Une illustration de l’adage una via electa : L’articulation entre l’indemnisation par les juridictions pénales et administratives du préjudice subi par des agents victimes

Par arrêt du 18 décembre 2014, une Cour d’appel reconnaissait un Maire coupable du délit de harcèlement moral à l’encontre de deux agents et le condamnait à une peine d’emprisonnement de dix mois assortis d’un sursis, à une amende de 5.000 € et à une peine complémentaire d’interdiction des droits civiques, civils et de famille pendant deux ans, ainsi qu’à une indemnisation des agents constitués parties civiles.

Un pourvoi en cassation était formé par l’élu portant notamment sur les dispositions civiles de l’arrêt.

Par arrêt du 15 mars 2016, la Chambre criminelle rappelait que, dans une affaire mettant en cause un élu, la juridiction pénale n’est compétente pour se prononcer sur l’action civile que si l’infraction constitue une faute personnelle (Cass. Crim., 15 mars 2016, n° 15-80.567) ; ce qui avait été retenue dans l’arrêt du 29 décembre 2016 par la Cour d’appel de renvoi devant laquelle le Maire avait toutefois fait valoir l’adage una via electa en posant le principe de l’irrévocabilité du choix de la voie civile.

En effet, parallèlement à la procédure pénale, le Tribunal administratif avait condamné la Collectivité à verser, au titre de la protection fonctionnelle, à chacun des deux agents, la somme de 10.000 € en réparation du préjudice subi en conséquence du harcèlement moral.

La Cour d’appel suivie dans son raisonnement par la Chambre criminelle rappelait que la règle una via electa fondée sur l’article 5 du Code de procédure pénale – qui dispose que « la partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive » -, repose sur la volonté de ne pas aggraver le sort de la personne poursuivie alors que la victime avait initialement choisi de se contenter de la voie civile ; elle suppose, pour être appliquée, une triple identité de cause, d’objet et de partie devant les juges pénal et civil.

La Cour de cassation a estimé – à l’instar de la Cour d’appel – qu’en l’espèce, ces critères n’étaient pas remplis.

En effet, la procédure administrative :

  • N’opposait pas les mêmes parties que celles devant le juge pénal : la Collectivité ayant été condamnée par le juge administratif alors que le juge pénal avait jugé le Maire ;
  • N’avait pas le même fondement : le juge administratif ayant mis en œuvre le mécanisme de la protection fonctionnelle alors que le juge pénal avait fait application des dispositions relatives au droit à réparation d’une partie civile ;
  • Avait été mise en œuvre postérieurement à l’action pénale.

Outre ce point procédural, le Maire sollicitait que l’indemnisation de 10.000 € allouée aux agents par le Tribunal administratif, soit déduite de la condamnation prononcée sur intérêts civils par le juge correctionnel.

Sur ce point, la Chambre criminelle a également validé la motivation des juges du fond qui ont rejeté ce moyen de défense, précisant que la condamnation par une juridiction administrative d’une Commune, en raison d’une faute personnelle de son maire, détachable du service mais non dénuée de tout lien avec celui-ci, a pour effet de subroger la Collectivité dans les droits de la victime mais n’a pas pour effet de limiter l’appréciation de la juridiction répressive dans la réparation du préjudice résultant de cette faute, constitutive d’une infraction pénale.

Cette position de la Cour de cassation n’a pas vocation à fixer un principe de double réparation des agents victimes mais de permettre la réparation intégrale de leur préjudice par la mise en œuvre du mécanisme de subrogation qui offre aux agents qui n’auraient pas été indemnisés ou l’auraient été que partiellement, une préférence dans l’exercice de leurs droits.

Covid-19 et jours de repos imposés : de réelles difficultés économiques doivent être caractérisées

Pour mémoire, lors du premier confinement l’une des mesures d’urgence prise par le gouvernement par voie d’ordonnance était la possibilité pour l’employeur d’imposer à ses salariés la prise de jours de repos et de congés payés sous réserve du respect de certaines conditions (ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020).

L’une des conditions reposait notamment sur l’apparition de difficultés économiques liées à la propagation de la Covid-19. Si ces dernières étaient constituées, en application des articles 2 à 5 de ladite l’ordonnance, l’employeur pouvait imposer :

  • La prise, à des dates déterminées par lui, de jours de repos ou de RTT normalement au choix du salarié ou modifier unilatéralement les dates de prise de ces jours ;
  • L’utilisation des droits affectés sur le compte épargne-temps du salarié par la prise de jours de repos, dont il détermine les dates.

Une entreprise a ainsi imposé à ses salariés dont l’activité principale ne pouvait être exercée en télétravail de prendre 10 jours de RTT mais également, pour les salariés ne disposant pas de jours de RTT ou plus suffisamment pour l’exercice en cours, la prise de jours épargnés sur le compte épargne temps.

Cette décision unilatérale a été contesté en référé par un syndicat de le au motif qu’une telle mesure était limitée aux seules entreprises subissant des difficultés économiques liées à la propagation de la Covid-19 et que leur entreprise n’était aucunement impactée économiquement.

Devant les juridictions, l’entreprise soutenait de son côté qu’elle avait été contrainte de prendre des mesures du fait de la crise sanitaire pour répondre aux difficultés économiques rencontrées en raison de circonstances exceptionnelles. Elle se prévalait de l’adaptation de son organisation face à une augmentation inattendue d’absentéisme liée à l’impossibilité pour une partie du personnel de télétravailler et avait dû aménager les espaces de travail du fait des mesures sanitaires à mettre en place.

Selon la Cour d’appel de Paris, ces mesures d’adaptation ne suffisent pas à caractériser l’existence de difficultés économiques liées à la propagation de la Covid-19.

La Cour estime que les mesures imposant la prise de jours de RTT décidées par l’employeur de manière unilatérale sans caractériser l’existence de difficultés économiques causent un trouble manifestement illicite.

La cour d’appel de Paris refuse toutefois de recréditer les jours de RTT illégalement imposés ou prélevés sur le compte épargne-temps des salariés concernés. Elle renvoie à chaque salarié la possibilité de saisir la juridiction prud’homales pour faire valoir leurs droits.

Inconstitutionnalité de l’interdiction de recevoir des auxiliaires de vie

L’article L. 116-4 du Code de l’action sociale et des familles dans sa version issue de l’ordonnance de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 interdisait aux responsables et aux employés ou bénévoles des sociétés délivrant de services d’aide à la personne, ainsi qu’aux personnes directement employées par celles qu’elles assistent, de recevoir de ces dernières des donations ou des legs pendant la période d’assistance du donateur.

Ces dispositions ne s’appliquaient pas aux gratifications rémunératoires pour services rendus ni, en l’absence d’héritiers en ligne directe, à l’égard des parents jusqu’au quatrième degré.

A l’occasion d’un litige où des cousins légataires universels de la défunte agissaient en nullité d’une libéralité à titre particulier avait été faite par la défunte au profit d’une employée de maison, cette dernière a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel le 18 décembre 2020.

L’employée de maison reprochait en effet à l’article L. 116-4 du CASF d’interdire aux personnes âgées de gratifier ceux qui leur apportent, contre rémunération, des services à la personne à domicile. Elle faisait valoir que cette interdiction, formulée de façon générale, sans prendre en compte leur capacité juridique ou l’existence ou non d’une vulnérabilité particulière, porterait atteinte à leur droit de disposer librement de leur patrimoine. Il en résultait, selon elle, une méconnaissance du droit de propriété.

Le Conseil constitutionnel a relevé en premier qu’il ne pouvait se déduire de l’assistance à la personne une altération de la capacité de la personne assistée à consentir une libéralité ni une vulnérabilité.

Le Conseil a en outre relevé que l’interdiction s’appliquait quand bien même la preuve de l’absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur à l’égard de la personne qui l’assiste pouvait être rapportée.

Ce faisant, l’interdiction générale contestée porte au droit de propriété, selon le Conseil constitutionnel, une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi qui l’a donc déclaré contraire à la Constitution.

Par la censure de ces dispositions, il est désormais à nouveau possible pour les personnes assistées de gratifier leurs auxiliaires de vie.

Promulgation de la loi organique relative à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution

La loi organique relative à la simplification des expérimentations mises en œuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 72 de la Constitution a été promulguée le 19 avril dernier, modifiant les articles LO 1113-1 à LO 1113-7 du Code général des collectivités territoriales.

Pour rappel, l’alinéa 4 de l’article 72 de la Constitution a été créé par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 afin de permettre aux collectivités de déroger, dès lors qu’un texte de loi ou un règlement l’a prévu, à titre expérimental, pour un objet et une durée limitée, aux dispositions qui régissent l’exercice de leurs compétences.

S’appuyant sur le constat dressé par le Conseil d’Etat dans son étude en date du 4 juillet 2019 reconnaissant le très faible recours à ce type d’expérimentation[1], la présente loi organique devait permettre de simplifier les conditions de participation aux expérimentations et d’ajouter des issues à ces dernières.

Jusqu’à présent, la mise en œuvre de ces expérimentations supposait notamment l’exigence d’autorisation par décret en Conseil d’Etat pour entrer dans l’expérimentation, puis l’obligation préalable de publication au JO.

Le texte voté permet de simplifier le recours à cette procédure et substitue les nombreuses étapes pour mettre en œuvre ce type de procédures par le simple vote d’une délibération motivée de l’assemblée délibérante, soumise au contrôle du préfet dans les conditions de droit commun, sans la possibilité pour ce dernier d’assortir ses recours d’une demande de suspension.

Par ailleurs, jusqu’alors, l’issue de l’expérimentation était simple : soit l’expérimentation était généralisée, soit elle était abandonnée. L’article LO. 1113-6 du CGCT a été modifié, ouvrant la possibilité que l’expérimentation aboutisse au maintien des mesures prises à titre expérimental uniquement dans les collectivités ayant participé à l’expérimentation, ou encore dans certaines d’entre-elles, ou encore à d’autres n’ayant pas participé à l’expérimentation. Cette dernière disposition étant cependant soumise au respect du principe d’égalité.

Comme toute loi organique, celle-ci a été déférée par le Premier ministre devant le Conseil constitutionnel, qui a souligné la nécessité que, passé le délai d’expérimentation, le maintien et l’extension de ces mesures respectent effectivement le principe d’égalité devant la loi. Celui-ci est alors considéré comme respecté car il résulte de ces dispositions que « le législateur ne saurait maintenir à titre pérenne des mesures prises à titre expérimental dans les seules collectivités territoriales ayant participé à l’expérimentation sans les étendre aux autres collectivités présentant les mêmes caractéristiques justifiant qu’il soit dérogé au droit commun ». Cette dernière précision, qui peut s’apparenter à une réserve d’interprétation bien qu’elle n’est pas présentée comme telle par le Conseil, pourrait figer l’effet des dispositions du nouvel article LO. 1113-6 du CGCT.

 

[1] CE, Etude « Les expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques ? », 4 juillet 2019.

Précisions sur la possibilité pour un copropriétaire de convoquer une assemblée générale

Appliquant pour la première fois les dispositions de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 relatives à la convocation des assemblées générales, la Cour de cassation juge qu’un copropriétaire ne peut convoquer une assemblée générale que lorsque le syndicat est dépourvu de syndic.

En effet, dans tous les cas où le syndicat est dépourvu de syndic pour des raisons autres que le défaut de nomination du syndic par l’assemblée générale convoquée à cet effet, l’assemblée générale peut être convoquée pour en nommer un par tout copropriétaire.

En l’espèce, un copropriétaire assigne le syndicat des copropriétaires en annulation de l’assemblée générale de 2016, pour avoir convoqué une des copropriétaires, en sa qualité de syndic bénévole, alors que, selon lui, elle n’avait pas cette qualité en raison de la nullité de l’assemblée générale de 2014 au cours de laquelle elle avait été désignée à cette fonction.

La Cour d’appel annule l’assemblée générale de 2014, mais rejette la demande de nullité de l’assemblée de 2016 en retenant que la copropriétaire avait, en tout état de cause, la qualité de copropriétaire et pouvait donc convoquer une assemblée générale.

L’arrêt est cassé au visa de l’article 17 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, modifié par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015. Dans cet arrêt, la Haute cour estime que le syndicat n’était pas dépourvu de syndic et cet article n’avait donc pas vocation à s’appliquer. Cette décision constitue l’une une des premières applications par la Cour de cassation de cette disposition nouvelle.

Ce principe admet toutefois certaines exceptions : dans tous les cas où le syndicat est dépourvu de syndic pour des raisons autres que le défaut de nomination du syndic par l’assemblée générale convoquée à cet effet, l’assemblée générale peut être convoquée par tout copropriétaire pour en nommer un mais la condition préalable à l’application de ce texte, à savoir que le syndicat soit dépourvu de syndic, doit être remplie.

Or, tel n’était pas le cas en l’espèce, puisqu’un syndic avait été désigné en la personne de la copropriétaire. Dans ces conditions, l’article 17 de la loi du 10 juillet 1965 n’avait donc pas vocation à s’appliquer et ne pouvait permettre de régulariser la convocation de cette assemblée générale par un syndic dont le mandat a été ultérieurement annulé.

Imprescriptibilité de l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre

Voilà une décision qui devrait ravir les propriétaires !

Après plusieurs hésitations sur la prescriptibilité de l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre, la Cour de cassation a tranché ce débat en qualifiant cette action d’action en revendication insusceptible de prescription.

En l’espèce, un logement avait été mis à la disposition d’une salariée par son employeur à titre d’accessoire à son contrat de travail. Le 31 juillet 2004, la salariée a pris sa retraite mais a continué à occuper les lieux. Souhaitant vendre le logement libre d’occupation, son ancien employeur lui a délivré, le 25 juillet 2014, un congé à effet du 31 juillet 2015. L’ancienne salariée a refusé de quitter les lieux en se prévalant d’un bail d’habitation. Elle a alors été assignée en expulsion.

La Cour d’appel déclare l’action irrecevable comme prescrite, aux motifs qu’il s’agissait d’une action personnelle soumise à la prescription quinquennale de droit commun, dès lors qu’elle dérivait d’un contrat. A la suite à cette décision, l’employeur forma alors un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel pour violation des articles n° 544 et n° 2227 du Code civil en rappelant l’imprescriptibilité du droit de propriété. Par conséquent, l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre, fondée sur le droit de propriété, constitue nécessairement une action en revendication qui n’est pas susceptible de prescription.

Cette décision logique découle du caractère absolu du droit de propriété, espace de liberté qui offre au propriétaire la possibilité d’utiliser la chose à sa guise et, notamment, de ne pas l’utiliser. Ainsi, cette abstention ne saurait en aucun cas mettre fin au rapport d’appartenance exclusive qu’il entretient avec la chose.

Les marchés de substitution peuvent inclure des prestations portant sur la reprise des malfaçons des travaux déjà exécutés par l’entrepreneur défaillant

Par une décision du 27 avril 2021, le Conseil d’État se prononce sur la faculté du maître d’ouvrage d’un marché de travaux d’adjoindre des prestations portant sur la reprise des malfaçons des travaux déjà exécutés par l’entrepreneur défaillant au sein d’un marché de substitution et les conséquences qui en découlent quant au droit de suivi de leur exécution par ce dernier.

En l’espèce, la communauté de communes d’Erdre et Gesvres (ci-après, la «Communauté de communes ») avait entrepris en 2006 de réhabiliter et reconvertir un centre de tri postal et de détruire un centre de secours attenant à ce bâtiment afin de permettre à un office public de l’habitat (ci-après, l’ « OPH ») d’y construire des logements sociaux. Afin de faciliter la réalisation de ce projet, la Communauté de communes a conclu une convention de mandat par laquelle elle a confié à l’OPH la mission de conduire en son nom et pour son compte l’opération dont elle était maître d’ouvrage.

Dans chacune de ces deux opérations, l’OPH a conclu un marché public de travaux dont la société CBI a remporté le lot « gros œuvre ». Dans le cadre de l’exécution de ces marchés, estimant que la société CBI n’avait pas déféré à la mise en demeure qu’il lui avait été faite d’achever les travaux et de reprendre toutes les malfaçons les affectant, l’OPH a résilié les marchés à ses frais et risques. L’OPH a ensuite conclu un marché portant sur le lot « gros œuvre » avec la société Eiffage ainsi que des avenants pour un certain nombre d’autres lots, afin de tenir compte des malfaçons relevées sur le lot précité.

A l’issue des travaux, l’OPH a notifié à la société CBI les décomptes généraux de ces marchés, lesquels présentaient des soldes débiteurs notamment en raison de l’application de pénalités et de la retenue des sommes au titre de l’ensemble des travaux de reprise. Après avoir vainement contesté ces sommes par un mémoire en réclamation, la société CBI a saisi le tribunal administratif de Nantes qui, par un jugement du 26 septembre 2018, a rejeté sa demande. Par un arrêt du 25 octobre 2019, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté la requête d’appel de la société CBI laquelle a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt litigieux.

La société CBI contestait notamment les sommes mises à sa charge au titre des travaux de reprise des malfaçons alors qu’elle n’avait pas été en mesure d’assurer le suivi desdits travaux.

En effet, l’OPH avait inclus des travaux de reprise dans le marché de substitution et se posait donc les questions de savoir s’il disposait d’une telle faculté et, le cas échéant, si la société CBI disposait alors d’un droit de suivi de ces travaux de reprise.

Afin de trancher ces questions, le Conseil d’État commence par rappeler sa jurisprudence relative aux conditions de recours aux marchés de substitution (CE, Ass., 9 novembre 2016, Société Fosmax, n° 388806 : en matière de marchés de travaux ; CE, 18 décembre 2020, Société Treuils et Grues Labor, n° 433386 : en matière de marchés de fournitures) en jugeant qu’il résulte des stipulations du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (en sa version de 1976 applicable au litige) et « des règles générales applicables aux contrats administratifs que le maître d’ouvrage d’un marché de travaux publics peut, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l’exécution des prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, décider de confier l’achèvement des travaux à un autre entrepreneur aux frais et risques de son cocontractant. La mise en œuvre de cette mesure coercitive n’a pas pour effet de rompre le lien contractuel entre le pouvoir adjudicateur et son cocontractant et ne saurait être subordonnée à une résiliation préalable du contrat. Le cocontractant défaillant doit être mis à même de suivre l’exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, les montants découlant des surcoûts supportés par le maître d’ouvrage en raison de l’achèvement des travaux par un nouvel entrepreneur étant à sa charge ».

Le Conseil d’État prend ensuite soin de distinguer ces marchés de substitution des marchés portant sur la seule reprise des malfaçons en énonçant que « les contrats passés par le maître d’ouvrage avec d’autres entrepreneurs pour la seule reprise de malfaçons auxquelles le titulaire du marché n’a pas remédié ne constituent pas, en principe, des marchés de substitution soumis aux règles énoncées au point précédent et, en particulier, au droit de suivi de leur exécution ».

Après avoir énoncé cette distinction, le Conseil d’État tranche la première problématique juridique soulevée par le pourvoi en jugeant qu’il « est loisible au maître d’ouvrage qui, après avoir mis en régie le marché, confie la poursuite de l’exécution du contrat à un autre entrepreneur, d’inclure dans ce marché de substitution des prestations tendant à la reprise de malfaçons sur des parties du marché déjà exécutées ».

Cette faculté du maître d’ouvrage consacrée, la haute juridiction se prononce ensuite sur la seconde problématique portant sur le droit de suivi de l’entrepreneur défaillant sur les travaux exécutés dans le marché de substitution. En effet, dans l’hypothèse où le maître d’ouvrage intègre dans le marché de substitution des prestations portant sur la reprise de malfaçons sur des parties du marché déjà exécutées, se pose la question de savoir si le droit de suivi de l’entrepreneur défaillant porte sur les seuls travaux restants à exécuter, à l’exclusion des travaux tendant à la reprise de malfaçons sur des parties du marché déjà exécutées, ou s’il porte sur l’intégralité des prestations du marché de substitution.

Suivant les conclusions du rapporteur public sous cette affaire (M. Le Corre, Ccls sous CE, 27 avril 2021, Société CBI, n° 437148) faisant état de la difficulté de distinguer en pratique entre l’achèvement de travaux déjà réalisés et la réparation de malfaçons affectant des ouvrages déjà réalisés, le Conseil d’État tranche en faveur de la seconde solution en jugeant que « dans ce cas [intégration par le maître d’ouvrage de travaux de reprise de malfaçon dans le marché de substitution], le droit de suivi du titulaire initial du marché s’exerce sur l’ensemble des prestations du marché de substitution, sans qu’il y ait lieu de distinguer celles de ces prestations qui auraient pu faire l’objet de contrats conclus sans mise en régie préalable ».

Appliquant les principes ainsi dégagés au cas d’espèce, il conclut « qu’en jugeant qu’il ne résulte d’aucune stipulation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ni d’aucune règle générale applicable aux contrats administratifs que, lorsque l’entrepreneur dont le marché est résilié n’a pas exécuté les travaux de reprise des malfaçons prescrits par le pouvoir adjudicateur, il disposerait du droit de suivre l’exécution de ces mesures, alors qu’il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’il bénéficie de ce droit lorsque ces travaux de reprise sont inclus dans un marché de substitution destiné à la poursuite de l’exécution du contrat, la cour administrative d’appel de Nantes a commis une erreur de droit ».

Il annule ensuite l’arrêt litigieux en tant qu’il statue sur les conclusions de la société CBI relatives aux sommes mises à sa charge au titre des travaux de reprise des malfaçons et renvoie l’affaire dans cette mesure devant la cour administrative d’appel de Nantes.

 

Réduction d’impôt mécénat : les fonds de dotation redistributeurs ne sont pas tous éligibles

Code général des impôts, article 200, 20 mai 2021

Code général des impôts, article 238 bis, 20 mai 2021

 

En vertu des dispositions des articles 200 1) g du CGI et 238 bis 1) g, l sont éligibles au régime fiscal du mécénat :

  • les dons et versements opérés au profit de fonds de dotation qui exercent directement une activité d’intérêt général éligible au régime du mécénat, ou
  • les dons et versements opérés au profit de fonds de dotation qui ont une gestion désintéressée et reversent en conséquence les revenus tirés de dons reçus à des organismes éligibles au régime du mécénat (200 1) b CGI et 238 bis CGI pour les critères d’éligibilité)

Une question s’est donc posée : les versements effectués au profit d’un fonds de dotation redistributeur qui finance à la fois des organismes éligibles au mécénat et des organismes non éligibles sont-ils  eux-mêmes éligibles au régime fiscal du mécénat ?

L’article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 tranche cette question et précise qu’un fonds de dotation peut être créé pour financier des missions ou des œuvres d’intérêt général, notion devant être strictement entendue au sens de la loi fiscale à laquelle renvoie l’article 140, excluant donc spécifiquement les entreprises du secteur lucratif et les organismes ne relevant pas des dispositions des articles 200 et 238 bis du CGI.

L’on comprend que lorsque le fonds de dotation est redistributeur, il doit nécessairement avoir pour objet l’exercice d’une activité patrimoniale consistant à gérer les contributions qu’il reçoit pour financer une œuvre ou une mission d’intérêt général réalisée par un organisme sans but lucratif.

En effet, le fonds peut redistribuer les dons perçus « pour assister une personne morale à but non lucratif dans l’accomplissent de ses œuvres et de ses missions d’intérêt général » (article 140 I alinéa 1 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008).

L’on doit ici en conclure que les versements effectués au profit d’un fonds de dotation redistributeur qui finance à la fois des organismes éligibles au mécénat et des organismes non éligibles ne sont pas éligibles au régime fiscal du mécénat, et par extension donc, n’ouvrent pas droit à la réduction d’impôt ad hoc.

A retenir : Si le fonds de dotation finance une personne morale à but non lucratif qui elle-même exerce une activité lucrative non prépondérante au titre de la réalisation de sa mission d’intérêt général, cela ouvre tout de même droit à la réduction d’impôt. Le critère devant être retenu est celui du lien établi entre le fonds de dotation et les organismes bénéficiaires, devant nécessairement être tous éligibles au régime du mécénat pour ouvrir droit à la réduction d’impôt pour le contributeur.

Un vice caché diminuant l’usage de l’immeuble vendu justifie une réduction du prix

L’article 1641 du Code civil, relatif aux vices cachés de la chose vendue, envisage deux hypothèses :

  •  Les défauts cachés de la chose la rendent impropre à l’usage auquel on la destine ;
  • Ces défauts diminuent tellement cet usage que l’acheteur n’aurait pas acquis la chose, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, s’il les avait connus ;

Cet arrêt illustre cette seconde éventualité, caractérisée par la diminution de l’usage de la chose.

La cour d’appel a souverainement retenu que le vice, à savoir l’amiante présent dans les plaques de fibrociment constituant la couverture de l’immeuble, confiné par l’isolation, en diminuait l’usage de manière importante dès lors que des travaux affectant l’isolation intérieure des combles ou portant sur la toiture ne pourraient pas être entrepris sans qu’une procédure de travaux sur produits ou matériaux amiantés ne fût engagée.

La troisième chambre civile approuve la cour d’appel qui en a déduit que la maison était affectée, lors de la vente, d’un vice caché diminuant tellement son usage que, s’ils l’avaient connu, les acquéreurs n’en auraient donné qu’un moindre prix et qu’il convenait de fixer la réduction du prix telle qu’elle avait été arbitrée par l’expert.

Parution d’un décret portant sur les conditions de fourniture des prestations de sûreté par les services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP

Ce décret vient apporter quelques évolutions aux conditions de fourniture des prestations de sûreté ferroviaire par les services de sécurité interne de la SNCF (dite SUGE pour « surveillance générale ») et de la RATP (dite GPSR pour « Groupe de protection et de sécurité des réseaux ») disposant de prérogatives particulières en matière de sûreté ferroviaire.

Les nouveautés concernent, notamment, les services de sécurité de la RATP (et dans ce cas n’intéressent donc que l’autorité organisatrice Ile-de-France Mobilités).

On peut relever les points suivants :

  1.  Il est prévu que RATP (GPSR) doit établir un document de référence et de tarification des prestations rendues, comme c’est déjà le cas pour la SUGE ;
  2. Il est toujours prévu que l’ART rende un avis conforme sur les projets de documents de référence et de tarification des prestations de sûreté (DRS) mais, désormais, en deux temps possibles : c’est-à-dire que la SUGE peut soumettre une nouvelle proposition de DRS si le premier avis rendu par l’ART a été défavorable (dans un délai de deux mois et l’ART dispose ensuite deux mois pour rendre un nouvel avis conforme). Si ce calendrier a pour conséquence que trois mois avant le début du service annuel ou de l’année civile concernée, l’avis conforme de l’ART n’a pas été rendu, la dernière tarification approuvée reste alors applicable à titre provisoire et, une fois la nouvelle tarification définitivement applicable, elle a un effet rétroactif ;
  3. Le projet de DRS publié sur internet pour consultation par les acteurs intéressés peut être revu par la SNCF et la RATP précisément pour tenir compte des avis de ces acteurs ;
  4. La tarification des prestations peut être établie pour une période pluriannuelle ;
  5. Des dispositions sont prévues à propos de la gestion des informations confidentielles par les services de la SNCF et de la RATP, en particulier les personnels traitant les demandes de prestations de sécurité.

Il est précisé que doit être regardée comme confidentielle :

  1.  Toute autre donnée ou information concernant les opérateurs de transport exploitant des lignes de réseau de transport public dont la communication conférerait à son destinataire un avantage injustifié pour l’exercice d’une activité d’exploitant de transport ;
  2.  Toute autre donnée ou information dont la communication ou la divulgation conférerait à son destinataire un avantage injustifié dans le cadre des procédures de mise en concurrence relatives à une activité d’exploitant de service public de transport ».

 

L’objectif poursuivi est de s’assurer que les informations transmises par les opérateurs de transports ferroviaires aux services de sécurité interne de la SNCF et de la RATP ne puissent profiter aux entités/services de ces structures intervenant dans l’exploitation des services ferroviaires, ce qui constituerait une atteinte à l’égale concurrence entre les opérateurs sur le marché.

Publication du guide « Les marchés publics au service de la relance économique des entreprises »

La Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance et le Médiateur des entreprises se sont associés pour rédiger un guide intitulé « Les marchés publics au service de la relance économique des entreprises : Rebondir avec les marchés publics » (daté de mars 2021 et présenté officiellement le 10 mai dernier). L’objectif affiché de ce guide est l’intelligibilité des dispositifs de relance pour les acheteurs comme pour les opérateurs, ainsi que l’indique clairement un de ses sous-titres : « Découvrez comment développer l’activité des entreprises et relancer l’économie grâce à une commande publique simple et accessible ! ».

Plus précisément, l’objectif est de rendre plus simple et accessible la commande publique, lequel est selon le gouvernement un levier majeur de relance (le montant de la commande publique s’élevait déjà à 110 milliards d’euros en 2018). Dans cet objectif, le guide évoque trois points essentiels.

Il s’attache d’abord à préciser les seuils des marchés au-delà desquels une procédure de publicité et de mise en concurrence, même adaptée, devra être mise en œuvre pour l’attribution du contrat (en dessous, il existe donc une « dispense de mesures formelles de publicité et de mise en concurrence » préalable). Il est ainsi rappelé que, depuis le 1er janvier 2020, ce seuil est de 40.000 euros HT pour les fournitures et les services, et est même passé à 100.000 euros HT pour les marchés publics de travaux depuis 8 décembre 2020 (jusqu’au 31 décembre 2022). Eu égard à la passation de ces « petits » marchés, le guide invite en particulier les acheteurs à effectuer un sourcing pour élargir leur panel de fournisseurs.

Le guide évoque ensuite les assouplissements pour candidater. Il rappelle notamment qu’au titre de l’appréciation de leurs capacité économique et financière, les entreprises candidates à un marché public ne peuvent être écartées en raison d’une baisse du chiffre d’affaires liée aux conséquences de la crise sanitaire jusqu’au 31 décembre 2023. Le guide indique également que la loi ASAP (loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique) a pérennisé le dispositif permettant aux entreprises bénéficiant d’un plan de redressement judiciaire de ne plus être en situation d’interdiction de soumissionner à un marché public.

Sont enfin mentionnées les mesures financières pour, notamment, favoriser l’accès des TPE/PME. Après un rappel des délais de paiement (30 jours pour les collectivités territoriales, l’Etat et leurs établissements publics…), le guide fait état des règles particulières en matière d’avance : elle est obligatoire pour les marchés supérieurs à 50.000 euros HT et d’une durée supérieure à deux mois. Et si le titulaire (ou le sous-traitant direct) est une PME, le taux minimal de l’avance est de 20 % pour les marchés de l’Etat et de 10 % pour les collectivités (5 % pour les autres acheteurs). Depuis le décret n° 2020-1261 du 15 octobre 2020, il n’existe d’ailleurs plus de plafond au montant de l’avance et l’acheteur peut renoncer à demander une garantie financière lorsque l’entreprise bénéficie d’une avance d’un montant supérieur à 30 % du montant du marché. Par ailleurs, le guide rappelle que les acomptes sont en principe versés tous les trois mois et que, pour certaines catégories d’entreprises assurant des prestations de travaux (dont les TPE/PME), le versement est effectué tous les mois. On notera l’évocation ultime de deux dispositifs favorables aux prestataires : le préfinancement de commandes garanti par l’Etat jusqu’au 30 juin 2021 ainsi que le dispositif de « paiement fournisseur anticipé ».

Maintien du RIFSEEP en congé de longue maladie et longue durée : la Cour administrative d’appel de Paris adopte une interprétation restrictive du principe de parité

Dans un arrêt du 9 avril 2021, la cour administrative d’appel de Paris a à son tour adopté une position jurisprudentielle relative aux limites de la définition du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) résultant du principe de parité.

Pour rappel, plusieurs Tribunaux administratifs avaient été amenés à se prononcer sur la conformité au principe de parité du maintien, par les collectivités territoriales, du régime indemnitaire pendant les congés de longue maladie et de longue durée.

Certains avaient considéré que les délibérations des collectivités prévoyant ce maintien, qui n’était pas prévu au bénéfice des agents de l’État, octroyaient aux fonctionnaires territoriaux un avantage par rapport à ces derniers et méconnaissaient ainsi le principe de parité fixé à l’article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

Saisie sur appel de l’un de ces jugements, la Cour administrative d’appel de Nancy avait, semblait-il, nuancé cette jurisprudence en considérant que la seule circonstance que la délibération était, de ce seul point de vue, plus avantageuse que celle dont bénéficient les agents de l’État, « n’était pas par elle-même de nature à établir que la somme de la part IFSE et de la part CIA du RIFSEEP en litige dépasserait le plafond global des primes octroyées aux agents de l’État, ni que, par conséquent, ce régime indemnitaire méconnaîtrait le principe de parité entre les agents relevant des diverses fonctions publiques ».  Autrement dit, elle proposait une appréciation globale du régime indemnitaire, plutôt qu’une comparaison point par point des dispositions avec le régime appliqué aux fonctionnaires de l’État. (Cf. brève LAJ, novembre 2020)

Cette approche n’a toutefois pas été retenue par la Cour administrative d’appel de Paris, saisie à son tour de cette question, qui, dans son arrêt, a jugé « qu’en prévoyant le maintien des indemnités aux agents placés en congés de longue maladie, de longue durée ou de grave maladie d’une indemnité attachée à l’exercice des fonctions, la commune de Bonneuil-sur Marne a créé au profit de ses agents un régime indemnitaire plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l’État et a, par suite, méconnu le principe de parité entre les fonctions publiques ».

Autrement dit, la Cour administrative d’appel de Paris se rattache à une interprétation plus restrictive du principe de parité, considérant que tout avantage ponctuel octroyé aux fonctionnaires territoriaux dans leur régime indemnitaire, dont ne bénéficieraient pas les agents de l’État, doit être regardé comme méconnaissant le principe de parité, et donc comme illégal.

Reste désormais à savoir comment le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi contre ces deux arrêts aux interprétations contradictoires, décidera de trancher le débat de façon définitive.

L’employeur n’est pas tenu de transmettre à l’agent un envoi du relevé de situation individuelle relative aux droits à la retraite

Dans une décision du 12 avril 2021, n° 436518, le Conseil d’État a été amené à préciser les obligations respectives de l’employeur et de la CNRACL en matière de transmission des relevés de situation individuelle relative aux droits à la retraite.

Il convient de revenir tout d’abord sur les faits et sur le déroulement de carrière du requérant.

Celui-ci avait été recruté initialement par une commune en qualité d’agent contractuel. Après sa titularisation, il avait demandé à la commune la validation au titre de ses droits à retraite de ses services effectués en qualité d’agent contractuel. Il avait ensuite été recruté par un syndicat intercommunal, aux droits duquel est venue une communauté d’agglomération. En 2013, il présentait à la CNRACL une nouvelle demande de validation de ses services effectués en qualité d’agent contractuel, demande que la Caisse rejetât comme tardive.

L’agent a alors saisi le juge administratif de ce refus mais également d’une demande de condamnation de la CNRACL, de la caisse des dépôts et consignation et de son dernier employeur au paiement de la somme de 169.274 euros au titre du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’absence de validation des services en cause, ainsi qu’à celui d’une indemnité de 5.000 euros au titre de son préjudice moral.

Dans son arrêt, le Conseil d’État rappelle d’abord les dispositions applicables en matière d’information des agents quant à leur situation en matière d’assurance vieillesse.

D’une part, l’article L. 161-17 du Code de la sécurité sociale prévoit que les régimes de retraite légalement obligatoires sont tenus d’adresser périodiquement, à titre de renseignement, un relevé de la situation individuelle de l’assuré au regard de l’ensemble des droits qu’il s’est constitués dans ces régimes.

D’autre part, aux termes de l’article 8 du décret du 7 février 2007 relatif à la CNRACL : « Afin d’assurer la mise en œuvre du droit à l’information prévu à l’article L. 161-17 du code de la sécurité sociale, les employeurs des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale ont l’obligation de lui transmettre tout au long de leur période d’affiliation les informations relatives à leur carrière et à leur situation familiale et qui sont nécessaires à la mise en œuvre de ce droit ».

Le Conseil d’État précise ainsi que ces dispositions de l’article L. 161-17 du Code de la sécurité sociale font peser des obligations vis-à-vis des agents uniquement sur les organismes gestionnaires de l’assurance vieillesse et non sur les employeurs. Les dispositions du décret du 7 février 2007 ne prévoient pas davantage d’obligation d’information individuelle des agents par leur employeur.

Dès lors, les employeurs n’ont pas d’obligation d’informer leurs agents de leurs droits à la retraite. Cette information relève de la seule CNRACL et la responsabilité de l’employeur ne peut par conséquent être recherchée sur ce fondement.

Quand l’astreinte devient un temps de travail effectif

Une période d’astreinte ne peut pas être assimilée à du temps de travail effectif, dès lors que l’agent peut vaquer librement à ses occupations. De la sorte, il a même été jugé par le Conseil d’Etat que l’astreinte effectuée dans un logement mis à disposition par l’employeur à proximité immédiate du lieu de travail n’est pas à comptabiliser comme du temps de travail effectif (CE, 13 octobre 2017, Madame A. c/ Centre hospitalier de Vire, req. n° 396934).

En revanche, il a été jugé que le temps passé dans un logement mis à disposition est assimilé à du temps de travail effectif si l’agent doit rester à disposition permanente et immédiate de son employeur. Constitue ainsi du temps de travail effectif la garde d’un infirmier anesthésiste dans un logement situé dans l’enceinte de l’hôpital dont le récepteur téléphonique ne pouvait fonctionner qu’à proximité d’un émetteur situé dans l’établissement, l’obligeant à demeurer à la disposition immédiate de l’employeur et l’empêchant ainsi de vaquer librement à ses occupations personnelles (CE, 19 décembre 2019, Monsieur A. c/ Centre hospitalier départemental de la Vendée, req. n° 418396).

La CJUE vient de préciser encore davantage les conditions d’assimilation d’une période d’astreinte à du temps de travail  : celle-ci est intégralement considérée comme du temps de travail si les contraintes imposées au travailleur affectent objectivement et très significativement la faculté pour ce dernier de gérer librement, au cours de cette période, le temps pendant lequel ses services professionnels ne sont pas sollicités et de consacrer ce temps à ses propres intérêts (CJUE, 9 mars 2021, n° C-580/19 et C-344/19).

Dans le prolongement de cette décision et de celle du Conseil d’Etat du 19 décembre 2019, la Cour administrative d’appel de Bordeaux vient donc de condamner un Centre hospitalier à rattraper les rémunérations d’une infirmière anesthésiste qui était tenue de dîner à l’internat, avait une chambre à sa disposition dans l’établissement et était équipée d’un téléphone non fonctionnel hors de celui-ci de sorte que, dans ces circonstances, elle se trouvait à la disposition permanente et immédiate de son employeur et ne pouvait vaquer librement à ses occupations personnelles, effectuant ainsi un travail effectif et non une période d’astreinte.

L’accident en télétravail est un accident de travail

La crainte de certains employeurs publics à l’égard du télétravail était notamment celle d’une explosion des accidents de service, parfois appelée « syndrome de l’accident de bouilloire » de manière au demeurant assez improprement lié au domicile au vu du nombre de bouilloires croisées dans les bureaux. Quoi qu’il en soit, et à l’instar des craintes relatives au rendement des agents télétravailleurs, la question est celle de l’absence de possibilité de contrôle liée à l’absence de l’agent au sein de locaux professionnels. Il s’agit là naturellement d’une vision minoritaire et au final plutôt caricaturale du télétravail, dont le développement tardif dans la fonction publique par rapport au secteur privé est semble-t-il davantage lié à des questions de coût que de culte du présentéisme, les textes relatifs au télétravail (loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 et décret n° 2016-151 du 11 février 2016) mettant à la charge de l’employeur l’ensemble des frais et charges liés à l’exercice des fonctions en télétravail, notamment ceux liés au fonctionnement des installations techniques et aux communications.

Mais l’absence de tout texte spécifique à l’accident de service du fonctionnaire en télétravail en dehors d’un très général « les agents exerçant leurs fonctions en télétravail bénéficient des mêmes droits et obligations que les agents exerçant sur leur lieu d’affectation » (article 6 du décret du 11 février 2016) oblige à reprendre les conditions posées par la loi et plus précisément par l’article 21 bis II loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant plus largement sur la notion d’accident de service dans la fonction publique. On soulignera cependant que le droit du travail a, lui, expressément prévu cette situation : « L’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail » (art L. 1222-9 Code du travail), rendant cette problématique beaucoup plus simple pour les praticiens du secteur privé que pour ceux du secteur public, bien que les juristes parmi eux auront naturellement, en l’absence de toute disposition spéciale, appliqué la disposition générale de l’article 21 bis II précité.

L’analyse de ces conditions est d’autant plus essentielle que, lorsqu’elles sont remplies, l’accident est présumé imputable au service et déclenche au profit du fonctionnaire le bénéfice d’un congé pour invalidité temporaire imputable au service, à plein traitement, jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre ses fonctions ou jusqu’à sa mise à la retraite. En outre, le fonctionnaire a droit au remboursement des honoraires médicaux et des frais entraînés par l’accident, à une allocation temporaire d’invalidité en cas d’invalidité permanente et, enfin, à une réparation complémentaire. Le sujet n’est donc pas neutre, ni pour l’agent, ni pour l’employeur – et donc pour les finances publiques.

En dehors du cas de la faute personnelle de l’agent ou d’une circonstance particulière détachant l’accident du service, le renversement de la présomption pourra ne concerner qu’une seule des conditions de reconnaissance l’imputabilité au service dès lors que ces dernières sont cumulatives : l’accident doit avoir eu lieu dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal.

S’agissant de l’accident lui-même, le lieu d’exercice du fonctionnaire est indifférent à sa qualification dès lors qu’il a été défini comme « un événement précisément déterminé et daté, caractérisé par sa violence et sa soudaineté, à l’origine de lésions ou d’affections physiques ou psychologiques qui ne trouvent pas leur origine dans des phénomènes à action lente ou répétée auxquels on ne saurait assigner une origine et une date certaines » (CE, 30 juil. 1997, n° 159366). Seront en conséquence exclus, par exemple, les syndromes dépressifs lorsqu’ils auront été causés par l’isolement imposé lors du premier confinement, puisqu’ils ne relèvent pas d’un évènement précisément daté et déterminé, soudain et violent : le régime de la maladie contractée en service trouvera alors à s’appliquer, et il sera rappelé que, dans cette hypothèse précise de syndrome dépressif, la présomption d’imputabilité ne joue pas (CE, 1er févr. 2017, n° 396810, Cne de Cournon d’Auvergne).

En revanche, le critère du lieu et du temps de service est celui qui interroge le plus dans le télétravail : ainsi qu’en dispose le décret du 11 février 2016, le télétravail peut s’exercer « au domicile de l’agent, dans un autre lieu privé ou dans tout lieu à usage professionnel » soit en réalité partout : le lieu de travail est celui où, finalement, est posé l’ordinateur de l’agent, dès lors que l’employeur l’aura autorisé.

Mais les accidents causés en dehors du service (entendu comme le lieu de travail habituel, au domicile ou non) sont une catégorie d’accidents imputables au service identifiée depuis longtemps, dont relèvent aussi bien les accidents de trajet (article 21 bis III de la loi du 13 juillet 1983 précitée) que ceux survenus en mission, y compris à l’occasion d’un acte de la vie courante (CE, Sect. 3 déc/ 2004, Quinio, n°260786). Et la jurisprudence puis la loi ont reconnu par exemple que certains travaux en dehors du service constituaient le prolongement normal de l’exercice des fonctions (pour une institutrice qui se blesse à son domicile, en effectuant un travail matériel au titre de sa profession : CE, 5 juill. 1978, Ministre de l’Education nationale c/ Blettere, Lebon p. 291).

La nouveauté réside davantage dans les obligations de l’employeur lors de la mise en place du télétravail : doivent être notamment définies « les modalités d’accès des institutions compétentes sur le lieu d’exercice du télétravail afin de s’assurer de la bonne application des règles applicables en matière d’hygiène et de sécurité » ainsi que « les modalités de contrôle et de comptabilisation du temps de travail ». En excluant ce moment si particulier qu’a été le confinement en ce qu’il a – notamment – imposé le télétravail qu’il ait été, ou non, mis en place par l’employeur, on en retient donc que ce dernier a pour obligation non seulement de vérifier l’installation de l’agent en télétravail afin de s’assurer de la sécurité de ses conditions de travail, mais également de prévoir un système de contrôle et de comptabilisation du temps de travail.

Ainsi, l’agent qui déclarerait un accident de travail en dehors des horaires de travail définis par l’autorisation, ou qui serait intervenu ailleurs que sur le lieu visé par l’autorisation (accident de voiture, etc.), ne pourrait bénéficier de la présomption d’imputabilité au service. Il a notamment été jugé que l’accident subi par un fonctionnaire autorisé à quitter momentanément son lieu de travail, pendant une pause, pour se rendre à un examen médical et survenu sur le trajet n’est pas imputable au service, cet examen étant dépourvu de tout lien avec le service (CE, 26 mars 2010 n° 324554). Cette décision est d’autant plus intéressante que le télétravail a notamment pour objet de permettre une meilleure conciliation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, et par exemple d’aller à un examen médical en journée en non le soir ou le week-end, dès lors naturellement que les heures de travail sont faites. Mais la difficulté est évidemment que rien ne pourra empêcher un agent de déclarer un accident de travail alors que ce dernier se serait produit une heure avant sa prise de poste.

Le critère de l’accident intervenu pendant ou à l’occasion de l’exercice des fonctions de l’agent pose moins de difficulté si tant est que l’employeur aura mis en place des moyens de contrôler la présence de l’agent à son poste. C’est ainsi que récemment, le Conseil d’Etat a pu considérer que l’agent qui se contentait d’envoyer quelques mails pour justifier de sa présence, alors qu’il avait refusé d’utiliser le système d’horodatage mis en place pour contrôler la présence des agents en télétravail, ne justifiait pas de son service fait, permettant ainsi à son employeur d’émettre un titre exécutoire pour se voir reverser les jours de salaire versés sans contrepartie (CE, 23 mars 2020, n° 424218). On peut donc imaginer que l’agent qui refuserait d’utiliser un tel système ne pourrait pas plus invoquer la présomption d’imputabilité au service : l’absence de service fait entraînerait de facto l’absence d’exercice des fonctions.

En conclusion, peu est de dire que le télétravail n’a pas posé de problématique réellement nouvelle relativement à l’accident de service : l’accident en télétravail est un accident de travail.

Lorène CARRERE

Evaluation environnementale : le Conseil d’Etat remet en cause la conformité des seuils au droit européen qui doit conduire à une vigilance accrue des porteurs de projets

Une nouvelle fois, la décision du Conseil d’Etat du 15 avril 2021 met en lumière les difficultés éprouvées par l’exécutif pour se conformer à la règlementation européenne en transposant les règles applicables en matière d’évaluation environnementale.

Après les condamnations successives de l’autorité environnementale et de la dispense d’évaluation environnementale pour les procédures de modification et mise en compatibilité des documents d’urbanisme[1], ce sont à présent les seuils d’exemption de soumission des projets à évaluation environnementale qui sont mis en cause par le Conseil d’Etat.

Dans l’affaire ayant donné lieu à sa décision du 15 avril dernier, les associations FNE et FNE Allier demandaient principalement l’annulation du décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l’évaluation environnementale et à titre subsidiaire, l’annulation de ce décret en tant qu’il ne corrige pas le libellé de la rubrique 44 dans la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement, qu’il ne corrige pas les seuils de cette nomenclature et qu’il n’introduit pas en droit français un mécanisme de « clause-filet » ayant pour effet de soumettre à évaluation environnementale les projets qui, bien qu’exclus du champ de l’évaluation environnementale, ont tout de même une incidence sur l’environnement.

Rappelons que le tableau annexé à l’article R. 122-2 du Code de l’environnement fixe une nomenclature comprenant 48 rubriques et distingue les projets systématiquement soumis à évaluation environnementale de ceux qui nécessitent un examen au cas par cas. Au sein de ces derniers, certains projets sont dispensés de toute évaluation environnementale lorsqu’ils sont inférieurs à un certain seuil. En l’occurrence, le 6° de l’article 1er du décret du 4 juin 2018 exemptait de toute évaluation environnementale la construction d’équipements sportifs ou de loisirs ne figurant dans aucune autre rubrique du tableau et susceptibles d’accueillir un nombre de personnes égal ou inférieur à 1 000, quelles que puissent être, par ailleurs, leurs autres caractéristiques et notamment leur localisation.

Or, le Conseil d’Etat estime la seule prise en compte du critère de la dimension pour dispenser un projet de toute évaluation environnementale est incompatible avec le droit européen :

« […] 7. Il résulte des termes de la directive, tels qu’interprétés par la Cour de justice de l’Union européenne, que l’instauration, par les dispositions nationales, d’un seuil en-deçà duquel une catégorie de projets est exemptée d’évaluation environnementale n’est compatible avec les objectifs de cette directive que si les projets en cause, compte tenu, d’une part, de leurs caractéristiques, en particulier leur nature et leurs dimensions, d’autre part, de leur localisation, notamment la sensibilité environnementale des zones géographiques qu’ils sont susceptibles d’affecter, et, enfin, de leurs impacts potentiels ne sont pas susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine. […] »

Surtout, pour les mêmes raisons, le Conseil d’Etat annule l’entièreté du décret attaqué en tant qu’il exclut du champ de l’évaluation environnementale certains projets pourtant susceptibles d’avoir une incidence notable sur l’environnement ou la santé humaine :

« […] 10. Il ressort du tableau annexé à l’article R. 122-2 du code de l’environnement que les seuils en-deçà desquels les projets sont dispensés de toute évaluation environnementale sont principalement fondés sur un critère relatif à leur dimension, telles que la taille ou la capacité de l’installation projetée, alors même que, ainsi qu’il a été dit au point 7, la question de savoir si un projet est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement et la santé humaine peut également dépendre d’autres caractéristiques du projet, telles que sa localisation, comme le prévoit expressément l’annexe III de la directive du 13 décembre 2011 à laquelle renvoie l’article L. 122-1 du code de l’environnement. Par suite, en ne prévoyant pas de soumettre à une évaluation environnementale, lorsque cela apparaît nécessaire, des projets qui, bien que se trouvant en-deçà des seuils qu’il fixe, sont susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ou la santé humaine en raison notamment de leur localisation, le décret attaqué méconnaît les objectifs de la directive du 13 décembre 2011. […] »

Enfin, le Conseil d’Etat enjoint à l’exécutif d’édicter une telle clause-filet dans un délai de neuf mois :

« […] 11. L’annulation prononcée au point précédent implique que le Premier ministre prenne des dispositions réglementaires permettant qu’un projet, lorsqu’il apparaît qu’il est susceptible d’avoir une incidence notable sur l’environnement ou la santé humaine pour d’autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale. Il y a lieu, pour le Conseil d’Etat, d’ordonner cette édiction dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la présente décision. […] »

La solution ainsi adoptée par le Conseil d’Etat apparaît tout à la fois prévisible et conforme aux exigences européennes dès lors que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a clairement jugé, à l’occasion d’arrêts en manquement, qu’un Etat membre qui « fixerait des seuils et/ou critères en ne tenant compte que des dimensions des projets, sans prendre en considération les [autres] critères […] » méconnaîtrait la directive (CJUE, 20 novembre 2008, Commission c./ Irlande, C-66/06, §64 ; Commission c./ Pays-Bas, C-255/08, § 32-39 ; 24 mars 2011, Commission c./ Belgique, C-435/09, § 50 et s.).

D’ailleurs, il est probable que le Conseil d’Etat ait voulu ainsi éviter un futur recours en manquement contre la France, la Commission européenne ayant expressément demandé à celle-ci d’améliorer ses règles en matière d’étude d’impact environnementale, sous la menace d’un avis motivé au motif que « la législation nationale semble exclure certains types de projets des procédures d’évaluation des incidences sur l’environnement et fixer des seuls d’exemption inadaptés pour les projets »[2]

En outre, l’injonction donnée au Gouvernement paraît louable dans la mesure où le vide juridique laissé par cette annulation pourra être comblé rapidement, évitant ainsi les effets déplorables constatés à la suite des précédentes annulations en matière d’évaluation environnementale.

Toutefois, les porteurs de projets devront porter une attention toute particulière à cette décision. Par exemple, la rubrique 39 a) qui exclut actuellement du champ de l’évaluation environnementale tout travaux et constructions qui créent une surface de plancher ou une emprise au sol inférieure à 10 000 m2 a probablement vocation à disparaître. En toute hypothèse, en cas de doute, il est préférable de soumettre les projets actuellement exemptés d’évaluation environnementale par l’effet des seuils à un examen au cas par cas, si ces projets sont par ailleurs susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.

Une vigilance accrue est donc conseillée en attendant l’intervention du décret – que l’on espère aussi prompte qu’habile – qui devra se conformer aux exigences européennes en matière environnementale tout en gardant le souci de ne pas complexifier démesurément l’avènement de projets.

 

 

[1] Sur les incidences pratiques de ces annulations contentieuses : voir notre commentaire : évaluation environnementale – conséquences pratiques de l’annulation de dispositions règlementaires relatives aux conditions d’organisation de cette évaluation : une laborieuse mise au point.

[2] Fiche d’information de la Commission du 7 mars 2019. 

Précisions sur la contribution due par le bénéficiaire du raccordement au réseau de distribution d’électricité au maître d’ouvrage des travaux de raccordement

CAA Marseille, 19 avril 2021, société Bip Promo c/syndicat départemental d’énergie de Corse-du-Sud, n° 19MA02666 

 

Dans deux arrêts du 19 avril 2021 (rendus en des termes identiques car portant sur des litiges eux-mêmes identiques), la Cour administrative d’appel de Marseille a eu l’occasion d’apporter quelques précisions sur la contribution due par le bénéficiaire du raccordement au réseau de distribution d’électricité au maître d’ouvrage desdits travaux, et notamment son articulation avec certaines dispositions du Code de l’urbanisme.

Pour rappel, la maîtrise d’ouvrage des travaux à réaliser sur le réseau public de distribution d’électricité est répartie par les contrats de concession conclus entre chaque autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité (AODE) et le concessionnaire de la distribution publique d’électricité. En l’occurrence, les travaux de raccordement au réseau en cause incombaient à l’AODE, à savoir le syndicat départemental d’énergie de Corse-du-Sud, et non à son concessionnaire.

Par ailleurs, au plan financier, on rappellera également que le financement d’un branchement et d’une extension de réseau (typologies de travaux incluses dans le cadre d’une opération de raccordement) se décompose donc comme suit :

  • 40 % du coût du branchement et de l’extension est couvert par le Tarif d’utilisation du réseau public de distribution d’électricité (ci-après, TURPE) approuvé par la Commission de Régulation de l’Energie, et payé par chaque usager du service public de la distribution d’électricité ;
  • L’autre partie, soit 60 %, peut donner lieu au paiement d’une contribution prévue à l’article L. 342-6 du Code de l’énergie par les redevables mentionnés à l’article L. 342-11 du Code de l’énergie.

L’article L. 342-11 du Code de l’énergie détermine, selon les cas de figure, l’identité des redevables concernés par la contribution susvisée. Et, il résulte notamment de ces dispositions que  lorsque le raccordement au réseau s’accompagne de la délivrance d’une autorisation d’urbanisme :

  • Le pétitionnaire s’acquitte d’une portion de la contribution correspondant au branchement et à la fraction de l’extension du réseau située sur le terrain d’assiette (c’est-à-dire à la partie d’extension située sur sa parcelle) ;
  • La collectivité en charge de l’urbanisme ayant délivré l’autorisation (usuellement, la commune) s’acquitte de la partie de la contribution correspondant au coût de l’extension réalisée en dehors de la parcelle constituant le terrain d’assiette du projet d’urbanisme.

C’est sur la contribution due par le pétitionnaire au titre du branchement et de l’extension du réseau que les deux décisions ici commentées portent.

En effet, dans ces deux affaires, deux sociétés ayant bénéficié de permis de construire en vue d’édifier des maisons ainsi que des bâtiments contestaient les sommes mises à leur charge par le Syndicat départemental d’énergie de Corse-du-Sud, au titre des travaux de branchement et d’extension rendus nécessaires par le raccordement au réseau public de distribution d’électricité des bâtiments à édifier.

Dans les deux affaires, le Tribunal administratif de Bastia, saisi en première instance par les sociétés requérantes, avait rejeté par ordonnance leur recours en estimant que les moyens qu’ils contenaient étaient inopérants.

En appel, ma Cour administrative d’appel de Marseille commence par censurer les premiers juges en estimant qu’ils ne pouvaient procéder ainsi au vu de la motivation de leur ordonnance et examine ensuit les deux affaires au fond.

La juridiction écarte successivement les deux moyens soulevés par chacune des sociétés.

D’une part, les requérants soutenaient que cette contribution aurait dû être prescrite par chacun des deux permis de construire, conformément à l’article L. 332-28 du Code de l’urbanisme (disposant « Les contributions mentionnées ou prévues au 2° de l’article L. 332-6-1 et à l’article L. 332-9 dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 sont prescrites, selon le cas, par le permis de construire, le permis d’aménager, les prescriptions faites par l’autorité compétente à l’occasion d’une déclaration préalable ou l’acte approuvant un plan de remembrement. Ces actes en constituent le fait générateur. […] ») et que, faute d’avoir été prévue par les permis de construire, la contribution serait privée de fondement et ne pouvait être mise à leur charge respective.

La Cour rejette cet argument en relevant le caractère spécifique du régime de la contribution au raccordement au réseau électrique, et considère qu’« Il ne résulte en conséquence ni des dispositions de cet article [art. L. 332-28 du Code de l’urbanisme], ni d’aucun autre texte, que cette part contributive devrait être prescrite par l’autorisation d’urbanisme pour être recouvrée ». 

D’autre part, les requérants soutenaient que la contribution avait pour objet de mettre à leur charge une partie du coût des équipements publics, en plus des équipements propres aux constructions à édifier. Ils en concluaient donc que cette contribution n’était pas conforme aux dispositions de l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme en vertu duquel l’autorité délivrant l’autorisation d’urbanisme peut mettre à la charge du bénéficiaire de l’autorisation la réalisation et le financement des travaux « nécessaires à la viabilité et à l’équipement de la construction, du terrain aménagé ou du lotissement, notamment en ce qui concerne la voirie, l’alimentation en eau, gaz et électricité, les réseaux de télécommunication, l’évacuation et le traitement des eaux et matières usées, l’éclairage, les aires de stationnement, les espaces collectifs, les aires de jeux et les espaces plantés », c’est-à-dire des équipements propres.

La Cour écarte également ce moyen en relevant que la contribution au raccordement au réseau électrique spécifiquement prévue par l’article L. 342-6 du Code de l’énergie précité échappe à cette distinction entre « équipement propre » et « équipement public » : «  Cette contribution est régie par des règles spécifiques, comme le rappelle le troisième alinéa de l’article L. 332-15 du code de l’urbanisme, qui ne reposent pas sur la distinction entre les équipements propres et les équipements publics ».

Et, après avoir relevé que la contribution mise à la charge des requérants par le syndicat départemental d’énergie de Corse-du-Sud correspondait bien uniquement à la part de branchement et d’extension du réseau située à l’intérieur du terrain d’assiette, conformément à ce que prévoient les dispositions légales précitées, la Cour écarte ce second moyen et l’ensemble des deux requêtes, confirmant ainsi le bien-fondé de la position de l’AODE.

Aides à l’électrification rurale : parution de trois arrêtés

Arrêté du 13 avril 2021 instituant un barème national en application de l’article 3 du décret n° 2020-1561 du 10 décembre 2020 relatif aux aides pour l’électrification rurale 

Arrêté du 13 avril 2021 pris en application du décret n° 2020-1561 du 10 décembre 2020 relatif aux aides pour l’électrification rurale

 

Trois arrêtés du 13 avril 2021 apportent des précisions en matière d’aides à l’électrification rurale.

Comme chaque année, un arrêté (NOR : TRER2110067A) a fixé la répartition des montants d’aides pour l’année 2021. Cette répartition est la suivante :

  • Au titre du programme principal, un montant de 353,5 M€ (contre 346,72 M€ en 2020) est réparti à hauteur de :
    • 165 M€ pour le sous-programme « renforcement des réseaux » ;
    • 37 M€ pour le sous-programme « extension des réseaux » ;
    • 40 M€ pour le sous-programme « enfouissement ou pose en façade, pour des raisons d’ordre esthétique » ;
    • 97 M€ pour le sous-programme « sécurisation des fils nus » ;
    • 0,5 M€ pour le sous-programme « déclaration d’utilité publique – très haute tension » ;
    • 5 M€ pour le sous-programme « intempéries » ;
    • 0,2 M€ pour le fonctionnement du compte d’affectation spéciale (CAS).
  • Au titre du programme spécial un montant de 6,5 M€ (contre 4,8 M€ en 2020) est réparti à hauteur de :
    • 1 M€ pour le sous-programme « sites isolés » ;
    • 3 M€ pour le sous-programme « installations de proximité en zone non interconnectée » ;
    • 0,5 M€ pour le sous-programme « maîtrise de la demande de l’énergie » ;
    • 1 M€ pour le sous-programme « transition énergétique » ;
    • 1 M€ pour le sous-programme « solutions innovantes ».

Les deux autres arrêtés s’inscrivent dans le prolongement du décret n° 2020-1561 du 10 décembre 2020 relatif aux aides pour l’électrification rurale (voir notre commentaire dans la Lettre d’Actualité Energie Environnement de janvier 2021).

Le premier (NOR : TRER2110068A) vient, conformément à ce que prévoyait l’article 3 du décret précité, instaurer un barème relatif aux taux de subventionnement des travaux. En effet, l’article 3 du décret du 10 décembre 2020 posait le principe selon lequel taux de subvention devait être fixé « dans la limite de 80 % du coût hors taxe du projet », mais renvoyait à des arrêtés le soin de fixer précisément ledit taux. L’arrêté du 13 avril 2021 fixe le taux de subvention à 80%, c’est-à-dire au plafond, s’agissant des travaux  relevant des sous-programmes « renforcement », « extension », « enfouissement », « sécurisation » et « opération de production décentralisée d’électricité renouvelable en sites isolés ».

Le dernier arrêté (TRER2110066A), apporte des précisions sur le contenu des sous programmes et les modalités d’attribution des aides.

Ainsi, il confirme les catégories de sous-programmes du programme principal à savoir « renforcement des réseaux », « extension des réseaux », « enfouissement ou pose en façade, pour raison d’ordre esthétique », « sécurisation des réseaux », « enfouissement de réseaux pour les communes traversées par de nouvelles lignes aériennes à très haute tension » et « renforcement anticipé de départs de réseaux endommagés par des intempéries » (art. 1er). Les articles 3 à 8 du décret définissent ensuite successivement le contenu précis de chacune de ces catégories de travaux.

Les règles de répartition des sommes à la maille départementale entre les sous-programmes du programme principal sont détaillées en annexe II de l’arrêté. L’article 15 rappelle en outre que la réparation de ces aides s’appuie également sur les données collectées tous les deux ans auprès des autorités organisatrices d’un réseau public de distribution d’électricité bénéficiaires des aides.

Les articles 15 à 22 précisent quant à eux les modalités de présentation des demandes d’aides au titre du programme principal, en détaillant les éléments requis pour chaque sous-programme.

Le même descriptif est retenu s’agissant des aides relevant du programme spécial. Ainsi, l’article 9 du décret liste les sous programmes du programme spécial, à savoir « opération de production décentralisée d’électricité renouvelable en sites isolés », « opération de production à partir d’installations de proximité en zone non interconnectée », « maîtrise de la demande d’électricité », « opérations de transition énergétique » et « développement de solutions innovantes permettant une gestion plus efficace du réseau électrique ». Comme pour les sous-programmes du programme principal, les articles 10 à 14 définissent le contenu des travaux des sous-programmes du programme spécial. Les articles 23 à 28 décrivent le contenu des demandes d’aides présentées au titre du programme spécial, en distinguant les éléments attendus pour chaque sous-programme.

Réduction du TURPE Transport pour les sites fortement consommateurs d’électricité

Dans le prolongement de l’avis favorable rendu par la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE)  sur le projet que lui avait soumis le Gouvernement, (voir notre commentaire de la Délibération n° 2021-104 du 25 mars 2021 portant avis sur le projet de décret modifiant la partie réglementaire du code de l’énergie relative aux dispositions relatives à la réduction de tarif d’utilisation du réseau public de transport accordée aux sites fortement consommateurs d’électricité dans la Lettre d’actualité Energie et Environnement d’avril 2021), un décret du 10 avril 2021 est venu confirmer la réduction du tarif d’utilisation du réseau public de transport d’électricité (TURPE Transport) pour les sites fortement consommateurs d’électricité.

L’article L. 341-4-2 du Code de l’énergie prévoit une réduction sur les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité de tension Haute Tension B (HTB), dits TURPE HTB, pour les sites fortement consommateurs d’électricité en contrepartie des services rendus au système électrique.

Le décret du 10 avril 2021 vient modifier les critères d’éligibilité actuels, tenant notamment au caractère électro-intensif des sites, ainsi que les modalités de calcul de cette réduction, codifiées aux articles D. 341-8-1 à D.341-12-1 du Code de l’énergie.

Conformément au projet qui avait été soumis à la CRE, les modifications apportées aux dispositions réglementaires du Code de l’énergie sont les suivantes :

  • La suppression des critères d’électro-intensivité parmi les critères d’éligibilité du dispositif ;
  • La révision des modalités de calcul ainsi que des modalités d’application du taux d’abattement TURPE Transport pour les sites éligibles, avec la possibilité de les faire évoluer à chaque révision quadriennale dudit TURPE ;
  • La précision selon laquelle un site éligible ne pourra bénéficier du taux de réduction que dans la limite où le montant résiduel de TURPE Transport couvre les coûts directement imputables au site ;
  • L’assujettissement de l’ensemble des bénéficiaires du dispositif, hors sites de stockage, à l’élaboration d’un plan de performance énergétique tout en accordant un délai de mise en œuvre aux sites nouvellement assujettis ;
  • La modification des définitions d’électro-intensivité fixées aux articles D. 351-1 à D. 351-4 pour les remplacer par un seul article D. 351-1 qui retient un critère unique de consommation.

Prestations annexes réalisées a titre exclusif par les gestionnaires des réseaux de distribution d’électricité

La CRE a publié une consultation publique pour recueillir l’avis des acteurs du marché sur les orientations envisagées pour la prochaine évolution des prestations annexes réalisées à titre exclusif par les gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité, dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er août 2021.

Les parties intéressées sont invitées à répondre aux questions figurant à la fin du document de consultation publique.

 Les réponses sont attendues pour le 20 mai 2021 au plus tard.

Les évolutions proposées concernent les prestations à destination des responsables d’équilibre (RE) et les prestations à destination des particuliers, entreprises, professionnels et collectivités en créant une nouvelle prestation qui vient ajouter un cas d’injection d’un surplus de production d’électricité pour les utilisateurs raccordés au réseau basse tension (BT).

Sur cette dernière prestation, la CRE rappelle qu’un utilisateur raccordé au réseau BT ayant une installation de production d’électricité peut injecter l’électricité qu’il produit selon deux procédés, à savoir :

  • en injectant la totalité de sa production sur le réseau public de distribution au travers d’une installation et d’un compteur dédié ;
  • en consommant sa propre production et, le cas échéant, en injectant le surplus d’électricité produite sur le réseau au travers de son compteur.

Jusqu’à présent, la mise en service du raccordement d’une installation de production était facturée de la même façon que l’installation injecte en totalité ou seulement en surplus.

Depuis le second semestre 2020, la mise en service du raccordement d’une installation dans le cas d’une injection en surplus (représentant près de 95 % des mises en service des sites en injection sur le réseau BT en 2020) est simplifiée pour les utilisateurs disposant déjà d’un compteur communicant Linky.

Ainsi, jusqu’au premier semestre 2020, dans ce cas de figure, une intervention sur site d’un technicien était effectuée systématiquement afin de programmer le compteur évolué en « mode production » (mesure des flux d’injection, en plus des flux de soutirage).

Depuis le second semestre 2020, le système d’information d’Enedis permet de réaliser la programmation du compteur Linky à distance, via la téléopération.

Pour la mise en service du raccordement d’une installation de production en surplus chez un utilisateur ne disposant pas encore de compteur évolué, en revanche, Enedis continue d’envoyer un technicien pour remplacer l’ancien compteur par un compteur Linky en même temps que la mise en service.

Enedis propose dès lors de faire évoluer la prestation P100B de son catalogue de prestation relative à la mise en service du raccordement d’une installation de production, pour les utilisateurs raccordés en BT, en distinguant deux cas de la manière suivante :

  • Cas 1 : l’utilisateur choisit d’injecter son surplus de production sur le réseau (« Injection surplus ») :
    • Si l’utilisateur possède un compteur communicant Linky, l’opération est téléopérée : Enedis propose de ne pas facturer cette opération compte tenu des volumes de souscription et des coûts de facturation associés ;
    • Si l’utilisateur ne possède pas de compteur communicant Linky, Enedis remplace l’ancien compteur par un compteur communicant Linky. La mise en service est alors réalisée via la programmation du compteur communicant et la prestation n’est alors pas facturée ;
  • Cas 2 : l’utilisateur choisit d’injecter la totalité de sa production sur le réseau (« Injection totalité ») : l’intervention du technicien reste nécessaire pour la mise en service du branchement dédié à l’injection, incluant la pose d’équipements comme le coupe-circuit du branchement, et la prestation est facturée au tarif prévu dans la délibération en vigueur (soit actuellement 41,75 € HT).

La CRE consulte ainsi les acteurs afin de savoir s’ils sont favorables à l’introduction du cas d’injection du surplus de production d’électricité dans les prestations relatives à la mise en service sur le réseau BT en tant que prestation non facturée.