Le Conseil constitutionnel valide la notion de préjudice écologique réparable aux seules atteintes « non négligeables » à l’environnement

Dans le cadre du pourvoi en cassation de plusieurs associations opposées au nucléaire contre l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse du 10 février 2020 qui a refusé de reconnaître le préjudice desdites associations et, partant, la responsabilité d’EDF lors du dépassement du seuil d’émission de radioactivité de la centrale nucléaire de Golfech en 2016, la Cour de cassation a, en novembre 2020, accepté de transmettre au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le fait de savoir si l’article 1247 du Code civil, qui limite la définition du préjudice écologique à une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement » est ou non contraire aux articles 3 et 4 de la Charte de l’environnement, respectivement relatifs à la prévention par toute personne des atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement (ou, à défaut, d’en limiter les conséquences) et à la contribution par toute personne à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement (voir notre brève).

Le Conseil constitutionnel, par une décision du 5 février 2021, a déclaré l’article 1247 du Code civil conforme à la Constitution, validant ainsi la limite relative à la réparation du préjudice écologique à une certaine gravité de ce dernier, laissant alors non réparées les atteintes considérées comme négligeables à l’environnement. Les Sages ont en effet estimé que le législateur « n’a pas méconnu le principe selon lequel toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement » et que les dispositions contestées « n’ont ni pour objet ni pour effet de limiter la réparation qui peut être accordée aux personnes qui subissent un préjudice du fait d’une atteinte à l’environnement ».

Betterave et néonicotinoïdes : publication de l’arrêté d’autorisation temporaire des semences traitées

Par un arrêté du 5 février 2021, les Ministres de l’agriculture et de l’alimentation et de la transition écologique ont autorisé, pour une durée de 120 jours à compter du 7 février 2021, l’emploi de semences de betteraves sucrières contenant les substances actives imidaclopride ou thiamethoxam, des insecticides néonicotinoïdes visant à lutter contre la jaunisse causée par la présence de pucerons.

Cet arrêté a été pris en application de l’article L. 253-8 II du Code rural et la pêche maritime dans sa version issue de la loi n° 2020-1578 du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger pour les betteraves sucrières autorisant l’utilisation de ces produits jusqu’au 1er juillet 2023.

Plusieurs recours devant les Tribunaux administratifs de Lyon et de Toulouse et devant le Conseil d’Etat ont d’ores et déjà été déposés par diverses associations de défense de l’environnement, qui pointent notamment le non-respect du principe de précaution au regard des effets néfastes de ces produits sur la biodiversité et les sols.

Clause résolutoire pour impayés de loyers et coronavirus : contestation sérieuse

Un bailleur a donné à bail commercial le 23 décembre 2019 à compter rétroactivement du 17 octobre 2019 des locaux à usage de restauration italienne sur place et à emporter à une société.

Cette dernière devant réaliser des travaux dans les lieux loués, le bailleur lui a accordé une franchise de loyer.

En raison de la crise sanitaire, le preneur n’a pas pu ouvrir normalement ses portes et le bailleur a ainsi accepté de réduire de 50% le montant du loyer sur la période du 15 mars au 22 juin 2020.

La société preneuse a sollicité la poursuite des mesures de réduction de loyer, mais les négociations ont échoué.

Le bailleur a fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire le 16 juillet 2020 pour obtenir notamment le paiement du solde du loyer du troisième trimestre 2020.

Le bailleur a ensuite assigné son preneur en acquisition de clause résolutoire le 2 septembre 2020.

En défense, la société preneuse a soulevé une contestation sérieuse et opposé l’exception d’inexécution, la perte de la chose louée, la compensation de sa dette avec les loyers qu’elle a versés pour le premier trimestre 2020 et pour lesquels elle estime être créancière de son bailleur, la perte de la chose louée, le manquement du bailleur à l’obligation de bonne foi, enfin les dispositions de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 qui prohibent toute poursuite pour des loyers dus pendant la période au cours de laquelle les entreprises ont été impactées par des mesures de police administrative.

Le juge relève que l’exception d’inexécution doit être étudiée à la lumière de l’article 1104 du Code civil disposant que les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce dont il résulte pour le magistrat que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives, et ce d’autant que l’article 1195 du code civil consacrant l’imprévision est applicable au bail commercial dont s’agit.

Le juge fait observer que par ses démarches le preneur a mis en œuvre les dispositions de cet article et peut donc se prévaloir de la survenance des circonstances imprévisibles qu’il vise, le maintien de mesures de police pendant la période de réouverture à la charge des restaurant l’ayant empêchée de démarrer l’exploitation de son restaurant conformément à ses prévisions, et d’amortir ainsi le coût des lourds travaux d’aménagement du local, à charge pour le juge du fond d’en juger.

En tout état de cause, le magistrat a considéré que le preneur bénéficiait de l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, applicable à compter du 17 octobre 2020, interdisant temporairement au bailleur toute mesure ou action en lien avec le non-paiement ou le retard de paiement des loyers échus pendant la période pendant laquelle les restrictions sont en vigueur.

Or l’impayé reproché par le bailleur était relatif aux loyers du 3ème trimestre 2020 et visait donc une période pendant laquelle l’activité du preneur était affectée par une mesure de police administrative.

Le juge des référés a donc jugé que la demande en acquisition de clause résolutoire fondée sur le commandement de payer du 16 juillet 2020 était sérieusement contestable.

Il convient de préciser que le preneur a parallèlement fait opposition au commandement de payer devant le Tribunal judiciaire qui est ainsi saisi du fond du dossier.

COVID-19 : ce qu’il faut retenir des dernières évolutions

Protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19 

Décret n° 2021-88 du 29 janvier 2021 modifiant le décret n° 2020-1316 du 30 octobre 2020 modifié relatif à l’activité partielle et au dispositif d’activité partielle spécifique en cas de réduction d’activité durable

Décret n° 2021-70 du 27 janvier 2021 modifiant le décret n° 2020-810 du 29 juin 2020 portant modulation temporaire du taux horaire de l’allocation d’activité partielle

Décret n° 2021-89 du 29 janvier 2021 modifiant le décret n° 2020-810 du 29 juin 2020 portant modulation temporaire du taux horaire de l’allocation d’activité partielle et le décret n° 2020-1786 du 30 décembre 2020 relatif à la détermination des taux et modalités de calcul de l’indemnité et de l’allocation d’activité partielle

 

 

Compte tenu du contexte épidémique, le Gouvernement a pris une série de mesures ce 29 janvier 2021 en droit social dans le cadre du renforcement de son dispositif contre l’épidémie de la COVID-19.

 

Sur l’actualisation du Protocole National pour assurer la santé et sécurité des salariés

 

Une nouvelle version du Protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise a été publiée le 29 janvier 2021 afin de tenir compte du dernier avis du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) :

  • Les masques recommandés en milieu professionnel sont à présent les masques « grand public de filtration supérieure à 90% », correspondant au masque dit de « catégorie 1 » ainsi que les masques de type chirurgical. Les masques grand public de catégorie 2 ne sont plus autorisés ;
  • La distance entre deux personnes est portée à 2 mètres dans les situations spécifiques où le masque ne peut être porté.

 

Les règles relatives à la restauration collective sont en cours d’adaptation pour prendre en compte la nécessité d’une distanciation de 2 mètres en l’absence de port du masque. Un décret permettant aux salariés de déjeuner dans des lieux normalement affectés au travail, dans le respect des règles de santé et de sécurité, est annoncé pour les prochains jours.

 

Sur le rappel de l’application du télétravail par le Ministère du Travail

Le Ministère du travail a publié ce 2 février 2021 un communiqué de presse visant à rappeler l’application du dispositif du télétravail dans le cadre de la crise sanitaire.

La Ministre rappelle ainsi le principe que : « la possibilité de revenir sur le lieu de travail reste dérogatoire, dans la limite maximum d’un jour par semaine par salarié, pour les seuls salariés qui en ressentent le besoin ».

Face au constat de ce début d’année de l’augmentation des salariés en présentiel, la Ministre du travail entend favoriser le développement du télétravail en s’appuyant sur :

  • Les partenaires sociaux qui sont inviter « à relayer clairement ces règles dans l’ensemble des secteurs et à encourager leur mise en œuvre dans le cadre du dialogue social au sein de l’entreprise ».
  • L’inspection du travail avec l’annonce « d’un plan de mobilisation de l’inspection du travail sera mis en œuvre pour veiller à la bonne application de ces règles. Une instruction, renforçant le contrôle et le suivi des opérations menée fin 2020, sera adressée en ce sens aux Direccte d’ici mercredi ».

 

Sur le maintien de l’indemnisation de l’activité partielle en février 2021

Au regard de l’évolution de la crise de la sanitaire, la baisse de l’indemnisation de l’activité partielle est reportée au 1er mars 2021, tant pour le salarié que pour l’employeur. La liste des secteurs protégés ouvrant droit à une allocation majorée pour l’employeur est également complétée.

En février 2021 le taux horaire de l’allocation reste donc fixé comme suit :

– cas général : 60 % de la rémunération horaire brute antérieure limitée à 4,5 Smic (soit une allocation maximale de 4, 5 × 10,25 € × 60 % = 27,68 €) ;

– secteurs dits protégés et entreprises subissant une fermeture ou des restrictions administratives : 70 % de la rémunération horaire brute antérieure limitée à 4,5 Smic, soit une allocation maximale de 32,29 € (4, 5 × 10,25 € × 70 % = 32,29€)

– salariés vulnérables ou tenus de garder leur enfant : application du taux de 60 % ou 70 % selon le secteur d’activité de l’entreprise.

 

  • Pour les salariés, le décret 2021-88 du 29 janvier 2021 reporte au 1er mars 2021 la baisse du taux de l’indemnité horaire légale d’activité partielle.

En février 2021 le taux horaire de l’indemnité reste fixé à 70 % de la rémunération horaire antérieure brute limitée à 4,5 Smic. Le taux brut maximal est de 32,29 € (4,5 × 10,25 € × 70 % = 32,29 €) (C. trav. art. R 5122-18 actualisé par le décret 2021-88 du 29-1-2021 art. 1).

 

  • La liste des secteurs protégés remaniée

Jusqu’au 28 février 2021, le taux horaire de l’allocation d’activité partielle est fixé à 70 % pour les secteurs dits protégés (décret 2020-810 du 29-6-2020 modifié). Ces secteurs protégés comprennent :

– tous les employeurs dont l’activité principale figure à l’annexe 1 du décret 2020-810 du 29-6-2020 ;

– les employeurs dont l’activité principale figure à l’annexe 2 du décret précité et ayant subi une diminution de chiffre d’affaires d’au moins 80 % durant la période comprise entre le 15 mars et le 15 mai 2020, sous réserve, pour certains d’entre eux, de faire établir une attestation par leur expert-comptable établissant que leur entreprise remplit bien les critères relatifs au chiffre d’affaires.

 

Le décret n° 2021-70 du 27 janvier 2021 modifie les listes prévues aux annexes 1 et 2 précitées ainsi que la liste des activités impliquant de faire établir une attestation de perte de chiffres d’affaires par un expert-comptable.

Cette actualisation s’applique du 29 janvier 2021 au 28 février 2021 (Décret n° 2020-810 du 29-6-2020 modifié par décret n° 2021-89 du 29-1-2021 art. 1).

Ebauche d’un régime unitaire de la responsabilité des résidents à l’égard des établissements accueillant des personnes âgées

Cass. Civ., 3ème, 3 décembre 2020, n° 19-19.670, P+B+R+I LHT

 

Par ces deux décisions, rendues le même jour, la Cour de cassation est venue affirmer haut et fort que le régime du contrat de louage de choses (le contrat de bail) de l’article 1733 du Code civil est inapplicable au contrat de séjour conclu en application de l’article L. 342-1 du Code de l’action sociale et des familles entre un ESSMS et un usager.

Dans la première espèce, le contrat de séjour portait sur la mise à disposition de logements à des personnes retraitées avec des services annexes, alors que, dans la seconde espèce, le contrat de séjour portait sur l’accueil du résident au sein d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Dans les deux affaires portées à la connaissance de la Cour, la responsabilité du résident était recherchée par l’organisme gestionnaire de l’établissement d’accueil à la suite d’un incendie dont la cause était inconnue, sur le fondement de l’article 1733 du Code civil applicable aux contrats de bail.

Cet article organise un régime de responsabilité sans faute du locataire envers son bailleur, sauf à ce que soit rapportée la preuve d’une cause étrangère (i.e. si l’incendie trouvait sa cause dans un cas de force majeure, un vice de construction ou un incendie dans un local voisin).

L’application de ce régime propre aux contrats de bail par les juges d’appel ayant eu à connaître de ces affaires était donc particulièrement favorable aux organismes gestionnaires (deux associations), qui agissaient ici contre les assureurs de leurs résidents. 

La Cour de cassation a censuré les juges du fond en statuant que « le contrat de séjour au sens de l’article L. 311-4 du Code de l’action sociale et des familles est exclusif de la qualification de contrat de louage de chose ».

Sont ainsi ignorées les différences existantes entre les deux affaires, et notamment le fait que, dans la première, le contrat portait à titre principal sur la fourniture d’un logement en contrepartie du paiement d’un loyer avec la fourniture de services complémentaires à titre accessoire et facultatif, alors que, dans la deuxième, le contrat de séjour concernait un hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Dans la première, la qualification de contrat de bail aurait pourtant pu sembler cohérente.

La démarche de la Cour de cassation semble donc de s’orienter vers un régime unitaire de la responsabilité des résidents à l’égard d’établissements accueillant des personnes âgées et plus largement à l’égard des établissements sociaux et médicaux-sociaux, ce qui est par ailleurs confirmé par la publication large de ces deux arrêts.

Si ces arrêts constituent en ce sens une réellement avancée, l’on peut toutefois regretter que la Cour de cassation n’ait pas précisé le contenu d’un tel régime de responsabilité. En l’absence de dispositions propres au régime de responsabilité applicables dans les contrats de séjours, à l’instar de ce qui existe dans le Code civil pour le contrat de bail, il est possible de supposer que c’est un régime de responsabilité contractuelle de droit commun qui s’appliquerait.

Le principe de laïcité peut-il être imposé aux associations subventionnées ?

Au mois de septembre dernier, la Commune de Montpellier a décidé de faire signer à toutes les associations bénéficiant de subventions communales une charte de la laïcité, à l’instar de ce qu’avait prévu la Préfecture de l’Hérault, suivie par la Région et le Département. De nombreuses chartes, établies par les collectivités publiques afin de réaffirmer leur attachement au respect des valeurs républicaines, ont en effet vu récemment le jour.

Plus précisément, cette charte comprend sept articles que l’association signataire s’engage à respecter et rappelle plusieurs principes liés à la laïcité à savoir notamment l’égalité entre femmes et hommes, la liberté de conscience, le libre arbitre ou encore l’accès égal aux services et aux équipements publics.

Fin janvier, près de la moitié des associations ayant déposé une demande de subvention n’avait toujours pas signé le texte.

La question se pose de savoir s’il pourrait être reproché à une commune de priver de subvention les associations non-signataires de cette charte.

Cela ne semble pas possible sur le terrain de la légalité des subventions, ces dernières relevant du contrôle du pouvoir discrétionnaire des collectivités publiques qui peuvent ainsi imposer des conditions quant à leur octroi et leur usage. Ces collectivités sont soumises au principe de laïcité et aux dispositions de la loi de 1905 dans l’utilisation qu’elles font des deniers publics. Rien ne semble pouvoir leur interdire de demander aux bénéficiaires de ces deniers le respect des valeurs républicaines.

Cette charte semble plutôt questionner quant à l’atteinte qu’elle porte à la liberté d’association introduite par la loi du 1er juillet 1901 et reconnue comme principe constitutionnel.

C’est en ce sens que le juge des référés du Tribunal administratif de Marseille a suspendu un arrêté municipal de la Ville d’Aix-en-Provence qui conditionnait l’octroi de subventions aux associations à la signature d’une charte du respect des valeurs républicaines de laïcité, de citoyenneté et de neutralité.

Dans cette affaire, l’article 7 de l’arrêté contesté imposait aux associations d’afficher dans leurs locaux le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et d’intégrer dans leurs statuts « les principes et valeurs de la République ainsi que le principe de laïcité qui en découle ».

Le juge a en effet considéré que « le moyen tiré de l’atteinte illégale au principe de liberté des associations, principe fondamental reconnu par les lois de la République, au respect desquelles la commune d‘Aix-en-Provence entendait pourtant, par la délibération litigieuse, manifester son attachement, [était] propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la délibération contestée ».

C’est ainsi qu’il a été considéré qu’en imposant cette condition de neutralité, la ville s’ingérait illégalement dans la définition de l’objet social et les modalités de fonctionnement de l’association.

Cependant, cette décision unique du juge des référés, qui date de 2016, ne laisse pas présager de ce que le juge serait amené à considérer dans l’hypothèse où les opposants à la charte établie par la Commune de Montpellier et à sa signature viendraient à déposer un recours devant le tribunal administratif, comme certains d’entre eux l’ont déjà annoncé. En effet, à notre connaissance, aucune décision ne s’est encore prononcée au fond et le contexte entourant la rédaction de ces chartes a évolué depuis 2016. En attendant, le soin porté à la rédaction de telles chartes semble primordial afin de sécuriser juridiquement les délibérations les adoptant.

L’obligation de participation aux charges pesant sur les membres d’une Association Syndicale Libre (ASL)

Il n’est pas rare de voir des contentieux sur la qualité de membre d’une ASL. Il revient alors au juge de déterminer si un propriétaire est membre d’une ASL.

En l’espèce, une ASL a assigné un propriétaire qu’elle considérait comme l’un de ses membres en paiement de sommes à titre de charges. Ce dernier soutient alors que l’ASL a été constituée de façon irrégulière et qu’il n’est pas membre de cette dernière.

Par un arrêt rendu le 20 septembre 2018, la Cour d’appel de Papeete estime que l’ASL est valablement constituée puisque le procès-verbal du 23 juillet 1971 mentionnait l’approbation des statuts à l’unanimité. En effet, la Cour d’appel rappelle qu’il résulte de l’article 1 des statuts de l’ASL que l’association serait définitivement constituée et entrerait en activité dès qu’elle comprendrait au moins vingt membres réunis en assemblée générale.

Par ailleurs, la Cour d’appel a retenu que le procès-verbal de l’assemblée générale constitutive du 23 juillet 1971 mentionnait que les statuts étaient approuvés sans réserve et à l’unanimité et retenu que, si la feuille de présence comportant les noms de plus de vingt propriétaires présents ou représentés n’était pas annexée au procès-verbal, il était toutefois établi par le procès-verbal de l’assemblée générale tenue le 20 janvier 1972 que vingt-six personnes, nommément désignées, étaient présentes et avaient approuvé à l’unanimité le premier rapport de gestion et la nomination des nouveaux membres du syndicat.

A la suite de cette décision, le membre de l’ASL a donc formé un pourvoi en cassation.

Par un arrêt du 28 janvier 2021, la Cour de cassation confirme l’arrêt rendu par la Cour d’appel et estime que le demandeur au pourvoi était bien membre de l’ASL.

En effet, la Cour de cassation rappelle que les obligations qui dérivent de la constitution de l’association syndicale sont attachées aux immeubles compris dans le périmètre et les suivent, en quelques mains qu’ils passent, jusqu’à la dissolution de l’association.

Ensuite, elle estime qu’il était établi par les pièces versées aux débats que le demandeur au pourvoi avait acquis une propriété d’habitation qui se trouvait dans le périmètre de l’ASL et dont l’ancien propriétaire était membre de l’ASL.

Ainsi, le demandeur au pourvoi étant considéré comme un membre à part entière de l’ASL, il sera tenu au paiement des charges.

Précisions sur les conventions de servitude annexées aux statuts d’une Association Syndicale Libre (ASL)

L’arrêt de la Cour d’appel rappelle les conditions de validité d’une convention de servitude annexée aux statuts d’une ASL.

En l’espèce, une convention de servitude conclue entre deux copropriétés a été annexée aux statuts d’une ASL. Cette convention portait sur l’accès et l’usage de cinquante emplacements de parking. Or, le bénéficiaire de la servitude s’est vu interdire l’accès à ces emplacements.

Ainsi, par acte du 26 juillet 2013, le bénéficiaire de la servitude a assigné le syndicat de copropriétaire afin de lui voir ordonner la restitution immédiate de son droit de jouissance et d’usage des cinquante emplacements de parking précités, sous astreinte de 300 € par jour de retard, et condamner le même à lui payer la somme de 14.782,28 € de dommages-intérêts par emplacement de parking supprimé.

Par jugement du 2 mars 2017, le Tribunal de grande instance de Meaux a débouté le demandeur de l’intégralité de ses demandes en constatant l’inexistence de la convention de servitude. Le bénéficiaire de la servitude a alors interjeté appel de la décision.

La Cour d’appel constate que cette convention n’a pas été signée par les deux syndicats et que les emplacements de parking sont, depuis la mise en copropriété de la résidence, des lots privatifs qui ne font plus partie de la copropriété.

Au soutien de son appel, le demande conteste l’inexistence d’une telle convention et verse aux débats une convention qui aurait été annexée au statut de l’ASL. Or, la Cour d’appel constate que cette convention n’est ni datée ni signée et qu’elle n’a en réalité jamais été régularisée. Il n’existe donc aucune convention.

Dans ces conditions, la Cour d’appel rejette donc la demande du syndicat de copropriétaire au motif qu’une servitude qui n’est ni légale ni conventionnelle ne peut pas être établie unilatéralement, hors certains cas spécifiques.

Par conséquent, les conditions de validité d’une convention de servitude doivent êtres remplies, son annexion aux statuts d’une ASL n’ayant aucune force probante de validité.

Marchés de défense et de sécurité : de nouvelles précisions sur leur champ d’application

Par sa décision n° 445396 du 4 février 2020, qui sera mentionnée dans les tables du Recueil Lebon, le Conseil d’Etat apporte d’utiles précisions sur le champ d’application du régime dérogatoire propre aux marchés de défense et de sécurité.

Pour rappel, un marché de défense ou de sécurité est, aux termes de l’article L. 1113-1 du Code de la commande publique (CCP), un marché conclu par l’Etat ou l’un de ses établissements publics qui peut avoir notamment pour objet des « travaux et services destinés à la sécurité et qui font intervenir, nécessitent ou comportent des supports ou informations protégés ou classifiés dans l’intérêt de la sécurité nationale ».

L’une des particularités des marchés de défense et de sécurité est que leur passation en lots séparés n’est que facultative (cf. article L. 2313-5 du CCP), alors qu’elle est en principe obligatoire pour les marchés de droit commun (cf. article L. 2113-10 du CCP).

Sur le fondement des dispositions précitées, la direction du commissariat d’outre-mer des forces armées dans la zone sud de l’Océan indien a lancé une procédure d’appel d’offres restreint en vue de la passation d’un marché sans allotissement, d’une durée d’un an tacitement renouvelable trois fois, pour des prestations de gardiennage, d’accueil et de filtrage de trois sites militaires à la Réunion.

Candidate évincée, la Société Osiris Sécurité Run (OSR) a saisi le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de la Réunion qui, par une ordonnance du 2 octobre 2020, a annulé la procédure de passation du marché litigieux au motif que celui-ci aurait dû faire l’objet d’un allotissement.

Dans son pourvoi dirigé contre l’ordonnance précitée, la Ministre des Armées a tout d’abord soutenu que le marché serait un « contrat sensible » au sens de l’article 78 de l’instruction générale interministérielle (IGI) n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, approuvée par l’arrêté du Premier ministre du 30 novembre 2011, pris en application de l’article R. 2300-1 du Code de la défense. Cependant, le Conseil d’Etat rappelle qu’il n’y a pas lieu de déduire du caractère de « contrat sensible », à le supposer établi, que le marché en litige constituerait un marché de défense et de sécurité.

En outre, la Ministre a soutenu que le personnel de surveillance du titulaire du marché aurait accès à des informations classées « Diffusion restreinte » qui devraient être assimilées à des informations « protégées dans l’intérêt de la sécurité nationale » au sens du 4° de l’article L. 1113-1 du Code de la commande publique. Toutefois, le Conseil d’Etat refuse de suivre cette logique et juge qu’une telle circonstance n’impliquait pas nécessairement que les services prévus par le marché fassent intervenir des informations protégées dans l’intérêt de la sécurité nationale au sens des dispositions précitées. Par ailleurs, il ne résultait pas de l’instruction que les informations en cause seraient protégées au sens de ces mêmes dispositions et, d’autre part, que les installations contenant des informations protégées ou classifiées bénéficiaient d’une protection spécifique par des personnels militaires.

Ce faisant, le Conseil d’Etat s’est approprié le raisonnement énoncé en des termes clairs par la Rapporteure publique, Mirelle LE CORRE, dans ses conclusions : « Faire preuve de discrétion et ne pas divulguer une information ne suffit  pas à en faire une information protégée au sens des dispositions applicables et il convient, nous semble-t-il, d’éviter une acception trop indéfinie de la notion d’information protégée, comme le serait la notion de « Diffusion restreinte », sauf à élargir excessivement – et  illégalement – le champ des marchés de défense et de sécurité ».

Enfin, le Conseil d’Etat constate que le Juge des référés n’a pas rejeté la qualification de marché de défense et de sécurité au motif que le pouvoir adjudicateur n’aurait pas exigé la production par les candidats de l’habilitation spécifique prévue à l’article R. 2343-4 du CCP et n’a donc pas commis l’erreur de droit qui lui était reprochée par la Ministre.

Par suite, le Conseil d’Etat déduit que le marché litigieux était soumis à l’obligation de principe d’allotissement telle que prévue par le droit commun et qu’il ne pouvait donc en être exonéré que sous réserve d’entrer dans l’une des hypothèses dérogatoires prévues à l’article L. 2113-11 du CCP. Or, il se trouve qu’en l’espèce, ce n’était pas le cas. Bien au contraire, les prestations faisant l’objet du marché impliquaient une présence physique sur des implantations géographiquement distinctes, distantes de plus de 10 kilomètres les unes des autres, que la consistance de ces prestations différait en outre en fonction des sites concernés, que le précédent marché ayant le même objet avait fait l’objet d’un allotissement géographique, et, enfin, que le pouvoir adjudicateur n’invoquait aucune circonstance faisant obstacle à l’obligation d’allotissement et ne justifiait d’aucun motif justifiant qu’il soit dérogé à cette obligation.

Après avoir confirmé qu’un tel manquement à l’obligation d’allotissement était susceptible d’avoir été lésé la Société requérante, dans la mesure où l’offre de celle-ci avait été classée en troisième position et qu’elle faisait également valoir que sa proximité immédiate avec l’aéroport Roland Garros lui aurait permis de se voir attribuer un lot spécifique à l’un détachement aérien, le Conseil d’Etat conclut que la Ministre des Armées n’est pas fondée à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée et rejette son pourvoi.

Vente d’un logement social à son locataire : absence de règles de calcul uniques

Jusqu’à la loi ELAN (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique), lorsqu’un organisme HLM envisageait de céder un logement social à son locataire, il devait consulter le service des Domaines et ne pouvait s’écarter de plus de 35 % de l’évaluation faite par ce dernier, sur la base du prix d’un logement comparable libre d’occupation.

Désormais, le bailleur fixe librement le prix de vente du logement, sur la base du prix d’un logement occupé comparable et sans avoir à consulter le service des Domaines (art. L. 443-11, II et IV duC de la construction et de l’habitation).

Une réponse ministérielle vient de préciser ce point.

Dans sa réponse du 12 janvier 2021 (rép. min. n° 25480 : JOAN 12 janv. 2021, p. 336), la ministre chargée du Logement a tout d’abord précisé que le prix de vente du logement doit être fixé en fonction du « prix du marché » d’un logement occupé comparable qui, selon toute hypothèse, est inférieur au prix de vente d’un logement vacant.

Après avoir rappelé que le prix de vente est très complexe à établir en raison de l’occupation du logement et des critères « objectifs » et « subjectifs » (« exposition, vue, décoration, etc. ») à prendre en compte, la Ministre a rejeté la fixation de règles de calcul uniques.

Une telle souplesse dans la détermination du prix de vente devrait en effet permettre aux bailleurs de tenir compte des « capacités financières du locataire en place, tout en ménageant l’intérêt financier ou stratégique de l’organisme vendeur en fonction de sa situation propre ».

Un candidat évincé peut introduire plusieurs requêtes en référé précontractuel successives, jusqu’à la signature du contrat

Par une décision rendue le 8 décembre 2020, le Conseil d’État admet qu’un candidat évincé peut introduire plusieurs requêtes en référé précontractuel successives, et précise les contours de l’obligation de suspendre la signature du contrat en cas de saisine du juge des référés précontractuels jusqu’à la notification de sa décision (article L. 551-4 du Code de justice administrative).

Le Conseil d’État revient tout d’abord sur l’application des dispositions de l’article 9 de l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l’ordre administratif, aux termes duquel, « outre les cas prévus à l’article L. 522-3 du code de justice administrative, il peut être statué sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé […] ».

La décision précise que ces dispositions ne sont pas applicables aux seuls référés présentant un caractère d’urgence et relevant du titre II du livre V du code de justice administrative : le juge du référé peut donc également faire usage de cette possibilité – qui n’est pas une obligation – de statuer sans audience lorsqu’il a été saisi d’un référé précontractuel qui a été transformé en référé contractuel du fait de la signature du contrat après l’introduction de la requête. Le Conseil d’État rappelle également que le juge n’a pas à motiver son ordonnance sur ce point.

Il y a tout lieu de penser que cette interprétation est toujours d’actualité, puisque ces dispositions figurent à nouveau à l’article 3 de l’ordonnance n° 20202-1402 du 18 novembre 2020, qui a été prise en application de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire ; prorogation qui vient de faire l’objet d’un projet de loi adopté le 9 février 2021 par l’Assemblée Nationale, et dont le terme serait fixé désormais au 1er juin 2021.

S’agissant du fond de l’affaire, la société Pompes funèbres funérarium Lemarchand, candidate évincée d’une procédure d’attribution d’une concession de service public, avait introduit successivement deux référés précontractuels sur le même fondement, tous les deux rejetés par ordonnances du juge des référés du Tribunal administratif de Nantes en date des 31 janvier et 27 février 2020. La société avait introduit une troisième requête en référé précontractuel, comportant un nouveau moyen, le 2 mars 2020, avant d’être informée que le contrat avait été signé le 27 février 2020, jour du rejet de sa deuxième requête. Elle a alors introduit des conclusions complémentaires tendant à l’annulation du contrat pour non-respect du délai prévu par l’article L. 551-4 du Code de justice administrative, sur le fondement cette fois-ci des articles L. 551-13 et L. 551-18 du Code de justice administrative, applicables au référé contractuel.

Le juge du référé contractuel du Tribunal administratif de Nantes a rejeté ces conclusions, en relevant « qu’en admettant que la commune de Challans ait méconnu le délai pendant lequel elle ne devait pas signer le contrat, cette méconnaissance n’avait pas privé la société de son droit de saisir le juge du référé précontractuel d’une troisième requête invoquant un nouveau manquement dès lors qu’elle avait déjà pu présenter deux référés précontractuel rejetés au fond ».

Le Conseil d’État censure toutefois cette solution et considère « qu’en statuant ainsi, alors que la circonstance que la société évincée avait déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels elle aurait pu soulever le manquement dont elle se prévalait, ne faisait pas obstacle à ce qu’elle forme un nouveau référé précontractuel tant que le délai de suspension de la signature du contrat n’était pas expiré, l’auteur de l’ordonnance attaquée a commis une erreur de droit ».

Ce faisant, il transpose ce qu’il avait déjà récemment retenu en matière de référé-suspension (CE, 29 juin 2020, SCI Eaux douces, req. n° 435502), au motif que (i) rien n’interdit une action répétée devant le juge des référés, (ii) les décisions du juge des référés ne sont pas revêtues de l’autorité de chose jugée (CE, 6 mars 2009, Société Biomérieux, req. n° 324064 en matière de référé précontractuel) et (iii) le juge des référés peut toujours rejeter une requête manifestement mal fondée (article L. 522-3 du code de justice administrative), voire infliger au requérant une amende pour recours abusif (conclusions du Rapporteur public M. Marc Pichon de Vendeuil).

Toutefois, le Conseil d’État rejette finalement la requête, en jugeant que la commune de Challans n’avait pas méconnu son obligation de suspendre la signature du contrat jusqu’à la notification de la décision juridictionnelle, puisqu’elle avait été informée du sens de l’ordonnance du 27 février 2020 par son avocat. C’est donc une interprétation pragmatique, comme l’y invitait le Rapporteur public, qui est ici retenue : la Commune pouvait bien signer le contrat alors même qu’elle n’avait pas encore directement reçu notification du rejet de la requête de la candidate évincée.

Panneaux photovoltaïques et réglementation de l’insertion paysagère par le PLU

Interrogé par le député à l’occasion d’une question écrite, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a eu l’occasion de rappeler dans quelles conditions les dispositions du PLU réglementant l’aspect extérieur et l’insertion paysagère des constructions sont opposables à la pose de panneaux photovoltaïques. 

Ainsi, en applications des articles L.111-16 et R. 111-23 du Code de l’urbanisme, les « matériaux renouvelables ou de matériaux ou procédés de construction permettant d’éviter l’émission de gaz à effet de serre, à l’installation de dispositifs favorisant la retenue des eaux pluviales ou la production d’énergie renouvelable » en ce compris les panneaux photovoltaïques, ne peuvent se voir opposer les dispositions du PLU relatives à l’aspect extérieur des constructions.

Toutefois, le Ministre rappelle que cette absence d’opposabilité est tempérée par deux mécanismes :

D’une part, l’autorisation d’urbanisme pourra comporter des prescriptions « destinées à assurer la bonne intégration architecturale du projet dans le bâti existant et dans le milieu environnant » (L. 111-16 du Code de l’urbanisme) sous réserve, comme pour toutes prescriptions, et ainsi que le rappelle le Ministre, des modifications nécessitant la présentation d’un nouveau projet.

D’autre part, l’article L. 111-17 du même Code prévoit que les dispositions de l’article L. 111-16 du même Code ne sont pas applicables :

  • Aux abords des monuments historiques, dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable, dans un site inscrit ou classés, en cœur d’un parc national, sur un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques ou protégé par le PLU ;
  • Et dans les périmètres délimités, après avis de l’architecte des Bâtiments de France, par une délibération de l’autorité compétente en matière de PLU, motivée par la protection du patrimoine bâti ou non bâti, des paysages ou des perspectives monumentales et urbaines.

Le devoir de conseil du maitre d’œuvre face aux règlementations nouvelles

Problématique récurrente, l’étendue du devoir de conseil du maître d’œuvre vis-à-vis du maître d’ouvrage, ici une commune, a récemment fait l’objet de nouvelles précisions.

Après avoir rappelé le principe ancien qui veut que la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre peut être recherchée pour manquement à son devoir de conseil lorsque celui-ci s’est abstenu d’attirer l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont il pouvait avoir eu connaissance en cours de chantier, le Conseil d’Etat retient que :

« Par suite, la cour administrative d’appel de Douai, dont l’arrêt est suffisamment motivé, après avoir souverainement estimé, par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, que M. A… s‘était abstenu de signaler au maître de l’ouvrage le contenu de nouvelles normes acoustiques et leur nécessaire impact sur le projet, et de l’alerter de la non-conformité de la salle polyvalente à ces normes lors des opérations de réception alors qu’il en avait eu connaissance en cours de chantier, n’a pas commis d’erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en jugeant que sa responsabilité pour défaut de conseil était engagée ».

Ainsi, la responsabilité du maître d’œuvre est retenue dès lors qu’il n’a pas signalé au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur, moins de deux mois après le début des travaux et donc bien avant leur achèvement, de nouvelles normes acoustiques ayant un impact sur le projet de construction de sa « salle polyvalente à vocation principalement festive ».

La juridiction a principalement suivi les conclusions du rapporteur public qui rappelait que l’étendue du devoir de conseil ne devait pas être limitée aux seules circonstances directement susceptibles de rendre l’ouvrage impropre à sa destination et que le maître d’œuvre se devait de conseiller le maître d’ouvrage au regard des circonstances de droit et de fait susceptibles d’intervenir jusqu’à la réception de l’ouvrage.

Pour autant, la responsabilité du maître d’œuvre n’est ici que partielle.

Le maître d’ouvrage se voit imputer une part de responsabilité à hauteur de 20 % en raison de la faute commise dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle puisqu’il était censé connaître la nouvelle réglementation en question qui avait fait l’objet d’une large publicité auprès des collectivités.

Néanmoins, cette faute n’était pas suffisante pour exonérer totalement le maître d’œuvre qui ne saurait, de ce simple fait, être dispensé de son obligation de conseil, d’autant plus qu’il ne pouvait être fait au maître d’ouvrage aucun reproche concernant l’estimation de ses besoins ou la conception du marché.

Modalités d’interruption du délai de garantie décennale en référé expertise : de l’utilité de la demande de mise en cause des assureurs es qualité, quand bien même leur présence aux opérations a d’ores et déjà été ordonnée

Dans un récent arrêt du 4 février 2021, le Conseil d’Etat apporte des précisions importantes sur les modalités d’interruption du délai de la garantie décennale à l’égard des assureurs des constructeurs dans le cadre des référés expertise.

Dans cette affaire, une Communauté de communes avait sollicité la désignation d’un expert judiciaire aux fins de déterminer l’origine, l’étendue et l’imputabilité des désordres survenus sur la toiture terrasse de la médiathèque intercommunale, au contradictoire notamment de son assureur dommages ouvrage, la SMABTP.

Saisi par la SMABTP dans le délai de deux mois suivant la première réunion d’expertise d’une demande tendant à la mise en cause des assureurs des constructeurs, le juge des référés du Tribunal administratif de Besançon a néanmoins rejeté la demande.

La Cour administrative d’appel avait quant à elle également considéré qu’il y avait lieu de rejeter la demande de mise en cause des assureurs des constructeurs dès lors que la demande introduite par la Communauté de Communes avait interrompu la prescription à l’égard des constructeurs, effet interruptif dont profitait son assureur dommages-ouvrage.

Le Conseil d’Etat, saisi du pourvoi dirigé contre la décision de la Cour, rappelle sa jurisprudence désormais constante aux termes de laquelle la citation en justice, au fond ou en référé, ne vaut interruption de prescription « qu’à la double condition d’émaner de celui qui a la qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait » (voir en ce sens CE, 20 novembre 2020, n° 482678).

La Haute Juridiction saisit toutefois ici l’occasion de compléter sa jurisprudence en précisant les implications de cette solution à l’égard des assureurs.

Ainsi, et c’est là nous semble-t-il le premier apport de cet arrêt, le Conseil d’Etat pose le principe, d’ores et déjà acquis devant le juge civil, selon lequel l’assureur dommages-ouvrage bénéficie de l’effet interruptif de prescription de la demande du maître d’ouvrage assuré dès lors qu’il est susceptible d’être subrogé dans ses droits en application de l’article L. 121-12 du Code des assurances.

Le Conseil d’Etat précise ensuite, et la solution s’infère ici de la solution dégagée dans sa décision du 20 novembre 2020 précitée, que l’effet interruptif de prescription ne saurait jouer à l’égard de l’assureur d’un constructeur que sous réserve qu’il ait été lui-même visé par la demande en justice : « lorsqu’une demande est dirigée contre un constructeur, la prescription n’est pas interrompue à l’égard de son assureur s’il n’a pas été également cité en justice ».

Il n’est cependant pas rare que les constructeurs, intervenants à une même opération, aient souscrit des assurances de garantie décennale auprès des mêmes organismes. Il serait dès lors tentant de considérer que dès lors qu’une compagnie d’assurance a été mise en cause, l’interruption du délai de prescription à son égard vaut pour l’ensemble de ses assurés concernés par les désordres.

Or, le deuxième apport de cet arrêt réside précisément dans la définition par la Haute Juridiction des conditions dans lesquelles le délai de prescription peut être regardé comme valablement interrompu à l’égard de l’assureur d’un constructeur.

Ainsi le Conseil d’Etat juge que « lorsqu’une demande est dirigée contre un assureur au titre de la garantie décennale souscrite par un constructeur, la prescription n’est interrompue qu’à la condition que cette demande précise en quelle qualité il est mis en cause », imposant par suite au demandeur de viser « l’identité du constructeur qu’il assure ».

Le troisième apport de la décision commentée réside enfin dans l’appréciation de l’utilité de la demande de mise en cause d’une partie d’ores et déjà appelée à la procédure d’expertise.

Le Conseil d’Etat saisit à cet égard l’occasion de préciser que « n’a pas d’effet interruptif de la prescription au profit d’une partie la circonstance que les opérations d’expertise ont déjà été étendues à cet assureur par le juge, d’office ou à la demande d’une autre partie ».

L’on sait par ailleurs que la demande formée par l’une des parties à la procédure d’expertise dans les deux mois suivant la première réunion d’expertise et tendant à étendre la mission de l’expert à de nouvelles parties, est subordonnée à la démonstration de son caractère utile, lequel doit être apprécié «  d’une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d’autres moyens et, d’autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l’intérêt que la mesure présente dans la perspective d’un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher ». (voir par exemple CE, 14 février 2017, n° 401514).

En l’espèce, la Haute juridiction, faisant application des principes ci-dessus énoncés, censure pour erreur de droit l’ordonnance du juge d’appel qui avait rejeté les demandes formées par l’assureur dommages ouvrage de la Communauté de Communes tendant à la mise en cause, à son profit, des assureurs des constructeurs concernés, qui, quoique d’ores et déjà présents aux opérations d’expertise, n’avaient cependant pas été appelés par le maître d’ouvrage en cette qualité.

Le Conseil d’Etat considère en effet ici que « les conclusions de la SMABTP […] conservent une utilité, dans la perspective d’un litige éventuel, dès lors que la commune n’avait pas demandé la mise en cause de la société Axa France Iard en sa qualité d’assureur de ces trois constructeurs, si bien que, ainsi qu’il a été dit au point 4, la prescription n’était pas interrompue au bénéfice de la SMABTP, la circonstance que la société Axa France Iard avait été spontanément mise en cause à l’expertise par le tribunal étant sans incidence ».

Il en résulte que l’utilité de la demande tendant à l’extension de la mission de l’expert à de nouvelles parties peut, quand bien même les parties seraient d’ores et déjà présentes aux opérations d’expertise, être motivée par l’intérêt qu’elle présente pour la partie qui présente cette demande au regard de l’effet interruptif de prescription de la garantie décennale.

Si cette décision nous semble devoir inviter les maîtres d’ouvrages demandeur à la mesure d’expertise, à systématiquement mettre en cause, non seulement les constructeurs susceptibles d’être concernés mais encore les compagnies d’assurance « ès qualités » d’assureur en garantie décennale d’un constructeur nommément désigné, elle nous semble encore devoir appeler le maître d’ouvrage à régulariser, dans le cadre des expertises judiciaires d’ores et déjà en cours, l’interruption des délais à l’égard des assureurs dont la présence aux opérations ne résulterait pas d’une demande qu’il aurait lui-même formulée, et ce en particulier lorsque le délai de garantie décennale est sur le point d’expirer.

Indemnisation des congés payés non pris des agents contractuels, vers une pleine effectivité du droit de l’Union européenne

Cela fait bientôt vingt ans que le droit de l’Union Européenne a posé le principe d’un droit au report de congés payés non pris, à l’égard de l’ensemble des salariés des Etats membres, peu important leur qualité d’agent public.

Celui-ci figure à l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

Pour son application, la Cour de Justice de l’Union Européenne a par ailleurs relevé, dès l’année 2009 dans une décision Schultz Hoff[1], qu’aucune disposition nationale ne pouvait exclure l’indemnisation d’une période de congé payé non pris à raison d’un congé de maladie.

Puis, la Cour est venue préciser, s’agissant de cette indemnisation, que le motif de la cessation de travail n’importait pas, et qu’une telle indemnité devait être versée alors même que la relation de travail avait pris fin du propre souhait du salarié[2].

Enfin, la Cour définit précisément les modalités d’informations incombant à l’employeur public ou privé, lequel doit s’assurer que le salarié soit en mesure de prendre ses congés, et doit l’informer de manière précise et en temps utile « pour garantir que lesdits congés soient encore propres à garantir à l’intéressé le repos et la détente auxquels ils sont censés contribuer, de ce que, s’il ne prend pas ceux-ci, ils seront perdus à la fin de la période de référence ou d’une période de report autorisée »[3].

Pourtant, en droit français, le décret n° 88-145 du 15 février 1988 pris pour l’application de l’article 136 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale prévoit, au second alinéa de son article 5, un droit à indemnité compensatrice de congés payés non pris, dans le seul cas du licenciement n’intervenant pas à titre disciplinaire.

Les dispositions de cet article, inchangées depuis 2016, n’excluent pas selon le Conseil d’Etat l’indemnisation de congés non pris pour cause de maladie[4]. Néanmoins, dans le dernier état de sa jurisprudence, le Conseil d’Etat considère toujours qu’il s’agit de dispositions d’ordre public empêchant l’administration de conclure avec leurs agents des conventions plus favorables[5].

Toutefois, cette position pourrait être amenée à changer, dès lors que par un jugement du 8 octobre 2020, le Tribunal administratif de Strasbourg a précisément jugé que les dispositions de l’article 5 précitées étaient incompatibles avec le droit de l’Union Européenne en ce qu’elles limitaient le versement de l’indemnité compensatrice de congés payés aux seuls cas de licenciement ou de fin d’un contrat de travail à durée déterminée, empêchant ce faisant l’agent contractuel démissionnaire de bénéficier d’une telle indemnité.

Il conviendra donc de rester vigilant lors de l’information donnée aux agents contractuels désireux de présenter leur démission, dans l’attente d’un possible revirement de la position du Conseil d’Etat, voire, enfin, une modification du décret du 15 février 1988 sur ce point.

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[1] CJCE, 20 janvier 2009 Schultz Hoff, affaires C-350/06 et C-520/06

[2] CJUE, 20 juillet 2016, Hans Maschek/Magistratsdirektion der Stadt Wien.

[3] CJUE, 6 novembre 2018, Sebastian W. Kreuziger contre Land Berlin, aff. C-619-16.

[4] CE, 26 avril 2017, Avis, Monsieur C, req n° 406009

[5] CE, 30 janvier 2019, Monsieur A, req° 409954, au recueil

La question de la compatibilité de l’obligation de discrétion avec la liberté d’expression posée au Conseil d’Etat

Dans une décision en date du 18 janvier 2021, n° 438275, le Conseil d’Etat saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a été amené à apprécier la constitutionnalité de l’obligation de discrétion des fonctionnaires telle que prévue par l’article 26 de la loi du 13 juillet 1983, eu égard au principe de liberté d’expression. 

En effet, dans le cadre d’une affaire relative à l’appréciation de sa valeur professionnelle et plus précisément d’un recours en annulation à l’encontre d’une évaluation professionnelle et de la majoration d’ancienneté d’un mois dont elle était assortie, un agent a soulevé lors de son recours en cassation une question prioritaire constitutionnalité portant sur l’article 26 de la loi du 13 juillet 1983 imposant une obligation de discrétion aux fonctionnaires.

Le requérant soutenait que cette obligation méconnaissait les exigences de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en ce qu’il interdit aux fonctionnaires de divulguer, sans l’accord de leur supérieur hiérarchique, tout fait, information et document dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions, sans faire de distinction quant à la nature des éléments divulgués, quant à l’objectif de leur diffusion, et quant aux conséquences de cette divulgation.

Après avoir rappelé les termes de l’article 26 de la loi du 13 juillet 1983, le Conseil d’Etat a examiné les garanties prévues par la loi et la jurisprudence qui permettent selon lui le respect de la liberté d’expression des fonctionnaires.

D’une part, la Haute juridiction a relevé que l’article 26 prévoit la possibilité pour un fonctionnaire d’être délié de son obligation de discrétion professionnelle par décision de l’autorité hiérarchique dont il dépend, seule compétente pour prendre les mesures nécessaires au respect par les agents, dans leurs relations avec les médias, de cette obligation de discrétion.

D’autre part, le Conseil d’Etat a rappelé qu’il appartient à l’autorité administrative, lorsqu’elle entend prendre en compte, au titre de l’appréciation de la valeur professionnelle ou d’une procédure disciplinaire, le comportement de l’agent au regard de l’obligation de discrétion professionnelle, de tenir compte, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, notamment, de la nature des éléments divulgués, de l’objectif et des modalités de leur diffusion ainsi que des conséquences de cette divulgation.

Autrement posé, la distinction sur la nature des éléments ou leur objectif est selon le juge déjà pris en considération par l’administration lors de l’application de l’article 26.

Pour le Conseil d’Etat, ces éléments sont de nature à garantir, pour les besoins de l’application de l’article 26 de la loi du 13 juillet 1983, la nécessaire conciliation entre, d’une part, les exigences du service public et, d’autre part, le respect de la liberté d’expression et de communication. Par conséquent, le Conseil d’Etat a considéré que la question ne présentait pas un caractère sérieux et a refusé de la transmettre au Conseil constitutionnel.

Marchés publics de travaux – Caractère obligatoire de la transmission au maître d’œuvre des mémoires en réclamation en cas de résiliation à la demande du titulaire

Par un arrêt en date du 3 février 2021, le Conseil d’Etat apporte deux précisions importantes quant à la question de la portée de l’article 50.1.1 du CCAG Travaux qui prévoit qu’en cas de différend entre le titulaire du marché public et le maître d’œuvre, le titulaire doit adresser une copie de son mémoire en réclamation au maître d’œuvre.

Le litige objet de l’arrêt concernait le refus d’un maître d’ouvrage de prononcer la résiliation d’un marché public de travaux à la suite de la demande du titulaire formulée sur le fondement de l’article 46.2.1 du CCAG travaux, pour notification tardive de l’ordre de service de démarrage des prestations, et l’indemnisation sollicitée par le titulaire du fait de ce refus.

S’agissant de l’indemnité réclamée, la Cour administrative d’appel de Marseille avait écarté la fin de non-recevoir soulevée par le maître d’ouvrage tirée de l’absence de transmission par le titulaire d’une copie de son mémoire en réclamation au maître d’œuvre, considérant que celle-ci ne saurait être regardée comme substantielle et de nature, en conséquence, à affecter la recevabilité de sa réclamation, dès lors que l’article 46.2.1 du CCAG ne prévoit pas une telle transmission (on notera– ce qui n’a pas été repris par le Conseil d’Etat – que la CAA fondait également son raisonnement sur le fait que la maîtrise d’œuvre était assurée par un service du maître d’ouvrage).

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la CAA pour erreur de droit, rappelant au contraire que « les stipulations de l’article 46.2.1 ne sauraient avoir pour effet de dispenser le titulaire de respecter la formalité prévue par les stipulations de l’article 50.1.1 du CCAG lorsqu’il transmet au maître d’ouvrage une réclamation en application de ces dernières stipulations, quand bien même il aurait préalablement demandé la résiliation du marché pour ordre de service tardif ».

Il en résulte, d’une part, que le titulaire d’un marché public de travaux demandant sa résiliation pour ordre de service tardif et formulant une réclamation doit bien adresser une copie de son mémoire au maître d’œuvre.

Surtout, le Conseil d’Etat, semble retenir, d’autre part, que la formalité de transmission de la copie du mémoire au maître d’œuvre prévue par l’article 50.1.1 du CCAG Travaux constitue une fin de non-recevoir, ce qui confirmerait l’unique jurisprudence connue à ce jour sur cette question (Contrats et Marchés publics n° 11, Novembre 2019, comm. 339).

L’interprétation définitive sera connue une fois que la Cour administrative de Marseille vers laquelle l’affaire est renvoyée sera à nouveau prononcée.

Passation d’un marché de substitution et résiliation du marché de fournitures en cas de défaillance du titulaire

Par un arrêt en date du 18 décembre 2020, le Conseil d’Etat a étendu aux marchés de fournitures sa jurisprudence relative aux marchés de substitution pour des prestations de travaux, et précisé les conséquences d’une éventuelle résiliation du marché conclu avec le titulaire initial.

Une chambre de commerce et d’industrie (CCI) avait conclu avec une société un marché pour la fourniture et la mise en service d’une grue. A la réception de la grue, intervenue avec retard, celle-ci ne fonctionnait pas. Cette situation a perduré malgré des mises en demeure. La CCI a alors informé le titulaire de sa décision de faire exécuter le marché à ses frais et risques, un premier marché ayant été conclu avec une société tierce pour une mission d’expertise technique de la grue puis un second pour des travaux de remise en état de fonctionnement. Ces marchés n’ayant pas permis la remise en service de la grue, la CCI a résilié pour faute le marché conclu avec le titulaire initial et a saisi le juge administratif aux fins d’obtenir la résolution du marché initial et l’indemnisation des préjudices nés de la mauvaise exécution des marchés (marchés de substitution compris). La condamnation du titulaire du marché initial ayant été aggravée en appel, il s’est pourvu en cassation.

D’une part, s’agissant des marchés de substitution, le Conseil d’Etat étend aux fournitures sa jurisprudence relative aux marchés de travaux (CE, Ass., 9 novembre 2016, Société Fosmax, n° 388806, publié au Recueil Lebon), en jugeant que le pouvoir détenu par l’acheteur public de conclure des marchés de substitution avec des entreprises tierces aux frais et risques du cocontractant, après mise en demeure préalable de réaliser les prestations conformément aux stipulations contractuelles, résulte des règles générales applicables aux contrats administratifs et présente le caractère d’une règle d’ordre public. Ce pouvoir ne saurait être conditionné par des clauses contractuelles ou une résiliation préalable.

Si la passation des marchés de substitution peut ne porter que sur une partie du contrat initial, le Conseil d’Etat précise toutefois qu’elle suppose l’inertie, les manquements ou la mauvaise foi du cocontractant, ce dont on peut déduire qu’un manquement isolé ne la justifie pas.

Par ailleurs, la Haute juridiction rappelle que si le titulaire initial peut contester la conclusion des marchés de substitution et suivre les opérations exécutées par les titulaires de ces marchés, sans cependant préciser les modalités ou l’étendue de cette faculté, celui-ci ne peut se libérer de la charge des marchés même s’ils n’ont pas permis la réalisation des prestations attendues. Plus encore, le titulaire initial doit réparer l’intégralité du préjudice subi par l’administration, lié aux frais exposés pour le marché initial et les marchés de substitution, si les défaillances graves du titulaire ont fait échec à la réalisation de l’objet du marché initial.

D’autre part, en ce qui concerne la résiliation, le Conseil d’Etat reconnaît implicitement le caractère d’ordre public du pouvoir de résiliation aux torts exclusifs du titulaire du marché en cas de faute grave. Ce pouvoir existe donc en l’absence de clauses contractuelles le prévoyant, ou en présence de clauses contractuelles quelles que soient les hypothèses dans lesquelles il est prévu qu’il s’exerce.

En outre, il est précisé que la circonstance que des pénalités de retard ont été prononcées ne fait pas obstacle à la résiliation, les pénalités ne pouvant dès lors porter que sur la période antérieure à celle-ci.

En l’espèce, le Conseil d’Etat, qui connait en cassation de la qualification de faute grave (« faute d’une gravité suffisante »), juge que la livraison tardive de la grue défectueuse constitue une faute d’une gravité suffisante justifiant la conclusion des marchés de substitution et la résiliation aux torts exclusifs du titulaire du marché. Les sommes mises à sa charge par la Cour administrative d’appel sont ainsi justifiées.

Open data : le Garde des Sceaux a trois mois pour fixer la date à compter de laquelle les décisions de justice sont mises à la disposition du public

Par une décision en date du 21 janvier 2021, le Conseil d’Etat a donné trois mois au Garde des Sceaux pour fixer la date à compter de laquelle les décisions de justice sont mises à la disposition du public.

Pour rappel, les articles 20 et 21 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique ont modifié l’article L. 10 du Code de justice administrative et inséré un article L. 111-13 dans le Code de l’organisation judiciaire pour poser le principe d’une mise à disposition du public, à titre gratuit et dans le respect de la vie privée des personnes concernées, des décisions rendues par les juridictions administratives et judiciaires.

Ces dispositions ont par la suite été modifiées par l’article 33 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice afin de préciser les obligations en matière d’occultation. Celle-ci concerne ainsi, d’une part, les noms et prénoms des personnes physiques lorsqu’elles sont parties ou tiers, d’autre part, lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe. La loi a enfin posé le principe de l’interdiction de réutiliser les données d’identité des magistrats et des membres du greffe pour évaluer, analyser, comparer ou prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées.

Le 29 juin 2020, un décret a été pris pour l’application des articles L. 10 du Code de justice administrative et L. 111-13 du Code de l’organisation judiciaire dans leur nouvelle rédaction. L’article 9 de ce décret renvoie toutefois à un arrêté du Garde des sceaux le soin de fixer « pour chacun des ordres judiciaire et administratif et le cas échéant par niveau d’instance et par type de contentieux, la date à compter de laquelle les décisions de justice sont mises à la disposition du public ».

En décembre 2018, l’Association « Ouvre boîte », dont l’objet est de promouvoir l’accès et la publication effective des documents conformément aux textes en vigueur, avait saisi le Premier ministre d’une demande tendant à ce que soient publiés les décrets d’application attendus depuis 2016, et contesté le rejet implicite de cette demande devant le juge administratif.

Dans sa décision du 21 janvier 2021, le Conseil d’Etat a estimé que, si la requête avait perdu son objet en tant qu’elle était dirigée contre le refus du Premier ministre de prendre un décret d’application des dispositions législatives en cause, lequel était finalement intervenu en cours d’instance (v. en ce sens : CE, 27 juillet 2005, Association Bretagne Ateliers, n° 261694), elle conservait un objet en tant qu’elle était dirigée contre le refus du Garde des sceaux de fixer, par arrêté, le calendrier d’entrée en vigueur de ces dispositions.

Il a ensuite rappelé sa jurisprudence relative à l’obligation faite au pouvoir réglementaire d’assurer l’application de la loi, en vertu de l’article 21 de la Constitution, aux termes de laquelle :

« L’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, hors le cas où le respect d’engagements internationaux de la France y ferait obstacle. Lorsqu’un décret pris pour l’application d’une loi renvoie lui-même à un arrêté la détermination de certaines mesures nécessaires à cette application, cet arrêté doit également intervenir dans un délai raisonnable » (v. déjà en ce sens : CE, 28 juillet 2000, Association France nature environnement, n° 204024 ; CE, 29 juin 2011, Société Cryo-Save France, n° 343188).

Ainsi, lorsqu’il est saisi de la contestation du refus de prendre les mesures réglementaires d’application, et y compris lorsque l’administration fait état des difficultés rencontrées dans l’élaboration des textes litigieux, le juge administratif peut, en cas d’expiration du délai raisonnable, faire usage de ses pouvoirs d’injonction et d’astreinte afin d’accélérer la parution des textes nécessaires à la bonne exécution de la loi (CE, 27 juillet 2005, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires, n° 270327).

La Haute juridiction a, en outre, introduit une nouveauté en ce qui concerne la date à laquelle il se place pour apprécier la légalité du refus d’une autorité administrative d’édicter les mesures nécessaires à l’application d’une disposition législative.

En effet, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, la légalité s’apprécie en principe à la date de la décision attaquée. Néanmoins, le Conseil d’Etat a ici précisé que, afin de préserver l’effet utile de l’annulation du refus du pouvoir réglementaire de prendre les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, qui réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu des dispositions de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative, pour le pouvoir réglementaire, de prendre ces mesures, il y a lieu pour le juge de l’excès de pouvoir d’apprécier la légalité d’un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. Cela lui permet, en d’autres termes, pour évaluer le caractère raisonnable ou non du délai dont dispose le pouvoir réglementaire, de tenir compte du délai écoulé non jusqu’à la date du refus de prendre les mesures réglementaires adéquates, mais jusqu’à sa décision.

En l’espèce, le Conseil d’Etat a estimé que le délai raisonnable dont disposait le Garde des Sceaux pour prendre l’arrêté prévu par le décret du 29 juin 2020 était expiré.

Plus précisément, il a indiqué que, s’il n’était pas contesté que la mise à disposition du public des décisions de justice constitue une opération d’une grande complexité pouvant nécessiter des dispositions transitoires, toutefois, le Garde des Sceaux ne pouvait, sans méconnaître ses obligations, s’abstenir de fixer le calendrier d’entrée en vigueur des dispositions dudit décret dans un délai raisonnable, plus de 20 mois après la loi du 23 mars 2019 et plus de six mois après la publication du décret du 29 juin 2020 à la date de sa décision, pour l’application des dispositions législatives relatives à la mise à disposition du public des décisions de justice.

Un délai de trois mois a été donné au Garde des Sceaux pour prendre l’arrêté prévu par le décret du 29 juin 2020.

Lutte contre l’habitat indigne, le temps du décret

Dans notre lettre d’actualité n° 113 d’octobre 2020, nous avions détaillé le contenu de l’ordonnance n° 2020-1144 du 16 septembre 2020 relative à l’harmonisation et à la simplification des polices des immeubles, locaux et installations.

Cette ordonnance prise sur le fondement de l’article 198 de la loi ELAN avait pour objectif d’harmoniser et simplifier les procédures administratives, de répondre plus rapidement à l’urgence spécifique à ce domaine, de préciser les pouvoirs du maire, et de favoriser l’organisation au niveau intercommunal des outils et moyens de lutte contre l’habitat indigne.

Afin de répondre à ces objectifs l’ordonnance a créé une police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations, en remplacement des procédures de police administrative spéciale existantes auparavant, tant dans le Code de la construction et de l’habitation que dans le Code de la santé publique.

L’objet de cette nouvelle police est défini au nouvel article L. 511-2 du Code de la construction et de l’habitation (ci-après, CCH). Il s’agit de protéger la sécurité et la santé des personnes en remédiant aux situations suivantes : 

1°) les risques présentés par les murs, bâtiments ou édifices quelconques, qui n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité des occupants et des tiers ; 

2°) le fonctionnement défectueux ou le défaut d’entretien des équipements communs d’un immeuble collectif à usage principal d’habitation, lorsqu’il est de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ou à compromettre gravement leurs conditions d’habitation ou d’utilisation ; 

3°) l’entreposage dans un local attenant ou compris dans un immeuble collectif à usage principal d’habitation de matières explosives ou inflammables, lorsqu’il est en infraction avec les règles de sécurité applicables ou de nature à créer des risques sérieux pour la sécurité des occupants ou des tiers ; 

4°) l’insalubrité.

 

Comme nous l’indiquions, cette ordonnance devait être complétée par un décret d’application.

C’est désormais chose faite, le décret ayant été publié le 27 décembre 2020 sous le numéro 2020-1711.

Ce décret a notamment pour objet de préciser les modalités de mise en œuvre de la nouvelle police et plus particulièrement les règles relatives au respect du principe du contradictoire ainsi que celles relatives aux délais donnant injonction de faire les travaux.

En outre, comme préciser dans sa présentation, ce décret a également pour objet de d’opérer « un toilettage de dispositions règlementaires devenues caduques du fait de l’harmonisation des procédures de police administrative spéciale utilisées en matière de lutte contre l’habitat indigne ».

Ce « toilettage » étant particulièrement fastidieux nous aborderons les principaux points à savoir la définition des éléments communs (I) et les règles relatives à la procédure contradictoire (II)

 

I – La définition des éléments communs

Comme l’indique l’alinéa 2 du nouvel article L. 511-2 du CCH cette nouvelle police a pour objet de traiter « le fonctionnement défectueux ou le défaut d’entretien des équipements communs d’un immeuble collectif à usage principal d’habitation. »

La notion d’équipements communs a été précisée par le décret du 27 décembre 2020 ainsi :

« constituent des équipements communs :

« 1° Les installations et conduits de ventilation et de désenfumage des circulations communes ;

« 2° Les installations de ventilation mécanique contrôlée ;

« 3° Les installations et appareils d’éclairage et d’éclairage de sécurité des escaliers, couloirs, corridors et circulations communes ;

« 4° Les installations de production et de distribution d’eau chaude et d’eau froide, ainsi que les systèmes de sécurité des installations de production d’eau chaude ;

« 5° Les installations et conduits de production et de distribution de chauffage collectif, ainsi que leurs systèmes de sécurité ;

« 6° Les installations, canalisations et réseaux divers d’alimentation en énergie (gaz et électricité) ainsi que les canalisations et réseaux divers d’évacuation (eaux usées, eaux pluviales) ;

« 7° Les systèmes de sécurité contre l’incendie, ainsi que les équipements et installations de protection et de lutte contre l’incendie ;

« 8° Les installations de stockage des hydrocarbures liquéfiés ;

« 9° Les ascenseurs ».

Si cette liste reprend peu ou prou celle de l’ancien article R. 129-1 du CCH, désormais abrogé, il y a lieu de noter que les quelques rajouts portent essentiellement sur l’intégration dans cette définition des systèmes de sécurité des éléments lesquels n’étaient pas évoqué précédemment.

L’objectif de sécurité est ainsi renforcé.

A noter également que « les canalisations et réseaux divers d’évacuation (eaux usées, eaux pluviales) » ne rentraient précédemment pas dans la notion d’équipement commun au sens de cette police, alors que par principe ces éléments jouent très souvent un rôle important dans l’apparition des désordres structurels.

Ainsi, lorsque l’un de ces éléments se révèle être défectueux et susceptible de créer un risque pour la sécurité des occupants mais également à des tiers, ou est plus simplement susceptible de nuire aux conditions d’habitation et d’occupation, le maire peut prendre un arrêté enjoignant le propriétaire de procéder à la suppression du risque.

 

II – Sur les règles relatives à la procédure contradictoire

Cette police étant par nature susceptible d’interférer sur la gestion d’un bien privé, les principales règles relatives au respect du principe du contradictoire qui imposent au pouvoir compétent de laisser le propriétaire prendre connaissance des mesure envisagées, demeurent pour la plupart identiques.

Cependant, il y a lieu de préciser qu’en matière d’insalubrité, l’autorité compétente, préalablement à la prise d’un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, doit informer les personnes concernées des motifs qui la conduisent à envisager de mettre en œuvre la police de la sécurité et de la salubrité des immeubles et des mesures qu’elle compte prendre.

Cette information peut se faire par la remise ou la mise à disposition du rapport motivé du directeur général de l’ARS, du directeur du SCHS, des services municipaux ou intercommunaux compétents ou de l’expert désigné.

L’article R. 511-3 issu du décret, énonce que les personnes concernées, disposent alors d’un délai d’un mois minimum pour présenter leurs observations, l’autorité ayant la possibilité s’il elle l’estime envisageable d’accorder un délai plus long.

En revanche, ce délai est réduit à 15 jours et ne peut être rallongé, dans l’hypothèse ou la mise ne place de la procédure envisagée par l’autorité compétente concerne des locaux listés à l’article L. 1331-23 du Code de la santé publique, à savoir ceux non destinés normalement à l’habitation tels « les caves, sous-sols, combles, pièces dont la hauteur sous plafond est insuffisante, pièces de vie dépourvues d’ouverture sur l’extérieur ou dépourvues d’éclairement naturel suffisant ou de configuration exiguë, et autres locaux par nature impropres à l’habitation, et des locaux utilisés dans des conditions qui conduisent manifestement à leur sur-occupation ».

Pour ce type de locaux non destinés normalement à l’habitation, mais dont il est malheureusement fréquent qu’ils soient occupés, les délais de prévenance sont donc raccourcis en raison des risques pour la sécurité des occupants qui sont propres à ces locaux.

Lorsque l’autorité compétente envisage la prise d’un arrêté fondé sur la nouvelle police sur les parties communes d’un immeuble en copropriété le décret énonce des délais spécifiques.

En effet, le nouvel article R. 511-10 du CCH dispose que le délai dont dispose le syndic représentant le syndicat des copropriétaires pour présenter des observations ne peut être inférieur à deux mois, au lieu d’un mois pour toute autre situation.

Par ailleurs et afin d’éviter l’utilisation de moyens dilatoires visant à retarder le constat de la défaillance de la copropriété dans l’exécution de l’arrêté, le nouvel article R. 511-11 du CCH dispose que sont réputés défaillants les copropriétaires qui, après avoir été mis en demeure par le syndic d’engager les démarches permettant de mettre fin à la situation, n’ont pas répondu ou n’ont répondu que partiellement aux appels de fonds destinés à financer les travaux prescrits dans le délai de quinze jours à compter de la sommation de payer.

Il s’agit là d’un point important visant à éviter des situations d’enlisement fréquemment rencontrées lorsque l’autorité compétente se voyait systématiquement répliquer que les appels de fonds nécessaires à la réalisation de travaux étaient en cours. Désormais, l’absence de retour satisfaisant dans les délais impartis suffit à démontrer la carence de la copropriété et permet à l’autorité de se substituer dans de très brefs délais aux copropriétaires défaillants ou à la copropriété défaillante dans son ensemble.

Telles sont les principales mesures édictées par ce décret sachant que, par ailleurs, si les nouvelles règles issues de l’ordonnance du 16 septembre 2020 et de ce décret sont entrées en vigueur le 1er janvier 2021, elles ne sont toutefois applicables qu’aux arrêtés notifiés à compter de cette date. En revanche, si une procédure a débuté avant le 1er janvier 2021 sur le fondement des textes antérieurement en vigueur, et en l’absence de notification d’un arrêté, la procédure doit se poursuivre désormais selon les règles applicables à compter à compter du 1er janvier 2021.

Cette coexistence possible de deux réglementations alors qu’une procédure a été initiée sans qu’un arrêté ait été pris risque bien évidemment d’aboutir à de nombreux contentieux dans un domaine qui se veut, certes, désormais simplifié, mais qui demeure toujours sensible au regard des enjeux qui sont la sécurité des biens et des personnes et le respect de la propriété privée.

Par Cyril Croix