribunal administratif de Nice a considéré que les autres dispositions des arrêtés attaqués ne font qu’un simple rappel au droit existant insusceptible de recours en annulation.

En effet, la liberté pour l’usager de refuser ou d’accepter l’accès à son logement, pour le remplacement d’un compteur, s’inscrit selon le Tribunal dans le cadre des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (sur la propriété privée) et des articles 226-4 et 432-8 du Code pénal (sur les intrusions dans le domicile d’autrui). De même, l’obligation d’obtenir l’accord de l’usager pour la communication de ses données de consommation d’électricité découle de l’article D. 341-4 du Code de l’énergie.

Estimant que ces rappels au droit ne font pas grief aux requérants et qu’ils sont divisibles du reste de l’arrêté, le Tribunal a donc rejeté les demandes visant à leur annulation comme étant irrecevables.