le 13/09/2017

Suspension par le Conseil d’Etat du décret relatif aux obligations d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire

CE, ord., 11 juillet 2017, Conseil du commerce de France et autres, req. n° 411578

Par une ordonnance du 11 juillet 2017, rendue dans le cadre de la procédure de référé suspension prévue par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, le Conseil d’Etat a suspendu l’application du décret n° 2017-918 du 9 mai 2017 relatif aux obligations d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire.

Pour mémoire, par ce décret, le pouvoir réglementaire avait précisé les modalités d’application des obligations d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire prévues par l’article L. 111-10-3 du Code de la construction et de l’habitation (ci-après, CCH), ledit article ayant lui-même été introduit dans le CCH par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, près de sept ans auparavant, et modifié par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (Voir notre brève sur le sujet dans la Lettre d’actualité Energie et Environnement du mois de juin 2017).

Il résulte notamment des nouvelles dispositions réglementaires introduites dans le CCH par le décret du 9 mai 2017 contesté que les bâtiments ou parties de bâtiments à usage de bureaux, d’hôtels, de commerces, d’enseignement et les bâtiments administratifs, regroupant des locaux d’une surface supérieure ou égale à 2 000 m² de surface utile doivent, avant le 1er janvier 2020, faire l’objet de travaux d’amélioration devant permettre de diminuer la consommation énergétique totale du bâtiment, soit d’une valeur équivalente à 25 % de celle-ci, soit à un seuil exprimé en kWh/ m2/ an d’énergie primaire (art. R.* 131-39-I du CCH).

Ces travaux d’amélioration doivent être précédés de la réalisation d’une étude énergétique destinée à évaluer les actions à entreprendre pour attendre les objectifs de performance énergétique ainsi que de l’élaboration d’un plan d’action. Or, le dispositif impose aux propriétaires occupants et aux preneurs à bail des bâtiments concernés de transmettre, avant le 1er juillet 2017, ces rapports énergétiques et ces plans d’actions à un organisme désigné par le ministre chargé de la construction.

Par une première ordonnance en date du 28 juin 2017, le juge des référés du Conseil d’Etat, statuant également sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, avait déjà suspendu, également sur la requête du Conseil du commerce de France, de l’association Perifem et de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, l’exécution du décret du 9 mai 2017 relatif aux obligations d’amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire en tant qu’il comportait à l’article R. 131-46 du code de la construction et de l’habitation, les mots « avant le 1er juillet 2017, » 

Dans le cadre de l’ordonnance du 11 juillet 2017, le juge des référés Conseil d’État fait droit à la deuxième demande qui lui était présentée et suspend, dans son ensemble, l’exécution du décret du 9 mai 2017. 

Aux termes de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, deux conditions cumulatives doivent être réunies pour que le juge fasse droit à la demande de suspension présentée :

  • Il doit exister une situation d’urgence ;
  • Il doit être fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

En l’espèce, s’agissant de la condition tenant au moyen propre à créer un doute sérieux sur la légalité du décret, le Conseil d’Etat estime que les trois moyens soulevés par les requérants satisfont à cette exigence et retient que :

  • le décret ne pouvait, sans méconnaître l’article L. 111-10-3 du CCH, imposer une obligation de réduction de 25% de la consommation énergétique des bâtiments d’ici 2020, dès lors que la loi impose un délai de cinq ans entre la publication du décret d’application de cet article et la date à laquelle les obligations de performance énergétique doivent être respectées ;
  • en prévoyant un tel délai excessivement contraint, le pouvoir réglementaire a, en outre, méconnu le principe de sécurité juridique ;
  • les auteurs du décret ne pouvaient inclure dans le champ d’application de l’article L. 111-10-3 du CCH que certaines catégories de bâtiments relevant du secteur tertiaire et s’abstenir de moduler les obligations mises à la charge des propriétaires ou des bailleurs en fonction de la destination des bâtiments concernés.

Le Conseil d’Etat estime, par ailleurs, que la condition d’urgence est également remplie dès lors que l’arrêté ministériel qui, en application de l’article R. 131-50 du CCH, doit préciser les modalités d’application du texte, n’est pas encore intervenu, tandis que les personnes assujetties aux obligations qu’il institue sont en pratique tenues, pour atteindre au 1er janvier 2020 le seuil de 25 % de diminution de la consommation énergétique, d’engager dès maintenant des études et des travaux, et ce, dans l’ignorance du seuil alternatif qui sera précisé par l’arrêté.

En conséquence, le Conseil d’Etat conclut que la nécessité de procéder immédiatement à ces travaux « dans d’évidentes conditions d’incertitude juridique, sans d’ailleurs (…) avoir l’assurance à ce stade que ces études préalables respecteront les exigences qui s’appliqueront aux « études énergétiques » mentionnées à l’article R. 131-42, puisque ces exigences ne seront connues qu’une fois l’arrêté pris », doit être regardée, dans les circonstances de l’espèce, comme portant une atteinte grave et immédiate [aux] intérêts économiques [des associations requérantes] » et que « cette atteinte est d’autant plus caractérisée qu’elles se trouvent, au surplus, exposées, dans l’hypothèse où elles envisageraient de vendre des bâtiments, au risque d’une diminution de leur valeur vénale, compte tenu du report des obligations sur l’acquéreur ».

Les deux conditions prévues par l’article L. 521-1 du code de justice administrative étant remplies, le Conseil d’Etat a fait droit à la demande de suspension du décret du 9 mai 2017 dont il était saisi.

Le texte n’est donc pas applicable jusqu’à ce que le Conseil d’Etat statue sur le recours au fond déposé par les requérants.