Intervenant n’ayant pas la qualité de maître d’œuvre : pas de responsabilité pour manquement à son devoir de conseil

Dans cette affaire, un maître d’ouvrage recherchait la responsabilité de l’entreprise chargée des travaux de consolidation et d’embellissement d’une station de pompage.

L’enjeu tenait au fait qu’une réception sans réserve avait été prononcée, mettant ainsi fin aux rapports contractuels entre le maitre d’ouvrage et ses constructeurs.

Outre une responsabilité recherchée sur le fondement de la garantie décennale, la responsabilité contractuelle de l’entreprise était recherchée, en sa prétendue qualité de maître d’œuvre, pour manquement à son devoir de conseil envers le maître d’ouvrage.

La Cour rappelle ici une jurisprudence constante en matière de responsabilité contractuelle du maître d’œuvre (CE 7 mars 1980, Monge, Lebon 794, notamment) :

« la responsabilité d’un maître d’œuvre pour manquement à son devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu’il s’est abstenu d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont il pouvait avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves ».

Avant d’écarter la qualité de maître d’œuvre à l’entreprise de travaux :

«  Il résulte de l’instruction que la société Temsol était titulaire d’un marché de travaux. Si la société AT Ingénierie avait été chargée de fournir les plans d’exécution, notamment les plans de coffrage des fondations, les plans d’implantation des micropieux, les plans d’armature des longrines et des têtes de pieux et les notes de calculs, et qu’elle avait indiqué dans son devis réaliser les études conjointement avec la société Temsol, il ne résulte pas de l’instruction que la société AT Ingénierie ou la société Temsol auraient été chargées d’une mission de maîtrise d’œuvre, comprenant notamment des éléments d’assistance à maîtrise d’ouvrage, d’autant qu’il résulte de l’instruction que l’Asa des Coteaux de Sioniac assurait la maitrise d’œuvre des travaux, ainsi que cela ressort de l’ordre de service n°1 du 17 mai 2004 de démarrage des travaux ».

En définitive, la Cour relève que la maîtrise d’œuvre des travaux était assurée par le maître d’ouvrage, de sorte que ce dernier n’était pas fondé à soutenir que l’entreprise avait cette qualité et aurait manqué à son obligation de conseil en ne l’informant pas des insuffisances des travaux qu’elle devait effectuer.

Ceci n’est pas sans conséquence dès lors que la responsabilité décennale de l’entreprise de travaux est également écartée car les désordres relevés proviennent de la conception initiale du bâtiment et non des travaux de consolidation réalisés par cette dernière.

Cette décision rappelle les difficultés qui peuvent survenir lorsque le maître d’ouvrage a également qualité de maître d’œuvre du projet.

Responsabilité décennale de l’architecte retenue malgré une mission très limitée

Dans une décision sévère du 21 novembre 2019 la Cour de cassation a de nouveau condamné un architecte sur le fondement de sa responsabilité décennale en raison de désordre affectant un ouvrage alors que sa mission se limitait à la demande de dépôt de permis de construire.

La Cour a en effet jugé que l’architecte, malgré l’étendue limitée de sa mission, doit prendre en compte les contraintes affectant le sol afin d’offrir au maître d’ouvrage un projet réalisable.

Il a ainsi été jugé « ayant retenu, à bon droit, que M. X…, auteur du projet architectural et chargé d’établir les documents du permis de construire, devait proposer un projet réalisable, tenant compte des contraintes du sol, la cour d’appel, qui a constaté que la mauvaise qualité des remblais, mis en œuvre avant son intervention, était la cause exclusive des désordres compromettant la solidité de l’ouvrage, en a exactement déduit […] que M. X… engageait sa responsabilité décennale ».

La Cour a de ce fait rejeté purement et simplement le moyen soutenu par l’architecte selon lequel il n’était pas tenu de réaliser des travaux de reconnaissance des sols ni d’attirer l’attention du maître d’ouvrage sur la nécessité d’en réaliser.

Cette décision est dans la droite ligne des précédentes rendues par la Cour qui font de l’architecte le constructeur au sens de l’article 1792-1 du Code civil dont la responsabilité décennale est quasi systématiquement retenue en cas de désordre de nature décennale et ce y compris lorsque sa mission est particulièrement limitée.

Marchés de travaux publics et précisions sur les conditions d’application de l’action en paiement direct du sous-traitant accepté

L’action en paiement direct du sous-traitant n’en finit plus de faire parler d’elle.

Par un arrêt rendu le 2 décembre 2019, le Conseil d’Etat est venu, à nouveau, préciser les conditions d’application de l’action en paiement direct du sous-traitant accepté.

Pour mémoire, la sous-traitance est régie par la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 dont les dispositions sont d’ordre public.

Il résulte des dispositions de l’article 6 de cette loi que, une fois accepté et ses conditions de paiement agrées par le maître d’ouvrage, le sous-traitant a droit au paiement direct par lui pour les prestations dont il assure l’exécution.

Encore faut-il que la demande en paiement direct formulée par le sous-traitant à l’encontre du maître d’ouvrage intervienne en « temps utile »…

 

 – En l’espèce et dans le cadre d’un marché public, un maître d’ouvrage a confié l’exécution de travaux de construction à une entreprise générale laquelle en avait sous-traité une partie.

L’entreprise générale a adressé un projet de décompte général de l’ensemble des travaux de son lot en ce compris ceux réalisés par son sous-traitant, intégrant notamment les surcoûts allégués par ce dernier au titre de l’allongement de la durée des travaux ainsi que des demandes de réclamation au titre de travaux supplémentaires.

Aux termes de son décompte général, le maître d’ouvrage a exclu ces réclamations.

Ce décompte a été contesté par le sous-traitant devant le Tribunal administratif de Grenoble lequel a rejeté ses demandes d’indemnisation.

La Cour administrative de Lyon a également rejeté l’appel formé à l’encontre de ce jugement et cette affaire a ainsi été portée devant le Conseil d’Etat.

 

 – Après avoir rappelé le contenu des dispositions des articles 6 et 8 de la loi du 31 décembre 1975 ainsi que celles de l’article 186 ter du code des marchés publics, le Conseil d’Etat a jugé que :

« Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour obtenir le paiement direct par le maître d’ouvrage de tout ou partie des prestations qu’il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser en temps utile sa demande de paiement direct à l’entrepreneur principal, titulaire du marché, et, dans le cas mentionné au deuxième alinéa de l’article 186 ter du code des marchés publics, au maître d’ouvrage. Une demande adressée après la notification du décompte général du marché au titulaire de celui-ci ne peut être regardée comme ayant été adressée en temps utile ».

A la lumière de ces dispositions, le Conseil d’Etat a donc considéré, en l’espèce, que le sous-traitant n’avait pas présenté de demande de paiement direct destinée au maître d’ouvrage avant que le décompte général ne soit adressé à l’entreprise générale, titulaire du marché, de sorte que la demande de paiement direct postérieure était tardive.

Ainsi, selon lui, la Cour administrative d’appel de Lyon, qui n’avait pas à rechercher si ce décompte général était devenu définitif, n’avait pas commis d’erreur de droit.

Cet arrêt fait écho à de précédentes décisions rendues en la matière aux termes desquelles les juridictions administratives avaient notamment précisé qu’une demande adressée avant l’établissement du décompte général et définitif du marché devait être considérée comme effectuée en temps utile (CE, 23 octobre 2017, n° 410235).

Désormais, les conditions d’application de l’action en paiement direct du sous-traitant accepté sont encore plus claires : la notification du décompte général fait obstacle à la demande de paiement direct qui serait formulée postérieurement par le sous-traitant auprès du maître d’ouvrage.

Indemnisation du candidat irrégulièrement évincé : le calcul du manque à gagner ne peut prendre en compte les éventuelles reconductions

Par sa décision du 2 décembre 2019 (req. n° 423936), le Conseil d’Etat apporte une importante précision sur la période qui doit être prise en compte lors du calcul du manque à gagner à hauteur duquel a droit à être indemnisé le candidat irrégulièrement évincé qui présentait une chance sérieuse de remporter le marché.

Pour rappel, le Conseil d’Etat avait très clairement jugé que ce manque à gagner devait être déterminé en fonction « du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l’avait obtenu » (CE, 8 février 2010, Commune de la Rochelle, req. n° 314075).

Par la suite, certaines juridictions du fond ont précisé que le manque à gagner ne pouvait pas se calculer en prenant en compte les périodes d’éventuelles reconductions, eu égard au fait que la reconduction n’est qu’une faculté que le pouvoir adjudicateur est libre de ne pas utiliser (CAA Nancy, 5 juillet 2016, Société Hygie-Serv, req. n° 15NC00330).

Cependant, par un arrêt du 6 juillet 2018 (req. n° 17NT01247), la Cour administrative d’appel de Nantes s’est inscrite à rebours de ce courant jurisprudentiel, en accordant à la Société Valeurs Culinaires, candidate irrégulièrement évincée de l’attribution d’un marché passé par le groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine, une indemnisation de 200.000 euros correspondant à son manque à gagner calculé sur une durée de trois ans englobant la période d’exécution initiale de douze mois ainsi que les deux éventuelles reconductions de même durée.

Saisi par le groupement d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat souligne, dans sa décision du 2 décembre 2019, que lorsqu’il est saisi par une entreprise qui a droit à l’indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière à l’attribution d’un marché, il appartient au juge d’apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain. Et, il précise que dans le cas où le marché est susceptible de faire l’objet d’une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s’y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en tant qu’il porte sur la période d’exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d’éventuelles reconductions ».

Appliquant ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat annule partiellement l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes et ramène le montant de l’indemnisation devant être versée à la Société Valeurs Culinaires à la somme de 66.666,66 euros correspondant au manque à gagner calculé sur la seule période initiale de douze mois.

Application de la garantie décennale en cas de non-conformités aux normes parasismiques

Par un arrêt rendu le 19 septembre 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de revenir sur la question de la responsabilité des constructeurs en cas de non-respect aux normes parasismiques.

Il est vrai que la qualification de désordre de nature décennale applicable au non-respect de la règlementation parasismique n’est pas si évidente notamment au regard des dispositions de l’article 1792 du Code civil et du délai d’épreuve décennale.

Cependant, la Cour de cassation est ferme : les non-conformités aux normes parasismiques applicables aux modifications importantes des structures des bâtiments existants constituent un désordre de nature décennale.

 – Dans cette espèce, une SCI a entrepris la rénovation d’un immeuble en vue de la création de plusieurs appartements destinés à la location.

Les travaux ont été confiés par lots séparés à diverses entreprises assurées au titre de la garantie décennale.

En réponse à une demande de paiement formulée par une des entreprises au titre du solde de son marché, la SCI a sollicité une mesure d’expertise en arguant l’existence de désordres.

Aux termes de son rapport, l’Expert judiciaire a conclu à la non-conformité aux normes parasismiques.

 – Aux termes de son arrêt rendu le 27 février 2018, la Cour d’appel de Chambéry a considéré que le non-respect des normes parasismiques applicables constituait un désordre de nature décennale.

Plus précisément, cette dernière a retenu, en se plaçant à la date de la délivrance du permis de construire, que les normes parasismiques applicables au chantier litigieux étaient prévues par le décret n° 91-461 du 17 mai 1991 et l’arrêté du 29 mai 1997 et a considéré qu’il résultait de la combinaison de ces textes que ces normes parasismiques s’appliquaient d’une manière générale « aux modifications importantes des structures des bâtiments existants », de sorte que les travaux de rénovation réalisés par l’entreprise concernée, qui impliquaient précisément de telles modifications, étaient soumis à ces normes parasismiques.

La Cour a ainsi conclu à l’existence d’un désordre décennale résultant de la non-conformité des travaux entrepris aux normes parasismiques applicables et l’atteinte subséquente à la solidité de l’ouvrage.

– La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé en ces termes :

« Mais attendu qu’ayant relevé que le décret du 14 mai 1991, modifié par celui du 13 septembre 2000 rendait les normes parasismiques applicables aux modifications importantes des structures des bâtiments existants et constaté que les travaux réalisés par la SCI avaient apporté de telles modifications, la cour d’appel, qui en a exactement déduit que ces normes devaient s’appliquer, a légalement justifié sa décision […] ».

Cet attendu est clair : le non-respect des normes parasismiques (qui s’apprécie à la date de délivrance du permis de construire) entraine l’application de la garantie décennale.

Si cette qualification de désordre décennal n’est pas nouvelle, une attention particulière doit tout de même être portée aux prochaines décisions qui seront rendues en la matière.

 

 

Autoconsommation collective d’électricité : les organismes HLM sont concernés aussi

L’article 41 de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat (ci-après, loi Energie Climat) a, entre autres mesures, consacré au profit des organismes d’habitations à loyer modéré la possibilité de « créer, gérer et participer à des opérations d’autoconsommation collective » d’électricité (nouvel art. L. 424-3 du Code de la construction et de l’habitation).

Pour mémoire, la notion d’autoconsommation individuelle d’électricité correspond au fait pour un producteur de consommer lui-même tout ou partie de l’électricité produite par son installation de production. Et, l’autoconsommation peut également être collective lorsque la fourniture d’électricité est effectuée entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs finals.

Toutefois, les dispositions des articles L. 315-2 et suivants et D. 315-1 et suivants du Code de l’énergie relatives à l’autoconsommation posent un certain nombre de conditions techniques et juridiques à la mise en œuvre de l’opération d’autoconsommation collective. En particulier, l’article L. 315-2 du Code de l’énergie impose au(x) producteur(s) et au(s) consommateur(s) participant à l’opération d’être réunis au sein d’une même personne morale. Or tel n’est en principe pas le cas d’un organisme d’habitations à loyer modéré et de ses locataires, rendant de ce fait nécessaire la création d’une structure juridique nouvelle s’ajoutant à l’organisme.

La loi Energie Climat a assoupli cette condition en considérant que lorsqu’une opération d’autoconsommation collective réunit un organisme d’habitations à loyer modéré et ses locataires, ledit organisme est regardé comme la personne morale organisatrice de l’opération visée par l’article L. 315-2 du Code de l’énergie (nouvel art. L. 315-2-1 du Code de l’énergie).

Le nouvel article L. 315-2-1 du Code de l’énergie impose par ailleurs au bailleur, selon le cas, une obligation d’information des locataires préalablement à l’engagement d’une opération d’autoconsommation collective ou, une obligation d’information des nouveaux locataires de l’existence d’un dispositif d’autoconsommation collectif au sein de l’immeuble. Les locataires ont la possibilité de refuser d’y participer, ou de décider de mettre un terme à leur participation.

Un décret en Conseil d’Etat doit encore apporter des précisions complémentaires et les opérations d’autoconsommation collectives que les organismes d’habitations à loyer modéré pourraient souhaiter engager demeurent soumises au respect des autres conditions, notamment techniques, posées par le Code de l’énergie.

Néanmoins, ces nouvelles dispositions pourraient offrir de nouvelles perspectives aux organismes d’habitations à loyer modéré en matière de politique de transition énergétique et de maîtrise de la consommation énergétique de leur parc immobilier.

Risque d’inconstitutionnalité de la révocation automatique des sursis disciplinaires en droit de la fonction publique

Par une décision QPC n° 2019-815 du 29 novembre 2019, le Conseil constitutionnel a censuré le régime du sursis disciplinaire employé par l’ordre des experts comptables.

Dans son droit disciplinaire, l’ordre des experts comptables prévoyait que, dans un délai de cinq ans à compter du prononcé d’une peine assortie d’un sursis, l’infliction d’une nouvelle peine disciplinaire entrainait la révocation dudit sursis.

Sur le fondement du principe d’individualisation des peines qui découlent de l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel a estimé que l’automaticité de la révocation de ce sursis, sans qu’il ne soit prévu aucune possibilité, pour le juge disciplinaire, d’en écarter l’application, méconnait ce principe et est donc inconstitutionnel.

Or, on sait que le régime disciplinaire des fonctionnaires prévoit, dans les trois fonctions publiques, une révocation tout aussi automatique du sursis dont peut être assorti une peine d’exclusion temporaire de fonction (art. 89 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ; art. 66 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ; art. 81 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986).

Il faut donc évidemment s’attendre à voir le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de ces dispositions, en tant qu’elle prévoit la révocation automatique du sursis, soit soulevé dans les mois à venir.

Le succès d’un tel moyen n’est néanmoins pas acquis à ce stade. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel, pour considérer le caractère automatique de l’inconstitutionnalité, s’appuie sur deux arguments : d’une part, la révocation du sursis revêtait un caractère automatique pour toute sanction, quel que soit son quantum ; d’autre part, elle ne pouvait faire l’objet d’aucune modulation.

Or, si le second argument est valable en droit de la fonction publique, une nuance peut être apportée sur le second argument. Les dispositions précitées prévoient en effet que la révocation du sursis intervient automatiquement qu’en cas d’infliction d’une sanction d’exclusion temporaire de fonction d’un à trois jours, ou d’une sanction du deuxième ou troisième groupe.

La révocation n’est donc pas, à proprement parler, automatique pour toute nouvelle sanction, puisque l’infliction d’un avertissement ou d’un blâme ne l’entraine pas.

Reste à savoir quand le Conseil constitutionnel pourrait avoir l’occasion de trancher cette question étant donné que la révocation du sursis n’est finalement pas une mesure courante.

Quand un besoin de remplacement de personnel est qualifié de besoin permanent

Les articles 3-1 à 3-3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale prévoient les conditions dans lesquelles peut être dérogé au principe de l’emploi de fonctionnaires sur des emplois permanents des collectivités territoriales. L’article 136 de cette même loi fixe les conditions d’emploi de ces agents, et, s’agissant des agents des administrations parisiennes, l’article 55 du décret du 24 mai 1994 dispose que « les fonctions qui correspondant à un besoin permanent, impliquent un service à temps non complet sont assurées par des agents non titulaires ». (des dispositions identiques existant pour la fonction publique territoriale).

L’enjeu pour des agents employés en qualité de « vacataires » de façon régulière est ainsi de faire reconnaitre l’existence d’un besoin permanent lié à l’exercice de leurs fonctions, afin de se voir reconnaître le statut d’agent contractuel.

Un agent ayant exercé pendant environ dix ans les fonctions de gardien remplaçant au sein de résidences gérées par le Centre d’Action Sociale de la Ville de Paris (CASVP), principalement les weekends et jours fériés, a dans ces conditions demandé l’annulation de la décision mettant fin à ses fonctions et à ce qu’il soit enjoint de le réintégrer en qualité d’agent contractuel pour une durée indéterminée, ainsi qu’à ce que lui soit versées diverses sommes.

Le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision, enjoint le CASVP de réintégrer l’agent, et l’a condamné à lui verser la somme de 9144 euros.

Sur appel du centre action sociale et appel incident de l’agent, la Cour administrative d’appel de Paris a cependant condamné le CASVP à ne verser à l’agent que la somme de 2.000 euros en réparation de vacations non rémunérées, jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d’injonction, et réformé le reste du dispositif du jugement. L’agent s’est donc pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat, afin de se voir reconnaitre, comme l’avait jugé le Tribunal, la qualité d’agent contractuel.

Le Conseil d’Etat rappelle dans cet arrêt que « la circonstance que cet agent a été recruté plusieurs fois pour exécuter des actes déterminés n’a pas pour effet, à elle seule ; de lui conférer la qualité d’agent contractuel ». Le Conseil d’Etat rappelle ici sa jurisprudence Bakhtaoui (CE, 11 février 2013, req n°347145, aux tables)

Mais il précise aussi que « lorsque l’exécution d’actes déterminés multiples répond à un besoin permanent de l’administration, l’agent doit être regardé comme ayant la qualité d’agent non titulaire de l’administration ». Ainsi, il appartient désormais au juge administratif de rechercher si l’exécution d’actes multiples par un agent répond ou non à un besoin permanent.

En l’espèce, le Conseil d’Etat considère que la Cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis dès lors que le requérant avait exercé pendant dix ans des fonctions de gardien remplaçant lorsque les agents titulaires occupant ces fonctions étaient en congés légaux, en repos hebdomadaires. Le Conseil d’Etat a donc jugé qu’en l’espèce, l’emploi occupé par le requérant correspondait bien à un besoin permanent du CASVP.

L’application de la prescription quadriennale aux demandes de reconstitution de carrière

L’arrêt commenté répond à la question de l’opposabilité de la prescription quadriennale aux demandes des agents revendiquant le bénéfice de reconstitutions de carrière, et ce au travers d’une demande de bénéfice de l’avantage spécifique d’ancienneté.

Dans cette affaire, des fonctionnaires de police avaient formulé une demande tendant à la reconstitution de leurs droits à l’avantage spécifique d’ancienneté. Cet avantage est versé aux fonctionnaires d’Etat affectés pendant une certaine durée dans un quartier urbain particulièrement sensible.

Cet avantage ne constitue pas une prime mais bien un droit statutaire.

La Cour a confirmé le jugement du Tribunal administratif de Lyon opposant la prescription quadriennale en considérant que lorsqu’un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit, le fait générateur de la créance se trouve dans les services accomplis par l’agent et la prescription est acquise au début de la quatrième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés.

Pour mémoire, lorsqu’un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit et que le fait générateur de la créance se trouve ainsi dans les services accomplis de l’intéressé, la prescription est acquise au début de la quatrième année suivante chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés.

En revanche, lorsque la créance de l’agent porte sur la réparation d’une mesure illégalement prise à son encontre et qui a eu pour effet de le priver de fonctions, le fait générateur de la créance doit être rattaché, non à l’exercice au cours duquel la décision a été prise, mais à celui au cours duquel elle a été régulièrement notifiée (CE, 6 novembre 2002, n° 227147 et n° 244410).

La Cour a considéré que la demande formulée par les agents ne constituait pas une prétention indemnitaire mais bien une demande de reconstitution carrière qui ne pouvait s’apparenter à un préjudice né de l’absence de versement.

Par ailleurs, si l’application à un fonctionnaire de son statut ne relève pas d’une créance mais du droit commun de la légalité, le juge administratif considère que les conséquences financières résultant d’une telle application sont susceptibles d’entrer dans le champ de la prescription quadriennale.

Selon la Cour, c’est donc à bon droit que le Tribunal a opposé la prescription quadriennale aux conséquences pécuniaires d’un avantage statuaire.

La Loi d’orientation des mobilités définitivement adoptée

Le lien vers la décision définitivement adoptée est provisoire dans l’attente de la décision du Conseil constitutionnel.

 

C’est l’un des textes majeurs du quinquennat et, en tout état de cause, le premier grand texte réformant le secteur des transports et de la mobilité depuis la loi dite « LOTI » du 30 décembre 1982.

Après plusieurs mois de discussions parlementaires et deux ans après les Assises de la mobilité, la loi d’orientation des mobilités, ou « LOM » a été définitivement adoptée le 19 novembre 2019 par l’Assemblée nationale.

De manière symptomatique d’ailleurs, le vocable a changé depuis cette époque, puisque l’on doit désormais préférer le terme de « mobilité » à celui de « transports » en matière de déplacements, tant les solutions existantes pour ce faire se veulent désormais variées et complémentaires (transports en commun traditionnels, solutions de mobilités actives et partagées, solutions en free floating, et combinaison de l’ensemble de ces modes).

Parmi les grands apports de cette loi, on peut notamment souligner :

 – La réforme de la gouvernance des mobilités : les solutions de mobilité organisées doivent exister sur l’ensemble du territoire français. A cette fin, il est notamment prévu la couverture des zones blanches de la mobilité et, à cet égard, que la Région devienne autorité organisatrice de la mobilité (AOM) de droit en substitution des communautés de communes qui ne se seront pas vues transférer cette compétence par leurs communes membres au 1er juillet 2021.

La Région devient par ailleurs une véritable AOM pour les services revêtant un intérêt régional.

Elle est par ailleurs la collectivité cheffe de file pour organiser les modalités de l’action commune des AOM : la loi crée le « contrat opérationnel de mobilité », lequel devra définir les modalités d’action commune entre toutes les parties prenantes à l’échelle d’un bassin de mobilité (AOM, syndicats mixtes SRU, départements, gestionnaires de gares de voyageurs ou de pôles d’échanges multimodaux).

 

 – L’enrichissement des compétences des AOM : celles-ci se voient dotées d’une capacité d’intervention élargie, notamment en matière de mobilités actives et partagées (covoiturage, autopartage) puisque le texte prévoit désormais qu’elles peuvent organiser de tels services, et plus seulement concourir à leur développement.

En revanche, en l’état de la rédaction de ces dispositions, aucune compétence n’apparaît comme devant être obligatoirement exercée par une AOM, de sorte qu’une collectivité qui n’organiserait pas de services réguliers de transport public de personnes, mais proposerait par exemple seulement un service de location de bicyclettes et des services de transports à la demande serait bien une AOM au sens du Code des transports.

 

 – L’accent mis sur le développement et le soutien des nouvelles solutions de mobilités, mobilités actives et partagées, ainsi que leur encadrement.

Il existe désormais une définition légale des mobilités actives (futur article  L. 1271-1 du Code des transports). Y sont visés la marche à pied et le vélo, et, plus globalement « […] l’ensemble des modes de déplacement pour lesquels la force motrice humaine est nécessaire, avec ou sans assistance motorisée ».

Il est également prévu des modalités de soutien financier direct aux nouvelles solutions de déplacements via le « forfait mobilités durables » (prise en charge de l’employeur) ou, encore, la possibilité d’attributions d’allocations financières publiques en matière de covoiturage, ces allocations étant possibles à l’égard des passagers et des conducteurs (il est même prévu que l’allocation aux conducteurs puisse dépasser le seul partage de frais et, par ailleurs, qu’elle puisse être versée même en l’absence de passagers, ces dispositions devant toutefois être précisées par décret). En outre, par voie d’ordonnance, le Gouvernement pourra mettre en œuvre toute mesure à caractère expérimental en vue de tester de nouvelles solutions de transport routier des personnes dans les zones peu denses « afin de réduire les fractures territoriales et sociales » (Article 33).

Des dispositions spécifiques sont également prises en faveur de la promotion des déplacements à vélo (lutte contre le vol : identification de cycles et création d’un fichier national unique ; stationnement sécurisé dans les gares et pôles d’échange multimodaux ; solutions de stationnement dans les trains et les autocars).

Par ailleurs, la loi apporte des clefs pour l’encadrement des solutions de mobilité en libre-service (ou free floating), ce qui correspond aux vélos ou trottinettes sans station d’attache que l’on peut observer dans la capitale et les grandes agglomérations du territoire depuis environ un an et demi.

Si ces grandes villes, confrontées aux problématiques d’utilisation de l’espace public et de sécurité des usagers des engins et de la voie publique ainsi qu’au vide juridique en la matière, n’ont pas attendu la LOM pour intervenir, elles disposeront désormais d’un cadre légal pour asseoir, et peut-être corriger, leurs dispositifs.

Plus précisément, il est prévu que les opérateurs se voient délivrer un titre d’occupation du domaine public par l’autorité gestionnaire dudit domaine, de manière non discriminatoire (après une publicité préalable de nature à permettre la manifestation d’un intérêt pertinent et à informer de manière non discriminatoire les candidats potentiels), après avis de l’AOM. Ce titre pourra être prescriptif, s’agissant, par exemple, des conditions spatiales de déploiement des engins, des caractéristiques des engins en matière d’émission de polluants atmosphériques et gaz à effet de serre, des modalités de retrait des engins hors d’usage, ou, encore, des restrictions d’apposition de publicité sur les engins. Il est par ailleurs prévu que, dans les six mois à compter de la publication de la loi, le Ministre des transports établisse, en concertation avec les acteurs du secteur, des recommandations relatives auxdites prescriptions.

Les opérateurs devront s’acquitter du paiement d’une redevance d’occupation du domaine public et, conséquemment, ne seront pas soumis au paiement de la redevance de stationnement.

 

 – Des avancées en matière d’ouverture des données de mobilité :

La LOM élargit l’obligation de fourniture des données aux données statiques et dynamiques sur les déplacements et la circulation ainsi que les données historiques de circulation. Les régions, les métropoles et IDF Mobilités animent les démarches de fourniture des données par les autorités chargées des transports, les opérateurs de transport, les gestionnaires d’infrastructure ou les fournisseurs de services de transport à la demande, ce qui devra être fait par l’intermédiaire d’un point d’accès national. Ce point d’accès a été mis en place en 2018 sur le portail transport.data.gouv.fr.

En matière d’information des voyageurs sur l’offre de service de transport, la loi charge les AOM de s’assurer qu’un service d’information multimodal existe bien sur leur territoire. Cela doit participer du développement des services « MaaS » (Mobility as a service).

L’Autorité de régulation des transports (ART, anciennement autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, ARAFER) se voit par ailleurs confier des pouvoirs de contrôle et de règlement des différends dans le cadre de la mise à disposition des données de transport et les services numériques multimodaux. L’ART pourra assortir sa décision d’astreintes et ordonner des mesures conservatoires en cas d’atteinte grave et immédiate à l’accessibilité des données et aux services d’informations sur les déplacements. Enfin, l’ART aura la possibilité de prononcer, à titre de sanction, l’interdiction d’accès à tout ou parties des données disponibles sur le point d’accès national.

 

 – Une trajectoire de décabornation des transports terrestres à travers, notamment, des objectifs de « verdissement » des flottes de véhicules des collectivités publiques et des entreprises, et celui de fin de la vente des voitures particulières et des véhicules utilitaires légers neufs utilisant des énergies fossiles d’ici à 2040.

Par ailleurs, des zones à faibles émissions mobilité pourront devoir être obligatoirement instaurées dans les zones où les normes de qualité de l’air mentionnées ne sont pas respectées de manière régulière.

 

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La grande lacune du texte, déplorée par le Sénat, apparaît être l’impasse faite sur les sources de financement des nouvelles mobilités et infrastructures de transport, dans le contexte de la crise des gilets jaunes (dont le point de départ était la taxation des produits pétroliers).

A cet égard, on notera en effet que des mesures telles que l’instauration d’un péage urbain à l’entrée des grandes agglomérations ou, encore, d’une vignette ou d’un dispositif de réduction des remboursements de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) gazole pour les poids lourds ont été abandonnés, le Gouvernement soutenant que ces sujets de financements seraient réglés en loi de finances.

A l’heure de la rédaction de cet article, la loi de finances n’a toujours pas été définitivement adoptée. On peut toutefois relever que le Sénat a introduit – comme l’avait fait le projet de LOM – une disposition prévoyant l’allocation d’une fraction de la TICPE aux communautés de communes exerçant la compétence d’organisation de la mobilité et qui n’ayant pas institué le versement mobilité, disposition ensuite supprimée par amendement gouvernemental.

La LOM fixe tout de même la programmation des investissements de l’Etat dans les transports, en définissant quatre objectifs et cinq programmes d’investissement prioritaires (parmi lesquels la résorption de la saturation des grands nœuds ferroviaires, le désenclavement routier des villes moyennes et des régions rurales, le développement de l’usage des mobilités les moins polluantes et des mobilités partagées au quotidien).

Le texte est désormais soumis à l’examen du Conseil Constitutionnel, dont la décision devrait être rendue le 20 décembre.

Par Stella Flocco

Relèvement du seuil des marchés dispensés de procédure préalable à 40.000 euros

Le texte était annoncé depuis plusieurs mois déjà. Après avis du Conseil national d’évaluation des normes, le décret n° 2019-1344 du 12 décembre 2019 modifiant certaines dispositions du Code de la commande publique relatives aux seuils et aux avances relève le seuil de dispense de procédure pour la passation d’un marché à 40.000 euros hors taxes. Techniquement, il modifie l’article R. 2122-8 du Code de la commande publique.

Il s’agit donc d’une souplesse importante pour les acheteurs à compter de cette date puisque, pour répondre à un besoin, l’acheteur n’aura pas à engager une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable si le montant estimé est inférieur à ce seuil.

Avec ce nouveau montant, la France se situera au niveau de la moyenne des autres Etats membres de l’Union européenne pour les marchés de services et en deçà pour les marchés de travaux. Rappelons que cette évolution répond au double objectif : outre celui de faciliter la passation des petits marchés des acheteurs, l’objectif est également celui de faciliter l’accès des TPE-PME à la commande publique.

L’entrée en vigueur du texte est fixée au 1er janvier 2020 et il s’appliquera aux marchés publics pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication à cette date.

A noter toutefois que le seuil à compter duquel les marchés sont conclus par écrit demeure celui de 25.000 euros H.T. Et s’agissant de la publication des données essentielles, l’exigence sera assouplie si le montant est inférieur à 40.000 euros H.T. comme le prévoit l’article R. 2196-1 du Code de la commande publique.

Enfin, ce décret relève le montant des avances versées aux PME pour les marchés passés par l’Etat ainsi que par les établissements publics administratifs de l’Etat autres que les établissements publics de santé, les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics dont les dépenses de fonctionnement sont supérieures à 60 millions d’euros par an.

Des sociétés privées pour investir dans le logement social

 

Contexte : Le logement social connaît des difficultés liées au manque de ressources financières des différents organismes HLM pour rénover un patrimoine vieillissant et répondre aux demandeurs de logement. Est ainsi apparue la nécessité de recourir aux sociétés privées pour remédier aux difficultés de financement.

 

Apport : La loi ELAN du 23 novembre 2018 a introduit à l’article L. 443-11 du Code de la construction et de l’habitation la possibilité pour des personnes morales de droit privé d’acquérir des logements occupés auxquels sont appliqués les plafonds de ressources des prêts locatifs sociaux s’ils ont été construits ou acquis par un organisme d’habitations à loyer modéré depuis plus de quinze ans.

 

A l’étude : Face à la persistance des difficultés de financement du logement social en raison notamment de la baisse des aides publiques, l’Inspection Générale des Finances et le Conseil général de l’environnement et du développement durable a rendu en juillet 2019 et publié le 21 novembre 2019 un rapport sur la diversification des sources de financement du logement social qui étudie la possibilité pour des investisseurs privés de prendre part à des « véhicules d’investissement » mis en place par le bailleur valoriser son parc locatif mais aussi d’intégrer le capital des ESH et des SEM.

Par Emilie Bacqueyrisses

BDES : quelles informations doivent figurer en cas d’opération de fusion-absorption ?

Le contexte juridique : Pour rappel, la Base de Données Economique et sociales (BDES), constitué au niveau de l’entreprise, rassemble obligatoirement (disposition d’ordre public) l’ensemble des informations nécessaires aux consultations et informations récurrentes que l’employeur met à disposition des instances représentatives du personnel (C. trav., art. L. 2312-18). A défaut de négociation relative à l’architecture, l’organisation et le contenu de la BDES, des règles supplétives sont fixés par le Code du travail : à titre d’exemple, il est prévu que les informations contenues « portent sur les deux années précédentes et l’année en cours et intègrent des perspectives sur les trois années suivantes » (C. trav., art. R. 2312-10). Qu’en est-il en cas de fusion absorption ?

 

Les faits : Dans cette affaire, une fusion, effective au 1er janvier 2015, avait eu lieu entre deux entités (Sopra et Storia) donnant ainsi naissance à Sopra Steria Group. Fin 2016, avait eu lieu, au titre de l’année 2015, la consultation annuelle relative à la politique sociale de Sopra Steria Group : pour ce faire, l’employeur avait mis à disposition des représentants du personnel les informations relatives à Sopra Steria Group. Le comité central d’entreprise et le cabinet d’expertise désigné dans le cadre de cette consultation, considérant que l’employeur aurait dû enrichir la BDES d’informations relatives à la situation sociale des sociétés Sopra et Steria antérieurement à leur fusion effective au 1er janvier 2015 (soit pour les années 2013 et 2014), ont saisi le tribunal de grande instance. La cour d’appel leur ayant donné raison, l’employeur conteste cette décision devant la Cour de cassation. L’employeur considérait notamment que puisque cette consultation concerne Sopra Steria Group en tant qu’entreprise, et non en tant que groupe auquel elle appartient, il n’est pas tenu, sauf accord collectif le prévoyant, de fournir des informations relatives aux sociétés qui ont été absorbées par l’entreprise. La Cour de cassation n’est pas de cet avis.

 

L’arrêt et son apport : La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère, comme la Cour d’appel, que l’employeur aurait dû fournir des informations sur les sociétés Sopra et Steria pour les années 2013 et 2014. Ainsi, la Cour de cassation applique strictement l’article L. 2323-8 du Code du travail et juge qu’il en résulte que « dans le cas d’une opération de fusion, les informations doivent porter, sauf impossibilité pour l’employeur de se les procurer, sur les entreprises parties à l’opération de fusion, pour les années visées aux articles précités » (soit, pour les deux années précédentes et l’année en cours). L’employeur n’ayant fourni que des informations relatives à Sopra Steria Group n’avait donc pas fourni l’information légalement due au Comité central d’entreprise. La même solution devrait s’appliquer pour le Comité social et économique.

En résumé, en cas de fusion, les informations contenues dans la BDES doivent porter, sauf impossibilité pour l’employeur de se les procurer, sur les entreprises parties à l’opération de fusion pour les deux années précédentes et l’année en cours.

Par Clara Bellest

VEFA et clause légitime de suspension du délai de livraison

Contexte : Une société civile immobilier de construction vente (SCCV) a vendu à un couple de particuliers un appartement et deux boxes en l’état futur d’achèvement.

La livraison était prévue au plus tard au cours du deuxième trimestre 2019, mais est intervenue en réalité le 26 janvier 2010.

Les acquéreurs ont assigné la SCCV en indemnisation des préjudices résultant du retard de livraison, au moyen que constituait une clause abusive la clause qui stipulait qu’en cas de survenance des événements relatés « ces différentes circonstances auraient pour effet de retarder la livraison du bien vendu d’un temps égal au double de celui effectivement enregistré, en raison de leur répercussion sur l’organisation générale du chantier ».

 

Apport : La Cour de cassation a toutefois cassé l’arrêt de la cour d’appel qui avait jugé que cette clause était effectivement abusive, en ce qu’elle créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat de vente.

En effet, la 3ème chambre civile a considéré que la clause « qui stipule qu’en cas de cause légitime de suspension du délai de livraison du bien vendu, justifiée par le vendeur à l’acquéreur par une lettre du maître d’œuvre, la livraison du bien vendu sera retardée d’un temps égal au double de celui effectivement enregistré en raison de leur répercussion sur l’organisation générale du chantier n’a ni pour objet, ni pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et, partant, n’est pas abusive ».

 

Cet arrêt, rendu au visa de l’article L. 212-1 du Code de la consommation sur les clauses abusives, qui dispose notamment que « le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat », rappelle en effet à quel point les circonstances entourant la conclusion du contrat sont déterminantes.

 

Par Aliénor De Roux

Etendue du secret des correspondances pour les salariés

Par arrêt en date du 23 octobre 2019 (n° 17-28448), la Cour de cassation a pour la première fois précisé que les messages électroniques échangés au moyen d’une messagerie instantanée provenant d’une boîte à lettre électronique personnelle installée sur l’ordinateur professionnel sont couverts par le secret des correspondances et ce même s’ils ne sont pas identifiés comme personnels. La Cour de cassation rappelle ainsi que le secret des correspondances sont protégées par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui proclame le droit au respect de la vie privée et familiale: il ne peut y être dérogé que dans le cadre d’une messagerie professionnelle et pour les messages non identifiés comme personnels.

Par Corinne Metzger

Automatisme de l’enquête en cas de dénonciation de faits de harcèlement

Principe antérieur : L’employeur manquait à son obligation de sécurité dès lors qu’un salarié était victime de faits de harcèlement sur son lieu de travail, peu importe les mesures prises par l’entreprise (Cass. Soc., 3 févr. 2010, n° 08-44.019).

Par la suite, il a été jugé que l’employeur manque à son obligation de protection de la santé des salariés s’il ne justifie pas avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par le code du travail et toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement dès qu’il a été informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral (Cass. Soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702).

 

Evolution jurisprudentielles : Dans un arrêt du 27 novembre 2019, la Cour de cassation affirme que « l’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral […] et ne se confond pas avec elle » et censure à ce titre, la solution de la Cour d’appel qui avait débouté une salariée de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité en retenant « qu’aucun agissement répété de harcèlement moral n’étant établi, il ne peut être reproché à l’employeur de ne pas avoir diligenté une enquête et par là-même d’avoir manqué à son obligation de sécurité ».

Portée de l’arrêt : Il ressort de cette décision que la Cour de cassation adopte une solution particulièrement sévère pour les entreprises en considérant que l’employeur qui ne diligente pas une enquête après la dénonciation de faits de harcèlement par un salarié manque à son obligation de prévention, et ce, même si les faits ne sont pas établis.

Autrement dit, même si comme l’avait considéré la Cour d’appel dans cette affaire, l’employeur ne dispose que des seules affirmations du salarié sur l’existence d’une situation laissant présumer un harcèlement moral sans autres éléments matériels à ce titre, il doit diligenter une enquête afin de faire la lumière sur ces agissements.

A défaut, il risque de voir sa responsabilité engagée et partant, d’être condamné au versement de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de prévention des risques professionnels peu important qu’in fine les faits allégués par le plaignant soit établis ou non.

 

En pratique : Afin d’éviter tout aléa juridique en cas de contentieux, l’employeur serait donc désormais contraint de diligenter une enquête dès qu’un salarié lui indique être victime de faits de harcèlement moral.

Celle-ci pourra être diligentée en interne ou de préférence selon le cas d’espèce, être confiée à un organisme extérieur.

A l’issue d’une telle enquête dont le résultat devra en tout état de cause, être porté à la connaissance du salarié plaignant, deux hypothèses peuvent se présenter :

  • soit les faits sont avérés et dans ce cas, il conviendra d’envisager une sanction disciplinaire à l’encontre de l’auteur des faits pouvant aller jusqu’à son licenciement ;
  • soit les faits ne sont pas établis et dans ce cas, l’employeur pourra en cas de contentieux, se prévaloir du rapport d’enquête pour démontrer le respect de son obligation de sécurité et justifier l’absence de mise en œuvre de mesures particulières, sous réserve d’autres mesures que le Médecin du travail pourrait l’inviter à appliquer (exemple : éloignement des deux salariés concernés,…).

Par Marjorie Fredin

Loyers commerciaux au 2e trimestre 2019 : l’ILC et l’ILAT en hausse

Informations de l’INSEE n° 2019-243, 20 septembre  2019 (ILAT)

Aux termes des articles L. 145-38 et L. 145-34 du Code de commerce dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014, les seuls indices pouvant être pris en considération à l’occasion de la révision et du renouvellement des baux commerciaux sont l’indice des loyers commerciaux (ILC) et l’indice des activités tertiaires (ILAT).

Au deuxième trimestre 2019, l’ILC s’établit à 115,21, en hausse de 2,33 % sur un an (Informations rapides de l’INSEE n° 2019-242, 20 sept. 2019).

Quant à l’ILAT, sur le même trimestre, à 114,47 il enregistre une augmentation de 2,20 % sur un an (Informations rapides de l’INSEE n° 2019-243, 20 sept. 2019).

Par Alexane Raynaldy

La loi ELAN et les baux commerciaux : un rendez-vous manqué ?

Les sujets posés par la loi ELAN sont multiples. Pour autant, le droit des baux commerciaux est très peu modifié. Est-ce à considérer que ce secteur n’a pas du tout été impacté ? Loin s’en faut.

Plusieurs mesures méritent d’être signalées :

  • Augmentation du seuil de surface des commerces de détail dont la réouverture au public doit faire l’objet d’une autorisation (article 173). Jusqu’alors, lorsque les locaux avaient cessé d’être exploités pendant trois ans, il fallait solliciter une nouvelle autorisation pour les magasins dont la surface excédait 1 000 m2. Ce seuil de surface est désormais porté à 2 500 m2, permettant ainsi d’accélérer certaines réouvertures de commerce et donc partant de favoriser le dynamisme de la commercialité ;
  • Précision de l’obligation de démantèlement à la charge des propriétaires de sites bénéficiant d’une autorisation d’exploitation commerciale, lorsqu’aucune réouverture au public n’intervient dans les trois ans suivant la fermeture d’un commerce (article 164). C’est le Préfet, dans ce cas de figure, qui s’assurera que les mesures prises par le propriétaire sont suffisantes et adaptées. En cas de carence ou d’insuffisance, une mise en demeure sera adressée au propriétaire, puis une consignation et/ou l’exécution d’office, à ses frais pourront être mises en œuvre. Ce point sera nécessairement à intégrer lors des négociations de prise à bail.

  • Précision des objectifs de réduction de la consommation d’énergie finale (article 175). Une évaluation du respect de cette obligation doit désormais être jointe au contrat de bail. Le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019 est venu compléter ce dispositif.

  • Opposabilité du diagnostic de performance énergétique (article 179). A compter du 1er janvier 2021, le diagnostic de performance énergétique, qui doit être joint à tout contrat de location d’un immeuble bâti, deviendra opposable.

 

Et demain ? 
Au-delà des dispositions pouvant avoir des effets sur les baux commerciaux, d’autres mesures pourraient inspirer le législateur à l’avenir, si une réforme du droit des baux commerciaux était envisagée.

Ainsi, par exemple, l’article 217 de la loi ELAN habilite le Gouvernement à créer par ordonnance un bail numérique, applicable pour le moment uniquement au secteur du logement. La dématérialisation étant très probablement l’avenir des baux commerciaux, cette première expérience pourrait servir de déclencheur et révolutionner ainsi la pratique de l’immobilier commercial.

Par Alexane Raynaldy

Brexit : quels impacts sur le droit des marques ?

Principe : A l’heure où l’Union Européenne vient d’accorder un nouveau délai de trois mois au Royaume-Unis pour sortir de l’Union Européenne au plus tôt le 1er janvier 2020 et au plus tard le 1er février 2020, il convient de revenir sur le devenir de vos marques.

Avant toute chose, pas de panique, le gouvernement anglais a déjà communiqué sur cet aspect du Brexit et a affirmé que les droits sur les marques ne seront pas perdus et ce, même en cas de « no deal ». En effet, le 1er mars 2019, l’UKIPO (office britannique des marques) a publié sur son site internet un guide spécifique concernant le devenir des marques en cas de « no deal ».

En pareil cas, seule la date d’effet des nouvelles mesures relatives aux marques sera impactée.

Clarification : Pour les titulaires de marques européennes enregistrées au jour de la sortie définitive du Royaume-Uni de l’Union Européenne, ils obtiendront grâce à une conversion automatique un titre britannique identique et indépendant et ce, sans frais supplémentaire.

Les marques ainsi converties garderont la même date de dépôt, la même priorité et/ou la même ancienneté, elles se feront seulement adjoindre le préfixe « UK009 ».

Attention, le système mis en place est celui d’une conversion automatique avec un système « d’Opt out », ce qui signifie que si vous ne souhaitez pas obtenir cette conversion en titre britannique vous devez en déposer la demande expressément.

Pour les titulaires de marques européennes dont l’examen est encore en cours, ils disposeront d’un délai de 9 mois pour demander la conversion auprès de l’office britannique des marques sous conditions de paiement d’une taxe qui, à ce jour, n’est pas encore fixée mais dont on peut penser qu’elle sera égale à celle d’un dépôt britannique.

Si la demande de conversion est réalisée à temps, le titulaire de la marque gardera le bénéfice de sa date de dépôt et de celle de sa priorité.

Si la marque fait l’objet d’une licence, il est prévu que celle-ci continuera de produire ses effets juridiques sur le territoire britannique. Il est toutefois préconisé de faire inscrire les contrats de licence auprès de l’office britannique des marques.

Concernant les contrats de cessions de marques dont le transfert de propriété n’a pas encore été inscrit auprès de l’EUIPO au jour de l’« Exit Day », ils entraîneront la création d’un droit équivalent au nom du cédant. Il sera donc nécessaire d’enregistrer le transfert de propriété auprès du Registre britannique.

Concernant les autres contrats portant sur des marques et dont le périmètre géographique est indiqué, rien n’a, pour le moment, été prévu. Il semble qu’il faudra donc s’en remettre aux termes des contrats ainsi qu’à la commune intention des parties.

Conseil  : Face aux incertitudes qui planent sur les modalités de réalisation du Brexit, nous préconisons de prendre les mesures qui s’imposent pour sécuriser vos droits sur vos marques et à ce jour conseillons de réaliser un enregistrement simultané d’une marque nationale au Royaume Uni pour tout enregistrement de nouveau droit de marque de l’Union européenne ou marque internationale visant l’Union européenne.

Par Manon Boinet

Acquisition immobilière par un professionnel : la faculté de rétractation peut être prévue dans la promesse

Principe : Le Code de la construction et de l’habitation protège l’acquéreur immobilier en lui offrant la possibilité de se rétracter d’une promesse synallagmatique de vente qu’il trouverait, après avoir été irrévocablement conclue, inopportune. Toutefois, à regarder plus précisément la lettre de cette protection, on s’aperçoit qu’elle est loin d’être universelle. En effet, les dispositions de l’article L. 271-1 dudit Code précisent que seul « l’acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de dix jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l’acte. ». Autrement dit, sont protégés les seuls acquéreurs qui n’exercent pas, dans le cadre de leurs activités habituelles, des acquisitions immobilières. Cette exception, de taille et bien connue des professionnels, appelaient alors leur plus grande vigilance et souvent l’emploi de « sécurités » contractuelles parfois complexes (recours à la promesse unilatérale, aux clauses suspensives et/ou résolutoires hasardeuses, etc.) ou trop souvent, aléatoires, risquées voire inopérantes.

Evolution jurisprudentielle : Dans un arrêt prononcé en date du 5 décembre 2019, assorti d’une publicité importante et confirmant une décision de la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation (n° 18-24.152, FS-P+B+I) va probablement permettre aux acquéreurs professionnels de repenser leurs pratiques en la matière. En effet, les hauts magistrats ont jugé que si l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation instituait un droit de rétractation au profit du seul acquéreur non professionnel d’un immeuble, est valable la clause négociée et acceptée par les vendeurs aux termes duquel l’acquéreur pourra se rétracter dans les conditions prévues par ce texte. Plus encore, la Cour de cassation valide également la circonstance que cette clause contractuelle produit ses effets même sans vérification préalable par les vendeur de l’objet social de l’acquéreur.

En pratique : Les professionnels de l’immobilier disposent désormais d’un outil supplémentaire dans les négociations d’acquisitions immobilières en leur ouvrant la possibilité de se rétracter d’une promesse qui s’avérerait finalement inopportune. Cet outil présente le mérite d’être flexible, facilement utilisable et demeure libre d’être actionné à la discrétion des parties.

Par Romain Desaix