La prise en charge des frais de justice exposés dans le cadre de la protection fonctionnelle

A la suite de l’intervention de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires – afférent pour mémoire à la protection fonctionnelle des agents publics – a été modifié et il a, notamment, été prévu qu’un décret fixerait les conditions et les limites de la prise en charge des frais de justice.

Ce décret, en date du 26 janvier 2017, prévoit tout d’abord que l’agent qui souhaite bénéficier de la protection fonctionnelle doit formuler sa demande par écrit auprès de son employeur à la date des faits en cause.

Il précise également que l’agent peut choisir librement son avocat.

La décision de prise en charge au titre de la protection fonctionnelle doit par ailleurs indiquer les faits au titre desquels la protection est accordée, les modalités d’organisation de la protection, notamment sa durée (qui peut être celle de l’instance).

L’employeur qui a accordé sa protection peut également conclure une convention avec l’avocat de l’agent et, le cas échant, avec ce dernier. Celle-ci fixe alors le montant des honoraires qui seront pris en charge selon un tarif horaire ou un forfait.

En l’absence de convention entre la collectivité publique et l’avocat, les frais sont directement remboursés à l’agent sur présentation des factures dont il s’est acquitté.

Cependant dans ce cas, des plafonds horaires seront fixés par arrêté ministériel.

Il convient de noter que les dispositions du décret sont applicables aux demandes de prise en charge des frais dans le cadre d’instances civiles ou pénales introduites pour des faits survenus à compter du lendemain de la publication du texte, soit à compter du 29 janvier 2017.

Refus d’imputabilité au service de la dépression consécutive à une sanction disciplinaire

De jurisprudence constante, la maladie ou l’accident survenus sur le lieu et dans le temps du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions, sont considérés comme imputables au service et permettant notamment le bénéfice des dispositions du 2ème alinéa du 2° de l’article 57 de la loi n° 85-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires applicables à la fonction publique territoriale (CE, 16 juillet 2014, Mme Galan, n° 361820).

Ceci n’est pas sans poser de difficulté dans le cas, assez classique finalement, où l’infliction d’une sanction disciplinaire vient provoquer chez l’agent une dépression qui est estimée comme consécutive à ladite procédure et donc, finalement, à l’exercice de ses fonctions.

Néanmoins, dans un arrêt particulièrement intéressant, la Cour administrative d’appel de Bordeaux est venue préciser que lorsqu’une telle procédure est reconnue comme un facteur déterminant dans la dépression de l’agent, la maladie n’a pas nécessairement à être reconnue imputable au service, du moment que ladite procédure et les décisions qui s’en sont suivies n’étaient pas injustifiées :

« Mme D…a fait l’objet d’une procédure disciplinaire en 2008 et 2009 à la suite de propos de sa part à connotation raciste à l’encontre de trois agents du service et que le directeur de l’établissement a, par une décision du 3 juillet 2009, rétrogradé l’intéressée, maître ouvrier depuis le 1er octobre 2007, au grade d’ouvrier professionnel qualifié, 8ème échelon de l’échelle 4 du grade d’ouvrier professionnel qualifié, à titre de sanction disciplinaire. Par un jugement n° 0904162 du 27 septembre 2012, devenu définitif, le Tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de Mme D… tendant à l’annulation de cette sanction en retenant, notamment, le caractère non disproportionné de la sanction. Cette procédure et la sanction qui a suivi ont été un facteur déterminant dans la décompensation dépressive de l’intéressée, ainsi que l’ont relevé les experts mentionnés ci-dessus, Mme D… n’ayant pas antérieurement souffert de tels troubles. En l’absence de tout élément permettant d’estimer que les faits à l’origine de la sanction auraient été favorisés par les conditions d’exercice des fonctions de l’intéressée, ou que la procédure disciplinaire et la sanction auraient été injustifiées ou encore que cette procédure disciplinaire se serait déroulée dans des conditions anormales, et en l’absence d’élément révélant, de la part de l’employeur, une volonté délibérée de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, ou d’altérer sa santé, aucun élément du dossier ne permet d’imputer la maladie dont souffre Mme D… à un fait ou à des circonstances particulières de service. […] L’administration pouvait, en conséquence, sans commettre d’erreur d’appréciation, refuser de reconnaître l’imputabilité au service de l’état de santé de Mme D… et, par suite, refuser de prendre en charge les arrêts de travail en cause de son agent au titre de la maladie professionnelle ».

Empreinte de bon sens, il ne reste plus à cette décision qu’à être confirmée par le Conseil d’Etat.

 

Les actions dérivant d’un bail d’habitation sont soumises à la prescription triennale de 3 ans de l’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989

Un bailleur social avait assigné ses anciens locataires, après leur libération des lieux, en paiement d’une somme au titre des réparations locatives et d’un solde de loyer.

Saisi du litige, un Tribunal d’instance avait considéré, dans un jugement du 7 septembre 2015, qu’en application de la prescription biennale édictée par l’article L. 137-2 du Code de la consommation, l’action du bailleur était prescrite.

A cet effet, le Juge d’instance a considéré que, le bailleur social étant un professionnel de la location immobilière sociale et la location d’un logement une fourniture de services, le locataire devait être considéré comme un consommateur et, de ce fait, que la prescription triennale de l’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 n’était pas applicable.

Saisie du litige, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a très naturellement cassé, aux termes d’un arrêt de principe, le jugement du Tribunal d’instance, en rappelant le caractère exclusif du régime posé par la loi du 6 juillet 1989 aux baux d’habitation, notamment la prescription triennale de son article 7-1, en indiquant :

« Attendu qu’en application [de l’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989], toutes actions dérivant d’un contrat de bail sont prescrites par trois ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer ce droit ; qu’aux termes de [l’article L137-2 du Code de la consommation], l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

[…]

Qu’en statuant ainsi, alors que le bail d’habitation régi par la loi du 6 juillet 1989 obéit à des règles spécifiques exclusives du droit de la consommation, de sorte que la prescription édictée par l’article -1 de cette loi est seule applicable à l’action en recouvrement des réparations locatives et des loyers impayés le tribunal d’instance a violé les textes susvisés, le premier par refus d’application et le second par fausse application ».

Ce faisant, la Cour de cassation rappelle que la règle spéciale déroge aux règles générales et écarte toute tentative de requalification du logement en bien de consommation.

 

 

Obligations alimentaires : recevabilité du recours d’un CCAS sur le fondement de l’enrichissement sans cause

CA Douai, 19 janvier 2017, n° 15/07348

Le 19 janvier dernier, la 7ème Chambre de la Cour d’appel de DOUAI devait se prononcer sur la recevabilité d’une action d’un Centre Communal d’Action Sociale (ci-après « CCAS ») fondée sur l’enrichissement sans cause.

En l’espèce, une personne âgée était admise de 2004 à 2012 dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, géré par un CCAS.

Cette dernière n’ayant pas les capacités financières de régler ses frais d’hébergement, ses sept enfants étaient tenus de rembourser les sommes avancées par le CCAS en vertu de l’article 205 du Code civil, lequel dispose que «  les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin ».

En l’absence de règlement amiable malgré les nombreuses diligences accomplies pour recouvrer sa créance, le CCAS était donc contraint de saisir le Tribunal de grande instance de Lille aux fins de solliciter la condamnation de co-obligés alimentaires au paiement des sommes dues.

Toutefois, l’action résultant des dispositions de l’article L. 132-7 du Code de la famille et de l’aide sociale ne lui était pas ouverte, celle-ci étant réservée au représentant de l’Etat et aux Présidents des Conseils Départementaux.

De la même manière, l’action prévue à l’article L. 6145-11 du Code de la santé publique ne lui était pas non plus ouverte, celle-ci étant réservée aux établissements publics de santé, que ne constitue pas le CCAS.

Dès lors, le CCAS n’avait d’autre possibilité que d’agir sur le fondement subsidiaire de l’enrichissement sans cause, action ne pouvant être introduite qu’à défaut de toute autre action ouverte, ce qui était le cas en l’espèce. 

Par jugement du 13 novembre 2015, le Tribunal de grande instance de Lille avait pourtant débouté le CCAS, considérant que ce dernier n’était pas recevable à agir sur le fondement de l’enrichissement sans cause.

Par arrêt du 19 janvier 2017, la Cour d’appel de Douai a donné raison au CCAS.

Déclarant l’action du CCAS recevable et reconnaissant qu’il existait bien en l’espèce un enrichissement des enfants de l’hébergée et un appauvrissement corrélatif du CCAS, la Cour d’appel de Douai a décidé d’enjoindre à tous les co-obligés alimentaires de verser aux débats les justificatifs complets de leur situation financière et de surseoir à statuer dans l’attente de la production de ces pièces.

 

Jurisprudence Danthony et délais de convocation des membres de l’organe délibérant en vue de l’exercice du droit de préemption

La Cour administrative d’appel de Versailles a eu l’occasion de dégager une solution particulièrement casuistique à l’occasion d’un litige portant sur la régularité d’une décision de préemption prise par le bureau du conseil d’administration d’un office public de l’habitat.

Il apparaissait ainsi dans cette affaire que la Commune titulaire originel du droit de préemption avait délégué l’exercice de la prérogative à son office public de l’habitat mais que cette délégation était intervenue tardivement de sorte que l’organe compétent au sein de l’office pour user du droit ne pouvait être convoqué dans les délais impartis selon les dispositions de son règlement intérieur.

En effet, si le délai visé par ledit règlement avait été observé, la préemption aurait été prise hors délais.

Dans ce contexte, le délai réglementaire avait été méconnu, mais cette irrégularité n’a pas été sanctionnée par la Cour administrative d’appel de Versailles, sur le visa de la jurisprudence Danthony, au motif que la convocation et l’ordre du jour avait précédé de plusieurs jours la séance, que tous les membres étaient présents ou représentés à celle-ci, à l’occasion de laquelle les enjeux de la préemption avaient été présentés de manière détaillée, le projet d’acquisition par voie de préemption ayant été approuvé à l’unanimité.

Dans ces circonstances, le Juge administratif a considéré que la violation du délai de convocation tel que ressortant du règlement intérieur de l’office public de l’habitat, n’était pas de nature à entacher d’illégalité la décision de préemption.

C’est ainsi encore un exemple des bénéfices de la jurisprudence Danthony.

Point sur les conséquences de la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 1224-3 du Code du travail

La Cour de cassation par un arrêt en date du 10 janvier 2017 (n° 15-14775) affirme que le salarié ayant refusé la proposition de contrat de droit public qui lui était faite a droit, outre à l’indemnité de licenciement, à une indemnité compensatrice de préavis.

Trois décisions sur la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 1224-3 du Code du travail viennent d’être rendues et feront l’objet d’une prochaine analyse.


 

Précisions sur la nature juridique de l’indemnité compensatrice de préavis du salarié licencié pour inaptitude

Par un arrêt en date du 11 janvier 2017 (n° 15-19.959), la Cour de cassation pour la première fois précise que l’indemnité compensatrice de préavis perçue par le salarié licencié pour inaptitude est soumise à cotisations dans la mesure où en application de l’article 80 duodecies du Code général des impôts (CGI), elle est assujettie à l’impôt sur le revenu.

En effet, au terme de l’article L. 242-1 du Code de sécurité sociale, les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail intervenant à l’initiative de l’employeur sont assujetties aux cotisations sociales dès lors qu’elles constituent une rémunération imposable en application de l’article 80 duodecies du Code général des impôts.

 

Des précisions sur la date de cessation d’un préavis de grève illimitée

Par un arrêt en date du 8 décembre 2016  (n° 15-16078), la Cour de cassation vient préciser que l’absence de grévistes ne veut pas dire que la grève est automatiquement terminée.

Pour la Cour suprême, la fin de la grève ne peut être décidée que par les organisations syndicales ayant déposé le préavis.

 

Pour valablement former opposition à un accord d’entreprise, il faut que cette opposition soit reçue par les parties signataires avant l’expiration du délai d’opposition

Par un arrêt en date du 10 janvier 2017 (n° 15-20.335), la Cour de cassation vient préciser que pour être valable, l’opposition formée par les organisations majoritaires non signataires à l’encontre d’un accord d’entreprise doit être reçue par l’employeur et les organisations syndicales signataires, et non pas émise, avant l’expiration du délai d’opposition de 8 jours.

Les organisations syndicales non signataires d’un accord interprofessionnel ou de branche pour éviter les aléas postaux, pourraient envisager le recours à une opposition par courriel admise par la Cour d’appel de PARIS le 7 janvier 2016 (n° 15/13421) et sur laquelle la Cour de cassation va statuer dans les prochains jours.

Monnaies locales complémentaires : quel impact pour les collectivités territoriales ?

Monnaie locale complémentaire d’Aunis, Le Florain, La ROUE Sud Buëch 05 ou encore La Roue du Pays d’Aix … autant de projets de nouvelles monnaies locales pour 2017, en forte progression notamment depuis la crise dite des « subprimes » en 2008.

En effet, les monnaies locales complémentaires, qui se définissent comme une unité de compte, complémentaire à la monnaie officielle, créées par des acteurs non bancaires issus de la société civile, ont pour objectif de développer le commerce local et s’inscrivent dans un objectif d’économie sociale et solidaire.

En ce sens, la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire a créé les articles L. 311-5 et L. 311-6 du Code monétaire et financier qui précisent les personnes autorisées à émettre des monnaies locales complémentaires de la monnaie nationale et prévoient leur soumission au livre V du même Code lorsque leur activité relève du domaine des services de paiement.

Les émetteurs de ces monnaies locales peuvent être des personnes morales de droit privé constituées sous forme de coopératives, de mutuelles ou d’unions relevant du Code de la mutualité ou de sociétés d’assurance mutuelles relevant du Code des assurances, de fondations ou d’associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ou, le cas échéant, par le Code civil local applicable aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Elles peuvent également être des sociétés commerciales selon certaines conditions prévues aux I et II-2° de l’article 1er de la loi du 31 juillet 2014 précitée ainsi qu’au décret n° 2015-858 du 13 juillet 2015 relatif aux statuts des sociétés commerciales ayant la qualité d’entreprises de l’économie sociale et solidaire.

Selon le type de monnaie locale émis, un agrément ou une exemption d’agrément de l’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR) peut être requis.

Les monnaies locales peuvent ainsi être émises sur support papier, sous la forme scripturale ou sous forme électronique.

S’agissant des collectivités territoriales, la question de l’encaissement de ces monnaies locales complémentaires en règlement des recettes publiques s’est posée récemment.

La Direction générale des finances publiques y a apporté une réponse dans une fiche communiquée au mois de septembre 2016 en l’absence de cadre juridique précis relatif à l’encaissement de ces monnaies.

Il y est précisé que les régisseurs peuvent encaisser des monnaies locales en règlement de prestations délivrées par les collectivités locales lorsque celles-ci ont décidé d’accepter de recevoir une partie de leurs recettes non fiscales dans une telle monnaie.

Il est important de noter qu’une obligation particulière de conseil incombe aux comptables publics s’agissant de l’encaissement de ces monnaies locales compte tenu de la diversité des modes d’émission de ces monnaies et des différentes dispositions du Code monétaire et Financier les régissant. Chaque projet d’encaissement de créances publiques au moyen de ces instruments de paiement doit faire l’objet d’une expertise individuelle.

Il est également rappelé par la Direction générale des finances publiques que les organismes publics sont libres d’accepter les monnaies locales complémentaires comme mode de règlement des prestations qu’ils délivrent en vertu du principe de libre administration des collectivités territoriales.

Cependant, toute décision d’acceptation ou de refus de cet instrument de paiement devra être motivée au regard, notamment, des frais y afférents et des risques d’insolvabilité ou de disparition de l’émetteur.

Dès lors qu’un organisme public accepte ce mode de paiement, l’adhésion au système de gestion de l’émetteur est nécessaire pour le remboursement de ces monnaies locales par l’organisme public.

Une convention doit donc être signée entre l’émetteur de la monnaie locale et la collectivité publique pour prévoir un remboursement en euros des unités de monnaies locales et la rémunération attachée à ces opérations de change.

S’agissant de la commission de l’émetteur, celle-ci ne peut être prélevée sur les montants reversés à la collectivité, conformément au principe de non contraction des recettes et des dépenses publiques.

La collectivité devra donc émettre un mandat de paiement préalable pour cette commission.

Enfin, la Direction générale des finances publiques souligne qu’en l’état du droit, les monnaies locales complémentaires ne peuvent être utilisées pour payer les dépenses publiques et les collectivités ne sont pas autorisées à acheter de la monnaie locale en vue de régler de faibles dépenses ou de la distribuer à leurs administrés.

Ainsi, l’impact de ces monnaies locales complémentaires sur l’économie des collectivités restant limité à l’heure actuelle, d’avantage d’interventions du législateur pour soutenir leur intégration au système monétaire existant sont nécessaires afin de répondre à cette volonté de développement durable local.

 

Possibilité de poursuivre cumulativement les délits de complicité d’escroquerie et de recel d’escroquerie

Une société de formation et sa gérante étaient poursuivies et condamnées du chef d’escroquerie pour avoir produit des dossiers d’indemnisation comportant de fausses attestations de formation auprès du fonds d’assurance de la formation dans l’industrie hôtelière (FAFIH), et conduit ce dernier à verser des indemnités de formation.

La société regroupant les hôtels et sa présidente étaient, pour leur part, poursuivies, d’une part, du chef de complicité de cette escroquerie au préjudice du FAFIH, pour avoir donné instruction aux directeurs des hôtels de remplir de fausses attestations de formation et, d’autre part, du chef de recel, pour avoir fait bénéficier la société d’un soutien juridique et administratif frauduleusement financé par le FAFIH.

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 7 octobre 2015, condamnait ladite société et sa présidente de ces deux chefs.

Un pourvoi en cassation était formé par la société regroupant les hôtels et sa présidente estimant qu’elles ne pouvaient s’être rendues coupables de recel d’une escroquerie à laquelle elles avaient elles-mêmes participé en qualité de complice.

La Chambre criminelle rejetait toutefois le pourvoi considérant que « les prévenues ne sauraient faire grief à l’arrêt de les avoir déclarées coupables, cumulativement, de ces deux délits, ceux-ci ne procédant pas de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ».

Précisons que la Cour de cassation estime, de manière constante, qu’un agent ne peut être cumulativement poursuivi en qualité d’auteur d’une infraction d’origine et d’une infraction de conséquence, telle que le recel.

A titre d’exemple, la Chambre criminelle a récemment rappelé « que le délit de recel de prise illégale d’intérêts ne peut être reproché à la personne qui aurait commis l’infraction principale, celle-ci fût-elle prescrite » (Crim. 12 nov. 2015, n° 14-83.073, Bull. crim. n° 253).

Cet arrêt ne semble toutefois pas procéder à un revirement de jurisprudence, la Chambre criminelle se prononçant sur un terrain factuel, en insistant sur l’existence de deux actions matériellement et intentionnellement distinctes (participation à la création de fausses attestations de formation d’une part, bénéfice d’un « soutien juridique et administratif » d’autre part).

Elle réaffirme ainsi sa volonté d’utiliser un critère tiré de l’unicité d’action et d’intention pour régler, au regard des faits de chaque espèce, ce type de concours.

Champ d’application de la garantie décennale

Selon la lettre de l’article 1792-7 du Code civil, échappent à la garantie décennale, les éléments d’équipement « dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage ».

Une interprétation littérale de ce texte inciterait à exclure de la qualification d’ouvrage un grand nombre d’équipements, ce qui évincerait le jeu de la garantie décennale permettant d’établir une responsabilité sans faute des constructeurs, au profit de la responsabilité contractuelle de droit commun, plus difficile à démontrer car nécessitant la preuve d’une faute.

Pourtant, la Cour de cassation semble développer une jurisprudence de plus en plus souple depuis quelques années, comme le démontre l’affaire du canal de Nyer.

En l’espèce, dans le cadre d’un important chantier traversant une vallée protégée des Pyrénées-Orientales, le maître d’ouvrage devait mettre en place un moyen d’acheminer l’eau du canal de Nyer vers la centrale hydro-électrique qu’il exploitait.

Une conduite composée de tuyaux métalliques traversant la vallée sur plusieurs kilomètres a donc été installée.

La corrosion ayant attaqué ladite conduite d’eau, le maître d’ouvrage avait sollicité la réparation des désordres.

Les Juges du fond avaient considéré que « la conduite métallique fermée acheminant l’eau du canal de Nyer à la centrale hydro-électrique exploitée par la SHCN est un équipement qui a pour fonction exclusive de permettre la production d’électricité par cet ouvrage à titre professionnel » pour écarter l’application de la garantie décennale.

Or, la Cour de cassation juge, au contraire, que « la construction, sur plusieurs kilomètres, d’une conduite métallique fermée d’adduction d’eau à une centrale électrique constitue un ouvrage ».

La Haute juridiction civile avait déjà, récemment étendu la qualification d’ouvrage dans des décisions précédentes. Par exemple, à propos d’un variateur considéré comme participant au fonctionnement de l’ouvrage car faisant partie d’une installation destinée à l’évacuation des gaz, des fumées et des poussières de la fonderie attachée au gros œuvre (Civ. 3ème, 7 mai 2014, n° 12-23933).

La Commission européenne approuve les aides octroyées par la France en faveur d’exploitants de services de transport en commun par autobus en Ile-de-France

En 1994, la région Ile-de-France a mis en place un système de subventions publiques à destination des exploitants des services de transport en commun par autocar sur son territoire. Ces aides étaient versées aux collectivités publiques concernées, lesquelles, si le service n’était pas exploité en régie, les reversaient aux sociétés exploitantes dans l’hypothèse où elles réalisaient elles-mêmes les investissements subventionnés.

A compter de l’année 2008, c’est le syndicat des transports d’Ile-de-France (STIF) qui a poursuivi la mise en œuvre de ce dispositif. C’est cette même année que la Commission européenne a ouvert une enquête approfondie à la suite d’une plainte d’un concurrent.

Au plan national, rappelons que le Tribunal administratif avait annulé le refus du Conseil régional d’abroger les délibérations ayant institué ce dispositif puis enjoint à la Région de procéder à une telle abrogation et soumettre un nouveau projet de subventions au Conseil régional. Les Juges avaient considéré que l’instauration de ce dispositif était intervenu irrégulièrement dès lors qu’il n’avait pas été notifié préalablement à la Commission européenne.

Cette solution avait été confirmée par la Cour administrative d’appel de Paris. En cassation, le Conseil d’Etat avait rejeté le pourvoi de la Région. Il avait considéré qu’en retenant que ce dispositif  « facultatif et incitatif » ne mettait aucune obligation de service public à la charge des exploitants, et, qu’ainsi, les subventions litigieuses ne constituaient donc pas des compensations d’obligations de service public  (COSP), la Cour n’avait entaché son arrêt d’aucune erreur de qualification juridique des faits.

Aux termes de son enquête approfondie – et du communiqué de presse du publié le 2 février dernier (la version publique de la décision n’est pas encore disponible) – la Commission européenne affirme pour sa part que ces subventions sont « conformes aux règles relatives aux aides d’Etat de l’Union européenne ».

Plus précisément, elle ajoute que les aides à l’investissement ont contribué « à l’amélioration de la qualité du transport collectif en Ile-de-France sans fausser indûment la concurrence dans le marché intérieur » et que les subventions liées au service public ne constituaient en réalité que des compensations d’obligations de service public.

Rappelons qu’au sein de l’Union européenne, les aides d’Etat sont en principe incompatibles avec le marché intérieur (article 107§1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

Or, selon la célèbre jurisprudence Altmark (CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans, C-280/00), il n’existe pas d’aide d’Etat au sens du droit de l’Union, dès lors que :

  • l’entreprise est chargée d’obligations de service public (OSP) définies ;
  • les paramètres de compensation des OSP sont établis de façon préalable et transparente ;
  • il n’existe pas surcompensation des OSP, compte tenu d’un bénéfice raisonnable dégagé par le bénéficiaire ;
  • l’entreprise a été choisie à l’issue d’une « procédure de marché public» c’est-à-dire d’une procédure publicité et de mise en concurrence encadrée, ou, à défaut, en fonction d’une analyse des coûts supportés par une entreprise moyenne et bien gérée.

Si ces quatre conditions sont remplies, les sommes versées ne constituent pas une aide d’Etat au sens du droit de l’Union européenne, puisqu’elles ne procurent en réalité aucun avantage à son bénéficiaire mais compensent simplement le coût des OSP qu’il supporte.

C’est bien à cette conclusion qu’est parvenue la Commission européenne, approuvant les subventions octroyées par la Région Ile-de-France, puis par le STIF, aux exploitants des services de transports en Ile-de-France.

 


 

La divulgation des œuvres et des bases de données : apports de la loi pour une République Numérique

Parmi les nombreux apports de la Loi pour une République Numérique du 7 octobre 2016, figurent des modifications du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI).

Plus particulièrement, les articles 38 et 39 de la loi précitée modifient l’article L. 122-5 du CPI, relatif à la divulgation des œuvres de l’esprit, et L. 342-3, relatif à la mise à disposition des bases des données.

En ce qui concerne la divulgation d’une œuvre de l’esprit, l’article L. 122-5 du CPI prévoit désormais que l’auteur d’une telle œuvre ne peut interdire :

  • les copies ou reproductions numériques réalisées à partir d’une source licite pour les besoins de la recherche publique, à l’exclusion de toute finalité commerciale ;
  • les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures placées sur la voie publique pour des raisons non commerciales.

En ce qui concerne les bases de données, l’article L. 342-3 du CPI prévoit que le titulaire des droits sur cette base, qui l’a mise à la disposition du public, ne peut en interdire les copies ou reproductions numériques réalisées par une personne qui y a licitement accès pour des finalités de recherche, à l’exclusion de toute finalité commerciale.

Le régime juridique des tribunes réservées, dans les supports d’information générale des communes, à l’expression des élus n’appartenant à la majorité municipale, au nom de ce qui constitue aujourd’hui une liberté fondamentale recèle, décidément, encore bien des mystères

On croyait avoir peu à peu dégagé, grâce à la jurisprudence administrative, tout ce qu’il y avait à connaître de cet espace d’expression : il devait être ouvert dans tous les supports de communication de la commune, quels qu’ils soient : magazines, publication dès lors que ce dernier diffusaient, même ponctuellement, une information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal.

On avait fini par mieux saisir les conditions d’une cohabitation possible de l’espace réservé à l’expression des élus d’opposition avec des tribunes d’élus de la majorité.

On savait qu’il n’était pas possible au maire en tant que directeur de publication d’exercer la moindre censure sur le contenu des articles, même s’ils n’avaient aucun rapport avec l’intérêt local ou étalaient une franche propagande électorale.

L’arrêt du Conseil d’État n° 387144 du 20 mai 2016 avait cependant précisé que le maire avait encore le pouvoir et même le devoir d’intervenir dans les cas où leur publication pourrait manifestement avoir des conséquences pénales.

On croyait avoir compris que le site internet municipal ne pouvait échapper à l’article L. 2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) dès lors qu’il contenait des informations générales sur la collectivité.

Mais voici qu’un arrêt de la Cour administrative de Nancy en date du 30 juin 2016 a considéré que la simple mise en ligne du bulletin municipal suffisait à satisfaire aux exigences de l’article L. 2121-27-1.

La multiplication des supports d’information n’entraînerait donc pas la multiplication des tribunes de l’opposition ? La solution donnée par la Cour dans cette affaire où les requérants exigeaient des tribunes d’opposition dans le site internet de Jarville-la-Malgrange, pourrait le laisser croire tant elle apparait fondée sur une considération élémentaire : pour elle, les communes ont un large pouvoir d’appréciation pour organiser l’espace d’expression des élus et la seule mise en ligne du bulletin municipal dans lequel figurait la tribune de l’opposition était suffisante.

En l’espèce, ce raisonnement pouvait sans doute paraître moins choquant dans la mesure où le contenu du site était particulièrement neutre et où la tribune d’opposition était aisément accessible.

Mais en raisonnant de façon si générale, sans paraître tenir compte des conditions concrètes  du cas examiné, la Cour a peut-être ouvert la voie à une remise en cause partielle des exigences légales dont la loi Démocratie n° 2002-276 du 27 février 2002 était porteuse.

A une période où il n’existe pas tant de sites internet municipaux offrant des tribunes libres d’opposition, cette décision pourrait ne pas contribuer à changer cette situation.

La seule mise en ligne du magazine sur le site entraîne, comme souvent, une illisibilité quasi complète des tribunes libres. Le Conseil d’Etat aura sans doute à faire connaître sa position à ce propos.

 

 

Parution de la loi organique n° 2017-54 du 20 janvier 2017 relative aux autorités administratives indépendantes (AAI) et autorités publiques indépendantes (API) déclarée conforme à la Constitution (Décision du Conseil Constitutionnel n° 2017-746 du 19 janvier 2017)

La loi organique relative aux AAI et API est parue au Journal Officiel le 21 janvier 2017, après avoir été soumise au contrôle du Conseil Constitutionnel (tel que cela est obligatoirement le cas pour ce type de textes) et déclarée conforme à la Constitution.

Cette loi met en œuvre un certain nombre des propositions formulées par la Commission d’enquête sénatoriale sur les AAI dans son rapport « Un Etat dans l’Etat : canaliser la prolifération des autorités administratives indépendantes pour mieux les contrôler » (Rapport remis au Président du Sénat le 28 octobre 2015).

Elle réserve au législateur la compétence de création des AAI et API, de même que celle de fixation des règles relatives à la composition, aux attributions, et aux principes fondamentaux relatifs à l’organisation et au fonctionnement de celles-ci.

Par ailleurs, elle institue un certain nombre d’incompatibilités liées à la fonction de membre d’une AAI ou d’une API.

Ainsi, en Nouvelle-Calédonie et dans les collectivités d’outre-mer (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et Polynésie française), les fonctions de Président de certains organes sont incompatibles avec celles de membre d’une AAI ou d’une API.

De même, lorsque la loi prévoit qu’un magistrat de l’ordre judiciaire en activité est membre d’une telle autorité, aucun autre magistrat judiciaire en activité ne peut y être nommé, sauf en qualité de président de celle-ci. Les membres du Conseil supérieur de la magistrature et du Conseil économique et social ne peuvent êtres membres d’une AAI ou d’une API, sauf, pour les seconds, s’ils y sont nommés en cette qualité.

Ces incompatibilités s’appliquent tant pour le passé que pour l’avenir. Dès lors, les membres des AAI et API se trouvant actuellement dans une telle situation disposent d’un délai de trente et un jours suivant la promulgation de la loi pour opter entre l’une ou l’autre de leurs fonctions, délai à l’issue duquel, à défaut, ils sont déclarés démissionnaires par le Président de l’autorité. Lorsque l’incompatibilité touche ce dernier, il est déclaré démissionnaire par un tiers au moins des membres du collège de l’autorité.

Enfin, la liste des emplois pour lesquels « en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation » la nomination par le Président de la République ne peut intervenir qu’après un avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée est étendue. Pour mémoire, il peut être fait obstacle à une telle nomination lorsque les votes négatifs au sein de chaque commission représentent au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Sont ajoutées à cette liste les fonctions de Président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne, de la Commission du secret de la défense nationale, de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, du Haut Conseil du commissariat aux comptes et du Collège du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Référé précontractuel : la nécessité de saisir le Juge dans un délai raisonnable

TA La Réunion, 19 octobre 2016, Société Réunionnaise de Bureautique, n° 1601022

Par une ordonnance en date du 19 octobre 2016, le Juge des référés du Tribunal administratif de La Réunion a fait application à un référé précontractuel de la récente jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle, en application du principe de sécurité juridique, le destinataire d’une décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable, et ce quand bien même il n’aurait aucunement été informé des voies et délais de recours (CE,13 juillet 2016, M. A., n° 387763). Et le Juge des référés du Tribunal administratif de La Réunion a considéré qu’en matière de référé précontractuel ce délai raisonnable de saisine du Juge ne saurait en règle générale excéder trois mois à compter de la date à laquelle le concurrent évincé a eu « pleinement connaissance de la décision d’éviction ».

Il a jugé en conséquence que le requérant qui avait attendu que le marché soit en voie d’achèvement pour saisir le tribunal, alors qu’il avait été évincé plus de trois mois avant, au stade des candidatures, devait se voir imputer « outre un comportement inapproprié au regard du principe de sécurité juridique, une méconnaissance caractérisée du délai raisonnable qui lui était applicable en l’absence de circonstances particulières ».

La requête a ainsi été jugée tardive, alors même que le Juge des référés avait été saisi avant la conclusion du contrat.

Cette solution, quelque peu surprenante au regard de la lettre de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative, est particulièrement bienvenue s’agissant des procédures de passation « au long cours » (concessions, marchés « complexes »,…), qui pouvaient sinon être anéanties quelques jours avant la signature du contrat par un candidat évincé des mois plus tôt.

 

Requalification d’une DSP en marché public en l’absence de risque d’exploitation

TA Poitiers, 8 décembre 2016, SAS Voyages Goujeau, n° 1602479

Par une ordonnance en date du 8 décembre 2016, le Juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Poitiers, saisi pour la seconde fois du contrat de transport public de voyageurs du Département de Charente-Maritime, a – de nouveau – jugé qu’en l’absence de transfert du risque d’exploitation le contrat ne constituait pas une délégation de service public, mais un marché public.

Le Juge des référés s’est, de façon surprenante, prononcé au regard de la rédaction de l’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) applicable avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, mais la solution retenue est quant à elle sans surprise : dans la mesure où les mécanismes de rémunération prévus contractuellement permettent au délégataire de couvrir 99,70 % de ses charges d’exploitation, « le délégataire ne peut être considéré comme supportant une part significative du risque » et le contrat « doit être regardé comme un marché public dont les règles de passation étaient  soumises aux règles relatives aux marchés publics et non […] comme une délégation de service public ». Le Juge des référés a en conséquence annulé la procédure de passation du contrat, au motif d’une méconnaissance des dispositions de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relatives à l’allotissement.

L’action de groupe devant le Juge administratif

L’introduction de l’action de groupe en droit français a longtemps fait l’objet d’un débat politique mouvementé.

Même si la nécessité de sa création a été admise par la grande majorité des acteurs de la vie publique et promise en 2005, par le Président de la République Jacques Chirac lors de la cérémonie des vœux « aux forces vives de la Nation », ce n’est finalement que 9 ans plus tard, soit le 26 septembre 2014, qu’était publié au Journal Officiel le décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe mais uniquement en matière de consommation.

La possibilité d’ouvrir aux administrés ou aux usagers de services publics d’engager une action de groupe à l’encontre d’une collectivité remonte pourtant au 24 juin 2008, date à laquelle le Vice-Président du Conseil d’Etat de l’époque, missionnait un  groupe de travail afin « d’examiner dans quelle mesure et à quelles conditions, l’instauration d’une action collective pourrait offrir une alternative efficace au traitement des contentieux dits de série et si, au-delà de cet objectif, elle est susceptible d’offrir aux justiciables placés dans la même situation qui entendent contester la légalité de décisions similaires ou faire valoir des droits identiques une voie adéquate et pertinente ».

Aux termes de ce rapport (1), l’action de groupe était définie comme étant « la procédure par laquelle une personne ayant seule la qualité de requérant exerce, au nom d’un groupe ayant les mêmes intérêts, une action en reconnaissance de droits individuels en faveur des membres du groupe ».

 « L’idée première est d’offrir un cadre procédural alternatif aux contentieux dits de série, qui assure tout à la fois une sécurité juridique accrue (mieux appréhender une question de principe sans risquer d’éluder des situations distinctes) et une économie matérielle (éviter la gestion concrète d’une multiplicité de requêtes identiques appelant une même réponse) ».

C’est ainsi que huit années plus tard, l’action de groupe en droit administratif a été  incorporée dans la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, non encore applicable, qui a créé une procédure commune et un socle commun aux différentes actions de groupe.

I. Les modalités d’application de la Loi de modernisation de la justice du XXIème siècle

A/ Les conditions légales de l’action de groupe

1/ Les textes

L’action de groupe en droit administratif est régie par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle. Pour autant, aucun décret d’application n’a à ce jour été publié.

2/ La codification de l’action de groupe

L’article L. 77-10-3 du Code de justice administrative dispose que :

« Lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent un dommage causé par une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles, une action de groupe peut être exercée en justice au vu des cas individuels présentés par le demandeur.

Cette action peut être exercée en vue soit de la cessation du manquement mentionné au premier alinéa, soit de l’engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des préjudices subis, soit de ces deux fins ».

Plus généralement, le régime juridique de l’action de groupe est prévu aux articles L. 77-10-1 à L. 77-10-25 du Code de justice administrative.

B/ Les conditions d’exercice de l’action

1/ Une pluralité de personnes

L’article L. 77-10-3 du Code de justice administrative mentionne « plusieurs personnes ».

Le législateur ne fixe aucun seuil de victimes. Dès lors, et à défaut de décret et de circulaire, il est possible de déduire de cette formulation que, comme pour l’application de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation dite « Loi Hamon », à compter de deux personnes lésées l’action de groupe est possible.

Le champ de ces victimes n’est pas arrêté. Aucune qualité particulière n’est donc attendue, contrairement à la Loi Hamon où la qualité de consommateur est une condition essentielle. Par ailleurs, cette notion de personne englobe aussi bien les personnes physiques que morales.

2/ Une situation similaire

Les personnes ayant subi un dommage doivent être placées dans une situation similaire (article L. 77-10-3 du Code de justice administrative).

Cette condition implique une similitude dans la situation de droit liant ces personnes à la personne morale de droit public susceptible d’être assignée. Cette condition devra s’apprécier au regard du manquement reproché.

3/ Des personnes ayant subi un dommage

La rédaction retenue par la Loi Hamon dans le cadre de l’action de groupe en matière de consommation, exclut la réparation des préjudices (patrimoniaux ou extrapatrimoniaux) résultant de dommages corporels, moraux, ou encore environnementaux, mais aussi la réparation des préjudices moraux résultant d’un dommage matériel.

En revanche, la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle ne contient pas de telles précisions. Dès lors, et à défaut de décret, il pourrait être soutenu que les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux peuvent être réparés dans le cadre de cette action

4/ Un préjudice ayant pour cause commune un manquement de même nature à des obligations légales ou contractuelles

Au sens du droit de la responsabilité civile, les préjudices réparables doivent résulter d’un  même manquement, d’une ou plusieurs personnes, en d’autres termes d’un même fait générateur.

Dans le cadre de cette action, le fait générateur du dommage n’est pas clairement identifié par la formulation « manquement de même nature » aux « obligations légales ou contractuelles ».

Ainsi, une grande diversité de comportement fautif peut justifier l’exercice d’une action de groupe, tels que la carence ou l’inertie de l’administration, l’adoption de décisions illégales, les retards pour prendre une décision ou en assurer l’exécution.

II. Les différents domaines d’application de la loi

L’article L. 77-10-1 du Code de justice administrative prévoit que l’action pourra concerner les domaines suivants :

1/ L’action de groupe « discriminations» qui se subdivise elle-même en :

  • Une action de groupe généraliste en matière de discriminations désormais régie par les dispositions modifiées de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Dans cette hypothèse, plusieurs candidats à un emploi, à un stage ou à une période de formation ou plusieurs agents publics estimant avoir fait l’objet d’une discrimination, directe ou indirecte, fondée sur un même motif et imputable à un même employeur public, pourront agir contre cet employeur.

Cette action a pour spécificité d’être ouverte aux organisations syndicales de fonctionnaires représentatives au sens du III de l’article 8 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

  • Une action de groupe plus spécifiquement dédiée aux discriminations imputables à un employeur public ou privé introduite au chapitre XI du Code de justice administrative (CJA).

2/ Les actions de groupe en matière environnementale (article L. 142-3-1 du Code de l’environnement) :

L’action est notamment réservée aux dommages relatifs à la protection de la nature et de l’environnement, à l’amélioration du cadre de vie, à la protection de l’eau, de l’air, des sols, des sites et paysages, à l’urbanisme, à la pêche maritime ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, la sûreté nucléaire et la radioprotection.

Elle est ouverte aux associations agréées au titre de la protection de l’environnement, ainsi qu’aux associations agréées dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, dont l’objet statutaire comporte la défense des victimes de dommages corporels ou la défense des intérêts économiques de leurs membres.

3/ Les actions de groupe portant sur la protection des données à caractère personnel (article 43 ter de la L. n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés) :

Cette action permet notamment aux usagers de services publics de faire cesser une atteinte relative aux données personnelles devant le Juge administratif, lorsque le responsable du traitement est une autorité administrative.

4/ Les actions de groupe en matière de santé (article L. 1143-1 et suivants du Code de la santé publique) :

La Loi applique le socle procédural des articles L. 77-10-1 et suivants du CJA à l’action déjà existante en matière de santé.

Devant le Juge administratif, elle permet à toute association agréée d’usagers du système de santé d’agir en justice afin d’obtenir la réparation des préjudices résultant de dommages corporels subis par des usagers placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un producteur ou d’un fournisseur d’un produit de santé ou d’un prestataire utilisant l’un de ces produits à leurs obligations légales ou contractuelles, dans le cadre des établissements publics de santé.

III. La procédure

Le dispositif applicable aux juridictions administratives reprend l’intégralité du mécanisme de l’action de groupe prévu pour le Juge judiciaire, à la différence que l’action est dirigée à l’encontre d’une personne morale de droit public ou chargée de la gestion d’un service public.

A/ Qui peut engager l’action?

L’article L. 77-10-4 du Code de justice administrative prévoit que « seules les associations agréées et les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins et dont l’objet statutaire comporte la défense d’intérêts auxquels il a été porté atteinte » peuvent exercer l’action de groupe.

Il y a là une différence majeure avec l’action de groupe de la Loi Hamon.

En effet, l’article L. 623-1 du Code de la consommation, tel qu’issu de la Loi Hamon, prévoit que seules peuvent agir les associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées en application de l’article L. 811-1 du Code de la consommation. Cet article prévoit d’ailleurs que les conditions d’agrément et de retrait sont fixées par décret.

La loi de modernisation de la justice au XXIème siècle ne comporte aucune précision quant à un décret d’application. Les conditions sont donc moins strictes même si peu d’associations sont titulaires de cet agrément et que la durée de cinq ans est relativement longue notamment dans le cadre d’évènement soudain et imprévisible.

B/ Contre qui ?

Cette action de groupe permet de poursuivre des personnes morales de droit public et des organismes de droit privé chargé de la gestion d’un service public (article L. 77-10-3 du Code de justice administrative).

C/ Devant quelle juridiction ?

Contrairement à l’action de groupe exercée devant le Juge judiciaire précisant qu’elle relève du tribunal de grande instance (article L. 211-9-2 du Code de l’organisation judiciaire), la Loi de modernisation de la justice au XXIème siècle ne précise pas pour l’action de groupe devant le Juge administratif les règles de compétence applicable au sein de la juridiction administrative.

Il peut donc en être déduit que les actions de groupe suivront le circuit juridictionnel habituel et les règles de compétence matérielle et territoriale applicables aux actions en responsabilité.

D/ Comment se déroule la procédure?

Comme pour la Loi Hamon, l’action de groupe devant le Juge administratif se décompose en trois étapes :

1/ L’introduction de l’instance

  • la décision administrative préalable

La loi de modernisation de la justice au XXIème siècle ne le rappelle pas. Toutefois, la règle de la décision administrative préalable s’applique pleinement dans le silence de la loi à l’action de groupe devant le Juge administratif ce qui oblige le demandeur à lier préalablement le contentieux.

  • la mise en demeure

L’article L. 77-10-5 du Code de justice administrative conditionne l’engagement de l’action à une mise en demeure préalable adressée à l’auteur du dommage par la personne ayant qualité pour agir, afin que celui-ci fasse cesser le manquement ou procède à la réparation des préjudices subis.

Ce même article prévoit qu’un délai de quatre mois est laissé à la personne mise en demeure. Au terme de ce délai une action de groupe peut être engagée. Si une action de groupe est introduite avant l’expiration de ce délai, elle est déclarée irrecevable.

Ces dispositions ont pour but d’encourager un règlement pacifié et extra-juridictionnel de la situation litigieuse.

2/ Cessation du manquement ou jugement sur la responsabilité

  • la cessation de manquement

L’article L. 77-10-6 du Code de justice administrative précise que l’action de groupe peut tendre à la cessation d’un manquement. Le Juge administratif peut prendre toutes les mesures utiles à cette fin et notamment une astreinte.

  • le jugement-cadre en reconnaissance de responsabilité

 L’article L. 77-10-7 du Code de justice administrative prévoit que le Juge statue sur la responsabilité du défendeur. Le Juge définit le groupe de personnes à l’égard desquelles la responsabilité du défendeur est engagée ce qui suppose la définition de critères précis permettant le rattachement audit groupe et également les préjudices susceptibles d’être réparés.

Il doit par ailleurs procéder aux mesures de publicité adéquates d’après l’article L. 77-10-8 du Code de justice administrative afin de permettre l’information des victimes mais aussi la constitution du groupe grâce à l’adhésion expresse et a posteriori des victimes potentielles.

3/ L’indemnisation

Le mode d’indemnisation des préjudices peut suivre deux voies distinctes :

  • la procédure collective de liquidation prévue à l’article L. 77-10-9 du Code de justice administrative 

 Ce système consiste dans l’attribution d’une somme globale censée couvrir l’indemnisation de toutes les victimes.

Une habilitation est délivrée par le Juge, sur la base de laquelle le demandeur peut négocier directement avec le défendeur l’indemnisation des préjudices subis par les personnes constituant le groupe à partir d’éléments généraux de cadrage préalablement définis dans la décision de justice.

Les victimes potentielles peuvent rallier le groupe en se signalant auprès de l’association demanderesse (article L. 77-10-13 du Code de justice administrative).

Le Juge ayant préalablement statué sur la responsabilité est obligatoirement saisi aux fins d’homologation de l’accord préalablement entériné par les parties et accepté par les membres du groupe (article L.77-10-14 du Code de justice administrative).

  • la procédure individuelle de réparation

L’article L. 77-10-10 du Code de justice administrative prévoit que les personnes souhaitant adhérer au groupe peuvent alors formuler, soit auprès de la personne dont la responsabilité aurait été préalablement reconnue par le Juge, soit auprès du demandeur à l’action recevant mandat aux fins d’indemnisation une demande de réparation.

Sur cette base, la personne déclarée responsable procède à l’indemnisation individuelle des préjudices (article L. 77-10-11 du Code de justice administrative).

D’après l’article L. 77-10-12 du Code de justice administrative, faute d’obtenir satisfaction, les victimes peuvent saisir le Juge ayant préalablement statué sur la responsabilité, afin d’obtenir la réparation de leur préjudice dans les conditions et limites fixées par le premier jugement.

***

L’introduction d’une telle action répond au besoin impérieux de doter l’appareil juridique français d’un outil efficace afin de protéger les droits des usagers des services publics et des fonctionnaires ; lesquels étaient jusqu’alors, sur le plan collectif, dépourvus de tous moyens d’actions à l’effet d’engager la responsabilité d’une personne morale de droit public.

La Loi de modernisation de  la justice du XXIème siècle vient donc combler le vide qui existait jusqu’alors, en permettant aux usagers ou aux administrés de mutualiser leurs moyens d’actions afin de solliciter l’engagement de la responsabilité des personnes morales de droit public mais surtout la cessation rapide des troubles qui leurs sont occasionnés.

Au-delà des objectifs poursuivis par cette loi, l’on peut d’ores et déjà regretter que le législateur ne soit pas allé plus loin.

Tout d’abord, le recours aux associations agréées ou représentatives sur le plan national est maintenu alors qu’elles ont montré leurs limites dans les précédentes actions de groupe qui ont été introduites en droit français.

L’avocat est une nouvelle fois écarté dudit dispositif ; de même que le Défenseur des droits alors qu’il est censé être l’intermédiaire entre les administrations et les administrés.

Enfin, il est regrettable que le législateur n’ait pas tenu compte de la spécificité du droit administratif pour prévoir des règles procédurales propres à cette action, même si on peut se féliciter qu’il ait été envisagé le règlement amiable préalable de tels litiges.

Si quelques règles ont été ajoutées, la Loi de modernisation de la justice au XXIème siècle repose, s’agissant de la procédure, essentiellement sur les règles prévues par  la Loi Hamon.

Dans l’attente de l’adoption du décret d’application, l’efficacité de cette action reste incertaine.

Hakim ZIANE
Avocat à la cour

(1) Rapport du 12 janvier 2009 sur l’introduction d’une action collective en droit administratif

Plans climat-air-énergie territorial (PCAET) : le rôle des services de l’Etat précisé

Les plans climat-air-énergie territorial prévus à l’article L. 229-26 du Code de l’environnement  sont les outils opérationnels de coordination de la transition énergétique sur le territoire. Ils doivent être élaborés au niveau intercommunal et puis révisés tous les 6 ans.

Après que leur contenu ait été précisé par un décret n° 2016-849 du 28 juin 2016 relatif au plan climat-air-énergie territorial , une note a été diffusée le 16 janvier dernier par le ministère de l’Environnement afin de demander aux préfets de région d’informer les « obligés » de la nécessité d’établir leur plan climat-air-énergie territorial (PCAET).

La note détaille ainsi les rôles des préfets, des services déconcentrés du ministère de l’environnement de l’énergie et de la mer et de l’ADEME dans l’élaboration et la mise en œuvre de ces plans pour les collectivités en charge de l‘élaboration des PCAET.

Pour mémoire, les délais fixés aux établissements publics à coopération intercommunale sont les suivants :

  • les EPCI de plus 50 000 habitants existants au 1er janvier 2015 et la Métropole de Lyon doivent élaborer leur PCAET avant le 31 décembre 2016 ;
  • les EPCI de plus 20 000 habitants existants au 1er janvier 2017 doivent élaborer leur PCAET avant le 31 décembre 2018.

Ces différents EPCI ont la responsabilité de l’animation territoriale et de la coordination de la transition énergétique sur leur territoire. Le PCAET peut être élaboré par le porteur du schéma de cohérence territoriale (SCoT) si tous les EPCI du territoire du SCoT lui transfèrent la compétence.

La note diffusée vient, par ailleurs, confirmer qu’aucun délai n’est fixé pour l’élaboration des PCAET, sur le territoire de la Métropole du Grand Paris, par les établissements publics territoriaux et la ville de Paris.  Elle indique par ailleurs que ces PCAET devront être compatibles avec le PCAET de la métropole du Grand Paris.

Dans ce contexte, la note détaille le rôle des services de l’Etat qui devra se concentrer sur  l’information des EPCI sur leurs obligations et les outils à leur disposition, qu’ils soient méthodologiques ou financiers et  le « dire » de l’État, terme qui englobe les interventions à mettre en œuvre par les services de l’Etat : communication préalable des informations utiles, avis sur le projet de PCAET, suivi des travaux dans le cadre, autant que possible, d’un réseau d’échange État-collectivités.

Enfin, la note entend rappeler l’ambition des PCAET, qui ne doivent pas se concevoir comme une juxtaposition de plans d’action climat / air / énergie mais bien comme le support d’une dynamique, en prévoyant des ambitions atteignables et en permettant en particulier de prévenir ou réduire les émissions de polluants atmosphériques.