Economie sociale et solidaire
le 13/04/2023
Audrey LEFEVRE
Sara BEN ABDELADHIM
Esther DOULAIN
Donya BURGUET

Actualités de l’Economie Sociale et Solidaire : bilan annuel des dernières décisions et actualités marquantes

L’heure du focus annuel de la Lettre d’actualités juridiques consacré aux dernières actualités de l’ESS est arrivée. Dans la droite ligne de la Lettre d’actualités juridiques numéro #128 parue en janvier 2022, nous avons tenu, tout d’abord, à revenir sur les suites de la loi Séparatisme et de la mise en œuvre du contrat d’engagement républicain afin d’évoquer les premières décisions rendues dans un contexte particulièrement tendu pour les associations et les fondations. Seront également successivement abordées diverses actualités en lien avec l’ESS :

  • Les actions en concurrence déloyale et parasitisme entre associations avec un retour sur l’arrêt « SPA contre Manif pour Tous » ;
  • Des actualités relatives à la vie des associations (sur les garanties procédurales entourant l’exclusion d’un membre d’une association et sur la responsabilité des dirigeants) ;
  • Des actualités en matière de financement ;
  • Des actualités en matière de protection des données et de conformité au RGPD.

Très engagé aux côtés de tous les acteurs de l’ESS, SEBAN AVOCATS, dont l’ADN est l’intérêt général, accompagne ces derniers dans toutes leurs problématiques de droit privé, public et pénal. Bonne lecture.

L’équipe du pôle ESS : Audrey LEFEVRE, Sara BEN ABDELADHIM, Esther DOULAIN, Donya BURGUET

 

1. Loi Séparatisme, l’heure du bilan : le renforcement croissant du contrôle des associations

La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite loi « Séparatisme » a considérablement renforcé le contrôle des associations et des fondations avec l’instauration du contrat d’engagement républicain (« CER ») (1.1) et l’évolution des motifs pouvant justifier la dissolution d’une association (1.2).

1.1. Mise en œuvre du contrat d’engagement républicain

Plus d’un an après l’entrée en vigueur de la loi Séparatisme[1], un premier bilan de la mise en œuvre du contrat d’engagement républicain (« CER ») que doivent signer les associations et les fondations pour bénéficier d’une subvention peut être effectué.

Le contrôle des associations s’en est trouvé considérablement renforcé, tant au niveau de leurs actions que de leurs financements. Au point de susciter des craintes grandissantes parmi les acteurs du monde associatif. Annoncé comme un outil de lutte contre le séparatisme (rappelons que le but du CER tel qu’énoncé dans l’exposé des motifs de la loi était de combler l’insuffisance de l’arsenal juridique « face à l’islamisme radical, face à tous les séparatismes »), il fait l’objet de vives critiques, les acteurs du monde associatif voyant surtout dans ce dispositif un outil permettant aux pouvoirs publics de limiter la liberté d’expression et d’interpellation d’associations et leur capacité à faire vivre le débat, bien au-delà du seul sujet du communautarisme. Le contenu de ce « contrat » (précisé par le décret d’application n° 2021-1947 du 31 décembre 2021) est par ailleurs remis en cause dans sa rédaction sujette à interprétations, et donc source d’une insécurité juridique et financière forte pour les associations et pour leurs partenaires, à commencer par les collectivités[2].

Aux termes de ce « contrat », les associations et les fondations doivent notamment s’engager à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République, et à s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public. Le décret d’application susvisé est par ailleurs venu préciser les sept engagements du CER :

  • le respect des lois de la République ;
  • la liberté de conscience ;
  • la liberté des membres de l’association ;
  • l’égalité et la non-discrimination ;
  • la fraternité et la prévention de la violence ;
  • le respect de la dignité de la personne humaine ;
  • le respect des symboles de la République.

Si l’autorité qui subventionne considère que l’un de ces principes et/ou engagements n’a pas été respecté, elle peut retirer la subvention de l’association ou de la fondation et lui demander le remboursement des sommes déjà versées.

L’article 5 du décret d’application a par ailleurs prévu des dispositions au sujet de la responsabilité des associations et des fondations en cas de non-respect du CER, l’association ou la fondation ayant l’obligation de veiller à ce que ses dirigeants, ses salariés, ses membres et ses bénévoles respectent le CER souscrit. Aux termes de cette loi, l’association ou la fondation est responsable des manquements au CER commis par les différentes catégories de personnes susvisées. Sur cette question de la responsabilité, nous avons déjà eu l’occasion de faire part de nos interrogations quant au régime de responsabilité applicable en cas de non-respect d’un des « engagements » susvisés (Cf. notre brève « L’ESS à l’épreuve du contrat d’engagement républicain : la question de la responsabilité des associations et des fondations » dans la LAJ#128 du 20 janvier 2022).

Depuis l’entrée en vigueur de la loi, plusieurs associations ont déjà été sanctionnées pour non-respect de leur CER par les autorités subventionneuses. Peu de décisions ont en revanche été rendues par les juges pour l’instant.

Le Tribunal administratif de Dijon (TA Dijon, ord. réf., 4 mars 2022, n° 2200610), suivi du Conseil d’Etat (CE, 10 mars 2022, req. n° 462140) ont été amenés, pour la première fois (et unique fois à notre connaissance) à statuer sur l’interprétation des termes du CER par une autorité subventionneuse au sujet du respect du caractère laïque de la République et du principe d’égalité par l’Association Planning familial de Saône-et-Loire.

Absence de manquement au contrat d’engagement républicain par l’association Planning familial de Saône-et-Loire.

Dans cette affaire, le Planning familial de Saône-et-Loire avait été autorisé par le Maire de la ville de Chalon-sur-Saône à installer un stand sur la place de l’hôtel de ville dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes afin d’informer et sensibiliser le public sur le thème de l’égalité femmes-hommes. Dans ce cadre, la Ville avait mis gratuitement à disposition de l’association du matériel, ce qui constitue une subvention en nature.

L’affiche (ou visuel) établie par l’association et utilisée pour annoncer la manifestation faisait apparaitre six femmes dessinées, dont l’une d’elles portait un voile.

Le Maire de Chalon-sur-Saône a retiré son autorisation au motif que l’association aurait méconnu le CER. Le Maire considérait en effet que « la ville de Chalon-sur-Saône n’a pas vocation, conformément au contrat d’engagement républicain qui régit désormais les relations avec les associations, de donner de quelconques moyens de propager une idéologie contrevenant [aux] principes [républicains] » accusant l’association de prosélytisme et de promouvoir le communautarisme.

Le Planning familial a alors saisi le juge administratif d’un référé-liberté. Le juge, après avoir analysé l’affiche, a suspendu la décision de retrait et ordonné au Maire d’assurer l’exécution de sa décision initiale.

Les juges des référés du Conseil d’Etat, en appel, ont confirmé la décision du Tribunal administratif de Dijon considérant que le Planning familial n’avait pas manqué au CER. Selon les juges, « la seule circonstance que l’une de ces silhouettes, qui n’apparaît pas particulièrement visible parmi les autres, porte un voile, lui-même discret au sein du visuel et ne recouvrant pas le visage, une autre des silhouettes portant un turban africain ou d’autres ne portant pas de couvre-chef, ne saurait à l’évidence, compte tenu de la composition du visuel et de l’objectif d’universalisme qu’elle affiche ainsi clairement, être regardée comme traduisant une quelconque forme de prosélytisme religieux, de promotion, ou même d’approbation du port d’un tel voile ».

Ils ont ainsi considéré que la Ville n’était pas fondée à soutenir que l’association aurait porté une quelconque atteinte au principe de la laïcité et d’égalité de tous devant la loi par l’utilisation de cette affiche, reflétant au contraire selon eux la volonté de l’association de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes indifféremment auprès de l’ensemble des femmes, y compris celles portant le voile et nonobstant donc les convictions que ce port, qui par ailleurs n’est pas prohibé dans l’espace public, peut révéler.

Cette décision a ainsi permis de rappeler que les engagements souscrits au titre du CER ne devaient pas faire obstacle à l’exercice, par les associations et les fondations, de la liberté d’expression et de communication qui leur est garantie par la Constitution.

Cette affaire a exacerbé la crainte exprimée par les acteurs du monde associatif que le CER puisse être détourné de sa finalité première, laissant finalement entre les mains des juges, lorsqu’ils sont saisis (et toutes les associations n’ont pas les moyens de se lancer dans une telle procédure), le rôle fondamental de garantir le respect des libertés fondamentales.

Les juges administratifs vont prochainement devoir se prononcer dans une autre affaire, l’affaire « Alternatiba », dont l’issue est elle aussi très attendue.

L’affaire « Alternatiba » : un cas emblématique de la liberté d’association à l’épreuve du contrat d’engagement républicain

Alternatiba Poitiers est une association qui œuvre pour le climat et la justice sociale, cherchant notamment à sensibiliser le public sur le dérèglement climatique en cours au moyen d’actions citoyennes sur l’ensemble du territoire.

Pour soutenir ses actions, l’association a bénéficié de subventions de la part de la mairie de Poitiers (10.000 €) et de la communauté urbaine du Grand Poitiers (5.000 €) affectées à l’organisation de l’événement « Le Village des alternatives » prévu les 17 et 18 septembre 2022. Au cours de cet événement était prévu un atelier intitulé « formation à la désobéissance civile ».

Le Préfet du département de la Vienne a estimé que cet atelier portait atteinte au CER signé par l’association. Il a alors demandé à la mairie de Poitiers et à la communauté urbaine du Grand Poitiers le retrait des subventions versées.

Refusant de faire droit à la demande du Préfet de la Vienne, la mairie de Poitiers et la communauté urbaine du Grand Poitiers ont renouvelé leur soutien financier à l’association. Le Préfet s’est alors tourné vers la justice administrative.

Par deux déférés préfectoraux en date du 28 octobre 2022, le Préfet de la Vienne a demandé au Tribunal administratif de Poitiers d’annuler les décisions de la commune et de la communauté d’agglomération et de prononcer le retrait de la subvention accordée à l’association Alternatiba Poitiers.

La notion de désobéissance n’apparait pas dans le cadre du CER prévu par la loi Séparatisme et son décret d’application. C’est donc par une interprétation des engagements figurant au sein du CER que le Préfet de la Vienne a pu considérer que la désobéissance civile porterait atteinte aux valeurs et principes de la République.

Si le Tribunal administratif de Poitiers ne s’est pas encore prononcé, sa décision pourrait entraîner des conséquences importantes pour les associations, notamment celle de devoir éventuellement choisir entre subvention et désobéissance civile.

Ces dispositions, qui accroissent le contrôle de l’activité et du financement des associations et fondations par les pouvoirs publics financeurs suscitent de vives inquiétudes dans le monde associatif et plus largement chez tous les acteurs du secteur non lucratif, dans un contexte particulièrement tendu où des associations pourtant historiquement reconnues, telle la Ligue des Droits de l’Homme, voient le maintien de leur subvention menacé (s’agissant de la LDH, du fait de la présence d’observateurs pour documenter le maintien de l’ordre lors des manifestations de Sainte-Soline du 25 mars dernier contre les mégabassines). Cet épisode récent fait écho à une tendance plus générale nécessitant une vigilance accrue afin de veiller au fragile « équilibre entre préservation des libertés associatives et nécessité de régulation et de transparence »[3].

1.2. Les cas de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait

La loi Séparatisme a modifié les motifs pouvant justifier la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait prévus à l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure.

Le Gouvernement peut désormais dissoudre une association ou un groupement de fait en cas d’incitation « […] à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens » (1°). Cette rédaction est plus large que la rédaction antérieure du 1° qui prévoyait qu’une association ou un groupement de fait est dissout s’ils « provoquent à des manifestations armées dans la rue ».

Ce sont ces dispositions dont se saisira sans doute le conseil des ministres pour concrétiser l’annonce de la décision du Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, au sujet de la dissolution du collectif Les Soulèvements de la Terre, dans le cadre des manifestations de Sainte-Soline du 25 mars dernier. Cette décision, qui doit faire l’objet d’un décret en conseil des ministres, était attendue le 12 avril (à l’heure où nous publions cet article nous n’avons eu information de l’adoption de ce décret) ou mercredi prochain (le 19 avril).

Par une ordonnance en date du 16 mai 2022[4], le Conseil d’Etat a été amené à préciser la portée de ces nouvelles dispositions sur le fondement desquelles le groupement d’extrême gauche lyonnais « Groupe Antifasciste Lyon et Environs » a été dissout par un décret du Ministre de l’Intérieur. Des appels à la violence ainsi que des débordements lors de manifestations lui étaient reprochés.

Le Conseil d’Etat a suspendu la dissolution de ce groupement, considérant que « les éléments retenus contre le groupement, pris tant isolément que dans leur ensemble, ne justifient pas sa dissolution au regard du code de la sécurité intérieure ». Les juges ont estimé qu’il n’était pas « démontré que les actions violentes » commises lors de manifestations « soient liées aux activités » du groupe. Ils ont par ailleurs observé « que les publications du groupement sur ses réseaux sociaux ne peuvent être regardées à elles seules comme une légitimation du recours à la violence » et en a déduit qu’il ne pouvait être, s’agissant de ce groupement de fait, considéré « que le groupement ait appelé à commettre des actions violentes » (Cf. à ce sujet notre brève « Associations et Loi Séparatisme : suspension de la dissolution du Groupe Antifasciste Lyon et Environs » dans la LAJ# 133 de juin 2022).

La loi Séparatisme a également modifié le motif visé au 3° de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure relatif aux atteintes à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du Gouvernement avec des dispositions qui désormais ne concernent pas uniquement l’objet de l’association ou du groupement de fait mais également son action.

A noter que la loi permet par ailleurs la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait lorsque ses membres « provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée » (6° de l’article susvisé).

C’est ainsi qu’un décret pris le 1er février 2023[5] est venu illustrer un nouveau cas de dissolution d’association au visa de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure, plus précisément des nouveaux 1° et 6° dudit article ainsi que de son 7° relatif aux agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger. Il s’agissait d’une association qui relayait des messages antirépublicains et radicaux invitant à la révolte et qui propageait une idéologie antisémite et homophobe mais également des discours d’apologie du terrorisme. Le décret s’est fondé sur l’ensemble des publications internet de l’association et a procédé à une analyse de chacune de ses déclarations pour considérer qu’il y avait lieu de prononcer sa dissolution.

 

2. Concurrence déloyale et parasitisme entre associations : retour sur l’arrêt « SPA contre Manif pour Tous »

Cass. Com., 16 février 2022, n°20-13.542 :

Les associations sont de plus en plus confrontées au droit de la concurrence déloyale, généralement définie comme un abus des pratiques commerciales d’un opérateur économique envers ses concurrents, contraire aux usages loyaux du commerce.

Dans la majorité des cas, le litige oppose l’association à une société commerciale, en tant qu’auteur ou victime de la concurrence déloyale. Mais il se peut parfois que la situation de concurrence déloyale ou de parasitisme oppose deux associations entre elles[6].

En 2022, la Cour de cassation a eu l’occasion de statuer sur de telles pratiques, alors même que les deux associations en cause ne poursuivaient aucune finalité économique et défendaient des intérêts différents.

Dans cet arrêt en date du 16 février 2022, la Cour de cassation a rappelé que « l’action en parasitisme, fondée sur l’article 1382, devenu 1240, du code civil, qui implique l’existence d’une faute commise par une personne au préjudice d’une autre, peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique ou l’activité des parties, dès lors que l’auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements ».

L’affaire opposait l’association Société protectrice des animaux (SPA), association reconnue d’utilité publique dont l’objet social est la protection des animaux, à l’association La Manif pour tous (LMPT) qui a pour objet la coordination d’actions de promotion du mariage homme-femme, de la famille, de la parenté et de l’adoption, et à une fondation agissant au profit des personnes atteintes de maladies génétiques.

La SPA était à l’origine d’une campagne nationale pour dénoncer la torture faite aux animaux dans le cadre de l’abattage, de l’expérimentation animale et de la corrida. L’association LMPT avait diffusé sur son site internet des « visuels » reprenant les codes et certains éléments de cette campagne, pour dénoncer la procréation médicalement assistée (PMA) sans père et la gestation pour autrui (GPA). La fondation avait également repris des éléments de cette campagne nationale sur son site internet, pour dénoncer l’avortement « tardif » et l’euthanasie.

Considérant que ces faits étaient constitutifs de parasitisme, qui est l’une des formes de la concurrence déloyale avec le dénigrement et la désorganisation, la SPA avait assigné les deux autres sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil, aux fins d’indemnisation du préjudice en résultant. Après une condamnation en première instance et en appel, l’association LMPT et la fondation ont formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation a d’abord constaté que la SPA « dont la notoriété est établie auprès du public français qui la place en troisième position des associations caritatives les plus connues », avait justifié d’investissements publicitaires pour une opération de communication dénonçant la maltraitance animale, qui a été relayée dans les médias nationaux, tandis que l’association LMPT et la fondation avaient détourné ces affiches sur leurs sites internet respectifs, pour traiter des causes qui leurs sont propres, quelques jours seulement après le lancement de la campagne nationale de la SPA.

La Cour a considéré que ces détournements caractérisaient des actes de parasitisme, peu important que les campagnes menées par chacune des associations poursuivaient des finalités politiques et militantes différentes – protection des animaux pour l’une, opposition à la PMA et à la GPA pour l’autre.

L’arrêt relève par ailleurs que le détournement des affiches, par lequel « l’association LMPT affirmait que ce qui touche la personne humaine est plus grave et plus important que la maltraitance animale », faisait perdre en clarté et en efficacité la campagne de la SPA, « qui a été en partie brouillée en ce qu’elle s’est trouvée associée à des organisations et à des causes qui lui sont étrangères voire antagonistes, et qu’elle a été aussi affaiblie en ce que sa cause est présentée comme moins importante ».

La Cour de cassation a ainsi donné raison à la SPA, en considérant que se rend coupable de concurrence déloyale quiconque « se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements ». La Cour en profite pour rappeler ici que l’action en parasitisme « peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique où l’activité des parties », incluant ainsi les organismes à but non lucratif telles que les associations ou les fondations.

Cet arrêt illustre bien le fait que les juges français apprécient la concurrence déloyale et le parasitisme indépendamment de toute finalité économique ou de toute situation de concurrence entre les parties, la poursuite d’une activité politique ou militante nécessitant aussi des investissements économiques, ce que nous relevions déjà dans une précédente brève.

Les associations devront donc être particulièrement vigilantes à ne pas se retrouver dans une situation où elles profiteraient indûment des efforts, du savoir-faire, de la notoriété ou des investissements d’une autre association, quand bien même leurs objets et leurs finalités respectives seraient radicalement différentes.

 

3. Vie des associations

3.1. Garanties procédurales entourant l’exclusion d’un membre d’une association

Cass. Civ., 3e, 11 janvier 2023, n° 21-17.355

La Cour de cassation a très récemment, dans un arrêt rendu le 11 janvier 2023, rappelé que les procédures d’exclusion au sein d’associations ne sont pas exemptes de toutes garanties. En effet, tant le principe du contradictoire que le principe d’impartialité trouve à s’appliquer.

En revanche, il est, dans cette affaire, fait une application très modérée du principe d’impartialité puisque les juges ont retenu que « ne caractérise pas un manquement à l’exigence d’impartialité le seul fait, pour les membres de la formation disciplinaire d’une association, de s’être préalablement prononcés sur le bien-fondé des grief reprochés à l’adhérent poursuivi en décidant à son encontre une mesure de suspension provisoire pour ces mêmes griefs ». En effet, on sait que dans le cadre d’une procédure judiciaire, la simple apparence d’une potentielle partialité suffirait à vicier la procédure. A l’inverse, dans le cadre d’une procédure disciplinaire associative, le fait que la même personne se prononce sur une mesure provisoire puis sur une mesure d’exclusion pour les mêmes griefs ne suffit pas à entacher la procédure.

Il est intéressant de noter que la nature essentiellement contractuelle de l’association ne permettrait pas, par le truchement de stipulations statutaires, de déroger à ces garanties procédurales.

3.2. Responsabilité des dirigeants associatifs

CA Nancy, 1ère, 21 novembre 2022, n° 22/00537

Sur le volet de la responsabilité des dirigeants associatifs, on notera cette sanction anecdotique d’un trésorier démissionnaire récalcitrant, condamné à restituer l’ensemble des éléments de comptabilité de l’association conservés en sa possession, et ce sous une astreinte symbolique de 50 euros par jour de retard.

 

4. Financements

4.1. Financements publics

Règl. (UE) 2021/1057 du 24 juin 2021 instituant le Fonds social européen plus (FSE+) et abrogeant le règlement (UE) n° 1296/2013

Nous n’avions pas fait mention, dans notre précédente LAJ consacrée à l’ESS, de ce dispositif de financement européen. Nous rattrapons cet oubli, ce dispositif représentant une réelle opportunité pour les l’ensemble des structures de l’ESS.

Les entreprises de l’ESS étant fondées sur le principe de la recherche d’une utilité sociale et d’une solidarité, celles-ci se trouvent tout à fait alignées avec les priorités de la programmation 2021-2027 du Fonds social européen plus (FSE+), qui intègre en un seul instrument l’ancien Fonds social européen, l’Initiative pour l’emploi des jeunes, le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) et le Programme de l’UE pour l’emploi et l’innovation sociale (EaSI).

Ainsi, le programme national FSE+ piloté par la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) soutenu par les régions et l’Etat constituera un appui essentiel aux structures de l’ESS tant au niveau régional que national (grâce à la complémentarité de l’action des régions et de l’Etat).

De plus, et bien entendu, le FSE+ a vocation à soutenir les porteurs de projets sur l’ensemble des thématiques intéressant l’ESS (inclusion professionnelle et sociale, insertion des jeunes, renforcement des compétences, aide matérielle, etc.).

4.2. Mécénat et secret des affaires

Publication du Baromètre du mécénat d’entreprise en France, Admical, 2022

CADA, avis n° 20216119, 16 déc. 2021

TA Paris, 22 avr. 2022, n° 2019033/6-1

Depuis 2010, les chiffres du mécénat d’entreprise ne cessent de monter, passant de 984 millions € en 2010 à 2 298 millions €. Parallèlement, le nombre d’entreprises a été multiplié par 3,8 depuis 2010.

On comprend de ces chiffres, publiés par l’Admical, que la stratégie de mécénat des entreprises entre désormais de plus en plus dans la stratégie globale de développement des entreprises.

Pour autant, tant la CADA que le juge administratif ont estimé récemment que les conventions de mécénat ne sont pas qualifiables de secret des affaires et constituent en conséquence des documents administratifs communicables au sens des articles L. 300-1 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

En effet, les documents détenus par les personnes soumises à l’obligation de communication des documents administratifs ont la possibilité de refuser cette communication s’agissant des documents revêtant des informations révélant des secrets d’affaires.

En l’espèce, dans l’affaire portée devant le Tribunal administratif de Paris, la fondation de coopération scientifique Paris Sciences et Lettres avait été confrontée à cette question face à une demande de communication d’une convention de mécénat conclue avec la société Foncia Groupe. Estimant que la convention comme relevant du secret des affaires, elle l’avait communiquée en occultant les informations relatives au montant total du don de Foncia Groupe et à sa répartition annuelle entre 2019 et 2023.

Les juges ont censuré cette décision, considérant que de telles informations ne pouvaient relever du régime du secret des affaires, en raison de l’absence de toute valeur commerciale, condition de qualification du secret des affaires au sens de l’article L. 151-1 du Code de commerce.

La CADA n’avait pas dit autre chose, en 2021, lorsqu’elle a relevé que « si les opérations de mécénat peuvent constituer, pour le mécène, un élément de communication et contribuer à sa stratégie de notoriété, elles consistent en premier lieu à faire un don, en numéraire ou en nature, sans attendre en retour de contrepartie équivalente. Régies par une ʺintention libéraleʺ, elles ne revêtent donc pas le caractère d’une opération commerciale et ne peuvent être regardées comme participant d’une telle stratégie. La commission note également que le montant des dons opérés ne relève pas du secret des informations économiques et financières, lequel couvre les renseignements relatifs à la situation économique d’une société, à sa santé financière et à l’état de son crédit, ce qui inclut l’ensemble des informations de nature à révéler le niveau d’activité ».

Ces deux décisions sont ainsi l’occasion pour la CADA et le juge administratif de rappeler que le mécénat est et doit rester un soutien apporté à une œuvre ou un organisme d’intérêt général, sans contrepartie, ce qui l’exclut de facto de la stratégie commerciale des entreprises.

4.3. Levée de fonds citoyenne

Afin d’illustrer ce moyen de financement, nous évoquerons ici l’initiative lancée par le réseau de coopératives Les Licoornes.

Ce réseau rassemble 9 SCIC qui se sont rassemblées en 2021 afin de renforcer la coopération entre ces acteurs majeurs de l’Economie Sociale et Solidaire pour la transition vers un modèle économique alternatif. Cette alliance a pris la forme d’une association nommée « Les Licoornes », en opposition aux « licornes », ces start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars et symboles d’un capitalisme à la forte croissance économique.

Les Licoornes se proposent ainsi en tant qu’alternative avec l’objectif commun de construire un nouveau modèle économique, en proposant des solutions soutenables, durables, démocratiques et ouvertes. Les 9 SCIC membres des Licoornes sont :

  • La Nef, une banque pour financer exclusivement des projets ayant une utilité sociale, écologique et/ou culturelle ;
  • Enercoop, un fournisseur d’électricité verte, locale et citoyenne avec une logique de circuit-court ;
  • Mobicoop, une plateforme de covoiturage pour une mobilité partagée, plus solidaire et écologique ;
  • Label Emmaus, un site d’e-commerce exclusivement alimenté par les acteurs du Mouvement Emmaüs et ses partenaires de l’économie sociale et solidaire ;
  • Railcoop, un opérateur ferroviaire de passagers et de marchandises ;
  • Telecoop, un opérateur télécom engagé dans la transition écologique et solidaire ;
  • Coopcircuits, une plateforme pour vendre et acheter en circuit court des produits locaux, artisanaux, direct producteur, biologiques, éthiques ;
  • Commown, un fournisseur d’appareils électroniques éco-conçus, et de services pour lutter contre l’obsolescence programmée ;
  • Citiz, un réseau d’autopartage de véhicules.

Ce rapprochement a notamment vocation à donner de la visibilité à ces 9 SCIC, et à populariser le principe de la coopérative.

En juin 2022, les Licoornes ont lancé une levée de fonds citoyenne en proposant de souscrire à des parts sociales pour devenir sociétaire de leurs coopérative, ces parts sociales étant non cotées en bourse. Contrairement au modèle traditionnel de l’actionnariat, la coopérative permet à chaque personne de d’obtenir une voix dans la prise de décision en assemblée générale selon le principe « une personne, une voix ». Au total, plus de 460.000 euros ont été collectés, ventilés entre les neuf SCIC[7].

En se développant grâce à ces nouveaux sociétaires, les Licoornes incarnent la possibilité d’une autre économie entend proposer un modèle de société écologique, solidaire et démocratique.

Alors que les sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC)[8] ont vu, de manière spectaculaire, leur nombre doubler ces 5 dernières années, nul doute que cette initiative pourra inspirer d’autres acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire à développer des projets similaires qui permettent aux citoyens de contribuer directement à la transition vers un modèle économique plus vertueux.

 

5. RGPD : la CNIL a publié un référentiel les modalités de transfert de fichiers de donateurs entre associations ou fondations

La CNIL a précisé, en juin 2022, les modalités de transmission de fichiers de donateurs ou de contacts entre associations et fondations. Nous vous en parlions dans notre Lettre d’Actualités juridiques #135 d’août 2022.

Cette publication rejoint le guide déjà publié en novembre 2021 par la CNIL à destination des associations et qui était l’occasion de rappeler que les associations, comme toute entreprise, sont soumises aux dispositions obligatoires du RGPD, quelles que soient leur activité.

Outre ces guides généralistes, on notera la publication de référentiels sectoriels, qui peuvent également concerner les associations, et tout particulièrement les référentiels pour la prise en charge médico-sociale des personnes âgées, en situation de handicap ou en difficulté (publié le 24 mars 2021) et pour la protection de l’enfance et des majeurs de moins de 21 ans (publié le 17 février 2022).

 

[1] La Loi Séparatisme est entrée en vigueur le 1er janvier 2022.

[2] Voir en ce sens le Communiqué de presse du Mouvement associatif du 23 janvier 2023 https://lemouvementassociatif.org/wp-content/uploads/2023/01/LMA_CP_23012023_pointpresse_1anCER.pdf

[3] « De la liberté au contrôle », Madame Frédérique Pfrunder, Déléguée générale du Mouvement associatif, Jurisassociations 2022, n°667, page 16

[4] CE, 16 mai 2022, req n° 462954

[5] Décret du 1er février 2023, JO du 2, texte 10

[6] Voir par exemple : CA Paris, 30 mars 2018, n° 17/07421. Dans cet arrêt (qui mettait déjà en cause la SPA), la Cour d’appel de Paris avait condamné pour concurrence déloyale et parasitisme l’association Défense de l’animal qui avait repris de manière systématique le sigle « SPA de France », entretenant une confusion dans l’esprit du public avec l’association Société Protectrice des Animaux (SPA).

[7]Source :https://fr.lita.co/fr/partenaires/licoornes?utm_source=licoornes&utm_medium=entrepreneurship&utm_campaign=20220404_licoornes_entrepreneurship_fundraising-2022-q2

[8] Ces organisations hybrides ont pour but d’organiser la coopération entre des acteurs privés et publics aux registres d’action souvent différents (salariés, clients, fournisseurs, collectivités, entreprises privées, associations…), autour d’un projet commun alliant efficacité économique, gouvernance démocratique, développement local et utilité sociale.