le 11/02/2021

Open data : le Garde des Sceaux a trois mois pour fixer la date à compter de laquelle les décisions de justice sont mises à la disposition du public

CE, 21 janvier 2021, Association « Ouvre-boîte », n° 429956

Par une décision en date du 21 janvier 2021, le Conseil d’Etat a donné trois mois au Garde des Sceaux pour fixer la date à compter de laquelle les décisions de justice sont mises à la disposition du public.

Pour rappel, les articles 20 et 21 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique ont modifié l’article L. 10 du Code de justice administrative et inséré un article L. 111-13 dans le Code de l’organisation judiciaire pour poser le principe d’une mise à disposition du public, à titre gratuit et dans le respect de la vie privée des personnes concernées, des décisions rendues par les juridictions administratives et judiciaires.

Ces dispositions ont par la suite été modifiées par l’article 33 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice afin de préciser les obligations en matière d’occultation. Celle-ci concerne ainsi, d’une part, les noms et prénoms des personnes physiques lorsqu’elles sont parties ou tiers, d’autre part, lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe. La loi a enfin posé le principe de l’interdiction de réutiliser les données d’identité des magistrats et des membres du greffe pour évaluer, analyser, comparer ou prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées.

Le 29 juin 2020, un décret a été pris pour l’application des articles L. 10 du Code de justice administrative et L. 111-13 du Code de l’organisation judiciaire dans leur nouvelle rédaction. L’article 9 de ce décret renvoie toutefois à un arrêté du Garde des sceaux le soin de fixer « pour chacun des ordres judiciaire et administratif et le cas échéant par niveau d’instance et par type de contentieux, la date à compter de laquelle les décisions de justice sont mises à la disposition du public ».

En décembre 2018, l’Association « Ouvre boîte », dont l’objet est de promouvoir l’accès et la publication effective des documents conformément aux textes en vigueur, avait saisi le Premier ministre d’une demande tendant à ce que soient publiés les décrets d’application attendus depuis 2016, et contesté le rejet implicite de cette demande devant le juge administratif.

Dans sa décision du 21 janvier 2021, le Conseil d’Etat a estimé que, si la requête avait perdu son objet en tant qu’elle était dirigée contre le refus du Premier ministre de prendre un décret d’application des dispositions législatives en cause, lequel était finalement intervenu en cours d’instance (v. en ce sens : CE, 27 juillet 2005, Association Bretagne Ateliers, n° 261694), elle conservait un objet en tant qu’elle était dirigée contre le refus du Garde des sceaux de fixer, par arrêté, le calendrier d’entrée en vigueur de ces dispositions.

Il a ensuite rappelé sa jurisprudence relative à l’obligation faite au pouvoir réglementaire d’assurer l’application de la loi, en vertu de l’article 21 de la Constitution, aux termes de laquelle :

« L’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, hors le cas où le respect d’engagements internationaux de la France y ferait obstacle. Lorsqu’un décret pris pour l’application d’une loi renvoie lui-même à un arrêté la détermination de certaines mesures nécessaires à cette application, cet arrêté doit également intervenir dans un délai raisonnable » (v. déjà en ce sens : CE, 28 juillet 2000, Association France nature environnement, n° 204024 ; CE, 29 juin 2011, Société Cryo-Save France, n° 343188).

Ainsi, lorsqu’il est saisi de la contestation du refus de prendre les mesures réglementaires d’application, et y compris lorsque l’administration fait état des difficultés rencontrées dans l’élaboration des textes litigieux, le juge administratif peut, en cas d’expiration du délai raisonnable, faire usage de ses pouvoirs d’injonction et d’astreinte afin d’accélérer la parution des textes nécessaires à la bonne exécution de la loi (CE, 27 juillet 2005, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires, n° 270327).

La Haute juridiction a, en outre, introduit une nouveauté en ce qui concerne la date à laquelle il se place pour apprécier la légalité du refus d’une autorité administrative d’édicter les mesures nécessaires à l’application d’une disposition législative.

En effet, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, la légalité s’apprécie en principe à la date de la décision attaquée. Néanmoins, le Conseil d’Etat a ici précisé que, afin de préserver l’effet utile de l’annulation du refus du pouvoir réglementaire de prendre les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, qui réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu des dispositions de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative, pour le pouvoir réglementaire, de prendre ces mesures, il y a lieu pour le juge de l’excès de pouvoir d’apprécier la légalité d’un tel refus au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. Cela lui permet, en d’autres termes, pour évaluer le caractère raisonnable ou non du délai dont dispose le pouvoir réglementaire, de tenir compte du délai écoulé non jusqu’à la date du refus de prendre les mesures réglementaires adéquates, mais jusqu’à sa décision.

En l’espèce, le Conseil d’Etat a estimé que le délai raisonnable dont disposait le Garde des Sceaux pour prendre l’arrêté prévu par le décret du 29 juin 2020 était expiré.

Plus précisément, il a indiqué que, s’il n’était pas contesté que la mise à disposition du public des décisions de justice constitue une opération d’une grande complexité pouvant nécessiter des dispositions transitoires, toutefois, le Garde des Sceaux ne pouvait, sans méconnaître ses obligations, s’abstenir de fixer le calendrier d’entrée en vigueur des dispositions dudit décret dans un délai raisonnable, plus de 20 mois après la loi du 23 mars 2019 et plus de six mois après la publication du décret du 29 juin 2020 à la date de sa décision, pour l’application des dispositions législatives relatives à la mise à disposition du public des décisions de justice.

Un délai de trois mois a été donné au Garde des Sceaux pour prendre l’arrêté prévu par le décret du 29 juin 2020.