Reprise des effets des clauses résolutoires

Dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de coronavirus, a été mise en place une série de mesures visant notamment à protéger les commerçants et autres titulaires de baux commerciaux contre lesquels les effets des clauses résolutoires, le plus souvent actionnées en cas d’impayés de loyers, ont été temporairement neutralisés.

C’est ainsi qu’a été adoptée une ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période disposant à son article 4 que les astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n’avoir pas pris cours ou produit effet, si ce délai a expiré pendant la période juridiquement protégée, c’est-à-dire entre le 12 mars et le 23 juin 2020 inclus.

Par cette ordonnance, l’effet des clauses a été reporté, dans les cas d’inexécution du débiteur, d’une durée, calculée après la fin de cette période, égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée.

A titre d’exemple, si une clause résolutoire aurait dû prendre effet le 23 mars 2020, soit 11 jours à compter du 12 mars 2020, il convient, pour déterminer sa date de prise d’effet, d’ajouter 11 jours à compter de la fin de la période juridiquement protégée. Ici, la clause a donc pris effet le 4 juillet 2020, soit 11 jours après le 23 juin 2020.

Ce dispositif de neutralisation ayant pris fin le 23 juin dernier, le jeu normal des clauses résolutoires a repris depuis le 24 juin dernier.

Le Conseil d’Etat précise les conditions de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général en raison de l’illégalité du contrat administratif

Dans le cadre d’une décision de principe du 10 juillet 2020 qui sera publiée au Lebon, le Conseil d’État précise, d’une part, les conditions dans lesquelles une personne publique peut procéder à la résiliation unilatérale d’un contrat administratif entaché d’une irrégularité et, d’autre part, l’indemnisation à laquelle peut prétendre le cocontractant de l’administration dans une telle hypothèse.

En l’espèce, la communauté d’agglomération Reims métropole a lancé une procédure de passation sous la forme d’un appel d’offres ouvert pour l’attribution d’un marché public ayant pour objet la fourniture de points lumineux, supports et pièces détachées. Les trois lots de ce marché public ont été attribués à la société Comptoir Négoce Equipements, qui a commencé l’exécution des prestations le 1er janvier 2015. Cependant, le 5 février 2015, la communauté d’agglomération Reims métropole l’a informée de la résiliation des trois lots à compter du 1er avril 2015 en raison de l’irrégularité entachant la procédure de passation du marché.

La société Comptoir Négoce Equipements a saisi le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d’une demande tendant à la reprise des relations contractuelles, assortie de conclusions indemnitaires. Le Tribunal a, par un jugement du 8 août 2017, jugé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur les conclusions en reprise des relations contractuelles et condamné la communauté urbaine du Grand Reims, venue aux droits de la communauté d’agglomération Reims métropole, à verser à cette société des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, au titre de l’année 2015, du fait de la résiliation pour faute de ces lots.

La communauté urbaine du Grand Reims a interjeté appel de ce jugement et, par la voie de l’appel incident, la société Comptoir Négoce Equipements a contesté le jugement en tant qu’il n’a pas indemnisé les préjudices qu’elle estime avoir subis au titre des années 2016 et 2017.

Par un arrêt du 19 mars 2019, la Cour administrative d’appel de Nancy a annulé le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu’il a condamné la communauté urbaine du Grand Reims à verser à la société une somme des dommages et intérêts sur le fondement de la résiliation pour faute alors que la résiliation était intervenue pour un motif d’intérêt général et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

La société Comptoir Négoce Equipements a introduit un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Dans un premier attendu de principe, le Conseil d’État rappelle une jurisprudence constante (CE, Ass., 2 mai 1958, Distillerie de Magnac-Laval, n° 32401) aux termes de laquelle « en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d’intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant ».

Le Conseil d’Etat avait déjà admis qu’une illégalité contractuelle pouvait constituer un motif d’intérêt général donnant lieu à une résiliation du contrat administratif (CE, 7 mai 2013, Société auxiliaire de parcs de la région parisienne, n° 365043). Cette décision est l’occasion pour lui de préciser les conditions dans lesquelles une telle résiliation est envisageable puisqu’il juge que :

« Dans le cas particulier d’un contrat entaché d’une irrégularité d’une gravité telle que, s’il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l’annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l’exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au préalable le juge ».

Il résulte de ce considérant que toutes les irrégularités entachant un contrat administratif ne sauraient donner lieu à une résiliation pour motif d’intérêt général.

En effet, l’irrégularité doit tout d’abord présenter un certain seuil de gravité puisque seules les irrégularités d’une gravité telle que le juge du contrat pourraient en prononcer l’annulation ou la résiliation constituent un motif d’intérêt général pouvant justifier une résiliation unilatérale du contrat.

Par ailleurs, la personne publique ne peut prononcer une telle résiliation que sous réserve respect du principe de loyauté des relations contractuelles. On sait que depuis la jurisprudence du Conseil d’État dite « Béziers I » (CE, Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802), le juge du contrat est, par principe, tenu de faire application du contrat eu égard à l’exigence de loyauté des relations contractuelles et, par exception, de l’écarter dans l’hypothèse du caractère illicite du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relative à son exécution. La personne publique ne sera donc pas, a priori, fondée à invoquer toutes les irrégularités contractuelles pour justifier la résiliation du contrat sur un tel fondement.

Seules les irrégularités passant le crible de ces deux conditions pourront justifier une résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général de la part de la personne publique. S’il est encore trop tôt pour dresser un inventaire de ces irrégularités, on peut deviner que seules qui présentent un seuil de gravité manifestement important seront de nature à justifier une telle mesure.

Dans le prolongement de sa jurisprudence (CE, Sect., 10 avril 2008, Decaux et département des Alpes-Maritimes, n°s 244950 284439 248607), le Conseil d’État précise ensuite les droits à indemnisation du cocontractant dans l’hypothèse d’une telle résiliation :

« Après une telle résiliation unilatéralement décidée pour ce motif par la personne publique, le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d’effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé. Si l’irrégularité du contrat résulte d’une faute de l’administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration. Saisi d’une demande d’indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d’apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice ».

Pour la période postérieure à la date d’effet de la réalisation, le cocontractant de l’administration peut prétendre à être indemnisé, sur un terrain quasi-contractuel, des dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé. Il s’agit là d’une application classique de la théorie de l’enrichissement sans cause.

En outre, selon une jurisprudence ancienne le juge combine cette théorie du quasi-contrat avec la responsabilité délictuelle de l’administration (CE, 23 mai 1979, Commune de Fontenay-le-Fleury, n° 00063). Ainsi, lorsque l’irrégularité sur le fondement de laquelle la résiliation du contrat est prononcée résulte d’une faute de l’administration alors le cocontractant peut demander au juge d’être indemnisé du préjudice qu’il subit, soit en principe le bénéfice dont il a été privé, sous la double réserve, d’une part, que ce préjudice présente un lien direct et certain avec la faute de l’administration et, d’autre part, que l’irrégularité en cause ne lui soit pas pour partie imputable (il en résulterait alors un partage de responsabilité).

En l’espèce, la Cour administrative d’appel de Nancy a relevé que l’omission, dans le cadre des documents de la consultation, de la mention « ou équivalent » au titre des spécifications techniques, avait eu pour effet d’avantager l’attributaire des lots et que cette omission constituait donc une irrégularité entachant la procédure de passation du marché litigieux. Et, la cour administrative d’appel de Nancy avait jugé que cette irrégularité était de nature à justifier une résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général du marché public.

Le Conseil d’État censure ce raisonnement en jugeant que « Toutefois, la cour a commis une erreur de droit en en déduisant que cette irrégularité justifiait la résiliation du contrat en litige par la communauté d’agglomération du Grand Reims par application des stipulations contractuelles citées au point 4 [stipulations rappelant le pouvoir de résiliation unilatérale de la personne publique pour motif d’intérêt général], sans rechercher si cette irrégularité pouvait être invoquée par la personne publique au regard de l’exigence de loyauté des relations contractuelles et si elle était d’une gravité telle que, s’il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer l’annulation ou la résiliation du marché en litige, et, dans l’affirmative, sans définir le montant de l’indemnité due à la société requérante conformément aux règles définies au point 3 ».

Il annule donc l’arrêt attaqué et renvoie l’affaire pour être jugée au fond devant la cour administrative d’appel de Nancy.

Suite (et fin ?) de la difficile quête de l’indépendance de l’autorité environnementale : publication du décret du 3 juillet 2020 relatif à l’autorité environnementale et à l’autorité chargée de l’examen au cas par cas

La directive n° 2001/42/CE du 27 juin 2001 et la directive n° 2011/92/UE du 13 décembre 2011, ont toutes deux pour objectif de garantir dans les Etats membres l’existence d’une autorité compétente et objective en matière d’environnement qui soit en mesure de rendre un avis sur l’évaluation environnementale des plans et programmes ou sur l’étude d’impact des projets susceptibles d’avoir une indépendance notable sur l’environnement.

La transposition d’une telle indépendance de l’autorité environnementale en droit français a rencontré de grandes difficultés, la publication du décret du 3 juillet dernier est supposé y mettre un terme. C’est tout ce que nous pouvons souhaiter pour les plans, programmes et projets dont la sécurité juridique a largement été ébranlée, et continuera de l’être, sous l’effet de cette remise en question des textes par le Conseil d’Etat.

A cet égard, rappelons que c’est principalement à l’occasion de deux décisions des 6 et 28 décembre 2017 (portant respectivement les n° 400559 et n° 407501) que le Conseil d’Etat a annulé certaines dispositions du décret 28 avril 2016, car il maintenait, au IV de l’article R. 122-6 du Code de l’environnement, la désignation du préfet de région en qualité d’autorité compétente de l’Etat en matière d’environnement.

La double casquette du préfet de région, à la fois autorité environnementale et autorité pouvant autoriser le projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage s’opposait à l’indépendance requise par le droit européen.

Ces annulations ont eu pour effet de vicier rétroactivement la légalité des procédures d’évaluation environnementale de plans, programmes et projet qui avait pourtant suivi à la lettre les textes alors applicables en saisissant le préfet en qualité d’autorité environnementale.

Il a alors fallu combler le vide juridique laissé par l’annulation de ces dispositions réglementaires, c’est l’objet du très attendu décret n° 2020-844 du 3 juillet 2020.

Ce décret s’appui sur la nouvelle rédaction de l’article L. 122-1 du Code de l’environnement, dans sa version issue de la loi ELAN (loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019), qui distingue désormais l’autorité environnementale de l’autorité chargée de l’examen au cas par cas. Appliquant ces dispositions législatives, le décret énumère en son article 2 les autorités chargées de l’examen au cas par cas, et en son article 4 les autorités désignées en qualité d’autorité environnementale.

Il n’est pas question ici de procéder à l’énumération des cas dans lesquelles telle ou telle autorité est désignée en qualité d’AE ou en charge de l’examen au cas par cas, il faut toutefois retenir que, en synthèse, l’AE peut être, selon les cas, le ministre de l’environnement, le CGEDD ou la MRAe pour les projets locaux.

Le décret, tirant les enseignements des censures passées du Conseil d’Etat, ne prévoit plus aucun cas dans lequel le préfet de région peut être désigné en qualité d’autorité environnementale. Le décret transfère à la MRAe la compétence pour rendre des avis sur les projets en lieu et place des préfets de région. 

Ce dernier reste toutefois désigné pour procéder, dans la plupart des cas, à l’examen au cas par cas des projets locaux entrant dans le champ de l’évaluation environnementale, mais l’autorité environnementale de ces mêmes projets est, sans grande surprise, la MRAe.

Puisque c’est tout le nœud du problème, ce décret prévoit également, par la création de deux nouveaux articles R. 122-24-1 et R. 122-24-2 dans le Code de l’environnement, un dispositif de prévention des conflits d’intérêts pour l’autorité chargée de l’examen au cas par cas et l’autorité environnementale.

Il y a fort à parier que ce nouveau décret ne manquera pas de donner lieu à de nouveaux débats contentieux, il convient alors pour les auteurs des plans et programmes, et pour les porteurs de projets de rester en alerte sur ces sujets houleux.

Les nouvelles dispositions s’appliquent aux demandes d’avis ou d’examen au cas par cas déposées à compter du 5 juillet 2020.

Le renforcement des prérogatives du conseil syndical

Le décret n° 2020-834 du 2 juillet 2020 réforme les règles de gouvernance entre les trois acteurs majeurs d’une copropriété, à savoir le syndic, le conseil syndical et le syndicat des copropriétaires.

Pour rappel, les conseillers syndicaux, désignés par l’assemblée générale des copropriétaires assistent et contrôlent le syndic. Par ailleurs, le conseil syndical est l’intermédiaire entre les copropriétaires et le syndic mais il n’a pas de personnalité morale.

Même si le présent décret n’accorde toujours pas de personnalité morale au conseil syndical, il s’en rapproche : en effet, le conseil syndical peut désormais bénéficier de délégation de pouvoirs élargis avec une enveloppe financière pour une durée de deux ans dans les conditions prévues par la loi du 10 juillet 1965. Par ailleurs, les décisions prises par le conseil syndical, lorsqu’il bénéficie d’une délégation de pouvoirs, sont consignées dans un procès-verbal mentionnant le nom des membres du conseil syndical ayant participé à la délibération et le sens de leur vote.

En matière juridictionnelle, le président du conseil syndical se voit conférer des pouvoirs qui confinent à la représentation en justice du syndicat des copropriétaires. Ainsi, le président du conseil syndical exerce aux frais avancés du syndicat des copropriétaires les procédures judiciaires prévues aux articles 18-2, 21 et 29-1 A de la loi du 10 juillet 1965. Un état des frais de justice prévisionnels accompagné de devis doit alors être présenté au syndic afin qu’il procède aux avances nécessaires à la conduite de ces procédures.

Enfin, le conseil syndical est chargé de veiller à la mise en concurrence systématique du contrat de syndic : à cet effet, le décret prévoit que le conseil syndical est chargé de communiquer au syndic des projets de contrats de syndic afin de permettre la mise en concurrence lors de l’assemblée générale appelée à renouveler le mandat du syndic en place.

La tenue des assemblées générales de copropriétaires

Avec plusieurs semaines d’attente, le décret d’application de l’ordonnance n° 2019-1101 du 30 octobre 2019 a enfin été publié. Pour rappel, l’ordonnance réformant le statut de la copropriété permet la convocation d’une assemblée générale à l’initiative d’un seul copropriétaire et régit le vote par correspondance.

La convocation d’une assemblée générale à l’initiative d’un seul copropriétaire

Le copropriétaire peut convoquer seul et à ses frais une assemblée générale concernant ses seuls droits et obligations. Il est à noter que les frais qui seront à la charge du copropriétaire dépendront du nombre de copropriétaires.

La demande faite par un ou plusieurs copropriétaires de convoquer une assemblée générale est notifiée au syndic et précise la ou les questions dont l’inscription à l’ordre du jour est demandée. Elle est accompagnée d’un projet de résolution pour chaque question.

Lorsque l’assemblée générale est convoquée à la demande de plusieurs copropriétaires, ils précisent la répartition des frais et honoraires entre eux. A défaut de précision, les frais sont répartis entre ces copropriétaires à parts égales.

Dans les quinze jours qui suivent la notification mentionnée au premier alinéa, le syndic informe le ou les copropriétaires demandeurs des frais prévisionnels et de ses honoraires. Il convoque l’assemblée générale qui se tient dans le délai de quarante-cinq jours suivant le paiement de ces frais et honoraires.

Le vote par correspondance

La loi ELAN n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 a prévu que quatre modalités de vote : la présence physique, la remise d’un mandat à un copropriétaire, le vote par visioconférence ou encore le vote par correspondance via la remise d’un formulaire au syndic. Le vote par visioconférence est possible depuis le décret n° 2019-650 du 27 juin 2019 sous réserve que le syndicat des copropriétaires approuve ce procédé, ses garanties d’authentification et en supporte son coût.

Quant au vote par correspondance, le présent décret prévoit que le formulaire de vote par correspondance doit être joint par le syndic à la convocation de se rendre à l’assemblée générale. Celui-ci est devenu possible depuis du 4 juillet 2020.

Pour être pris en compte, le formulaire doit être adressé par courriel à l’adresse indiqué par le syndic au plus tard trois jours francs avant la date de la réunion. Lorsque le formulaire de vote est transmis par courrier électronique à l’adresse indiquée par le syndic, il est présumé réceptionné à la date de l’envoi.

Le décret n° 2020-634 du 25 mai 2020 précise le régime de la demande de prise de position formelle adressée au représentant de l’Etat

Afin de « fluidifier les relations entre l’État et les collectivités territoriales », l’article 74 de la loi dite « Engagement et proximité »[1] a inséré, à l’article L. 1116-1 du Code général des Collectivités Territoriales (ci-après CGCT), la possibilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements de saisir le représentant de l’Etat d’une demande de prise de position formelle sur un acte relevant de leur compétence.

Le décret du 25 mai 2020, publié au JO du 27 mai 2020[2], ici commenté, prévoit désormais les conditions de mise en œuvre de ce dispositif.

Plus précisément, cette procédure, improprement appelée le « rescrit du préfet », permet aux collectivités, à leurs groupements et établissement publics, de demander au Préfet, de façon préalable à l’adoption d’un acte, « une prise de position formelle relative à la mise en œuvre d’une disposition législative ou réglementaire régissant l’exercice de leurs compétences ou les prérogatives dévolues à leur exécutif ».

Il s’agit donc bien, pour ces dernières, de transmettre l’acte concerné et de poser une question écrite sur un point de droit intéressant ce dernier (et non simplement de transmettre ledit acte pour avis des services de l’Etat et prévenir ce faisant un déféré préfectoral).

Dans ce cadre, le décret du 25 mai 2020, vient notamment préciser :

  • les modalités d’envoi de la demande de prise de position ainsi que de la prise de position elle-même : celles-ci pourront être transmises par tout moyen pourvu, naturellement, qu’il permette d’apporter la preuve de sa réception (article 1er du décret, codifié aux articles R. 1116-1 et article R. 111-4 du CGCT) ;

  • la forme de cette demande : elle devra être écrite et signée par une personne compétente pour représenter son auteur (article 1er du décret, codifié à l’article R.1116-2 du CGCT) ;

  • le contenu de cette demande : la demande devra comprendre, le projet d’acte en cause, une présentation claire et concise de la ou les questions de droit posées, un exposé des circonstances de fait et de droit fondant ledit projet d’acte ainsi que toute information ou pièce utile permettant à l’administration de se prononcer ; si la demande est incomplète, les services préfectoraux inviteront l’auteur de la demande à fournir les éléments complémentaires nécessaires (article 1er du décret, codifié à l’article R. 1116-2 du CGCT) ;

  • le point de départ du délai au terme duquel le silence gardé par l’administration vaut absence de position : le délai de trois mois au terme duquel le silence du Préfet vaut absence de position formelle[3], court à compter de la réception de la demande ou de la réception des éléments complémentaires demandés (article 1er du décret, codifié à l’article R. 1116-3 du CGCT). 

 

L’intérêt principal de ce dispositif réside dans le fait que la prise de position formelle lie les services de l’Etat : si l’acte finalement adopté par la collectivité ou son groupement est conforme à la prise de position formelle, le Préfet ne pourra pas, au titre de la question de droit soulevée lors de la demande de prise de position et, sauf changement de circonstances de droit ou de fait, le déférer au tribunal administratif. Il pourra, revanche, le déférer au titre d’autres points de la demande de prise de position formelle que ceux pour lesquels il a été saisi.

Toutefois, il convient de rappeler que dans cette procédure, les services de l’Etat demeurent libres de ne pas se prononcer sur la prise de position formelle et ce n’est qu’à l’issu d’un délai de trois mois que l’auteur de la saisine pourra prendre acte de l’absence de prise de position.

Reste donc à savoir quelle sera l’effectivité de ce dispositif compte tenu de cette possibilité de garder le silence, et ce, durant un délai suffisamment long pour retarder l’adoption des actes des collectivités territoriales et leurs groupements.

[1] Loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichJO.do?idJO=JORFCONT000041920174

[3] Article L. 1116-1 du CGCT

Possibilité de lancer une procédure de mise en concurrence avant d’en avoir la compétence

Le Conseil d’Etat reconnait, dans une décision du 9 juin 2020[1], la possibilité pour une collectivité territoriale, en l’occurrence la Métropole de Nice-Côte d’Azur, non encore compétente pour ce faire, de lancer la procédure de mise en concurrence afférente à une concession de plage.

Les faits sont les suivants : par un arrêté préfectoral du 12 octobre 2007 s’achevant le 31 décembre 2019, la concession des plages naturelles de Nice avait été attribuée à la ville de Nice, à qui il revenait donc de mener une procédure de publicité et mise en concurrence pour confier ensuite l’exploitation de ces plages[2].

Au début de l’année 2018, la métropole Nice-côte d’Azur exprimait son intention de prendre la suite de la ville de Nice (et donc de conclure la concession portant l’aménagement, l’exploitation et l’entretien des plages naturelles avec un exploitant), en faisant jouer le droit de priorité qu’elle tire de l’article L. 2124-4 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques (CGPPP).

En effet, ces dispositions prévoient que les concessions de plage sont accordées en priorité aux métropoles et, en dehors du territoire de celles-ci, aux communes ou groupements de communes.

Toutefois, c’est sans attendre l’intervention de l’arrêté préfectoral du 26 novembre 2019 actant de ce changement de compétence que la Métropole Nice-côte d’Azur a, dès juin 2018, lancé la procédure de passation de renouvellement de la (sous) concession des plages naturelles.

C’est dans ce contexte que des candidats évincés de cette procédure, à savoir les sociétés Les Voiliers, Lido Plage et Sporting Plage, ont demandé au Tribunal administratif de Nice d’annuler cette consultation. Au soutien de ce recours, les sociétés susvisées estiment, d’une part, que la procédure serait, en ces circonstances, conduite par une autorité incompétente et soulèvent, d’autre part, divers manquements tenant notamment à la pondération des critères et des sous critères, au périmètre de la concession ou encore à la procédure de négociation.

Le Tribunal administratif ayant donné gain de cause à ces candidats évincés en annulant la procédure litigieuse, la Métropole s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat, lequel a rendu sa décision par l’arrêt du 9 juin 2020 ici commenté.

En premier lieu, le Conseil d’Etat rappelle, en suivant les conclusions de Madame Mireille Le Corre, Rapporteure publique sous cette décision, qu’il n’appartient pas au juge des référés de contrôler si, au regard de l’objet du contrat dont la passation est engagée, la personne publique, est à la date où elle signe le contrat, compétente à cette fin[3]. A ce titre, la Rapporteure publique précise que « cette solution est directement tirée de ce que les pouvoirs du juge du référé précontractuel cessent une fois le contrat conclu, de façon tautologique ».

En deuxième lieu, et c’est là le cœur de cet arrêt, la Haute juridiction considère que la circonstance selon laquelle la procédure de passation est engagée et conduite par une personne publique qui n’est pas encore compétente pour le signer, n’est pas de nature à rendre ladite procédure irrégulière. Ainsi, une personne publique peut valablement lancer une consultation sans être encore compétente pour ce faire.

Toutefois, le Conseil d’Etat, en suivant ici encore les conclusions de Madame la Rapporteure publique, conditionne cette possibilité :

  • d’une part, et de façon assez évidente, la signature du contrat ne peut quant à elle intervenir que lorsque la compétence est effectivement transférée à la personne publique signataire[4];

  • d’autre part, cette anticipation ne peut être opérée que si la collectivité a effectivement la perspective de détenir la compétence concernée à la date de la signature du contrat.

 

En troisième lieu, le Conseil d’Etat se prononce sur les autres moyens soulevés par les candidats évincés. Si tous ne méritent pas d’être présentés, il ressort pour l’essentiel de ces derniers les éléments suivants :

  • L’autorité concédante est seulement tenue, au regard des dispositions du décret du 1er février 2016[5] applicables au contrat en cause, d’indiquer et décrire les critères de sélection des offres ainsi que de les hiérarchiser pour les contrats supérieurs aux seuils européen. Dès lors, la Métropole est déjà allée au-delà de ses obligations en pondérant les critères de sélection des offres et le défaut de pondération des sous-critères d’appréciation n’entache pas d’irrégularité la procédure de consultation ;
  • Une délégation ne peut avoir un périmètre manifestement excessif ni réunir des services qui n’auraient manifestement aucun lien entre eux ; c’est là le rappel des principes jurisprudentiels posés pour permettre le recours aux concessions dites multi-services ou multi-objets[6]. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, puisque les prestations de restauration de plage ne sont pas manifestement sans lien avec le service concédé (la concession de plage) ;
  • Enfin, en l’absence d’éléments établissant la partialité de l’élu ayant présidé la commission de délégation de service public, la circonstance selon laquelle ledit élu a également conduit la négociation de la concession au vu de l’avis rendu par cette commission n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure, eu égard à la liberté qui entoure la phase de négociation.

 

Au total, pour les raisons ci-dessus décrites, le Conseil d’Etat annule les ordonnances prises par le Tribunal administratif de Nice en première instance.

[1] CE, 9 juin 2020, Métropole Nice-Côte d’Azur, n° 43692

[2] Les concessions de plage sont accordées par l’Etat aux métropoles, aux communes ou aux groupements de communes qui, à leur tour, concluent éventuellement, après publicité et mise en concurrence, des contrats appelés « sous-traités d’exploitation » avec des opérateurs économiques afin d’en confier l’exploitation. Voir en ce sens l’article L. 2124-4 du Code Général de la Propriété des Personnes Publiques.

[3] Ce rappel est notamment issu de l’arrêt CE, 6 juin 1999, S.A. DEMATHIEU ET BARD,  n° 198993

[4] CE, 19 mai 2000, Commune de Cendre, n° 208543

[5] Décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concessions

[6] Conseil d’État, 21 septembre 2016, Communauté urbaine du Grand Dijon et société Kéolis, n° 399656

Protection fonctionnelle : le principe d’impartialité empêche l’autorité hiérarchique mise en cause de se prononcer sur la demande de protection fonctionnelle de son agent

L’instruction d’une demande de protection fonctionnelle, lorsqu’elle est fondée sur des éléments mettant en cause directement l’autorité hiérarchique en charge de l’instruire, n’est pas sans poser de difficultés.

Le Conseil d’Etat a, dans un arrêt du 29 juin dernier, tranché la question à l’aune du respect du principe d’impartialité.

Un praticien hospitalier avait présenté une demande de protection fonctionnelle à raison d’une agression verbale et physique de la part du directeur du centre hospitalier. Cette demande avait été rejetée par le directeur du centre hospitalier lui-même, et l’agent avait alors demandé au Tribunal administratif de Sait Martin l’annulation de ce refus, lequel y a fait droit, en considérant que le principe d’impartialité prévu par l’article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droit et obligation des fonctionnaires aurait dû empêcher le directeur du centre hospitalier de statuer sur une telle demande.

Mais la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait ensuite annulé ce jugement, en jugeant que le principe d’impartialité ne s’appliquait pas à l’exercice du pouvoir hiérarchique. Le praticien a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’Etat a d’abord rappelé que le principe d’impartialité s’applique à toute autorité administrative dans toute l’étendue de son action, y compris dans l’exercice du pouvoir hiérarchique, de sorte que la Cour a jugé à tort qu’il ne pouvait être invoqué dans ce cadre.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat rappelle que la protection fonctionnelle n’est en principe pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l’un de ses supérieurs hiérarchiques, sauf dans le cas où les actes reprochés sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Or, c’est précisément au supérieur hiérarchique de l’agent le mettant en cause de statuer sur la demande de protection fonctionnelle. Le Conseil d’Etat a jugé cette situation contraire au principe d’impartialité dès lors que la demande était fondée sur des faits – une très vive altercation – insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique.

Il appartenait selon l’arrêt à l’Agence régionale de santé, en charge d’instruire les demandes de protection fonctionnelle émanant des personnels de direction des établissements publics de santé, d’instruire cette fois la demande présentée par le praticien hospitalier.

A suivre la logique de l’arrêt, il se pose donc par exemple dans les collectivités la question de l’échelon supérieur si la demande implique l’autorité territoriale, lequel pourrait être l’organe délibérant, lui-même compétent pour accorder la protection à l’élu.

La fin de l’occupation de l’emploi fonctionnel et la réintégration sur un emploi vacant

Si les agents fonctionnaires occupant un emploi fonctionnel dans les communes sont, par l’effet des dispositions de l’article 53 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, actuellement protégés contre l’intervention d’une décision de décharge de fonctions – parce que le texte interdit toute décision en ce sens dans les six mois de la désignation de l’autorité territoriale – le présent arrêt intervient à point nommé pour préparer au mieux les décisions qui pourraient intervenir en fin d’année.

En effet, il précise l’une des autres garanties qu’offre l’article 53 en cas de décision de fin ou de non renouvellement du détachement sur un tel emploi : la réintégration dans un emploi vacant du grade.

Pour mémoire, le texte prévoit en effet que lorsqu’il est mis fin au détachement d’un fonctionnaire occupant un emploi fonctionnel et que la collectivité ou l’établissement ne peut lui offrir un emploi correspondant à son grade, celui-ci peut demander à la collectivité ou l’établissement dans lequel il occupait l’emploi fonctionnel soit à être reclassé dans les conditions prévues aux articles 97 et 97 bis, soit à bénéficier, de droit, du congé spécial mentionné à l’article 99, soit à percevoir une indemnité de licenciement dans les conditions prévues à l’article 98.

Mais l’article ne dit pas à quelle date apprécier l’existence ou non d’un emploi vacant du grade : à la date de la décision ou, comme on pourrait le penser a priori, à la date de sa prise d’effet, soit le premier jour du troisième mois suivant la décision.

Grâce à l’arrêt rendu ce 8 juillet le doute n’est cependant plus permis. Il en ressort en effet que :

  • dans le cas où le fonctionnaire territorial est détaché sur un emploi fonctionnel relevant de sa collectivité ou de son établissement d’origine, il appartient à celle-là ou à celui-ci, pour mettre en œuvre l’obligation de réintégration qui lui incombe en principe, de prendre en compte, sous réserve des nécessités du service, les emplois vacants à la date à laquelle cette collectivité ou cet établissement informe son organe délibérant de la décision, ainsi que ceux qui deviennent éventuellement vacants ultérieurement (c’est-à-dire pendant le préavis) ;

  • dans le cas où le fonctionnaire territorial est détaché sur un emploi fonctionnel ne relevant pas de sa collectivité ou de son établissement d’origine, il appartient à celle-là ou à celui-ci, pour mettre en œuvre l’obligation de réintégration qui lui incombe en principe, de prendre en compte, sous réserve des nécessités du service, les postes vacants à la date où cette collectivité ou cet établissement est informé de la fin du détachement, ainsi que ceux qui deviennent vacants ultérieurement (soit ici aussi pendant le préavis).

La guerre des pâtisseries a eu lieu, mais ce n’est pas un accident imputable au service

Le principe de l’imputabilité de tout accident intervenu sur le lieu et sur le temps du service, avant d’être consacré par la loi (article 21 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983), avait été reconnu par le Conseil d’Etat dans sa décision du 16 juillet 2014.

Pour mémoire, l’imputabilité au service devait, jusqu’alors, être démontrée par le fonctionnaire, et l’apport majeur de cette décision a été de poser le principe de la présomption d’imputabilité, ainsi que cela existe depuis plusieurs années pour les salariés de droit privé.

Une limite a cependant aussitôt été posée à cette extension de la protection des fonctionnaires, à savoir l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service.

Reste à déterminer ce qui doit être entendu par « faute personnelle » ou « circonstance particulière » détachant l’évènement du service et excluant donc que la qualification d’accident de service, et son cortège de droits attachés (maintien du salaire, prise en charge des frais médicaux, indemnisation des préjudices non couverts), puisse être reconnu au fonctionnaire.

La décision rendue par la Cour administrative d’appel de Versailles le 15 juin dernier est à cet égard particulièrement intéressant.

D’une part, il confirme qu’un temps de pause obligatoire est un « prolongement normal » du temps du service, contrairement au temps de pause non règlementaire sur lequel l’agent a quitté son service (CAA Versailles, 19 mai 2016, req. 14VE01549).

D’autre part,, le fait que l’agent ait refusé d’obéir à un ordre et qu’il ait perdu la maîtrise de lui-même sont analysés visiblement comme une faute personnelle.

A cet égard, il est vrai que les faits sont peu courants, tout du moins entre adultes : un agent A. ayant consommé « sans autorisation » une pâtisserie du service – les faits ont lieu au sein d’un syndicat intercommunal de production de repas collectifs – son collègue, visiblement affamé, a voulu « récupérer » ladite pâtisserie « que son collègue avait en tout état de cause déjà mangé », ce qui lui a valu d’être frappé au visage…

Bref, une altercation a eu lieu sur le lieu de travail, et la question qui se posait était celle de savoir si le comportement de l’agent durant cette altercation pouvait influer sur la caractérisation de l’accident de service.

On observera que par une décision du Tribunal administratif de Rennes du 31 mars 2016 (1400480), une altercation entre agents n’avait pas permis de renverser la présomption d’imputabilité, bien que son origine n’ait pas été d’ordre professionnel.

Mais la décision de la Cour administrative de Versailles laisse à penser que dès lors qu’un supérieur hiérarchique tente une médiation (en l’espèce : proposer une autre barquette de pâtisserie), le fait que l’agent persiste dans son comportement matérialise la faute personnelle qui exclut ainsi l’application de la présomption.

Dorénavant, il est établi que l’agent à l’initiative d’une altercation ne pourra plus solliciter la prise en charge de ses arrêts de travail car, par principe, il s’agit là d’une faute personnelle – sans que la qualité de la pâtisserie ne puisse être exonératoire de la faute…

Appréciation souple de l’acte interruptif de prescription de l’action publique

Cass. Crim., 21 janvier 2020, n° 19-81.066

La prescription qui ne permet plus, lorsqu’elle est acquise, de mettre en mouvement l’action publique, est un argument souvent débattu entre la partie poursuivante et la défense, au regard des enjeux sur les poursuites engagées.

Si les délais et points de départ des délais sont rarement discutés, il en va autrement s’agissant des actes intervenus, susceptibles d’avoir interrompu la prescription.

La notion d’acte interruptif de prescription est définie par l’article 9-2 du Code de procédure pénale qui en dresse une liste comprenant les actes du Parquet ou de la partie civile tendant à la mise en mouvement de l’action publique, les actes d’enquête ou d’instruction tendant à la recherche et à la poursuite d’un auteur d’infraction, les jugements ou arrêts même non définitifs, dès lors qu’ils ne sont pas entachés de nullité.

Dans deux arrêts récents en date du 21 janvier 2020, la Cour de cassation a rappelé que cette énumération n’était pas exhaustive.

Dans un premier arrêt (Crim. 21 janvier 2020, n°19-84.450), la Chambre criminelle a ainsi considéré, en matière d’infraction au Code de la route, que la délivrance d’un titre exécutoire de l’amende forfaitaire majorée constitue un acte interruptif de prescription.

Dans un second arrêt, (Crim. 21 janvier 2020, n°19-81.066), la Cour de cassation, rappelant que tout jugement non définitif est interruptif de prescription, a élargi cette notion à l’ordonnance pénale, même frappée d’opposition.

Ces deux arrêts s’inscrivent dans la continuité de la jurisprudence de la Chambre criminelle qui fait une appréciation souple de la notion d’acte interruptif de prescription de l’action publique, en considérant que les énumérations de l’article 9-2 du Code de procédure pénale ne sont pas limitatives.

La question du transfert des créances issues de contrats arrivés à expiration avec le transfert de la compétence afférente

En cas de transfert de compétence d’une commune à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), se pose régulièrement la question du transfert des créances qui résultent des contrats conclus par la commune et venus à expiration avant le transfert de la compétence. Dans une décision de 2014, le Conseil d’Etat avait indiqué, précisant la portée de l’article L. 5211-17 du Code général des collectivités territoriales relatif aux conséquences patrimoniales des transferts de compétences, que ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet d’inclure lesdites créances et que les créances détenues ou susceptibles d’être détenues par les communes sur le fondement de tels contrats, alors même qu’ils auraient été conclus dans le cadre de l’exercice de ces compétences ultérieurement transférées, sont distinctes des droits et obligations attachés à ces biens, équipements et services et transférés à l’EPCI. Le Conseil d’Etat justifiait sa position en considérant qu’aucune disposition ne prévoit le transfert de telles créances à l’EPCI nouvellement compétent (CE, 3 décembre 2014, Société Citelum, n° 383865).

La Cour administrative de Marseille a rappelé cette règle, dans ces mêmes termes, dans un arrêt récent du 15 juin 2020 (CAA Marseille ,15 juin 2020, Commune d’Avignon, n° 18MA04747).

En l’espèce, les relations contractuelles entre la Commune d’Avignon et l’association régionale d’études et d’actions auprès des tsiganes (AREAT) ont pris fin le 31 décembre 2015. L’AREAT a engagé un recours indemnitaire le 1er mars 2016, quelques mois avant le transfert de la compétence accueil des gens du voyage à la Communauté d’agglomération du grand Avignon, elle-même substituée par le Syndicat intercommunal de l’accueil des gens du voyage, compétent en matière d’accueil des gens du voyage, au 1er janvier 2017.

Dans ces conditions, le Syndicat, bien qu’entièrement substitué à la commune d’Avignon, ne s’est pas vu transférer les dettes et les créances nées du contrat conclu entre la commune et l’AREAT. Ainsi, concluant à l’indemnisation de l’association, c’est bien la Commune d’Avignon qui supportera la charge financière de celle-ci (et des frais irrépétibles au titre de l’article L.761-1 du Code de justice administrative).

Transfert d’entreprise : qui est tenu au paiement des dettes en cas de requalification en contrat de travail ?

En cas de transfert de l’entreprise, s’agissant de la répartition des dettes, il convient de faire une distinction entre celles nées avant ou après le transfert :

  • les dettes nées avant le transfert incombent en principe au cédant mais le nouvel employeur est tenu, à l’égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, des obligations qui incombaient à l’ancien employeur à la date du transfert, à charge pour l’ancien employeur de rembourser les sommes ainsi acquittées par le nouveau (C. trav., art. L 1224-2).
  • les dettes nées après le transfert d’entreprise sont à la charge du nouvel employeur même si elles correspondent pour tout ou partie à un travail accompli sous l’ancienne direction. Le nouvel employeur peut se faire rembourser par son prédécesseur la fraction d’indemnité correspondant à cette période (Cass. Soc., 16 octobre 1985 n°  82-42.578 S ; 28 mars 1989 n° 86-42.046 P RJS 5/89 n° 412).

 

Cette distinction étant établie, le nouvel employeur est tenu de payer toutes les créances salariales et ce même lorsqu’elles se rapportent à une période où il n’était pas encore l’employeur.

Qu’en est-il des dettes nées d’une requalification en contrat de travail ? Telle était la question qu’a dû en l’espèce trancher la Cour de cassation.

En l’espèce, un chirurgien avait réalisé pendant plusieurs années des expertises au profit d’une société spécialisée dans l’assistance aux victimes d’accident de la route. Le 1er janvier 2008, le fonds de commerce de cette société avait été cédé au profit d’un nouvel acquéreur. Conformément à l’article L. 1224-1 du Code du travail, l’ensemble des contrats de travail avait automatiquement été transféré.

Le chirurgien, se prévalant d’un contrat de travail a saisi la juridiction prud’homale le 3 mai 2011 de demandes dirigées contre le cédant et contre le cessionnaire.

Retenant l’existence d’un lien de subordination à l’égard de ces sociétés, la Cour d’appel, par arrêt du 6 septembre 2013, statuant sur contredit, a déclaré le Conseil de prud’hommes compétent pour connaître du litige. En parallèle, les deux sociétés étaient condamnées in solidum au paiement des sommes dues à titre de rappel de salaires et d’indemnité de congés payés afférents.

Considérant avoir été libérée de ses dettes du fait du transfert, la société cédante refuse d’être tenue pour partie au versement de ces sommes et forme dès lors un pourvoi en cassation.

Le 27 mai 2020, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel en ce qu’il a condamné in solidum les deux sociétés au paiement des sommes induites par la requalification en contrat de travail : « sauf collusion frauduleuse entre les employeurs successifs, seul le nouvel employeur est tenu envers le salarié aux obligations et au paiement des créances résultant de la poursuite du contrat de travail après le transfert » (Cass. Soc., 27 mai 2020, n° 19-12.471).

Selon la Cour de cassation, le nouvel employeur était le débiteur exclusif des salaires et indemnités de congés payés échus postérieurement à la date du transfert du contrat de travail, le cédant ne pouvant être condamné à garantir partiellement le nouvel employeur pour le paiement de ces sommes. Dans un arrêt relatif à la requalification du contrat de travail, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence selon laquelle il appartient au repreneur de prendre en charge le salaire, les primes ou encore l’indemnité de congés payés (Cass. Soc., 6 février 1996, n° 92-45.013) ou encore les dommages et intérêts à raison des manquements du cédant aux obligations du contrat de travail (Cass. Soc., 14 mai 2008, n° 07-42.341).

Ouverture du recours tendant à la réparation du préjudice résultant d’une faute commise dans l’établissement de l’impôt pris en compte pour la mise en œuvre des mécanismes de compensation de la suppression de la taxe professionnelle (FNGIR/DCRTP)

Dans une décision du 1er juillet 2020 qui sera mentionnée aux Tables du Recueil Lebon, le Conseil d’Etat se prononce sur les conséquences, dans le contexte de la réforme de la taxe professionnelle et de la mise en place des dispositifs de compensation (FNGIR/DCRTP), d’une erreur commise, par l’administration fiscale, dans l’exécution des opérations d’impôt et de la rectification tardive. La Haute juridiction précise ainsi que le recours indemnitaire est ouvert dès lors qu’il est fondé sur les fautes commises lors de l’établissement de la taxe professionnelle et de sa rectification par l’administration fiscale, sans que l’irrecevabilité tirée de l’application de la jurisprudence Sieur Lafon[1] ne soit opposable.

Dans cette affaire, la Cour administrative d’appel avait rejeté la requête indemnitaire de la commune (venant aux droits de la communauté de communes) qui, estimant que l’administration fiscale avait exonéré à tort une société privée de taxe professionnelle et tardé à rectifier l’imposition en cause avait demandé la réparation de son préjudice résultant de l’attribution d’une compensation relais trop faible au titre de l’année 2010 et des pertes de recettes résultant de la minoration des versements au titre de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et de la garantie du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) pour les années 2011 à 2015. La Cour administrative d’appel avait en effet considéré que les conclusions indemnitaires de la commune n’avaient d’autre fondement qu’une illégalité des arrêtés de versement des sommes dues au titre de la compensation relais, de la DCRTP et du FNGIR, déduisant du caractère définitif de ces arrêtés l’impossibilité de former un recours indemnitaire.

Après avoir constaté que le montant de la compensation relais est institué en 2010 en lieu et place du produit de la taxe professionnelle et que les montants de la DCRTP et les prélèvements et reversements au FNGIR sont déterminés en tenant compte, notamment, du montant de la compensation relais, le Conseil d’Etat annule l’arrêt pour méconnaissance de la portée des écritures et erreur de droit en jugeant que le recours indemnitaire de la commune était ouvert dès lors qu’il est fondé, non sur l’illégalité des arrêtés de versement des sommes dues au titre de la compensation relais, de la DCRTP et du FNGIR, mais sur les fautes commises lors de l’établissement de la taxe professionnelle et de sa rectification. Il renvoie donc l’affaire à la Cour administrative d’appel afin que soit apprécié le bien-fondé de la requête.

Il résulte de cet arrêt que, si l’administration fiscale a exonéré à tort une société de taxe professionnelle et tardé à rectifier l’imposition en cause, le préjudice résultant de l’attribution d’une compensation relais trop faible au titre de l’année 2010 et des pertes de recettes résultant de la minoration des versements au titre de la DCRTP et du FNGIR au titre des années suivantes peut être réparé dans le cadre d’une action indemnitaire intentée par le bénéficiaire de la compensation relais et du dispositif FNGIR/DCRTP.

[1]  CE, Section, 2 mai 1959, Sieur Lafon, n° 44419, p. 282 

Le Conseil constitutionnel rend deux décisions portant sur la validité du 1er tour des élections municipales

Conseil constitutionnel, 17 juin 2020, Décision n° 2020-850 QPC

Le Conseil constitutionnel a rendu les décisions 2020-849 QPC et 2020-850 QPC relatives à la constitutionnalité de la loi du 23 mars 2020 (n° 2020-290) réorganisant le scrutin municipal, sur renvoi du Conseil d’Etat (CE, 25 mai 2020 n° 440335 ; CE, 25 mai 2020 n° 440217, décisions commentées dans la LAJ du mois de juin 2020).

Dans une première décision, le Conseil valide le report du 2nd tour des élections municipales, tout en encadrant les modifications du déroulement des opérations électorales.

Cette QPC portait sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des paragraphes I, III et IV de l’article 19 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Ces dispositions tendaient à suspendre les opérations électorales prévues postérieurement à la date initialement prévue pour le 2nd tour, soit le 22 mars 2020, au plus tard jusqu’en juin 2020, dans la mesure où la situation sanitaire permettrait l’organisation des opérations électorales. Si cette condition n’était pas remplie, il était prévu que, dans les cas où le conseil municipal n’a pas été élu au complet à l’issue du 1er tour, les électeurs seraient à nouveau convoqués pour les deux tours de scrutin dans des conditions définies par une nouvelle loi. Le Conseil considère que l’élection des conseillers municipaux élus dès le 1er tour reste acquise.

Les requérants soutenaient que ces dispositions qui avaient été adoptées postérieurement au 1er tour des élections et qui prévoyaient de reporter le second tour, interrompaient le processus électoral en cours et que les résultats du scrutin du 15 mars 2020 auraient dû être annulés. Ils soulevaient également que l’organisation du second tour des élections ne pouvaient intervenir plus de quinze semaines après le 1er tour dans la mesure où les deux tours forment un bloc indissociable et que le délai fixé est excessif. De plus, ils soulevaient que le maintien de la tenue du 2nd tour pendant la crise aurait créé les conditions d’une forte abstention des électeurs, ce qui aurait porté atteinte au principe de sincérité du scrutin et d’égalité devant le suffrage. Enfin, ils soutenaient que ces dispositions avaient pour effet de valider les résultats du 1er tour des élections municipales, sans prise en considération des contestations en cours devant le juge de l’élection, ce qui porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs et de la garantie des droits.

Le Conseil rappelle le cadre constitutionnel, notamment que le principe de sincérité du scrutin résulte de l’alinéa 3 de l’article 3 de la Constitution et que cet article combiné à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, consacrent le principe de l’égalité devant le suffrage. Il considère en outre que l’article 34 de la Constitution donne compétence au pouvoir législatif pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales, notamment la durée du mandat des élus qui composent l’organe dans le respect de l’exercice du droit de suffrage dans une périodicité raisonnable (article 3 de la Constitution).

Si le Conseil constitutionnel admet que le dispositif adopté a bien remis en cause « l’unité de déroulement des opérations électorales », il a en revanche permis de « préserver l’expression du suffrage ». Ce qui n’aurait pas été le cas s’il avait été décidé d’annuler le premier tour.

Le report du second tour était justifié par « un motif impérieux d’intérêt général » et il ne résulte pas des modalités retenues pour organiser l’élection « une méconnaissance du droit de suffrage, du principe de sincérité du scrutin ou de l’égalité devant le suffrage ». Ce motif impérieux de maintenir le 2nd tour peut se justifier par la volonté de ne pas favoriser la propagation de l’épidémie, que le délai maximal de report devait prendre en considération de la gravité et l’incertitude de la situation et de l’analyse du comité de scientifiques. Enfin, sur la question du risque d’abstention au 2nd tour, le Conseil considère qu’il appartiendra au juge de l’élection d’apprécier si le niveau d’abstention a pu ou non altérer, dans les circonstances de l’espèce, la sincérité du scrutin. Il sera probablement difficile, en pratique, de le démontrer.

De plus, l’unité du corps électoral entre les deux tours et l’égalité entre les candidats sont préservées car le 2nd tour aura lieu à partir des listes électorales et complémentaires établies pour le 1er tour (ordonnance n° 2020-390 du 22 mars 2020) et qu’il y aura majoration du plafond des dépenses électorales et obtention du remboursement d’une partie des dépenses de propagande engagées pour le 2nd tour prévu initialement le 22 mars. Enfin, le Conseil considère que les électeurs ont pu contester les résultats du 1er tour par obtention des listes d’émargement pour le 2nd tour et à l’expiration du délai de recours contentieux (article L. 68 du Code électoral).

Concernant les élections des conseillers municipaux élus dès le 1er tour, celles-ci restent acquises. Le Conseil considère que les dispositions se bornent à préciser que ni le report du 2nd tour au plus tard en juin 2020 ni l’éventuelle organisation de deux nouveaux tours de scrutin après cette date n’ont de conséquence sur les mandats acquis. Elles n’ont pas pour objet ou effet de valider rétroactivement les opérations électorales du 1er tour ayant donné lieu à l’attribution des sièges. Ces opérations peuvent être contestées devant le juge de l’élection.

La 2nde QPC portait sur l’article L. 262 du Code électoral qui ne prévoit pas de seuil de participation minimal pour l’élection au 1er tour des conseils municipaux dans les communes de plus de 1 000 habitants. Le Conseil rejette le recours déposé dans la mesure où ces dispositions ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par deux décisions du Conseil n° 82-146 DC et n° 2013-667 DC, et que le taux d’abstention et le principe de sincérité du scrutin ne justifient pas d’un changement de circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées. Il revient désormais au Tribunal administratif de Montpellier de se prononcer sur les moyens soulevés.

Par ces deux décisions, le Conseil valide donc intégralement le report du 2nd tour des élections et les résultats admis au 1er tour pour les candidats élus.

Conséquences de la Covid-19 sur les concessions de service public : Quels fondements pour quelle indemnisation ?

Contrairement à ce que diverses communications pourraient laisser croire, l’indemnisation des préjudices subis par le délégataire n’est pas une fatalité pour les personnes publique concessionnaires, même dans l’hypothèse de l’épidémie de la Covid-19.

Mais pour que les personnes publiques puissent apporter une réponse adéquate aux demandes de leurs concessionnaires, il est nécessaire qu’elles soient elles-mêmes parfaitement au fait des différents fondements possibles de demandes et des conditions d’indemnisation pour chacun d’eux, que l’on peut sommairement énumérer ci-après.

 

I – Le premier des fondements : la convention

 

Avant l’analyse de tout fondement textuel ou jurisprudentiel, il appartient aux parties de vérifier si le contrat ne comporte pas de clause portant précisément sur les conditions d’indemnisation du délégataire.

Cela pourrait être des clauses de révision de prix, des clauses de réexamen ou de « revoyure », voire des clauses d’indemnisation.

Mais même si la convention comporte une clause d’indemnisation qui pourrait trouver à s’appliquer dans la survenance d’une crise telle que la Covd-19, la personne publique ne pourra indemniser le délégataire que si la somme demandée ne constitue pas une libéralité, c’est-à-dire si elle n’est pas complètement disproportionnée par rapport au préjudice subi[1].

 

II – L’Ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020

 

Dans un deuxième temps, le délégataire pourra éventuellement fonder sa demande sur les dispositions de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19.

A toutes fins utiles, on rappellera que cette ordonnance trouve à s’appliquer à tous les contrats publics, et pas seulement aux contrats de la commande publique. Par ailleurs, elle ne trouve à s’appliquer que jusqu’au 23 juillet 2020. Précisons enfin que cette ordonnance déroge aux stipulations contractuelles qui lui sont moins favorables.

En pratique, deux dispositions pourraient plus particulièrement trouver à s’appliquer.

Tout d’abord, le délégataire pourrait se fonder sur le 5° de l’article 6 de cette ordonnance pour solliciter une avance sur les sommes qui lui sont dues, à la condition toutefois que le concédant ait pris l’initiative de suspendre l’exécution de la concession.

Par ailleurs, il pourrait solliciter une indemnisation sur le fondement du point 6° du même article 6.

Mais , il devra alors démontrer que, par une de ses décisions, l’autorité délégante a modifié significativement les modalités d’exécution prévues au contrat. Il devra également démontrer que de ce fait, l’exécution de la convention impose la mise en œuvre de moyens supplémentaires qui n’étaient pas prévus au contrat initial et représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire.

Et dans ce cas (seulement), le concessionnaire aura droit à l’indemnisation de ses surcoûts.  En l’absence de précision sur ce point, la question se pose de l’interprétation qu’il convient d’avoir de la notion de surcoût.

 

III – Les grands principes du droit administratif : la force majeure et l’imprévision

 

Si le délégataire ne peut assoir sa demande sur aucun des fondements susvisés, il lui appartiendra de s’appuyer sur les grands principes du droit administratif et, en particulier, sur la force majeure et sur l’imprévision.

La force majeure suppose de démontrer que l’évènement en cause est extérieur, imprévisible et irrésistible. Autrement dit, il y a cas de force majeure en cas « d’impossibilité absolue de poursuivre, momentanément ou définitivement, l’exécution de tout ou partie du contrat »[2].

Si la condition d’extériorité (aux parties au contrat) est assez facile à identifier, la condition d’imprévisibilité est une question de casuistique. Ainsi, par exemple, des intempéries dont l’intensité et les conséquences ne sont pas exceptionnelles au regard des précédentes intempéries ne constituent pas un évènement imprévisible[3]. Au contraire, des intempéries d’une violence et d’une durée exceptionnelle dont les services de météorologie installés localement depuis 1945 leur ont attribué une périodicité de plus de cent ans présentent un caractère imprévisible[4].

Enfin, un évènement est irrésistible lorsque les parties au contrat ne peuvent pas empêcher l’évènement tant dans sa survenance (l’évènement est inévitable) que dans ses effets. Selon le type de service public objet de la convention, selon les mesures qui doivent être mises en œuvre et, enfin, selon la situation d’exécution du service public (fermeture ou exécution rendue plus difficile par exemple), la condition d’irrésistibilité sera considérée comme constituée ou non.

Le premier effet de la force majeure est d’exonérer les deux parties de leurs obligations contractuelles. Par conséquent, les parties sont exonérées de leur responsabilité contractuelle. En particulier, des pénalités ne pourraient pas être appliquées au cocontractant s’il démontre que son retard trouve sa cause dans un évènement de force majeure. Par ailleurs, le concessionnaire pourra être indemnisé si une disposition contractuelle le prévoit[5].

La notion d’imprévision est une notion jurisprudentielle ancienne. Et si les arrêts de principe sont anciens, cette jurisprudence est toujours d’actualité.

Et elle est aujourd’hui codifiée au point 4 de l’article L. 6 du Code de la commande publique. Ainsi, cet article dispose que :

« Lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat, le cocontractant, qui en poursuit l’exécution, a droit à une indemnité ».

Ainsi, constitue une imprévision un évènement extérieur, imprévisible et bouleversant temporairement l’économie du contrat.

Et le but poursuivi par le Conseil d’Etat lorsqu’il a mis en œuvre ce mécanisme d’indemnisation est le suivant : un évènement extérieur empêche le contrat d’être exécuté dans les conditions initialement envisagées et cela génère un déficit d’exploitation important. Or, il est nécessaire que le contrat continue à s’exécuter pour assurer la continuité du service public. Dans ce cas, il faut que le délégataire puisse être partiellement indemnisé afin de pouvoir assurer la continuité du service public.

A titre d’exemple, a pu être indemnisée au titre de l’imprévision une société concessionnaire du service public de distribution du gaz dont le coût a considérablement augmenté du fait de la première guerre mondiale[6].

De même, le juge a fait droit à la demande fondée sur l’imprévision présentée par une société en charge de la fourniture de l’eau en raison de la pollution du site de captage d’eau qu’elle utilisait pour se fournir en eau[7].

Selon la doctrine, la notion de bouleversement implique le dépassement du prix-limite que les parties pouvaient envisager ainsi qu’un déficit important.

Et dans ce cas, le délégataire aura le droit à être indemnisé d’une partie du déficit qu’il aura supporté, à la condition de démontrer que ce déficit trouve sa cause dans l’évènement qu’il invoque. Bien plus, il conservera à sa charge une partie de ce déficit, la part restant à sa charge variant en fonction de plusieurs critères et notamment de sa diligence dans la gestion de la crise ou de sa situation financière.

Au total, donc, les conditions dans lesquelles un concessionnaire pourrait demander à être indemnisé du préjudice qu’il prétend avoir subi du fait de la survenance de la Covid-19 sont loin d’être aussi ouvertes qu’on pourrait le penser. Et encore faudra-t-il que le délégataire sache démontrer la réalité de son préjudice ainsi que son lien de causalité avec l’épidémie, outre les justificatifs qu’il devra fournir au soutien de sa demande indemnitaire.

 

Par Marion Terraux

[1] CE Sect. 19 mars 1971, Sieur Mergui, n°79962, Avis du Conseil d’Etat relatif à la décision du Gouvernement de renoncer au projet d’aéroport Notre Dame des Landes, 26 avril 2018

[2] Direction des affaires juridiques du MINEFI, La passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire, 18 mars 2020)

[3] CE, 13 mars 1991, Entreprise Labaudinière, n° 80846

[4] CE, 27 janvier 1989, Compagnie d’assurances le groupe Drouot, n° 80064

[5] CE, 11 déc. 1991, SONEXA, n° 81588

[6] CE, 10 mai 1916, Compagnie du Gaz de Bordeaux

[7] CE,14’ juin 2000, commune de Staffelfelden, n°184722

Covid 19, Obligation d’information du banquier en matière de prêt immobilier : la preuve de la perte de chance

Principe 
D’une part, la perte de chance est une notion consacrée par la jurisprudence sur le fondement de la responsabilité civile (article 1240 du Code civil). Pour être indemnisée, la perte de chance doit être réelle et sérieuse. De plus, la probabilité de l’événement allégué doit être réaliste et la chance doit avoir été réellement perdue.

D’autre part, une obligation d’information et de conseil repose sur les établissements bancaires à l’égard de leurs clients. Les établissements bancaires ont donc l’obligation d’informer leurs clients pour que celui-ci prenne ses décisions en connaissance de cause. Le non-respect par les banques de leur obligation d’information est sanctionné sur le fondement de la responsabilité contractuelle. 

Ainsi, il est possible de saisir le Tribunal judiciaire aux fins de désignation d’un administrateur provisoire dès qu’une copropriété se retrouve dépourvue de syndic.  

Apport
En l’espèce, pour garantir un prêt immobilier accordé par sa banque, un emprunteur a souscrit un contrat d’assurance. Quelques temps plus tard, l’emprunteur fut victime d’un accident du travail. : après avoir pris en charge les premières échéances du prêt, l’assureur a informé son assuré de son refus de maintenir la garantie au motif que son taux d’incapacité fonctionnelle ne dépassait pas le minimum prévu par le contrat. L’emprunteur a alors assigné la banque en réparation de son préjudice pour inexécution contractuelle de ces devoirs d’information, de conseil et de mise en garde.

Dans un premier temps, la Cour d’appel avait rejeté la demande de l’assuré puisqu’il ne démontrait pas qu’il aurait souscrit une autre assurance couvrant tous ses dommages s’il avait été parfaitement informé des garanties offertes par l’assurance.

Or, selon la Cour de cassation, toute perte de chance ouvre droit à réparation sans qu’il soit nécessaire de prouver que, parfaitement informé par la banque sur l’adéquation ou non de l’assurance choisie, l’assuré aurait certainement souscrit un contrat mieux adapté.

Clarification 
En se fondant sur l’ancien article 1147 du Code civil, la Haute Cour relève la présence d’une faute de la banque susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle. Par référence à ce texte, la Cour de cassation reconnaît que le banquier n’a pas correctement exécuté certaines de ses obligations et qu’en ce sens, il a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle.

En allégeant la preuve de la perte de chance, cette décision s’inscrit dans la logique de favoriser largement l’indemnisation de ce préjudice, au détriment des établissements bancaires qui doivent redoubler de vigilance.

Par Elie Lelouche

Covid 19, Contrat de prêt immobilier : Sort des prêts à taux négatif

Principe
Depuis plusieurs années, la FED et la BCE ont volontairement fait baisser les taux d’intérêt pour relancer l’inflation. Plusieurs Etats et entreprises bénéficient de prêts à taux négatifs : l’emprunteur rembourse donc moins que ce qu’il a emprunté !

Le privilège des prêts à taux négatif ne s’adresse pas aux particuliers, la loi interdisant par ailleurs à une banque de prêter à perte. Néanmoins, certains particuliers ont néanmoins pu profiter de cette aubaine, car ils avaient souscrit à un crédit à taux variable comme c’est le cas dans cet arrêt.

Apport 
En l’espèce, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs deux prêts immobiliers, à des taux stipulés variables en fonction de l’évolution du Libor à 3 mois (taux de référence du marché monétaire de différentes devises). Contestant les taux d’intérêt appliqués par la banque, les emprunteurs l’ont alors assignée aux fins de voir appliquer le taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, y compris en cas d’index négatif.

La Cour d’appel de Besançon a considéré que la banque devait appliquer aux prêts litigieux un taux d’intérêt indexé au taux Libor 3 mois à sa valeur réelle, pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs.

Cependant, le raisonnement des juges du fond fut censuré par la Cour de cassation, au visa des articles 1902, 1905 et 1907 du Code civil : la Haute Cour considéra que, dans un contrat de prêt immobilier, l’emprunteur devait restituer les fonds prêtés dans leur intégralité, y compris les intérêts conventionnellement prévus à titre de rémunération de ces fonds.

Clarification 
De prime abord, la solution  parait justifiée : en effet, dans le cadre d’un prêt à taux négatif, l’emprunteur rembourse une somme inférieure à celle qu’il a reçue, ce qui est contraire à l’article 1907 du Code civil. De plus, le prêt à intérêts est, par définition, un contrat à titre onéreux pour l’emprunteur : ainsi, l’essence de ce contrat se trouverait donc contrariée par l’éventualité d’un taux d’intérêt négatif.

Ainsi, la Cour de cassation ne confirme pas la position de la Cour d’appel qui estimait que l’appréciation du caractère onéreux du contrat ne peut se faire que sur la durée totale du prêt : par conséquent, le fait que durant un certain temps le taux d’intérêt soit négatif, ne peut pas avoir pas pour effet d’annuler le caractère onéreux du prêt .

Enfin, notons que la solution retenue par la Cour de cassation semble écarter l’application des principes de liberté contractuelle et de force obligatoire des contrats, qui doivent autoriser les parties à prévoir des clauses d’indexation, celles-ci devant jouer tant à la hausse qu’à la baisse comme l’a par exemple décidé la Haute Cour en matière de baux (Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-24.681).

Par Elie Lelouche

L’indemnisation pour perte d’exploitation auprès des assureurs

LA PROBLEMATIQUE ET LES FAITS 

Le préjudice pour un commerçant constitué par les pertes d’exploitation résultant de la fermeture administrative de son local en raison de l’épidémie de COVID-19 entre-t-il dans le champs d’application d’un contrat d’assurance ?

 

En l’espèce, suite à l’arrêté du 14 mars 2020 ordonnant la fermeture des restaurants, le gérant d’un bistrot a subi une importante perte de chiffre d’affaires estimée à 201.413 euros.

Le restaurateur a ainsi été autorisé par ordonnance du Tribunal de commerce de Paris à assigner son assureur en référé d’heure à heure et ce afin d’être indemnisé de son préjudice.

Le caractère urgent de cette situation a ainsi été reconnu par le Tribunal de Commerce.

De son côté, l’assureur soutenait que le risque relatif aux pertes d’exploitation consécutives à une pandémie était inassurable par une assurance privée.

 

L’AJOUT OPERE

Le Tribunal de commerce de Paris a décidé qu’il n’y avait aucune disposition légale d’ordre public mentionnant le caractère inassurable d’une conséquence d’une pandémie.

Il est précisé que l’assureur avait la liberté d’exclure contractuellement ce type de risque mais que cela n’était pas le cas en l’espèce.

L’assureur a également avancé l’argument selon lequel la fermeture administrative visée dans le contrat devrait être celle prise par le Préfet du lieu où se situe l’établissement et non par celle prise le Ministre de la Santé.

Or, là encore, les conditions générales de l’assureur n’opéraient aucune distinction entre la décision administrative prise par le Préfet ou par le Ministre.

Enfin, l’assureur avait argué que l’arrêté du 14 mars 2020 n’imposait pas la fermeture de l’établissement mais seulement de ne plus accueillir du public et que celui-ci est autorisé à maintenir son activité à emporter et de livraison.

Il est précisé dans l’ordonnance commentée que le fait pour un restaurateur de ne pas recourir à la vente à emporter ou par livraison ne supprime pas l’interdiction de ne plus recevoir du public, activité principale d’un restaurant. Par voie de conséquence, le Tribunal de commerce a considéré qu’il s’agissait bien d’une fermeture administrative.

 

QU’EST-CE QUE CELA CHANGE ?

Cette ordonnance fait partie des premières décisions rendues depuis la crise sanitaire liée au COVID-19 et s’inscrit dans le mouvement déjà enclenché par certaines compagnies d’assurances mutualistes quant à la prise en charge de la perte d’exploitation liée à la fermeture des établissements.

Nonobstant le fait que la Compagnie d’Assurance (AXA) ait fait appel de cette décision, celle-ci apporte un premier éclairage quant au traitement juridique de l’épidémie.

Tout d’abord, il est reconnu le caractère urgent de la situation des restaurateurs ayant subi d’importantes pertes financières en raison de la fermeture administrative de leur établissement.

Ensuite, l’intérêt de cette décision est de préciser que l’assureur a la possibilité, en amont, d’exclure ce type de risque mais qu’à défaut de clause claire et précise en ce sens, il est privilégié l’indemnisation du risque.

Par Alexane Raynaldy

 

La rédaction immédiate du procès verbal suite à l’élection du CSE constitue un principe général du droit électoral

Principe 
En matière d’élection professionnelle, les irrégularités commises dans l’organisation et le déroulement des élections professionnelles ne constituent une cause d’annulation des élections que si elles ont été de nature à en fausser les résultats ou si elles ont été déterminantes de la qualité représentative des syndicats ou du droit pour un candidat d’être désigné délégué syndical. Néanmoins, certaines règles relèvent des principes généraux du droit électoral : une quelconque irrégularité entraine directement l’annulation des élections (Cass. Soc., 13-1-2010 n° 09-60.203 FS-PBR ; Cass. Soc., 2-3-2011 n° 10-60.101 FS-PB).

La décision 
En l’espèce, une demande d’annulation des élections du CSE avait été soumise au juge d’instance au motif que contrairement à l’article R 67 du Code électoral, le PV des élections n’avaient pas été rédigés immédiatement après la fin du dépouillement. Le juge d’instance avait rejeté cette demande dans la mesure où il n’était nullement démontré que cette irrégularité avait faussé le scrutin. La décision est cassée par la Cour de cassation qui précise que les élections du CSE peuvent être annulées si le procès-verbal n’est pas rédigé immédiatement après le dépouillement (Cass. Soc., 27 mai 2020, n° 19-13.504).

Apport  
Ainsi, la Cour de cassation précise que la rédaction immédiate du PV des élections constitue un principe général du droit électoral. Dès lors, si le PV n’est pas rédigé immédiatement après la fin du dépouillement des votes, les élections doivent être automatiquement annulées, sans qu’il y ait besoin de vérifier si cela a eu un impact ou non sur le résultat.  

Par Clara Bellest