Conformité à la constitution de l’exonération d’impôt sur le revenu des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les agents publics

Par une décision n° 2022-1033 QPC du 27 janvier 2023, le Conseil constitutionnel vient de déclarer conformes à la Constitution les dispositions législatives du Code général des impôts qui prévoient une exonération partielle d’impôt sur le revenu des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les fonctionnaires et les agents publics recrutés par contrats à durée indéterminée.

Le Conseil constitutionnel avait été saisi en novembre dernier par le Conseil d’Etat (n° 467518 du 16 novembre 2022) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du dernier alinéa du 6° du 1 de l’article 80 duodecies du Code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020. Plus précisément, le 1 de l’article 80 duodecies du CGI prévoit que toute indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable à l’impôt sur le revenu, à l’exception de certaines indemnités limitativement énumérées par l’article, et notamment (6°) les indemnités versées à un salarié à l’occasion de la rupture conventionnelle du contrat de travail.

Alors que le dernier alinéa du 6° précise que cette exception s’applique aux indemnités spécifiques de rupture conventionnelle versées aux agents publics, il ne prévoit en revanche aucune exonération pour les indemnités de licenciement perçues par les agents publics.

Le Conseil d’Etat a ainsi estimé que présentait un caractère sérieux la question de la méconnaissance de ces dispositions aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques, en tant qu’elles limitent le bénéfice de l’exonération des indemnités perçues par les agents publics à raison de la rupture de leur relation de travail aux seules indemnités de rupture conventionnelle, à l’exclusion des indemnités de licenciement.

Le Conseil constitutionnel a dans un premier temps constaté que les dispositions litigieuses du Code général des impôts instituent effectivement une différence de traitement :

  • d’une part entre les agents publics selon qu’ils perçoivent une indemnité de rupture conventionnelle ou de licenciement ;
  • et d’autre part, en cas de licenciement, entre les agents publics et les salariés dès lors que seules les indemnités perçues par ces derniers bénéficient d’une exonération partielle.

Il a néanmoins ensuite rappelé que : « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

Or au cas d’espèce, le Conseil a considéré que les agents publics faisant l’objet d’une rupture conventionnelle ont « convenu avec leur employeur des conditions de la cessation définitive de leurs fonctions », et qu’ils ne sont donc pas placés dans la même situation que ceux ayant fait l’objet d’un licenciement. La différence de traitement, qui est donc fondée sur une différence de situation, a été regardée également comme étant en rapport avec l’objet de la loi, dès lors que le législateur a entendu, en instituant cette exonération, « favoriser les reconversions professionnelles de ces agents vers le secteur privé ».

Il en résulte, selon les Sages, que le principe d’égalité devant la loi n’a pas été méconnu.

Enfin, le Conseil constitutionnel a jugé que c’est également sans méconnaissance du principe d’égalité que le législateur a réservé le bénéfice de l’exonération d’impôt sur le revenu aux indemnités de licenciement perçues par les seuls salariés, après avoir relevé que les salariés (de droit privé) et les agents publics sont soumis à des régimes juridiques différents s’agissant des règles de licenciement.

Le Conseil Constitutionnel a ainsi conclu que les dispositions contestées de l’article 80 duodecies du Code général des impôts ne méconnaissent ni le principe d’égalité devant la loi, ni le principe d’égalité devant les charges publiques, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, et qu’elles doivent donc être déclarées conformes à la Constitution sans réserve.

Publication du décret relatif à l’expérimentation de la mise à disposition de fonctionnaires dans le cadre d’un « mécénat de compétences »

La publication du décret n° 2022-1682 en date du 27 décembre 2022 va permettre la mise en œuvre d’un dispositif qui pourrait s’avérer fort utile aux administrations, et notamment aux collectivités territoriales. La loi n° 2022-217 du 21 février 2022, dite « 3DS » avait créé à l’article 209 un dispositif de « mécénat de compétence ». Il consiste en un dispositif dérogatoire de mise à disposition d’un fonctionnaire auprès d’associations reconnues d’utilité publique, de fondations, et de toute personne morale répondant à la définition de l’article 238 bis du Code général des impôts, c’est-à-dire « œuvres ou d’organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel, ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises ».

Le dispositif présente l’attrait principal de permettre une mise à disposition à titre gratuit, c’est-à-dire sans le remboursement de l’organisme d’accueil en principe prévu par le droit commun de la mise à disposition. Celui-ci prévoyait déjà cette possibilité de gratuité, mais il ne pouvait être prévue au profit d’organismes de droit privé. Cet avantage vient toutefois évidemment avec quelques limitations.

En premier lieu, la mise à disposition est d’une durée de 18 mois et ne peut être renouvelée que pour une durée totale de trois ans.

En deuxième lieu, lorsque la mise à disposition s’opère à titre gratuit, elle est constitutive d’une subvention, et donc assujettie notamment au régime de l’article 10 de de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, ce qui impliquera la conclusion d’une convention d’objectif et de moyen lorsque le plafond de 23.000 euros sera dépassé, ce qui arrivera rapidement compte tenu des montants que représente les rémunérations brutes d’un agent public.

En troisième lieu, bien évidemment, s’agissant d’une cessation de fonction pour l’exercice d’une activité privée, la mise à disposition impliquera un contrôle déontologique préalable examinant la compatibilité des fonctions publiques exercées par l’agent avant de rejoindre l’organisme. Cette limitation est en pratique de taille : les agents qui auront eu à connaître de cet organisme pourraient se trouver en effet en situation d’incompatibilité, alors qu’ils seront a priori ceux qui seront le plus utile dans une telle mise à disposition.

Pour le reste, le régime défini par le décret du 27 décembre 2022 est assimilable à la mise à disposition de droit commun : elle peut être partielle, implique la conclusion d’une convention entre l’administration et l’organisme, permet le versement d’un éventuel complément de rémunération, et prévoit une répartition similaire des compétences entre l’organisme d’accueil et l’administration de rattachement du fonctionnaire.

Nombreuses sont les associations et organismes qui gravitent autour de l’administration et participent à la mise en œuvre de leurs politiques publiques. La possibilité de mettre à la disposition de ces organismes, un ou plusieurs fonctionnaires à titre pourrait donc s’avérer être un outil très pertinent. Reste à s’emparer du dispositif.

Recours contre une autorisation d’urbanisme : les personnes pouvant sérieusement revendiquer la propriété d’un bien ont intérêt à agir

Par une décision en date du 25 janvier 2023, le Conseil d’Etat a reconnu que les personnes qui entendent agir, en qualité de propriétaire, contre une autorisation d’urbanisme portant atteinte aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance d’un bien, ont intérêt à agir alors même qu’elles ne disposent ni d’un acte de propriété, ni d’une promesse de vente, ni d’un contrat préliminaire, dès lors qu’elles peuvent sérieusement revendiquer la propriété de ce bien.

Dans cette affaire, les sociétés Lowima et Touche Automobiles souhaitaient toutes deux acquérir une parcelle mise en vente par la communauté de communes la Aunis Atlantique (Charente-Maritime). Par des courriers du 21 août 2018, la Communauté de communes a fait savoir aux deux sociétés qu’elle entendait céder la parcelle litigieuse à la société Lowima. Par une délibération du 26 septembre 2018, le conseil communautaire a fixé le prix du mètre carré de la parcelle. La société Touche Automobiles a, alors, adressé à la communauté de communes une offre d’achat de cette parcelle à ce prix et fait assigner, le 19 avril 2019, la Communauté de communes devant le tribunal de grande instance (TGI) de La Rochelle aux fins de voir juger parfaite la vente de la parcelle à son profit. En parallèle, par une délibération du 2 juillet 2019, le conseil communautaire a formalisé sa décision de vendre à la société Lowima et le Maire de la commune de Marans a délivré à cette dernière un permis de construire sur la parcelle en litige. La société Touche Automobiles a, alors, formé un recours pour excès de pouvoir auprès du Tribunal administratif de Poitiers et sollicité l’annulation du permis de construire. Le Tribunal, comme la Cour administrative d’appel de Bordeaux saisie en appel, ont rejeté cette requête.

Dans ce contexte, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’intérêt à agir contre un permis de construire d’une personne revendiquant la propriété d’un bien, au regard des dispositions des articles L. 600-1-2 et R. 600-4 du Code de l’urbanisme, combinées.

Aux termes des dispositions de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme :

« Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l’aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation.

Le présent article n’est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire ».

Et aux termes des dispositions de l’article R. 600-4 du même Code :

« Les requêtes dirigées contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol régie par le présent code doivent, à peine d’irrecevabilité, être accompagnées du titre de propriété, de la promesse de vente, du bail, du contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation , du contrat de bail, ou de tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien par le requérant […] ».

Après avoir rappelé que l’invitation à régularisation formulée par le Tribunal sur le fondement de l’article R. 600-4 du Code de l’urbanisme n’était pas entachée d’une erreur de droit, le Conseil d’Etat a précisé qu’ « une personne, entendant agir comme propriétaire d’un tel bien, qui ne fait état ni d’un acte de propriété, ni d’une promesse de vente, ni d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ne justifie pas d’un intérêt de nature à lui donner qualité pour demander l’annulation d’une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme, sauf à ce qu’elle puisse sérieusement revendiquer la propriété de ce bien devant le juge compétent ».

Ainsi, alors même qu’elle ne dispose pas des éléments prévus par l’article R. 600-4 du Code de l’urbanisme, une personne physique ou morale peut avoir intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme dès lors qu’elle est en mesure de revendiquer, sérieusement, la propriété du bien.

Cela étant précisé, le Conseil d’Etat a, en l‘espèce, considéré que la présentation de l’offre d’acquisition de la parcelle qui constitue le terrain d’assiette de la construction autorisée, au prix fixé par la délibération de la communauté de communes, ainsi que l’acte de saisine du TGI de La Rochelle ne sauraient faire regarder la société Touche Automobiles comme pouvant sérieusement revendiquer la propriété de ce bien. Elle ne dispose donc d’aucun intérêt à agir contre le permis litigieux.

Précisions sur l’indemnisation du cocontractant de l’administration en cas de résiliation amiable

En cas de résiliation d’un contrat par l’administration, quelles doivent être l’ampleur et les modalités de l’indemnisation de son cocontractant ?

C’est sur cette question que s’est à nouveau penché le Conseil d’Etat par sa décision du 16 décembre 2022, publiée au recueil Lebon.

Par sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’Etat avait déjà précisé qu’en application de l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, le contrat pouvait déterminer les modalités d’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation, sous réserve qu’il n’en résultât pas une « disproportion manifeste » par rapport au montant du préjudice causé par la résiliation (CE, 4 mai 2011, Chambre de commerce et d’industrie de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, req. n° 334280).

Cependant, cette jurisprudence n’était pas entièrement cohérente avec celle, plus exigeante, construite en parallèle par le Conseil constitutionnel qui, pour sa part, a considéré que « le respect [du principe d’égalité devant les charges publiques] ainsi que l’exigence de bon emploi des deniers publics ne seraient pas davantage assurés si était allouée à des personnes privées une indemnisation excédant le montant de leur préjudice » (C. Const., 20 janvier 2011, n° 2010-624 DC).

Le Conseil d’Etat a donc, suivant les conclusions du rapporteur public Thomas Pez-Lavergne, profité de cette affaire pour aligner sa jurisprudence avec celle du Conseil constitutionnel, en abandonnant la référence à la « disproportion manifeste » et en veillant à ce que l’indemnité n’excède pas la réparation du préjudice causé au cocontractant par la résiliation d’un contrat.

Dans ce litige, trois élus municipaux d’opposition avaient obtenu du Tribunal administratif de Nice l’annulation de la délibération du Conseil municipal de Grasse approuvant la résiliation amiable du bail emphytéotique conclu en 1966 avec la Société Grasse-vacances pour une durée de 60 ans et le versement à celle-ci de la somme de 1.700.000 € à titre d’indemnité.

Saisi par la Société Grasse-vacances d’un pourvoi contre l’arrêt de la Cour administrative de Marseille ayant rejeté son recours contre ce jugement, le Conseil d’Etat commence par poser le principe suivant, inspiré de la jurisprudence constitutionnelle :

« Les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l’étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment de la personne publique, l’allocation au cocontractant d’une indemnisation excédant le montant du préjudice qu’il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat ».

Puis, faisant application de ce principe au cas d’espèce, il considère que, dès lors que le contrat laissait le choix à la Société Grasse-vacances entre exploiter elle-même le village vacances ou céder, sous réserve de l’accord de la commune, les droits réels qu’elle tenait du contrat, il fallait déterminer le préjudice subi du fait de la résiliation en tenant compte du montant le plus élevé entre :

  • le bénéfice escompté de l’exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir ;
  • la valeur des droits réels issus du bail.

Par suite, constatant que la Cour administrative d’appel avait refusé de tenir compte du prix que la Société Grasse-vacances aurait pu tirer de la cession des droits qu’elle tenait du bail, le Conseil d’Etat conclut qu’elle a, ce faisant, commis une erreur de droit. Il annule donc l’arrêt attaqué et renvoie l’affaire à la Cour administrative d’appel.

Un terrain ne peut être partiellement qualifié de terrain à bâtir

Par un arrêt en date du 30 novembre 2022, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation apporte une précision sur les conditions permettant de caractériser l’existence d’un terrain à bâtir.

En vertu des dispositions du Code de l’expropriation, la qualification de terrains à bâtir est réservée aux terrains qui, à la date de référence fixant la situation urbanistique du bien, sont, d’une part, effectivement desservis par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l’urbanisme et à la santé publique l’exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d’assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains et, d’autre part, situés dans un secteur désigné comme constructible. La desserte par les réseaux doit donc être complète et appliquée à la totalité des terrains expropriés.

Au cas d’espèce, une partie seulement des parcelles expropriées était desservie par le réseau électrique, à savoir, la moitié ouest des terrains expropriés, tandis que la partie est n’était pas desservie.

La Cour de cassation énonce que les dimensions des réseaux étant appréciées au regard de la capacité de construction de la totalité des terrains expropriés, ceux-ci ne peuvent être qualifiés de terrain à bâtir car une même parcelle ne peut être qualifiée de terrain à bâtir pour partie seulement.

La Cour de cassation apporte un utile éclairage sur la distinction entre obligation d’assistance et obligation d’accessibilité au sens du Règlement (CE) n° 1371/2007 du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires

Dans un arrêt en date du 18 janvier 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par un particulier dans un litige qui l’opposait depuis plusieurs années à SNCF Voyageurs.

L’affaire soumise aux juges de cassation fut l’occasion de préciser les notions d’ « accessibilité » et d’ « assistance » prévues par le Règlement (CE) n° 1371/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires.

En effet, en tant qu’entreprise ferroviaire chargée du transport de voyageurs, SNCF Voyageurs se doit d’assurer :

  • d’une part l’accessibilité aux gares, quais, matériels roulants et autres équipements aux personnes handicapées et aux personnes à mobilité réduite (article 21 du règlement) ;
  • d’autre part l’assistance de ces personnes dans les gares et à bord des trains (articles 22 à 24 du règlement).

C’est dans ce contexte que le requérant, atteint d’un handicap le contraignant à se déplacer en fauteuil roulant, a saisi la Cour de cassation. Aux termes de son pourvoi, celui-ci soutenait en effet que la SNCF avait manqué à ses obligations légales en matière d’assistance à bord des trains des personnes handicapées et des personnes à mobilité réduite.

La Cour a toutefois considéré que le moyen de cassation invoqué n’était « manifestement pas de nature à entraîner la cassation » et a décidé, en application de l’article 1014 alinéa 1er du Code de procédure civile, qu’il n’y avait pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.

Pour comprendre cette décision, il convient de revenir sur les critiques formulées par le requérant.

En effet, celui-ci se plaignait essentiellement de l’impossibilité d’accéder aux toilettes ainsi qu’au bar à bord du train et de n’avoir pas pu bénéficier d’une place adaptée à son fauteuil roulant, compte tenu de l’étroitesse des passages et des portes.

Or, ces critiques renvoyaient en réalité non pas à l’assistance comme le prétendait le requérant, mais à l’accessibilité du matériel roulant. Celui-ci aurait donc dû se positionner sur le terrain de l’accessibilité. Et, en tout état de cause dans cette hypothèse, si la SNCF est tenue d’adapter les conditions d’accessibilité avant 2024 des matériels neufs mis en service à partir de février 2015[1], ce n’était pas le cas des trains empruntés par le requérant.

Finalement, sur le terrain de l’assistance emprunté par le requérant, SNCF Voyageurs ayant produit un ensemble de justificatifs des différents services proposés en gare et dans les trains, aucun manquement au titre de ses obligations légales en matière d’assistance ne lui a été imputé.

 

[1] Obligation résultant des articles L. 1112-2-1 et L. 1112-2-2 du Code des transports.

Le Conseil d’Etat ouvre la possibilité de prendre plusieurs arrêtés de cessibilité successifs pour un même projet déclaré d’utilité publique, nonobstant la circonstance qu’ils puissent toucher le même propriétaire

Par cette décision très brève – 3 considérants -, le Conseil d’Etat a statué sur une question inédite tenant à la régularité d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique.

Pour rappel, en substance, lorsqu’un projet est déclaré d’utilité publique par le préfet, celui-ci doit ensuite déclarer cessibles les parcelles devant être expropriées, puisque nécessaires au projet déclaré d’utilité publique.

Concrètement, l’arrêté de cessibilité intervient à la suite d’une saisine du préfet par un dossier d’enquête parcellaire, lequel est établi conformément à l’article R. 131-3 du Code de l’expropriation. Plus précisément, selon cet article, ce dossier doit comprendre un plan parcellaire et la liste des propriétaires des parcelles concernées.

D’une part, le plan parcellaire doit permettre aux intéressés de disposer d’informations précises sur l’identification et la consistance des différentes parcelles à exproprier. D’autre part, la liste des propriétaires des parcelles concernées par l’expropriation doit résulter de recherches fouillées et concrètes de la part de l’autorité expropriante.

Cette phase administrative doit se conclure par un arrêté de cessibilité du préfet, conformément à l’article L. 132-1 du Code de l’expropriation, lequel dispose que :

« L’autorité compétente déclare cessibles les parcelles ou les droits réels immobiliers dont l’expropriation est nécessaire à la réalisation de l’opération d’utilité publique. Elle en établit la liste, si celle-ci ne résulte pas de la déclaration d’utilité publique ».

Par la décision en date du 25 janvier 2023, le Conseil d’Etat a donné son interprétation de l’article L. 132-1 du Code de l’expropriation.

En effet, l’un des moyens du pourvoi soulevé ici contestait une position de principe des juges du fond sur l’article L. 132-1 précité, position retenue par la Cour administrative d’appel dans cette affaire comme suit :

« Eu égard à la garantie attachée au droit de propriété et à la nécessité de prémunir un propriétaire contre une transmission tardive du dossier au juge de l’expropriation au regard des dispositions de l’article R. 221-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, les dispositions précitées doivent s’entendre comme imposant à l’autorité administrative de faire figurer dans un même arrêté de cessibilité l’ensemble des parcelles appartenant à un même propriétaire, dont l’expropriation est poursuivie ».

Selon les juges du fond, il n’est pas possible de prendre plusieurs arrêtés de cessibilité successifs pour des parcelles appartenant à un même propriétaire. Si l’on suit le raisonnement des juges du fond, il aurait donc fallu recommencer depuis le début l’enquête parcellaire, agrémentée des nouvelles parcelles devant être expropriées, lesquelles se sont révélées nécessaires en cours d’établissement du projet déclaré d’utilité publique.

Cette interprétation ne ressort pourtant pas de la lettre du texte.

Cette position était, semble-t-il, notamment justifiée par le fait que l’atteinte au droit de propriété résultant de la procédure d’expropriation, devait être contrebalancée par le fait que le propriétaire exproprié doit avoir connaissance rapidement, et de manière exhaustive, de ce qu’il l’attend dans le cadre de la procédure d’expropriation.

Dans notre espèce, plusieurs arrêtés de cessibilités sont intervenus, lesquels concernaient des parcelles distinctes mais appartenant à un même propriétaire.

La question qui se pose est donc de savoir s’il est possible de prendre plusieurs arrêtés de cessibilité successifs, de sorte que les nouvelles parcelles nécessaires feront l’objet d’une enquête parcellaire complémentaire distincte de l’enquête parcellaire initiale, sans qu’il ne soit besoin de reprendre une enquête parcellaire globale pour l’ensemble des parcelles nécessaires au projet déclaré d’utilité publique.

Par cette décision, le Conseil d’Etat considère qu’il est possible de procéder par plusieurs arrêtés successifs pour déclarer cessibles des parcelles nécessaires à la réalisation d’un même projet déclaré d’utilité publique.

Le Conseil d’Etat fait, à notre sens, ici preuve de pragmatisme car sa solution permet de faire évoluer le projet – sans ajouter trop de lourdeurs et donc de temps perdu à la mise en œuvre du projet d’utilité publique -, puisqu’il affirme que l’étendue des acquisitions nécessaires puisse se voir précisée à mesure de l’état d’avancement du projet par une enquête parcellaire complémentaire, et non par la reprise d’une enquête parcellaire globale.

Il doit, néanmoins, être souligné que le Conseil d’Etat n’offre cette possibilité que si l’expropriation des nouvelles parcelles « se révèle » nécessaire pour la réalisation de l’opération déclarée d’utilité publique. A contrario, si l’expropriant avaient connaissance de la nécessité d’acquérir les nouvelles parcelles, il pourrait se voir sanctionné de ne pas les avoir fait figurer dans le premier arrêté de cessibilité. Ici, la juridiction administrative semble attendre de l’autorité expropriante qu’elle fasse preuve de loyauté dans l’utilisation de cette faculté pour ménager les atteintes apportées au droit de propriété.

Par conséquent, le Conseil d’Etat a jugé que :

« Ni cette disposition [l’article L. 132-1] ni aucune autre disposition législative ou règlementaire n’impose que l’ensemble des immeubles à exproprier pour la réalisation d’un projet déclaré d’utilité publique fasse l’objet d’un unique arrêté de cessibilité. Des arrêtés de cessibilité peuvent dès lors être pris successivement si l’expropriation de nouvelles parcelles se révèle nécessaire pour la réalisation de l’opération déclarée d’utilité publique. La circonstance que des parcelles faisant l’objet de ces arrêtés successifs appartiennent à un même propriétaire est à cet égard sans incidence ».

Fibre optique / désordres / pouvoirs de police du maire / Mode STOC

Dans un arrêt en date du 5 janvier 2023, la Cour d’appel de Versailles apporte une précision intéressante sur le pouvoir de police du maire et l’intérêt à agir d’une commune contre les opérateurs d’infrastructure du fait des problèmes relatifs à la fibre optique.

Face à l’ampleur et à la persistance des dégradations des armoires de rue et des déconnexions des abonnés à la fibre optique, de nombreux maires ont adopté des arrêtés municipaux, voire pris des mesures, comme le fait de cadenasser les armoires de rue en demandant aux raccordeurs mandatés les fournisseurs d’accès internet de prendre la clé dans les locaux de la police municipale.

Le litige soumis à la Cour d’appel de Versailles concernait une action contentieuse introduite par une commune directement contre un opérateur d’infrastructure tendant à ce soit « reconnue sa responsabilité dans le déficit de sécurisation des points de mutualisation en tant qu’opérateur d’infrastructures et qu’il lui soit enjoint de prendre de nouvelles mesures permettant une meilleure sécurisation des points de mutualisation sur l’ensemble du territoire de la commune d’Argenteuil et une meilleure contractualisation des sous-traitants ».

La Cour d’appel retient la fin de non-recevoir soulevée par l’opérateur d’infrastructure au motif du défaut d’intérêt à agir de la commune. Selon la Cour d’appel, la Commune ne peut « exercer en justice une action dont la visée est réservée à d’autres organes reconnait l’absence d’intérêt à agir de la commune contre XP Fibre ». Or, selon la Cour d’appel – et là est son apport, « Seule l’Arcep et le Ministre chargé des communications électroniques sont habilités à réguler, contrôler et sanctionner les opérateurs au titre de l’exploitation de leur réseau de fibre optique ».

Le principe de non-intervention du pouvoir de police générale, en lieu et place de la police spéciale des communications électroniques de l’ARCEP et du ministre chargé des communications électroniques prévue à l’article L. 32-1 du Code des postes et des communications électroniques, a été consacré par une jurisprudence administrative abondante en matière d’arrêtés municipaux interdisant ou restreignant l’installation d’antennes de téléphonie mobile (CE, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, n° 326492 ; Commune de Pennes-Mirabeau, n° 329904 ; Société française de radiotéléphonie (SFR), n° 341767).

A notre connaissance, c’est la première fois qu’une décision de justice applique ce principe à l’égard de réseaux en fibre optique (dits FTTH).

Si l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles ne porte pas directement sur l’exercice du pouvoir de police générale du maire à l’égard d’un réseau en fibre optique, l’absence d’intérêt à agir de la commune contre l’opérateur d’infrastructure découle directement de la reconnaissance du pouvoir de police spéciale des communications électroniques à l’ARCEP et au Ministre.

On peut logiquement penser que les arrêtés municipaux et mesures dits anti « mode STOC » (sous-traitance du raccordement fibre par l’opérateur d’infrastructure à l’opérateur commercial prévue par la décision n° 2015-0776 du 2 juillet 2015 de l’ARCEP) encourent le même sort que les arrêtés municipaux interdisant ou restreignant l’installation d’antennes de téléphonie mobile, en cas de recours.

En revanche, la reconnaissance du pouvoir de police spéciale des communications électroniques à l’ARCEP et au Ministre induit la possibilité d’engager leur responsabilité en cas de faute lourde du fait de leur activité de contrôle des opérateurs de réseaux en fibre optique.

Chambres régionales des comptes : des missions toujours plus élargies

En 2022, le législateur a, à deux égards, élargi les missions des chambres régionales des comptes (CRC).

Tout d’abord, à l’occasion de la loi dite 3DS du 21 février 2022[1], il leur a conféré une mission de contribution à l’évaluation des politiques publiques.

Le décret d’application correspondant a été publié au Journal officiel le 11 décembre 2022.

Ensuite, la loi du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 (LFSS 2023) leur a permis d’étendre leur contrôle des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) et lieux de vie et d’accueil (LVA)[2]. Retour sur ces évolutions législatives et réglementaires qui confirment l’importance croissante des CRC.

 

I. Evaluation des politiques publiques

Ainsi que cela a été indiqué, le législateur a conféré aux CRC une nouvelle mission d’évaluation des politiques publiques.

Cette réforme est intervenue alors que le Conseil d’Etat avait consacré son rapport annuel de 2020 à l’évaluation des politiques publiques, présentant notamment les bienfaits de cette dernière pour le débat démocratique et la prise de décision par les autorités publiques, et que le projet stratégique des juridictions financières pour cinq ans établi en 2021 ambitionnait de voir l’évaluation des politiques publiques devenir le « deuxième métier » des juridictions financières.

L’évaluation des politiques publiques est en effet présentée comme un vecteur de renforcement de la qualité, de l’efficacité et de la légitimité de l’action publique en ce qu’elle permet de disposer d’analyses fiables et factuelles et ainsi d’éclairer tant le débat public que la prise de décision. Alors qu’elle requiert des moyens humains, administratifs et financiers qui ne peuvent pas toujours être mobilisés en interne, la possibilité de recourir aux CRC présente un intérêt certain pour les collectivités territoriales et établissements publics concernés.

Un nouvel article L. 211-15 a ainsi été créé au sein du Code des juridictions financières (CJF), aux termes duquel :

« La chambre régionale des comptes contribue, dans son ressort, à l’évaluation des politiques publiques ».

Deux missions ont, dans ce cadre, plus précisément été attribuées aux CRTC : l’évaluation d’une politique publique relevant des compétences des collectivités territoriales ou établissements publics auteurs de la saisine et le rendu d’un avis sur les conséquences d’un projet d’investissement exceptionnel[3]. Un décret du 8 décembre 2022 est venu préciser le cadre général prévu par loi[4].

 

I.1. Evaluation d’une politique publique

I.1.1. Saisine de la CRC

  • Initiative de la saisine

La question de l’initiative de la saisine de la CRC sera probablement l’un des points les plus débattus de la réforme. En effet, alors que le législateur avait, dans un souci d’éviter un trop grand nombre de demandes pour les CRC dont les effectifs demeurent réduits à ce jour, ouvert la saisine aux seules régions, départements et métropoles, et prévu une procédure à l’initiative de ces collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), le pouvoir réglementaire a donné aux CRC une faculté d’auto-saisine, et ce pour procéder à l’évaluation d’une politique publique relevant de l’ensemble des collectivités territoriales et organismes soumises à leur compétence de contrôle des comptes et de la gestion[5].

Cet élargissement de la saisine paraît très discutable juridiquement et a conduit le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) à rendre des avis défavorables sur le projet de décret. Il semblerait que le Gouvernement se fonde sur le seul article L. 211-15 précité du CJF pour soutenir qu’une possibilité d’auto-saisine aurait été prévue par la loi, ce qui apparaît bien fragile. Ce choix du Gouvernement est également contestable politiquement puisque, d’une logique de volontariat des collectivités territoriales et établissements publics concernés, dans une démarche vertueuse visant à améliorer la qualité, l’efficacité et la légitimité de l’action publique, on passe à une logique de contrôle décidé par la CRC qui s’imposerait aux organismes visés, lesquels pourraient donc être moins enclins à saisir eux-mêmes, au demeurant lorsqu’ils le peuvent, ladite Chambre. La décision de saisir la CRC est faite par le président du conseil régional, du conseil départemental ou de la métropole, à son initiative ou sur délibération de l’assemblée délibérante ou, pour les régions et départements, sur proposition d’une mission d’information et d’évaluation (MIE).

On rappellera que les MIE sont elles-mêmes chargées de recueillir des éléments d’information sur une question d’intérêt local ou de procéder à l’évaluation d’un service public local. Les métropoles, comme tous les EPCI regroupant 20 000 habitants et plus, peuvent créer une MIE[6]. Pour autant, il n’a pas été prévu que celle-ci puisse proposer la saisine de la CRC, comme c’est le cas des MIE créées par une région ou un département. Une saisine collective est également possible de la part de collectivités territoriales (régions et département) et établissements publics (métropoles) relevant d’une même catégorie et du ressort territorial de la même CRC. Enfin, le nombre de saisines est limité à une par collectivité territoriale ou EPCI et par mandature, de même que ces derniers ne peuvent participer qu’à une saisine collective entre deux renouvellements généraux[7].

 

  • Forme de la saisine

La saisine prend la forme d’une lettre envoyée en LRAR à la CRC[8].

Elle doit indiquer le champ de la politique publique concernée et la période sur laquelle elle doit être évaluée et comprendre, pour être regardée comme complète, une note de présentation précisant les publics concernés, les résultats ou effets attendus, les volumes financiers, la liste des données et traitements relatifs à cette politique publique, lesquels doivent être disponibles sous format numérique, ainsi que l’ensemble des délibérations et rapports relatifs à cette politique publique[9]. A réception de la demande, la CRC propose un délai pour réaliser l’évaluation, lequel ne peut être supérieur à un an à compter de la date où la saisine est regardée comme complète. Le délai est ensuite arrêté au vu des éventuelles observations de l’auteur de la saisine[10]. Lorsque la CRC s’autosaisit, elle en informe l’organe exécutif et, le cas échéant, les dirigeants des organismes concernés par LRAR[11].

Dans ce cas, le délai d’un an maximum pour rendre le rapport d’évaluation court à compter de la date à laquelle l’organisme a été informé de l’intervention de la Chambre[12].

I.1.2. Procédure applicable

La procédure aboutit à l’établissement d’un rapport d’évaluation, lequel apprécie notamment les résultats et les impacts de la politique publique, ainsi que les facteurs qui les expliquent. L’appréciation porte sur la cohérence, l’efficacité et l’efficience de la politique publique concernée[13]. Elle peut faire intervenir, de deux manières différentes, des personnalités extérieures.

Il est en effet prévu, d’une part, que toute personne dont les compétences ou connaissances seraient de nature à éclairer utilement la Chambre peut être invitée à produire des observations écrites ou orales et, d’autre part, que la Chambre peut associer des personnalités extérieures aux juridictions financières, qui prennent part aux débats au sein de la formation délibérant le rapport mais ne participent pas au délibéré[14]. A cet égard, on relèvera qu’en matière d’évaluation des politiques publiques, des partenariats avec des organismes publics ou des équipes universitaires pour produire, en appui du travail des CRC, des travaux d’évaluation quantitatifs ou qualitatifs, notamment des données fournies par l’entité concernée, peuvent s’avérer pertinents.

Pour le reste, la procédure s’inspire de celle d’adoption du rapport d’observations adopté dans le cadre d’un contrôle de la gestion. Plus précisément, un rapport provisoire d’évaluation est adopté par la CRC et communiqué à l’organisme concerné, lequel dispose d’un délai fixé par la Chambre pour y apporter une réponse écrite. Un rapport définitif d’évaluation est ensuite arrêté et notifié à l’organisme. Ce rapport et les éventuelles réponses écrites apportées au rapport provisoire sont communiqués aux membres de l’organe délibérant et font l’objet d’un débat dès la plus prochaine réunion de celui-ci. Il est rendu public à l’issue de ce débat et au plus tard deux mois après sa communication à l’organisme, et communiqué au préfet[15].

La procédure diffère de celle du contrôle de la gestion en ce que le rapport d’observations définitives peut, dans ce cadre, donner lieu à une réponse écrite de l’organisme contrôlé, laquelle est ensuite annexée audit rapport et publiée avec lui[16]. En outre, en matière d’évaluation des politiques publiques, aucune procédure de suivi postérieur à l’intervention de la Chambre n’est prévu[17].

 

I.2. Avis sur les conséquences d’un projet d’investissement exceptionnel

I.2.1. Saisine de la CRC

Sont ici concernés les régions, départements, métropoles et communautés urbaines, à l’initiative du président ou sur proposition de l’organe délibérant[18]. Quant aux projets, il s’agit de ceux dont la maîtrise d’ouvrage est directement assurée par la collectivité territoriale ou l’EPCI et dont le montant total prévisionnel total des dépenses pour l’ensemble de l’opération – dépenses d’investissement liées au projet et dépenses supplémentaires de fonctionnement que celui-ci induit – est supérieur ou égal à 10 % des recettes réelles de fonctionnement du budget de l’exercice antérieur à celui au cours duquel intervient la saisine ou à cinquante millions d’euros[19]. La saisine de la CRC est accompagnée de tous documents et renseignements utiles à l’examen de la CRC, et notamment du montant prévisionnel total des dépenses[20].

I.2.2. Procédure applicable

La procédure aboutit, dans un délai de six mois maximum, à un avis motivé dans lequel la Chambre examine l’économie générale du projet et estime son incidence sur la situation financière de la collectivité territoriale ou de l’EPCI concerné. Cet avis est notifié à la collectivité territoriale ou à l’EPCI intéressé, ainsi qu’au préfet. Il donne lieu à débat de l’assemblée délibérante dès la tenue de la première réunion de cette assemblée suivant sa réception. Il est publié par la CRC à l’issue de ce débat et, au plus tard, dans un délai de deux mois suivant sa notification à la collectivité territoriale ou à l’EPCI[21].

*

Il restera à déterminer dans quelle mesure les régions, départements, métropoles, voire communautés urbaines se saisiront de ces nouvelles facultés (nombre de saisines et circonstances de celles-ci), voire si les CRC utiliseront le pouvoir d’auto-saisine conféré par le décret du 8 décembre 2022, et si le législateur étendra ou non ces dispositifs à d’autres collectivités territoriales et EPCI, notamment les communes et plus petites intercommunalités, qui ont probablement moins de moyens pour effectuer ces évaluations en interne.

 

II. Le contrôle de la gestion des ESSMS et LVA privés par les CRC[22]

 

La LFSS 2023 est venue étendre les pouvoirs de contrôle des CRC sur les ESSMS et LVA privés.

 

II.1. Retour sur l’instauration d’un contrôle des ESSMS et LVA privés par les CRC

Alors que le contrôle des CRC était limité aux établissements et services publics, la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé de 2016 a élargi ce contrôle aux personnes morales de droit privé à caractère sanitaire, social ou médico-social dont font partie les ESSMS et les LVA gérés par des personnes privées (lucratives ou non lucratives)[23].

Cet élargissement aux personnes morales de droit privé à caractère sanitaire, social ou médico-social concernait également le contrôle exercé par la Cour des comptes, parallèle à celui des CRC, qui se limitait jusqu’à alors sur les organismes subventionnés par l’État ou par une autre personne déjà soumise au contrôle de la Cour des comptes[24]. Le Conseil Constitutionnel avait alors été saisi afin qu’il se prononce sur la constitutionnalité des dispositions instaurant le contrôle de la CRC et de la Cour des comptes sur les ESSMS et les LVA privés. Les auteurs de la saisine reprochaient à ces dispositions de ne pas préciser la nature et les modalités d’exercice du contrôle pouvant être exercé par les juridictions financières.

Le Conseil Constitutionnel a considéré que le contrôle exercé par la CRC et la Cour des comptes était conforme à la Constitution relevant que « […] ces personnes morales de droit privé perçoivent des ressources publiques provenant de personnes ou d’organismes eux-mêmes soumis au contrôle de la Cour des comptes ou des CRC ; qu’ainsi, la nécessité pour l’État de contrôler l’emploi des ressources que ces personnes morales de droit privé perçoivent est de nature à justifier l’instauration d’un régime spécifique de contrôle »[25]. Il a par ailleurs rappelé que le pouvoir règlementaire se devait de veiller, au moment de déterminer et de fixer les modalités dudit contrôle, au respect des principes constitutionnels que sont notamment, la liberté d’entreprendre ou la liberté d’association des ESSMS concernés[26]. C’est ainsi qu’un décret du 12 décembre 2016[27] est venu préciser les modalités de mise en œuvre du contrôle de la CRC et de la Cour des comptes, en précisant qu’un tel contrôle ne pourrait porter que « sur les comptes et la gestion des personnes morales concernées ou sur ceux d’un ou de plusieurs de leurs établissements, services ou activités »[28].

Ainsi, si une personne morale contrôlée poursuit des activités distinctes de celles présentant un caractère sanitaire, social ou médico-social, le contrôle ne doit porter que sur les seuls établissements, services ou activités entrant dans le champ de ces deux articles[29]. C’est ce contrôle de la gestion des établissements et services privés des secteurs sanitaire, social et médico-social, par les juridictions financières, que la LFSS 2023 est venue récemment renforcer.

 

II.2. Elargissement des prérogatives des CRC en matière de contrôle des ESSMS et LVA privés

Dans le contexte de l’affaire « ORPEA » médiatisée au printemps 2022, la LFSS 2023 est venue accroitre et conforter les pouvoirs de contrôle des CRC, et par la même occasion de la Cour des comptes, sur les structures sanitaires, sociales et médico-sociales privées.

D’une part, ces juridictions ont désormais compétence pour contrôler, non plus seulement les ressources publiques perçues par ces structures privées, mais également les prestations financées par les usagers au titre de leur hébergement ou des prestations annexes ou suppléments qui leur sont facturées. Le contrôle est ainsi globalisé à l’ensemble des produits et charges de l’ESSMS ou du LVA.

D’autre part, la Cour des comptes et les CRC peuvent désormais contrôler « les personnes morales qui exercent un contrôle, au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce[30], sur les ESSMS concernés et celles qui détiennent plus de la moitié des voix dans les organes délibérants ou qui exercent, directement ou indirectement, un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion sur ces mêmes établissements et services »[31]. Le contrôle est ainsi élargi aux personnes morales distinctes du gestionnaire de l’ESSMS mais qui exercent un contrôle sur celui-ci. Cela vise par exemple l’hypothèse de la holding qui contrôle plusieurs sociétés gestionnaires d’ESSMS.

*

Cet élargissement des missions des CRC en matière de contrôle des ESSMS privés a pour objectif d’accroître la transparence dans leur gestion afin, notamment, d’enrayer d’éventuels montages juridiques et financiers empêchant le contrôle de l’ensemble des flux financiers de ces structures. C’est dans cette même perspective que la LFSS 2023 a également élargi le champ de compétences d’autres organes de contrôle, à l’instar de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ou de l’Inspection générale des finances (IGF), qui peuvent réaliser des missions de contrôle, d’audit, d’étude, de conseil et d’évaluation des ESSMS et LVA. Ces derniers ont désormais la possibilité de contrôler également leurs organismes gestionnaires, dans le cadre des activités en lien avec la gestion de ces structures, ainsi que les personnes morales qui exercent, directement ou indirectement, le contrôle conjoint ou exclusif de ces personnes morales gestionnaires.

Les modifications initiées par la LFSS 2023 témoignent ainsi de la volonté de veiller à la bonne utilisation des deniers publics et de mieux contrôler, dans une approche plus globale, la gestion budgétaire des ESSMS et des LVA privés.

 

[1] Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale

[2] Loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023

[3] Articles L. 235-1 et L. 235-2 du CJF

[4] Décret n° 2022-1549 du 8 décembre 2022 relatif à l’évaluation des politiques publiques territoriales par les chambres régionales des comptes

[5] Article R. 245-1-1 du CJF

[6] Articles L. 2121-22-1 et L. 5211-1 du CGCT

[7] Article L. 235-1 du CJF

[8] Article R. 245-1-2 du CJF

[9] Articles R. 245-1-2, R. 245-1-3 et R. 245-1-4 du CJF

[10] Article R. 245-1-5 du CJF

[11] Article R. 245-1-1 du CJF

[12] Article R. 245-1-6 du CJF

[13] Article R. 245-2-1 du CJF

[14] Articles R. 245-2-3 et R. 245-2-4 (en tous points identique à l’article R. 245-2-5) du CJF

[15] Articles L. 245-1 et R. 245-2-7 à R. 245-12 du CJF

[16] Article L. 243-5 du CJF

[17] Voir articles L. 243-9 et suivants du CJF pour le contrôle de la gestion

[18] Article L. 235-2 du CJF

[19] Articles R. 245-4-1 et R. 245-4-2 du CJF

[20] Article R. 245-24-2 du CJF

[21] Idem

[22] Ces développements concernent également les Chambres territoriales des comptes (CTC) exerçant leur missions dans les collectivités d’outre-mer (cf. article L. 262-10 du Code des juridictions financières, propre au CTC).

[23] Nos développements concernent les seuls ESSMS et LVA privés, cependant l’article L. 211-7 du Code des juridictions financières est plus large puisqu’il vise « les personnes morales de droit privé à caractère sanitaire, social ou médico-social mentionnées à l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles et à l’article L. 6111-1 du code de la santé publique et financées par une collectivité territoriale, un établissement public ou un groupement d’intérêt public relevant lui-même de la compétence de la chambre régionale des comptes ou par l’un des organismes mentionnés à l’article L. 134-1 du présent code ».

[24] Le contrôle de la Cour des comptes sur les ESSMS est prévu à l’article L. 111-7 du Code des juridictions financières

[25] Conseil Constitutionnel, 21 janv. 2016, n° 2015-727 DC

[26] Il est entendu que les ESSMS concernés sont les personnes morales de droit privées tombant sous le champ d’application de l’article L 312-1 du CASF.

[27] Décret n° 2016-1696 du 12 décembre 2016 relatif au contrôle des juridictions financières sur les établissements sociaux et médicaux-sociaux et les établissements de santé de droit privé

[28] Article R. 243-22 du Code des juridictions financières

[29] Article R. 243-23 du Code des juridictions financières

[30] Cet article prévoit quatre hypothèses où il est considéré qu’une structure en « contrôle » une autre.

[31] Article L. 211-7 du Code des juridictions financières

Loi n° 2023-23 du 24 janvier 2023 visant à permettre aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression

Dans un contexte de hausse constante des infractions commises à l’encontre des élus de la République, et dans le prolongement de la mise en œuvre d’une politique pénale prioritaire concernant ce type de faits[1], une importante Loi n°2023-23 du 24 janvier 2023 vient de paraitre au journal officiel : elle vise à conforter l’action des Parquets en renforçant et en étendant la possibilité offerte aux associations d’élus d’agir devant les Juridictions pénales comme parties civiles, au titre d’agressions commises sur des élus.

Concrètement, cette loi vient modifier l’article 2-19 du Code de procédure pénale qui prévoyait déjà, mais un cadre restreint, la possibilité pour certaines associations d’élus. Dans sa nouvelle version, le texte dispose désormais que :

« En cas d’infractions prévues aux livres II ou III du code pénal, au chapitre III du titre III du livre IV du même code ou par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse commises à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électif public en raison de ses fonctions ou de son mandat, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile, si l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou par la partie lésée, et avec l’accord de cette dernière ou, si celle-ci est décédée, de ses ayants droit :

1° Pour les élus municipaux, l’Association des maires de France, toute association nationale reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus et, sous les mêmes conditions, toute association départementale qui lui est affiliée ;

2° Pour les élus départementaux, l’Assemblée des départements de France ainsi que toute association nationale reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus et, sous les mêmes conditions, toute association qui lui est affiliée ;

3° Pour les élus régionaux, territoriaux et de l’Assemblée de Corse, Régions de France ainsi que toute association nationale reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus et, sous les mêmes conditions, toute association qui lui est affiliée ;

4° Au titre d’un de ses membres, le Sénat, l’Assemblée nationale, le Parlement européen ou la collectivité territoriale concernée.

Il en est de même lorsque ces infractions sont commises sur le conjoint ou le concubin de l’élu, sur le partenaire lié à celui-ci par un pacte civil de solidarité, sur les ascendants ou les descendants en ligne directe de celui-ci ou sur toute autre personne vivant habituellement à son domicile, en raison des fonctions exercées par l’élu ou de son mandat.

Toute fondation reconnue d’utilité publique peut exercer les droits reconnus à la partie civile dans les mêmes conditions et sous les mêmes réserves que les associations mentionnées au présent article ».

Longtemps limité à quelques associations et aux seuls élus municipaux victimes d’« injures, outrages, diffamations, menaces ou coups et blessures, à raison de leurs fonctions », le champ d’application du nouvel article 2-19 du Code de procédure pénale se trouve ainsi considérablement étendu :

  • Quant aux infractions concernées, qui couvre désormais l’ensemble des crimes et délits contre les personnes (livre II du Code pénal), les crimes et délits contre les biens (livre III du Code pénal), les atteintes à l’administration publique commises par les particuliers (Livre IV, Titre III, ch. III du même Code), ainsi que les infractions de presse issues de la loi du 29 juillet 1881, lorsqu’elles auront été commises à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électif public en raison des fonctions ou du mandat ;
  • Quant aux entités recevables à agir, pour s’étendre au-delà des associations d’élus municipaux qui ne sont plus seuls concernés par ce dispositif :
    • Si la victime est un élu municipal : l’Association des Maires de France, les associations nationales reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus, ainsi que les associations départementales d’élus qui y sont affiliées
    • Si la victime est un élu départemental : l’Assemblée des départements de France, les associations nationales reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus, ainsi que les associations départementales d’élus qui y sont affiliées
    • Si la victime est un élu régional : l’association Régions de France, les associations nationales reconnue d’utilité publique ou régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans dont les statuts se proposent d’assurer la défense des intérêts de ces élus, ainsi que les associations départementales d’élus qui y sont affiliées

Par ailleurs, le Sénat, l’Assemblée nationale, le Parlement européen ou une collectivité territoriale sera recevable à se constituer partie civile, lorsque que « l’un de [ses] membres » sera victime de l’une des infractions précédemment énumérées.

Ces entités pourront désormais exercer l’action civile au titre des infractions précitées dont un élu ou l’un de ses « membres » serait personnellement victime, mais également son conjoint, son concubin, son partenaire de PACS, ses ascendants ou descendants en ligne directe ou toute autre personne vivant habituellement à son domicile.

Principale limite posée, cette action ne pourra être opérée que par voie d’intervention, le texte la subordonnant à l’existence de poursuites préalablement mises en œuvre par le Parquet ou l’élu concerné.

En tout état de cause, l’action ne pourra être reçue qu’après avoir obtenu l’accord de l’élu lésé (ce qui était déjà le cas en 2016) ou du « membre » lésé, ou de leurs ayants droits s’il est décédé).

____

[1] Voir notamment la circulaire du 7 septembre 2020 relative au traitement judiciaire des infractions commises à l’encontre des personnes investies d’un mandat électif et au renforcement du suivi judiciaire des affaires pénales les concernant, http://www.presse.justice.gouv.fr/art_pix/2020.07.09%20-%20Circulaire%20PP%20Elus.pdf

Cour de Justice de l’Union Européenne : des précisions utiles apportées sur le régime de la quasi-régie conjointe et sur le contrôle analogue qui n’ont pas d’incidence sur la situation des structures in house en France (sociétés publiques locales,….)

Par une décision du 22 décembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue compléter les règles encadrant la quasi-régie, notamment celles applicables au contrôle analogue, en considérant que l’exigence tenant à ce qu’un pouvoir adjudicateur (A) soit représenté au sein des organes décisionnels de la personne morale contrôlée (C) n’est pas réunie du seul fait que siège au conseil d’administration de la personne morale contrôlée le représentant d’un autre pouvoir adjudicateur (B) qui fait également partie du conseil d’administration de ce premier pouvoir adjudicateur (A).

S’agissant du contexte de cette affaire belge, rappelons que la commune de Farciennes et la SLSP Sambre & Biesme (société publique dont la commune de Farciennes est actionnaire aux côtés d’une autre commune), ont envisagé de confier un contrat-cadre devant répondre à leurs besoins communs en matière, entre autres, d’assistance à maîtrise d’ouvrage à l’Igretec, laquelle est une société coopérative composée exclusivement de personnes morales de droit public parmi lesquelles figurent la commune de Farciennes. Après être devenue associée de l’Igretec, la SLSP a donc confié ce contrat-cadre, conjointement avec la commune de Farciennes, à l’Igretec, sans mesure préalable de publicité et de mise en concurrence en vertu de l’exception de la quasi-régie, ce qui a été annulé par l’autorité de tutelle de la SLSP au motif d’une absence de relation de quasi-régie entre cette société et l’Igretec.

Si, en l’espèce, la commune disposait bien d’un représentant au sein du conseil d’administration de l’Igretec, la SLSP, certes associée de l’Igretec, n’en disposait toutefois quant à elle pas. Pourtant, la SLSP a tenté de se prévaloir du fait que siégeait au conseil d’administration de l’Igretec un conseiller communal de la commune de Farciennes qui était, en même temps, administrateur de la SLSP pour tenter de démontrer qu’elle exerçait bien un contrôle analogue sur l’Igretec.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat belge, saisi de la décision de l’autorité de tutelle, a lui-même saisi la CJUE de plusieurs questions préjudicielles et, notamment, de la question suivante :

« L’article [12, paragraphe 3,] de la directive [2014/24] doit-il être interprété en ce sens que la condition pour un pouvoir adjudicateur, en l’occurrence une société de logement de service public, d’être représenté au sein des organes décisionnels de la personne morale contrôlée, en l’occurrence une société coopérative intercommunale, est remplie au seul motif qu’une personne siégeant au sein du conseil d’administration de cette société coopérative intercommunale en sa qualité de conseiller communal d’un autre pouvoir adjudicateur participant, en l’occurrence une commune, se trouve, en raison de circonstances exclusivement factuelles et sans garantie juridique de représentation, être également administrateur au sein de la société de logement de service public tandis que la commune est actionnaire (non exclusif) tant de l’entité contrôlée (société coopérative intercommunale) que de la société de logement de service public ? ».

Afin d’y répondre, la CJUE a tout d’abord rappelé les règles applicables à la quasi-régie conjointe et, logiquement, la condition suivante : « les organes décisionnels de la personne morale contrôlée sont composés de représentants de tous les pouvoirs adjudicateurs participants, une même personne pouvant représenter plusieurs pouvoirs adjudicateurs participants ou l’ensemble d’entre eux » (article 12.3, second alinéa, point i de la directive 2014/24).

La CJUE a néanmoins retenu que la condition précitée n’était pas satisfaite au cas d’espèce car, d’une part, la SLSP ne disposait d’aucun représentant au sein du conseil d’administration de l’Igretec et, d’autre part, le conseiller municipal de la commune siégeait certes au conseil d’administration de la SLSP mais ne siégeait au conseil d’administration de l’Igretec qu’en tant que représentant de la commune.

Enfin, répondant à la question précédemment rappelée, la CJUE a considéré que « l’article 12, paragraphe 3, second alinéa, sous i), de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que, afin d’établir qu’un pouvoir adjudicateur exerce, conjointement avec d’autres pouvoirs adjudicateurs, un contrôle sur la personne morale adjudicataire analogue à celui qu’ils exercent sur leurs propres services, l’exigence visée à cette disposition, tenant à ce qu’un pouvoir adjudicateur soit représenté dans les organes décisionnels de la personne morale contrôlée, n’est pas satisfaite au seul motif que siège au conseil d’administration de cette personne morale le représentant d’un autre pouvoir adjudicateur qui fait également partie du conseil d’administration du premier pouvoir adjudicateur ».

L’exigence de représentation n’est ainsi pas reconnue lorsque ladite représentation est trop indirecte. Est-ce à dire que toute forme de représentation indirecte serait critiquable ?

En droit national, le code général des collectivités territoriales prévoit la possibilité pour les sociétés d’économie mixte (SEM) et les sociétés publiques locales (SPL), de mettre en place une assemblée spéciale réunissant les actionnaires minoritaires ne disposant pas, chacun, d’un représentant au sein du conseil d’administration ou de surveillance de la société, qui sont  en revanche représentés par un ou plusieurs  représentants communs au conseil d’administration ou au conseil de surveillance.

Ainsi, dans le cas d’une SPL, attributaire directe de contrats de la commande publique, la question peut se poser du respect de la condition d’un contrôle analogue par les actionnaires de la société représentés au sein d’une assemblée spéciale.

Néanmoins, le recours à une assemblée spéciale ne correspond pas au mécanisme ayant été analysé par la CJUE puisque chaque actionnaire a bien un ou plusieurs représentants, même s’ils sont réunis dans ladite assemblée spéciale, dans les organes décisionnels de la personne morale contrôlée. Au demeurant, ce mécanisme est conforme à la règle de l’article 12.3 de la directive 2014/24 telle que rappelée par la CJUE dans sa décision, selon laquelle une même personne peut représenter plusieurs pouvoirs adjudicateurs ou l’ensemble d’entre eux au sein des organes décisionnels de la personne morale contrôlée.

Thomas Rouveyran, avocat associé et Yvonnick Le Fustec, avocat, Seban Avocats

Edito : loi relative au droit des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner, 20 ans après

Adoptée consécutivement à la loi en date du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, la loi du 4 mars 2002 dite loi Kouchner, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, a fêté ses 20 ans le 4 mars 2022.

Fruit d’une mobilisation intense de la part des associations du secteur et des usagers, cette loi avait vocation à être davantage protectrice des droits des malades et des usagers du système de santé en leur consacrant de nouveaux droits, rééquilibrant ainsi les relations patients-médecins.

Plus largement, en plaçant le malade au cœur des soins, cette loi se destinait à la mise en œuvre d’une véritable démocratie sanitaire, se voulant a fortiori à l’époque comme une loi décisive et en rupture pour l’ensemble du secteur. Bien que certains droits étaient déjà reconnus avant son adoption, tant par la jurisprudence que par les textes règlementaires ou législatifs, cette loi visait à renforcer le secteur sanitaire dans son ensemble.

Engagés aux côtés des acteurs du domaine sanitaire, social et médico-social, en ce début d’année, nous avons souhaité dédier le sujet du mois de notre Lettre d’Actualités Juridiques à la loi Kouchner et aux évolutions juridiques qui lui ont succédé. Un bilan sans doute inachevé et qui appelle de nouvelles réformes.

Ce bilan est abordé ci-après sous deux aspects :

  • Loi Kouchner : quel bilan après 20 ans ?
  • Droits des patients et déontologie – Les refus de soin.

 

Dans cette Lettre d’Actualités Juridiques, retrouvez l’analyse de nos avocats :

Marie-Hélène PACHEN-LEFEVRE, Jean-Carles GRELIER et Caroline LANTERO, Avocats en charge des activités de droit de la santé, avec la participation de Doriane PILARD, alternante en Master II Droit sanitaire et social à Paris I

De l’importance pour un locataire de demander l’autorisation à son bailleur de réaliser des travaux

Cet arrêt récent rendu par la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 25 oct. 2022, n° 20/03687) a rappelé l’importance pour un locataire de demander à son bailleur l’autorisation d’effectuer des travaux. En effet, en l’espèce, la pièce à usage de sanitaires était équipée d’un W-C à la turque. Le locataire avait alors demandé et obtenu du bailleur l’autorisation de le remplacer par une cuvette anglaise.

Par la suite, diverses modifications ont été apportées à ce cabinet de toilettes sans autorisation du bailleur ni de la copropriété. La locataire avait notamment installé une douche à l’italienne sur un socle en béton de 24 cm d’épaisseur et ce, sans aucune autorisation. Le bailleur a alors assigné le locataire aux fins de résiliation du bail pour manquement grave à ses obligations.

L’expert judiciaire alors mandaté avait conclu que ces travaux n’étaient pas conformes aux règles de l’art et ne relevaient pas de simples travaux d’embellissement. Ainsi, la Cour d’appel a pu juger que ces importants travaux, réalisés sans autorisation du bailleur, et qui n’étaient pas conformes en ce que l’ensemble des canalisations étaient encastrées sous une volumineuse chape de béton, constituaient un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail et ainsi ordonné l’expulsion du locataire.

Rappel, s’il en faut, de l’importance de respecter les dispositions contractuelles du bail pour le locataire et plus particulièrement de l’autorisation de son bailleur avant d’effectuer des travaux.

Responsabilité pénale en cas d’accident du travail : précisions sur l’obligation particulière de sécurité ou de prudence nécessaire à la caractérisation d’une faute délibérée

Cass. Crim., 8 février 2022, n° 21-83.708

Par deux arrêts des 8 février et 21 juin 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a apporté des précisions sur la notion d’obligation particulière de sécurité ou de prudence, composante de la faute délibérée prévue à l’article 121-3 du Code pénal.

Pour mémoire, l’article 121-3 du Code pénal consacre, en son premier alinéa, le principe selon lequel « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».

En matière d’atteintes involontaires à l’intégrité physique toutefois, la responsabilité pénale des personnes morales peut être engagée en cas de « faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait » (art. 121-3 alinéa 3).

Il en est de même des personnes physiques, lorsque leur faute a directement causé le dommage – i.e. l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, le cas échéant mortelle. Lorsque ce lien de causalité est indirect, en revanche, la nature de la faute diffère sensiblement.

Dans le cas où une personne physique n’a pas causé directement le dommage, mais a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, sa responsabilité pénale pourra être engagée s’il est établi qu’elle a (article 121-3 alinéa 4 du Code pénal) :

  • « soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement» ;
  • « soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer».

C’est à ce titre, et plus particulièrement au sujet de cette première typologie de faute qualifiée (i.e. la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence) que les deux arrêts des 8 février et 21 juin 2022 apportent d’utiles éclaircissements.

La première affaire portait sur le décès d’un matelot tombé en mer, entraîné par un orin relié aux engins de pêche, alors qu’il employait une nouvelle technique de pêche aux nasses.

Son employeur avait été condamné par le Tribunal correctionnel pour avoir involontairement causé sa mort par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence, notamment en ne dispensant aucune formation aux nouvelles techniques de travail ; le prévenu interjetait appel de cette décision.

Par un arrêt en date du 18 mai 2021, la Cour d’appel de Rennes avait confirmé cette condamnation en considérant que « l’inadaptation du plan de travail dédié au filage des lignes de nasses, l’insuffisance des moyens précis et sérieux proposés par l’employeur pour remédier au risque de se faire entraîner par des engins de pêche et l’absence totale de formation à la sécurité […] a engendré des conditions d’exercice de travail dangereuses pour la victime, ayant rendu possible sa chute et sa disparition en mer ».

En reprenant ces constatations de fait de la Cour d’appel, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a, dans son arrêt du 8 février 2022, opéré une requalification de la faute délibérée en faute caractérisée, la juridiction d’appel n’ayant pas caractérisé la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.

Dans la seconde affaire, une société et son mécanicien de bord étaient renvoyés devant le Tribunal correctionnel notamment du chef de blessures involontaires avec incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence (article 222-20 du Code pénal), à la suite d’un accident de travail dont a été victime un salarié à bord d’un navire de pêche.

Pour déclarer coupables la société et le mécanicien de cette infraction, l’arrêt d’appel avait retenu que le salarié, victime de l’accident, n’avait reçu aucune formation pratique et appropriée, que « l’obligation de formation et d’information est une obligation de sécurité prévue par la loi et le règlement » et que « cette absence de formation à la sécurité constitue une faute caractérisée ayant exposé la victime à une situation dangereuse de la part de la société et démontre une volonté délibérée de violer une obligation particulière de sécurité de la part du mécanicien de bord ».

Dans son arrêt du 21 juin 2022, la Cour de cassation censure ce raisonnement.

Elle rappelle d’une part, que « l’article 222-20 du Code pénal ne qualifie de délit les blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d’une durée inférieure ou égale à trois mois qu’en cas de manquement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, de sorte qu’il n’est pas possible de retenir que les manquements constatés constituent une faute caractérisée ».

La Cour de cassation fait une lecture rigoureuse de l’article 222-20 du Code pénal, en soulignant que la lettre du texte suppose la caractérisation d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement et non pas d’une faute caractérisée.

D’autre part, la Cour de cassation relève que les articles L. 4141-1 et L. 4141-2 du Code du travail ne comportent que des obligations générales de prudence et de sécurité relatives à l’organisation par l’employeur d’une formation aux travailleurs.

Or, la faute délibérée suppose la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Dès lors que les obligations prévues par les articles du Code du travail susvisés constituent des obligations générales, le défaut de formation ne saurait caractériser une faute délibérée et consommer le délit de l’article 222-20 du Code pénal.

Ainsi, ces deux arrêts démontrent d’abord que les juges peuvent apprécier la nature de la faute non intentionnelle – notamment en requalifiant une faute délibérée en faute caractérisée – à condition toutefois que le texte de l’infraction prévoie les deux types de fautes ou renvoie à l’article 121-3 du Code pénal.

Une telle requalification est possible pour des faits d’homicide involontaire mais ne peut l’être pour le délit de blessures involontaires avec incapacité totale de travail inférieure ou égale à trois mois, tel que prévu à l’article 222-20 du Code pénal.

Cette dernière infraction suppose par ailleurs la caractérisation d’une faute délibérée, laquelle nécessite de déterminer l’obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement qui a été violée.

La marque de garantie, un outil supplémentaire de valorisation des collectivités

Définie à l’article L.715-1 du Code de propriété intellectuelle, la marque de garantie est un signe permettant de distinguer les produits ou services qu’elle désigne, « pour lesquels la matière, le mode de fabrication ou de prestation, la qualité, la précision ou d’autres caractéristiques sont garantis ».

On peut relever à titre d’exemple, la marque d’Etat semi-figurative « Destination pour tous », valorisant une destination touristique accessible et inclusif, ou encore la marque figurative « Taravu, una vaddi in lascita, une vallée en héritage » appartenant à la collectivité de Corse.

En effet, les marques de garantie constituent un moyen supplémentaire permettant de valoriser le territoire et les savoir-faire locaux, en fournissant une garantie particulière, notamment de fabrication ou de qualité.

Les nouvelles marques de garantie peuvent appartenir à toute personne morale de droit public, sous réserve qu’elle n’exerce pas d’activité de fourniture des produits ou services garantis.

La marque de garantie est désignée comme telle dès le stade de son dépôt auprès de l’INPI, et doit être accompagnée d’un règlement d’usage comprenant les éléments suivants (R. 715-1 CPI) :

  • Le nom du titulaire de la marque, la représentation de la marque et les produits/services désignés ;
  • Une déclaration de conformité aux exigences de l’article L. 715-2 ;
  • Les caractéristiques des produits ou services que la marque garantit ;
  • Les personnes autorisées à utiliser la marque ;
  • Les conditions d’usage de la marque et les sanctions ;
  • Le cas échéant, le nom, le numéro d’accréditation et l’attestation d’accréditation du ou des organismes de certification ;
  • La manière dont la personne délivrant la garantie vérifie les caractéristiques des produits et services et surveille l’usage de la marque.

Il n’est pas nécessaire aux entreprises ou personnes souhaitant utiliser cette marque de garantie de contractualiser, la simple conformité au règlement d’usage permettant le recours à cette marque.

Il reste cependant possible, voir recommandé, de prévoir une obligation de déclaration d’utilisation au sein même du règlement, de sorte que le titulaire de la marque de garantie puisse avoir un contrôle minimum sur l’utilisation qui en est faite.

Entente : Modalités de retrait d’une entente constituée entre établissements publics de coopération intercommunale

Dans une question écrite au Ministère auprès du Ministre de l’Intérieur et des outre-mer et du Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité en date du 21 juillet 2022, la problématique des conditions de sortie des ententes constituées de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) a été posée.

Pour rappel, la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a permis aux EPCI et aux syndicats mixtes d’intégrer le régime des ententes intercommunales. Les EPCI peuvent ainsi créer des ententes entre eux ou avec des syndicats mixtes et des communes. Dès lors, le régime juridique des ententes entre communes, EPCI et/ou syndicats mixtes est défini par les articles L. 5221-1 et L. 5221-2 du Code général des collectivités territoriales.

Dans sa réponse du 29 décembre 2022, le Ministère rappelle que le Code général des collectivités territoriales ne prévoit aucune disposition particulière sur les conditions de retrait des ententes constituées entre EPCI.

Ainsi, la réponse du ministère énonce, dans un premier temps, qu’il faut se référer aux conditions de retrait prévues par la convention formalisée au moment de la constitution de l’entente. Si la convention ne prévoit pas de disposition particulière, le ministère prévoit, dans un second temps, que l’accord des parties devra être sollicité conformément à l’article L. 5221-2 du CGCT. En effet, aux termes de cet article, l’ensemble des décisions de l’entente sont prises à l’unanimité des organes délibérants des collectivités et groupements membres : «les questions d’intérêt commun sont débattues dans des conférences dont la composition est définie par convention entre les communes, établissements publics de coopération intercommunale et syndicats mixtes intéressés. […] Les décisions qui y sont prises ne sont exécutoires qu’après avoir été ratifiées par tous les conseils municipaux, organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale ou des syndicats mixtes intéressés et sous les réserves énoncées aux titres Ier, II et III du livre III de la deuxième partie ».

Transfert de compétence : Réaffirmation de la règle de l’absence de transfert des créances résultant d’un contrat conclu par la commune et venu à expiration avant le transfert

En cas de transfert de compétence d’une commune à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), se pose régulièrement la question du transfert des créances qui résultent des contrats conclus par la commune et venus à expiration avant le transfert de la compétence.

Dans une décision de 2014, le Conseil d’Etat avait indiqué que s’il résulte des dispositions de L. 5211-17 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) que le transfert de compétences à l’EPCI implique le transfert des biens, équipements et services nécessaires à l’exercice de ces compétences ainsi que les droits et obligations qui leur sont attachés, ces dispositions n’avaient toutefois « ni pour objet ni pour effet d’inclure les créances qui résultent de contrats conclus par la commune et venus à expiration avant le transfert » (CE, 3 décembre 2014, Société Citelum, n° 383865). Le Conseil d’Etat justifiait sa position en considérant qu’aucune disposition ne prévoit le transfert de telles créances à l’EPCI nouvellement compétent.

La Cour administrative d’appel de Marseille a eu l’occasion de rappeler cette règle dans un arrêt récent du 12 décembre 2022 s’agissant de la Métropole Aix-Marseille-Provence.

Dans cette affaire, la commune de Vitrolles soutenait que la demande de la société présentée à son encontre était mal dirigée dans la mesure où elle avait transféré sa compétence en matière de gestion des eaux pluviales à la Métropole le 1er janvier 2018 et que ce transfert avait entrainé de plein droit le transfert des biens, équipements et services nécessaires à l’exercice de cette compétence en application de l’article L. 5217-5 du CGCT.

Toutefois, la Cour administrative d’appel, après avoir constaté qu’à cette date le contrat avait été entièrement exécuté, a jugé que la commune n’était pas fondée à soulever une telle exception.

En effet, elle a rappelé que le transfert à la Métropole des droits et obligations attachés aux biens mis à disposition en application de l’article L. 5217-5 du CGCT ne s’étendait pas aux créances qui résultent de contrats conclus par la commune et venus à expiration avant le transfert.

Démarches administratives des associations : le nouveau guichet unique des formalités des professionnels obligatoire au 1er janvier s’applique également à elles

Issu de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite « loi PACTE »), le guichet unique des formalités des professionnels est une nouvelle plateforme qui accompagne les entreprises et les associations dans la déclaration de leurs formalités.

Ce guichet unique est devenu obligatoire depuis le 1er janvier 2023.

Opéré par l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), ce guichet unique remplace les six réseaux de Centres de Formalités des Entreprises (CFE) qui étaient gérés par les chambres de commerce et d’industrie, les chambres de métiers et de l’artisanat, les chambres d’agriculture, les greffes, les URSSAF et les services des impôts des entreprises. Les ressources de ces institutions sont désormais mutualisées au sein du guichet unique, qui s’est également substitué aux sites internet sur lesquels s’effectuaient des formalités (CFE métiers, lautoentrepreneur.fr, cfr.urssaf.fr et Infogreffe).

Les associations employant du personnel, qui dépendaient jusqu’alors du CFE des Urssaf auprès duquel elles effectuaient leurs démarches administratives, sont donc également concernées par ce changement. Elles devront désormais effectuer leurs démarches auprès du guichet unique.

Ce registre sera directement alimenté par le guichet unique des formalités d’entreprises. Les données renseignées par les déclarants, créateurs et chefs d’entreprise, lors de la réalisation de leurs formalités, seront automatiquement transmises. Ce nouveau site internet, accessible à l’adresse www.registre.entreprises.gouv.fr, sera le site de référence de l’État pour les informations relatives aux entreprises ayant une activité sur le territoire national. Ses données seront disponibles gratuitement.

Le guichet unique permet également de réaliser les formalités de modification de la situation de son entreprise, et en cas de cessation d’activité, de la radier auprès des organismes concernés. Les organismes compétents (Insee, services sociaux et fiscaux, greffes de tribunaux de commerce, chambres consulaires, etc.) traitent les informations reçues.

Le chef d’entreprise (dirigeant ou micro-entrepreneur) peut réaliser lui-même la déclaration des formalités, ou bien déléguer cette tâche à un salarié. Il peut également confier cette mission à toute autre personne grâce à un contrat de mandat. Une copie de l’acte de délégation ou du mandat devra être transmise lors de la réalisation de la formalité sur le site.

Le site Infogreffe, utilisé pour les formalités des sociétés commerciales, reste à la disposition des entreprises immatriculés au RCS afin d’obtenir un extrait Kbis ou des documents.

Arrêt « Yuka » : sur l’équilibre entre devoir d’alerte et concurrence déloyale

« Yuka » est une application mobile développée par la société Yuca S.A.S., qui permet de scanner les produits alimentaires et cosmétiques pour décrypter leur composition et obtenir une information sur l’impact du produit sur la santé, notamment en leur attribuant une note de 0 à 100 et un commentaire « excellent, bon, médiocre ou mauvais ».

Dans un contentieux l’opposant au fabricant de charcuterie ABC Industrie, la société Yuca s’est vu reprocher d’avoir classé les jambons de ce fabricant comme « mauvais », compte tenu notamment de la présence de nitrites de sodium, additifs prolongeant la durée de conservation des charcuteries. En scannant le code barre de ces jambons sur l’application, il apparaissait la note de 9/100 ainsi qu’un bandeau renvoyant à signer une pétition pour l’interdiction des nitrites présentés comme des « additifs favorisant l’apparition du cancer colorectal et de l’estomac ».

Estimant que la société Yuca s’était rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses et déloyales, de fautes par dénigrement et d’appel au boycott, la société ABC Industrie l’a assignée devant le Tribunal de commerce d’Aix-en-Provence afin de la faire condamner au paiement de dommages-intérêts et obtenir diverses mesures d’interdiction et de publication.

Par un jugement en date du 13 septembre 2021, le Tribunal a donné raison au demandeur en jugeant que Yuca avait exercé une pratique commerciale déloyale et trompeuse au préjudice de ABC Industrie, et qu’elle avait par ailleurs commis des actes de dénigrement. Le Tribunal a ainsi condamné Yuca au paiement de la somme de 25.000 € au titre de dommages et intérêts, à supprimer « tout contenu trompeur ou dénigrant » sur les jambons fabriqués par ABC Industrie, et à retirer les mentions relatives aux risques de cancer liés à l’usage de nitrites dans la charcuterie. Pour ce faire, le Tribunal s’est fondé sur l’article L. 121-1 du Code de la consommation, aux termes duquel il est prévu qu’ « une pratique commerciale est considérée comme déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service ». La société Yuca a interjeté appel de ce jugement.

Par son arrêt en date du 8 décembre 2022, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé le jugement de première instance dans l’intégralité de ses dispositions. La Cour a considéré, en premier lieu, que la mauvaise note attribuée aux jambons était étayée par des « critères parfaitement explicités au consommateur sur l’application », ce qui permet d’écarter la responsabilité de Yuca sur la base de l’article L.121-1 du Code de la consommation.

La Cour a également infirmé le jugement du Tribunal de commerce d’Aix-en-Provence sur les faits de pratique commerciale trompeuse, « le caractère mensonger des allégations et indications lui étant reproché ne concernant pas des services par elle proposés, mais des produits fabriqués par un tiers ».

Par ailleurs, s’il n’est pas contesté que la responsabilité extracontractuelle de Yuca pour dénigrement puisse être recherchée même en l’absence d’une concurrence directe et effective avec la société ABC Industrie (l’activité de Yuca visant avant tout à informer le consommateur et l’aider dans ses choix), la Cour a retenu que l’application Yuka « explicite les modalités de sa notation et de son appréciation et il ne résulte d’aucun document qu’elle ait en l’espèce violé ces modalités afin de créer un préjudice particulier à l’encontre de la société ABC ».

La Cour a enfin relevé qu’ « en diffusant les informations telles que portées sur son application, la société Yuca n’a pas outrepassé la liberté d’expression qui lui est reconnue par les textes à valeur constitutionnelle et conventionnelle » pour en déduire que Yuca est fondée, à ce titre, à proposer à ses utilisateurs de signer une pétition qui « entre de toute évidence dans le cadre de la liberté d’expression, rappel étant fait que l’interdiction des nitrites est un sujet de débat public ».

En conséquence, la Cour a débouté ABC Industrie de l’intégralité de ses demandes et l’a condamnée à verser à Yuca la somme de 20.000 € au titre de ses frais de justice (article 700 du Code de procédure civile).*

Cette décision est une première victoire judiciaire pour Yuca, après plusieurs condamnations en première instance dans des dossiers similaires. Il s’agit également de la reconnaissance du rôle des opérateurs privés dans les débats d’intérêt général et de leur pouvoir d’alerte, les juges admettant ainsi qu’une entreprise à but lucratif puisse critiquer un produit alimentaire et alerter sur son impact sur la santé, quand bien même la composition de ce produit serait conforme à la réglementation en vigueur.

Yuca a également interjeté appel de deux autres jugements ayant prononcé sa condamnation (TC Paris, 25 mai 2021, n° 2021001119 ; TC Brive-la-Gaillarde, 24 septembre 2021, n° 2021F00036), dont les audiences en appel auront lieu dans les prochains mois. Il sera intéressant d’observer si les juges suivront dans ces affaires la même voie que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.

L’Etat condamné à rembourser les frais exposés par un département pour l’hébergement d’urgence de familles vulnérables

Le département du Puy-de-Dôme a engagé la responsabilité de l’Etat en vue d’obtenir le remboursement des sommes qu’il a engagées, entre 2012 et 2016 au titre de la prise en charge des frais d’hébergement d’urgence de 102 familles vulnérables. Le Conseil d’Etat, par un arrêt en date du 22 décembre 2022, a rappelé à l’Etat ses obligations en matière d’hébergement d’urgence et l’a condamné à verser au département du Puy-de-Dôme la somme de 1.272.464 euros.

 

En vertu des articles L. 121-7 et L. 345-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), il revient à l’Etat de prendre en charge les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des familles qui connaissent de graves difficultés (notamment économiques ou de logement).

Le département, quant à lui, doit prendre en charge les femmes enceintes et les mères isolées avec enfants de moins de 3 ans qui ont besoin d’un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu’elles sont sans domicile (4° de l’article L. 222-5 du CASF). Par ailleurs, l’article L. 222-2 du CASF prévoit la compétence du département, au titre de l’aide sociale à l’enfance, pour le versement de l’aide à domicile aux parents de l’enfant lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l’exigent et, pour les prestations financières, lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes.

Par une requête indemnitaire, le département du Puy-de-Dôme a recherché la responsabilité de l’Etat du fait de sa carence fautive dans la mise en œuvre de sa compétence en matière d’hébergement d’urgence considérant que les frais d’hébergement d’urgence qu’il avait dû assumer entre 2012 et 2016 pour 102 familles vulnérables ne relevaient pas de ses obligations en la matière mais de celles de l’Etat au visa des articles L. 121-7 et L. 345-1 du CASF.

Le Conseil d’Etat est ainsi venu confirmer la décision de la Cour administrative d’appel de Lyon qui a considéré que la carence avérée et prolongée de l’Etat à prendre en charge des familles relevant de l’hébergement d’urgence était caractérisée dans la mesure où les familles remplissaient les critères légaux pour être accueillies dans des centres d’hébergement et de réinsertion sociale. La Cour a condamné l’Etat à rembourser au département du Puy-de-Dôme la somme de 1.272.464 euros.

Les juges d’appel ont considéré qu’il incombe à l’Etat de prendre en charge les mesures d’aide sociale relatives à l’hébergement des familles qui connaissent de graves difficultés, à l’exception des femmes enceintes et des mères isolées avec enfants de moins de trois ans dont la prise en charge incombe au département au titre de l’aide sociale à l’enfance.

Ils ont par ailleurs rappelé que le département avait une compétence supplétive en matière d’hébergement des familles qui connaissent de graves difficultés[1] et que la compétence de l’Etat en matière d’hébergement d’urgence n’excluait pas « l’intervention supplétive du département par la voie d’aides financières [aide à domicile] destinées à permettre temporairement l’hébergement des familles lorsque la santé des enfants, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation l’exigent ». Ainsi, un département ne peut légalement refuser à une famille avec enfants l’octroi ou le maintien d’une aide entrant dans le champ de ses compétences au seul motif qu’il incombe en principe à l’Etat d’assurer leur hébergement. Cependant, cette compétence supplétive n’impose pas aux départements de prendre définitivement à leur charge des dépenses qui incombent à l’Etat. Les départements peuvent donc se tourner vers l’Etat afin de demander le remboursement des sommes exposées par lui, en lieu et place de l’Etat, ce qu’a fait le département du Puy-de-Dôme, à notre connaissance, de manière inédite.

En conclusion, si les départements doivent intervenir afin de permettre l’hébergement de familles sans logement, il revient in fine à l’Etat, qui n’est pas parvenu à créer assez de places d’hébergement dans les divers dispositifs d’hébergement d’urgence des familles avec enfants qu’il gère, de payer cet hébergement. Les finances départementales ne doivent pas compenser définitivement la carence de l’Etat dans l’exercice des missions qui relèvent de sa compétence en matière d’hébergement d’urgence.

 

[1] A ce sujet voir CE, 30 mars 2016, département de la Seine-Saint-Denis, req n° 382437