Consultation de la CRE sur la qualité de service et les actions des gestionnaires de réseaux en faveur de l’innovation des acteurs pour le secteur de l’électricité

Objectif majeur du cadre de régulation instauré par la CRE, la qualité du service rendu aux utilisateurs des réseaux fait actuellement l’objet d’une consultation publique jusqu’au 2 décembre 2019.

Veillant à ce que le cadre de régulation s’adapte aux évolutions du système énergétique et aux attentes des acteurs, en particulier dans le but de permettre l’innovation, tout en poursuivant l’amélioration de la qualité de service, la CRE a identifié plusieurs sujets prioritaires pour les parties prenantes (utilisateurs des réseaux, acteurs de marché et collectivités territoriales).

Dans la continuité des réponses à la consultation publique du 14 février 2019 relative au cadre de régulation tarifaire applicable aux opérateurs d’infrastructures régulées en France et en anticipation des attentes en matière de régulation de la qualité de service dans le cadre du futur Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics d’Electricité (TURPE 6), la présente consultation publique s’articule autour des sujets suivants :

  • les évolutions de la régulation de la qualité de service envisagées dès 2020 (mise à jour de la régulation incitative propre au projet de comptage évolué Linky pour les années 2020-2021, qualité de service d’EDF-SEI et qualité de la modélisation des pertes électriques) ;
  • les évolutions de la régulation de la qualité de service envisagées pour le TURPE 6     (qualité de service des Gestionnaires des Réseaux de Distribution (GRD) et qualité de service du gestionnaire du réseau de transport, RTE) ;
  • l’élargissement du champ d’application de la qualité de service pour répondre aux nouveaux besoins en termes d’innovation et de mise à disposition des données      (régulation de la mise à disposition de données et nouveaux enjeux liés à l’action des opérateurs de réseaux).

 

La consultation réserve ainsi une place importante au sujet des données utilisées par les gestionnaires des réseaux. Et pour cause, la CRE souhaite mettre en place dans le cadre du prochain TURPE 6 un cadre de régulation incitative assorti de pénalités concernant la mise à disposition, par les gestionnaires des réseaux, des données nécessaires à l’innovation des acteurs, et ce afin de permettre « d’assurer un haut niveau de qualité de service ».

Comme le relève la CRE, dans le cadre des TURPE 5 HTB et 5 bis HTA/BT, la mise à disposition de données ne constitue pas une thématique spécifique. Certains indicateurs en lien avec la mise à disposition des données font déjà l’objet d’un suivi, mais ne permettent pas pour autant de couvrir l’ensemble des besoins des acteurs en la matière.

Ainsi, par cette consultation, la CRE a souhaité interroger les acteurs sur trois mécanismes pouvant être envisagés pour s’assurer que les gestionnaires de réseaux sont des facilitateurs de l’innovation pour l’ensemble des utilisateurs du réseau :

  • définition des données nécessaires pour faciliter l’innovation pour les acteurs de marché ;
  • introduction d’une incitation financière sur le délai de mise à disposition de ces données ;
  • introduction d’indicateurs de suivi sur la qualité des données publiées par les gestionnaires de réseaux.

 

Il faut donc espérer que cette consultation, qui s’adresse à l’ensemble des acteurs du secteur de l’électricité et donc aux collectivités locales organisatrices de la distribution d’électricité, aboutisse à un nouveau cadre de régulation incitative dans les prochains tarifs des réseaux publics de distribution d’électricité plus propice au développement d’usages innovants des réseaux d’électricité, tels que l’autoconsommation par exemple.

De nouveaux éclairages délivrés par le juge européen sur les conditions de l’autorisation des abattages de loups

La Directive « habitats » 92/43/CEE du 21 mai 1992 à mis en place sur l’ensemble du territoire des Etats membres, une interdiction stricte de porter atteinte aux espèces protégées et à leur habitat favorable.

A cette interdiction a été organisée la possibilité d’une dérogation, soumise à des conditions cumulatives organisées notamment par l’article 16 de la Directive.

Les Etats membres ont dû transposer ces règles en droit interne, ce qui n’a pas manqué de créer d’importante difficultés dans la mesure où les termes de cette Directive sont parfois difficile à appréhender. Ce faisant, beaucoup d’Etats se sont contentés de retranscrire quasiment mot pour mot la Directive, laissant les autorités et les juridictions nationales en difficulté pour appliquer ces textes.

Dans ces conditions, la Cour de Justice a un rôle important d’éclairage à tenir, à travers notamment la pratique des questions préjudicielles qui lui sont soumises par les juridictions nationales des Etats membres.

Un arrêt récent de la Cour de Justice vient compléter les premiers éclairages de la cour sur l’interprétation de cette Directive Habitats.

Il s’agit d’un arrêt du 10 octobre 2019 C-674/17, portant sur un sujet récurrent dans le spectre de ces dérogations « espèces protégées » : l’abatage de loups.

C’est en l’espèce, une juridiction finlandaise qui, saisie de la légalité de diverses dérogations octroyées par les autorités locales pour tuer des loups, a entendu soumettre certaines questions à la cour de justice pour apprécier la légalité de ces dérogations.

Concrètement, le raisonnement de la Finlande pour accorder les dérogations en cause et donc autoriser le prélèvement de loups était le suivant : la présence trop importante du loup est socialement mal acceptée, ce qui entraîne une très importante pratique du braconnage, qui constitue une menace très sérieuse pour la conservation de l’espèce. Ainsi, autoriser l’abatage de certains spécimens de loup, sous la surveillance des autorités publiques, et dans des conditions prédéfinies (nombres d’individu que l’on peut abattre, type d’individu à abattre, mesures à respecter pour préserver l’espèce, etc.) permet aux habitants de se sentir moins menacés, et conduit à augmenter la tolérance sociales des habitants envers les loups.

En résumé, le raisonnement tient en une phrase : il vaut mieux autoriser légalement de prélever des loups, tout en encadrant cette possibilité, plutôt que de laisser la population se faire justice elle-même en pratiquant le braconnage.

1 – La première des questions posée à la cour de justice par la juridiction finlandaise était celle de savoir si un tel raisonnement était valable au regard de la rédaction de la Directive Habitats de 1992, et plus précisément de son article 16 1).

Sur ce premier point, si la Cour de justice admet que la lutte contre le braconnage peut être invoquée en tant que méthode contribuant au maintien ou au rétablissement dans un bon état de conservation favorable d’une espèce protégée.

Toutefois, la Cour rappelle que l’efficacité d’une telle méthode, pour justifier une dérogation à l’interdiction de porter atteinte à une espèce protégée, doit être démontrée scientifiquement. En d’autres termes, la Cour relève qu’il convient de pouvoir démontrer scientifiquement que l’autorisation de la chasse de gestion est réellement susceptible de faire baisser la chasse illégale (braconnage), « et ce dans une mesure telle qu’elle exercerait un effet positif net sur l’état de conservation de la population de loups ».

Après avoir exposé ce point, le Cour renvoie à la juridiction nationale le soin d’établir « l’aptitude des dérogations octroyées au titre de la chasse de gestion à atteindre leur objectif de lutte contre le braconnage dans l’intérêt de la protection de l’espèce ».

2 – Le second point abordé par la Cour de Justice pour répondre aux questions préjudicielles de la Finlande, portait sur la condition tenant à l’absence d’autre solution satisfaisante à l’octroi de cette dérogation de porter atteinte à une espèce.

Sur ce point, la Cour commence par rappeler ce qu’elle entend par autre solution satisfaisante : il s’agit de « l’absence d’une mesure alternative permettant d’atteindre l’objectif poursuivi de manière satisfaisante, tout en respectant les interdictions prévues par ladite directive ».

Pour répondre à cette condition, les dérogations en cause se fondaient en résumé sur le fait qu’il n’existerait pas d’autre solution satisfaisante que celle d’octroyer ces dérogations pour lutter contre le braconnage. Les juges européens estiment, à titre liminaire, au contraire qu’il convient de privilégier le contrôle strict et efficace de cette activité illégale et la mise en œuvre de moyens n’impliquant pas l’inobservation de l’interdiction stricte organisée par la Directive Habitats.

La Cour poursuit en relevant qu’en tout état de cause, la démonstration de l’absence d’autre solution satisfaisante doit faire l’objet d’une démonstration précise et adéquate par les autorités nationales compétentes (c’est-à-dire celles qui délivrent les dérogations prévues par l’article 16 de la Directive).

Il relève qu’en l’espèce, rien ne laisse apparaître une telle motivation, et qu’il conviendra à la juridiction nationale de confirmer ce point pour sanctionner ces dérogations au regard du droit européen.

3 – La troisième question de la cour finlandaise portait sur l’appréciation d’une autre condition cumulative d’une telle dérogation telle qu’énoncée à l’article 16 de la Directive : l’absence d’atteinte au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces protégées dans leur aire de répartition naturelle.

La question intéressante qui était posée était la suivante : l’état de conservation des populations de l’espèce doit-il être apprécié au niveau local d’une zone déterminées ? A l’échelle du territoire de l’Etat membre ? Au niveau encore plus large de l’aire de répartition de l’espèce ?

La notion d’aire de répartition naturelle est définie par la directive elle-même, mais n’éclaire malheureusement que peut les autorités qui doivent mettre en œuvre la directive dans le cadre de dérogation faune/flore.

Cependant, la Cour de Justice rappelle cette définition, et estime que l’état de conservation des espèces doit être apprécié localement, mais aussi à l’échelle de l’Etat membre et, le cas échéant, à l’échelle de l’aire de répartition naturelle de l’espèce concernée par la dérogation.

Ce faisant, la Cour se montre encore une fois très exigeante, et rappelle l’interprétation nécessairement stricte de la directive, mais ne sort pas tout à fait les acteurs locaux de l’embarras quant à la définition parfois peu aisée de ce qui doit être qualifié d’aire de répartition naturelle d’une espèce. L’attache de scientifiques spécialisés apparaît alors incontournable pour appuyer l’analyse des autorités publiques compétentes sur ces questions.

Enfin, au terme d’un examen très poussé des conditions de la dérogation en cause, le Cour a considéré que les conditions dans lesquelles ont été octroyées les dérogations en cause, ainsi que la manière dont leur respect est contrôlé permettent de garantir le caractère sélectif et limité des prises des spécimens des espèces concernées.

Par cet arrêt, la Cour de Justice maintien toute la vigueur du caractère strict de l’interprétation de la Directive, rappelle la nécessité d’une démonstration particulièrement motivée, scientifique, justifiée des dérogations qui sont accordées par les Etat membres en application de l’article 16 de la Directive « habitats ».

Ce faisant les autorités et les juridictions nationales disposent d’un carnet de route exigeant et précis concernant la possibilité d’autoriser l’abatage de loup sur le territoire des Etats membres.

Compétence des cours administratives d’appel en matière de police des installations éoliennes

Par une décision n° 432722 du 9 octobre 2019, le Conseil d’Etat a jugé que le contentieux des mesures de police en matière d’installations d’éoliennes relevait de la compétence des cours administratives d’appel.
Il s’agit une extension logique de leur compétence, reconnue par l’article R. 311-5 du Code de justice administrative, pour connaitre en premier et dernier ressort des litiges portant sur les décisions exigées par l’installation d’éoliennes et notamment les diverses autorisations que nécessitent les projets éoliens.
Le Conseil d’Etat a en effet estimé que le contentieux des mesures de police était la conséquence directe des décisions mentionnées à l’article R. 311-5 du Code de justice administrative (décision, modification ou refus d’autorisation) et que, les dispositions de cet article ayant pour objectif de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation de projets d’éoliennes terrestre, elles impliquent que les cours administratives d’appel connaissent également de ce contentieux.

Les manquements de l’Etat en matière de pollution atmosphérique

CJUE, 24 octobre 2019, aff. C-636/18 Commission c/ France

 

L’Etat français s’est très récemment vu reconnaitre coupable à deux reprises, par le Tribunal administratif de Lyon d’une part (1) et la Cour de justice de l’Union européenne d’autre part (2), de manquements en matière de pollution atmosphérique, concernant particulièrement le dépassement des valeurs limites de dioxyde d’azote.

 

  1. La faute de l’Etat pour insuffisance du plan de protection

Le Tribunal administratif de Lyon a, par une décision n° 1800362 du 26 septembre 2019, reconnu une faute de l’Etat pour insuffisance des mesures prises dans le cadre de la lutte contre la pollution atmosphérique mais a rejeté la demande de la requérante pour défaut du lien de causalité.

La requérante estimait que les autorités publiques avaient commis une faute dans la gestion de la pollution atmosphérique en ne prenant pas les mesures adéquates pour réduire cette pollution, ce qui était à l’origine de la fragilisation et de l’aggravation des problèmes de santé de son fils mineur. Elle demandait ainsi une indemnisation de l’Etat pour les préjudices subis par elle et son fils.

Examinant tout d’abord la responsabilité de l’Etat, le Tribunal administratif de Lyon relève que le plan de protection de l’atmosphère de l’agglomération lyonnaise, adopté le 26 février 2014 et depuis révisé, indique que, s’agissant de l’exposition au dioxyde d’azote, près de 63 000 personnes résidant dans le voisinage des principaux boulevard lyonnais demeuraient exposées à des concentrations supérieures aux valeurs limites. Il souligne également que les valeurs limites de concentration fixées par le plan ont été dépassées de manière renouvelée de 2013 à 2016, s’agissant des particules fines (PM10).

Le Tribunal retient dès lors que cette exposition persistante, reconnue par le plan de protection, d’une partie significative de la population à des concentrations en particules fines et dioxyde d’azote supérieures aux valeurs limites et la répétition depuis plusieurs années de dépassements des valeurs limites de ces polluants attestent de l’insuffisance des mesures mises en œuvre et, partant, caractérisent une faute de l’Etat dans l’exécution de ses obligations en matière de lutte contre la pollution atmosphérique.

Cependant, le Tribunal estime que, du fait de l’ensemble des efforts fournis pour améliorer la qualité de l’air dans la région lyonnaise, de la difficulté de lutter contre une pollution multifactorielle, voire diffuse, et des risques écologiques inhérents à la vie en ville, le dépassement des valeurs limites et l’insuffisance du plan de protection ne sauraient suffire à caractériser une défaillance notoire des pouvoirs publics dans les actions destinées à protéger ou améliorer la vie des habitants de l’agglomération ni une atteinte suffisamment grave à leur droit de vivre dans un environnement sain.

En outre, le Tribunal considère que le lien de causalité entre les préjudices dont se plaint la requérante et la faute de l’Etat en matière de lutte contre les pollutions atmosphériques n’est pas démontré et que les pathologies dont souffre son fils sont multifactorielles. Elle n’est donc pas fondée à demander la condamnation de l’Etat.

 

  1. La France condamnée par la CJUE pour avoir manqué à ses obligations concernant la qualité de l’air

La Cour de justice de l’Union européenne a fait droit au recours de la Commission européenne, par lequel elle lui demandait de constater que la France, en dépassant de manière systématique et persistante la valeur limite annuelle pour le dioxyde d’azote, avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe. La Commission reprochait également à la France d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette même directive de veiller à ce que les périodes de dépassement soient les plus courtes possibles.

La France opposait à l’analyse de la Commission, d’une part, que les dépassements des valeurs limites de dioxyde d’azote que celle-ci avait retenus n’étaient pas représentatifs de l’évolution de la qualité de l’air et, d’autre part, que les mesure prises ont été entravées par l’effet de la croissance démographique, accentuée par l’évolution des modes de transport. La France soutenait en outre que des restrictions plus contraignantes que celles déjà prises, comme la hausse de la fiscalité sur les carburants, ne pouvaient pas être envisagées actuellement en raison de la sensibilité de l’opinion publique sur ce sujet.

Aucun de ces arguments n’a été retenu par la CJUE, qui a ainsi condamné la France pour dépassement systématique et persistant de la valeur limite de dioxyde d’azote.

Adoption de l’éco-contribution sur le transport aérien

Jeudi 17 octobre 2019, les députés ont adopté la disposition du projet de loi de finances pour 2020 (PLF 2020) qui instaure une éco-contribution sur le transport aérien à partir du 1er janvier 2020.

Cette éco-contribution s’appliquera sur l’ensemble des billets d’avion pour les vols au départ de la France, tant sur les vols internationaux que sur les vols internes, à l’exception des liaisons d’aménagement du territoire qui ont pour but le désenclavement ou la continuité territoriale. Elle variera entre 1,50 euros pour les vols internes et intra-UE en classe économique et 18 euros pour les vols hors UE en classe affaire.

Le produit attendu de cette nouvelle éco-contribution est de 180 millions d’euros, qui devra être affectés à l’Agence de financement des infrastructures de transport en France (AFITF) et permettre le financement des investissements votés dans le projet de loi LOM (loi d’orientation des mobilités).

Projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire: les principales mesures adoptées par le Sénat

Le Sénat a adopté en première lecture, le 27 septembre 2019, le projet de loi relatif à lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire[1], de manière quasi unanime (342 voix pour et 1 voix contre). Les quatre jours de débats en séance publique ont permis aux sénateurs d’adopter 222 amendements.

Dans sa note de synthèse n° 002 sur le sujet[2], la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en charge du texte, apparait très critique quant à la portée politique de cette loi. La Commission dénonce notamment un texte présenté par le gouvernement comme le symbole du tournant écologique du quinquennat, tandis qu’elle souligne que de nombreux sujets ne sont pas abordés par le texte (réduction des déchets à la source, lutte contre le suremballage) et que d’autres sont soustraits au débat parlementaire car renvoyés à des ordonnances (sanctions applicables dans le cadre de la responsabilité élargie des producteurs par exemple).

Le Sénat a ainsi amendé le texte original en insérant des objectifs chiffrés (1) et en introduisant ou modifiant des dispositions relatives à la responsabilité élargie des producteurs (2), au système de consigne (3), aux informations des consommateurs (4), à la destruction des invendus (5), à la réparation et la réutilisation (6) ainsi que diverses autres mesures relatives à la lutte contre les déchets (7).

 

  1. L’introduction d’objectifs chiffrés

Le Sénat a tenu à inscrire dans le texte de loi un certain nombre d’objectifs chiffrés concernant le recyclage ou la réduction des déchets.

Ainsi, alors que le texte proposé originellement par le Gouvernement prévoyait de tendre vers l’objectif de 100 % de plastique recyclé en 2025, il impose désormais d’atteindre cet objectif, rendant cette obligation plus contraignante.

D’autres objectifs ont en outre été introduits : la réduction de 50 % de mise sur le marché de plastique à usage unique en 2030 et la réduction de 50 % supplémentaires par rapport à cette date en 2040, ainsi que l’augmentation de l’objectif de réduction des déchets, avec une réduction de 15 % supplémentaires des déchets ménagers et assimilés par habitant en 2030 par rapport au niveau de 2020.

 

  1. La responsabilité élargie des producteurs

Le texte tel qu’amendé par le Sénat prévoit de renforcer le principe de la responsabilité élargie des producteurs (REP), qui impose aux producteurs, importateurs et distributeurs de produits générateurs de déchets dans un certain nombre de filières identifiées de contribuer à la prévention et à la gestion de ces déchets. Le Sénat a également introduit au nouvel article L. 541-10-1 du Code de l’environnement la liste des filières concernées.

Certaines filières se trouvent ainsi étendues, intégrant davantage de produits concernés au sein de ces filières (emballages, véhicules hors d’usage et produits chimiques ménagers) tandis que d’autres ont été intégrées. Le texte prévoit notamment de mettre en place la REP pour les cigarettes à filtre en plastique, les jouets, les articles de sport et de loisirs, les articles de bricolage et de jardin à compter du 1er janvier 2021, pour les produits et matériaux de construction à compter du 1er janvier 2022 et les textiles sanitaires, y compris les lingettes pré-imbibées pour usages corporels ou domestiques à compter du 1er janvier 2024.

Ces nouvelles filières doivent ainsi faciliter la collecte et le recyclage de ces déchets ainsi que la prise en charge des coûts de traitement par les fabricants.

Il faut par ailleurs noter que, concernant les déchets du bâtiment, le principe de la REP est assorti d’une faculté, pour les professionnels concernés, d’y déroger par un système équivalent sous la forme d’une convention tripartite entre l’Etat, les collectivités territoriales et les professionnels du bâtiment.

 

  1. Les systèmes de consignes

L’une des mesures phares portées par le Gouvernement consistait en la mise en place d’une consigne pour les bouteilles en plastique. Cette mesure a suscité de vifs débats et le refus des sénateurs qui ont dénoncé un « non-sens écologique », à savoir vouloir moins de plastique et promouvoir un système qui l’accroît en ne le recyclant pas. La note de synthèse fait état d’une double régression écologique par la pérennisation de la bouteille en plastique à usage unique et la « monétisation » du geste de tri, ainsi que d’une double peine pour le citoyen en tant que consommateur (augmentation du prix des bouteilles) et que contribuable local (financement d’un nouveau système de collecte)[3].

Le texte n’abandonne pour autant pas la mise en place de systèmes de consignes et prévoit de se recentrer sur les consignes pour le réemploi et la réutilisation (en opposition avec les consignes à but de recyclage uniquement). Dans ce cadre, le texte prévoit que le montant de la consigne ne peut faire l’objet de réfaction (c’est-à-dire que le prix de la consigne devra être répercuté à l’identique jusqu’au consommateur final), empêchant ainsi la pratique des offres promotionnelles, afin de protéger les petites enseignes. Il dispose également que le remboursement de la consigne se fera uniquement en numéraire et non pas en bons d’achats, pour ne pas rendre le consommateur captif de certaines enseignes.

Le projet prévoit en outre que les collectivités qui assurent la collecte de produits consignés se verront verser le montant correspondant à la consigne acquittée par les producteurs et organisateurs de la consigne et seront ainsi indemnisées pour l’organisation de cette collecte.

Enfin, la consigne devra faire l’objet d’un bilan environnemental global positif. Un décret en Conseil d’Etat devra préciser la méthode d’évaluation de ce bilan.

 

  1. L’information des consommateurs

Le projet de loi s’intéresse également à l’information des consommateurs. Certaines nouveautés ont ainsi fait leur apparition dans le texte. Parmi elles, la possibilité pour les producteurs et importateurs de produits générateurs de déchets de dématérialiser les informations relatives aux qualités environnementales des produits via la mise en place de QR codes, informations qui devaient précédemment figurer directement sur l’emballage du produit.

Ces informations devront notamment renseigner sur l’incorporation de matière recyclée dans les produits ainsi que sur la présence de substances dangereuses.

La définition des modalités pratiques est cependant renvoyée au gouvernement par voie de décret.

 

  1. Les sanctions relatives à la destruction des invendus

L’interdiction de la destruction des invendus alimentaires a débuté avec les lois Garot[4] et Egalim[5].

Le présent projet de loi prévoit une extension de cette interdiction à la destruction des invendus non alimentaires, avec une obligation de réemploi, de réutilisation ou de recyclage des invendus de produits neufs, à l’exception des produits non réutilisables pour des questions de santé ou de sécurité. Ces mesures sont notamment justifiées par la destruction de 630 millions d’euros de produits par an.

Le Sénat vient ainsi préciser les contrôles et les sanctions applicables en cas de non-respect de ces dispositions, à savoir une amende administrative de 3 000 euros au plus pour les personnes physiques et de 15 000 euros au plus pour les personnes morales, ce à quoi s’ajoute la publication de la décision aux frais de la personne condamnée.

Un amendement prévoit également un alourdissement des sanctions en cas de gaspillage alimentaire. L’amende forfaitaire passe ainsi de 3 750 euros à 10 000 euros pour la destruction d’invendus alimentaires.

 

  1. Réparation et réutilisation

Dans l’optique du développement de l’économie circulaire, le Sénat a prévu la mise en place d’un Fonds pour le réemploi solidaire, qui sera financé par une partie des contributions perçues par les éco‑organismes, cette partie étant fixée à un minimum de 5 % des contributions reçues.

Ce fonds est chargé de contribuer au développement de la prévention des déchets par le réemploi et la réutilisation exercés par des associations à caractère social.

Également dans cette optique de réparation et de réemploi, le projet de texte s’engage dans la lutte contre l’obsolescence programmée numérique. Il prévoit ainsi l’interdiction des pratiques qui visent à empêcher la réparation ou le reconditionnement d’équipements hors de circuits agréés par les fabricants et impose aux fabricants de téléphones mobiles et de tablettes tactiles de proposer à leurs clients des mises à jour correctives du système d’exploitation utilisé par leur appareil jusqu’à dix ans après leur mise sur le marché. Le texte encourage ainsi l’utilisation des appareils électroniques jusqu’à dix ans, contre deux ans actuellement.

 

  1. Autres mesures de lutte contre les déchets

Un ensemble de mesures complémentaires a également été retenu par le Sénat dans une optique de lutte contre les déchets, notamment plastiques, telles que l’interdiction au 1er janvier 2021 de la distribution gratuite de bouteilles en plastique dans les établissements recevant du public et à usage professionnel ou l’obligation de mettre à disposition de l’eau du robinet dans les établissements de restauration.

En termes de plan de prévention, le projet de loi prévoit également la mise en place par les pouvoirs publics d’une trajectoire pluriannuelle de réduction de la mise sur le marché d’emballages ou encore l’obligation pour les entreprises les plus gourmandes en emballages de réaliser des plans quinquennaux de prévention et d’écoconception.

Des mesures financières ont également été votées, notamment la mise en place d’un système de bonus-malus financier (via la modulation des éco-contributions), tenant compte de la quantité de matière utilisée dans un produit ou encore l’affectation d’une partie des contributions financières versées par les producteurs au financement d’un programme d’amélioration de la collecte séparée hors foyer.

Le texte a été transmis à l’Assemblée nationale le 30 septembre, où il est actuellement étudié en première lecture par la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

[1] Projet de loi disponible via le lien suivant : http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl2274.asp

[2] Sénat, Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Note de synthèse n° 002 relative au projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire adopté en première lecture par le Sénat le 27 septembre 2019, https://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/redaction_multimedia/2019/2019-Documents_pdf/20190701_V2_Eco_circulaire_10P_ApresSeance.pdf

[3] Sénat, Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Note de synthèse n° 002 relative au projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire adopté en première lecture par le Sénat le 27 septembre 2019, p. 3-4.

[4] Loi n° 2016-138 du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire.

[5] Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

Par Solenne Daucé et Cécile Jauneau

Interdiction pour un État de limiter, par une réglementation générale, la part de sous-traitance dans les marchés publics conclus sur son territoire

Par une décision du 26 septembre 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’étaient illégales les dispositions par la voie desquelles la part de sous-traitance était limitée, quel que soit le marché, à 30 %.

Le législateur italien avait en effet décidé de limiter la part d’un marché susceptible d’être sous-traitée à 30 %, quel que soit le secteur économique ou la nature du marché (travaux, services ou fournitures), et ce en vue de restreindre, de facto, l’accès à la commande publique aux entreprises criminelles. Le gouvernement indiquait ainsi, qu’eu égard au contexte particulier existant sur le territoire italien attaché notamment à une « infiltration mafieuse dans la commande publique », cette mesure, plus stricte que les dispositions prévues par les règlements européens, était nécessaire pour protéger l’ordre public.

Après avoir rappelé que les États membres peuvent effectivement prévoir des mesures plus strictes que celles prévues par les règlements européens dès lors qu’elles sont nécessaires, notamment à la protection de l’ordre public, de la moralité ou de la sécurité publique, la CJUE censure le raisonnement du gouvernement italien.

La Cour de justice de l’Union européenne considère en effet que la restriction retenue par l’Italie « va au-delà de ce qui est nécessaire afin d’atteindre l’objectif » de lutte contre la criminalité organisée. La Cour souligne ainsi que cette mesure ne laisse aucune marge d’appréciation aux pouvoirs adjudicateurs, y compris dans les cas où ils seraient en mesure de s’assurer de l’identité des sous-traitants, de sorte qu’ils ne pourraient pas décider d’écarter cette disposition dans les cas où il n’est aucun risque sur le terrain « mafieux ». Surtout, elle rappelle qu’il est formellement interdit de fixer la part de la sous-traitance de manière « générale et abstraite », c’est-à-dire sans tenir compte du secteur économique en cause et de la nature du marché. C’est du reste ce qu’elle avait déjà jugé à propos d’une clause d’un cahier des charges qui fixait également la part de la sous-traitance de manière « générale et abstraite » sans tenir compte, cette fois, de la possibilité de vérifier les capacités des sous-traitants et du caractère essentiel, ou non, des tâches à ne pas sous-traiter (CJUE, 14 juillet 2016, Wroclaw, C-406/14).

La notion d’offre irrégulière : nouvelle complexification ?

Par un arrêt du 20 septembre 2019, le Conseil d’État a rappelé qu’ « un pouvoir adjudicateur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation. Il est tenu d’éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes, c’est-à-dire celles qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières ».

Ce principe souffrait déjà d’un tempérament, qui peut être source d’interrogations en pratique, le Conseil d’État ayant jugé il y a quelques mois qu’il en va différemment si l’exigence méconnue « se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres » (CE, 22 mai 2019, Société Corsica Ferries, req. n° 426763).

En voilà désormais un second : le Conseil d’État considère maintenant aussi que l’obligation faite au pouvoir adjudicateur d’éliminer les offres irrégulières « ne fait pas obstacle à ce que ces documents [de la consultation] prévoient en outre la communication, par les soumissionnaires, d’éléments d’information qui, sans être nécessaires pour la définition ou l’appréciation des offres et sans que leur communication doive donc être prescrite à peine d’irrégularité de l’offre, sont utiles au pouvoir adjudicateur pour lui permettre d’apprécier la valeur des offres au regard d’un critère ou d’un sous-critère et précisent qu’en l’absence de ces informations, l’offre sera notée zéro au regard du critère ou du sous-critère en cause ». Il faudrait donc distinguer entre les éléments d’information nécessaires à l’appréciation des offres, qui doivent être fournis sous peine d’irrégularité, et ceux qui sont simplement utiles au pouvoir adjudicateur pour apprécier la valeur des offres, dont l’absence pourrait ne pas emporter irrégularité de l’offre, mais seulement l’attribution d’une note égale à zéro sur le critère concerné. La frontière apparaît ténue. On croit toutefois comprendre de l’arrêt du Conseil d’État qu’il ne s’agit pas là d’une obligation, et que cette distinction ne doit être opérée que si les documents de la consultation le prévoient clairement. Le juge administratif opèrera alors toutefois un contrôle sur le point de savoir si les informations manquantes sont « nécessaires » ou seulement « utiles » à l’appréciation des offres : dans l’affaire qui lui était soumise, le Conseil d’État a jugé que les informations manquantes, attachées à la qualité des matériaux employés et notamment leurs fiches techniques, ne pouvaient qu’être regardées comme des éléments « nécessaires », dont l’absence entraînait nécessairement l’irrégularité de l’offre, et ce malgré la « souplesse » qu’introduisait le règlement de consultation sur le sujet.

Si cet arrêt, rendu sur conclusions contraires du Rapporteur public, offre une certaine souplesse aux acheteurs, il complexifie assurément la tâche à ceux qui souhaiteront s’engager dans cette voie.

Résiliation pour faute d’un BEA gendarmerie : non application d’une clause indemnitaire prévoyant une indemnité manifestement disproportionnée au regard du préjudice subi par le cocontractant

Par un arrêt en date du 16 septembre 2019, la Cour administrative d’appel de Marseille a rappelé qu’ « en vertu de l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, un contrat administratif ne peut légalement prévoir une indemnité de résiliation qui serait, au détriment de la personne publique, manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de cette résiliation » (voir sur ce point CE, 22 juin 2012, CCIM, req. n° 348676, et plus récemment CAA Marseille, 16 février 2015, société Siemens Lease Services, req. n° 13MA00902).

Et, dans le cas dont elle était saisie, la Cour a jugé que présentait un contenu illicite la clause indemnitaire d’un bail emphytéotique administratif « gendarmerie » qui prévoyait, en cas de résiliation pour faute avant la mise à disposition de l’ouvrage, le versement à l’emphytéote d’une indemnité couvrant, d’une part, l’ensemble des coûts relatifs à la rupture du contrat de prêt mis en place pour le financement de l’ouvrage (la totalité des décaissements effectués ou à effectuer par l’établissement financier au titre du contrat de prêt et les frais financiers intercalaires et commissions bancaires capitalisés) et, d’autre part, l’ensemble des frais, intérêts de retard, honoraires, impôts et taxes relatifs au projet engagé et non réglés.  La Cour considère en effet que cette clause, dans la mesure où elle détermine le montant de l’indemnité par référence aux décaissements opérés par l’établissement financier au titre du contrat de prêt, sans le limiter aux sommes effectivement affectées à la réalisation de la gendarmerie, permet à l’emphytéote de bénéficier d’une indemnité de résiliation pouvant excéder sensiblement le total des sommes affectées à la réalisation de la gendarmerie, et ce « à proportion des sommes décaissées mais non affectées à leur paiement ». La Cour retient en conséquence que cette clause n’exclut pas « l’allocation à l’emphytéote fautif, au détriment de la commune, d’une indemnité manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par ce cocontractant du fait de la résiliation du contrat » et présente donc un contenu illicite. Elle a jugé que la commune était fondée à demander que ces stipulations soient écartées.

Un an de droit des contrats informatiques

Vice du consentement du client : nullité du contrat pour dol

T. Com. Nanterre, 27 juillet 2018, n°  2015F01746

Le Tribunal de commerce de Nanterre, saisi d’une demande en nullité d’un contrat de prestations informatiques fondée sur un vice du consentement, a eu à se prononcer sur le caractère dolosif ou non des informations fournies au stade de la réponse à l’appel d’offre par le prestataire à son client (la société SNC Havas Finances Services).

Le client a réussi à démontrer que le prestataire qui, dans le cadre de l’appel d’offre initié par le client s’était présenté comme une société spécialisée dans la fourniture de solutions de dématérialisation, par ailleurs membre d’un groupe réputé dans le domaine concerné, avait usurpé les attributs, les signes distinctifs et la notoriété d’une autre société en se présentant de manière mensongère comme sa filiale. Le prestataire avait en outre trompé son client sur sa solidité financière et ses compétences, alors qu’elle faisait entièrement sous-traiter les prestations confiées par le client au titre du contrat.

Pour retenir le dol, le Tribunal a relevé que ces informations avaient nécessairement eu une influence prépondérante sur le consentement du client, qui avait notamment pris le soin de préciser dans son cahier des charges, joint au dossier d’appel d’offre, que les candidats devaient impérativement fournir certaines informations financières.

Cette décision montre à nouveau le soin particulier qu’un client de prestataire informatique doit apporter à l’expression de ses besoins, en amont du projet, et ce dès le dès le stade de l’appel d’offre.

 

 

Obligation de collaboration du client : élément essentiel de tout contrat informatique

CA Amiens, ch. économique, 17 janvier 2019, n° 17/01041

Dans cette affaire, la Cour d’appel d’Amiens a rappelé qu’en cas de non-respect par le client de son obligation essentielle de collaboration, celui-ci ne pouvait demander la résiliation judiciaire du contrat de prestations informatiques aux torts exclusifs de son prestataire.

En l’espèce, le contrat portait sur l’installation, par le prestataire, d’un progiciel de gestion destiné à couvrir tous les aspects de l’activité du client, entreprise spécialisée dans le e-commerce de produits à base de molécules de bicarbonate de sodium. Ainsi, ledit progiciel devait avoir pour fonction d’assurer la traçabilité des produits et des échanges avec les clients finaux, la gestion des stocks et des commandes, le suivi des comptes clients et la fidélisation, le suivi des comptes fournisseurs, la gestion des ressources humaines et la comptabilité.

Le progiciel ayant présenté plusieurs dysfonctionnements et le délai d’exécution n’ayant pas été respecté, le client a finalement demandé la résiliation judiciaire du contrat aux torts de son prestataire.

Il a été débouté de l’ensemble de ses demandes du fait de son défaut de collaboration. En effet, d’une part, il est apparu que le retard dans l’installation était lié aux conditions de fonctionnement interne du client (en l’occurrence le non-paiement des factures dues au prestataire en temps et en heure, et l’indisponibilité des équipes du client) et, d’’autre part, la Cour d’appel a relevé que le client n’avait à aucun moment émis de critique quant à la qualité des prestations fournies ou sur le fonctionnement du progiciel.

Cette décision rappelle combien l’obligation de collaboration du client est essentielle à l’exécution de tout contrat informatique. De manière implicite, il ressort de cette décision que le respect de l’obligation de collaboration du client est un préalable nécessaire à la résiliation judiciaire du contrat aux torts du prestataire informatique. Or, l’obligation de collaboration du client ne se limite pas à l’expression préalable de ses besoins (par la rédaction d’un cahier des charges). Elle existe également pendant l’exécution du contrat, dans la mesure où tout projet informatique implique une véritable collaboration du prestataire et de son client, au sens propre du terme. Ainsi, outre le respect de l’obligation de payer le prix convenu dans les délais convenus, le juge vérifiera si le client a participé activement à l’avancement du projet en assurant la disponibilité de ses équipes et en exprimant les réserves pertinentes dans un délai raisonnable.

 

CA Aix-en-Provence, 8e chambre A, 7 juin 2018, n° 12/22405

Si la décision précédente a rappelé l’importance du respect, par le client, de son obligation de collaboration, encore faut-il que le prestataire désireux d’imputer à son client un non-respect d’une telle obligation soit en mesure de démonter qu’il avait, pendant l’exécution du contrat, attiré l’attention de son client sur l’importance de cette obligation et sur les insuffisances de son client à cet égard.

Dans cette affaire, le client d’un prestataire, fournisseur d’un progiciel susceptible de contenir toutes les fonctionnalités de base de gestion de cabinets de radiologie, reprochait à ce dernier d’avoir manqué, d’une part, à son obligation de délivrance conforme en raison de nombreux dysfonctionnements de la solution et, d’autre part, à son obligation de conseil en raison de l’insuffisance de la formation des utilisateurs pour l’utilisation de la solution.

Le prestataire, en réponse, a reproché à son client un défaut de collaboration pour n’avoir pas désigné, alors que le contrat l’exigeait, un responsable qualifié en charge de la fourniture de toutes les informations nécessaires à la bonne compréhension des problèmes rencontrés.

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a rejeté l’argumentation du prestataire, retenant que celui-ci n’avait jamais rappelé à son client l’existence d’une telle obligation, ni reproché un manquement à cette obligation.

 

CA Paris, pôle 5, ch. 11, 23 novembre 2018, n° 15/19053

La Cour d’appel de Paris confirme ici que lorsqu’un projet informatique implique l’intégration d’un logiciel, il ne peut pas, sauf stipulation contraire du contrat, être imposé au prestataire une obligation de résultat (le client revendiquait en l’espère une obligation de résultat quant à l’installation du logiciel proposé par le prestataire) dès lors que le succès du projet réside en grande partie sur la collaboration active du client à chaque étape de sa mise en œuvre.

Or en l’espèce, le prestataire a réussi à rapporter la preuve d’un défaut de collaboration de son client qui avait, à plusieurs reprises, reporté le démarrage de l’installation, puis avait interrompu unilatéralement le projet.

Il en a ainsi été déduit que le client ne pouvait, ensuite, reprocher à son prestataire un manquement à son obligation de délivrance.

Il est intéressant de relever a contrario que si une stipulation du contrat avait prévu une obligation de résultat pour le prestataire au titre de l’installation de la solution, le manquement par le client à son obligation de collaboration n’aurait pu être invoqué par le prestataire pour justifier de l’échec du projet.

 

 

Obligation de délivrance conforme du prestataire

CA Lyon, 1ère ch. civile 1, 27 septembre 2018, n° 16/02232 

La Cour d’appel de Lyon était ici interrogée sur la nature de l’obligation de délivrance du prestataire dans le cadre d’un contrat de fourniture de matériels informatiques, de licences d’utilisation d’un progiciel de gestion commerciale, de services de maintenances ainsi que de plusieurs journées de formation.

La solution n’ayant jamais été totalement déployée chez le client et les journées de formation n’ayant jamais eu lieu, le client a refusé de régler une partie des factures envoyées par son prestataire, invoquant l’exception d’inexécution.

Le prestataire a alors assigné son client devant le tribunal de commerce en paiement des factures impayées à hauteur de 46.808,77 euros.

Pour justifier l’exception d’inexécution invoquée par le client pour se soustraire au paiement d’une partie des sommes facturées, celui-ci avait soutenu que le prestataire était tenu par une obligation de résultat de délivrance conforme. Selon lui, le seul fait que la solution informatique n’ait pas été opérationnelle à l’issue des délais impartis suffisait ainsi à caractériser l’inexécution contractuelle de son prestataire.

Les juges n’ont pas suivi ce raisonnement, considérant au contraire « qu’au regard de la réalité de la prestation informatique, à l’aléa technique inhérent à la matière et au rôle qu’est amené à jouer le client, [le prestataire] est redevable d’une obligation de moyen renforcée et non pas d’une obligation de résultat ».

Cela signifie qu’un prestataire peut s’exonérer de sa responsabilité contractuelle en rapportant la preuve de l’absence de faute ou d’une cause étrangère. En l’espèce, le prestataire a réussi à démontrer que toutes les fonctionnalités du progiciel n’étaient pas atteintes de dysfonctionnements et que des rendez-vous techniques auraient permis de mettre fin aux divers dysfonctionnements constatés, mais que le client n’avait jamais donné suite à ses propositions de dates du prestataire.

Ainsi, la bonne exécution de l’obligation de délivrance conforme du prestataire dépend nécessairement de la bonne exécution de l’obligation de collaboration du client, élément essentiel à tout contrat informatique. C’est la raison pour laquelle le prestataire doit logiquement pouvoir s’exonérer d’une inexécution si le client ne remplit pas de son côté, son obligation de collaboration, faisant de cette obligation de délivrance conforme une obligation de moyen renforcée.

 

 

Obligation d’information, de mise en garde et de conseil du prestataire

 

CA Nîmes, 13 décembre 2018, n° 17/01829

Cette affaire a été l’occasion pour la Cour d’appel de Nîmes de rappeler que, dans le cadre d’un contrat de fourniture d’un progiciel de gestion, il incombait au prestataire, en tant que vendeur professionnel, de se renseigner sur les besoins de son client afin d’être en mesure de l’informer et de le conseiller quant à l’adéquation du service proposé à l’utilisation qui prévue par le client, et ce, même lorsque le client n’est pas un profane.

Ainsi, l’obligation de conseil du prestataire constitue un accessoire à son obligation de délivrance, y compris à l’égard de l’acheteur professionnel, dans la mesure où sa compétence ne donne pas à ce dernier les moyens d’apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques de son matériel.

En l’espèce, le prestataire soutenait avoir suffisamment mis en garde le client, dans le bon de commande, par l’insertion d’une clause de « pré-requis » prévoyant notamment la nécessité d’une ligne ADSL haut débit.

Les juges ont relevé toutefois que cette clause n’était pas explicite et ne mentionnait pas que la vérification en incombait au client, qui bien que professionnel n’avait aucune compétence informatique.

La Cour conclut ainsi à un manquement du prestataire à son obligation de conseil.

 

CA Lyon, 1ère ch. civile A, 7 mars 2019, n° 16/09032

Le prestataire informatique est débiteur, que ce soit pendant la phase précontractuelle ou pendant l’exécution du contrat, d’une obligation d’information, de mise en garde et de conseil à l’égard de son client. Il s’agit d’une obligation de moyen renforcée, tenant compte de deux facteurs : d’une part, la complexité des prestations fournies dans un domaine particulièrement technique et, d’autre part, la compétence plus ou moins élevée du client.

En l’espèce, la Cour d’appel de Lyon a retenu un manquement du prestataire à son obligation de conseil en raison de l’absence de réalisation d’un audit ou état des lieux du système informatique existant du client et de la prise en compte d’un cahier des charges réalisé plusieurs années auparavant sans formuler de critique de ce document.

Le prestataire aurait ainsi dû mettre en garde son client et n’aurait pas dû s’engager dans un projet qu’il savait irréaliste, en temps et en moyens.

 

CA Dijon, 4 décembre 2018, n° 16/01949

A contrario, il ne peut être reproché au prestataire d’avoir manqué à son obligation de conseil alors que ce dernier avait récupéré en amont de nombreux éléments d’information sur son client, ses besoins et ses attentes, qu’il l’avait alerté, tout au long du projet, sur la nécessité de disposer de données exhaustives sur ses besoins et qu’il l’avait relancé à de nombreuses reprises à ce sujet, et, enfin, qu’il l’avait averti que ses choix organisationnels pouvaient dégrader la performance de la solution.

 

CA Angers, ch. com., sect. A, 11 décembre 2018, n° 17/01432

Dans cette affaire, il a été considéré que le client ne pouvait reprocher un manquement de son prestataire à son obligation de conseil du fait d’une prise en compte insuffisante de ses besoins et de l’omission de proposition d’une solution de maintenance du logiciel fourni dans la mesure où le client n’était pas un profane.

Ainsi l’étendue de l’obligation de conseil du prestataire doit s’apprécier selon que le client possède ou pas des compétences dans le domaine informatique.

En l’espèce, il a été pris en compte que le client bénéficiait en interne de compétences en informatiques qui lui avaient permis d’exprimer ses besoins techniques et fonctionnels et de veiller à ce qu’ils soient pris en compte par son prestataire qui n’était, de ce fait, pas tenu d’une obligation de conseil élargie.

En conséquence, le client était à même de comprendre, au vu des documents communiqués, le processus d’élaboration du projet et de son chiffrage et de vérifier que l’ensemble de ses besoins avaient été pris en compte par son prestataire et que l’outil proposé était en capacité d’y répondre.

 

 

Méthode agile

CA Pau, 2e ch., 1ère sect., 19 novembre 2018, n° 17/03030

Le client reprochait à son prestataire un manquement à son obligation de moyen de délivrance en raison de l’absence de rédaction d’un cahier des charges (qui, en fait, s’expliquait par le fait que le prestataire avait eu recours à la méthode agile).

La Cour d’appel de Pau a relevé au contraire que le choix de la méthode agile ainsi que les délais très courts imposés par le client pouvaient expliquer cette absence de documentation écrite, qui devait être fournie ultérieurement.

 

 

Conséquence du non-respect du calendrier prévu dans un bon de commande

CA Douai, 2e ch., 2e sect., 27 juin 2019, n° 17/06997

Dans cette affaire, le client reprochait à son prestataire un retard de livraison alors que, pour sa part, le prestataire soutenait qu’en l’absence de planning annexé au contrat, les délais indiqués sur le bon de commande avaient le caractère de délais prévisionnels.

Au contraire, la Cour d’appel de Douai a retenu que ces délais, établis d’un commun accord entre les parties, avaient le caractère de dates fermes et définitives, d’autant que le cahier des charges rédigé par le client spécifiait l’importance et le caractère pour lui déterminant des délais de mise en œuvre du projet.

Ainsi, le non-respect de ces délais par le prestataire, qui ne rapportait pas la preuve qu’un tel retard aurait pu être imputable au client, constituait un manquement contractuel.

 

 

Réparation du préjudice et plafond de responsabilité

CA Douai, 1ère ch., 1ère sect., 25 octobre 2018, n° 17/05131

Une clause limitative de responsabilité prévoyant, de manière contradictoire, à la fois une exclusion de responsabilité du prestataire pour tous les dommages causés à un client dans le cadre de l’exécution du contrat et une limitation de responsabilité à hauteur de 5.000 euros est, selon la Cour d’appel de Douai, de nature à priver totalement de sa substance l’obligation essentielle du contrat à laquelle le prestataire avait en l’espèce manqué, à savoir son obligation de délivrance.

En effet, la somme de 5.000 euros avait un caractère dérisoire au regard des profits réalisés par le prestataire au moyen de l’installation informatique et des dommages très importants qu’elle était susceptible de causer en cas de dysfonctionnement voire de paralysie. De plus, au vu du coût humain et technique des interventions de maintenance, cette clause limitative de responsabilité ne faisait pas peser une contrainte financière suffisamment sérieuse sur le prestataire.

 

CA Chambéry, ch. Civ., 1ère sect., 6 novembre 2018, n° 17/00893

La clause limitant la responsabilité du prestataire aux préjudices directs comprenant les dommages immatériels et excluant les préjudices indirects tels que manque à gagner, perte d’exploitation, pertes de bénéfices ou d’image ou toutes autres pertes financières trouvant son origine ou étant la conséquence du contrat ne vide pas de toute substance l’obligation essentielle du prestataire, dont la responsabilité résiduelle reste, selon la Cour, significative.

Dans cette affaire, le client, afin de soutenir que l’application de cette clause limitative devait être écartée, avait soutenu qu’une faute lourde avait été commise par le prestataire. Au contraire, la Cour a relevé que les dysfonctionnements identifiés étaient dus en réalité au fait que le prestataire avait sous-estimé la difficulté de la tâche et que le manquement du prestataire ne touchait pas à l’obligation essentielle mais à un service qui était une prestation annexe du contrat.

Il en résulte que l’indemnisation due par le prestataire au client devait se limiter aux préjudices liés au temps passé pour remédier aux difficultés générées par les dysfonctionnements du service et par le coût supplémentaire des serveurs, hors tout préjudice d’image et de manque à gagner, exclus par la clause de responsabilité.

Sur le calcul du préjudice lié au temps passé, la Cour a rappelé que seul devait être pris en compte le surcroît d’heures effectuées par rapport à une situation normale (c’est-à-dire la situation existant avant la mise en œuvre du logiciel litigieux), sachant qu’afin d’établir précisément un tel calcul, la Cour s’en est remise au travail d’un expert judiciaire.

 

CA Amiens, ch. éco., 13 décembre 2018, n° 16/00587

Face au retard de livraison imputable au prestataire, qui n’avait pas respecté les délais impératifs du contrat, le client a notamment été indemnisé des frais de personnel correspondant au coût du travail des salariés mobilisés sur le projet au-delà de la date prévue de livraison.

Pour le calcul du quantum de ce chef de préjudice, la Cour est repartie du tableau de la rémunération des salariés produit par le client (dont le commissaire aux comptes attestait de la cohérence avec la comptabilité de l’entreprise), en y affectant elle-même une pondération tenant compte de la proportion du temps de travail consacré par chaque salarié au projet (le client n’ayant fourni sur ce point aucun élément).

En outre, la Cour a précisé que ce chef de préjudice se confondait avec le préjudice de désorganisation de l’entreprise pour lequel le client n’avait communiqué aucun élément supplémentaire.

Enfin, sur le préjudice invoqué par le client au titre des gains manqués dans la mesure où le contrat avait expressément prévu que l’intégration du nouveau système d’information devait générer pour le client des gains en termes de gestion et de réduction des coûts, si la Cour a reconnu que le retard dans l’exécution des prestations avait nécessairement généré un retard dans l’obtention des bénéfices escomptés, elle a toutefois rejeté la demande du client pour défaut de production d’élément justificatif des économies effectivement réalisées à la suite du changement de système d’information. Seul de tels éléments auraient pu permettre aux juges d’apprécier le préjudice résultant du retard de livraison.

 

CA Lyon, 1ère ch. civile A, 7 mars 2019, n° 16/09032

Face au défaut de livraison imputable au prestataire, le client a obtenu le remboursement de l’ensemble des sommes versées inutilement au prestataire.

Il a été en outre indemnisé au titre de la désorganisation de son établissement pendant plus d’une année, de la mobilisation des équipes pour travailler sur l’installation d’un nouveau système informatique, et du fait d’avoir dû, par ailleurs, en urgence faire appel à son ancien prestataire pour la mise à jour de l’ancien système devant être remplacé.

Ce préjudice économique et financier a été évalué à la somme de 20.000 euros.

 

T. Com. Nanterre, 5e ch., 23 avril 2019 Haulotte Group / CapGemini France

Dans cette affaire, dans le cadre de l’exécution d’un contrat d’infogérance, à la suite d’un problème technique, plusieurs fichiers du client ont disparu (200.000 selon lui) et le programme de sauvegarde s’était révélé défaillant. Le client a revendiqué que le prestataire n’avait pas été en mesure de satisfaire à son engagement contractuel de remettre en état opérationnel ses données à la suite de ce problème technique.

Ce manquement contractuel a ouvert droit à une réparation du client au titre du préjudice subi du fait de l’absence des fichiers disponibles pouvant perturber son activité. Ce préjudice devait, selon le Tribunal, être évalué en considération de la reconstitution des fichiers nécessaires pour la poursuite de l’activité.

Le client n’ayant produit aucun élément permettant d’évaluer son préjudice par les dépenses subies pour reconstituer les données perdues, l’évaluation du préjudice du client a été confiée à un expert judiciaire, qui a estimé que le préjudice se situait dans une fourchette entre 509.325 euros et 1.401.850 euros.

En l’absence de démonstration d’une faute lourde du prestataire par le client, la clause limitative de responsabilité instituant un plafond d’indemnisation à hauteur du montant annuel du contrat (à savoir 537.896,04 euros) a été appliquée.

Le Tribunal, usant ici de son pouvoir d’appréciation, a donc jugé que le préjudice du client atteignait le plafond contractuel.

 

Par Audrey Lefèvre et Sara Ben Abdeladhim 
Cabinet Lefèvre Avocats

 

Suppression de la signature sur la pièce d’identité du candidat à la location

Afin d’encadrer les pièces que le bailleur peut solliciter d’un futur locataire, a été introduit un décret n° 2015-1437 du 5 novembre 2015, pris pour l’application de l’article 22-2 de la loi n° 89-462 du 23 juillet 1989 fixant la liste des pièces justificatives pouvant être demandées au candidat à la location et à sa caution.

A ce titre, peut être demandée la pièce d’identité. Le décret prévoyait qu’elle devait comporter la situation de son titulaire, ce qui pouvait engendrer des difficultés pratiques, toutes les pièces d’identité ne présentant pas de signature.

Aussi, par décret n° 2019-1019 du 3 octobre 2019 entré en vigueur le 6 octobre 2019, l’obligation d’une pièce justificative d’identité signée a été supprimée.

Les tarifs plafonds des centres d’hébergement de réinsertion sociale (CHRS), conformes au principe de l’accueil inconditionnel ?

Une question parlementaire posée le 20 novembre 2018 avait trait aux tarifs plafonds instaurés par l’arrêté du 2 mai 2018[1]. En effet, Madame la députée Emmanuelle Anthoine s’est interrogée sur la conformité de ces plafonds au principe d’accueil inconditionnel inscrit à l’article L. 345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoyant que toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale doit avoir accès à un dispositif d’hébergement.

Cet arrêté a été pris consécutivement aux lois de financement de la Sécurité sociale pour 2008 et 2009 et la loi de finances pour 2009 qui prévoyaient que des tarifs plafonds et leurs règles de calcul étaient fixés pour les établissements et services sociaux financés par l’Etat, comprenant notamment les CHRS. C’est ainsi que plus de neuf ans après que le législateur en a eu prévu la possibilité, le gouvernement a fixé, conformément à l’article L. 314-4 alinéa 2 du CASF, les premiers tarifs plafonds imposés aux CHRS au titre de l’exercice 2018. Les différents montants retenus ont été reconduits pour l’exercice 2019 par un arrêté du 13 mai de cette année[2].

Les centres d’hébergement doivent ainsi ramener les tarifs de l’établissement aux niveaux des tarifs plafonds fixés en fonction des 12 Groupes Homogènes d’Activité et de Missions (GHAM) dont ces établissements relèvent. Pour un GHAM donné, les structures dont le coût brut à la place est supérieur au tarif plafond se voient appliquer une convergence à la baisse. Au-delà de cette baisse mécanique, l’arrêté prévoit également une possibilité pour les services déconcentrés de l’Etat d’imposer dans le cadre des dialogues de gestion un « taux d’effort budgétaire supplémentaire » pouvant aller jusqu’à la totalité de l’écart entre le tarif plafond et le coût à la place de la structure.

Par une réponse du 9 juillet dernier, le Ministère de la Ville et du Logement a d’abord rappelé les actions engagées par le Gouvernent pour augmenter sensiblement les places d’hébergement disponibles. Elle a ensuite expliqué que les tarifs plafonds ont été mis en place en 2018 par le Gouvernement, ce dernier ayant constaté une très forte hétérogénéité dans les crédits attribués aux CHRS, afin de garantir un « plus d’équité dans la répartition des ressources, avec des tarifs harmonisés selon les prestations délivrées ». « Cette réforme ne remet aucunement en cause les deux principes au fondement de la politique de l’hébergement : l’inconditionnalité de l’accueil et la continuité de la prise en charge. Cette politique tarifaire doit permettre aux établissement de se recentrer sur leur cœur de métier et d’envisager, s’ils estiment pertinente, la mutualisation de moyens, sans que cela ne conduise à une dégradation de la qualité des prestations ni à une sélection des publics à l’entrée selon des critères de solvabilité ».

Il est cependant évident que la tarification plafond intervient dans un contexte de restriction budgétaire avec un objectif gouvernemental de diminution du budget des CHRS. Le risque d’une baisse de la qualité de l’accompagnement des personnes hébergées et de fermeture de places voire de centres ne peut, dans ces conditions, être exclu.

Si un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté de fixation des tarifs plafonds pourrait être envisagé, le procédé a cependant été validé par le Conseil d’Etat lors d’un des nombreux recours exercés contre les tarifs plafonds des Etablissements et Service d’Aide par le Travail (ESAT) par les organisations représentatives, autres établissements et services se voyant fixer des tarifs plafonds (arrêt du 17 juillet 2013, req. n° 344035, considérants n° 5, 7 et 8). La Haute juridiction administrative a par ailleurs déjà jugé qu’un arrêté fixant des tarifs plafonds pouvait survenir en cours d’année. Le Conseil d’État a ainsi confirmé que les arrêtés interministériels fixant les tarifs plafonds n’étaient pas entachés d’une rétroactivité illégale dans la mesure où ils ne pouvaient s’appliquer qu’aux arrêtés de tarification pris postérieurement à leur publication au Journal officiel (même arrêt).

[1] Arrêté du 2 mai 2018 fixant les tarifs plafonds prévus au deuxième alinéa de l’article L. 314-4 du code de l’action sociale et des familles applicable aux établissements mentionnés au 8° du I de l’article L. 312-1 du même code au titre de l’année 2018

[2] Arrêté du 13 mai 2019 fixant les tarifs plafonds prévus au deuxième alinéa de l’article L. 314-4 du code de l’action sociale et des familles applicable aux établissements mentionnés au 8° du I de l’article L. 312-1 du même code au titre de l’année 2019

Présence d’un médecin spécialiste de la pathologie au sein de la commission de réforme

CE, 24 avril 2019, n° 414584

Par un arrêt en date du 24 juillet 2019 ( n°417902), le Conseil d’État a rappelé qu’il résultait des articles 3 et 16 de l’arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière que l’absence d’un médecin spécialiste lors de l’examen du cas d’un fonctionnaire par la commission de réforme était « susceptible de priver l’intéressé d’une garantie et d’entacher ainsi la procédure devant la commission d’une irrégularité justifiant l’annulation de la décision de mise à la retraite d’office pour invalidité ».

Dans ce dossier, il a ainsi annulé la décision de la Cour administrative d’appel querellée en jugeant qu’en s’abstenant de rechercher s’il ressortait manifestement des éléments dont elle disposait que la présence d’un médecin spécialiste en neurologie était nécessaire lors du passage d’un agent devant la commission de réforme, la cour administrative d’appel avait entaché son arrêt d’une erreur de droit.

Néanmoins, il reste des cas où – compte-tenu de la rédaction de l’arrêté du 4 août 2004, qui ne fait de la présence du spécialiste une option (« Cette commission comprend :1. Deux praticiens de médecine générale, auxquels est adjoint, s’il y a lieu, pour l’examen des cas relevant de sa compétence, un médecin spécialiste qui participe aux débats mais ne prend pas part aux votes ») – le Conseil d’Etat juge que cette absence n’est pas de nature à vicier la décision.

C’est ce qu’il a jugé tout récemment dans une autre décision du 24 avril dans laquelle il lui est apparu qu’il ne résultait pas des éléments du dossier que les troubles anxio-depressifs dont souffrait un agent impliquaient nécessairement, pour l’examen de l’imputabilité au service de sa pathologie, le concours d’un médecin psychiatre afin d’éclairer la commission de réforme.

Le fait est cependant que, dans le doute, il est préférable que l’administration, qui n’a pas la maîtrise de la composition de la commission mais assume les conséquences d’un vice de procédure, s’assure par tout moyen de la présence d’un expert des pathologies considérées. C’est la raison pour laquelle il est utile que l’administration elle-même veille en amont à une expertise d’un spécialiste dont les conclusions pourront être adressées à l’instance médicale et ainsi permettre de soutenir au besoin que, même en l’absence d’un tel médecin à l’occasion de la réunion, l’agent n’a pas été privé d’une garantie au vu de ce que la commission disposait déjà des conclusions nécessaires. La jurisprudence Danthony (CE, ass., 23 déc. 2011, n° 335033) pourrait alors permettre de couvrir un vice de procédure.

Actualité du contentieux des « faux auto-entrepreneurs »

En fin d’année 2018, la Cour administrative d’appel de Marseille condamnait la Ville pour avoir eu recours à une auto-entrepreneuse au sein de son service de communication, en allouant à celle-ci la somme de 8.000 euros en réparation de ses préjudices.

Par un arrêt du 9 octobre 2019, le Conseil d’Etat est venu enrichir cette jurisprudence sur les « faux auto-entrepreneurs » (de faux vacataires en somme), en jugeant qu’un contrat de prestation de service conclu entre un auto-entrepreneur et le CNRS entre dans le calcul du nombre d’années permettant de demander la transformation d’un contrat à durée déterminé en contrat à durée indéterminée.

En l’espèce, M. A. avait été embauché à dix reprises, entre le 10 mai 2004 et le 22 mars 2011, en CDD par le CNRS en tant qu’ingénieur d’études spécialisé dans le traitement des images au sein du Laboratoire d’astrophysique de Marseille (LAM). Il avait également été employé en CDD par l’Université Provence Aix Marseille I en tant qu’ingénieur d’études au sein du même laboratoire entre mai et juillet 2009, puis entre juin et juillet 2010. Enfin, le 6 mai 2011, il avait conclu, sous le statut d’auto-entrepreneur, un contrat de prestation de services avec le CNRS et l’université de Provence-Aix-Marseille I pour réaliser une prestation pour le laboratoire. Ce contrat a été prolongé de sorte que, en mars 2013, M. A. a demandé au CNRS le bénéfice d’un contrat à durée indéterminée en application des dispositions de l’article 8 de la loi du 12 mars 2012.

 
Saisi de contentieux, passé lui aussi via la CAA de Marseille, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi du CNRS et jugé qu’« il résulte de ces dispositions que lorsqu’un agent demande la transformation de son contrat en contrat à durée indéterminée, il appartient au juge administratif, saisi par l’intéressé, de rechercher, en recourant au besoin à la méthode du faisceau d’indices, si en dépit de l’existence de plusieurs employeurs apparents, l’agent peut être regardé comme ayant accompli la durée nécessaire de services publics effectifs auprès d’un employeur unique. Ces indices peuvent être notamment les conditions d’exécution du contrat, en particulier le lieu d’affectation de l’agent, la nature des missions qui lui sont confiées et l’existence ou non d’un lien de subordination vis-à-vis du chef du service concerné ».

C’est ainsi qu’il a retenu qu’en l’espèce les faits sus rappelés ouvraient droit à la requalification sollicitée, d’autant qu’il ressortait des pièces du dossier que le choix de conclure avec M. A. le 6 mai 2011 un contrat de prestation de services en tant qu’auto-entrepreneur avait pour but de ne pas entrer dans l’hypothèse d’une durée de services comme contractuel de plus de six ans, elle-même de nature à justifier de l’octroi d’un CDI.

Le même jour, le Conseil d’Etat a également rendu une décision défavorable au CNRS dans le contentieux plus connu de refus de bénéfice d’un CDI à un agent en CDD : CE, 9 octobre 2019, n° 422868.

La garantie des droits de la défense des agents publics garantie par le Conseil Constitutionnel

Historiquement prohibé pour les agents du service public (CE, 7 aout 1909, Winkell, au Lebon), l’exercice du droit de grève s’est progressivement étendu à tous les corps et cadres des trois versants de la fonction publique, non sans qu’il subsiste dans certains métiers spécifiques des restrictions importantes, voire une interdiction totale de son exercice.

C’est notamment le cas des fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire dont le statut est régi par les dispositions de l’ordonnance du 6 août 1958, et dont l’article 3 indique (ou plutôt indiquait) que « toute cessation concertée du service, tout acte collectif d’indiscipline caractérisée de la part des personnels des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire est interdit. Ces faits lorsqu’ils sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public, pourront être sanctionnés en dehors des garanties disciplinaires ».

À l’occasion d’un recours contentieux engagé contre une exclusion temporaire de fonctions prononcée à l’encontre d’un fonctionnaire ayant participé à un mouvement de grève, un agent a cependant contesté, au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité, l’absence de garanties disciplinaires encadrant le prononcé de sanctions disciplinaires dans pareil cas.

La question était d’une importance suffisante pour que le Conseil d’Etat soumette cette QPC au Conseil constitutionnel, qui s’est prononcé, de manière limpide, par une décision du 13 mai 2019.

Le Conseil constitutionnel juge que l’ordonnance précitée méconnaît le principe du contradictoire posé par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Hommet du Citoyen selon lequel « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » dès lors que les dispositions attaquées prévoient que les sanctions disciplinaires prononcées en vue de sanctionner la participation à un mouvement de grève échappent aux garanties disciplines que peuvent par ailleurs invoquer les agents publics s’agissant de n’importe quelle autre sanction disciplinaire.

Partant, le Conseil d’Etat prononce l’abrogation de la seconde phrase de l’article attaqué, avec effet immédiat, et notamment sur les très nombreuses procédures engagées par des agents des services de l’administration pénitentiaire dans la même période et non encore jugées.

Cette décision implique désormais d’engager une procédure disciplinaire à l’égard des agents grévistes, laquelle est assortie de garanties qui permettent de s’assurer du caractère proportionné des sanctions infligées, à l’aune de la jurisprudence Dahan du Conseil d’Etat (CE, 13 novembre 2013, Dahan, req n°347704, au Lebon).

L’effet dissuasif qui consistait à faire échapper aux garanties disciplinaires les fautes considérées comme les plus graves (le fait pour des agents investis de fonctions régaliennes d’empêcher la continuité du service public) est donc voué à disparaître ou, à tout le moins, à s’étioler.

L’URSSAF reconnaît enfin que les contributions des collectivités aux régimes de retraite supplémentaires FONPEL et CAREL de leurs élus locaux ne sont pas soumises à cotisations sociales en applications de l’article L. 242-1 du Code de sécurité sociale

Depuis de nombreuses années, les URSSAF s’entêtent à prononcer des chefs de redressement à l’encontre des communes concernant les contributions versées par ces dernières pour la retraite supplémentaire de leurs élus locaux.

Les Urssaf estimaient que ces contributions devaient s’analyser en participations patronales soumises à cotisations sociales en application de l’article L. 242-1 du Code de sécurité sociale.

La Commission de recours amiable vient de donner tort aux URSSAF. En effet, cette dernière a annulé le redressement admettant expressément que la participation des collectivités territoriales au financement de retraite supplémentaire FONPEL et CAREL était exclue de l’assiette des cotisations sociales dans les limites prévues à l’article D. 242-1 du Code de sécurité sociale.

C’est une bonne nouvelle pour les collectivités qui doivent expressément contester de tels redressements.

L’encadrement impossible du déploiement anarchique des vélos et trottinettes en libre-service ?

C’est un « casse-tête » pour toutes les grandes agglomérations françaises, où le mécontentement monte : les vélos et trottinettes sans stations d’attache, ces solutions de mobilité en libre-service (ou free floating), sont apparues depuis plus d’un an déjà sur les trottoirs parisiens et d’autres grandes villes, et s’y sont développées de manière anarchique.

Face aux problématiques d’utilisation de l’espace public et de sécurité des usagers des engins et de la voie publique et au vide juridique en la matière, les mairies ont vite été conduites à tenter de réguler ce nouveau marché, de manière tout à fait réactionnelle dans un premier temps.

Elles ont fait usage de leurs pouvoirs de police en matière de circulation et de stationnement (verbalisation des usagers roulant sur les trottoirs et des stationnements anarchiques avec mise en fourrière), d’une part, et, d’autre part, ont signé des chartes ou codes de bonne conduite avec les opérateurs du secteur (à Paris, Lyon et Bordeaux par exemple).

Dans l’attente de la LOM (loi d’orientation des mobilités) qui devrait être définitivement adoptée au mieux d’ici la fin de l’année, cela se structure désormais plus précisément. La Mairie de Paris a très récemment lancé un appel à projets visant à la sélection de trois opérateurs qui devront se partager le marché parisien, et, plus précisément, une flotte de 5.000 trottinettes chacun. Ils devront respecter des exigences sociales (emplois stables de leur main d’œuvre), environnementales (équipements durables et stables et traitement des batteries usagées par des filières spécialisées) et de sécurité (assurance, doubles freins).

Par ailleurs, la ville va créer 2.500 zones de stationnement pour les engins en free floating.

Dans son état actuel, la LOM traite ce sujet sous l’angle de l’occupation du domaine public (et non du stationnement).

Ainsi, il est prévu que les opérateurs se voient délivrer un titre d’occupation du domaine public par l’autorité gestionnaire dudit domaine, de manière non discriminatoire (après une publicité préalable de nature à permettre la manifestation d’un intérêt pertinent et à informer de manière
non discriminatoire les candidats potentiels), après avis de l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM). Ce titre pourra être prescriptif, s’agissant, par exemple, des conditions spatiales de déploiement des engins, de l’information des usagers sur les règles applicables au code de la route, des modalités de retrait des engins hors d’usage, ou, encore, des restrictions d’apposition de publicité sur les engins. Il est par ailleurs prévu que, dans les six mois à compter de la publication de la loi, le Ministre des transports établisse, en concertation avec les acteurs du secteur, des recommandations relatives auxdites prescriptions.

Les opérateurs devront s’acquitter du paiement d’une redevance d’occupation du domaine public et, conséquemment, ne seront pas soumis au paiement de la redevance de stationnement.

Notons qu’initialement, la LOM avait prévu un dispositif de prescriptions particulières définies par délibération de l’AOM et l’application d’une sanction pécuniaire (d’un montant maximum de 300.000 euros) en cas non-respect de celles-ci.

La nouvelle rédaction de l’article 18 de la LOM résulte d’un amendement adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, ce sujet ayant donné lieu à de vifs débats en séance.

Ce sujet devrait en tout état de cause être définitivement encadré par la loi avant les échéances électorales municipales de mars 2020, mais l’enjeu d’une mise en pratique effective sur les territoires ne sera pas totalement réglé d’ici là, et il y a tout lieu de penser qu’il s’agira en tout état de cause d’un sujet épineux pour les candidats aux élections.

Notification du terme du CDD de remplacement sans terme précis : un simple appel téléphonique suffit !

Si le plus souvent les CDD ont un terme précis, ce n’est pas le cas pour certains de ces contrats conclus pour le remplacement d’un salarié absent. Le contrat est conclu pour une durée minimale et a pour terme « la fin de l’absence de la personne remplacée » (C. trav., art. L. 1242-7) qui correspond :

  • au retour du salarié absent de l’entreprise ( Cass. Soc., 24 juin 2015, n° 14-12.610) ou
  • à la date de la rupture du contrat de travail du salarié absent si ce dernier ne reprend pas son activité.

Afin d’éviter que le contrat se poursuive après l’échéance du terme et qu’il se transforme en CDI (C. trav. art. L 1243-11), l’employeur doit en informer le salarié : qu’en est-il de la forme ?

C’est sur cette question que s’est prononcée la Cour de cassation dans son arrêt du 18 septembre 2019.

En l’espèce, en 2012, une salariée conclu un CDD pour pourvoir au remplacement une salarié pour maladie. Le jour de la notification du licenciement, le 10 décembre 2014, la salariée qui la remplace est informée, par téléphone, que son CDD prend fin du fait du licenciement pour inaptitude de la salariée remplacée. La salariée, par courriel adressé au directeur régional conteste la fin de son CDD et demande la confirmation écrite de la fin de son contrat, courrier qui lui est adressé le lendemain. Le 11 décembre 2014, la salariée se présente à son poste de travail.

La salariée évincée le 10 décembre 2014, date de la notification du licenciement de la salariée remplacée, saisie le Conseil de prud’hommes. Elle soutient que son contrat s’était poursuivi après l’échéance de son terme et sollicite la condamnation de l’employeur au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En première instance, la salariée obtient gain de cause : les conseillers prud’homaux considérant que l’employeur ayant notifié par écrit la fin du contrat le 11 décembre 2014, celui-ci s’est poursuivi après son terme. Cette décision est infirmée par la Cour d’appel : les dispositions relatives au CDD de remplacement ne prévoyant pas les modalités d’information du salarié sur le terme de son contrat, l’information par téléphone le 10 décembre 2014 suffisait à rompre valablement son contrat.

Saisie par la salariée, la chambre sociale de la Cour de cassation approuve la décision de la cour d’appel : « si, en application de l’article L. 1242-7 du code du travail, le contrat à durée déterminée conclu pour remplacer un salarié absent a pour terme la fin de l’absence de ce salarié, il n’est pas exigé que l’employeur y mette fin par écrit ».

En définitive, dans le silence des textes, la Cour de cassation refuse de créer à la charge une obligation de notification écrite au salarié sous CDD de remplacement qui seule aurait pour effet de valablement mettre fin au contrat.

Deux apports sont donc à souligner dans cet arrêt :

  • le CDD de remplacement prend fin au moment où s’achève l’absence du salarié remplacé ;
  • l’information sur l’événement constitutif de la fin du CDD nécessaire afin que le salarié n’exécute aucune prestation de travail au-delà du terme du contrat ne doit revêtir aucune forme particulière : un simple appel téléphonique suffit pour notifier valablement la rupture du CDD.

Interruption et suspension de prescription en matière de contentieux de la construction : attention aux délais d’action

Par un arrêt rendu le 19 septembre 2019, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation revient sur une double problématique relative, d’une part, à l’interruption de la prescription et, d’autre part, à la suspension de la prescription.

Dans cette espèce et sur le plan factuel, la société LA VALLEE HAUTE, assurée auprès de la société GAN au titre de l’assurance dommages-ouvrage et d’une assurance constructeur non-réalisateur, a fait construire un groupe d’immeubles sous la maitrise d’œuvre d’exécution de la société REGLES D’ART assurée auprès de la société L’AUXILIAIRE.

Les travaux de gros œuvre ont été confiés à l’entreprise PATREGNANI, assurée auprès de la société AXA FRANCE IARD.

La réception de l’ouvrage est intervenue sans réserve le 19 juillet 2001.

Les 5 et 6 août 2010, le syndicat des copropriétaires et plusieurs copropriétaires ont assigné en référé expertise la société LA VALLEE HAUTE et son assureur la société GAN.

Les 21 et 30 septembre 2010, ces derniers ont appelé en intervention forcée l’entreprise chargée du gros œuvre et son assureur la société AXA FRANCE IARD puis le maitre d’œuvre.

Le 11 septembre 2014, le syndicat des copropriétaires et plusieurs copropriétaires ont assigné au fond les sociétés LA VALLEE HAUTE, PATREGNANI, REGLES D’ART et leurs assureurs respectifs GAN, AXA FRANCE IARD et L’AUXILIAIRE, en indemnisation de leurs préjudices.

 

Par un arrêt rendu le 16 janvier 2018, la Cour d’appel de Chambéry a considéré, s’agissant de la mise en cause de la société AXA FRANCE IARD, assureur de responsabilité décennale de l’entreprise PATREGNANI, que :

« L’action de la victime contre l’assureur de responsabilité qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action contre le responsable et ne peut être exercée contre l’assureur, au-delà de ce délai, que tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré, c’est à dire en l’occurrence, 10 ans à compter de la réception, outre 2 ans du recours de l’assuré contre son assureur par application de l’article L.114-1 du code des assurances, soit jusqu’au 17 juillet 2013.

Cependant, selon l’article 2239 du code civil, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Tel est bien le cas en l’occurrence, puisque la compagnie AXA a été appelée à l’expertise de M. G. par ordonnance de référé du 21/10/2010, et que le rapport n’a été rendu que le 07/06/2014.

Le délai de prescription n’a alors recommencé à courir que six mois après, soit le 07/12/2014. 

Dès lors, cette période ne compte pas dans la prescription (étant précisé que, si le délai décennal, délai d’épreuve, est bien un délai de forclusion, on est en présence ici d’un délai de prescription, s’agissant des relations du tiers lésé et de l’assureur d’un locateur d’ouvrage). »

La Cour d’appel a ainsi jugé que la société AXA FRANCE IARD avait été assignée en juin 2014 de sorte que l’action du tiers lésé n’était pas prescrite.

 

Toutefois, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel en considérant que :

« […] pour être interruptive de prescription, une demande en justice doit être dirigée contre celui qu’on veut empêcher de prescrire et que la suspension de la prescription résultant de la mise en œuvre d’une mesure d’instruction n’est pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale ».

Cette jurisprudence s’inscrit donc dans le cadre d’un certain nombre d’arrêts rendus récemment par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation qui prend, à nouveau, le soin de rappeler la nécessité d’être vigilant quant aux délais d’interruption de prescription.

Ainsi et au regard de la durée des opérations d’expertise judiciaire, il est donc plus que jamais nécessaire d’être très prudent quant aux délais d’actions et il est préférable d’assigner au fond en sollicitant un sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport.

 

Expropriation : précisions sur la date de référence d’un bien soumis au droit de préemption urbain lorsque la modification du PLU n’affecte pas le classement des parcelles expropriées

En matière d’expropriation, l’usage effectif du bien est apprécié à une date dite « de référence », conformément au deuxième alinéa de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

En principe, cette date est fixée à un an avant l’ouverture de l’enquête publique relative à la déclaration d’utilité publique du projet sauf, notamment, lorsque le bien est soumis au droit de préemption urbain, auquel cas il y a lieu de faire application des dispositions des articles L. 213-6 et L. 213-4 a) du Code de l’urbanisme.

Dans cette dernière hypothèse, la date de référence à retenir est celle à laquelle a été publié l’acte approuvant, révisant ou modifiant le plan d’occupation des sols ou le plan local d’urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.

Par un arrêt en date du 13 juin 2019 (n° 18-18445) publié au bulletin, la Cour de cassation précisait qu’une telle date est prise en compte lorsque la modification concerne le périmètre de la zone dans laquelle est située la parcelle expropriée, mais aussi lorsque celle-ci affecte les caractéristiques de cette même zone.

Par le présent arrêt, la Cour de cassation fait application de sa jurisprudence récente en cassant et annulant un arrêt d’une Cour d’appel qui, après avoir constaté que la délibération portant modification du plan local d’urbanisme « avait modifié certaines caractéristiques de la zone où se situent les parcelles expropriées, notamment relatives à la hauteur des bâtiments », et alors même que cette modification n’affectait pas leur classement, n’a pas retenu la date de ladite délibération comme date de référence.