le 16/07/2020

Conséquences de la Covid-19 sur les concessions de service public : Quels fondements pour quelle indemnisation ?

Contrairement à ce que diverses communications pourraient laisser croire, l’indemnisation des préjudices subis par le délégataire n’est pas une fatalité pour les personnes publique concessionnaires, même dans l’hypothèse de l’épidémie de la Covid-19.

Mais pour que les personnes publiques puissent apporter une réponse adéquate aux demandes de leurs concessionnaires, il est nécessaire qu’elles soient elles-mêmes parfaitement au fait des différents fondements possibles de demandes et des conditions d’indemnisation pour chacun d’eux, que l’on peut sommairement énumérer ci-après.

 

I – Le premier des fondements : la convention

 

Avant l’analyse de tout fondement textuel ou jurisprudentiel, il appartient aux parties de vérifier si le contrat ne comporte pas de clause portant précisément sur les conditions d’indemnisation du délégataire.

Cela pourrait être des clauses de révision de prix, des clauses de réexamen ou de « revoyure », voire des clauses d’indemnisation.

Mais même si la convention comporte une clause d’indemnisation qui pourrait trouver à s’appliquer dans la survenance d’une crise telle que la Covd-19, la personne publique ne pourra indemniser le délégataire que si la somme demandée ne constitue pas une libéralité, c’est-à-dire si elle n’est pas complètement disproportionnée par rapport au préjudice subi[1].

 

II – L’Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020

 

Dans un deuxième temps, le délégataire pourra éventuellement fonder sa demande sur les dispositions de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19.

A toutes fins utiles, on rappellera que cette ordonnance trouve à s’appliquer à tous les contrats publics, et pas seulement aux contrats de la commande publique. Par ailleurs, elle ne trouve à s’appliquer que jusqu’au 23 juillet 2020. Précisons enfin que cette ordonnance déroge aux stipulations contractuelles qui lui sont moins favorables.

En pratique, deux dispositions pourraient plus particulièrement trouver à s’appliquer.

Tout d’abord, le délégataire pourrait se fonder sur le 5° de l’article 6 de cette ordonnance pour solliciter une avance sur les sommes qui lui sont dues, à la condition toutefois que le concédant ait pris l’initiative de suspendre l’exécution de la concession.

Par ailleurs, il pourrait solliciter une indemnisation sur le fondement du point 6° du même article 6.

Mais , il devra alors démontrer que, par une de ses décisions, l’autorité délégante a modifié significativement les modalités d’exécution prévues au contrat. Il devra également démontrer que de ce fait, l’exécution de la convention impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n’étaient pas prévus au contrat initial et représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire.

Et dans ce cas (seulement), le concessionnaire aura droit à l’indemnisation de ses surcoûts.  En l’absence de précision sur ce point, la question se pose de l’interprétation qu’il convient d’avoir de la notion de surcoût.

 

III – Les grands principes du droit administratif : la force majeure et l’imprévision

 

Si le délégataire ne peut assoir sa demande sur aucun des fondements susvisés, il lui appartiendra de s’appuyer sur les grands principes du droit administratif et, en particulier, sur la force majeure et sur l’imprévision.

La force majeure suppose de démontrer que l’évènement en cause est extérieur, imprévisible et irrésistible. Autrement dit, il y a cas de force majeure en cas « d’impossibilité absolue de poursuivre, momentanément ou définitivement, l’exécution de tout ou partie du contrat »[2].

Si la condition d’extériorité (aux parties au contrat) est assez facile à identifier, la condition d’imprévisibilité est une question de casuistique. Ainsi, par exemple, des intempéries dont l’intensité et les conséquences ne sont pas exceptionnelles au regard des précédentes intempéries ne constituent pas un évènement imprévisible[3]. Au contraire, des intempéries d’une violence et d’une durée exceptionnelle dont les services de météorologie installés localement depuis 1945 leur ont attribué une périodicité de plus de cent ans présentent un caractère imprévisible[4].

Enfin, un évènement est irrésistible lorsque les parties au contrat ne peuvent pas empêcher l’évènement tant dans sa survenance (l’évènement est inévitable) que dans ses effets. Selon le type de service public objet de la convention, selon les mesures qui doivent être mises en œuvre et, enfin, selon la situation d’exécution du service public (fermeture ou exécution rendue plus difficile par exemple), la condition d’irrésistibilité sera considérée comme constituée ou non.

Le premier effet de la force majeure est d’exonérer les deux parties de leurs obligations contractuelles. Par conséquent, les parties sont exonérées de leur responsabilité contractuelle. En particulier, des pénalités ne pourraient pas être appliquées au cocontractant s’il démontre que son retard trouve sa cause dans un évènement de force majeure. Par ailleurs, le concessionnaire pourra être indemnisé si une disposition contractuelle le prévoit[5].

La notion d’imprévision est une notion jurisprudentielle ancienne. Et si les arrêts de principe sont anciens, cette jurisprudence est toujours d’actualité.

Et elle est aujourd’hui codifiée au point 4 de l’article L. 6 du Code de la commande publique. Ainsi, cet article dispose que :

« Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité ».

Ainsi, constitue une imprévision un évènement extérieur, imprévisible et bouleversant temporairement l’économie du contrat.

Et le but poursuivi par le Conseil d’Etat lorsqu’il a mis en œuvre ce mécanisme d’indemnisation est le suivant : un évènement extérieur empêche le contrat d’être exécuté dans les conditions initialement envisagées et cela génère un déficit d’exploitation important. Or, il est nécessaire que le contrat continue à s’exécuter pour assurer la continuité du service public. Dans ce cas, il faut que le délégataire puisse être partiellement indemnisé afin de pouvoir assurer la continuité du service public.

A titre d’exemple, a pu être indemnisée au titre de l’imprévision une société concessionnaire du service public de distribution du gaz dont le coût a considérablement augmenté du fait de la première guerre mondiale[6].

De même, le juge a fait droit à la demande fondée sur l’imprévision présentée par une société en charge de la fourniture de l’eau en raison de la pollution du site de captage d’eau qu’elle utilisait pour se fournir en eau[7].

Selon la doctrine, la notion de bouleversement implique le dépassement du prix-limite que les parties pouvaient envisager ainsi qu’un déficit important.

Et dans ce cas, le délégataire aura le droit à être indemnisé d’une partie du déficit qu’il aura supporté, à la condition de démontrer que ce déficit trouve sa cause dans l’évènement qu’il invoque. Bien plus, il conservera à sa charge une partie de ce déficit, la part restant à sa charge variant en fonction de plusieurs critères et notamment de sa diligence dans la gestion de la crise ou de sa situation financière.

Au total, donc, les conditions dans lesquelles un concessionnaire pourrait demander à être indemnisé du préjudice qu’il prétend avoir subi du fait de la survenance de la Covid-19 sont loin d’être aussi ouvertes qu’on pourrait le penser. Et encore faudra-t-il que le délégataire sache démontrer la réalité de son préjudice ainsi que son lien de causalité avec l’épidémie, outre les justificatifs qu’il devra fournir au soutien de sa demande indemnitaire.

 

Par Marion Terraux

[1] CE Sect. 19 mars 1971, Sieur Mergui, n°79962, Avis du Conseil d’Etat relatif à la décision du Gouvernement de renoncer au projet d’aéroport Notre Dame des Landes, 26 avril 2018

[2] Direction des affaires juridiques du MINEFI, La passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire, 18 mars 2020)

[3] CE, 13 mars 1991, Entreprise Labaudinière, n° 80846

[4] CE, 27 janvier 1989, Compagnie d’assurances le groupe Drouot, n° 80064

[5] CE, 11 déc. 1991, SONEXA, n° 81588

[6] CE, 10 mai 1916, Compagnie du Gaz de Bordeaux

[7] CE,14’ juin 2000, commune de Staffelfelden, n°184722