Nouvelle confirmation de la légalité d’un règlement de voirie imposant un diagnostic d’amiante à la charge du concessionnaire de la distribution de gaz

Dans une décision du 13 décembre 2019, la Cour administrative d’appel de Marseille (ci-après, « la Cour ») a notamment confirmé la possibilité d’imposer aux occupants du domaine public, dans le règlement de voirie, l’obligation de procéder à des diagnostics d’amiante

Dans le litige qui lui était soumis, la société GRDF contestait, notamment, l’article 27 du règlement de voirie du département du Gard qui imposait aux intervenants sur son domaine public routier « de vérifier, à leurs frais, l’absence d’amiante dans les chaussées avant de réaliser des travaux qu’ils ont eux-mêmes décidé pour accomplir leur mission de gestionnaire de réseaux, sous leur propre maîtrise d’ouvrage ».

La société requérante, en l’espèce, GRDF, contestait cette disposition du règlement de voirie estimant qu’elle lui imposait une charge excessive et portait atteinte excessive au droit d’occupation du domaine public, et serait contraire au principe de pollueur-payeur notamment.

La Cour a rejeté les conclusions tendant à l’annulation de l’article 27 du règlement de voirie en cause et en écartant tous les moyens soulevés par GRDF.

Le juge administratif rappelle, tout d’abord, que les autorités compétentes peuvent valablement adopter un règlement de voirie lequel a pour objet de subordonner l’occupation du domaine public par les gestionnaires de réseaux aux conditions indispensables à la protection du domaine public, le tout sans être une charge ni une atteinte excessive au droit d’occupation du domaine public.

La Cour a ensuite écarté le moyen tiré de la méconnaissance du Code du travail, considérant que l’article 27 du règlement de voirie ne fait que rappeler la réglementation en matière de prévention des risques et de sécurité des chantiers et n’a pas pour objet d’imposer aux intervenants des obligations pesant sur le Département en sa qualité d’employeur.

La Cour a également écarté le moyen tiré de la violation du Code de l’environnement et plus précisément du principe de pollueur payeur dans la mesure où l’article 27 du règlement de voirie litigieux se borne à imposer la réalisation d’une étude préalable mais est étranger au régime de traitement et gestion des déchets générés par les travaux et à la détermination du débiteur final du coût de ce traitement. Elle écarte également le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions relatives aux installations classées dans la mesure où aucune installation classée est en cause en l’espèce.

La Cour a encore écarté le moyen tiré du non-respect du principe d’égalité devant les charges publiques dans la mesure où les intervenants sur le domaine public sont placés dans la même situation au regard de l’obligation de réaliser un diagnostic.

Cette solution retenue par la Cour est conforme à la jurisprudence antérieure. En effet, plusieurs Cour administratives d’appel et tribunaux administratifs ont reconnu la légalité de plusieurs règlements de voirie imposant aux sociétés concessionnaires de détecter la présence d’amiante préalablement à la réalisation de travaux, en retenant le même raisonnement que la Cour administrative d’appel de Marseille en l’espèce (voir CAA de Nantes, 16 juin 2017, Société GRDF et société ENEDIS, n° 16NT01065 et 16NT01066, voir notre commentaire dans la lettre d’actualité énergie environnement du mois de juillet 2017 et CAA de BORDEAUX, 28 Mars 2019,société GRDF, n° 17BX00536).

Raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité : de nouvelles règles posées par la CRE

Parmi les compétences de la Commission de Régulation de l’Energie, figure celle de fixer des règles d’élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité.

Ces règles sont particulièrement importantes en pratique pour les utilisateurs des réseaux, puisqu’elles déterminent la qualité et l’efficacité des procédure de raccordement aux réseaux publics d’électricité mises en œuvre par les gestionnaires des réseaux, et ce d’autant plus dans le contexte actuel où la transition énergétique est un enjeu majeur

Ces règles résultaient jusqu’à présent d’une délibération de la CRE du 25 avril 2013[1], qui avait légèrement été modifiée en 2018 et 2019.

Considérant toutefois qu’il était nécessaire de réexaminer en profondeur les conditions de raccordement aux réseaux public d’électricité afin de s’adapter aux nouveaux besoins des utilisateurs des réseaux, la CRE avant lancé une consultation sur le sujet dans le courant de l’année 2019.

C’est donc dans le prolongement de cette consultation que la CRE a publié une nouvelle délibération portant décision sur les règles d’élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité et le suivi de leur mise en œuvre.

Plusieurs sujets importants sont traités dans cette délibération, en particulier celui relatif aux obligations du GRD envers les collectivités en charge de l’urbanisme (CCU) et celui de la transparence des Propositions Techniques et Financières (PTF) :

 

  • le raccordement des nouveaux usages, tels que le stockage, les infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE), les autoconsommateurs, et plus généralement tout utilisateur du réseau pouvant à la fois injecter et soutirer ;
  • les opérations de raccordement intelligentes (ORI) ;
  • les demandes anticipées de raccordement ;
  • les obligations du GRD envers la collectivité en charge de l’urbanisme (CCU) lorsque cette dernière est redevable d’une contribution pour le raccordement d’un utilisateur au titre de l’article L. 342-11 du code de l’énergie ;
  • l’information mise à disposition des utilisateurs ;
  • la gestion de la file d’attente ;
  • la dématérialisation du traitement des demandes de raccordement ;
  • la transparence des PTF ;
  • les délais de transmissions de la proposition technique et financière (PTF) ;
  • la mission d’information des GRD.

 

Le sujet de l’encadrement de la relation entre GRD et CCU (qui supportent une partie de l’extension du réseau nécessaire au raccordement d’un demandeur) faisait l’objet d’une réflexion par la CRE depuis un certain temps dans la mesure où les CCU.

Si, ces réflexions n’ont pas encore abouti à des modifications du Code de l’énergie, du code de l’urbanisme, et/ou du modèle de cahier des charges de concession d’électricité (modification qui ne sont pas du ressort de la CRE), la délibération a le mérite de prescrire aux GRD les modalités d’échanges avec les CCU à intégrer dans leurs procédures de raccordement, en particulier au sujet des coûts des ouvrages d’extension (cf. paragraphe 1.4 de l’annexe 1 de la délibération).

Ainsi, il est notamment prévu que le GRD doit répondre aux éventuelles demandes d’informations complémentaires des CCU concernant la proposition technique et financière émise à l’occasion d’une demande de raccordement. Et la délibération ajoute que « Les réserves éventuellement formulées par la collectivité en charge de l’urbanisme ne doivent pas entraver la bonne tenue et le parfait achèvement des travaux nécessaires au raccordement de l’utilisateur. La mise en service de l’installation de l’utilisateur ne peut pas être soumise à l’accord sans réserve sur le montant de la contribution due par la collectivité en charge de l’urbanisme ou au versement de tout ou partie de cette contribution ».

S’agissant de la transparence des PTF, la délibération énonce le contenu a minima que les propositions techniques et financières des GRD devront présenter, à savoir :

  • la solution de raccordement qui a été retenue ;
  • un niveau de détails suffisants, avec notamment le détail des quantités présentées ;
  • un schéma de raccordement clair et précis, et qui ne doit pas être sujet à interprétation, faisant clairement apparaitre la consistance des ouvrages qui le composent (branchement, extension, renforcement) ;
  • des éléments indicatifs sur le planning de raccordement ;
  • la répartition des coûts entre étude, travaux, fourniture et ingénierie (cf. paragraphe 2.3.1 de l’annexe 1 de la délibération)

 

La délibération ajoute des précisions sur la notion de « devis suffisamment détaillé » :

« Lorsque la proposition technique et financière n’utilise pas de formules de coûts simplifiées issues du barème de raccordement du gestionnaire de réseaux, les coûts sont présentés sur un devis suffisamment détaillé. Les termes « un devis suffisamment détaillé » s’entendent par un devis comportant toutes les indications permettant d’apprécier les propositions de prix et notamment le détail des quantités et prix unitaires de l’opération de raccordement ».

Enfin, la délibération rappelle la nécessité que la solution de raccordement décrite dans la PTF soit présentée de manière claire :

« La description de la solution de raccordement proposée fait clairement apparaître la consistance des ouvrages qui la composent (les ouvrages de branchement, d’extension et de renforcement des réseaux existants, ou, le cas échéant, les ouvrages propres, les ouvrages créés en application d’un schéma régional de raccordement des énergies renouvelables au réseau, et les ouvrages renforcés), en s’appuyant notamment sur les définitions des articles L. 342-1, D. 342-1 et D. 342-2 du Code de l’énergie. Lorsqu’elle est différente de la solution retenue, l’opération de raccordement de référence est, également, présentée par le gestionnaire de réseau public de distribution dans la première proposition technique et financière envoyée au demandeur. Les éléments de coût relatifs à ces deux opérations sont précisés ».

Ces nouvelles règles viennent ainsi renforcer les obligations de transparence à la charge des GRD dans le souci de permettre aux utilisateurs et CCU de comprendre les coûts de raccordement susceptibles d’être mis à leur charge, souvent loin d’être négligeables. On regrette néanmoins que la définition des ouvrages de renforcement du réseau n’ait pas été clarifiée par la CRE en référence aux dispositions de l’article L.342-11 du Code de l’énergie[2] alors que la consistance de ces ouvrages – s’ils font partie de la solution de raccordement – devra désormais être décrite clairement par les GRD. Car pour mémoire, la part renforcement d’un raccordement n’est pas due par le demandeur du raccordement puisqu’elle est comprise dans le Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité (TURPE).

Ces nouvelles règles posées par la CRE devraient être prochainement mises en œuvre, la délibération ayant prescrit aux gestionnaires des réseaux publics de distribution d’engager sans délai l’élaboration ou, le cas échéant, la mise à jour des procédures de traitement des demandes de raccordement. En tout état de cause, la publication et l’entrée en vigueur des nouvelles procédures de traitement des demandes de raccordement doivent intervenir au plus tard six mois après la publication de la délibération, soit au plus tard le 22 juin prochain, la délibération ayant été publiée au Journal Officiel du 22 décembre 2019.

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[1] Délibération de la CRE du 25 avril 2013 portant décision sur les règles d’élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité et le suivi de leur mise en œuvre

[2] Article L.342-11 du Code de l’énergie : « La contribution prévue à l’article L. 342-6 pour le raccordement des consommateurs au réseau de distribution est versée, dans des conditions, notamment de délais, fixées par les cahiers des charges des concessions ou les règlements de service des régies ou, à défaut, par décret en Conseil d’Etat, par les redevables mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4° et 5° suivants (…)Toutefois, les coûts de remplacement ou d’adaptation d’ouvrages existants ou de création de canalisations en parallèle à des canalisations existantes afin d’en éviter le remplacement, rendus nécessaires par le raccordement en basse tension des consommateurs finals, ne sont pas pris en compte dans cette part. Ces coûts sont couverts par le tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution mentionné à l’article L. 341-2 lorsque ce raccordement est effectué par le gestionnaire du réseau de distribution ; […] ».

 

Concessions : retour à l’autorité concédante des provisions pour travaux de renouvellement inutilisées en fin de contrat

On se souvient que par une décision rendue le 18 octobre 2018 société Electricité de Tahiti (n°420097) particulièrement commentée depuis, le Conseil d’Etat avait apporté d’utiles précisions sur le sort des provisions pour renouvellement constituées dans le cadre d’un contrat de concession (voir notre brève dans la LAJEE n° 44 parue en novembre 2018).

Le Conseil d’Etat s’était penché sur les dispositions de la loi du Pays de la Polynésie française relative aux provisions pour renouvellement des immobilisations dans les délégations de service public.

A cette occasion, la Haute Juridiction avait rappelé les principes applicables aux biens de retour qui concernaient une concession de distribution publique d’électricité, dégagés notamment par l’arrêt d’Assemblée du 21 décembre 2012, commune de Douai, (n°342788). Elle avait en outre et surtout indiqué que les provisions pour renouvellement constituées par un concessionnaire, pour des montants excédant les besoins de renouvellement, ne peuvent être conservées par lui.

Dans le jugement ici commenté, le Tribunal administratif a fait une application directe de ces principes, dans un domaine autre que l’énergie mais dont l’analyse est tout à fait transposable.

Le litige opposait la communauté de communes du Haut Val de Sèvres à son concessionnaire pour l’assainissement collectif, la société SAUR.

A l’issue du contrat de concession, la collectivité avait réclamé à son concessionnaire le solde des provisions pour renouvellement constituées et non utilisées, il s’agissait précisément de « la différence entre les charges de renouvellement des équipements cumulées et prélevées sur les usagers et le montant des travaux réellement réalisés sur la période contractuelle ».

La SAUR avait alors contesté le titre de recettes émis par la collectivité pour récupérer ce solde.

Reprenant les principes du Conseil d’Etat dans l’affaire société Electricité de Tahiti, le Tribunal administratif de Poitiers rappelle que les provisions ne sauraient être conservées par le concessionnaire :

«  […] les sommes requises pour l’exécution des travaux de renouvellement des biens nécessaires au fonctionnement du service public qui ont seulement donné lieu, à la date d’expiration du contrat, à des provisions, font également retour à la personne publique. Il en va de même des sommes qui auraient fait l’objet de provisions en vue de l’exécution des travaux de renouvellement pour des montants excédant ce que ceux-ci exigeaient, l’équilibre économique du contrat ne justifiant pas leur conservation par le concessionnaire ».

Dès lors, le Tribunal a considéré que la collectivité avait pu émettre, en fin de contrat, un titre de recettes pour avoir paiement d’une somme de 563.726 euros correspondant aux provisions constituées par le concessionnaire et finalement inutilisées.

Le jugement est ici intéressant en ce que les juges ont considéré qu’une collectivité peut valablement chiffrer avec ses propres éléments le montant des provisions inutilisées, et ce, dans la mesure où le concessionnaire n’apportait aucun élément comptable de nature à contester les chiffres retenus :

«  alors que la société Saur n’apporte aucun élément comptable de nature à contester les chiffres retenus par l’administration, s’agissant du montant des provisions dotées en vue de l’exécution des travaux de renouvellement des biens nécessaires au fonctionnement du service public de l’assainissement collectif affermé et du montant des travaux réalisés pendant la durée d’exécution du contrat, la communauté de communes du Haut Val de Sèvres a pu, en l’état des pièces communiquées par la société Saur, émettre le titre de perception litigieux ».

Cela étant, le Tribunal a malgré tout été contraint d’annuler le titre exécutoire émis par la collectivité en ce qu’il ne mentionnait pas les nom, prénom et qualité de la personne qui l’avait émis comme l’impose l’article L.1617-5 du Code général des collectivités territoriales.

Compétence du juge judiciaire pour connaître d’un litige relatif à une convention de concession d’une centrale hydroélectrique requalifiée en contrat de droit privé

Dans un arrêt du 30 décembre 2019, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a qualifié un contrat conclu entre une commune et une société portant sur la construction, la gestion, et l’exploitation d’une centrale de production d’énergie hydroélectrique de contrat de droit privé, et renvoyé les parties devant le juge judiciaire pour connaître d’un litige ayant trait à l’exécution de ladite convention.

Plus précisément, les faits étaient les suivants : la commune d’Aulus-les-Bains, alors titulaire d’une autorisation préfectorale de disposer de l’énergie des rivières de l’Ars et du Garrett, avait conclu avec la société IGIC en 1989 une convention ayant pour objet de confier à cette dernière pour une durée de 29 ans, reconductible pour une durée de 15 ans, et moyennant le versement d’une redevance annuelle à la commune par la société, la mission de construire, gérer et exploiter une centrale de production d’énergie hydroélectrique. L’énergie produite devant être vendue à EDF.

Puis, par un arrêté du 27 août 2002, le Préfet avait transféré à la société IGIC l’autorisation de disposer de l’énergie des deux rivières initialement accordée à la commune. Estimant la convention de 1989 désormais privée d’objet, les parties avaient conclu une convention au mois de septembre 2002 annulant et remplaçant la convention initiale. Cette nouvelle convention prévoyait un nouveau mode de calcul de la redevance annuelle versée à la commune et avait pour unique objet la mise à disposition de terrains et chemins communaux au bénéfice de la société.

A la suite de différends concernant les redevances dues par la société IGIC à la commune, cette dernière a émis plusieurs titres de recettes, contestés devant le Tribunal administratif de Toulouse dans le cadre de deux instances. Ses demandes n’ayant été que partiellement accueillies par la juridiction, la société IGIC a interjeté appel des deux jugements devant la Cour administratif de Bordeaux.

De manière relativement surprenante, la société IGIC soutenait dans son argumentaire devant la Cour que le litige avait trait à l’exécution d’un contrat de droit privé et ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative. Dans sa décision du 30 décembre 2019, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a accueilli ce moyen et jugé effectivement que les deux contrats successivement conclus entre la commune et la société IGIC ne constituaient pas des contrats administratifs mais des contrats de droit privé relevant du juge judiciaire.

Pour ce faire, la Cour administrative d’appel de Bordeaux commence par relever que dès lors que la puissance de l’installation hydraulique est inférieure à 4500 kilowatts, ladite installation ne relevait pas du régime de la concession mais de celui de l’autorisation conformément à l’article 1er de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, en vigueur à la date de conclusion de la convention de 1989. Ceci étant, ainsi qu’il ressort des énonciations de l’arrêt, c’est bien une autorisation et non une concession qui a été accordée par le Préfet à la commune, puis transférée à la société.

Ensuite, examinant l’objet de chacune des deux conventions successivement conclues en 1989 et 2002 entre la commune et la société IGIC, la Cour administrative d’appel de Bordeaux estime que :

  • la production d’électricité en vue de sa cession à EDF n’est pas une activité relevant de l’intérêt public communal,
  • la société IGIC ne s’est vu confier aucune obligation de service public,
  • le pouvoir de contrôle conféré par la convention à la commune est limité à la transmission d’un bilan d’exploitation de l’exercice et à un droit de visite des installations.

Dès lors, après avoir relevé l’absence de clause exorbitante du droit commun dans les deux conventions (autre critère permettant d’identifier un contrat administratif conformément à la jurisprudence traditionnelle CE, 31 juillet 1912, société des granits porphyroïdes des Vosges, n° 30701), la Cour en conclut que les deux conventions ne constituent pas des délégations de service public.

Ensuite, la Cour écarte l’application du critère de la participation à une opération de travaux public en considérant que la commune n’a pas joué le rôle de maître d’ouvrage de l’opération, et n’en deviendra propriétaire qu’à son terme. Néanmoins, un contrat est administratif car portant sur des travaux publics lorsque (i) le travail est exécuté pour le compte d’une personne publique et (ii) dans un but d’intérêt général (par exemple CE, 3 décembre 2015, sté Fosmax, n° 388806). Or, dans la mesure où la Cour relève que la commune a vocation à devenir propriétaire de l’ouvrage au terme du contrat, on peut considérer que le premier critère est rempli et que c’est en considérant qu’il n’existait pas de but d’intérêt général que la Cour a pu considérer que les critères du travail public n’étaient pas remplis.

Enfin, la Cour considère que les deux contrats conclus par la commune d’Alus-les-Bain ne peuvent être qualifiés de contrats administratifs par détermination de la loi. Elle rappelle en effet que l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et le Code de la commande publique qualifient de contrat administratif, notamment, les concessions de travaux. Toutefois, la Cour relève que même si la convention en cause pouvait être qualifiée de concession de travaux (ce que la Cour n’examine pas), en tout état de cause la qualification légale découlant de l’ordonnance du 29 janvier 2016 et du Code de la commande publique ne s’applique qu’aux seuls contrats dont la procédure de passation a été engagée à compter du 1er avril 2019 (1er avril 2016 pour l’ordonnance). La Cour écarte donc ce fondement

Enfin, la Cour écarte encore la compétence du juge administratif en rappelant que si les conventions successivement conclues par les parties emportent mise à disposition de terrains communaux, lesdits terrains relèvent du domaine privé communal.

La Cour en conclut que la convention du 16 décembre 1989 tout comme celle du 5 septembre 2002 sont des conventions de droit privé, dont les contentieux relatifs à l’exécution doivent être portés devant le juge judiciaire.

Application par le CORDIS de la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil à un différend relatif aux conditions d’accès au réseau public de distribution d’électricité

Par une décision du 4 décembre 2019 statuant sur les différends qui opposaient les sociétés Energies Nouvelles Investissements et JLT Invest à la société SRD, le Comité de Règlement des Différends et des Sanctions (ci-après, « CORDIS ») de la Commission de régulation de l’énergie a fait application de la règle de la prescription quinquennale posée par l’article 2224 du Code civil à un différend opposant deux usagers à un gestionnaire du réseau de distribution (ci-après, « GRD ») public d’électricité au sujet des conditions d’accès audit réseau.

Le CORDIS était saisi de deux différends similaires opposant la société SRD, gestionnaire de réseau public de distribution d’électricité (entreprise locale de distribution sur le territoire de la Vienne), d’une part, à des filiales de la société Energies Nouvelles Investissements et, d’autre part, à des filiales de la société JLT Invest au sujet de plusieurs conventions de raccordement et d’accès au réseau public de distribution d’électricité conclues pour leurs installations de production photovoltaïque durant les années 2010 à 2015.

Les conditions générales de ces conventions prévoient notamment que la composante annuelle de comptage est calculée par une méthode de comptage dite « à courbe de mesure ». Or, par des lettres du 15 janvier 2018, les sociétés Energies Nouvelles Investissements et JLT Invest ont mis la société SRD en demeure de soumettre à leurs filiales des avenants à leurs conventions de raccordement afin de leur permettre de choisir entre une méthode de comptage à courbe de mesure et une méthode de comptage dite « à index », et de procéder au remboursement des frais trop perçus en raison de la mise en œuvre de la méthode de comptage à courbe de mesure, estimant les stipulations des conditions générales contraires à la décision du 24 mai 2013 des Ministres de l’énergie et de l’économie relative aux tarifs d’utilisation d’un réseau public d’électricité dans le domaine de tension HTA ou BT pour la période du 1er août 2009 au 31 juillet 2013 (Journal Officiel, 26 mai 2013, p.8704).

Les deux sociétés ont ensuite saisi le CORDIS de demandes identiques tendant, notamment, à ce que ce dernier ordonne à la société SRD de leur transmettre sous astreinte des avenants aux contrats de raccordement, d’accès au réseau et d’exploitation conclus par leurs filiales pour leurs installations de production photovoltaïque et faisant état d’un comptage à index, et qu’il constate que la société SRD est redevable à l’égard de chacune des deux sociétés de sommes correspondant au trop-perçu des redevances recouvrées par la société SRD sur les périodes en cause.

Dans la décision commune aux deux sociétés rendue le 4 décembre 2019 et ici commentée, le CORDIS commence par confirmer sa compétence pour statuer sur ces différends opposant des utilisateurs d’un réseau public de distribution d’électricité au gestionnaire de ce réseau, en ce qu’ils sont relatifs aux conditions de l’accès à ce réseau et procèdent d’un désaccord sur la conclusion et l’exécution de contrats destinés à assurer cet accès.

Au fond, le CORDIS fait droit au moyen soulevé par la société SRD et rejette, comme étant frappées de la prescription quinquennale prévue par l’article 2224 du Code civil, les demandes des filiales des sociétés Energies Nouvelles Investissements et JLT Invest.

Pour ce faire, le comité commence par estimer que les règles générales de prescriptions des actions personnelles ou mobilières posées par l’article 2224 du Code civil sont « applicables à une action qui, comme en l’espèce, tend à contester la validité de certaines stipulations contractuelles, peuvent être utilement invoquées devant le comité statuant en matière de règlement de différends ».

Puis, le CORDIS relève que la publication au Journal officiel, le 26 mai 2013, des règles tarifaires posées par la décision du 24 mai 2013 relative aux tarifs d’utilisation d’un réseau public d’électricité dans le domaine de tension HTA ou BT pour la période du 1er août 2009 au 31 juillet invoquées par les sociétés demanderesses à l’appui de leurs prétentions a commencé à faire courir le délai de prescription de 5 ans posé par l’article 2224 du Code civil.

Le CORDIS estime en outre, se référant à la jurisprudence de la Cour de cassation, que les lettres de mise en demeure adressées par les sociétés demanderesses en janvier 2018 n’ont pas eu pour effet d’interrompre le cours de ce délai de prescription.

Le CORDIS en déduit donc que les demandes de règlement de différends présentées par les sociétés et enregistrées le 24 septembre 2018 sont prescrites, et doivent donc être rejetées.

Cette décision du CORDIS invite ainsi les usagers à faire preuve de vigilance et de réactivité en cas d’évolution des règles applicables aux contrats d’accès au réseau postérieurement à la conclusion desdits contrats.

Projet de décision de la CRE sur le tarif d’utilisation des réseaux de distribution de gaz naturel de GRDF (« ATRD6 ») applicable à compter du 1er juillet 2020

Conformément à la compétence qui lui est dévolue par l’article L. 134-2 4° du Code de l’énergie, la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) a, par une délibération n° 2019-271 du 19 décembre 2019, adopté un projet de décision sur le tarif péréqué d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel de GRDF qui sera applicable à compter du 1er juillet 2020, dit tarif « ATRD6 ».

Le tarif actuel d’utilisation des réseaux de distribution de gaz naturel de GRDF, dit tarif « ATRD5 », est entré en vigueur le 1er juillet 2016 pour une durée d’environ quatre ans (Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 10 mars 2016 portant décision sur le tarif péréqué d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel de GRDF).

Ce tarif est applicable sur le périmètre de desserte historique de GRDF, sur lequel il dispose d’un monopole.

Le projet de décision du 19 décembre 2019 fait suite à une série de quatre consultations publiques organisées par la CRE au cours de l’année 2019 afin d’interroger les acteurs du marché.

Ainsi qu’il résulte de la délibération, la CRE a souhaité apporter, par le tarif proposé, des réponses à quatre enjeux, qu’elle qualifie de prioritaires, qui sont les suivants :

  • le maintien d’un niveau de sécurité maximum du réseau de distribution de gaz par la reprise de l’ensemble des charges d’exploitation de GRDF liées à la sécurité et permettre à GRDF de mettre en œuvre sa politique d’investissement ;
  • l’accompagnement de la transition énergétique par l’attribution de manière nouvelle à GRDF de moyens pour l’accueil du biométhane dans les réseaux et pour la recherche et le développement ;
  • la maîtrise du niveau du tarif dans le contexte d’une baisse de la consommation de  gaz ;
  • le début de la phase industrielle du projet « Changement de gaz » qui consiste à convertir la zone gaz B en zone gaz H par l’intégration dans l’ATRD6 des charges prévisionnelles liées à ce projet.

Au global L’évolution moyenne envisagée par la CRE du tarif ATRD6 s’établit à environ – 0,3 %/an.

La délibération est transmise pour avis au Conseil Supérieur de l’énergie et aux Ministres chargés de l’énergie et de l’économie, lesquels Ministres disposent d’un délai de deux mois pour, le cas échéant, solliciter une nouvelle délibération de la CRE.

Autorisation environnementale : la procédure simplifiée par décret

Le décret n° 2019-1352 du 12 décembre 2019 portant diverses dispositions de simplification de la procédure d’autorisation environnementale est paru au Journal Officiel le 14 décembre 2019. Ce décret de simplification présente deux objets principaux, l’un portant sur la dématérialisation de la procédure de demande d’autorisation et l’autre sur la suppression d’un certain nombre de consultations auparavant obligatoires.

Le nouvel article R. 181-12 du Code de l’environnement (C. env.) permet ainsi au demandeur d’une autorisation environnementale de choisir, à compter du 15 décembre 2020, sa procédure de dépôt de dossier. Il pourra dès lors choisir de la déposer en version papier en quatre exemplaires, avec un envoi sous forme électronique, comme le veut la procédure actuelle, ou bien sous la forme dématérialisée d’une téléprocédure. Le Gouvernement a cependant choisi de ne pas rendre cette dématérialisation obligatoire, comme cela était initialement prévu à compter du 1er janvier 2023.

Le décret prévoit toutefois une exception à cette possibilité d’opter pour la procédure dématérialisée. Il est ainsi ajouté un alinéa à l’article R. 181-55 C. env. précisant qu’il ne pourra pas être recouru à une téléprocédure en cas de projet relevant du ministre de la défense ou soumis à des règles de protection du secret de la défense nationale.

Par ailleurs, les procédures de consultation ont été simplifiées. Le décret supprime ainsi quatre articles réglementaires du Code de l’environnement prévoyant la consultation de divers organismes. Désormais, ne seront plus consultés le préfet de région lorsque le projet affecte ou est susceptible d’affecter des éléments du patrimoine archéologique (article R. 181-21 C. env.), l’Institut national de l’origine et de la qualité lorsque le projet est situé dans une commune comportant une aire de production d’un produit d’une appellation d’origine (article R. 181-23 C. env.), le Ministre en charge des hydrocarbures lorsque la demande porte sur un projet relatif à un établissement pétrolier (article R. 181-29 C. env.) et l’Office national des forêts (ONF) lorsque la demande tient lieu d’autorisation de défrichement d’un bois ou d’une forêt relevant du régime forestier (article R. 181-31 C. env.).

Le décret prévoit en outre que l’Agence régionale de santé (ARS) ne sera plus consultée que lorsque le projet est soumis à évaluation environnementale ou lorsque le préfet estime que le projet est susceptible de présenter des dangers et inconvénients pour la santé et la salubrité publiques (article R. 181-18 C. env.), alors que son avis était auparavant requis dès lors que le projet était susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement et la santé humaine au-delà du territoire d’une seule région.

D’autre part, l’avis qui devait auparavant être délivré par le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) revient à présent, à l’issue d’une démarche de déconcentration, aux conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel (CSRPN). Des exceptions sont cependant à noter et le CNPN devra toujours être consulté dans quatre cas (article R. 181-28 C. env.) :

  • Lorsque la demande porte sur une espèce de vertébré protégé figurant sur une liste établie en application de l’article R. 411-8-1 C. env. ;
  • Lorsque la demande porte sur une espèce animale ou végétale figurant sur la liste établie en application de l’article R. 411-13 C. env. ;
  • Lorsque la demande concerne au moins deux régions administratives ;
  • Lorsque le préfet estime que la complexité et l’importance des enjeux du dossier soulèvent une difficulté exceptionnelle.

Enfin, lorsque le projet relève de la nomenclature IOTA, le préfet ne doit désormais plus saisir pour avis que la Commission locale de l’eau lorsque le projet est situé dans le périmètre d’un schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) (article R. 181-22 C. env.). Ainsi, ne doivent plus être saisis pour avis la personne publique gestionnaire du domaine public, le président de l’établissement public territorial de bassin et l’organisme unique de gestion collective des prélèvements d’eau pour l’irrigation, comme cela était demandé par les textes jusqu’à présent.

Le décret contient en outre diverses dispositions permettant d’accélérer la procédure de demande d’autorisation et prévoit notamment que le préfet se doit d’adresser au commissaire enquêteur un dossier complet « avant signature de l’arrêté d’ouverture d’enquête » et non plus dès que le commissaire enquêteur est désigné. Cela autorise ainsi le pétitionnaire à présenter un dossier incomplet et à le compléter alors même que le commissaire enquêteur est déjà désigné, ce qui permet dès lors d’accélérer la procédure (article R. 123-5 C. env.).

Enfin, la consultation du pétitionnaire pendant la phase dite de contradictoire est également accélérée. Ainsi, lorsque le préfet décide de solliciter le conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST) ou la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS), lorsqu’il envisage d’assortir l’autorisation de prescriptions ou lorsqu’il prévoit d’opposer un refus à la demande d’autorisation, le pétitionnaire peut désormais présenter ses observations lors de ces réunions. Dans ce cas et si le projet n’est pas modifié, il n’est plus nécessaire d’engager un nouveau contradictoire (article R. 181-40 C. env.).

Loi Energie-Climat : nouveautés relatives à la procédure d’évaluation environnementale et à l’encadrement des émissions de gaz à effet de serre

La loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, dite loi énergie-climat et publiée le 9 novembre 2019 au Journal Officiel, a pour objet la définition et la mise en œuvre de la politique en matière de transition énergétique dans le but de répondre aux exigences de l’Accord de Paris et de l’urgence écologique et climatique. Elle fait donc suite à la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Elle fixe notamment de nouveaux objectifs et politiques en matière énergétique, prévoit la création d’une nouvelle institution – le Haut conseil pour le climat -, ainsi que de nouvelles obligations de reporting environnemental pour les investisseurs (sociétés de gestion de portefeuille, entreprises régies par le code de la mutualité, fonds de retraite professionnelle supplémentaire, etc.) et l’instauration de mesures de lutte contre la fraude aux certificats d’économie d’énergie.

Les modifications apportées par cette loi en matière de tarifs réglementés de vente de gaz et d’électricité et de régulation de l’énergie ont été présentées par la LAJEE n° 56 du mois de décembre 2019.

L’attention sera ici portée plus particulièrement sur, d’une part, les modifications apportées à la procédure d’autorisation environnementale (1) et, d’autre part, la question de l’encadrement et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, avec les dispositifs relatifs à une transition en matière de ressource énergétique et l’établissement du bilan des émissions de gaz à effet de serre (2).

 

  1. Modifications de la procédure d’évaluation environnementale

Plusieurs modifications sont apportées par les articles 31 et suivants de la loi énergie-climat à la procédure d’évaluation environnementale.

Tout d’abord, une distinction est introduite à l’article L. 122-1 du Code de l’environnement entre l’autorité chargée d’examiner au cas par cas les projets qui seront soumis à la procédure d’évaluation et celle devant, précisément, réaliser cette évaluation environnementale. Cette nouvelle autorité chargée de l’examen au cas par cas des projets doit présenter des garanties d’indépendance. Ainsi, aux termes du Vbis de l’article L. 122-1, introduit par la loi énergie-climat : « L’autorité en charge de l’examen au cas par cas et l’autorité environnementale ne doivent pas se trouver dans une position donnant lieu à un conflit d’intérêts. A cet effet, ne peut être désignée comme autorité en charge de l’examen au cas par cas ou comme autorité environnementale une autorité dont les services ou les établissements publics relevant de sa tutelle sont chargés de l’élaboration du projet ou assurent sa maîtrise d’ouvrage […] ».

Pour rappel, aux termes de l’article R. 122-17 du Code de l’environnement, les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) sont soumis à évaluation environnementale après examen au cas par cas. Il est à noter que, si un PPRT n’a pas été soumis à une évaluation environnementale, le moyen tiré de ce que le service de l’Etat qui a décidé de ne pas le soumettre à une telle procédure ne disposait pas d’une autonomie suffisante par rapport à l’autorité compétente de l’Etat pour approuver ce plan ne peut permettre de fonder l’annulation du plan (article 31 de la loi). Ainsi, les arrêtés portant prescription ou approbation des plans de prévention des risques technologiques sont validés, en tant qu’ils sont contestés par ce moyen et sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée.

Cette modification de la procédure intervient dans un contexte contentieux portant sur la question de l’annulation d’un PPRT (cf. Tribunal administratif de Lyon, 10 janvier 2019, n° 1609469). En effet, la décision de soumettre un PPRT à la procédure d’autorisation environnementale était prise par un agent de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), placé sous l’autorité fonctionnelle du préfet de département, auteur de cet instrument. Le tribunal administratif de Lyon a alors considéré que la DREAL ne disposait pas des moyens propres de nature à lui assurer une réelle autonomie à l’égard du préfet de département, viciant la procédure d’adoption du PPRT et menant à son annulation.

Par ailleurs, dans le cadre d’un contentieux contre un plan ou programme soumis à évaluation environnementale au titre de l’article L. 122-4 du Code de l’environnement, la loi introduit également la possibilité pour le juge de surseoir à statuer s’il estime que l’illégalité entachant l’élaboration, la modification ou la révision de cet acte est susceptible d’être régularisée et si aucun autre moyen n’est fondé. Le juge devra préalablement inviter les parties à présenter leurs observations et, s’il décide de surseoir à statuer, fixer un délai pour permettre cette régularisation, délai durant lequel le plan ou programme reste applicable (article 32 de la loi).

Précisons également que, aux termes de l’article 34 de la loi énergie-climat, les hypothèses dans lesquelles le préfet peut décider que la demande d’enregistrement d’une installation classée sera instruite selon la procédure prévue pour les installations soumises au régime de l’autorisation environnementale sont élargies. En effet, pour prendre cette décision, le préfet ne pouvait auparavant prendre en compte que les critères mentionnés au point 2 de l’annexe III de la directive 2011/92/UE (relatifs à localisation du projet). Désormais, l’ensemble des critères mentionnés à cette annexe pourra être pris en compte, soit ceux relatifs aux caractéristiques des projets et aux impacts potentiels qu’un projet pourrait avoir. Le cas échéant, le projet sera soumis à la procédure d’évaluation environnementale (article L. 512-7-1 du Code de l’environnement).

 

  1. La consolidation de l’encadrement des émissions de gaz à effet de serre

La loi énergie-climat renforce les outils permettant de limiter les émissions de gaz à effet de serre. A cette fin, les objectifs relatifs à la consommation énergétique ont été réhaussés (a) et un nouvel outil a été créé : la loi quinquennale sur la politique énergétique qui permettra d’en déterminer les objectifs (b). Une réduction drastique des activités des centrales thermiques est également imposée (c) et les obligations en matière d’établissement des bilans des émissions de gaz à effet de serre sont renforcées (d).

 

a – Le rehaussement des objectifs de réduction de consommation énergétique

L’article 1er de la loi énergie-climat révise les objectifs de politique énergétique et en introduit de nouveaux.

La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte avait fixé pour objectif la division par 4 des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050 (objectif dit « facteur 4 »). Aux termes de la loi énergie-climat, cet objectif a été réhaussé : il s’agit dorénavant d’atteindre la neutralité carbone, c’est-à-dire un équilibre, sur le territoire national, entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre, d’ici 2050 (article 1er de la loi). La division des émissions devra donc être d’un facteur supérieur à 6 entre 1990 et 2050.

D’autres objectifs ont également été rehaussés par la loi énergie climat, tel que l’objectif de réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 40 % en 2030 par rapport à l’année de référence 2012 (cet objectif était de 30% avant l’adoption de la loi énergie-climat). De même, l’objectif de porter la part des énergies renouvelables à 32% de la consommation finale brute d’énergie en en 2030 est passé à 33% au moins.

Si l’objectif de réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à la référence 2012 n’a pas été modifié par la loi, un nouvel objectif intermédiaire a été fixé : cet objectif est ainsi d’environ 7 % en 2023.

L’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % est toutefois reporté, de l’horizon 2025 à 2035.

D’autres objectifs relatifs à la politique énergétique ont été introduits par la loi énergie-climat à l’article L. 100-4 du Code de l’énergie : encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité ; favoriser la production d’électricité issue d’installations utilisant l’énergie mécanique du vent implantées en mer, avec pour objectif de porter progressivement le rythme d’attribution des capacités installées de production à l’issue de procédures de mise en concurrence à 1 gigawatt par an d’ici à 2024 ; développer l’hydrogène bas-carbone et renouvelable et ses usages industriel, énergétique et pour la mobilité, avec la perspective d’atteindre environ 20 à 40 % des consommations totales d’hydrogène et d’hydrogène industriel à l’horizon 2030 ; favoriser le pilotage de la production électrique, avec pour objectif l’atteinte de capacités installées d’effacements d’au moins 6,5 gigawatts en 2028.

La politique énergétique devra donc tendre à la réalisation de ces objectifs.

 

b – Loi quinquennale de l’énergie

L’article 2 de la loi énergie-climat introduit un nouvel article L. 100-1 A au Code de l’énergie. Aux termes de cet article, avant le 1er juillet 2023 puis tous les cinq ans, le gouvernement devra adopter une loi quinquennale qui détermine les objectifs et fixe les priorités d’action de la politique énergétique nationale pour répondre à l’urgence écologique et climatique.

Cette loi quinquennale devra ainsi fixer les objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de réduction de la consommation énergétique finale et notamment les objectifs de réduction de la consommation énergétique primaire fossile, de développement des énergies renouvelables, de diversification du mix de production d’électricité, de rénovation énergétique dans le secteur du bâtiment, ainsi qu’en matière d’autonomie énergétique dans les départements d’outremer.

Divers instruments devront être compatibles avec les objectifs fixés par la loi quinquennale (fixés au II de l’article L. 100-1 A). Il s’agit de la programmation pluriannuelle de l’énergie, du plafond national des émissions de gaz à effet de serre, de la stratégie bas-carbone, de l’empreinte carbone de la France et du budget carbone spécifique au transport international, du plan national intégré en matière d’énergie et de climat et de la stratégie à long terme et de la stratégie de rénovation à long terme.

 

c – La fermeture des centrales thermiques au 1er janvier 2022

Afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre, il est prévu par la loi énergie-climat que l’autorité administrative devra fixer par décret un plafond d’émissions applicable, à compter du 1er janvier 2022, aux installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles situées sur le territoire métropolitain continental et émettant plus de 0,55 tonne d’équivalents dioxyde de carbone par mégawattheure (article 12 de la loi énergie-climat).

Un projet de décret a été soumis à consultation du public du 25 novembre 2019 au 16 décembre 2019, lequel prévoit de fixer le plafond d’émissions à 0,7 kilotonne d’équivalent CO2 émis annuellement par mégawatt de puissance installée. En outre, les installations de très petite taille (installations visées à l’article R. 311-2 du Code de l’énergie) ne seront pas concernées par ce plafond. Cette mesure devrait ainsi permettre de limiter fortement le nombre d’heures de fonctionnement des centrales à charbon, qui passera à 700h contre environ 3 000h actuellement.

En raison de cette limitation, quatre centrales à charbon situées sur le territoire métropolitain devraient être contraintes à la fermeture ou à la reconversion d’ici à 2022 : les centrales de Cordemais (Loire-Atlantique), du Havre (Seine-Maritime), de Saint-Avold (Moselle) et de Gardanne (Bouches-du-Rhône).

La loi énergie-climat prévoit néanmoins que le gouvernement sera tenu, dans les six mois suivants l’adoption de la loi, de prendre par ordonnance des mesures d’accompagnement des salariés, des personnels portuaires, notamment les ouvriers dockers, et des salariés de l’ensemble de la chaîne de sous-traitance dont les postes seront supprimés du fait des fermetures des centrales thermiques.

 

d – Etablissement et transmission du bilan d’émissions de gaz à effet de serre

L’article 28 de la loi apporte des modifications à l’article L. 229-25 du Code de l’environnement, relatif au bilan des émissions de gaz à effet de serre (GES).

On rappellera à cet égard que, aux termes de cet article, nombre de personnes publiques doivent établir un tel bilan : « Sont tenus d’établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre : […] 3° L’Etat, les régions, les départements, les métropoles, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les communes ou communautés de communes de plus de 50 000 habitants ainsi que les autres personnes morales de droit public employant plus de deux cent cinquante personnes ». A ce titre, les personnes publiques visées ont pour obligations d’établir ce bilan (qui doit porter sur leur patrimoine et leurs compétences), de le mettre à jour tous les trois ans et de transmettre à l’autorité administrative les informations relatives à sa mise en œuvre selon les modalités définies par l’arrêté du 25 janvier 2016 relatif à la plateforme informatique pour la transmission des bilans d’émission de gaz à effet de serre (tous les bilans établis depuis le 1er janvier 2016 doivent obligatoirement être publiés sur cette plateforme informatique).

Cette disposition prévoit désormais qu’il sera nécessaire de joindre au bilan des émissions de GES un plan de transition présentant les objectifs, moyens et actions envisagés pour réduire les émissions de GES et, le cas échéant, les actions mises en œuvre lors du précédent bilan. Ce plan de transition remplace la synthèse des actions envisagées pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre que doivent aujourd’hui produire les personnes publiques mentionnées au 3° de l’article L. 229-25.

Toutefois, si les collectivités et leurs groupements sont couverts par un plan climat-air-énergie territorial (PCAET) prévu à l’article L. 229-26, ils pourront y intégrer ces deux instruments et seront, le cas échéant, dispensés des obligations découlant de l’article L. 229-25 tenant à sa publication et à sa transmission. Elles devront toutefois indiquer, a minima, le lien internet vers leur PCAET sur la plateforme informatique de transmission des bilans des émissions de GES.

Les manquements à l’établissement ou à la transmission du bilan des émissions de gaz à effet de serre pourront être sanctionnés par le préfet par une amende n’excédant pas 10 000 euros ou 20 000 euros en cas de récidive. Avant l’entrée en vigueur de l’article 28 de la loi énergie-climat, cette amende s’élevait à 1 500 euros. Le préfet doit toutefois préalablement mettre en demeure l’auteur du manquement et lui laisser un délai pour satisfaire à ses obligations (article R. 229-50-1 du Code de l’environnement, lequel n’a pas encore été mis à jour concernant le montant de l’amende).

Cet article 28 de la loi, et donc les modifications qu’il apporte, entreront en vigueur le 9 novembre 2020.

Par Solenne Daucé et Julie Cazou

Homicide par imprudence – Présomption de causalité

Par un arrêt du 7 mai 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation semble faire évoluer sa jurisprudence en matière d’homicide involontaire, quant à la matérialité du lien de causalité requis entre la faute non intentionnelle et le dommage.

Rappelons en substance qu’aux termes des dispositions combinées des articles 121-3 et 221-6 du Code pénal, le délit d’homicide involontaire impose la preuve d’une faute involontaire, dont la matérialité et l’intensité varie selon la personne de son auteur et la nature – directe ou indirecte – du lien de causalité la reliant au dommage. Il en résulte classiquement que le lien de causalité entre la faute et le dommage doit toujours exister, mais que celui-ci peut varier quant à sa nature et impacter l’intensité de la faute requise.

Sans revenir sur ce principe, l’arrêt en propose ici une application a contrario qui semble induire en la matière un mécanisme présomptif – à tout le moins s’agissant des accidents mortels du travail. En effet, constatant que l’arrêt d’appel soumis à sa censure avait retenu l’existence d’une faute de négligence à l’endroit de l’employeur, la Cour de cassation y présume l’existence d’un lien de causalité entre cette faute et le dommage, dès lors que la preuve n’est pas rapportée que celui-ci trouvait sa cause exclusive dans le comportement de la victime.

Bien sûr, si le comportement de la victime avait été la cause exclusive du dommage, celui-ci n’aurait pu trouver une origine concurrente dans la négligence de l’employeur ; ce n’est donc guère ici qu’il faut chercher l’attrait de cette décision mais plutôt dans le fait que, selon la Cour de cassation, dès lors que le fait de la victime n’est pas la cause unique de son dommage, alors la négligence de l’employeur – pourvu qu’elle soit établie comme en l’espèce – est présumée y avoir nécessairement contribué, en tout ou partie, directement ou indirectement.

Nous publierons prochainement une analyse plus détaillée de cette décision et des conditions d’engagement de la responsabilité pénale en matière d’homicide involontaire.

Transfert de bail HLM au travailleur handicapé

Au décès de son locataire, un bailleur HLM a assigné le fils de ce dernier en expulsion pour occupation sans droit ni titre.

Ce dernier a invoqué sa qualité de travailleur handicapé pour bénéficier du transfert de bail sur le fondement de l’article 40 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

Pour rappel, ces dispositions prévoient qu’en matière de logement HLM non conventionné, comme c’était le cas en l’espèce, le demandeur au transfert de bail présentant un handicap au sens de l’article L. 114 du Code de l’action sociale et des familles n’a pas à remplir les conditions de ressources pour l’attribution des logements sociaux et d’adaptation du logement à la taille du ménage pour en bénéficier.

La Cour d’appel, pour rejeter la demande de transfert en l’espèce, juge que la notion de personne handicapée au sens de l’article L. 114 susvisé coexiste certes avec celle de travailleur handicapé mais ne se confond pas avec elle et qu’en conséquence ce dernier devait remplir la condition de taille du ménage pour lui permettre de bénéficier du transfert du bail.

La Cour de cassation casse l’arrêt pour violation de l’article 40 de la loi du 6 juillet 1989, en ces termes :

« Le travailleur handicapé au sens de l’article L. 5213-1 du code du travail bénéficie de l’exception prévue à l’article 40, I, alinéa 2, de la loi du 6 juillet 1989 en faveur des personnes présentant un handicap au sens de l’article L. 114 du code de l’action sociale et des familles ».

Par cette interprétation large de la qualité de personne handicapée, la Cour de cassation permet une application plus souple des exceptions aux conditions à réunir pour bénéficier du transfert de bail.

QPC et promesse unilatérale de vente

La sanction, prévue par le législateur (l’article 1124, alinéa 2 du Code civil), permettant l’exécution forcée de la promesse unilatérale de vente, dans l’hypothèse où le promettant révoque sa promesse, pendant le temps laissé au bénéficiaire pour lever l’option, n’est pas inconstitutionnelle.

La Cour de cassation a l’occasion de répondre à une question prioritaire de constitutionnalité relative au régime des promesses unilatérales de vente.

Ainsi, une société immobilière a consenti une promesse unilatérale de vente à une société bénéficiaire. Le bénéficiaire a assigné en perfection de la vente par la société promettante suite à la révocation de son engagement.

À l’occasion de cette action, les juges du fond saisissent la Cour de cassation, d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Cette question porte sur l’article 1124, alinéa 2, du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, aux termes duquel « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis ».

La question est de savoir si une telle disposition est contraire à deux normes :

  • Le principe de liberté contractuelle, tel qu’il découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ;
  • Le droit de propriété, garanti par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

La Cour de cassation refuse le renvoi devant le Conseil Constitutionnel de cette QPC.

La Cour de cassation considère que deux conditions ne sont pas réunies.

En premier lieu, la Cour de cassation considère que la question, « ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle ».

En second lieu, la Cour de cassation refuse le caractère sérieux de la demande, car la promettante donne son consentement à un contrat « dont les éléments essentiels sont déterminés », de sorte « que la formation du contrat promis malgré la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire ne porte pas atteinte à la liberté contractuelle et ne constitue pas une privation du droit de propriété ».

En conséquence, le nouveau droit des obligations depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 est confirmé par la Cour de cassation, mettant ainsi fin à la jurisprudence Consorts Cruz (Cass civ, 3ème,15 décembre 1993, n° 91-10199), aux termes de laquelle l’inexécution d’une promesse unilatérale de vente ne pouvait se résoudre qu’en dommages-intérêts.

Absence de suivi régulier de la charge de travail ? Nullité du forfait-jours

Une nouvelle fois, la Cour de cassation, saisie en l’espèce de la convention collective des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs, réaffirme et affine sa jurisprudence relative aux forfaits jours pour les forfaits conclus avant l’entrée en vigueur de la loi Travail du 8 aout 2016 (. Se poursuit ainsi la vérification au cas par cas des accords collectifs encadrant le recours aux forfaits jours, qui doivent organiser un suivi régulier de la charge de travail afin de prévenir les risques liés à l’excès de travail pour les salariés non soumis à la durée légale du travail et aux durées maximales de travail.

En l’espèce, le directeur général d’une association soumis au forfait jour prévue par l’article 9 convention collective des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs et des articles 2 et 3 de l’avenant n° 2 du 21 octobre 2004 relatif à l’aménagement du temps de travail avait été licencié et avait saisi la juridiction aux fins de voir condamner son ancien employeur de diverses demandes, et notamment en paiement de rappels de salaire au titre des heures supplémentaire, estimant que la convention de forfait en jours stipulée à son contrat était irrégulière pour les raisons suivantes :

  • elle fixait une durée de travail de 208 jours alors que la convention collective applicable prévoyait un maximum de 207 jours ;
  • les modalités de décompte des journées et demi-journées travaillées n’étaient pas prévues ;
  • aucun entretien individuel pour assurer le suivi de l’exécution de cette convention de forfait.

Débouté par la Cour d’appel de Reims le 10 mai 2017, les juges du fond retenant que le jour supplémentaire correspondait à la journée de solidarité ainsi et surtout la mauvaise foi du salarié qui avait selon eux, en sa qualité de directeur général, la charge de s’assurer du respect de la réglementation sociale par l’association et plus particulièrement celle relative à la durée du travail, le salarié se pourvoi en cassation.

Par arrêt du 6 novembre 2019, la Cour de cassation fait droit à la demande en paiement des heures supplémentaires du salarié et casse l’arrêt d’appel en relevant d’office que les dispositions de la convention collective ayant servi de base à la conclusion du forfait n’étant pas assez protectrice, la convention de forfait jour était nulle !

En l’espèce, les dispositions des articles 2 et 3 de l’avenant précité imposaient :

  • dans l’année de la conclusion de la convention, un examen conjoint, par la hiérarchie et le cadre concerné, de sa charge de travail et des éventuelles modifications à y apporter. Un compte rendu de cet entretien devait être établi et signé par le collaborateur et son manager ;
  • l’examen, lors chaque entretien professionnel annuel, de l’amplitude de la journée d’activité et de la charge de travail du salarié ;
  • un décompte mensuel des jours travaillés et des jours de repos établi par l’intéressé et visé par son supérieur hiérarchique.

Pour la Cour de cassation, ces garanties ne sont donc pas suffisantes dans la mesure où « elles ne prévoient pas de suivi effectif et régulier par la hiérarchie des états récapitulatifs de temps travaillé transmis, permettant à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable ». L’employeur ne pouvant anticiper et être réactif, ces dispositions n’étaient pas donc pas nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié concerné restent raisonnables et que sa durée du travail soit bien répartie dans le temps.

Ainsi, la Cour de cassation s’inscrit dans la lignée de sa jurisprudence relative aux conventions de forfait jours dégagée depuis 2011 (Cass. soc. 29 juin 2011 no 09-71.107 FS-PBRI ; Cass. soc. 17 janvier 2018 no 16-15.124 F-PB) et confirme sa jurisprudence selon laquelle toute convention de forfait-jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. A cette occasion, elle rappelle qu’est inopposable aux salariés l’accord collectif organisant le recours aux forfaits jours sans prévoir de suivi effectif et régulier du temps de travail du salarié par la hiérarchie, permettant de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable de travail (Cass. soc. 5 octobre 2017 no 16-23.106 FS-PB) et ce peu importe ses fonctions !

Si cette décision a été rendue relativement à une convention conclue avant l’entrée en vigueur de la loi Travail, l’exigence du suivi régulier de la charge travail des salariés s’appliquent aux conventions conclus postérieurement puisque ces mesures sont désormais prévues légalement et d’ordre public (C.trav., L. 3121-60).

Mise en place d’une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) obligatoire ou conventionnelle : caractère d’ordre public des modalités légales de désignation de ses membres

Dans un arrêt du 27 novembre 2019, la Cour de cassation fait une lecture stricte de l’article L. 2315-39 du Code du travail relatif aux modalités de désignation des membres d’une CSSCT dans le cadre de la mise en place conventionnelle de cette commission.

Pour rappel, la mise en place d’une CSSCT est obligatoire dans les entreprises et les établissements distincts d’au moins 300 salariés ainsi que dans certains établissements exerçant certaines activités spécifiques (C. trav., art. L. 2315-36). Lorsque sa mise en place n’est pas imposée par ces dispositions, une CSSCT conventionnelle peut être instaurée par accord collectif (C. trav., art. L. 2315-43).

Dans les deux cas, la CSSCT est aménagée par accord collectif (C. trav., art. L. 2315-41).

Cependant, l’article L. 2315-39 du Code du travail sur la portée duquel la Cour de cassation s’est prononcée prévoit que  « les membres de la commission santé, sécurité et conditions de travail sont désignés par le comité social et économique parmi ses membres, par une résolution adoptée selon les modalités définies à l’article L. 2315-32 », soit à la majorité des membres présents.

Cet article figure parmi les dispositions d’ordre public.

Dans cette affaire, une société avait conclu un accord relatif à la mise en place du comité social et économique (CSE), prévoyant la mise en place d’une CSSCT conventionnelle. Cet accord reprenait les dispositions de l’article L. 2315-39 du Code du travail s’agissant des modalités de désignation des membres de la CSSCT à laquelle il a été procédé lors de la première réunion des membres du CSE.

Un syndicat a contesté ces désignations et en a sollicité l’annulation, ainsi que la suspension du fonctionnement de la commission. A ce titre, il soutenait qu’une résolution préalable fixant les modalités de désignation des membres de la CSSCT aurait dû être prise par le CSE comme l’auraient impliqué les dispositions conventionnelles, semblant ainsi avancer un raisonnement par analogie avec les règles applicables à la désignation de l’ancien CHSCT.

La Cour de cassation n’approuve pas cette solution. En effet, après avoir rappelé les dispositions d’ordre public de l’article L. 2315-39 précité, la Cour affirme que celles-ci sont applicables à la CSSCT qu’elle soit conventionnelle ou obligatoire.

Dans ces conditions, elle considère que les dispositions légales, reprises par l’accord collectif en cause, n’impliquent pas l’obligation d’adopter une résolution préalable du CSE fixant les modalités de la désignation des membres de la CSSCT, l’instance pouvant dès sa première réunion y procéder par l’adoption une résolution prise à la majorité.

La position de la Cour a ainsi pour conséquence d’interdire de prévoir des modalités de désignation différentes de celles prévues par la Loi, y compris lorsque la CSSCT n’est pas légalement obligatoire et mise en place par voie conventionnelle.

Code des procédures civiles d’exécution et expulsions qui relèvent du juge administratif

Saisi de contentieux relatifs à l’expulsion de deux étudiants de logements situés dans deux résidences universitaires appartenant au CROUS, le Conseil d’État juge, par deux décisions, que les dispositions du Code des procédures civiles d’exécution relatives à « l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité » ne trouvent pas à s’appliquer lorsqu’est en cause une mesure d’expulsion qui relève de la compétence du juge administratif.

Le Conseil d’État a ainsi jugé que :

 

« 3. Aux termes de l’article L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution :  » Sauf disposition spéciale, l’expulsion d’un immeuble ou d’un lieu habité ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice ou d’un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d’un commandement d’avoir à libérer les locaux « . L’article L. 412-1 dispose que l’expulsion ne peut avoir lieu qu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant le commandement de quitter les lieux. L’article L. 412-2 du même code donne au juge la possibilité de proroger ce délai pour une durée maximale de trois mois lorsque l’expulsion aurait des conséquences d’une dureté exceptionnelle pour la personne concernée, en raison de la période de l’année ou des circonstances météorologiques. Les articles L. 412-3 et L. 412-4 prévoient que le juge peut accorder aux occupants d’un lieu habité ou de locaux professionnels dont l’expulsion a été ordonnée des délais compris entre 3 mois et 3 ans lorsque leur relogement ne peut avoir lieu dans des conditions normales. L’article L. 412-5 prévoit que l’huissier de justice informe le préfet, en même temps qu’il signifie le commandement de libérer les lieux, afin que le représentant de l’État puisse saisir la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives. Aux termes de l’article L. 412-6 du même code :  » Nonobstant toute décision d’expulsion passée en force de chose jugée et malgré l’expiration des délais accordés en vertu de l’article L. 412-3, il est sursis à toute mesure d’expulsion non exécutée à la date du 1er novembre de chaque année jusqu’au 31 mars de l’année suivante, à moins que le relogement des intéressés soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille […] « . Enfin, selon l’article L. 412- 7 du même code :  » Les dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-6 ne sont pas applicables aux occupants de locaux spécialement destinés aux logements d’étudiants lorsque les intéressés cessent de satisfaire aux conditions en raison desquelles le logement a été mis à leur disposition […] « .

4. Les dispositions mentionnées au point 3, qui définissent les modalités selon lesquelles sont prises et exécutées les décisions d’expulsion relevant de la compétence de la juridiction judiciaire, ne trouvent pas à s’appliquer lorsqu’est en cause l’expulsion d’un occupant d’un logement situé dans une résidence pour étudiants gérée par un CROUS, qui relève de la compétence du juge administratif ».

 

Le Conseil d’État étend ainsi à l’ensemble des procédures d’expulsion qui relèvent de la compétence des juridictions administratives la jurisprudence suivant laquelle les occupants sans titre de dépendances du domaine public ne peuvent pas se prévaloir, pour retarder la mise en œuvre effective de leur expulsion, des dispositions protectrices du code des procédures civiles d’exécution (CAA Bordeaux, 5 avril 2007, Commune de Montségur, req. n° 03BX01307 ; CAA Marseille, 11 octobre 2011, Sauteret, req. n° 09MA02584).

Les décisions d’expulsion prononcées par le juge administratif, en référé comme au fond, peuvent donc être exécutées bien plus aisément que celles prononcées par le juge judiciaire : il n’est notamment pas nécessaire pour l’huissier de délivrer un commandement de quitter les lieux, et on peut également relever qu’il n’existe pas de « trêve hivernale ».

Cessions à vil prix entre personnes publiques : une légalité subordonnée à l’existence d’un intérêt général et à des contreparties suffisantes

Par plusieurs décisions du 9 juillet 2019, la Cour administrative d’appel de Lyon a rappelé que les cessions entre personnes publiques tout comme les cessions au profit de personnes privées, à un prix significativement inférieur à la valeur du marché, ne sont légales qu’à la condition d’être réalisées dans un but d’intérêt général et d’être affectées de contreparties suffisantes.

Si ce principe, dégagé pour la première fois par le Conseil d’État dans une décision Commune de Fougerolles (CE, 3 novembre 1997, req. n° 169473), est bien connu des collectivités lorsqu’il s’agit de cessions au profit de personnes privées, il vient sans doute moins immédiatement à l’esprit lorsqu’il s’agit d’une cession entre personnes publiques.

Le Conseil d’État avait pourtant expressément fait application de ce principe à une cession entre personnes publiques dans une décision de 2012 (CE, 15 mai 2012, Hayart, req.
n° 351416).

Mais aucune autre décision n’était ensuite venue, à notre connaissance, rappeler expressément ce principe. Et la doctrine soulignait que les juridictions administratives portaient un regard plutôt souple sur le sujet (P. Yolka, « Les contrats administratifs de vente immobilière entre personnes publiques », AJDA, 2016, p. 1749), si bien que le sujet semblait quelque peu neutralisé.

La Cour administrative d’appel de Lyon réaffirme donc ici le principe, sans toutefois le cantonner aux cessions entre personnes publiques, et sans reprendre exactement le considérant de principe des dernières décisions du Conseil d’État sur les cessions au profit de personnes privées (voir notamment CE, 14 octobre 2015, Commune de Châtillon-sur-Seine, req. n° 375577). Elle indique ainsi que :

« La cession d’un bien immobilier appartenant au domaine privé d’une personne publique ne peut, en principe, être consentie qu’à un prix correspondant à la valeur réelle de ce bien et, dans l’hypothèse où le prix fixé serait significativement inférieur à cette valeur, elle doit être justifiée par des motifs d’intérêt général et assortie de contreparties suffisantes ».

Faisant ensuite application de ce considérant, la Cour juge que l’opération immobilière mise en œuvre par le service départemental d’incendie et de secours (SDIS), par la voie de laquelle il va céder à deux établissements publics de logements 180 logements à un prix très inférieur à celui du marché, satisfait ces deux conditions.

Elle indique plus précisément que l’intérêt général découle de la circonstance que la Métropole de Lyon est tout à la fois en charge du service public de lutte contre les incendies et du service public du logement social, et que tant le SDIS (vendeur) que les deux établissements de logements (acheteurs) sont financés par elle et placés sous son contrôle. La Cour ajoute que bien que la mission de service public de logement social ne relève pas directement de la compétence du SDIS, il est toutefois ici un intérêt général à la réalisation d’une telle cession en considération du contexte rappelé.

Elle juge par ailleurs que la contrepartie peut être constituée par la circonstance que sans la cession, la SDIS, qui ne souhaite plus affecter les logements cédés à ses agents, aurait supporté « une charge financière excessive sans la moindre contrepartie en raison, notamment, des charges grevant ces immeubles et du coût de leur entretien ». Et, de ce point de vue, la décision est éclairante : si le Conseil d’État avait semble-t-il déjà retenu une contrepartie de cette nature (CE, 28 février 2007, Commune de Bourisp, req. n° 279948 ; CE, 14 octobre 2015, Commune de Châtillon-sur-Seine, req. n° 375577), il était toutefois permis de s’interroger sur la portée de ces décisions qui n’étaient pas explicites sur le sujet, notamment parce qu’elles semblaient confondre ce critère avec celui attaché à l’intérêt général.

Quels critères appliquer aux ateliers-logements ?

Par une question écrite n° 21296, publiée le 9 juillet 2019, au Journal Officiel de l’Assemblée nationale, Monsieur le Député Bertrand BOUYX a attiré l’attention du ministre en charge du Logement « […] sur les dysfonctionnements pesant sur les dispositifs d’ateliers-logements, notamment au regard de leur remise en disponibilité à la suite du décès de l’artiste auteur, ainsi que du relogement de la famille du défunt ».

Pour mémoire, les ateliers-logements se définissent comme « des entités constituées d’un logement pour un artiste auteur bénéficiaire et sa famille, accolé à un lieu de travail adapté à son exercice professionnel » et sont « considérés comme des logements sociaux simples ».

Il est ainsi demandé au ministre en charge du Logement de préciser « […] la définition administrative et juridique de l’atelier-logement afin de permettre aux artistes-auteurs de se loger décemment et d’exercer leur profession dans des conditions adaptées. Par ailleurs, il lui demande quelles solutions il entend donner au problème de ré-affection des ateliers-logements aux artistes-auteurs en activité, et de relogement des familles des artistes-auteurs défunts, en tenant compte du stock d’œuvres et d’archives dont elles ont la charge ».

Le ministre en charge du Logement a, par une réponse publiée le 15 octobre 2019 au Journal Officiel, préalablement rappelé que « [s]i ces « ateliers-logements » peuvent avoir diverses formes, […] les logements relèvent de la législation relative aux baux d’habitation. Lorsque le logement atelier appartient à un bailleur social, il doit, comme tout logement du parc locatif social, être attribué sous conditions de ressources. De même, dans le cadre des rapports locatifs dans le parc social, le droit commun domine ».

Dès lors, le ministre chargé du Logement a précisé qu’« au décès d’un artiste-auteur, son conjoint ou ses descendants restent de droit dans les lieux en qualité de co-titulaire du bail ou de bénéficiaire d’un transfert de bail, même s’ils n’ont pas eux-mêmes la qualité d’artiste-auteur ».

Cependant, il est possible, à la suite du décès de l’artiste-auteur, de libérer l’atelier-logement et de l’attribuer à un autre artiste-auteur ; étant précisé que le bailleur doit, pour ce faire, « […] proposer un relogement adapté aux besoins de la famille du défunt dans le parc locatif social [en prenant] en compte à titre principal la composition du ménage et ses ressources et non les besoins en matière de stockage d’œuvres ou d’archives dont la conservation ne relève pas du logement ».

A toutes fins utiles, le ministre chargé du Logement a relevé que l’article 109 de la loi ELAN du 23 novembre 2018, créant l’article L. 442-5-2 du Code de la construction et de l’habitation, prévoit désormais « […] l’examen par le bailleur social des conditions d’occupation des logements situés dans les zones tendues, tous les trois ans à compter de la date de signature du contrat de location » et ainsi d’en conclure que « [c]ette mesure devrait permettre une meilleure adéquation entre les logements et leurs occupants, et favoriser la mobilité au sein du parc social ».

Etat d’enclave : la renonciation à une servitude légale de passage conventionnellement aménagée n’est pas opposable aux nouveaux propriétaires

Le 24 octobre 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation devait se prononcer sur le point de savoir si l’acquéreur d’une parcelle enclavée peut se voir opposer la renonciation d’un précédent propriétaire au bénéfice de la servitude de passage conventionnellement aménagée.

En l’espèce, un propriétaire avait procédé à la division d’un fonds ; en étaient issues deux parcelles, aujourd’hui propriété de M. et Mme Z, une parcelle, propriété de M. Y, et trois parcelles, appartenant à une SCI ; M. et Mme Z avaient assigné M. Y, aux droits duquel se trouvaient ses héritières, ainsi que la SCI, en désenclavement de leur fonds, en demandant, à titre principal, un passage par la parcelle appartenant à M. Y et, subsidiairement, la désignation d’un expert chargé d’examiner la possibilité d’un éventuel passage par la propriété de la SCI.

Pour rejeter l’ensemble des demandes, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait retenu que le précédent propriétaire, auteur de M. et Mme Z, avait volontairement enclavé les parcelles dont il avait fait l’acquisition lors la division du fonds originel, en renonçant, par acte du 13 décembre 2003, au bénéfice de la servitude de passage grevant les parcelles appartenant aujourd’hui à la SCI que l’héritière du propriétaire originaire lui avait consentie le 25 septembre 2001

La troisième chambre civile censure la décision au visa des articles 682 et 684 du code civil après avoir énoncé que l’acquéreur d’une parcelle enclavée ne peut se voir opposer la renonciation d’un précédent propriétaire au bénéfice de la servitude légale de passage conventionnellement aménagée.

L’expulsion n’est pas une mesure disproportionnée eu égard à l’atteinte au droit de propriété

A la suite et dans la lignée de ses arrêts rendus les 17 mai 2018 (n° 16-15792) et 4 juillet 2019 (18-17119), la 3ème chambre civile de la Cour de cassation rend cette fois-ci un arrêt de principe, au sein duquel elle affirme une nouvelle fois le fait que l’ingérence résultant d’une mesure d’expulsion n’est pas disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété.

La 3ème chambre civile vise expressément les articles 544 et 545 du Code civil, ainsi que l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’article 1 du Protocole additionnel de la convention de sauvegarde des droits de l’hommes et des libertés fondamentales, dont les dispositions protègent le droit de propriété.

Par cet arrêt de principe, la Cour de cassation affirme clairement sa volonté de protéger le droit de propriété, lequel est garanti tant par des dispositions nationales que supra nationales, et opère un contrôle de proportionnalité favorable au propriétaire dont le bien fait l’objet d’une atteinte illicite.

La Cour de cassation rappelle en effet que, si une mesure d’expulsion caractérise bien une ingérence dans le droit au domicile de l’occupant sans droit ni titre, celle-ci est justifiée, dans la mesure où elle est l’unique mesure qui permette au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit :

« […] alors que, l’expulsion étant la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l’ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile de l’occupant ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété […] ».

La CNIL met en demeure le ministère de l’Intérieur sur le traitement des données des radars-tronçons

L’arrêté du 13 octobre 2004 encadre le système de contrôle automatisé de la vitesse des véhicules sur un tronçon de route déterminé par un dispositif de lecture automatique de plaques d’immatriculation des véhicules (LAPI). Ce dispositif permet la collecte et le traitement de données de l’ensemble des véhicules qui circulent sur ce tronçon par le ministère de l’Intérieur. Plus précisément, les données collectées sont les clichés concernant le véhicule et ses passagers, le lieu, la date et l’heure des clichés, la voie de circulation du véhicule et enfin le numéro d’immatriculation du véhicule.

À l’occasion de trois contrôles sur place de septembre à décembre 2018, la CNIL a constaté plusieurs manquements relatifs aux durées de conservation et à la sécurité des données dans la mise en œuvre du traitement de données personnelles des radars-tronçons.

En conséquence, par une délibération en date du 12 novembre 2019, la CNIL a prononcé une mise en demeure à l’encontre du ministère de l’Intérieur et a décidé de la rendre publique en raison notamment du nombre important de personnes susceptibles d’être concernées et du risque particulier au regard du respect de la vie privée des personnes.

 

  1. Sur les manquements relatifs aux durées de conservation des données

Tout d’abord, lors de son contrôle, la délégation de la CNIL a constaté que les données des véhicules n’étant pas en infraction ont été conservés sur le radar contrôlé plus de 13 mois pour les numéros de plaques d’immatriculation complets et plus de 4 ans pour les numéros tronqués de deux caractères. Or, la CNIL rappelle que les numéros de plaques des véhicules n’ayant pas commis d’infraction ne doivent pas être conservés plus de 24 heures.

Ensuite, lors de son contrôle auprès du Centre national de traitement du contrôle automatisé de Rennes (ci-après le CNT), la délégation de la CNIL a constaté la présence de messages relatifs à des infractions, contenant les données des véhicules, conservés au CNT depuis plus de 13 ans. Or, l’autorité de contrôle rappelle que la durée de conservation de ces données, en cas d’infraction à la limitation de vitesse, ne doit pas dépasser 10 ans.

Enfin, la délégation de la commission a constaté que les messages en échec d’envoi au CNT étaient conservés plus de 3 ans, alors que la durée de conservation applicable à ces données n’est que d’un an. En effet, au-delà de cette durée d’un an, les contraventions non envoyées au CNT sont prescrites.

En conséquence, la CNIL met en demeure le ministère de l’Intérieur de respecter l’arrêté de 2004 en mettant en place un mécanisme de purge et en supprimant le stock de données qui ont été conservées plus longtemps que prévu.

 

  1. Sur le manquement à l’obligation d’assurer la sécurité des données personnelles

Sur l’obligation d’assurer la sécurité du traitement des données à caractère personnel, la CNIL constate trois manquements susceptibles de porter atteinte à la sécurité des traitements de données :

  • Un manque de robustesse des mots de passe de connexion au radar ;
  • Une traçabilité insatisfaisante des accès ;
  • Une gestion insuffisante des droits d’accès par le prestataire du ministère de l’Intérieur.

En conséquence, la CNIL demande au ministère de l’Intérieur de prendre toute mesure nécessaire pour garantir la sécurité des données.

 

Pour conclure, la CNIL donne un délai de trois mois au ministère de l’Intérieur pour se conformer à la loi « Informatique et Libertés » sur ces deux manquements. Si le ministère ne se conforme pas à cette mise en demeure dans le délai imparti, la formation restreinte de la CNIL sera susceptible d’être saisie et pourra prononcer l’une des mesures correctrices prévues à l’article 20 de la loi « Informatique et Libertés ». Toutefois, la CNIL ne pourra pas prononcer une amende administrative puisqu’une telle sanction n’est pas applicable aux traitements mis en œuvre par les services de l’Etat.

Précision du Conseil d’Etat sur l’application du droit au déréférencement

Le 6 décembre 2019, le Conseil d’Etat a rendu 13 arrêts relatifs à l’application du droit au déréférencement sur un moteur de recherche. Ces arrêts interviennent à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne C-136/17 rendu le 24 septembre 2019 (voir notre précédente brève de novembre 2019 sur cet arrêt).

Dans une démarche pédagogique, le Conseil d’Etat accompagne la publication de ces décisions d’une fiche juridique précisant la portée de ces arrêts. Le Conseil d’Etat rappelle que le droit au déréférencement peut être obtenu par toute personne auprès de l’exploitant du moteur de recherche. En cas de refus de faire droit à cette demande, l’intéressé peut saisir soit le juge judiciaire, soit la CNIL. Si la CNIL refuse de faire droit à la demande de la personne concernée, cette dernière peut contester ce refus devant le Conseil d’Etat. Le juge administratif se prononcera alors en fonction des circonstances de droit et de fait applicables à la date à laquelle il statue.

Dans ces décisions du 6 décembre 2019, le Conseil d’Etat expose la grille d’analyse que la CNIL doit suivre pour faire droit ou non à la demande de déférencement. En particulier, le Conseil d’Etat distingue trois cas de figure selon la nature des données personnelles dont il est question.

 

  1. Dans le cas où le lien litigieux mène vers des données personnelles non sensibles

Le Conseil d’Etat considère que la CNIL peut refuser de faire droit à une demande de déréférencement lorsqu’il existe un intérêt prépondérant du public à accéder à l’information dont il est question. En conséquence, la CNIL doit mettre en balance trois paramètres principaux selon :

  • Les caractéristiques des données personnelles en cause, c’est-à-dire la nature des données en cause, leur contenu, leur caractère plus ou moins objectif, leur exactitude, leur source, les conditions et la date de leur mise en ligne et les répercussions que leur référencement est susceptible d’avoir pour la personne concernée ;
  • Le rôle social du demandeur en tenant compte de la notoriété de cette personne, de son rôle dans la vie publique et de sa fonction dans la société ;
  • Les conditions d’accès de l’information en cause en prenant en compte la possibilité d’accéder aux mêmes informations à partir d’une recherche portant sur des mots-clés ne mentionnant pas le nom de la personne concernée ainsi que le rôle qu’a, le cas échéant, joué cette dernière dans la publicité conférée aux données la concernant.

 

  1. Dans le cas où le lien litigieux mène vers des données personnelles sensibles

Le Conseil d’Etat considère que l’ingérence dans la vie privée des personnes est particulièrement grave. En conséquence, la CNIL doit apprécier de façon plus exigeante les paramètres liés aux caractéristiques des données personnelles en cause, au rôle social du demandeur et aux conditions d’accès de l’information.

En effet, le Conseil d’Etat considère que, dans ce cas de figure, l’accès à une telle information à partir d’une recherche portant sur le nom de cette personne doit être strictement nécessaire à l’information du public.

En outre, le Conseil d’Etat estime que si les données sensibles ont été rendues publiques par la personne concernée, alors la CNIL doit analyser la demande comme si les données en question n’étaient pas sensibles.

 

  1. Dans le cas où le lien litigieux mène vers des données relatives à une procédure pénale

Dans cette hypothèse, le Conseil d’Etat reprend la grille d’analyse applicable aux données sensibles mais ajoute une obligation d’actualisation de la liste des résultats à la charge de l’exploitant du moteur de recherche.

En effet, le Conseil d’Etat estime que bien que le référencement de données relatives à une procédure pénale non actualisée soit légal, l’exploitant du moteur de recherche doit aménager la liste des résultats de telle sorte que celle-ci fasse d’abord apparaitre au moins un lien menant vers une page web comportant des informations à jour, afin que l’image en résultant soit fidèle à la situation judiciaire actuelle de l’intéressé.