Environnement, eau et déchet
le 10/09/2020
Cécile JAUNEAU
Solenne DAUCÉ

Actualités réglementaire et jurisprudentielle en matière de grand cycle de l’eau

 

Modification de la composition des comités de bassins

 

La loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages prévoit à son article 34 un ajustement de la composition des comités de bassin du territoire métropolitain hors Corse.

Afin de mettre en œuvre les évolutions introduites par la loi à cet égard, le décret n° 2020-1062 du 17 août 2020 relatif aux comités de bassin fait évoluer les articles D. 213-17 et suivants du Code de l’environnement, qui précisément concernent notamment la composition de ces comités et dont les dispositions entreront en vigueur le 1er janvier 2021 (à l’exception des dispositions relatives au nouvel article D. 213-20-1 de ce Code, entrées en vigueur le 19 août 2020).

Les nouveaux articles institués par le décret prévoient notamment que la composition de chaque comité de bassin sera arrêtée par le Préfet coordonnateur de bassin (D. 213-17-1), actant ainsi la déconcentration de la nomination des membres, auparavant fixée par arrêté conjoint du Ministre de l’intérieur et du Ministre chargé de l’environnement. Ces nominations se feront en vertu des listes de représentants de chaque collège prévu à l’article L. 213-8 du même Code, listes désormais arrêtées aux article D. 213-19-1 pour le premier collège (L. 213-8 1°), D. 213-19-2 pour le deuxième (L. 213-8 2°), D. 213-19-3 pour le troisième (L. 213-8 2°bis) et D. 213-19-4 pour le quatrième (L. 213-8 3°).

Le nouvel article D. 213-20-1, qui, par exception, est entrée en vigueur le 19 août 2020, apporte en outre des précisions s’agissant du fonctionnement général des comités de bassin, notamment au regard des règles de convocation et de vote du comité du bassin.

Par ailleurs, dans cette logique, a également été publié le même jour l’arrêté du 17 août 2020 abrogeant l’arrêté du 10 mai 2017 relatif à la représentation des collectivités territoriales et des usagers aux comités de bassin.

 

 

Actualités jurisprudentielles

 

I – Le Préfet peut imposer des prescriptions de surveillance et d’entretien à la charge conjointe du propriétaire et de l’exploitant d’une digue ou d’un barrage

Dans une décision datée du 10 juillet 2020 (n° 427165), le Conseil d’Etat est venu préciser que le Préfet pouvait imposer des obligations de surveillance et d’entretien à la charge conjointe du propriétaire et de l’exploitant d’un barrage ou d’une digue.

En l’espèce, le Préfet d’Ille-et-Vilaine avait pris un arrêté imposant au Département et au propriétaire du lac sur lequel se trouvait un barrage des prescriptions à l’entretien de celui-ci, que le Département a contesté devant les juridictions administratives.

Venant au soutien de cet arrêté, le Conseil d’Etat relève que l’article R. 214-123 du Code de l’environnement dispose que « Le propriétaire ou l’exploitant de tout barrage ou le gestionnaire des digues organisées en système d’endiguement surveille et entretient ce ou ces ouvrages et ses dépendances » et qu’il résulte de ces dispositions que « le propriétaire et l’exploitant peuvent être considérés comme débiteurs conjoints d’une obligation de surveillance et d’entretien de tout barrage ou digue, chacun étant responsable des obligations attachées respectivement à la qualité de propriétaire ou à celle d’exploitant du barrage ».

Dès lors, le Conseil d’Etat retient que le Préfet est parfaitement fondé à imposer des obligations conjointes d’entretien et de surveillance d’un barrage ou d’une digue à son propriétaire et à son exploitant, et ce, sans en détailler les missions et limites, dans la mesure où chaque qualité entraine des obligations et des responsabilités différentes, que le Conseil d’Etat estime devoir être connues des protagonistes. Si, ainsi, le Préfet n’a pas l’obligation de préciser comment ces obligations se ventilent entre le propriétaire et l’exploitant de l’ouvrage, la Haute juridiction précise cependant qu’en cas d’inexécution de l’arrêté, le Préfet pourra prendre un nouvel arrêté précisant la répartition de ces tâches.

Cette version de l’article R. 214-123 du Code de l’environnement étant toujours actuellement en vigueur depuis le décret-digue du 15 mai 2015, il convient dès lors de relever que les propriétaires et exploitants des digues et barrages peuvent ainsi se voir imposer conjointement des obligations d’entretien et de surveillance des ouvrages, dans la limite des obligations attachées à leur qualité de propriétaire ou d’exploitant.

II – La responsabilité de l’Etat peut être engagée en cas de faute commise par le Préfet en matière de police des cours d’eau

Par une décision du 22 juillet 2020 (n° 425969), le Conseil d’Etat a précisé que la responsabilité de l’Etat pouvait être engagée en cas de faute commise par le Préfet dans l’exercice de sa mission en matière de police des cours d’eau et ce malgré l’obligation d’entretien régulier des cours d’eau non domaniaux par leurs propriétaires.

Le Conseil d’Etat retient en effet que, s’il résulte des dispositions de l’article L. 215-4 du Code de l’environnement que le propriétaire riverain d’un cours d’eau non domanial doit entretenir ce cours d’eau afin de maintenir ce dernier dans son profil d’équilibre, de permettre l’écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique, le Préfet reste toutefois compétent en matière de police des cours d’eau en application des dispositions des articles L. 215-7 et L. 215-12 du même Code. Dès lors, il appartient au Préfet, en tant qu’autorité compétente en matière de police des cours d’eau, de prendre toutes dispositions nécessaires au libre cours des eaux.

Ainsi le Conseil d’Etat retient que, quand bien même les propriétaires riverains sont chargés de l’entretien régulier des cours d’eau non domaniaux, le Préfet et, partant, l’Etat, peuvent voir leur responsabilité engagée en cas de dommages causés aux propriétés voisines des cours d’eau non domaniaux du fait de l’action naturelle des eaux, sans préjudice de la responsabilité qu’ils peuvent encourir lorsque ces dommages ont été provoqués ou aggravés par l’existence ou le mauvais entretien d’ouvrages publics leur appartenant, en cas de faute commise par le Préfet dans l’exercice de la mission qui lui incombe d’exercer la police des cours d’eau non domaniaux.

III – Annulation du SDAGE du bassin de Seine-Normandie 2016-2021 pour vice de procédure

La Cour administrative d’appel de Paris a, par une décision n° 19PA00805 du 31 juillet 2020, annulé le Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Seine-Normandie pour la période 2016-2021 pour vice de procédure.

En l’espèce, plusieurs organismes, dont des Unions Nationales des Industries de Carrières et Matériaux de Construction (UNICEM), la Fédération nationale des syndicats exploitants agricoles (FNSEA) Centre Val de Loire, plusieurs fédérations départementale et régionales des syndicats des exploitants agricoles et plusieurs chambres départementales d’agriculture, avaient demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler l’arrêté par lequel Préfet de la région Ile-de-France, Préfet de Paris, Préfet coordonnateur du bassin Seine-Normandie a approuvé le SDAGE du bassin Seine-Normandie pour la période 2016-2021. Faisant droit à leur demande par un jugement n° 1608547/4-1 rendu le 19 décembre 2018, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté et, ainsi, le SDAGE. Le Ministre de la Transition écologique et solidaire a alors fait appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Paris, qui s’est prononcée cet été.

La Cour retient à cet égard que l’article L. 122-4 du Code de l’environnement impose que les plans, schémas et programme, en ce compris les SDAGE, fassent l’objet d’une évaluation environnementale et que la personne publique responsable de l’élaboration de ce schéma transmette pour avis à une autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement le projet de schéma accompagné du rapport environnemental. L’article R. 122-17 de ce Code prévoyait que cette autorité, s’agissant des SDAGE, était le Préfet coordonnateur de bassin.

A cet égard, il ressort de la directive européenne du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement (2001/42/CE) et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (C-474/10, 20 octobre 2011) qu’une même autorité peut élaborer le plan ou programme (en l’espèce, le SDAGE) et soit chargée de la consultation en matière environnementale, mais à la condition que soit organisée une véritable séparation fonctionnelle de manière à ce qu’une entité administrative, interne à cette autorité, dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir les missions confiées aux autorités de consultation.

Tirant les conséquences de cette appréciation, le Conseil d’Etat a, par une décision n° 360212 du 26 mai 2015 et du 3 novembre 2016, annulé les dispositions de l’article R. 122-17 susmentionnées, dans la mesure où l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement, est celle compétente pour élaborer et approuver le SDAGE, sans séparation fonctionnelle.

Dès lors, la Cour retient qu’il appartient au juge du fond de rechercher si les conditions dans lesquelles l’avis a été rendu répondent ou non aux objectifs européens, ce qui n’est pas le cas lorsque l’autorité administrative de l’Etat compétente en matière d’environnement et chargée d’évaluer le projet est placée sous l’autorité hiérarchique de l’autorité compétente pour élaborer et approuver le SDAGE, dans la mesure où elle ne peut dès par être regardée comme disposant d’une autonomie lui permettant d’exercer la mission de consultation en matière environnementale.

Or, en l’espèce, l’avis de l’autorité environnementale a été rendu par la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie d’Ile-de-France (DRIEE), qui est une autorité rattachée au Préfet de région Ile-de-France, Préfet de Paris, Préfet coordonnateur de bassin Seine-Normandie, lui-même auteur de l’arrêté instituant le SDAGE (l’arrêté attaqué). Dès lors, la Cour retient que cette autorité ne peut être regardée comme bénéficiant d’une autonomie suffisante.

La Cour retient donc que l’élaboration du SDAGE est entachée d’un vice de procédure.

La Cour relève ainsi que les conditions permettant de garantir l’objectivité de l’avis ne sont pas remplies alors que c’est à la suite de cet avis que le public et divers organismes ont été consultés sur le projet de SDAGE. Dès lors, la Cour retient que cette irrégularité doit être regardée comme n’ayant pas permis une bonne information des personnes consultées et comme ayant été susceptible d’exercer une influence sur la décision prise. Il s’en induit que le vice de procédure entachant l’élaboration du SDAGE doit entraîner l’illégalité de l’arrêté instituant le SDAGE.

La Cour administrative d’appel rejette dès lors les conclusions visant à annuler le jugement de première instance mais sursoit à statuer s’agissant de la demande d’annulation du SDAGE, en application des dispositions de l’article L. 191-1 du Code de l’environnement, afin de permettre la régularisation de ce vice de procédure par la tenue de consultations complémentaires, « dans le cadre desquelles seront soumis au public et à ces organismes, outre l’avis recueilli à titre de régularisation, tout autre élément de nature à régulariser d’éventuels vices révélés par le nouvel avis ».

Par Solenne Daucé et Cécile Jauneau