Possibilité de lancer une procédure de mise en concurrence avant d’en avoir la compétence

Le Conseil d’Etat reconnait, dans une décision du 9 juin 2020[1], la possibilité pour une collectivité territoriale, en l’occurrence la Métropole de Nice-Côte d’Azur, non encore compétente pour ce faire, de lancer la procédure de mise en concurrence afférente à une concession de plage.

Les faits sont les suivants : par un arrêté préfectoral du 12 octobre 2007 s’achevant le 31 décembre 2019, la concession des plages naturelles de Nice avait été attribuée à la ville de Nice, à qui il revenait donc de mener une procédure de publicité et mise en concurrence pour confier ensuite l’exploitation de ces plages[2].

Au début de l’année 2018, la métropole Nice-côte d’Azur exprimait son intention de prendre la suite de la ville de Nice (et donc de conclure la concession portant l’aménagement, l’exploitation et l’entretien des plages naturelles avec un exploitant), en faisant jouer le droit de priorité qu’elle tire de l’article L. 2124-4 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques (CGPPP).

En effet, ces dispositions prévoient que les concessions de plage sont accordées en priorité aux métropoles et, en dehors du territoire de celles-ci, aux communes ou groupements de communes.

Toutefois, c’est sans attendre l’intervention de l’arrêté préfectoral du 26 novembre 2019 actant de ce changement de compétence que la Métropole Nice-côte d’Azur a, dès juin 2018, lancé la procédure de passation de renouvellement de la (sous) concession des plages naturelles.

C’est dans ce contexte que des candidats évincés de cette procédure, à savoir les sociétés Les Voiliers, Lido Plage et Sporting Plage, ont demandé au Tribunal administratif de Nice d’annuler cette consultation. Au soutien de ce recours, les sociétés susvisées estiment, d’une part, que la procédure serait, en ces circonstances, conduite par une autorité incompétente et soulèvent, d’autre part, divers manquements tenant notamment à la pondération des critères et des sous critères, au périmètre de la concession ou encore à la procédure de négociation.

Le Tribunal administratif ayant donné gain de cause à ces candidats évincés en annulant la procédure litigieuse, la Métropole s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat, lequel a rendu sa décision par l’arrêt du 9 juin 2020 ici commenté.

En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle, en suivant les conclusions de Madame Mireille Le Corre, Rapporteure publique sous cette décision, qu’il n’appartient pas au juge des référés de contrôler si, au regard de l’objet du contrat dont la passation est engagée, la personne publique, est à la date où elle signe le contrat, compétente à cette fin[3]. A ce titre, la Rapporteure publique précise que « cette solution est directement tirée de ce que les pouvoirs du juge du référé précontractuel cessent une fois le contrat conclu, de façon tautologique ».

En deuxième lieu, et c’est là le cœur de cet arrêt, la Haute juridiction considère que la circonstance selon laquelle la procédure de passation est engagée et conduite par une personne publique qui n’est pas encore compétente pour le signer, n’est pas de nature à rendre ladite procédure irrégulière. Ainsi, une personne publique peut valablement lancer une consultation sans être encore compétente pour ce faire.

Toutefois, le Conseil d’Etat, en suivant ici encore les conclusions de Madame la Rapporteure publique, conditionne cette possibilité :

  • d’une part, et de façon assez évidente, la signature du contrat ne peut quant à elle intervenir que lorsque la compétence est effectivement transférée à la personne publique signataire[4];

  • d’autre part, cette anticipation ne peut être opérée que si la collectivité a effectivement la perspective de détenir la compétence concernée à la date de la signature du contrat.

 

En troisième lieu, le Conseil d’Etat se prononce sur les autres moyens soulevés par les candidats évincés. Si tous ne méritent pas d’être présentés, il ressort pour l’essentiel de ces derniers les éléments suivants :

  • L’autorité concédante est seulement tenue, au regard des dispositions du décret du 1er février 2016[5] applicables au contrat en cause, d’indiquer et décrire les critères de sélection des offres ainsi que de les hiérarchiser pour les contrats supérieurs aux seuils européen. Dès lors, la Métropole est déjà allée au-delà de ses obligations en pondérant les critères de sélection des offres et le défaut de pondération des sous-critères d’appréciation n’entache pas d’irrégularité la procédure de consultation ;
  • Une délégation ne peut avoir un périmètre manifestement excessif ni réunir des services qui n’auraient manifestement aucun lien entre eux ; c’est là le rappel des principes jurisprudentiels posés pour permettre le recours aux concessions dites multi-services ou multi-objets[6]. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque les prestations de restauration de plage ne sont pas manifestement sans lien avec le service concédé (la concession de plage) ;
  • Enfin, en l’absence d’éléments établissant la partialité de l’élu ayant présidé la commission de délégation de service public, la circonstance selon laquelle ledit élu a également conduit la négociation de la concession au vu de l’avis rendu par cette commission n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure, eu égard à la liberté qui entoure la phase de négociation.

 

Au total, pour les raisons ci-dessus décrites, le Conseil d’Etat annule les ordonnances prises par le Tribunal administratif de Nice en première instance.

[1] CE, 9 juin 2020, Métropole Nice-Côte d’Azur, n° 43692

[2] Les concessions de plage sont accordées par l’Etat aux métropoles, aux communes ou aux groupements de communes qui, à leur tour, concluent éventuellement, après publicité et mise en concurrence, des contrats appelés « sous-traités d’exploitation » avec des opérateurs économiques afin d’en confier l’exploitation. Voir en ce sens l’article L. 2124-4 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques.

[3] Ce rappel est notamment issu de l’arrêt CE, 6 juin 1999, S.A. DEMATHIEU ET BARD,  n° 198993

[4] CE, 19 mai 2000, Commune de Cendre, n° 208543

[5] Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concessions

[6] Conseil d’État, 21 septembre 2016, Communauté urbaine du Grand Dijon et société Kéolis, n° 399656

Protection fonctionnelle : le principe d’impartialité empêche l’autorité hiérarchique mise en cause de se prononcer sur la demande de protection fonctionnelle de son agent

L’instruction d’une demande de protection fonctionnelle, lorsqu’elle est fondée sur des éléments mettant en cause directement l’autorité hiérarchique en charge de l’instruire, n’est pas sans poser de difficultés.

Le Conseil d’Etat a, dans un arrêt du 29 juin dernier, tranché la question à l’aune du respect du principe d’impartialité.

Un praticien hospitalier avait présenté une demande de protection fonctionnelle à raison d’une agression verbale et physique de la part du directeur du centre hospitalier. Cette demande avait été rejetée par le directeur du centre hospitalier lui-même, et l’agent avait alors demandé au Tribunal administratif de Sait Martin l’annulation de ce refus, lequel y a fait droit, en considérant que le principe d’impartialité prévu par l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droit et obligation des fonctionnaires aurait dû empêcher le directeur du centre hospitalier de statuer sur une telle demande.

Mais la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait ensuite annulé ce jugement, en jugeant que le principe d’impartialité ne s’appliquait pas à l’exercice du pouvoir hiérarchique. Le praticien a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’Etat a d’abord rappelé que le principe d’impartialité s’applique à toute autorité administrative dans toute l’étendue de son action, y compris dans l’exercice du pouvoir hiérarchique, de sorte que la Cour a jugé à tort qu’il ne pouvait être invoqué dans ce cadre.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat rappelle que la protection fonctionnelle n’est en principe pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l’un de ses supérieurs hiérarchiques, sauf dans le cas où les actes reprochés sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Or, c’est précisément au supérieur hiérarchique de l’agent le mettant en cause de statuer sur la demande de protection fonctionnelle. Le Conseil d’Etat a jugé cette situation contraire au principe d’impartialité dès lors que la demande était fondée sur des faits – une très vive altercation – insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Il appartenait selon l’arrêt à l’Agence régionale de santé, en charge d’instruire les demandes de protection fonctionnelle émanant des personnels de direction des établissements publics de santé, d’instruire cette fois la demande présentée par le praticien hospitalier.

A suivre la logique de l’arrêt, il se pose donc par exemple dans les collectivités la question de l’échelon supérieur si la demande implique l’autorité territoriale, lequel pourrait être l’organe délibérant, lui-même compétent pour accorder la protection à l’élu.

La fin de l’occupation de l’emploi fonctionnel et la réintégration sur un emploi vacant

Si les agents fonctionnaires occupant un emploi fonctionnel dans les communes sont, par l’effet des dispositions de l’article 53 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, actuellement protégés contre l’intervention d’une décision de décharge de fonctions – parce que le texte interdit toute décision en ce sens dans les six mois de la désignation de l’autorité territoriale – le présent arrêt intervient à point nommé pour préparer au mieux les décisions qui pourraient intervenir en fin d’année.

En effet, il précise l’une des autres garanties qu’offre l’article 53 en cas de décision de fin ou de non renouvellement du détachement sur un tel emploi : la réintégration dans un emploi vacant du grade.

Pour mémoire, le texte prévoit en effet que lorsqu’il est mis fin au détachement d’un fonctionnaire occupant un emploi fonctionnel et que la collectivité ou l’établissement ne peut lui offrir un emploi correspondant à son grade, celui-ci peut demander à la collectivité ou l’établissement dans lequel il occupait l’emploi fonctionnel soit à être reclassé dans les conditions prévues aux articles 97 et 97 bis, soit à bénéficier, de droit, du congé spécial mentionné à l’article 99, soit à percevoir une indemnité de licenciement dans les conditions prévues à l’article 98.

Mais l’article ne dit pas à quelle date apprécier l’existence ou non d’un emploi vacant du grade : à la date de la décision ou, comme on pourrait le penser a priori, à la date de sa prise d’effet, soit le premier jour du troisième mois suivant la décision.

Grâce à l’arrêt rendu ce 8 juillet le doute n’est cependant plus permis. Il en ressort en effet que :

  • dans le cas où le fonctionnaire territorial est détaché sur un emploi fonctionnel relevant de sa collectivité ou de son établissement d’origine, il appartient à celle-là ou à celui-ci, pour mettre en œuvre l’obligation de réintégration qui lui incombe en principe, de prendre en compte, sous réserve des nécessités du service, les emplois vacants à la date à laquelle cette collectivité ou cet établissement informe son organe délibérant de la décision, ainsi que ceux qui deviennent éventuellement vacants ultérieurement (c’est-à-dire pendant le préavis) ;

  • dans le cas où le fonctionnaire territorial est détaché sur un emploi fonctionnel ne relevant pas de sa collectivité ou de son établissement d’origine, il appartient à celle-là ou à celui-ci, pour mettre en œuvre l’obligation de réintégration qui lui incombe en principe, de prendre en compte, sous réserve des nécessités du service, les postes vacants à la date où cette collectivité ou cet établissement est informé de la fin du détachement, ainsi que ceux qui deviennent vacants ultérieurement (soit ici aussi pendant le préavis).

La guerre des pâtisseries a eu lieu, mais ce n’est pas un accident imputable au service

Le principe de l’imputabilité de tout accident intervenu sur le lieu et sur le temps du service, avant d’être consacré par la loi (article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983), avait été reconnu par le Conseil d’Etat dans sa décision du 16 juillet 2014.

Pour mémoire, l’imputabilité au service devait, jusqu’alors, être démontrée par le fonctionnaire, et l’apport majeur de cette décision a été de poser le principe de la présomption d’imputabilité, ainsi que cela existe depuis plusieurs années pour les salariés de droit privé.

Une limite a cependant aussitôt été posée à cette extension de la protection des fonctionnaires, à savoir l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service.

Reste à déterminer ce qui doit être entendu par « faute personnelle » ou « circonstance particulière » détachant l’évènement du service et excluant donc que la qualification d’accident de service, et son cortège de droits attachés (maintien du salaire, prise en charge des frais médicaux, indemnisation des préjudices non couverts), puisse être reconnu au fonctionnaire.

La décision rendue par la Cour administrative d’appel de Versailles le 15 juin dernier est à cet égard particulièrement intéressant.

D’une part, il confirme qu’un temps de pause obligatoire est un « prolongement normal » du temps du service, contrairement au temps de pause non règlementaire sur lequel l’agent a quitté son service (CAA Versailles, 19 mai 2016, req. 14VE01549).

D’autre part,, le fait que l’agent ait refusé d’obéir à un ordre et qu’il ait perdu la maîtrise de lui-même sont analysés visiblement comme une faute personnelle.

A cet égard, il est vrai que les faits sont peu courants, tout du moins entre adultes : un agent A. ayant consommé « sans autorisation » une pâtisserie du service – les faits ont lieu au sein d’un syndicat intercommunal de production de repas collectifs – son collègue, visiblement affamé, a voulu « récupérer » ladite pâtisserie « que son collègue avait en tout état de cause déjà mangé », ce qui lui a valu d’être frappé au visage…

Bref, une altercation a eu lieu sur le lieu de travail, et la question qui se posait était celle de savoir si le comportement de l’agent durant cette altercation pouvait influer sur la caractérisation de l’accident de service.

On observera que par une décision du Tribunal administratif de Rennes du 31 mars 2016 (1400480), une altercation entre agents n’avait pas permis de renverser la présomption d’imputabilité, bien que son origine n’ait pas été d’ordre professionnel.

Mais la décision de la Cour administrative de Versailles laisse à penser que dès lors qu’un supérieur hiérarchique tente une médiation (en l’espèce : proposer une autre barquette de pâtisserie), le fait que l’agent persiste dans son comportement matérialise la faute personnelle qui exclut ainsi l’application de la présomption.

Dorénavant, il est établi que l’agent à l’initiative d’une altercation ne pourra plus solliciter la prise en charge de ses arrêts de travail car, par principe, il s’agit là d’une faute personnelle – sans que la qualité de la pâtisserie ne puisse être exonératoire de la faute…

Appréciation souple de l’acte interruptif de prescription de l’action publique

Cass. Crim., 21 janvier 2020, n° 19-81.066

La prescription qui ne permet plus, lorsqu’elle est acquise, de mettre en mouvement l’action publique, est un argument souvent débattu entre la partie poursuivante et la défense, au regard des enjeux sur les poursuites engagées.

Si les délais et points de départ des délais sont rarement discutés, il en va autrement s’agissant des actes intervenus, susceptibles d’avoir interrompu la prescription.

La notion d’acte interruptif de prescription est définie par l’article 9-2 du Code de procédure pénale qui en dresse une liste comprenant les actes du Parquet ou de la partie civile tendant à la mise en mouvement de l’action publique, les actes d’enquête ou d’instruction tendant à la recherche et à la poursuite d’un auteur d’infraction, les jugements ou arrêts même non définitifs, dès lors qu’ils ne sont pas entachés de nullité.

Dans deux arrêts récents en date du 21 janvier 2020, la Cour de cassation a rappelé que cette énumération n’était pas exhaustive.

Dans un premier arrêt (Crim. 21 janvier 2020, n°19-84.450), la Chambre criminelle a ainsi considéré, en matière d’infraction au Code de la route, que la délivrance d’un titre exécutoire de l’amende forfaitaire majorée constitue un acte interruptif de prescription.

Dans un second arrêt, (Crim. 21 janvier 2020, n°19-81.066), la Cour de cassation, rappelant que tout jugement non définitif est interruptif de prescription, a élargi cette notion à l’ordonnance pénale, même frappée d’opposition.

Ces deux arrêts s’inscrivent dans la continuité de la jurisprudence de la Chambre criminelle qui fait une appréciation souple de la notion d’acte interruptif de prescription de l’action publique, en considérant que les énumérations de l’article 9-2 du Code de procédure pénale ne sont pas limitatives.

La question du transfert des créances issues de contrats arrivés à expiration avec le transfert de la compétence afférente

En cas de transfert de compétence d’une commune à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), se pose régulièrement la question du transfert des créances qui résultent des contrats conclus par la commune et venus à expiration avant le transfert de la compétence. Dans une décision de 2014, le Conseil d’Etat avait indiqué, précisant la portée de l’article L. 5211-17 du Code général des collectivités territoriales relatif aux conséquences patrimoniales des transferts de compétences, que ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet d’inclure lesdites créances et que les créances détenues ou susceptibles d’être détenues par les communes sur le fondement de tels contrats, alors même qu’ils auraient été conclus dans le cadre de l’exercice de ces compétences ultérieurement transférées, sont distinctes des droits et obligations attachés à ces biens, équipements et services et transférés à l’EPCI. Le Conseil d’Etat justifiait sa position en considérant qu’aucune disposition ne prévoit le transfert de telles créances à l’EPCI nouvellement compétent (CE, 3 décembre 2014, Société Citelum, n° 383865).

La Cour administrative de Marseille a rappelé cette règle, dans ces mêmes termes, dans un arrêt récent du 15 juin 2020 (CAA Marseille ,15 juin 2020, Commune d’Avignon, n° 18MA04747).

En l’espèce, les relations contractuelles entre la Commune d’Avignon et l’association régionale d’études et d’actions auprès des tsiganes (AREAT) ont pris fin le 31 décembre 2015. L’AREAT a engagé un recours indemnitaire le 1er mars 2016, quelques mois avant le transfert de la compétence accueil des gens du voyage à la Communauté d’agglomération du grand Avignon, elle-même substituée par le Syndicat intercommunal de l’accueil des gens du voyage, compétent en matière d’accueil des gens du voyage, au 1er janvier 2017.

Dans ces conditions, le Syndicat, bien qu’entièrement substitué à la commune d’Avignon, ne s’est pas vu transférer les dettes et les créances nées du contrat conclu entre la commune et l’AREAT. Ainsi, concluant à l’indemnisation de l’association, c’est bien la Commune d’Avignon qui supportera la charge financière de celle-ci (et des frais irrépétibles au titre de l’article L.761-1 du Code de justice administrative).

Transfert d’entreprise : qui est tenu au paiement des dettes en cas de requalification en contrat de travail ?

En cas de transfert de l’entreprise, s’agissant de la répartition des dettes, il convient de faire une distinction entre celles nées avant ou après le transfert :

  • les dettes nées avant le transfert incombent en principe au cédant mais le nouvel employeur est tenu, à l’égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, des obligations qui incombaient à l’ancien employeur à la date du transfert, à charge pour l’ancien employeur de rembourser les sommes ainsi acquittées par le nouveau (C. trav., art. L 1224-2).
  • les dettes nées après le transfert d’entreprise sont à la charge du nouvel employeur même si elles correspondent pour tout ou partie à un travail accompli sous l’ancienne direction. Le nouvel employeur peut se faire rembourser par son prédécesseur la fraction d’indemnité correspondant à cette période (Cass. Soc., 16 octobre 1985 n°  82-42.578 S ; 28 mars 1989 n° 86-42.046 P RJS 5/89 n° 412).

 

Cette distinction étant établie, le nouvel employeur est tenu de payer toutes les créances salariales et ce même lorsqu’elles se rapportent à une période où il n’était pas encore l’employeur.

Qu’en est-il des dettes nées d’une requalification en contrat de travail ? Telle était la question qu’a dû en l’espèce trancher la Cour de cassation.

En l’espèce, un chirurgien avait réalisé pendant plusieurs années des expertises au profit d’une société spécialisée dans l’assistance aux victimes d’accident de la route. Le 1er janvier 2008, le fonds de commerce de cette société avait été cédé au profit d’un nouvel acquéreur. Conformément à l’article L. 1224-1 du Code du travail, l’ensemble des contrats de travail avait automatiquement été transféré.

Le chirurgien, se prévalant d’un contrat de travail a saisi la juridiction prud’homale le 3 mai 2011 de demandes dirigées contre le cédant et contre le cessionnaire.

Retenant l’existence d’un lien de subordination à l’égard de ces sociétés, la Cour d’appel, par arrêt du 6 septembre 2013, statuant sur contredit, a déclaré le Conseil de prud’hommes compétent pour connaître du litige. En parallèle, les deux sociétés étaient condamnées in solidum au paiement des sommes dues à titre de rappel de salaires et d’indemnité de congés payés afférents.

Considérant avoir été libérée de ses dettes du fait du transfert, la société cédante refuse d’être tenue pour partie au versement de ces sommes et forme dès lors un pourvoi en cassation.

Le 27 mai 2020, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel en ce qu’il a condamné in solidum les deux sociétés au paiement des sommes induites par la requalification en contrat de travail : « sauf collusion frauduleuse entre les employeurs successifs, seul le nouvel employeur est tenu envers le salarié aux obligations et au paiement des créances résultant de la poursuite du contrat de travail après le transfert » (Cass. Soc., 27 mai 2020, n° 19-12.471).

Selon la Cour de cassation, le nouvel employeur était le débiteur exclusif des salaires et indemnités de congés payés échus postérieurement à la date du transfert du contrat de travail, le cédant ne pouvant être condamné à garantir partiellement le nouvel employeur pour le paiement de ces sommes. Dans un arrêt relatif à la requalification du contrat de travail, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence selon laquelle il appartient au repreneur de prendre en charge le salaire, les primes ou encore l’indemnité de congés payés (Cass. Soc., 6 février 1996, n° 92-45.013) ou encore les dommages et intérêts à raison des manquements du cédant aux obligations du contrat de travail (Cass. Soc., 14 mai 2008, n° 07-42.341).

Ouverture du recours tendant à la réparation du préjudice résultant d’une faute commise dans l’établissement de l’impôt pris en compte pour la mise en œuvre des mécanismes de compensation de la suppression de la taxe professionnelle (FNGIR/DCRTP)

Dans une décision du 1er juillet 2020 qui sera mentionnée aux Tables du Recueil Lebon, le Conseil d’Etat se prononce sur les conséquences, dans le contexte de la réforme de la taxe professionnelle et de la mise en place des dispositifs de compensation (FNGIR/DCRTP), d’une erreur commise, par l’administration fiscale, dans l’exécution des opérations d’impôt et de la rectification tardive. La Haute juridiction précise ainsi que le recours indemnitaire est ouvert dès lors qu’il est fondé sur les fautes commises lors de l’établissement de la taxe professionnelle et de sa rectification par l’administration fiscale, sans que l’irrecevabilité tirée de l’application de la jurisprudence Sieur Lafon[1] ne soit opposable.

Dans cette affaire, la Cour administrative d’appel avait rejeté la requête indemnitaire de la commune (venant aux droits de la communauté de communes) qui, estimant que l’administration fiscale avait exonéré à tort une société privée de taxe professionnelle et tardé à rectifier l’imposition en cause avait demandé la réparation de son préjudice résultant de l’attribution d’une compensation relais trop faible au titre de l’année 2010 et des pertes de recettes résultant de la minoration des versements au titre de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et de la garantie du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) pour les années 2011 à 2015. La Cour administrative d’appel avait en effet considéré que les conclusions indemnitaires de la commune n’avaient d’autre fondement qu’une illégalité des arrêtés de versement des sommes dues au titre de la compensation relais, de la DCRTP et du FNGIR, déduisant du caractère définitif de ces arrêtés l’impossibilité de former un recours indemnitaire.

Après avoir constaté que le montant de la compensation relais est institué en 2010 en lieu et place du produit de la taxe professionnelle et que les montants de la DCRTP et les prélèvements et reversements au FNGIR sont déterminés en tenant compte, notamment, du montant de la compensation relais, le Conseil d’Etat annule l’arrêt pour méconnaissance de la portée des écritures et erreur de droit en jugeant que le recours indemnitaire de la commune était ouvert dès lors qu’il est fondé, non sur l’illégalité des arrêtés de versement des sommes dues au titre de la compensation relais, de la DCRTP et du FNGIR, mais sur les fautes commises lors de l’établissement de la taxe professionnelle et de sa rectification. Il renvoie donc l’affaire à la Cour administrative d’appel afin que soit apprécié le bien-fondé de la requête.

Il résulte de cet arrêt que, si l’administration fiscale a exonéré à tort une société de taxe professionnelle et tardé à rectifier l’imposition en cause, le préjudice résultant de l’attribution d’une compensation relais trop faible au titre de l’année 2010 et des pertes de recettes résultant de la minoration des versements au titre de la DCRTP et du FNGIR au titre des années suivantes peut être réparé dans le cadre d’une action indemnitaire intentée par le bénéficiaire de la compensation relais et du dispositif FNGIR/DCRTP.

[1]  CE, Section, 2 mai 1959, Sieur Lafon, n° 44419, p. 282 

Le Conseil constitutionnel rend deux décisions portant sur la validité du 1er tour des élections municipales

Conseil constitutionnel, 17 juin 2020, Décision n° 2020-850 QPC

Le Conseil constitutionnel a rendu les décisions 2020-849 QPC et 2020-850 QPC relatives à la constitutionnalité de la loi du 23 mars 2020 (n° 2020-290) réorganisant le scrutin municipal, sur renvoi du Conseil d’Etat (CE, 25 mai 2020 n° 440335 ; CE, 25 mai 2020 n° 440217, décisions commentées dans la LAJ du mois de juin 2020).

Dans une première décision, le Conseil valide le report du 2nd tour des élections municipales, tout en encadrant les modifications du déroulement des opérations électorales.

Cette QPC portait sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des paragraphes I, III et IV de l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Ces dispositions tendaient à suspendre les opérations électorales prévues postérieurement à la date initialement prévue pour le 2nd tour, soit le 22 mars 2020, au plus tard jusqu’en juin 2020, dans la mesure où la situation sanitaire permettrait l’organisation des opérations électorales. Si cette condition n’était pas remplie, il était prévu que, dans les cas où le conseil municipal n’a pas été élu au complet à l’issue du 1er tour, les électeurs seraient à nouveau convoqués pour les deux tours de scrutin dans des conditions définies par une nouvelle loi. Le Conseil considère que l’élection des conseillers municipaux élus dès le 1er tour reste acquise.

Les requérants soutenaient que ces dispositions qui avaient été adoptées postérieurement au 1er tour des élections et qui prévoyaient de reporter le second tour, interrompaient le processus électoral en cours et que les résultats du scrutin du 15 mars 2020 auraient dû être annulés. Ils soulevaient également que l’organisation du second tour des élections ne pouvaient intervenir plus de quinze semaines après le 1er tour dans la mesure où les deux tours forment un bloc indissociable et que le délai fixé est excessif. De plus, ils soulevaient que le maintien de la tenue du 2nd tour pendant la crise aurait créé les conditions d’une forte abstention des électeurs, ce qui aurait porté atteinte au principe de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage. Enfin, ils soutenaient que ces dispositions avaient pour effet de valider les résultats du 1er tour des élections municipales, sans prise en considération des contestations en cours devant le juge de l’élection, ce qui porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs et de la garantie des droits.

Le Conseil rappelle le cadre constitutionnel, notamment que le principe de sincérité du scrutin résulte de l’alinéa 3 de l’article 3 de la Constitution et que cet article combiné à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, consacrent le principe de l’égalité devant le suffrage. Il considère en outre que l’article 34 de la Constitution donne compétence au pouvoir législatif pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales, notamment la durée du mandat des élus qui composent l’organe dans le respect de l’exercice du droit de suffrage dans une périodicité raisonnable (article 3 de la Constitution).

Si le Conseil constitutionnel admet que le dispositif adopté a bien remis en cause « l’unité de déroulement des opérations électorales », il a en revanche permis de « préserver l’expression du suffrage ». Ce qui n’aurait pas été le cas s’il avait été décidé d’annuler le premier tour.

Le report du second tour était justifié par « un motif impérieux d’intérêt général » et il ne résulte pas des modalités retenues pour organiser l’élection « une méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l’égalité devant le suffrage ». Ce motif impérieux de maintenir le 2nd tour peut se justifier par la volonté de ne pas favoriser la propagation de l’épidémie, que le délai maximal de report devait prendre en considération de la gravité et l’incertitude de la situation et de l’analyse du comité de scientifiques. Enfin, sur la question du risque d’abstention au 2nd tour, le Conseil considère qu’il appartiendra au juge de l’élection d’apprécier si le niveau d’abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l’espèce, la sincérité du scrutin. Il sera probablement difficile, en pratique, de le démontrer.

De plus, l’unité du corps électoral entre les deux tours et l’égalité entre les candidats sont préservées car le 2nd tour aura lieu à partir des listes électorales et complémentaires établies pour le 1er tour (ordonnance n° 2020-390 du 22 mars 2020) et qu’il y aura majoration du plafond des dépenses électorales et obtention du remboursement d’une partie des dépenses de propagande engagées pour le 2nd tour prévu initialement le 22 mars. Enfin, le Conseil considère que les électeurs ont pu contester les résultats du 1er tour par obtention des listes d’émargement pour le 2nd tour et à l’expiration du délai de recours contentieux (article L. 68 du Code électoral).

Concernant les élections des conseillers municipaux élus dès le 1er tour, celles-ci restent acquises. Le Conseil considère que les dispositions se bornent à préciser que ni le report du 2nd tour au plus tard en juin 2020 ni l’éventuelle organisation de deux nouveaux tours de scrutin après cette date n’ont de conséquence sur les mandats acquis. Elles n’ont pas pour objet ou effet de valider rétroactivement les opérations électorales du 1er tour ayant donné lieu à l’attribution des sièges. Ces opérations peuvent être contestées devant le juge de l’élection.

La 2nde QPC portait sur l’article L. 262 du Code électoral qui ne prévoit pas de seuil de participation minimal pour l’élection au 1er tour des conseils municipaux dans les communes de plus de 1 000 habitants. Le Conseil rejette le recours déposé dans la mesure où ces dispositions ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par deux décisions du Conseil n° 82-146 DC et n° 2013-667 DC, et que le taux d’abstention et le principe de sincérité du scrutin ne justifient pas d’un changement de circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées. Il revient désormais au Tribunal administratif de Montpellier de se prononcer sur les moyens soulevés.

Par ces deux décisions, le Conseil valide donc intégralement le report du 2nd tour des élections et les résultats admis au 1er tour pour les candidats élus.

Conséquences de la Covid-19 sur les concessions de service public : Quels fondements pour quelle indemnisation ?

Contrairement à ce que diverses communications pourraient laisser croire, l’indemnisation des préjudices subis par le délégataire n’est pas une fatalité pour les personnes publique concessionnaires, même dans l’hypothèse de l’épidémie de la Covid-19.

Mais pour que les personnes publiques puissent apporter une réponse adéquate aux demandes de leurs concessionnaires, il est nécessaire qu’elles soient elles-mêmes parfaitement au fait des différents fondements possibles de demandes et des conditions d’indemnisation pour chacun d’eux, que l’on peut sommairement énumérer ci-après.

 

I – Le premier des fondements : la convention

 

Avant l’analyse de tout fondement textuel ou jurisprudentiel, il appartient aux parties de vérifier si le contrat ne comporte pas de clause portant précisément sur les conditions d’indemnisation du délégataire.

Cela pourrait être des clauses de révision de prix, des clauses de réexamen ou de « revoyure », voire des clauses d’indemnisation.

Mais même si la convention comporte une clause d’indemnisation qui pourrait trouver à s’appliquer dans la survenance d’une crise telle que la Covd-19, la personne publique ne pourra indemniser le délégataire que si la somme demandée ne constitue pas une libéralité, c’est-à-dire si elle n’est pas complètement disproportionnée par rapport au préjudice subi[1].

 

II – L’Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020

 

Dans un deuxième temps, le délégataire pourra éventuellement fonder sa demande sur les dispositions de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19.

A toutes fins utiles, on rappellera que cette ordonnance trouve à s’appliquer à tous les contrats publics, et pas seulement aux contrats de la commande publique. Par ailleurs, elle ne trouve à s’appliquer que jusqu’au 23 juillet 2020. Précisons enfin que cette ordonnance déroge aux stipulations contractuelles qui lui sont moins favorables.

En pratique, deux dispositions pourraient plus particulièrement trouver à s’appliquer.

Tout d’abord, le délégataire pourrait se fonder sur le 5° de l’article 6 de cette ordonnance pour solliciter une avance sur les sommes qui lui sont dues, à la condition toutefois que le concédant ait pris l’initiative de suspendre l’exécution de la concession.

Par ailleurs, il pourrait solliciter une indemnisation sur le fondement du point 6° du même article 6.

Mais , il devra alors démontrer que, par une de ses décisions, l’autorité délégante a modifié significativement les modalités d’exécution prévues au contrat. Il devra également démontrer que de ce fait, l’exécution de la convention impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n’étaient pas prévus au contrat initial et représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire.

Et dans ce cas (seulement), le concessionnaire aura droit à l’indemnisation de ses surcoûts.  En l’absence de précision sur ce point, la question se pose de l’interprétation qu’il convient d’avoir de la notion de surcoût.

 

III – Les grands principes du droit administratif : la force majeure et l’imprévision

 

Si le délégataire ne peut assoir sa demande sur aucun des fondements susvisés, il lui appartiendra de s’appuyer sur les grands principes du droit administratif et, en particulier, sur la force majeure et sur l’imprévision.

La force majeure suppose de démontrer que l’évènement en cause est extérieur, imprévisible et irrésistible. Autrement dit, il y a cas de force majeure en cas « d’impossibilité absolue de poursuivre, momentanément ou définitivement, l’exécution de tout ou partie du contrat »[2].

Si la condition d’extériorité (aux parties au contrat) est assez facile à identifier, la condition d’imprévisibilité est une question de casuistique. Ainsi, par exemple, des intempéries dont l’intensité et les conséquences ne sont pas exceptionnelles au regard des précédentes intempéries ne constituent pas un évènement imprévisible[3]. Au contraire, des intempéries d’une violence et d’une durée exceptionnelle dont les services de météorologie installés localement depuis 1945 leur ont attribué une périodicité de plus de cent ans présentent un caractère imprévisible[4].

Enfin, un évènement est irrésistible lorsque les parties au contrat ne peuvent pas empêcher l’évènement tant dans sa survenance (l’évènement est inévitable) que dans ses effets. Selon le type de service public objet de la convention, selon les mesures qui doivent être mises en œuvre et, enfin, selon la situation d’exécution du service public (fermeture ou exécution rendue plus difficile par exemple), la condition d’irrésistibilité sera considérée comme constituée ou non.

Le premier effet de la force majeure est d’exonérer les deux parties de leurs obligations contractuelles. Par conséquent, les parties sont exonérées de leur responsabilité contractuelle. En particulier, des pénalités ne pourraient pas être appliquées au cocontractant s’il démontre que son retard trouve sa cause dans un évènement de force majeure. Par ailleurs, le concessionnaire pourra être indemnisé si une disposition contractuelle le prévoit[5].

La notion d’imprévision est une notion jurisprudentielle ancienne. Et si les arrêts de principe sont anciens, cette jurisprudence est toujours d’actualité.

Et elle est aujourd’hui codifiée au point 4 de l’article L. 6 du Code de la commande publique. Ainsi, cet article dispose que :

« Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité ».

Ainsi, constitue une imprévision un évènement extérieur, imprévisible et bouleversant temporairement l’économie du contrat.

Et le but poursuivi par le Conseil d’Etat lorsqu’il a mis en œuvre ce mécanisme d’indemnisation est le suivant : un évènement extérieur empêche le contrat d’être exécuté dans les conditions initialement envisagées et cela génère un déficit d’exploitation important. Or, il est nécessaire que le contrat continue à s’exécuter pour assurer la continuité du service public. Dans ce cas, il faut que le délégataire puisse être partiellement indemnisé afin de pouvoir assurer la continuité du service public.

A titre d’exemple, a pu être indemnisée au titre de l’imprévision une société concessionnaire du service public de distribution du gaz dont le coût a considérablement augmenté du fait de la première guerre mondiale[6].

De même, le juge a fait droit à la demande fondée sur l’imprévision présentée par une société en charge de la fourniture de l’eau en raison de la pollution du site de captage d’eau qu’elle utilisait pour se fournir en eau[7].

Selon la doctrine, la notion de bouleversement implique le dépassement du prix-limite que les parties pouvaient envisager ainsi qu’un déficit important.

Et dans ce cas, le délégataire aura le droit à être indemnisé d’une partie du déficit qu’il aura supporté, à la condition de démontrer que ce déficit trouve sa cause dans l’évènement qu’il invoque. Bien plus, il conservera à sa charge une partie de ce déficit, la part restant à sa charge variant en fonction de plusieurs critères et notamment de sa diligence dans la gestion de la crise ou de sa situation financière.

Au total, donc, les conditions dans lesquelles un concessionnaire pourrait demander à être indemnisé du préjudice qu’il prétend avoir subi du fait de la survenance de la Covid-19 sont loin d’être aussi ouvertes qu’on pourrait le penser. Et encore faudra-t-il que le délégataire sache démontrer la réalité de son préjudice ainsi que son lien de causalité avec l’épidémie, outre les justificatifs qu’il devra fournir au soutien de sa demande indemnitaire.

 

Par Marion Terraux

[1] CE Sect. 19 mars 1971, Sieur Mergui, n°79962, Avis du Conseil d’Etat relatif à la décision du Gouvernement de renoncer au projet d’aéroport Notre Dame des Landes, 26 avril 2018

[2] Direction des affaires juridiques du MINEFI, La passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire, 18 mars 2020)

[3] CE, 13 mars 1991, Entreprise Labaudinière, n° 80846

[4] CE, 27 janvier 1989, Compagnie d’assurances le groupe Drouot, n° 80064

[5] CE, 11 déc. 1991, SONEXA, n° 81588

[6] CE, 10 mai 1916, Compagnie du Gaz de Bordeaux

[7] CE,14’ juin 2000, commune de Staffelfelden, n°184722

Covid 19, Obligation d’information du banquier en matière de prêt immobilier : la preuve de la perte de chance

Principe 
D’une part, la perte de chance est une notion consacrée par la jurisprudence sur le fondement de la responsabilité civile (article 1240 du Code civil). Pour être indemnisée, la perte de chance doit être réelle et sérieuse. De plus, la probabilité de l’événement allégué doit être réaliste et la chance doit avoir été réellement perdue.

D’autre part, une obligation d’information et de conseil repose sur les établissements bancaires à l’égard de leurs clients. Les établissements bancaires ont donc l’obligation d’informer leurs clients pour que celui-ci prenne ses décisions en connaissance de cause. Le non-respect par les banques de leur obligation d’information est sanctionné sur le fondement de la responsabilité contractuelle. 

Ainsi, il est possible de saisir le Tribunal judiciaire aux fins de désignation d’un administrateur provisoire dès qu’une copropriété se retrouve dépourvue de syndic.  

Apport
En l’espèce, pour garantir un prêt immobilier accordé par sa banque, un emprunteur a souscrit un contrat d’assurance. Quelques temps plus tard, l’emprunteur fut victime d’un accident du travail. : après avoir pris en charge les premières échéances du prêt, l’assureur a informé son assuré de son refus de maintenir la garantie au motif que son taux d’incapacité fonctionnelle ne dépassait pas le minimum prévu par le contrat. L’emprunteur a alors assigné la banque en réparation de son préjudice pour inexécution contractuelle de ces devoirs d’information, de conseil et de mise en garde.

Dans un premier temps, la Cour d’appel avait rejeté la demande de l’assuré puisqu’il ne démontrait pas qu’il aurait souscrit une autre assurance couvrant tous ses dommages s’il avait été parfaitement informé des garanties offertes par l’assurance.

Or, selon la Cour de cassation, toute perte de chance ouvre droit à réparation sans qu’il soit nécessaire de prouver que, parfaitement informé par la banque sur l’adéquation ou non de l’assurance choisie, l’assuré aurait certainement souscrit un contrat mieux adapté.

Clarification 
En se fondant sur l’ancien article 1147 du Code civil, la Haute Cour relève la présence d’une faute de la banque susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle. Par référence à ce texte, la Cour de cassation reconnaît que le banquier n’a pas correctement exécuté certaines de ses obligations et qu’en ce sens, il a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle.

En allégeant la preuve de la perte de chance, cette décision s’inscrit dans la logique de favoriser largement l’indemnisation de ce préjudice, au détriment des établissements bancaires qui doivent redoubler de vigilance.

Par Elie Lelouche

Covid 19, Contrat de prêt immobilier : Sort des prêts à taux négatif

Principe
Depuis plusieurs années, la FED et la BCE ont volontairement fait baisser les taux d’intérêt pour relancer l’inflation. Plusieurs Etats et entreprises bénéficient de prêts à taux négatifs : l’emprunteur rembourse donc moins que ce qu’il a emprunté !

Le privilège des prêts à taux négatif ne s’adresse pas aux particuliers, la loi interdisant par ailleurs à une banque de prêter à perte. Néanmoins, certains particuliers ont néanmoins pu profiter de cette aubaine, car ils avaient souscrit à un crédit à taux variable comme c’est le cas dans cet arrêt.

Apport 
En l’espèce, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs deux prêts immobiliers, à des taux stipulés variables en fonction de l’évolution du Libor à 3 mois (taux de référence du marché monétaire de différentes devises). Contestant les taux d’intérêt appliqués par la banque, les emprunteurs l’ont alors assignée aux fins de voir appliquer le taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, y compris en cas d’index négatif.

La Cour d’appel de Besançon a considéré que la banque devait appliquer aux prêts litigieux un taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs.

Cependant, le raisonnement des juges du fond fut censuré par la Cour de cassation, au visa des articles 1902, 1905 et 1907 du Code civil : la Haute Cour considéra que, dans un contrat de prêt immobilier, l’emprunteur devait restituer les fonds prêtés dans leur intégralité, y compris les intérêts conventionnellement prévus à titre de rémunération de ces fonds.

Clarification 
De prime abord, la solution  parait justifiée : en effet, dans le cadre d’un prêt à taux négatif, l’emprunteur rembourse une somme inférieure à celle qu’il a reçue, ce qui est contraire à l’article 1907 du Code civil. De plus, le prêt à intérêts est, par définition, un contrat à titre onéreux pour l’emprunteur : ainsi, l’essence de ce contrat se trouverait donc contrariée par l’éventualité d’un taux d’intérêt négatif.

Ainsi, la Cour de cassation ne confirme pas la position de la Cour d’appel qui estimait que l’appréciation du caractère onéreux du contrat ne peut se faire que sur la durée totale du prêt : par conséquent, le fait que durant un certain temps le taux d’intérêt soit négatif, ne peut pas avoir pas pour effet d’annuler le caractère onéreux du prêt .

Enfin, notons que la solution retenue par la Cour de cassation semble écarter l’application des principes de liberté contractuelle et de force obligatoire des contrats, qui doivent autoriser les parties à prévoir des clauses d’indexation, celles-ci devant jouer tant à la hausse qu’à la baisse comme l’a par exemple décidé la Haute Cour en matière de baux (Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681).

Par Elie Lelouche

L’indemnisation pour perte d’exploitation auprès des assureurs

LA PROBLEMATIQUE ET LES FAITS 

Le préjudice pour un commerçant constitué par les pertes d’exploitation résultant de la fermeture administrative de son local en raison de l’épidémie de COVID-19 entre-t-il dans le champs d’application d’un contrat d’assurance ?

 

En l’espèce, suite à l’arrêté du 14 mars 2020 ordonnant la fermeture des restaurants, le gérant d’un bistrot a subi une importante perte de chiffre d’affaires estimée à 201.413 euros.

Le restaurateur a ainsi été autorisé par ordonnance du Tribunal de commerce de Paris à assigner son assureur en référé d’heure à heure et ce afin d’être indemnisé de son préjudice.

Le caractère urgent de cette situation a ainsi été reconnu par le Tribunal de Commerce.

De son côté, l’assureur soutenait que le risque relatif aux pertes d’exploitation consécutives à une pandémie était inassurable par une assurance privée.

 

L’AJOUT OPERE

Le Tribunal de commerce de Paris a décidé qu’il n’y avait aucune disposition légale d’ordre public mentionnant le caractère inassurable d’une conséquence d’une pandémie.

Il est précisé que l’assureur avait la liberté d’exclure contractuellement ce type de risque mais que cela n’était pas le cas en l’espèce.

L’assureur a également avancé l’argument selon lequel la fermeture administrative visée dans le contrat devrait être celle prise par le Préfet du lieu où se situe l’établissement et non par celle prise le Ministre de la Santé.

Or, là encore, les conditions générales de l’assureur n’opéraient aucune distinction entre la décision administrative prise par le Préfet ou par le Ministre.

Enfin, l’assureur avait argué que l’arrêté du 14 mars 2020 n’imposait pas la fermeture de l’établissement mais seulement de ne plus accueillir du public et que celui-ci est autorisé à maintenir son activité à emporter et de livraison.

Il est précisé dans l’ordonnance commentée que le fait pour un restaurateur de ne pas recourir à la vente à emporter ou par livraison ne supprime pas l’interdiction de ne plus recevoir du public, activité principale d’un restaurant. Par voie de conséquence, le Tribunal de commerce a considéré qu’il s’agissait bien d’une fermeture administrative.

 

QU’EST-CE QUE CELA CHANGE ?

Cette ordonnance fait partie des premières décisions rendues depuis la crise sanitaire liée au COVID-19 et s’inscrit dans le mouvement déjà enclenché par certaines compagnies d’assurances mutualistes quant à la prise en charge de la perte d’exploitation liée à la fermeture des établissements.

Nonobstant le fait que la Compagnie d’Assurance (AXA) ait fait appel de cette décision, celle-ci apporte un premier éclairage quant au traitement juridique de l’épidémie.

Tout d’abord, il est reconnu le caractère urgent de la situation des restaurateurs ayant subi d’importantes pertes financières en raison de la fermeture administrative de leur établissement.

Ensuite, l’intérêt de cette décision est de préciser que l’assureur a la possibilité, en amont, d’exclure ce type de risque mais qu’à défaut de clause claire et précise en ce sens, il est privilégié l’indemnisation du risque.

Par Alexane Raynaldy

 

La rédaction immédiate du procès verbal suite à l’élection du CSE constitue un principe général du droit électoral

Principe 
En matière d’élection professionnelle, les irrégularités commises dans l’organisation et le déroulement des élections professionnelles ne constituent une cause d’annulation des élections que si elles ont été de nature à en fausser les résultats ou si elles ont été déterminantes de la qualité représentative des syndicats ou du droit pour un candidat d’être désigné délégué syndical. Néanmoins, certaines règles relèvent des principes généraux du droit électoral : une quelconque irrégularité entraine directement l’annulation des élections (Cass. Soc., 13-1-2010 n° 09-60.203 FS-PBR ; Cass. Soc., 2-3-2011 n° 10-60.101 FS-PB).

La décision 
En l’espèce, une demande d’annulation des élections du CSE avait été soumise au juge d’instance au motif que contrairement à l’article R 67 du Code électoral, le PV des élections n’avaient pas été rédigés immédiatement après la fin du dépouillement. Le juge d’instance avait rejeté cette demande dans la mesure où il n’était nullement démontré que cette irrégularité avait faussé le scrutin. La décision est cassée par la Cour de cassation qui précise que les élections du CSE peuvent être annulées si le procès-verbal n’est pas rédigé immédiatement après le dépouillement (Cass. Soc., 27 mai 2020, n° 19-13.504).

Apport  
Ainsi, la Cour de cassation précise que la rédaction immédiate du PV des élections constitue un principe général du droit électoral. Dès lors, si le PV n’est pas rédigé immédiatement après la fin du dépouillement des votes, les élections doivent être automatiquement annulées, sans qu’il y ait besoin de vérifier si cela a eu un impact ou non sur le résultat.  

Par Clara Bellest

Le salarié doit avoir connaissance du motif économique du licenciement !

Principe 

L’employeur doit avoir au cours de la procédure de licenciement pour motif économique avoir satisfait à son obligation légale d’informer le salarié du caractère économique de la rupture.

Clarification

Sans surprise, la Cour de cassation (Cass. Soc., 27 mai 2020 n° 18-24531) précise que même en cas d’acceptation du CSP, l’employeur doit avoir au cours de la procédure de licenciement satisfait à son obligation légale d’informer le salarié du motif économique de la rupture.

Apport

Cette information doit être donnée pendant la mise en œuvre de la procédure de licenciement : une information sur les difficultés économiques de l’entreprise donnée avant la mise en œuvre de la procédure ne sera pas considérée comme suffisante : est ainsi insuffisante l’information donnée pendant la procédure spécifique de modification du contrat de travail pour motif économique 

Par Corinne Metzger

Fiche sur l’adaptation des procédures collectives durant la crise sanitaire

A – Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020

 

L’ordonnance du 27 mars 2020 adapte les dispositions du Code de commerce relatives aux procédures de traitement des entreprises en difficulté en cette période de crise sanitaire.

 

La modification des règles relatives à l’ouverture de la procédure

 

Une entreprise peut demander l’ouverture d’une procédure de conciliation ou une procédure collective par une remise au greffe, étant précisé que seul le débiteur peut demander l’ouverture d’une telle procédure.

Par ailleurs, l’ordonnance précise que l’état de cessation des paiements est apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020, et ce jusqu’au 23 août 2020 (modifié par l’ordonnance du 20 mai 2020). Ainsi, les entreprises peuvent bénéficier des mesures ou procédures préventives telles que la procédure de conciliation ou la procédure de sauvegarde, même si elles ont été en état de cessation des paiements après le 12 mars. Enfin, l’un des intérêts majeurs de cette mesure est d’éviter au débiteur s’exposer à des sanctions personnelles pour avoir déclaré tardivement l’état de cessation des paiements.

 

Les mesures relatives aux procédures et aux plans de maintien de l’activité

 

L’ordonnance prévoit que la durée de la conciliation est prolongée de plein droit de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Cette mesure a pour objectif de pallier le risque d’inertie des négociations avec les créanciers pendant la période couverte par la loi d’urgence. Cependant, cette prolongation de plein droit n’est pas applicable au mandat ad hoc.

Notons aussi que le président du Tribunal a la possibilité de prolonger les délais imposés à l’administrateur judiciaire, au mandataire judiciaire ou au liquidateur d’une durée équivalente à la durée de la période de l’état d’urgence sanitaire plus trois mois. La requête peut être formée jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

S’agissant de la période d’observation, l’ordonnance prévoit que la durée de la période d’observation est prolongée jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire et pour une durée équivalente à celle de la période de l’état d’urgence sanitaire plus un mois.

Enfin, la durée des plans de sauvegarde et de redressement peut être prolongée par le Tribunal jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. En effet, ceux-ci peuvent être prolongées pour une durée de 3 mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire sur requête du commissaire à l’exécution du plan ou d’une durée maximale d’un an sur requête du ministère public. Par ailleurs, la durée des plans de sauvegarde et de redressement peut être prolongée par le tribunal après l’expiration du délai de 3 mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, sur requête du ministère public ou du commissaire à l’exécution du plan d’une durée maximale d’un an. Ainsi, les plans pourront donc dépasser la durée de principe de 10 ans prévue par l’article L. 626-12 du Code de commerce.

 

B – Ordonnance n° 2020-596 du 20 mai 2020

 

Cette ordonnance consolide les dispositions de l’ordonnance du 27 mars et adapte les dispositions du livre IV du Code de commerce afin de les rendre plus efficaces pour traiter les difficultés des entreprises face à la crise.

 

La procédure d’alerte

 

L’ordonnance du 20 mai 2020 renforce l’information du président du Tribunal dans le cadre de la procédure d’alerte. Lorsqu’il apparait au commissaire au compte que l’urgence commande l’adoption de mesures immédiates et que le dirigeant s’y refuse, il peut en informer le président du tribunal compétent dès la première information faite au dirigeant.

Ainsi, le président du Tribunal sera informé par tout moyen et sans délai des constats et démarches du commissaire aux comptes qui lui adressera la copie de tous les documents utiles à cette information ainsi que l’exposé des raisons qui l’ont conduit à constater l’insuffisance des décisions prises.

Enfin, le commissaire aux comptes peut également, et à tout moment, demander à être entendu par le président du tribunal et sera alors délié du secret professionnel envers ce dernier.

Cette disposition est applicable jusqu’au 31 décembre 2020 inclus.

 

La procédure de conciliation

 

Lorsqu’un créancier appelé à la conciliation n’accepte pas la demande du conciliateur de suspendre l’exigibilité de sa créance pendant la durée de la procédure, le débiteur peut demander au président du Tribunal :

  • d’interrompre ou d’interdire toute action en justice de la part du créancier tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent ;
  • d’arrêter ou d’interdire toute procédure d’exécution de la part de ce créancier tant sur les meubles que sur les immeubles ;
  • de reporter ou d’échelonner le paiement des sommes dues.

Les mesures ordonnées par le président du tribunal ne produisent leur effet que jusqu’au terme de la mission confiée au conciliateur.

Enfin, notons que le débiteur peut aussi demander au juge qui a ouvert la procédure de conciliation de reporter ou échelonner la créance dans la limite de deux années, en application de l’article 1343-5 du Code civil avant toute mise en demeure ou poursuite à l’égard d’un créancier qui n’a pas accepté la demande faite par le conciliateur de suspendre l’exigibilité de la créance.

Cette disposition est applicable jusqu’au 31 décembre 2020 inclus.

 

La procédure de sauvegarde accélérée

 

Cette procédure est applicable même si le débiteur est en cessation de paiement depuis plus de 45 jours avant la date de la demande d’ouverture de la période de conciliation. Les conditions d’ouverture de la procédure de sauvegarde accélérée sont donc élargies.

A défaut de plan arrêté dans un délai de 3 mois après le jugement d’ouverture, le tribunal peut :

  • Ouvrir une procédure de redressement judiciaire, si les conditions de l’article L. 631-1 du Code commerce sont réunies ;
  • Prononcer la liquidation judiciaire, si les conditions de l’article L. 640-1 du Code de commerce sont réunies.

 

Le plan de sauvegarde

 

Sur requête du ministère public ou du commissaire à l’exécution du plan, le tribunal peut prolonger la durée du plan arrêté pour une durée maximale de deux ans. Lorsque le plan fait l’objet d’une prolongation, le président du tribunal peut adapter les délais des paiements initialement fixés par le tribunal à la durée du plan qu’il prolonge ou a prolongée. La durée maximale du plan arrêté par le tribunal conformément est portée à douze ans. Lorsque le débiteur est une personne exerçant une activité agricole, la durée maximale est de dix-sept ans.

Lorsque la demande de modification substantielle du plan porte sur les modalités d’apurement du passif, le défaut de réponse des créanciers intéressés   vaut acceptation des modifications proposées, sauf s’il s’agit de remises de dettes ou de conversions en titres donnant ou pouvant donner accès au capital.

Les personnes qui consentent un nouvel apport de trésorerie au débiteur pendant la période d’observation et celles qui s’engagent, pour l’exécution du plan de sauvegarde ou de redressement bénéficient du privilège de sauvegarde ou de redressement dans la limite de cet apport. Le jugement qui arrête ou modifie le plan mentionne chaque privilège ainsi constitué et précise les montants garantis. Il est notifié par le greffier à ces créanciers.

Les créanciers bénéficiant du privilège de sauvegarde ou de redressement sont payés par privilège avant toutes les autres créances et ne peuvent faire l’objet de remises ou de délais qui n’auraient pas été acceptés par les créanciers.

Cette disposition est applicable jusqu’au 31 décembre 2020 inclus.

 

La procédure de liquidation judiciaire

 

La procédure de liquidation judiciaire simplifiée est ouverte à l’égard de toute personne physique dont le patrimoine ne comprend pas de biens immobiliers.

Par ailleurs, notons que la procédure de rétablissement professionnel sans liquidation est ouverte à tout débiteur personne physique, qui n’a fait l’objet d’aucune procédure collective en cours, qui n’a employé aucun salarié au cours des 6 derniers mois et dont l’actif déclaré est inférieur à 15.000 euros.

 

Par My-Kim Yang-Paya et Elie Lelouche

 

La refonte du droit des marques par la loi Pacte du 22 mai 2019

Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services

Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises

 

 

Plusieurs mois après l’adoption de la loi PACTE du 22 mai 2019, les premières mesures relatives au droit des marques sont enfin entrées en vigueur. Transposant la directive européenne 2015/2436 du 16 décembre 2015 dite « Paquet Marques », ces dispositions alignent le droit français des marques sur les règles européennes, aussi bien procéduralement que matériellement.

 

I – Les modifications procédurales permettant une plus grande disponibilité des signes enregistrables

 

A – L’action en déchéance et nullité

 

Dans le but « de déjudiciariser une partie du contentieux technique et d’apurer le registre national des marques » (rapport au Président de la République), une procédure administrative en déchéance de marques et en nullité a été mise en place au sein de l’INPI depuis le 1er avril 2020. Celle-ci permettra à toute personne de solliciter l’annulation, totale ou partielle, d’une marque non exploitée depuis plus de cinq ans ou devenue générique ou déceptive du fait de son titulaire. Il convient de rappeler qu’une marque déceptive est une marque « de nature à tromper le public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service » (article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle).

Différence majeure avec l’action judiciaire en déchéance, l’article L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle précise que la démonstration préalable d’un intérêt à agir ne sera pas exigée devant l’INPI. Par ailleurs, ce nouveau recours devrait être largement plébiscité du fait d’un faible coût et de délais de mise en œuvre sensiblement réduits par rapport à ce que peut connaître la voie judiciaire actuelle.

Il est à noter que la compétence de l’INPI coexistera avec celle des Tribunaux judiciaires spécialisés : en effet, tout le contentieux de la déchéance exercé à titre principal relèvera de la compétence exclusive de l’INPI, alors que les Tribunaux resteront compétents pour les demandes formées à titre reconventionnel, ou qui sont connexes à une autre action relevant de leurs compétences exclusives.

Concernant l’action en nullité, l’INPI se voit reconnaître une compétence exclusive pour connaître des actions en nullité exercées à titre principal fondées sur un ou plusieurs motifs absolus de nullité ou de refus par exemple en cas de contrariété à l’ordre public, dont l’usage est légalement interdit (à noter la disparition des termes « contraire aux bonnes mœurs » .

En outre, l’INPI aura compétence exclusive pour connaitre des actions fondées sur l’atteinte à des droits antérieurs ayant effet en France, notamment une marque antérieure, une dénomination sociale, un nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine, des droits d’auteur ou un droit de la personnalité d’un tiers (article L. 711-3 du Code de la propriété industrielle).

Les Tribunaux judiciaires spécialisés conserveront leur compétence exclusive en cas de demande de nullité reconventionnelle ou connexe à une autre demande relevant de la compétence exclusive de l’INPI et en cas de demande fondée sur la base des droits d’auteur, des dessins et modèles ainsi que sur des droits de la personnalité.

Dans ces deux procédures, le directeur de l’INPI statue au terme d’une procédure contradictoire comportant une phase d’instruction et ses décisions ont les effets d’un jugement susceptible de recours.

Enfin, il convient de noter que les actions judiciaires en nullité de marque ne sont désormais plus soumises à la prescription quinquennale de droit commun et deviennent imprescriptibles, sous réserve de l’application du mécanisme de la forclusion par tolérance.

 

B – La procédure d’opposition

 

La procédure d’opposition a été profondément réformée par la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 dite loi « PACTE ».

Dans un premier temps, les nouvelles dispositions renforcent le contrôle de l’INPI sur les preuves d’usage soumises dans le cadre d’une procédure d’opposition.

En effet, pour les oppositions formées à l’encontre d’une demande d’enregistrement de marque déposée à compter 11 décembre 2019, l’opposant doit être en capacité de fournir des preuves d’exploitation pertinentes pour chacun des produits et services invoqués à l’appui de son opposition.

Par ailleurs, il est à présent possible d’invoquer plusieurs droits antérieurs à l’appui d’une seule et même procédure d’opposition si ceux-ci appartiennent au même titulaire.

Surtout, plusieurs nouveaux fondements peuvent être invoqués à l’appui d’une procédure d’opposition tels que l’atteinte à une marque renommée antérieure, à une dénomination sociale, à une raison sociale ou à un nom commercial s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.

Il est désormais prévu que le délai de deux mois suivant la publication de la demande d’enregistrement durant lequel l’opposant doit avoir fourni l’exposé des moyens sur lesquels repose l’opposition est allongé d’un mois dans le cas où l’opposant souhaiterait compléter sa demande.

A l’instar de l’ensemble des procédures nouvelle génération instauré par la loi PACTE, le directeur de l’INPI ne statuera qu’au terme d’une procédure contradictoire susceptible de recours qu’après une phase d’instruction.

 

C – L’action en contrefaçon

 

La liste des personnes autorisées à agir est élargie : en effet, l’action peut désormais être intentée, sans l’autorisation du titulaire de la marque, par les licenciés non exclusifs et les personnes habilitées à faire usage d’une marque collective ou de garantie. Cependant, il est à noter que des dérogations à ces dispositions peuvent être prévues contractuellement entre un titulaire de marque et ses licenciés.

Par ailleurs, l’ordonnance du 13 novembre 2019 est venue modifier l’article L. 716-4-2 du Code de la propriété intellectuelle en matière de prescription prévoyant désormais que le point de départ du délai de prescription de cinq ans pour l’action en contrefaçon commence désormais à courir à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer.

 

 

II – Les dispositions d’ordre matériel modernisant le régime de protection des marques

 

A – La suppression de l’exigence de représentation graphique

 

Les nouvelles dispositions de l’ordonnance redéfinissent la notion de « marque » : en effet, l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle considère qu’une marque est « un signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales ».

Ainsi, l’exigence d’une représentation graphique est abandonnée, le signe devant simplement pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l’objet de la protection conférée à son titulaire. Cette innovation, déjà en vigueur depuis plus de deux ans devant l’Office Européen de la Propriété Intellectuelle (EUIPO), permettra de répondre aux évolutions techniques et économiques actuelles auxquelles fait face le droit des marques puisqu’il est désormais possible de demander l’enregistrement de marques sonores, de mouvement, des hologrammes ou des fichiers multimédias.

 

B – La création des marques de garantie

 

La refonte du régime juridique des marques collectives ayant vocation à être utilisées ou exploitées par plusieurs personnes se traduit par la création des marques de garantie. Une marque de garantie a pour objectif d’identifier l’origine de produits ou de services pour lesquels certaines caractéristiques sont listées et doivent être garanties.

Jusqu’à présent, seules les personnes morales pouvaient déposer une marque de garantie. Désormais, le dépôt est ouvert aux personnes physiques et morales de droit privé comme de droit public, à condition qu’elles ne fournissent pas elles-mêmes les produits et services dont la marque vise à garantir la qualité.

Enfin, le dépôt d’une marque de garantie doit être accompagné d’un règlement d’usage dont les qualités et le contenu sont désormais précisés. Le règlement d’usage doit en effet contenir certaines mentions obligatoires listées aux nouveaux articles R. 715-1 et R. 715-2 du Code de la propriété intellectuelle.

 

C – Les nouvelles dispositions relatives aux marques renommées et notoires

 

Consacrant une jurisprudence bien établie, l’ordonnance permet à un titulaire d’interdire l’usage de sa marque dans la vie des affaires par un tiers non autorisé dans deux cas (article L. 713-2) :

  • si le signe est identique à la marque et est utilisé pour des produits et services identiques à ceux couverts par celle-ci ;
  • si le signe est identique ou similaire à cette marque et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés et s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.

Il est également créé un régime de protection spécifique pour la marque notoirement connue, distinct de celui de la marque renommée. Cette création met la France en conformité avec ses engagements internationaux, notamment l’accord de Paris (art. 6 bis) et l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC, art. 16). L’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle envisage les cas dans lesquels l’usage dans la vie des affaires d’une marque notoire peut être sanctionné sur le fondement de la responsabilité civile.

 

En résumé, la loi Pacte, tout comme l’ordonnance et le décret qui l’ont suivie, ont profondément modifié le droit des marques. Outre ces modifications procédurales et matérielles toujours guidées par une logique de simplification et de protection des marques, d’autres mesures ont été adoptées notamment en matière de transmission de marques ou encore de dégénérescence de la marque.

 

Par Manon Boinet et Elie Lelouche

Brève sur les conflits d’usage de l’eau

Les conflits d’usage de l’eau surviennent lorsque « la ressource devient localement insuffisante pour répondre à l’ensemble des demandes »[1], il est alors nécessaire de déterminer comment cette ressource sera répartie entre les différents usages qui en sont fait et entre les usagers.

Comme l’a relevé le rapport de la mission parlementaire d’information sur la gestion des conflits d’usage en situation de pénurie d’eau du 4 juin 2020, les conflits d’usage de l’eau sont amenés à se multiplier lors des prochaines années, en raison des pressions accrues exercées sur la ressource en eau par les effets du changement climatique.

Cette question n’est pas nouvelle et la répartition des usages de l’eau fait déjà l’objet de contentieux, la Cour administrative d’appel de Marseille ayant notamment rendu deux arrêts sur cette question le 6 mars 2020 (1). La mission parlementaire précitée a ainsi rendu un rapport sur la question, formulant notamment des propositions de réforme visant à prévenir et à mieux gérer ces conflits (2). Il peut également être souligné que, le 25 mai 2020, un règlement européen autorisant et régulant la réutilisation des eaux usées a été adopté, ce qui pourrait permettre d’atténuer les pressions sur la ressource en eau (3).

 

 

I – La judiciarisation des conflits d’usage de l’eau : exemple de deux arrêts de la Cour administrative d’appel de Marseille

CAA de Marseille, 6 mars 2020, SCI Pied de Côte, n° 17MA02620

CAA de Marseille, 6 mars 2020, ASA du canal de Céret, Reynès, Maureillas et Saint-Jean Pla-de-Corts, n° 18MA00509

Les deux arrêts de a CAA de Marseille sont relatifs à des contestations d’arrêtés préfectoraux ayant fixé un débit minimal à maintenir dans un cours d’eau. En effet, en application de l’article L. 214-18 du Code de l’environnement, les ouvrages dans le lit d’un cours d’eau doivent « comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ». Le préfet détermine alors ce débit minimal, qui ne peut être inférieur à certaines valeurs définies par l’article L. 214-18.

Dans l’affaire SCI Pied de Côte, une société exploitant une centrale hydroélectrique contestait un arrêté du 20 mars 2014 par lequel le Préfet des Hautes-Alpes avait fixé le débit à maintenir dans un cours d’eau au droit de la prise d’eau de la centrale. En effet, par cet arrêté, le Préfet a fixé le débit minimum à maintenir à 132 litres par seconde (L/s) jusqu’au 31 août 2019, puis à 150 L/s, alors que la société requérante, qui bénéficiait avant l’adoption de cet arrêté d’un débit minimal de 41 L/s, demandait que cette valeur soit fixée à 130 L/s.

En effet, tel qu’exposé ci-dessus, en application de l’article L. 214-18 du Code de l’environnement, le Préfet peut fixer un débit minimal à conserver pour un cours d’eau, « garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l’installation de l’ouvrage », et imposer à ce titre à un exploitant d’une installation située sur celui-ci les prescriptions nécessaires à la préservation des milieux naturels aquatiques. Le Code de l’environnement impose également que ce débit minimal ne puisse être inférieur au « dixième du module du cours d’eau en aval immédiat ou au droit de l’ouvrage correspondant au débit moyen interannuel ». Ces obligations sont applicables aux ouvrages existants au plus tard au 1er janvier 2014.

Dans le cadre de cette affaire, les débats portaient sur l’appréciation du débit du cours d’eau. La requérante soutenait en effet que ce débit n’était pas de 1 500 L/s mais de 1 258. Le juge écarte cet argument au motif que, aux termes de l’article L. 214-18 du Code de l’environnement, seules les études basées sur des informations disponibles portant sur une période minimale de 5 ans peuvent être prises en compte pour estimer le débit du cours d’eau, ce qui n’était pas le cas des études produites par la requérante. Ce débit ayant été fixé à environ 1 500 L/s, le Préfet ne pouvait aller en-deçà de la valeur minimale de 150 L/s, qui correspond à 1/10ème du débit du cours d’eau et ne pouvait prendre en compte aucune autre considération, notamment économique.

Concernant la seconde affaire, une association de protection de l’environnement contestait un arrêté préfectoral portant prescription complémentaire de relèvement du débit réservé au titre du code de l’environnement relatif à la prise d’eau d’une association syndicale autorisée (ASA). En effet, cet arrêté fixait le débit minimal en dehors de la période allant du 15 juin au 15 septembre de chaque année à 520 L/s et, pour la période allant du 15 juin au 15 septembre, à 260 L/s. En première instance, le juge du plein contentieux a modifié ces prescriptions règlementaires, fixant le débit minimal à laisser à l’aval immédiat de la prise d’eau à 650L/s ou au débit naturel du cours d’eau en amont de la prise si celui-ci est inférieur à cette valeur. L’ASA conteste donc ce jugement devant la CAA de Marseille.

La Cour administrative d’appel considère que, en application des articles L. 214-18 et L 211-1 du Code de l’environnement, les dispositions que « l’administration est tenue de prendre en compte pour déterminer le débit à maintenir dans le lit du cours d’eau concerné peuvent conduire à fixer un débit supérieur au débit minimal prévu par l’article L. 214-18 du code de l’environnement pour assurer en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces peuplant les eaux en cause. Cet objectif peut, lui-même, conduire à fixer un débit supérieur au débit minimal en fonction des particularités du cours d’eau. Toutefois, l’administration ne peut prendre en compte les autres exigences prévues à l’article L. 211-1 du même code et notamment les besoins de l’activité agricole lorsque ce débit minimal n’est pas atteint ».

Ainsi, il est possible pour le Préfet de fixer un débit minimal supérieur à celui exigé par l’article L. 214-18 du Code de l’environnement si les particularités du cours d’eau l’exigent et afin de garantir la protection des espèces vivant dans le cours d’eau.

En l’espèce, des études et avis recommandaient que le débit minimal soit fixé à des valeurs oscillant entre 650 et 840 L/s afin de garantir la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux. Or le juge relève que « la valeur de 520 l/s prévue par l’arrêté contesté qui se situe très en deçà de la zone du fonctionnement satisfaisant pour la préservation de la ressource en eau, méconnaît les dispositions de l’article L. 214-18 du code de l’environnement ». Le juge de première instance n’a donc pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en fixant le débit minimal du cours d’eau à 650 L/s. La Cour administrative d’appel considère également que la requérante n’établit pas que cette valeur porterait atteinte au principe de gestion équilibrée défini à l’article L. 211-1 du Code de l’environnement lequel prévoit notamment que « La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population ».

 

 

II – Rapport parlementaire

Rapport parlementaire, Gestion des conflits d’usage en situation de pénurie d’eau, 4 juin 2020

La mission d’information constate que les conflits d’usage de l’eau sont amenés à s’exacerber et à devenir de plus en plus fréquents en raison des conséquences du changement climatique, qui crée des pressions croissantes sur la ressource en eau. M. Loïc Prud’homme, le président de la mission d’information, relève ainsi qu’il « n’est plus possible de consommer autant ».

Ce rapport contient donc vingt-cinq recommandations, visant à instaurer une meilleure gestion de la ressource en eau, laquelle permettrait de limiter les conflits liés à son utilisation.

Tout d’abord, la mission relève qu’il est primordial d’améliorer la connaissance sur la ressource en eau et sur ses évolutions, ce qui constitue un préalable à une bonne gestion de la ressource. Elle recommande alors de renforcer les outils et indicateurs de mesure et d’élargir l’accès aux données détenues par les personnes privées. Il est notamment recommandé à cet égard « que les acteurs privés prélevant de l’eau fournissent des données mensuelles, et non plus annuelles, sur leurs prélèvements ». En outre, la mission propose d’abroger l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants, considérant que la définition de « cours d’eau » instaurée par cet arrêté a conduit au déclassement de nombre d’entre eux, impactant le suivi de leur niveau et de leur débit.

Une meilleure organisation de la répartition de la ressource en eau entre les différents usages apparait également nécessaire lorsque celle-ci est sous pression. En l’état actuel du droit, si certains usages sont considérés comme prioritaires, ceux-ci ne sont pas hiérarchisés et doivent être conciliés. Le rapport indique alors que les besoins absolument prioritaires, comme l’alimentation humaine ou la survie des milieux naturels, doivent être préservés et les autres usages restreints. Ainsi, la mission d’information recommande notamment de renforcer la coordination entre les départements d’un même sous-bassin versant pour déclencher les mesures de restriction, déclenchement qui devrait être systématisé lors du franchissement des seuils d’alerte (le rapport indiquant que, actuellement, les seuils sont franchis plusieurs fois avant ce déclenchement), pour définir les restrictions adaptées et harmoniser les contrôles. En outre, si les mesures de restriction ne sont pas respectées, la mission d’information propose de délictualiser la récidive et de la sanctionner d’une amende de 15 000 euros.

La mission d’information parlementaire souligne en outre qu’il est important de prévenir et limiter la survenance des situations de pression sur la ressource en eau, notamment en mettant en œuvre des solutions fondées sur la nature et en incitant « les communes et intercommunalités à désimperméabiliser leurs territoires, afin de se rapprocher du cycle naturel de l’eau et ainsi favoriser la recharge des nappes souterraines et l’alimentation des cours d’eau ». La mise en œuvre obligatoire d’une tarification incitative de l’eau est également envisagée.

Par ailleurs, il est relevé que les restrictions pesant sur certaines pratiques entrainent un coût financier important. A ce titre, il est proposé de créer un fonds de paiement pour services environnementaux d’un budget d’un milliard d’euros pour la période 2021/2025.

Enfin, des recommandations sont formulées en matière de gouvernance de l’eau. Il est ainsi notamment suggéré « de confier aux services de l’État, ou à défaut à la CNDP, un rôle actif de médiateur dans l’animation des instances locales de gouvernance de la régulation de l’eau », ou encore d’instaurer une obligation de déclinaison des SDAGE 2027-2032 en SAGE sur l’ensemble du territoire national.

 

 

III – Règlement européen

Règlement (UE) 2020/741 du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 2020 relatif aux exigences minimales applicables à la réutilisation de l’eau

Dressant le même constat que celui de la mission d’information parlementaire, il est indiqué dans le préambule du règlement (UE) 2020/741, relatif aux exigences minimales applicables à la réutilisation de l’eau, que « des pressions croissantes s’exercent sur les ressources en eau de l’Union, entraînant la rareté de l’eau et une détérioration de la qualité de l’eau ».

Un élément de solution à cette problématique est mis en œuvre par ce règlement. En effet, celui-ci vise à permettre une réutilisation des eaux urbaines résiduaires traitées pour l’irrigation agricole, et fixe à cet égard des exigences minimales de qualité et de surveillance de l’eau et des dispositions en matière de gestion des risques. Un exploitant d’une installation de récupération, comme une station d’épuration des eaux urbaines résiduaires, peut ainsi fournir des eaux traitées qui seront utilisées à des fins d’irrigation agricole.

Il importe de relever que la production et la fourniture d’eau de récupération destinée à l’irrigation agricole sont soumises à l’octroi d’un permis, lequel définit les obligations incombant aux différents acteurs impliqués dans la réutilisation de l’eau. Le permis doit être sollicité par l’exploitant de l’installation de récupération, ou par tout acteur du système de réutilisation de l’eau exerçant un rôle ou une activité dans ce système, tel que l’exploitant de l’installation de distribution d’eau de récupération.

Les obligations pesant sur l’exploitant de l’installation de récupération sont donc définies par ce permis, mais le règlement fixe également en annexe des exigences minimales de qualité de l’eau que l’exploitant est tenu de respecter, et précise que celui-ci est responsable de la qualité de l’eau jusqu’à ce qu’il la fournisse à l’acteur suivant de la chaine.

En application de ce règlement, l’Administration doit veiller à ce qu’un plan de gestion des risques soit établi par l’exploitant, les autres parties responsables et les personnes utilisant l’eau à des fins d’irrigation agricole. Ce plan doit notamment identifier les risques et dangers liés à l’utilisation du système de réutilisation de l’eau ainsi que les mesures permettant de les prévenir et corriger. Il contient également les exigences « relatives à la distribution, au stockage et à l’utilisation » de l’eau récupérée et traitée, devant être respectées après que cette eau a été fournie par l’exploitant de l’installation de récupération ainsi que les personnes responsables du respect de ces exigences.

Afin de s’assurer que les prescriptions du permis sont respectées, la réalisation de contrôles de conformité est prévue. En cas de non-conformité, le règlement prévoit que toutes les mesures nécessaires doivent être mises en œuvre pour qu’il y soit mis fin ou, lorsque cela représente un risque pour l’environnement, la cessation de la fourniture d’eau de récupération. Il appartient en outre aux Etats-membres de déterminer des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives qui seront appliquées en cas de manquement au règlement.

Par ailleurs, le règlement contient des obligations d’information du public. Un certain nombre d’éléments doivent en effet être rendus accessibles et actualisés tous les deux ans, tels que les permis octroyés et les conditions qu’ils fixent, la quantité et la qualité d’eau réutilisée fournie, etc.

Ce règlement sera applicable à compter du 26 juin 2023.

– 

[1] Rapport parlementaire, Gestion des conflits d’usage en situation de pénurie d’eau, 4 juin 2020, p. 49.

Propositions de la Convention citoyenne pour le climat

Faisant suite au mouvement des gilets jaunes, 150 personnes ont été tirées au sort pour formuler des propositions de mesures qui permettraient de réduire de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, par rapport à 1990. Ces travaux ont été organisés par le Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Le 21 juin 2020, à l’issue de sessions de travail ayant débuté le 4 octobre 2019, la Convention a présenté à la Ministre de la transition écologique et solidaire environ 150 propositions de mesures classées en six catégories : se déplacer, consommer, se loger, produire/travailler, se nourrir et révision de la Constitution. Parmi les suggestions les plus commentées, la Convention propose de limiter à 110 km/h la circulation sur l’autoroute, d’inscrire le crime d’écocide dans la loi et d’interdire d’ici 2025 les vols intérieurs lorsqu’il existe une alternative bas-carbone satisfaisante en prix et en temps. D’autres mesures visent à une modification de la Constitution, en inscrivant notamment la préservation de l’environnement, de la biodiversité et la lutte contre les dérèglements climatiques à son article 1er.

Certaines propositions de la Convention peuvent intéresser plus particulièrement les personnes publiques.

En effet, certaines ont trait à l’aménagement du territoire, la Convention ayant notamment formulé des propositions visant à lutter contre l’artificialisation des sols, comme l’interdiction de « toute artificialisation des terres tant que des réhabilitations ou friches commerciales, artisanales ou industrielles sont possibles dans l’enveloppe urbaine existante », ainsi que la facilitation de l’expropriation des friches par les communes, ou encore en restreignant le nombre d’hectares pouvant être artificialisés. Il est également proposé de s’assurer que les forêts privées et publiques soient gérées durablement.

Plusieurs propositions sont par ailleurs liées à la question de la mobilité. Il est ainsi proposé d’aménager la voie publique, en créant notamment des parkings-relais, en généralisant les voies réservées aux véhicules partagés et aux transports collectifs. Il est également recommandé d’encourager l’utilisation de transports « doux ou partagés » en « généralisant et améliorant le forfait mobilité durable, prévue par la récente loi d’orientation des mobilités ». Les plans de mobilité seraient rendus obligatoires pour toutes les entreprises, qui seraient accompagnées dans cette démarche par les Autorités organisatrices de la mobilité (AOM). Les citoyens seraient en outre intégrés à la gouvernance des AOM.

Les travaux de la Convention contiennent également des mesures relatives à l’alimentation et à la restauration scolaire. Il est notamment proposé de réviser l’arrêté du 30 septembre 2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis en restauration scolaire. La question de l’agriculture a également été abordée, la Convention indiquant qu’il est nécessaire de diminuer le recours aux pesticides, en interdisant notamment l’utilisation des produits les plus dangereux d’ici à 2035, et d’augmenter la Taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour les engrais azotés.

La Convention a également proposé de renforcer l’éducation à l’environnement afin que celle-ci soit généralisée dans le modèle scolaire français et que l’ensemble de la population française soit sensibilisé « en reliant compréhension de l’urgence climatique et passage à l’action ». Des actions menées par les collectivités pourraient à ce titre être envisagées, notamment des « projets participatifs comme les jardins partagés, [ou] les animations dans les quartiers dans le cadre de projets de réaménagement ».

De nombreuses propositions sont relatives à la sobriété énergétique. Ainsi, la Convention a considéré qu’il est nécessaire de réduire la consommation énergétique, notamment en contraignant « par des mesures fortes les espaces publics et les bâtiments tertiaires » à procéder à cette réduction et en encourageant le recours limité au chauffage ou à la climatisation dans les logements, les espaces publics et les espaces ouverts au public. Il est notamment proposé de renoncer à la climatisation en dessous de 25°C. En outre, les collectivités pourront être appelées à intervenir en matière de sobriété énergétique en accompagnant « l’évolution du numérique pour réduire ses impacts environnementaux ». La Convention appelle également à améliorer la gouvernance régionale en confiant de nouvelles missions au conseil régional, à développer l’autoconsommation et à faire participer les citoyens, entreprises associations et collectivités aux projets d’énergie renouvelable

D’autres propositions sont, quant à elles, liées à la gestion des déchets, la Convention invitant à :

  • redéfinir la Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), en remplaçant une part significative de cette taxe par des modalités permettant d’encourager les comportements écoresponsables ;
  • interdire les plastiques à usage unique d’ici 2023 et « rendre obligatoire le recyclage de tous les objets en plastique dès 2023 » ;
  • ou, tout simplement, la Convention propose de « durcir et appliquer la réglementation sur la gestion des déchets » et « faire respecter la loi sur l’interdiction de l’obsolescence programmée ».

On relève également que des propositions de mesures sont relatives à la commande publique. La Convention propose à ce titre de :

  • « Renforcer les clauses environnementales dans les marchés publics » d’ici 2030 ;
  • De mettre en œuvre un « « guide d’achat » à adresser aux acheteurs publics » qui permettrait d’utiliser la commande publique pour valoriser les produits d’alimentation issus de circuits courts et à faible impact environnemental.

D’une manière générale, la Convention considère qu’il est nécessaire, pour garantir une application efficace des politiques publiques environnementales, d’en assurer un meilleur suivi et contrôle. Elle propose à ce titre d’en renforcer et centraliser l’évaluation et le suivi et de contrôler et sanctionner plus efficacement et rapidement les manquements aux normes environnementales.

S’agissant du devenir de ces propositions, il est précisé sur le site internet de la Convention que le Président de la République s’est engagé à mettre en œuvre ces propositions, après soumission à un référendum ou à un vote du Parlement ou par application règlementaire directe. En fonction du degré de précision des propositions, le gouvernement disposera toutefois d’une marge d’appréciation pour les traduire en normes juridiques, certaines propositions de la Convention reposant au demeurant sur des normes d’ores et déjà prévues par les textes.

Commission de régulation de l’énergie : rapport d’activité 2019 et enjeux à venir dans le secteur de l’électricité et de gaz

Le 15 juin dernier, la CRE a mis en ligne son rapport d’activité pour l’année 2019, rapport qui dresse une rétrospective de l’exercice de ses missions de régulateur des marchés de l’électricité et du gaz naturel depuis son installation en mars 2000, soit depuis vingt ans.

Dans ce rapport, la CRE retrace tout d’abord, la construction du marché européen de l’énergie et l’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz. Elle retrace ensuite l’adaptation des réseaux électriques à la transition énergétique, les mutations de secteur gazier et enfin la transition énergétique à l’œuvre dans les zones non interconnectées (ZNI).

Concernant l’adaptation des réseaux de distribution et de transport électricité, la CRE met l’accent dans son rapport sur le fait que le développement des énergies renouvelables et la décentralisation du système électrique donnent une importance accrue aux réseaux. Dans ce nouveau contexte, le recours à la flexibilité pour répondre aux enjeux de la transition énergétique est essentiel afin de maîtrise l’évolution des coûts et optimiser les décisions d’investissement des gestionnaires de réseaux.

Les divers travaux du comité de prospective de la CRE sont également évoqués dans ce rapport (verdissement du gaz, flexibilité et stockage). Un sujet toutefois absent de ce rapport annuel, celui de l’avancement des travaux de la CRE sur l’ouverture des données dont disposent les gestionnaires de réseaux et d’infrastructures d’énergie, sujet pourtant majeur.