Economie sociale et solidaire
le 20/01/2022
Audrey LEFEVRE
Esther DOULAIN

L’ESS à l’épreuve du contrat d’engagement républicain : la question de la responsabilité des associations et des fondations

Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, confortant le respect des principes de la République

Le contrat d’engagement républicain a été mis en place par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République dite « loi séparatisme ».

La « souscription » à ce contrat, par lequel les associations et les fondations doivent, pour pouvoir bénéficier de subventions publiques ou d’un agrément de l’Etat, s’engager à l’égard des autorités publiques (autorité administrative ou organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial) à respecter les principes de la République listés dans cette loi, est devenue obligatoire le 1er janvier 2022, non sans susciter un certain émoi parmi les organismes à but lucratif qui y voient une cause nouvelle de mise en jeu de leurs responsabilités.

Le décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021 pris en application de cette loi, publié au JORF (Journal officiel de la République française) n° 0001 du 1er janvier 2022, est venu préciser (nouvel article 10-1 ajouté à la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations), le contenu du contrat d’engagement républicain.

L’article 5 du décret est consacré à la question de la responsabilité des associations et des fondations en cas de non-respect du contrat d’engagement républicain, en plus des sanctions prévues dans loi susvisée à savoir le refus ou le retrait de subventions publiques ou de l’agrément sollicité.

Pourtant, la « loi séparatisme » n’abordait pas cette question laissant supposer que le régime de droit commun s’appliquerait aux associations et fondations.

Cet article prévoit désormais que « L’association ou la fondation veille à ce que le contrat mentionné à l’article 1er soit respecté par ses dirigeants, par ses salariés, par ses membres et par ses bénévoles. Sont imputables à l’association ou la fondation les manquements commis par ses dirigeants, ses salariés, ses membres ou ses bénévoles agissant en cette qualité, ainsi que tout autre manquement commis par eux et directement liés aux activités de l’association ou de la fondation, dès lors que ses organes dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient […] ».

Il en ressort que, d’une part, l’association ou la fondation a l’obligation de veiller à ce que ses dirigeants, ses salariés, ses membres et ses bénévoles respectent le contrat d’engagement républicain souscrit. D’autre part, l’association ou la fondation est responsable des manquements au contrat d’engagement républicain commis par les différentes catégories de personnes susvisées.

Certes plusieurs conditions sont indispensables afin que de tels manquements soient susceptibles d’engager la responsabilité de l’association ou de la fondation et tout manquement ne permet pas d’engager la responsabilité de l’organisme.

Le manquement au contrat d’engagement républicain doit avoir été commis par les dirigeants, salariés, membres et bénévoles ayant agi en cette qualité ou, à défaut d’avoir été commis en cette qualité, il doit être directement lié aux activités de l’association ou de la fondation.

En outre, les « organes dirigeants », bien qu’informés de ces agissements, doivent s’être abstenus de prendre les mesures nécessaires pour le faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient. A contrario, leur responsabilité ne semble pas pouvoir être recherchée.

Il reste que cette rédaction soulève plusieurs questions, notamment, la notion d’« organes dirigeants ». Si l’on peut logiquement penser que sont ici visées les instances de gouvernance des organismes à but non-lucratif (conseil d’administration ou au bureau), la question se pose de savoir si est visé ici uniquement l’organe en tant que tel ou, plus largement, toutes les personnes le composant, prises à titre individuel. Lorsqu’un seul administrateur, informé d’un manquement au contrat d’engagement républicain commis par un des membres de l’association ou de la fondation, n’a pas pris les mesures nécessaires pour le faire cesser, compte tenu des moyens étant à sa disposition, pourra-t-il engager la responsabilité de l’association ? Quid enfin des fédérations structurées sous une forme associative à l’égard de leurs membres associations ? Il ressort de l’article 5 du décret qu’elles devraient veiller au respect du contrat d’engagement républicain par ses membres y compris donc les associations ce qui apparaît très compliqué en pratique, voire impossible car antinomique.

Plus généralement, ces dispositions interrogent sur le régime de responsabilité qui s’appliquera en cas de non-respect d’un des « engagements » du contrat d’engagement républicain.

S’agit-il d’un nouveau régime de responsabilité ? Ou s’agit-il seulement de préciser le régime existant ? Dans les deux cas, la question de la compétence du pouvoir règlementaire pour édicter de telles règles en matière de responsabilité interroge. Ce régime est-il plus exigeant ou moins exigeant que celui qui existe déjà ? Quelle articulation entre le régime existant et ces nouvelles dispositions ?

Si les dispositions susvisées ne semblent pas modifier le régime de responsabilité de droit commun s’appliquant aux associations et fondations, mais seulement préciser la manière dont le juge l’appréciera, la précision selon laquelle les organes dirigeants doivent avoir eu connaissance du manquement commis pour que ce dernier puisse être imputé à l’association ou la fondation semble en tout état de cause atténuer ce régime de responsabilité à leur encontre.

Il n’en demeure pas moins que ce décret vient faire peser sur les organes dirigeants constitués de bénévoles la charge de vérifier que toutes les mesures ont été prises afin qu’aucun manquement aux principes de la République prévus au contrat d’engagement républicain ne puisse intervenir. C’est une lourde charge pour les dirigeants bénévoles déjà inquiets, avant ces textes, de la mise en jeu de leur responsabilité.

Sur ce point, le décret apporte un éclairage intéressant et semble prendre en compte les spécificités du monde associatif à savoir les faibles moyens dont les organes dirigeants bénéficient puisqu’il est précisé que les moyens à la disposition de ces derniers sont pris en compte afin d’apprécier la responsabilité de l’association ou de la fondation.

Rappelons à ce sujet que le législateur dans le cadre de la loi du 1er juillet 2021 en faveur de l’engagement associatif a récemment prévu un régime de responsabilité atténué pour les dirigeants bénévoles en matière civile et financière dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire (Loi n° 2021-874 du 1er juillet 2021, JO n° 152 du 2 juillet 2021).

Pour l’heure, les dispositions prises au sujet du contrat d’engagement républicain aux termes du décret d’application du 31 décembre 2021 soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent d’éclairage sur la mise en jeu de la responsabilité des associations et fondations et de leurs dirigeants. C’est à l’épreuve du terrain qu’il sera possible d’apprécier concrètement la mise en œuvre de ces conventions par les autorités publiques.