Loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 – Les mesures relatives aux structures intercommunales

I – Rappel liminaire sur les conséquences du report des élections municipales sur les mandats des conseillers municipaux et communautaires 

1 – Rappel du processus électoral en cours 

La loi d’urgence indique que l’élection régulière des conseillers élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 est acquise (article 19 I dernier alinéa) ceux-ci entrant en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020 si la situation sanitaire le permet, en fonction de l’analyse du comité scientifique remise au plus tard au Parlement le 23 mai 2020 (article 19, II, alinéa 1er). 

Par dérogation à ce principe, il est néanmoins précisé que dans les communes de moins de 1 000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet, ainsi qu’à Paris, Lyon et Marseille, les conseillers municipaux élus au premier tour entrent en fonction le lendemain du second tour de l’élection ou, s’il n’a pas lieu, dans les conditions prévues par une prochaine loi le cas échéant (article 19, II, alinéa 2 et 3). 

Si l’organisation du second tour n’est pas possible en juin, le premier tour du scrutin sera annulé (pour les communes n’ayant pas élu un conseil municipal complet) et une nouvelle élection sera organisée dans les délais et conditions fixés par une prochaine loi (article 19, I). 

En toutes hypothèses, un renouvellement intégral des conseillers élus au premier ou au second tour aura lieu en 2026 (article 19, XVII). 

 

2 – S’agissant des conséquences sur les mandats des conseillers municipaux et communautaires 

La loi distingue, s’agissant des conséquences du report du second tour sur les mandats des conseillers municipaux et communautaires, entre (article 19, IV),d’une part, le cas des conseils municipaux élus au complet, et d’autre part, ceux qui n’ont pas été élus au complet ou ont été élus à Paris, Lyon et Marseille, qui n’entrent en fonction qu’à l’issue du second tour (article 19, IV, 2° et 3°) ; par ailleurs, les conseillers métropolitains de Lyon en exercice au premier tour voient tous leur mandat prorogé jusqu’au second tour (article 19, IV, 3°). 

On relèvera par ailleurs que les candidats ayant été élus au premier tour mais qui voient leur entrée en fonction différée reçoivent copie de l’ensemble des décisions prises par le président de l’EPCI ou son remplaçant, jusqu’à leur installation (article 19, XIV). 

Trois précisions sont apportées par le texte sur ces prorogations. 

D’abord, les délibérations et délégations attribuées aux conseillers dont le mandat est prolongé ne sont pas remises en cause du seul fait de cette prorogation (article 19, IV, dernier alinéa).  

Ensuite, ces prolongations peuvent être remises en cause en cas de « surnombre » de conseillers communautaires, tel qu’exposé plus bas (article 19, IV, 2° et 3° : « sous réserve du 3 du VII »). 

Enfin, le texte envisage le cas particulier d’EPCI à fiscalité propre résultant d’une fusion intervenue dans la semaine précédant le premier tour des élections municipales et communautaires : dans cette hypothèse, les conseillers communautaires en fonction dans les anciens EPCI à fiscalité propre conservent leur mandat au sein de l’établissement public issu de la fusion (article 19, VIII, alinéa 1er). 

 

II – Dispositions relatives aux structures de coopération locale 

1 – Dispositions applicables aux EPCI à fiscalité propre 

Il convient de préciser que l’ensemble des dispositions qui suivent est applicable aux Établissements publics territoriaux (EPT), même si ceux-ci sont en principe soumis au régime des syndicats de communes (article 19, VIII). 

 

a – Sur la composition du conseil communautaire et métropolitain 

L’application des règles exposées ci-avant amène à distinguer deux situations, celle des EPCI dont le conseil communautaire ou métropolitain est composé exclusivement de conseillers nouvellement élus (i) et celle des EPCI dont le conseil communautaire ou métropolitain est en outre composé de conseillers anciennement élus (EPCI « mixtes ») (ii). 

 

i – S’agissant des EPCI dont la totalité des conseillers communautaires a été désignée à l’issue du premier tour des élections municipales 

Le texte évoque d’abord le cas des EPCI à fiscalité propre dont le conseil communautaire est composé de conseillers tous élus au premier tour, c’est-à-dire qui ne comptent parmi leurs membres ni des communes dont le conseil municipal ne serait pas complet, ni Paris, Lyon ou Marseille, et à l’exclusion, enfin, de la Métropole de Lyon (article 19 VI). 

Dans cette première hypothèse, l’organe délibérant se réunit dans sa nouvelle composition au plus tard trois semaines après la date d’entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour, fixée par décret. 

 

ii. S’agissant des EPCI dont la totalité des conseillers communautaires n’a pas été élue à l’issue du 1er tour des élections municipales (« mixtes ») 

Le texte évoque le cas des autres EPCI à fiscalité propre, dont au moins une partie des communes membres voit le mandat de ses conseillers prorogés jusqu’au second tour, (article 19, VII, 1).  

La loi est silencieuse sur la composition des organes délibérants de ces EPCI, jusqu’à la date fixée pour l’entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour, néanmoins une circulaire ministérielle interprétant les dispositions de la loi indique à cet égard que le conseil communautaire en fonction à la veille du premier tour demeure jusqu’à cette date. 

Puis, à compter de la date d’entrée en fonction des conseillers élus au premier tour et jusqu’à la première réunion de l’organe délibérant suivant le second tour des élections municipales et communautaires – qui se tient au plus tard le troisième vendredi suivant ce second tour, le conseil communautaire est ensuite composé à la fois de conseillers nouvellement élus, représentant les communes où le conseil municipal est complet, et de conseillers dont le mandat est prorogé, dans les cas visés plus haut. 

Si le nombre de représentants dont le mandat est prorogé ne correspond pas au nombre fixé par l’arrêté préfectoral en vigueur lors des élections de 2020 (article L. 5211‑6‑1, VII du CGCT), fixant le nombre de représentants de la commune considérée, le Préfet est alors fondé à « ajuster » le nombre de représentants de la commune, à la hausse ou à la baisse selon les cas, en tenant compte soit de l’ordre du tableau dans les communes de moins de 1.000 habitants, soit des moyennes obtenues lors des élections dans les communes de plus de 1.000 habitants (en tenant compte des re-désignations intervenues depuis le dernier renouvellement général, ou à défaut, des élections intervenues lors du dernier renouvellement général) (article 19, VII).    

 

b – Sur le mandat du président et des vice-présidents des EPCI à fiscalité propre 

La loi indique que le président et les vice‑présidents en exercice lors de l’entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour – c’est-à-dire ceux élus dans le cadre du précédent renouvellement (article L. 2122-15 du CGCT sur renvoi de l’article L. 5211-2 du même Code : « Le maire et les adjoints continuent l’exercice de leurs fonctions jusqu’à l’installation de leurs successeurs […] ») – sont maintenus dans leurs fonctions (article 19, VII, 4).  

Il est également précisé que, dans le cas particulier des EPCI résultant d’une fusion intervenue dans la semaine précédant le premier tour des élections municipales et communautaires, le président et les vice‑présidents de l’EPCI appartenant à la catégorie à laquelle la loi a confié le plus grand nombre de compétences exercent les fonctions de président et de vice‑présidents de l’établissement public issu de la fusion (article 19, VIII, alinéa 2). 

La loi n’indique pas, cependant, jusqu’à quelle date leur mandat est maintenu. 

Selon toute vraisemblance, il convient d’en conclure que leur mandat est maintenu jusqu’à la réunion qui suit le second tour des élections municipales. 

Telle est d’ailleurs l’interprétation retenue par la circulaire communiquée par le ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales sur la loi d’urgence qui précise que :  

« Le président et les vice‑présidents en exercice à la date fixée pour l’entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour sont maintenus dans leurs fonctions. […] Le nouveau conseil communautaire peut se réunir et élire un nouvel exécutif à compter de la première réunion de l’organe délibérant suivant le second tour des élections municipales et communautaires, réunion qui se tient au plus tard le troisième vendredi suivant ce second tour» . 

Il est en outre précisé que les délégations consenties par le conseil communautaire ou métropolitain au(x) président ou vice-président(s) (article L. 5211‑10 du CGCT) ainsi que les délibérations relatives à leurs indemnités (article L. 5211‑12 du CGCT), en vigueur à la date d’entrée en fonction des conseillers élus au premier tour, demeurent « en ce qui les concerne » (article 19, VII, 4).  

Le cas des autres membres du bureau n’est en revanche pas évoqué.  

Notons encore que, s’agissant des indemnités des élus communautaires prévues à l’article L. 5211-12 du CGCT, il est précisé que les dispositions prévoyant l’adoption d’une délibération y afférente dans un délai de trois mois suivant l’installation du conseil communautaire ne sont pas applicables à l’organe délibérant d’un EPCI à fiscalité propre renouvelé au complet à l’issue de ce premier tour et de l’élection subséquente du maire et des adjoints de ses communes membres (article 19, XI). 

Par ailleurs, la loi indique qu’en cas d’absence, de suspension, de révocation ou de tout autre empêchement, le président est provisoirement remplacé dans les mêmes conditions par un vice‑président dans l’ordre des nominations ou, à défaut, par le conseiller communautaire le plus âgé (article 19, VII, 4). 

 

c – Les pouvoirs et le fonctionnement des organes des EPCI à fiscalité propre 

S’agissant du fonctionnement des organes délibérants des EPCI à fiscalité propre, le texte précise d’ores et déjà que le rapport qui sera remis au parlement le 23 mai 2020 (article 19, II) devra se prononcer sur les précautions à prendre pour l’organisation d’une réunion des conseils communautaires (article 19, II, 2°), l’article 10 prévoyant néanmoins que pendant la durée d’état d’urgence sanitaire (c’est-à-dire dans une période incluant notamment la période précédant ce rapport) les conseils communautaires pourront se réunir valablement, par dérogation aux règles de quorum, si un tiers des membres en exercice est présent. 

Par ailleurs, cet article prévoit qu’un dispositif de vote électronique ou de vote par correspondance papier préservant la sécurité du vote peut être mis en œuvre dans des conditions fixées par un décret à intervenir, toujours pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, sauf lorsqu’est requis le vote à bulletin secret.  

Un certain nombre de questions demeurent néanmoins en suspens quant aux règles applicables jusqu’au second tour, par exemple, sur l’étendue de leurs interventions, même si l’article 10 de la loi prévoit notamment des règles spécifiques de quorum et la possibilité d’un dispositif de vote électronique et par correspondance dans les conditions fixées par décret. 

L’ordonnance qui sera adoptée par le Gouvernement pourrait comporter des précisions en la matière, l’article 11, I, 8° a) précisant en effet que le Gouvernement pourra prendre toute mesure permettant de déroger « Aux règles de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, s’agissant notamment de leurs assemblées délibérantes et de leurs organes exécutifs, y compris en autorisant toute forme de délibération collégiale à distance ». 

 

2 – Dispositions relatives aux syndicats de communes et aux syndicats mixtes 

L’article 19 (X) de la loi prévoit que : 

« Nonobstant toute disposition contraire, le mandat des représentants d’une commune, d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat mixte fermé au sein d’organismes de droit public ou de droit privé en exercice à la date du premier tour est prorogé jusqu’à la désignation de leurs remplaçants par l’organe délibérant. Cette disposition n’est pas applicable aux conseillers communautaires » .

Avant même, d’indiquer avec précision le champ d’application des dispositions du X de l’article 19 de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid ‑19, il faut préciser que l’ensemble des règles présentées ci-après sont inapplicables aux EPCI-FP puisque celui-ci énonce que « Cette disposition n’est pas applicable aux conseillers communautaires ». 

Au demeurant, le texte prévoit que certains mandats des représentants au sein des « organismes de droit public » sont prorogés. D’emblée, précisons que, si ce terme a un sens particulier en droit de l’Union européenne de la commande publique, la notion d’ « organismes de droit public » n’est pas définie par la loi. 

La DGCL, dans la circulaire publiée le 23 mars 2019, faisant la synthèse des dispositions concernant les collectivités territoriales et leurs groupements, fait, elle, référence à la notion « d’organismes extérieurs ». 

En tout état de cause, il nous semble possible de considérer que la notion d’organismes de droit public à vocation à s’appliquer aux syndicats, qu’ils soient intercommunaux ou mixtes.  

Le législateur identifie en outre très précisément les représentants des collectivités qui peuvent proroger leurs mandats au sein de ces « organismes de droit public » : 

  • ceux des communes ;
  • ceux des EPCI, soit en vertu de l’article L.5210-1-1 A du CGCT, les représentants des syndicats de communes, des communautés de communes, des communautés urbaines, des communautés d’agglomération et des métropoles; 
  • ceux des « syndicats mixtes fermés ».

 

Ajoutons que seuls les représentants en exercice à la date du premier tour verront leurs mandats prorogés.  

Dès lors, il convient de relever que la prorogation des représentants au sein d’organismes de droit public et de droit privé de certaines personnes publiques n’est pas prévue : 

  • ceux des syndicats mixtes ouverts ; 
  • ceux des collectivités à statut particulier comme la Métropole de Lyon ou laVille de Paris. 

Il est à noter qu’aucune disposition relative à la prorogation des fonctions des Présidents et des Vice-Présidents n’est explicitement prévue pour les syndicats de communes et les syndicats mixtes, contrairement à celles évoquées pour les EPCI à fiscalité propre, ni de règle explicite concernant les délégations dont ceux-ci bénéficient. 

Par Clara Zurbach et Margaux Davrainville

Loi d’urgence sanitaire : le durcissement des sanctions en cas de violation des mesures de restriction des déplacements

Le 18 mars 2020, le gouvernement a mis en œuvre la procédure accélérée aux fins d’adoption d’un projet de loi d’urgence visant à faire face à l’épidémie de Covid-19 ; élaborée par la Commission Mixte Paritaire, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 portant création de l’état d’urgence sanitaire est ainsi entrée en vigueur le 24 mars 2020 : elle est d’application immédiate.  

Sur le plan pénal, elle porte notamment un durcissement des sanctions en cas de violation des mesures de restriction des déplacements.  

La contravention de 4ème classe initialement instituée par le décret n° 2020-264 du 17 mars 2020 est désormais prévue par une disposition législative qui vient compléter l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique, lequel dispose à compter de ce jour que :  

« La violation des autres interdictions ou obligations édictées en application des articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131-17 » relatifs aux mesures de restrictions ordonnées face à la crise sanitaire « est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Cette contravention peut faire l’objet de la procédure de l’amende forfaitaire prévue à l’article 529 du code de procédure pénale. Si cette violation est constatée à nouveau dans un délai de quinze jours, l’amende est celle prévue pour les contraventions de la cinquième classe.

Si ces violations « sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général, selon les modalités prévues à l’article 131-8 du code pénal et selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code, et de la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’un véhicule ». 

 

Cet article nouvellement rédigé vise la méconnaissance des interdictions ou obligations récemment instituées par décret du Premier ministre, par arrêté du Ministre chargé de la santé, ou encore par arrêté du représentant de l’Etat dans le département – le Préfet, face à la crise sanitaire.  

Les interdictions ou obligations à portée nationale édictées par décret du Premier ministre peuvent en conséquence être précisées au plan local, et notamment celles limitant les déplacements ; plus d’une centaine de Communes ont pour l’heure instauré par arrêté municipal, un couvre-feu sur leur territoire. 

Une semaine après l’entrée en vigueur des mesures de confinement instaurées, l’exécutif a ainsi renforcé l’arsenal juridique dans un but dissuasif, en prévoyant un durcissement des sanctions prévues en cas de méconnaissance des règles restreignant les déplacements. 

Désormais, l’inobservation des interdictions ou obligations mises en œuvre au plan national ou au plan local sera sanctionnée :  

  • D’une amende forfaitaire prévue pour les contraventions de 4ème classe (135 € pouvant être majorée à 375 € en l’absence de paiement dans les 45 jours) ; 
  • D’une amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe (1.500 € au plus – l’amende forfaitaire n’étant pas prévue pour les contraventions de la 5ème classe) si une seconde violation est constatée dans un délai de quinze jours ;  
  • De six mois d’emprisonnement et de 3.750 € d’amende (au plus) si ces violations sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours ; seront également encourues les peines complémentaires de travail d’intérêt général et de suspension du permis de conduire – pour une durée de trois ans au plus – lorsque l’infraction aura été commise à l’aide d’un véhicule.  

Précisons que les agents de police municipale ainsi que les agents chargés d’un service de police et ceux de surveillance de la Ville de Paris sont désormais habilités – aux côtés des agents de police nationale – à constater par procès-verbaux les contraventions des 4ème et 5ème classes susvisées.  

La « multirécidive » visée par ces nouvelles dispositions reçoit désormais une qualification délictuelle, rendant le Tribunal correctionnel seul compétent pour en juger.  

Sur ce point, il faut néanmoins rappeler que la récidive répond normalement à des critères stricts relevant de l’appréciation d’un juge et est notamment exclue pour les contraventions de 4ème classe ; cet aspect de la loi d’urgence sanitaire sera dès lors vraisemblablement débattu devant les juridictions qui en seront saisies, notamment dans le cadre des procédures de comparution immédiate. 

L’instauration de ce nouveau délit dote en tout état de cause les services de police et du Parquet d’un fondement juridique permettant de procéder à l’interpellation, à la garde à vue, voire au déferrement et au jugement d’administrés récalcitrants qui ne respecteraient pas les consignes. Rappelons en effet que ces comportements étaient précédemment poursuivis – et ont pour certains été condamnés – sur le fondement – juridiquement fragile – du délit de la mise en danger d’autrui qui requiert toutefois d’apporter la preuve, non seulement d’un manquement à une obligation législative ou règlementaire particulière de sécurité ou de prudence – réuni dans un tel cas – mais surtout de l’existence d’un risque immédiat de mort – ce qui pouvait paraître ici contestable. 

Enfin, l’article 11 de cette loi d’urgence sanitaire a adopté la possibilité pour le Gouvernement de procéder par voie d’ordonnance pour notamment adapter et simplifier les délais de procédure prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions ; le texte précise que ces mesures seront rendues rétroactivement applicables à compter du 12 mars 2020, et ne pourront excéder de plus de trois mois la fin des mesures de police administrative prises par le Gouvernement pour ralentir la propagation de l’épidémie de covid-19.  

Il en va de même s’agissant des règles relatives à la compétence territoriale des juridictions, au déroulement des audiences pour les contentieux urgents et des gardes à vue qui devront être adaptées, notamment en favorisant le recours à la visioconférence, tout comme des mesures relatives à l’exécution des peines privatives de liberté, des mesures de placement et autres mesures éducatives prises en application de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, pour limiter la propagation du virus. 

L’ordonnance précisant les modalités d’application de ces dispositions devrait être adoptée rapidement. 

 

Par Marlène Joubier et Margaux Parisot

Logement social, Covid 19 et RGPD

Depuis plusieurs jours, les bailleurs sociaux multiplient les dispositifs de vigilance à l’égard des personnes les plus vulnérables.  

Pour ce faire, ils constituent notamment des bases de données de séniors de plus de 70 ans.  

Dans la crise sanitaire liée au Covid-19 que nous traversons, cette démarche est tout à fait louable et peut être parfaitement sécurisée juridiquement, à condition néanmoins de respecter les règles qui suivent :  

1 – Ne collecter que les données strictement nécessaires à la finalité poursuivie. Si l’objectif est de prendre l’attache des personnes vulnérables et de vérifier qu’elles ont la capacité de répondre à leurs besoins vitaux, il n’est pas besoin d’intégrer, par exemple, au sein de ces fichiers, toutes les informations afférentes à la vie locative de la personne ; 

2 – Fixer une durée de conservation des données strictement limitée à ce qui est indispensable à la finalité poursuivie. A notre sens, ce type de fichier devra être supprimé ou, à tout le moins anonymisé (pour permettre de disposer éventuellement de données statistiques) dès l’issue de la crise sanitaire ;  

3 – Garantir techniquement la sécurité des données traitées et restreindre autant que possible les personnes habilitées à les connaître ;  

4 – Informer les personnes concernées au moyen d’une mention de ce type (à intégrer sur votre site internet ou à communiquer directement aux locataires concernés par courriel ou en substance à l’oral) : « Notre organisme, soucieux de concourir, dans ce contexte de crise sanitaire, à la protection de ses locataires les plus fragiles, a souhaité mettre en œuvre un dispositif de vigilance à l’égard des plus de 70 ans, pour lequel il est conduit à traiter des données à caractère personnel. Ces données ne seront collectées que pour cette finalité exclusive et le temps de résolution de ladite crise sanitaire. Pour toute information complémentaire ou pour faire valoir un des droits associés à ce traitement de données à caractère personnel, vous pouvez vous adresser à son délégué à la protection des données joignables via les coordonnées suivantes xxx » ;  

5 – Intégrer une nouvelle fiche à votre registre des activités de traitement. A toutes fins utiles, en voici un canevas à compléter.  

 

Traitement n°x – Mise en œuvre d’un dispositif de vigilance à l’égard des personnes vulnérables lors de la crise sanitaire liée au covid-19  

Service référent  Direction de la vie locative Date de création   
Base juridique 6.1 d) ou 6.1 e) Dernière mise à jour  
Finalités du traitement Mettre en œuvre un dispositif de vigilance à l’égard des personnes vulnérables lors de la crise sanitaire liée au covid-19     
Catégories de personnes concernées  Locataires de plus de 70 ans     
Catégories de données collectées 

Données relatives aux locataires concernés : nom, prénom, coordonnées (adresse postale, numéro de téléphone) 

Données relatives à la situation du locataire : difficultés éventuelles rencontrées, mesures mises en œuvre par le bailleur pour l’accompagner  

   
Durée de conservation Durée de la crise sanitaire    
Catégorie des destinataires Personnel habilité du responsable de traitement      
Transfert des données Pas de transfert hors UE      
Mesures de sécurité Mesures de sécurité générales mises en œuvre par le bailleur (et détaillées, en principe, en première partie du registre)     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par Elise Humbert

La loi d’urgence et l’organisation du travail en période d’épidémie de covid-19

La loi d’urgence votée le 22 mars dernier prévoit différentes dispositions permettant à l’employeur d’organiser le temps de travail de ses salariés en période de réduction de l’activité liée au coronavirus. 

A titre liminaire, il convient de rappeler : 

  • que le télétravail doit être privilégié dans tous les cas où les salariés peuvent assurer la continuation de l’activité de l’entreprise : il peut être mis en place unilatéralement par l’employeur ;
  • que l’employeur peut avoir recours au dispositif d’activité partielle (plus couramment appelé chômage partiel) dès lors que l’activité de l’entreprise est réduite : l’employeur peut alors soit réduire la durée légale du travail soit cesser tout ou partie des activités pendant un temps déterminé (12 mois maximum). Un décret à venir devrait revoir le dispositif actuel de prise en charge par l’Etat de l’indemnisation de cette période d’activité partielle.
  • que l’employeur peut demander à ses salariés de suivre une formation professionnelle. 

 

La loi d’urgence pour faire face à la crise sanitaire a étendu les conditions de recours aux arrêts de travail en permettant, sans délai de carence, un tel recours dans les cas suivants : 

  • lorsque le salarié fait l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile, il est donc placé en quarantaine ;  
  • Lorsque le salarié est parent d’un enfant de moins de 16 ans dont l’établissement d’accueil a été fermé sur décision de l’autorité publique. ;
  • Lorsque le salarié est considéré comme une personne à risque avéré. 

Les salariés obtiendront le versement d’indemnités journalières pendant une durée maximale de 20 jours. 

Ce dispositif leur permet le cumul de l’indemnité complémentaire due par l’employeur et l’indemnité journalière légale versée par la Sécurité sociale et ce, dès le premier jour d’arrêt de travail (décret n° 2020-193 du 4 mars 2020 publié au Journal officiel du 5 mars 2020). 

Cette nouvelle règle est entrée en vigueur le 5 mars 2020. 

En outre, au terme de la loi d’urgence, le Gouvernement va être autorisé à prendre par ordonnances des mesures visant à permettre à un accord d’entreprise ou de branche d’autoriser l’employeur à imposer ou à modifier les dates de prise d’une partie des congés payés dans la limite de 6 jours ouvrables en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités de prise de ces congés. 

Jusqu’à ces dispositions nouvelles, les salariés devaient prendre les congés payés posés et acceptés par l’employeur qui ne pouvait que : 

  • en cas de circonstances exceptionnelles déplacer les congés posés et acceptés (article L.3141-16 du Code du travail) ; 
  • proposer aux salariés de prendre des congés payés pendant la période de confinement. 

A présent, dès lors qu’il existe un accord d’entreprise ou de branche, l’employeur pourra imposer dans la limite de 6 jours ouvrables la pose de congés payés. 

En l’absence de négociation de branche, il faudra inviter les organisations syndicales à négocier un accord d’entreprise : cette négociation pourra avoir lieu dans les locaux de l’entreprise en respectant les mesures de sécurité (distance d’1 mètre, désinfection de la salle de réunion…) ou envisager une négociation par visio conférence. 

Il convient cependant de préciser que si le gouvernement a été habilité à modifier par voie d’ordonnance les modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel, notamment du comité social et économique, pour leur permettre d’émettre les avis requis dans les délais impartis, rien n’a été prévu en matière de négociation collective. 

En l’absence d’accord d’entreprise ou de branche, l’employeur pourra cependant imposer ou modifier unilatéralement les dates des jours de réduction du temps de travail, les jours de repos prévus par les conventions de forfait et les jours de repos affectés sur le compte épargne temps du salarié, en dérogeant aux délais de prévenance et aux modalités d’utilisation. 

Enfin et pour les entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation ou à la continuité de la vie économique et sociale il sera possible de déroger aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical. 

Aux côtés de ces mesures liées à l’organisation du travail, l’employeur pourra modifier, à titre exceptionnel, les dates limites et les modalités de versement de l’intéressement et de la prime exceptionnelle. 

Nous vous tiendrons informés de la publication à venir des ordonnances. 

Par Corinne Metzger

Fermeture d’établissements  médico-sociaux, manque de personnel dans les établissements en activité : comment les gestionnaires peuvent réagir  face au COVID 19 ?

La crise sanitaire actuelle a de graves répercussions sur le secteur sanitaire et social, et notamment sur la prise en charge des personnes vulnérables accueillies dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS). En effet, si de nombreux établissements d’accueil ont, à la suite du passage en stade 3 de l’épidémie, fermés, cette fermeture doit être accompagnée d’un dispositif organisant la continuité de l’accompagnement médico-social aux familles (astreinte téléphonique, mise en place de prestations prioritaires au domicile, orientation si besoin vers une structure d’hébergement). Par ailleurs, d’autres établissements hébergeant des personnes âgées ou handicapées doivent rester ouverts alors même que l’absentéisme du personnel y est très important et qu’ils manquent souvent de matériels de protection (masques, gants, surblouse, solutions hydroalcooliques).

Il existe plusieurs possibilités pour les directeurs d’établissements afin de mobiliser leurs équipes à l’arrêt du fait de la fermeture des établissements où ils travaillent normalement. Cette mobilisation du personnel est possible, sans avoir à recourir au volontariat, au nom du principe de continuité de l’activité des établissements médico-sociaux qui a pour but de garantir la continuité et la qualité des prises en charge au sein des ESSMS. En effet, les professionnels du secteur médico-social assument, comme les professionnels hospitaliers, des missions incompressibles nécessaires à la continuité des accompagnements en gestion de crise.

Dans des consignes publiées par le Ministère des solidarités et de la santé le 4 mars[1], il a ainsi été rappelé que le personnel des établissements sociaux et médico-sociaux n’avait pas vocation à être placé en chômage technique dans l’hypothèse où l’établissement où il travaille – par exemple un institut médico-éducatif (IME) en externat – serait fermé mais à être « mobilisé » sur décision de la direction de l’établissement ou du service concerné. Le personnel médico-social peut ainsi être mobilisé pour soutenir la continuité des soins au domicile de la personne pour des gestes ou des temps pour lesquels les proches aidants ne peuvent pas prendre le relais. Dans ce cas, cela doit être autorisé par le directeur de l’ARS. De même, il peut être mobilisé pour renforcer les effectifs d’une autre structure d’hébergement gérée par le même employeur, sous réserve de respecter ce qui est prévu dans le contrat de travail et que cette mobilisation s’inscrive dans l’objet statutaire de l’association.

Si ces deux hypothèses – intervention à domicile ou pour renforcer les équipes des établissements ouverts – ont vocation à s’appliquer alors même que le personnel en question ne serait pas volontaire, elles peuvent toutefois être tempérées par le risque que le salarié décide d’exercer son droit de retrait[2] (invoquant un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé dû au de mise en place par son employeur de systèmes de protection efficaces) ; étant précisé que ce droit de retrait est entendu strictement par les tribunaux. En effet, dans le contexte du COVID 19, il sera difficile à exercer s’il apparaît que l’employeur a appliqué les mesures recommandées par les autorités sanitaires en vue d’assurer une sécurité maximum de ses salariés. Sur les mesures recommandées dans les ESSMS, s’agissant de salariés exposés régulièrement à des contacts étroits avec le public du fait de leur profession et donc pour lequel le risque de transmission du virus peut s’avérer plus élevé, il est recommandé aux employeurs de mettre en place des mesures d’hygiène renforcées en complétant les mesures barrières par exemple par l’installation d’une zone de courtoisie d’un mètre (lorsque cela est pertinent et possible), par le nettoyage des surfaces avec un produit approprié, ainsi que par le lavage des mains. En l’absence de personnes malades, il n’est en revanche pas demandé de leur fournir des masques (qui sont obligatoires pour les personnes en contact direct avec les malades du COVID 19).

Dans le cas où la mobilisation du personnel des structures fermées ne permettrait pas de combler le manque de personnel des structures ouvertes, il serait possible de solliciter le personnel de structures tierces que ces dernières mettraient à disposition dans le cadre de la solidarité territoriale, toujours au nom du principe de continuité de l’activité des établissements médico-sociaux. C’est l’hypothèse de l’appel à candidatures mis en place par la direction d’un établissement pour recenser les professionnels volontaires pour intervenir auprès d’un autre organisme gestionnaire. Il est alors fait recours à l’outil qu’est la mise à disposition temporaire de salarié, les salariés restant rémunérés par l’employeur habituel.

 

Contrairement à ce qui a été évoqué plus haut pour la mobilisation de personnel entre structures d’un même employeur, ici, la mobilisation fonctionne sur la base du principe du volontariat (professionnels volontaires) et ne peut être « imposée » au personnel de l’organisme tiers.

De même, il importe également de préciser, s’agissant des structures qui ont fermé et qui nécessitent un suivi de la situation des personnes et de leurs proches aidants, que les autorités sanitaires ont pu préciser que si les effectifs ne permettent pas à l’établissement fermé d’assurer la continuité des accompagnements prioritaires au domicile des personnes, une organisation avec les autres partenaires médico-sociaux et de droit commun du territoire doit être envisagée (par exemple d’autres organismes gestionnaires de structures médico-sociales). L’idée est de faire jouer « la complémentarité de leurs actions au service des personnes et de leurs familles »[3]. Pour ce faire, il est conseillé se rapprocher de l’ARS territorialement compétente et faire état de ses difficultés.

Enfin, les ESSMS doivent déployer sans délai leur plan de continuité et de transformation de l’activité vers le domicile des personnes. Il est en effet conseillé à l’employeur d’organiser un plan de continuité et de soumettre les mesures envisagées au CSE. La formalisation de ce plan de continuité doit permettre d’envisager une situation de crise avec plus de recul, cette démarche pro-active ayant pour objet d’avoir à gérer des situations marquées par l’urgence.

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[1] Également disponibles dans « Consignes et recommandations applicables à l’accompagnement des enfants et adultes en situation de handicap », 4 mars 2020, Ministère des solidarités et de la santé, pour les établissements accueillant des personnes en situation de handicap

[2] Article L. 4131-1 du Code du travail 

[3] Page 13 du même document « Consignes et recommandations applicables à l’accompagnement des enfants et adultes en situation de handicap »

 

Par Audrey Lefèvre et Esther Doulain

Covid-19 et chantiers en cours : l’impossible équation

Lorsque le Président de la République et le Gouvernement ont annoncé les premières mesures de confinement les 12 et 16 mars derniers, les réactions des entreprises de travaux publics ont été diverses. Pour l’essentiel, elles ont considéré que les mesures de confinement impliquaient l’arrêt des travaux. Certaines, cependant, ont décidé de maintenir et d’adapter leur activité.  

Et cette situation a également été gérée de façon diverse par les personnes publiques, qu’elles soient maitre d’ouvrage, dans le cadre de marchés publics, ou autorité délégantes, dans le cadre de conventions de délégation de service public. Certaines personnes publiques ont fait le choix de prononcer un ajournement des travaux sur le fondement de l’article 49.1 du Cahier des Clauses Administratives Générales relatif aux marchés de travaux (ci-après dénommé « CCAG »). D’autres ont décidé de reporter les délais d’exécution de leurs marchés. D’autres encore restent dans l’attente d’une position claire des entreprises de travaux.  

Or, dans les jours qui ont suivi, plusieurs déclarations gouvernementales ont laissé à penser qu’en dépit de l’épidémie, les entreprises de travaux publics devaient maintenir l’exécution des chantiers. Ces déclarations ont entrainé incompréhensions et tensions de la part des entreprises de travaux publics.  

Une première source d’apaisement est venue d’un communiqué de presse, disponible ici, conjoint des entreprises de travaux publics et du gouvernement publié le 21 mars dernier et dressant la feuille de route pour la reprise des chantiers.  

Pour les personnes publiques, les éléments suivants méritent particulièrement d’être relevés :  

  • Avant toutes choses, le Gouvernement affiche son souhait que la continuité de l’activité du secteur et la poursuite des chantiers soient assurés ; 
  • Pour ce faire, les organisations professionnelles des entreprises du bâtiment et des travaux publics se sont engagées à diffuser un guide de bonnes pratiques, préalablement validé par les Ministères du Travail, des Solidarités et de la Santé ; 
  • S’agissant des travaux publics, comme par exemple les infrastructures de transport ou les travaux de voirie, les grands maîtres d’ouvrage publics au niveau national et les préfets au niveau local coordonneront et prioriseront les chantiers à poursuivre ou à relancer ; 
  • Des mesures particulières seront prises pour les travaux devant être réalisés chez des particuliers en leur présence (on pense notamment aux travaux de raccordement aux réseaux de communications électroniques ou aux travaux d’installation des compteurs Gazpar ou Linky, par exemple). 

A la date de la publication de la présente lettre d’actualité, ce guide des bonnes pratiques n’est pas encore publié. Les entreprises de travaux publics continuent de maintenir les chantiers à l’arrêt et les organisations d’architectes souhaitent également être associées aux négociations sur ce guide. Bref, la tension reste élevée entre les différents intervenants.  

Dans ce contexte trouble, et quelle que soit la façon dont la situation a été gérée dans les premiers jours, il est important que les personnes publiques ne constituent pas la variable d’ajustement de ces tensions. Et pour ce faire, elles devraient conserver trois caps dans la gestion de cette crise : 

  • Il est important qu’elles soient informées des décisions prises par les entreprises de travaux publics et, le cas échéant, qu’elles empêchent les situations dont elles auraient connaissance et qui généreraient manifestement un risque pour la santé des travailleurs. Car c’est à l’entreprise au premier chef qu’il appartient de définir les règles permettant d’assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs et les personnes publiques ne doivent pas se trouver en situation de s’y substituer ;  
  • Si l’entreprise décide de maintenir ou de reprendre son activité, elle devra le faire dans le respect du guide des bonnes pratiques et sous le contrôle du coordonnateur Sécurité et Protection de la Santé sur le chantier ;  
  • L’heure n’est manifestement pas à l’application de pénalités du fait de retard trouvant leur cause dans la gestion de cette crise. Mais les personnes publiques doivent dès maintenant disposer de tous les éléments permettant d’appréhender la gestion de cette période par les entreprises de travaux. Ainsi, lorsque cette crise sera derrière nous, les personnes publiques seront plus facilement en mesure d’appréhender les retards trouvant effectivement leur cause dans la gestion du Covid-19 et ceux qui sont imputables aux manquements des entreprises. 

Et bien entendu, tout cela dépendra des termes des ordonnances à venir, notamment de l’ordonnance modifiant le code de la commande publique.

 

Par Marion Terraux

Covid-19 : Instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme et autorisations tacites

Concernant la crise sanitaire et son impact sur le droit de l’urbanisme, la question de la délivrance d’autorisations tacites revient régulièrement.   

En effet, rappelons que l’article R. 424-1 du Code de l’urbanisme prévoit que le silence gardé par l’autorité compétente à l’issue du délai d’instruction vaut, sauf exceptions prévues aux articles R. 424-2 et R. 424-3 du même Code, autorisation tacite.    

Les délais d’instruction de droit commun étant (sauf modifications ou prolongations visées aux articles prévues aux articles R. 423-24 à R. 423-37) d’un mois pour les déclarations préalables, de deux mois pour les demandes de permis de démolir et pour les demandes de permis de construire portant sur une maison individuelle, et de trois mois pour les autres demandes de permis de construire et les demandes de permis d’aménager (article R. 423-23). 

Or, les mesures adoptées dans le cadre de la crise sanitaire rendent évidemment difficiles l’instruction dans les délais des demandes déposées. Ce d’autant plus que le Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a indiqué, dans un document d’aide à la prise de décision destiné aux collectivités en date du 21 mars 2020, que les services chargés de recueillir des demandes d’autorisation d’urbanisme figuraient parmi les services publics locaux facultatifs « non essentiels », et pouvaient dès lors être fermés sur décision de l’autorité locale compétente.    

Toutefois, dans ce même document d’aide à la prise de décision, le Ministère a immédiatement précisé que « l’inactivité d’un service ne génèrera pas, au cours de cette période, une décision implicite de la commune » dès lors que « le projet de loi d’urgence prévoit une suspension du délai légal de traitement des autorisations d’urbanisme ».   

Cela étant, sur ce point, il convient de rappeler que la loi du 23 mars 2020 sur l’état d’urgence sanitaire, promulguée ce mardi 24 mars ne prévoit pas, en tant que telle, la suspension du délai de traitement des demandes d’autorisations d’urbanisme mais autorise, en son article 11 2° a), le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour adapter « les délais et procédures applicables au dépôt et au traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives, les délais et les modalités de consultation du public ou de toute instance ou autorité, préalables à la prise d’une décision par une autorité administrative et, le cas échéant, les délais dans lesquels cette décision peut ou doit être prise ou peut naitre ainsi que les délais de réalisation par toute personne de contrôles, travaux et prescriptions de toute nature imposées par les lois et règlements, à moins que ceux-ci ne résultent d’une décision de justice ». 

Par conséquent, si, au regard de ce qui précède, la suspension rétroactive au 12 mars 2020 du délai de traitement desdites demandes devrait vraisemblablement être retenue, il conviendra d’attendre la ou les ordonnances à intervenir sur le sujet afin de le confirmer et d’en apprécier les modalités d’application.  

 

Par Arthur Gayet et Mona Rousseau

Assurance dommages-ouvrage et covid-19

Arrêts de chantier, retards d’exécution, risques de vols, garde du chantier, protection des salariés, pertes d’exploitation… le coronavirus suscite de nombreuses interrogations à tous les niveaux. 

Face à cette situation exceptionnelle que représente une épidémie, une pandémie ou plus généralement une crise sanitaire, les différents acteurs du secteur du bâtiment doivent eux aussi s’adapter. 

Le 21 mars dernier, le gouvernement et les fédérations des représentants des professionnels du BTP ont, semble-t-il, trouvé un accord afin de permettre la reprise des chantiers et ainsi assurer la continuité des activités, accord qui soyons en sûr n’évitera nullement des contentieux ultérieurs 

Néanmoins, en pratique, cette crise sanitaire sans précédent crée de nombreuses incertitudes juridiques et des interrogations subsistent notamment en matière d’assurances.  

En effet, comment les assureurs se mobilisent ils pour assurer une continuité d’activité et accompagner les assurés pour faire face à cette situation exceptionnelle ?  

Il y a encore quelques jours, la SMABTP annonçait que les garanties de son contrat « Tous Risques Chantiers » seraient maintenues pendant l’arrêt de chantier dû aux circonstances exceptionnelles et seraient allongées dans la limite de 60 jours sans surprime et sans déclaration préalable. 

En revanche et pour le moment, les assureurs restent silencieux en ce qui concerne la mise en œuvre des garanties de leur contrat d’assurance « dommages-ouvrage » et notamment concernant les délais de réponse auxquels sont tenus ces assureurs et responsabilités. 

  

Pour autant, en période de situation exceptionnelle, interrogations exceptionnelles…  

  • Quelles seront les conséquences du confinement sur les délais en matière d’assurance dommages-ouvrage ? (1)  
  • Le covid-19 pourrait-il être assimilé à un cas de force majeure de nature à exonérer les constructeurs de leur éventuelle responsabilité ? (2) 

 

 

1 – Quelles conséquences du confinement sur les délais en matière d’assurance dommages-ouvrage ? 

Dans ce contexte particulier et dans le prolongement des polémiques concernant notamment l’arrêt ou non des chantiers, l’on ne peut que s’interroger sur le sort des déclarations de sinistre effectuées avant et pendant la période de confinement. 

En effet, la déclaration de sinistre est un préalable indispensable en matière d’assurance dommages-ouvrage. Néanmoins et notamment dans l’hypothèse d’un arrêt de chantier, comment calculer et respecter le délai de déclaration de 5 jours prévu par l’article L. 113-2 du Code des assurances ?  

Ou encore comment respecter les conditions de fond et de forme prévues par l’annexe II de l’article A 243-1 du même Code ?  En effet, comment respecter les exigences d’une lettre recommandée ou d’un envoi recommandé électronique au regard du confinement ?  

Par ailleurs, la réception par l’assureur de la déclaration de sinistre est aussi le point de départ pour le calcul des délais énoncés à l’article L. 242-1 du Code des assurances. 

Aussi, l’on s’interroge également sur le sort des délais impératifs énoncés par les dispositions d’ordre public et non dérogatoires de cet article qui prévoient que : 

 « […] L’assureur a un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, pour notifier à l’assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat. 
Lorsqu’il accepte la mise en jeu des garanties prévues au contrat, l’assureur présente, dans un délai maximal de quatre-vingt-dix jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, une offre d’indemnité, revêtant le cas échéant un caractère provisionnel et destinée au paiement des travaux de réparation des dommages. En cas d’acceptation, par l’assuré, de l’offre qui lui a été faite, le règlement de l’indemnité par l’assureur intervient dans un délai de quinze jours. 
Lorsque l’assureur ne respecte pas l’un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d’indemnité manifestement insuffisante, l’assuré peut, après l’avoir notifié à l’assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L’indemnité versée par l’assureur est alors majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal. 
Par ailleurs, ce même texte prévoit que : 
« Dans les cas de difficultés exceptionnelles dues à la nature ou à l’importance du sinistre, l’assureur peut, en même temps qu’il notifie son accord sur le principe de la mise en jeu de la garantie, proposer à l’assuré la fixation d’un délai supplémentaire pour l’établissement de son offre d’indemnité. La proposition doit se fonder exclusivement sur des considérations d’ordre technique et être motivée. 
Le délai supplémentaire prévu à l’alinéa qui précède est subordonné à l’acceptation expresse de l’assuré et ne peut excéder cent trente-cinq jours. (…) » 

 

Toutefois, dans le contexte actuel de confinement, comment apprécier et mettre en œuvre ces dispositions ? Comment caractériser les « difficultés exceptionnelles » ?  

En tout état de cause, les délais de gestion sont strictement encadrés par le Code des assurances et il est difficile de croire que les assureurs accorderont, au regard de la crise sanitaire et même indépendamment de la qualification de « difficultés exceptionnelles », un délai supplémentaire qui excéderait 135 jours. 

Au contraire, il est plus que probable que les assureurs Dommages-Ouvrage opposeront un refus systématique de garantie et ce afin d’éviter un dépassement de délai qui leur serait systématiquement défavorable. 

Les maitres d’ouvrage devront donc être encore plus vigilants sur la date de la déclaration de sinistre effectuée et plus généralement sur l’ensemble des délais susvisés.  

 

2 – Le covid-19 peut-il être assimilé à un cas de force majeure de nature à exonérer les constructeurs de leur éventuelle responsabilité ?  

Le 29 février 2020, le ministre de l’Economie et des Finances avait affirmé que le coronavirus serait considéré comme un cas de « force majeure » mais semblait considéré que cette reconnaissance de la force majeure serait réservée aux seuls marchés publics de l’Etat. 

Peut-on alors considérer que cette reconnaissance puisse par la suite s’appliquer aux contrats d’assurance comme l’assurance Dommages-Ouvrages ou soit susceptible d’exonérer les constructeurs de leur responsabilité au titre de désordres dont la cause trouverait son origine dans des travaux réalisés pendant cette période litigieuse ? 

Pour rappel, s’agissant de la responsabilité des constructeurs, seule la preuve d’une cause étrangère généralement synonyme de force majeure (toujours plus difficile à rapporter), du fait d’un tiers ou encore d’une faute du maître d’ouvrage peut exonérer partiellement ou totalement le constructeur de sa responsabilité décennale.  

Toutefois, la force majeure est rarement admise par les juges puisque sa reconnaissance tient à trois conditions cumulatives en ce sens que l’évènement doit être imprévisible, irrésistible et extérieur à l’ouvrage réalisé. 

En principe, au sein des contrats d’assurance dommages, un évènement comme une épidémie dépasse généralement le périmètre des garanties de cette assurance et c’est d’ailleurs, la raison pour laquelle ces contrats excluent la plupart du temps de manière expresse le risque d’épidémie. 

Une lecture attentive des clauses insérées au sein de chaque contrat d’assurance conclu devra être faite. 

En l’absence de précision, si le caractère d’extériorité ne devrait pas poser de difficulté, plusieurs interrogations devront trouver une réponse : comment et finalement quand apprécier le caractère d’imprévisibilité au regard du Coronavirus ?  Quid notamment des contrats conclus avant ? Quid des mesures prises par les intervenants à l’acte de construire et/ou aménagements mis en place pour éviter ou à tout le moins minimiser les conséquences de cette crise sanitaire ?  

Une analyse in concreto de chaque situation sera encore plus de rigueur.  

Cette période compliquée d’un point de vue sanitaire entrainera manifestement de nombreuses interrogations d’un point de vue assurantiel dans les mois et les années qui suivront ces évènements. 

En effet, pourra-t-on considérer qu’un maître d’ouvrage aurait pu constater l’existence de désordre sur un ouvrage notamment public, dans les mois qui suivront la réception alors que le confinement était en cours, empêchant ainsi des visites dans le cadre de la garantie de parfait achèvement ? 

Le principe fondamental du droit des assurances à savoir l’existence d’un « aléa » est-il susceptible d’être remis en question du fait de cette période de crise ? 

Gageons que les tribunaux risquent d’être fortement mobilisés sur ces questions dès que la pandémie aura pris fin. 

 

Par Justine L’Huissier

Précisions juridiques autour des mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19

Ces nouvelles mesures interviennent dans le cadre de la poursuite de la lutte contre la propagation du virus covid-19, notamment à suite de la mise en place d’un état d’urgence sanitaire et de la décision rendue par le Conseil d’Etat le 22 mars 2020 à la suite de la requête en référé liberté introduite par le syndicat Jeunes Médecins (et commentée par ailleurs au sein de cette LAJ).  

La loi instaure un dispositif d’état d’urgence « sanitaire », à côté del’état d’urgence de droit commun prévu par la loi du 3 avril 1955. Il s’agit « d’affermir les bases légales » sur lesquelles reposaient jusqu’ici les mesures prises pour gérer l’épidémie de covid-19. 

Dans sa décision, le juge des référés du Conseil d’Etat rejette la demande de confinement total et enjoint au Gouvernement de préciser la portée de certaines interdictions déjà édictées.  

C’est dans ce cadre que le décret vient préciser certaines dispositions précédemment édictées.  

Par un décret du 23 mars 2020, le Premier ministre prend des mesures générales limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tout bien et services nécessaires et de décider des mesures temporaires de contrôle des prix. 

Le ministre chargé de la santé peut, par arrêté, fixer les autres mesures générales et des mesures individuelles. Les préfets peuvent être habilités à prendre localement des mesures d’application. Toutes ces mesures doivent être proportionnées aux risques encourus. 

En premier lieu, le décret ne vise pas à instaurer un confinement total. En effet, le chapitre 1er du décret portant sur les dispositions générales encadre certaines mesures précédemment prises. Or, malgré la volonté du gouvernement de ralentir la propagation du virus, les rassemblements, réunions, activités, accueils et déplacements ainsi que l’usage des moyens de transports ne sont pas interdits, mais sont organisés en veillant au strict respect des mesures sanitaires et des mesures dites « barrières ». 

 

En deuxième lieu, l’article 3 du décret vise à préciser certaines mesures concernant les déplacements et les transports des individus. Jusqu’au 31 mars 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l’exception des déplacements pour certains motifs et en évitant tout regroupement de personnes.  

S’agissant des déplacements pour motifs de santé. Les consultations et soins pouvant être assurés à distance sont privilégiés, à l’exception des patients atteints d’une infection longue durée ou qui ne peuvent être différés. 

S’agissant des déplacements brefs, il est prévu que ces déplacements ne sont pas interdits. Ne sont autorisés que les déplacements dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile, liés soit à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d’autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie. Chaque personne qui souhaite bénéficier de l’une des exceptions figurant à l’article 3 du décret doit se munir, lors de son déplacement hors du domicile, de l’attestation de déplacement dérogatoire permettant de justifier les raisons de ce déplacement.  

Il est également précisé que tout opérateur de transport public collectif routier, guidé ou ferroviaire de voyageurs, est tenu de mettre en place les mesures sanitaires prévues dans le décret. 

 

En troisième lieu, le décret maintient la limitation et l’interdiction de certains rassemblements jusqu’au 15 avril 2020. Il s’agit en l’espèce d’interdire tout rassemblement, réunion ou activité impliquant plus de 100 personnes en milieu clos ou ouvert.  

En quatrième lieu, à la suite de certaines critiques formulées (notamment par le Conseil d’Etat), la tenue des marchés, couverts ou non et quel qu’en soit l’objet, est interdite. Toutefois, il est à noter qu’après avis du maire, le représentant de l’Etat dans le département peut, accorder une autorisation d’ouverture des marchés alimentaires qui répondent à un besoin d’approvisionnement de la population dans le respect des règles sanitaires.  

Les établissements de culte sont autorisés à rester ouverts mais tous les rassemblements ou réunions sont interdits. Seules les cérémonies funéraires regroupant au maximum 20 personnes sont autorisées. 

Enfin, le décret ordonne la réquisition de stocks de masques et réaffirme les mesures temporaires de contrôle des prix des gels hydro-alcooliques. 

Dans le cas actuel, il s’agit d’une situation inédite et exceptionnelle, de sorte que les mesures prises sont susceptibles d’évoluer. En effet, les autorités peuvent être amenées à prendre des décrets ou arrêtés visant à encadrer davantage ou prolonger les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19.  

Par Camille Condamine

Confinement total ? Le Conseil d’Etat répond « Non, mais… » et le Gouvernement réagit

Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire  

 

Dans le contexte épidémique actuel, et devant l’augmentation du nombre de patients hospitalisés, le Syndicat des jeune médecins (soutenu par l’InterSyndicale nationale des internes et le Conseil national de l’Ordre des médecins notamment) a formé un référé-liberté le 19 mars devant le Conseil d’Etat, afin qu’il soit enjoint au Premier ministre, d’une part, de prononcer un confinement total de la population (caractérisé par l’interdiction totale de sortir de son lieu de confinement sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical, l’arrêt des transports en commun et des activités professionnelles non vitales et l’instauration d’un ravitaillement à domicile de la population), d’autre part, de prendre des mesures appropriées au dépistage du virus (production à échelle industrielle de tests de dépistage et dépistage de tous les personnels médicaux).  

 

Rappelant les différentes mesures prises par les autorités ministérielles (décret n° 2020-260 du 16 mars 2020), les possibilités d’aggravation des mesures ouvertes aux autorités préfectorales et communales selon les circonstances locales, et, par ailleurs, le projet de loi d’urgence sanitaire – la loi a été définitivement adoptée et publiée le 23 mars –, il a rappelé que la situation pouvait être de nature à limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession.  

C’est une autre liberté fondamentale, le droit à la vie, protégé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui était invoquée ici par les requérants.  

Ceux-ci considérant en effet que les mesures prises à ce jour par les autorités, au regard en particulier des exceptions prévues à la règle de confinement (faisant l’objet d’interprétations contradictoires, par exemple s’agissant des possibilités d’exercice d’activités physiques et n’étant par ailleurs pas toujours également appliquées et assez contrôlées) étaient ainsi caractéristiques d’une carence portant atteinte au droit à la vie et à la santé de la population.  

Rappelant l’office du juge du référé-liberté – autorisé à prescrire de mesures d’urgence de nature à sauvegarder la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative et des mesures qu’elle a déjà mises en œuvre –, le Conseil d’Etat a jugé que, si le confinement total de la population peut être envisagé dans certaines zones (on pense à certains « cluster » durement touchés dans le secteur de Mulhouse, de l’Oise), une telle mesure ne peut être généralisée au niveau national, le ravitaillement à domicile de l’ensemble de la population n’étant en pratique pas possible et, par ailleurs, les mesures de restriction d’activités sollicitées, tel que l’arrêt des transports en commun, seraient de nature à créer de « […] graves ruptures d’approvisionnement » elles-mêmes susceptibles d’être attentatoires au droit à la vie.  

 

De manière plus générale, le Conseil d’Etat rappelle que le maintien des activités vitales suppose également celui d’activités d’autres secteurs professionnels qui leur sont directement ou indirectement indispensables, lesquels ne peuvent donc suspendre leur activité.  

Il considère néanmoins qu’un certain nombre de mesures actuelles doivent être renforcées.   

Le Conseil d’Etat rappelle à cet égard de manière très intéressante que si l’on ne peut reprocher en l’état aux autorités gouvernementales de ne pas avoir pris les mesures suffisantes « […] une telle carence […] est toutefois susceptible d’être caractérisée si le(ur)s dispositions sont inexactement interprétées et leur non-respect inégalement ou insuffisamment sanctionné ».  

Le Conseil d’Etat a identifié trois types de dispositions problématiques, pour lesquelles il a enjoint au Premier ministre et au ministre de la Santé de prendre des mesures dans les 48 heures :  

  • Celles portant sur les déplacements pour motif de santé, sans précision quant à leur degré d’urgence (précision de la portée de cette dérogation) ;  
  • Celles portant sur la pratique d’activités physiques, apparaissant trop larges (réexamen de la portée de cette dérogation) ;  
  • Enfin, celles portant sur les marchés ouverts, susceptibles de réunir un nombre trop important de personnes (évaluation des risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts, compte tenu de leur taille et de leur niveau de fréquentation). 

 

Le Premier Ministre a fait des annonces sur ces trois points lors d’une allocution télévisée le 23 mars au soir, traduites dans un nouveau décret paru le 24 mars au Journal Officiel.  

Ainsi, jusqu’au 31 mars 2020, le décret prévoit que « […] tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l’exception des déplacements pour les motifs » figurant dans la liste exhaustive fixée juste après.  

S’agissant des déplacements pour motif de santé, il s’agit des consultations et soins ne pouvant être assurés à distance et ne pouvant être différés (sauf pour les patients atteints d’une affection de longue durée). S’agissant des déplacements à l’extérieur afin de « s’aérer », c’est-à-dire effectuer une activité physique, se promener avec les seules personnes confinées dans un même domicile ou pour les besoins des animaux, ils sont expressément restreints à une heure quotidienne et à un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile.  

Les marchés, couverts ou non, sont désormais en principe interdits. Seuls pourront être autorisés, par dérogation, les marchés alimentaires qui répondent à un besoin d’approvisionnement de la population si les conditions de leur organisation ainsi que les contrôles mis en place sont propres à garantir le respect des règles sanitaires et du plafond de réunion de cent personnes, ce sur autorisation préfectorale prise après avis du maire.  

Il faut encore noter que le Conseil d’Etat insiste sur la nécessité de contrôler et sanctionner effectivement le non-respect des mesures de confinement clarifiées et, par ailleurs, sur la nécessité de s’assurer que, dans les lieux recevant du public où continue de s’exercer une activité, les « gestes barrière » sont respectés et les mesures d’organisation indispensables sont prises. Il a par ailleurs expressément rappelé l’obligation, pour les autorités préfectorales et communales, de faire usage de leurs pouvoirs de police afin d’instaurer des interdictions plus sévères lorsque les circonstances locales le justifient ainsi que la nécessité que la population dispose d’une information précise, claire et régulièrement réitérée sur les mesures prises en raison de l’épidémie et les sanctions encourues.  

Enfin, s’agissant du dépistage de l’ensemble des personnels médicaux, ce sont des considérations opérationnelles qui ont malheureusement conduit au rejet de la demande des requérants. Les autorités ont pris les mesures nécessaires, auprès des industriels français et étrangers (essentiellement en provenance des Etats-Unis et de Chine) afin d’augmenter les capacités de tests dans les meilleurs délais. Dans cette attente, il demeure seulement possible de procéder au dépistage des personnels de santé présentant des symptômes du virus.  

Une fois les tests arrivés en nombre suffisant, et si le dépistage de tous les personnels médicaux n’a pas systématiquement lieu, les autorités ministérielles pourraient s’exposer à des injonctions de la part du Conseil d’Etat si celui-ci devait être à nouveau saisi.  

S’agissant des matériels de protection nécessaires au personnel médical (les masques, mais aussi les charlottes, lunettes de protection et « sur-tenues » de travail), le Premier Ministre a indiqué, lors de son allocution, que les producteurs français (au nombre de quatre pour les masques) étaient en train d’augmenter considérablement leur capacité de production et que, par ailleurs, des stocks avaient été commandés aux producteurs étrangers (essentiellement en provenance de Chine). 

 

Par Stella Flocco

Police administrative – Un nouveau régime d’exception en période de crise : l’état d’urgence sanitaire

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-10 contient en son titre premier, un nouveau dispositif d’état d’urgence sanitaire, qui est codifié aux articles L. 3131-12 et suivants du Code de la santé publique (CSP). Cet état d’urgence sanitaire, dont les contours sont présentés ci-après, est un nouveau régime d’exception en période de crise, qu’il convient de distinguer notamment de l’état d’urgence de droit commun prévu par la loi du 3 avril 1955 et appliqué dernièrement à la suite des attentats de 2015. 

 

1 – La déclaration, le champ d’application et la durée de l’état d’urgence sanitaire 

L’état d’urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres, « pris sur le rapport du ministre chargé de la santé » (article L. 3131-13 CSP). Il peut être appliqué sur tout ou partie du territoire national. 

Par principe, la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au-delà d’un mois ne peut être autorisée que par la loi (article L. 3131-13 et -14 CSP), après avis du comité de scientifiques. De façon dérogatoire et exceptionnelle, la présente loi a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois (article 4 de la loi – non codifié).  

Enfin, il peut être mis fin de façon anticipée à l’état d’urgence sanitaire de façon anticipée par décret. En tout état de cause, toutes les mesures prises en application de l’état d’urgence sanitaire prennent fin à son terme.  

 

2 – Des pouvoirs de police étendus conférés au Premier ministre  

On sait que le maire est habituellement l’autorité détentrice des pouvoirs de police générale, aux côtés du représentant de l’Etat dans le département (en règle générale le préfet donc). Cette police générale est complétée d’une myriade de polices spéciales, dans des domaines précis, prévus par la loi.  

Cet ordonnancement est bousculé par l’instauration du présent état d’urgence sanitaire, qui élargit considérablement les pouvoirs de police du Premier ministre. Il est à préciser que ces mesures peuvent être prises par le préfet dès lors que l’état d’urgence sanitaire n’est déclaré que sur le territoire d’un seul département.  

Le Premier ministre est donc autorisé à prendre, « par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique» des mesures de police administrative exceptionnelles, énumérées à l’article L. 3131-15 du CSP. 

On peut les classer en trois catégories :  

  • les premières permettent de porter atteinte à la liberté de circulation des personnes ;  
  • les deuxièmes visent à limiter les regroupements de personnes ;  
  • les dernières sont de nature économique et encadrent la liberté d’entreprendre. 

Il peut ainsi prendre des mesures portant atteinte à la libre circulation des personnes, et, notamment, « restreindre ou interdire la circulation des personnes et des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par décret », « interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé », ou encore ordonner le maintien en isolement ou la mise en quarantaine de personnes susceptibles d’être affectées. Il est aussi autorisé à prendre des mesures de réquisition pour lutter contre la catastrophe sanitaire.  

 

Au surplus, il peut prendre un ensemble de mesures visant notamment à éviter les regroupements de personnes. Il est à noter que cette série de mesures se rapproche de celles rendues possibles dans le cadre de l’état d’urgence de droit commun. Le Premier ministre peut ainsi ordonner la fermeture provisoire de certaines catégories d’établissements recevant du public et de lieux de réunions, limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique et les réunions de toute nature.  

Enfin, la loi prévoit, au même article, un ensemble de mesures dérogeant à la liberté d’entreprendre. Il peut ainsi « prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits rendues nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits » (article L. 3131-15, 8° du CSP). 

Le ministre chargé de la santé peut, quant à lui, prescrire par arrêté motivé des mesures permettant d’ajuster l’organisation et le fonctionnement des dispositifs de santé pour mettre fin à la catastrophe (article L. 3131-16 du CSP). 

 

3 – Des sanctions renforcées 

Le manquement aux obligations précitées est puni de l’amende prévue pour les infractions de quatrième classe puis, en cas de récidive, pour les infractions de cinquième classe. S’il est avéré qu’une personne a violé lesdites obligations « à plus de trois reprises dans un délai de 30 jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende » (L. 3136-1 du CSP). 

La violation des obligations de confinement est, elle punie de 6 mois d’emprisonnement et de 10 000 euros d’amende.  

 

4 – Les limites et le contrôle des mesures ordonnées 

Les publicistes gardent leurs repères, puisqu’il est explicitement précisé que toutes ces mesures « sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires » (article L. 3131-16). On retrouve donc là les bornes habituellement posées aux autorités dans l’exercice de leurs pouvoirs de police administrative.  

Par ailleurs, les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge administratif « instruit et jugé selon les procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative », c’est à dire selon les procédures du référé liberté et référé suspension (article L. 3131-18). 

Reste à savoir si le « comité de scientifiques » s’apparentera à une instance de contrôle de la mise en œuvre des différentes mesures, notamment du fait de sa composition. Le président sera nommé par le président de la République et deux personnalités qualifiées seront nommées par les présidents des deux assemblées, ce qui, d’un point de vue purement organique et nonobstant les qualités des personnes nommées, n’est pas de nature à garantir une autonomie totale de l’instance.  

 

5 – Ne pas confondre ! 

  • Etat d’urgence de droit commun / état d’urgence sanitaire. Au préalable, il convient de distinguer l’état d’urgence sanitaire, qui vient d’être créé et appliqué, de l’état d’urgence de droit commun, créé par la loi 55-385 du 3 avril 1955 et récemment modifié et appliqué à la suite des attentats de novembre 2015. 

 L’état d’urgence ordinaire est décidé par décret en conseil des ministres « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » (loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, article 1er).  

Il permet de renforcer les pouvoirs de police des autorités civiles et notamment du ministre de l’intérieur et des préfets qui peuvent limiter ou interdire la circulation dans certains lieux ou pour certaines personnes (article 5), interdire des réunions publiques ou fermer provisoirement certains lieux publics (article 8), dissoudre certains groupements ou associations (article 6-1), prononcer des assignations à résidence (article 6), etc. 

  • Etat d’urgence sanitaire / autres régimes d’exception. Outre l’état d’urgence, le droit positif français contient deux régimes d’exception en période de crise, tous deux prévus par la Constitution. Il s’agit : 
    • De l’état de siège, régi par l’article 36 de la Constitution, qui est décrété en conseil des ministres en cas de péril national, pour une durée de douze jours, prolongeable par la loi. Il permet de restreindre les libertés publiques et prévoit que l’exercice des pouvoirs de police s’effectue par les autorités militaires. 
    • Du régime de l’article 16 de la Constitution, qui prévoit des pouvoirs exceptionnels pour le président en cas de menace grave et immédiate pesant sur les institutions de la République et d’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics. 

Activité du juge de l’exécution du Tribunal judiciaire

Il ressort du Plan de Continuation du Tribunal Judiciaire de Paris que le service du juge de l’exécution (JEX) mobilier et immobilier n’est pas concerné par celui-ci plan, de sorte que, jusqu’à nouvel ordre, toutes les audiences programmées ont été supprimées.  

Par conséquent, les parties seront reconvoquées par le greffe lorsque l’activité reprendra.  

Il est également indiqué que les délibérés prévus à compter du 17 mars 2020 sont prorogés.  

Concernant les requêtes, celles-ci ne seront pas traitées, sauf l’exception prévue ci-après : 

Il est précisé qu’aucun accueil téléphonique ni physique ne sera assuré, qu’aucune diligence n’est requise des parties et que les messages RPVA ne seront pas traités. 

Dans ces conditions, il convient de reporter les assignations devant le juge de l’exécution, tant en matière mobilière qu’en matière immobilière, à la seule exception des cas dans lesquels un délai de procédure doit être interrompu.  

En ce qui concerne le contentieux mobilier, quelques dates d’audience restent ouvertes sur e-juridictions, mais exclusivement en vue de la délivrance des assignations destinées à interrompre le délai prévu à l’article R. 211-11 du Code des procédures civiles d’exécution pour contester une saisie-attribution. 

En matière immobilière, quelques dates d’audience seront disponibles sur demande, mais exclusivement en vue de la délivrance des assignations destinées à la prorogation des commandements de payer valant saisie immobilière. 

Les audiences correspondantes ne seront physiquement tenues que si d’ici-là, l’activité est revenue à la normale ; dans le cas contraire, les affaires placées seront renvoyées sans audience et les parties reconvoquées par le greffe à une date ultérieure. 

Les éventuelles requêtes urgentes en saisie conservatoire et en autorisation d’assigner d’heure à heure pourront, en l’état actuel des choses, être transmises sur la boîte de courrier électronique jex.tgi-paris@justice.fr

Le mail d’accompagnement devra mentionner le numéro de téléphone de l’auteur de la requête et être servi en copie à cyril.roth@justice.fr.  

Les requêtes en assignation d’heure à heure ne seront accueillies qu’en cas d’urgence extrême, de nature à mériter que magistrat, greffier, avocats et parties s’exposent à une contamination en se rendant au tribunal. 

Par Johann Petitfils-Lamuria

Les contrats publics à l’épreuve d’une crise sanitaire inédite : les solutions offertes

La direction des affaires juridiques de Bercy (DAJ) a mis en ligne, dans le courant de la semaine dernière, une fiche qui fournit quelques pistes pour aider les acheteurs publics à prendre les décisions adaptées concernant la passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire, fiche dont le raisonnement semble transposable pour partie aux autres contrats publics et notamment aux concessions. 

La fiche distingue deux cas de figure – et ses précisions sont naturellement les bienvenues – (I), mais de nombreuses questions demeurent par ailleurs en suspend (II.). 

 

I – Les précisions apportées par la DAJ 

Les précisions apportées par la Direction des affaires juridiques de Bercy portent sur deux phases essentielles, l’exécution des marchés d’une part (A), et la passation des achats publics d’autre part (B). 

 

A – En matière d’exécution

En raison des mesures de confinement imposées par le Gouvernement, bon nombre d’entreprises ont adapté, voire cessé tout ou partie de leur activité.  

Mais lorsque les entreprises concernées sont titulaires de marchés publics ou de concessions, elles peuvent alors être amenées à ne plus pouvoir exécuter leurs missions contractuelles dans les délais prévus. 

Face à cette situation, la direction des affaires juridiques de Bercy préconise aux acheteurs publics de reconnaître, le cas échéant, une situation de force majeure. Cette situation « exonère les parties au contrat de toute faute contractuelle », et fait ainsi obstacle à l’application de sanctions pour inexécution contractuelle (pénalités de retard, déchéance, mise en régie aux frais et risques du titulaire…). 

La Direction des affaires juridiques rappelle toutefois aux acheteurs publics que la situation de force majeure doit être caractérisée au cas par cas, contrat par contrat : s’il existe des clauses contractuelles qui prévoient des cas dans lesquels l’inexécution peut être légitime, ou s’il est des clauses qui aménagent la force majeure, il faut s’y référer. 

Sinon, la DAJ rappelle que la force majeure peut être constituée dès lors que trois conditions sont cumulativement vérifiées : 

a – D’abord, l’événement doit être imprévisible. La direction des affaires juridiques considère que tel est le cas de l’épidémie actuelle et du confinement qu’elle implique.

b – Ensuite, cet événement doit être extérieur aux parties. Ici encore, la direction des affaires juridiques estime que cette condition est vérifiée.

c – Enfin, le prestataire ou l’acheteur public doit se trouver dans l’impossibilité absolue de poursuivre, momentanément ou définitivement, l’exécution de tout ou partie du contrat public (délais, quantités, respect de certaines spécifications, des prestations à réaliser…). 

 

C’est cette dernière condition qui doit pour l’essentiel donner lieu à une appréciation circonstanciée au cas par cas : il convient notamment de s’assurer que le titulaire du contrat est effectivement dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie de ses prestations à raison de la situation actuelle et notamment du confinent. Comme le relève la doctrine, « l’événement doit être réellement impossible à surmonter, du moins compte tenu des moyens dont dispose le contractant et entraîner l’impossibilité d’exécuter le contrat de manière temporaire ou définitive » (H Hoepffner, « Exécution du contrat administratif - droits et obligations du cocontractant », JurisClasseurAdministratif, fascicule 777). Et, à cet égard, le titulaire devra être en mesure de démontrer avec des éléments concrets qu’il ne peut matériellement pas exécuter le marché à raison de la situation : attestation du fournisseur, attestation sur l’honneur des sous-traitants…. 

Sur ce dernier point, ce sera donc affaire d’espèce : si le contrat est un marché public de fourniture et que les usines du titulaire sont purement et simplement fermées en raison du confinement, l’irrésistibilité de l’évènement devrait pouvoir être reconnu. À l’inverse, on sait que certains chantiers fonctionnent encore, même si souvent au ralenti, si bien qu’une discussion entre acheteur et titulaire pourrait conduire les parties à s’accorder sur une poursuite de l’exécution contractuelle, le cas échéant au prix d’un allongement des délais. En ce sens, par exemple, l’arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, le plus souvent applicable aux marché de travaux, indique dans son article 19.2.2 qu’: « une prolongation du délai de réalisation de l’ensemble des travaux ou d’une ou plusieurs tranches de travaux ou le report du début des travaux peut être justifié par […] une rencontre de difficultés imprévues au cours du chantier ; un ajournement de travaux décidé par le représentant du pouvoir adjudicateur ; un retard dans l’exécution d’opérations préliminaires qui sont à la charge du maître d’ouvrage ou de travaux préalables qui font l’objet d’un autre marché ». 

En tout état de cause, la DAJ précise qu’« il est recommandé aux acheteurs publics, eu égard au caractère exceptionnelle de la crise, de ne pas hésiter à reconnaître que les difficultés rencontrées par leur cocontractants sont imputables à un cas de force majeure ». 

Enfin, il faut souligner que, si les conséquences de la situation actuelle sur le contrat (retard, surcouts….) devaient devenir par trop importantes, ou si l’exécution du contrat devait perdre son objet (organisation d’une manifestation devant se tenir pendant le confinement,…), il sera possible, pour l’acheteur public, de résilier le contrat à moindre coût qu’une résiliation pour motif d’intérêt général : les articles L. 2195-2 et L. 3136-2 du Code de la commande publique rappellent qu’un acheteur public/une autorité concédante peut résilier un marché public/une concession pour force majeure. 

 

B – En matière de passation 

 
En matière de passation, la fiche de la direction des affaires juridiques de Bercy se concentre essentiellement sur un point : comment les acheteurs publics peuvent-il mettre en œuvre les procédures de passation accélérées pour satisfaire leurs besoins urgents ? 

Si la direction des affaires juridique vise exclusivement le cas où une entreprise titulaire d’un marché « est empêchée de réaliser les prestations auxquelles elle s’est engagée » si bien qu’il faut « faire réaliser ces prestations par d’autres entreprises sans que cela constitue une faute contractuelle », ses préconisations devraient également valoir, par exemple, pour le cas où un marché arrive à son terme et qu’il faut assurer la continuité du service. 

Dans ces cas de figure, la direction des affaires juridiques rappelle les outils offerts par le Code de la commande publique :  

– pour les marchés publics, l’article R. 2161-8 permet notamment, en appel d’offres restreint, de réduire le délai minimal de réception des offres à dix jours au lieu de trente jours « lorsqu’une situation d’urgence, dûment justifiée, rend le délai minimal [de trente jours] impossible à respecter ».  

Et si la DAJ ne les évoquent pas, il faut souligner que des délais restreints sont aussi prévus en matière de réception des candidatures en appel d’offres restreint (le délai minimum de réception des candidatures peut être réduit de 30 jours à 15 jours : article R. 2161-6 du Code), que des délais restreints pour la remise des candidatures et des offres existent en matière d’appel d’offres ouvert (le délai minimum de 35 jours pour les candidatures et les offres peut être ramené à 15 jours : article  R. 2161-3 du Code de la commande publique) et en procédure concurrentielle avec négociation (le délai minimum de réception des candidatures peut être ramené de 30 jours à 15 jours : article R. 2161-12 du Code ; et le délai minimum de réception des offres peut être ramené de 30 jours à 10 jours ; article. R. 2161-15 du Code).  

Concernant les concessions, les délais de remise des candidatures et des offres en procédure « formalisée » ne peuvent être raccourcis à raison d’une urgence : le Code de la commande publique ne le prévoit pas. En revanche, si la concession est passée selon la procédure dite « allégée », les délais doivent être adaptés à la nature, au montant et aux caractéristiques des travaux ou services demandés au concessionnaire (articles R. 3126-8 et R. 3126-9 du Code de la commande publique), ce qui laisse sans doute une marge de manœuvre à l’acheteur public au regard des circonstances actuelles. 

– l’article R. 2122-1 du Code de la commande publique permet, au-delà, aux acheteurs publics de « passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsqu’une urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures et qu’ils ne pouvaient pas prévoir ne permet pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées ». La préconisation de la DAJ parait effectivement en concordance avec la jurisprudence rendue sur la notion d’urgence impérieuse : selon la Cour de justice de l’Union européenne, la condition d’urgence impérieuse doit résulter d’événements imprévisibles, qui ne sont en aucun cas imputables au pouvoir adjudicateur et qui sont à l’origine d’une situation incompatible avec les délais de mise en œuvre des procédures de publicité et de mise en concurrence. (CJCE 14 sept. 2004, Commission c/ Italie, C-385/02 ; CJUE, 18 nov. 2004, Commission c/ Allemagne, C-126/03). 

L’article R. 2122-1 précité précise toutefois que le marché doit alors être « limité aux prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d’urgence », et la DAJ le rappelle en soulignant que « de tels achats ne doivent être effectués que pour les montants et la durée strictement nécessaires à la satisfaction des besoins urgents ».  

Ce faisant, la direction des affaires juridiques met incidemment en garde les acheteurs publics sur un risque de dérive : le contexte actuel ne saurait justifier que tous les achats soient passés de gré à gré sans limitation. Seuls les achats qui sont strictement nécessaires à la continuité du service, à la vie des acheteurs publics pendant la période de crise, peuvent être passés selon cette procédure, et ce pour la seule durée de la situation de crise, et de manière strictement proportionnée au besoin.  

Et on ne peut que recommander aux acheteurs publics de suivre scrupuleusement ce principe de proportionnalité, tant on sait que la jurisprudence administrative et européenne apprécie strictement les exceptions aux procédures de publicité et de mise en concurrence. 

Concernant les concessions, l’article R. 3121-6 du Code de la commande publique indique pour sa part qu’un contrat de concession peut être passé de gré à gré « en cas d’urgence résultant de l’impossibilité dans laquelle se trouve l’autorité concédante publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service concédé par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, à la condition, d’une part, que la continuité du service soit justifiée par un motif d’intérêt général et, d’autre part, que la durée de ce nouveau contrat de concession n’excède pas celle requise pour mettre en œuvre une procédure de passation ». Ici encore, le principe de proportionnalité doit être respecté :  le contrat de concession conclu sans mise en concurrence doit renfermer une durée strictement adaptée à la conclusion d’une nouvelle concession après mise en concurrence. 

Si les rappels ainsi opérés par la direction des affaires juridiques de Bercy sont évidemment les bienvenus et doivent rassurer les acheteurs publics sur la possibilité de solliciter des procédures d’exception en cette période exceptionnelle, il est naturellement bon nombre d’autres sujets auxquels sont confrontés les acheteurs pendant cette période. 

 

II – Les questions en suspend

Sans que cette liste soit exhaustive – et loin s’en faut –, il est possible d’énoncer ici quelques-uns des sujets que le contexte actuel suscite. 

Qu’on pense par exemple à un acheteur public à qui les candidats demandent de repousser la date limite de remise des candidatures ou des offres d’un marché public ou d’une concession. 

En droit, aucun texte ni aucune décision n’est pour l’heure venue se prononcer sur les conséquences du contexte actuel sur ce sujet. Faute de précisions supplémentaires, il faut donc se tourner vers les principes qui encadrent la question du délai laissé aux candidats pour remettre une offre. À cet égard, le Code de la commande publique donne une liste de seulement deux cas dans lesquels un acheteur public est tenu de prolonger le délai de remise des offres d’un marché public, parmi lesquels ne figure toutefois pas la survenance d’un évènement imprévisible et extérieur aux candidats et à l’acheteur public, qui affecte la vie des soumissionnaires et leur capacité à remettre une offre dans les délais (article R. 2151-4). 

Il est toutefois acquis que, de manière générale, « l’acheteur fixe les délais de réception des offres en tenant compte de la complexité du marché et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leur offre » (article R. 2151-1). 

Et on sait que le juge administratif exerce un contrôle concret sur la question de savoir si le délai laissé aux candidats pour remettre leur offre est suffisant ou non. Il doit « vérifier si le délai de consultation, bien que supérieur au délai minimal fixé par les textes applicables, n’était néanmoins pas manifestement inadapté à la présentation d’une offre compte tenu de la complexité du marché public et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leurs candidatures et leurs offres » (CE, 11 juillet 2018, n° 418021). Dans le même ordre d’idées, en matière de procédure adaptée, il est acquis que « si le pouvoir adjudicateur est libre, lorsqu’il décide de recourir à la procédure adaptée, de déterminer, sous le contrôle du juge administratif, les modalités de publicité et de mise en concurrence appropriées aux caractéristiques de ce marché, notamment en ce qui concerne le délai laissé aux opérateurs économiques pour lui remettre une offre, celui-ci doit être suffisant, au regard notamment de l’objet du marché envisagé, de son montant, de l’urgence à le conclure, de la nature des prestations, de la facilité d’accès aux documents de la consultation, de la nécessité éventuelle d’une visite des lieux et de l’importance des pièces exigées des candidats, pour assurer le respect des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures » (CAA de Nancy, 26 février 2019, req. n° 18NC00051). 

La doctrine confirme que « le délai doit être suffisant pour que les soumissionnaires bénéficient d’une possibilité effective de présenter leurs offres » (Code de la commande publique, éditions Dalloz, commentaire sous l’article R. 2151-1). 

Partant, il n’est pas sûr que les acheteurs disposent d’une pleine liberté en la matière, et qu’ils puissent ne pas reporter les dates de remises des offres ou des candidatures, notamment lorsqu’un ou plusieurs candidats le leur demandent.  

C’est naturellement affaire d’espèce.  

Il est vrai que si le délai initial était presque arrivé à échéance lors du prononcé du confinement (mois d’une semaine par exemple), il n’est pas sûr qu’un candidat pourrait utilement soutenir qu’il n’a raisonnablement pas eu assez de temps pour préparer son offre. Dans ce cas de figure, un report d’une semaine environ pourrait toutefois être accordé, ce qui correspond globalement au temps qu’il a fallu, pour chaque entreprise, pour s’organiser en conséquence des annonces gouvernementales (mise en place du télétravail organisation d’une continuité…). 

Si, en revanche, il demeurait un laps de temps important pour la préparation des candidatures ou des offres au moment des annonces gouvernementales, il est clair que les circonstances actuelles, qui « paralysent » ou à tout le moins « ralentissent » l’activité de l’essentiel des opérateurs économiques peuvent conduire à ce que les candidats ne puissent effectivement pas bénéficier de suffisamment de temps pour préparer et remettre une offre satisfaisante dans le délai initial. 

Et un candidat pourrait effectivement sans doute s’en plaindre, s’il est en mesure d’apporter la preuve matérielle de ce qu’il n’a pas été en mesure de remettre une offre satisfaisante à raison des circonstances particulières. Il n’est pas absurde de penser, en effet, que la situation de force majeure évoquée par la direction des affaires juridiques dans sa fiche pourrait également avoir des conséquences non pas sur l’exécution des marchés ou sur la possibilité de solliciter des procédures de passation avec des délais réduits, mais sur les délais de remise des candidatures et des offres. En ce sens, une réponse ministérielle rendue dans un autre contexte suggère a contrario que les acheteurs pourraient être tenus de reporter la date de remise des offres lorsqu’un événement de force majeure survient : « Les défaillances du service postal ne justifient pas, en principe, que l’offre puisse être présentée hors délai. Ainsi, une grève postale de courte durée ne constitue pas un événement de force majeure susceptible d’imposer que la collectivité prolonge le délai de réception des offres. Il appartient aux candidats de s’assurer du bon acheminement de leur offre. Le fait qu’un candidat ait envoyé son offre pendant le délai de réception des offres ne saurait être pris en compte, sauf à ce qu’il démontre que les dysfonctionnements du service postal présentaient les caractères de la force majeure, c’est-à-dire qu’ils étaient imprévisibles, irrésistibles et extérieurs aux parties » (Réponse du Ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi publiée dans le JO Sénat du 15/07/2010 – page 1862). 

Et il faut souligner par ailleurs que si l’acheteur public choisit de maintenir la date de remise des offres, mais n’est pas ensuite en mesure lui-même de poursuivre la passation du marché (suspension ou retard dans l’analyse, report des négociations, impossibilité de tenir la CAO où la séance de l’assemblée délibérante…), l’éventuelle contestation des candidats sur le sujet pourrait revêtir un écho plus fort encore. 

 

Pour prendre d’autres exemples, les circonstances actuelles peuvent poser des questions très concrètes aux acheteurs publics dans le cadre de leurs procédures en cours : s’il était prévu une négociation sur les offres, faut-il l’annuler ?  Ce n’est pas sûr : si l’acheteur public entend maintenir son calendrier, rien ne l’empêche de procéder à une négociation par voie dématérialisée, par le jeu de l’envoi électronique de questions/réponses. En revanche, si des visites étaient nécessaires pour que les candidats puissent établir leur offre, il parait difficile de maintenir ces visites dans le cadre du confinement décrété en l’état. Et, faute pour les visites de pouvoir se tenir dans les délais initialement prévus, il parait difficile de conserver la date de remise des offres initiales. En effet, aux termes de l’article R. 2151-3 du Code de la commande publique, « lorsque les offres ne peuvent être déposées qu’à la suite d’une visite sur les lieux d’exécution du marché ou après consultation sur place de documents complémentaires, les délais de réception des offres sont suffisants pour permettre à tous les opérateurs économiques de prendre connaissance de toutes les informations nécessaires pour l’élaboration de leurs offres » (voir également art. R. 3124-3 pour les concessions). 

Le sujet se pose dans des termes semblables si les documents de la consultation prévoient la remise d’échantillons par les candidats : si les candidats attirent l’attention de l’acheteur public sur leur impossibilité de pouvoir les fabriquer, il parait difficile pour l’acheteur public de conserver sans risque de recours la date limite de remise des offres initiales et/ou l’obligation de remettre ces échantillons.  

 

Parmi les sujets qui vont également se poser dans bien des cas, figure celui du délai de validité des offres : s’il arrive bientôt à échéance et que l’acheteur n’a pas le temps d’attribuer le marché avant son expiration compte tenu des circonstances : est-il contraint de déclarer la procédure sans suite ? La réponse est en droit négative : il est possible de solliciter des candidats qu’ils acceptent une prolongation du délai de validité de leur offre, et cette prolongation peut être décidée si l’ensemble des candidats a donné son accord sur cette prorogation (CAA Marseille, 25 mai 2007, req. n° 04MA00916). Le sujet est en réalité essentiellement technique et économique : puisque personne ne sait combien de temps la situation de crise sanitaire va durer et que personne ne connaît quelles en seront les conséquences, il n’est pas sûr que les entreprises puissent opportunément accepter une prolongation de la durée de validité de leur offre. 

 

La phase de signature/de notification du marché suscite également des difficultés : il n’est pas sûr que l’entreprise attributaire puisse fournir en temps voulu à l’acheteur public les derniers documents et attestations qu’il doit fournir pour l’attribution du marché. Et il n’est au-delà peut-être pas opportun de vouloir notifier à tout prix un contrat public alors que le titulaire pourrait immédiatement connaître des difficultés d’exécution à raison de la crise sanitaire. C’est donc évidemment chaque fois affaire d’espèce, et à cet égard, le dialogue entre l’acheteur et l’attributaire pressenti devrait, par prudence dans bien des cas, être sollicité.  

 

Face à bon nombre de ces difficultés, outre la sollicitation des procédures exceptionnelles attachées à l’urgence, précitées (supra, I.B), il n’est pas absurde de penser que les acheteurs publics et autorités concédantes pourront, pour ne pas se retrouver en rupture de continuité du service, prolonger les contrats actuellement en cours d’exécution, pendant la durée de la crise sanitaire. 

 

On sait en effet qu’il est possible de modifier un marché public ou une concession en cours d’exécution lorsque la modification est « rendue nécessaire par des circonstances imprévues » (articles L. 2194-1 et L. 3135-1 du Code de la commande publique), étant entendu que ces circonstances imprévues sont « des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir » (articles R. 2194-5 et R. 3135-5) et que le montant de la modification ne doit pas  être supérieur à 50 % du montant du contrat initial.  

 

Or, il y a tout lieu de penser que l’épidémie actuelle, et les mesures de confinement prononcées pour y remédier, constituent des circonstances imprévisibles qu’il n’était pas possible, pour l’acheteur public, de prévoir. Ces circonstances imprévisibles semblent dans bien des cas être de nature à justifier que le contrat soit prolongé pour un temps nécessaire au maintien de la continuité du service et de la vie des autorités publiques. 

 Au titre des autres sujets concrets, il faut penser aux difficultés que suscite en ce moment la possibilité pour les soumissionnaires évincés de l’attribution d’un marché ou d’une concession de saisir le juge du référé précontractuel lorsqu’ils considèrent avoir été victimes d’un manquement de l’acheteur public à ses obligations de publicités et de mise en concurrence. On sait en effet que les audiences de référé sont pour l’heure reportées à des dates non définies. Or, la signature du contrat ne peut pas avoir lieu tant que le juge du référé précontractuel est saisi et qu’il n’a pas rendu son ordonnance (article L. 551-4 du Code de justice administrative). Ainsi, les acheteurs publics peuvent se retrouver dans l’impossibilité de signer un marché pendant plusieurs semaines, faute d’audience et d’ordonnance, si bien qu’il est un risque que la continuité du service public ne s’en trouve affectée. Et, face à une telle situation, si les procédures de passation en urgence des achats publics précitées (supra, I.B) ne pourront peut-être pas toujours être sollicitées sans risque, il devrait en revanche être possible de prolonger la durée du contrat pour le temps strictement nécessaire au maintien de la continuité du service (supra). 

Par Astrid Boullault

Loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 – Premières décisions et nombreuses inconnues pour les communes

Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19

Ce dimanche 22 mars 2020, l’Assemblée Nationale et le Sénat ont approuvé le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid 19, dans sa version telle qu’issue de l’accord auquel a finalement abouti la commission mixte paritaire convoquée dans la matinée.  

Si ce texte vient « acter » de premières décisions, il est la résultante de débats non résolus sur des points fondamentaux de fonctionnement des communes et EPCI et renvoie, par conséquent, sur de nombreux aspects, à de futures ordonnances gouvernementales (ordonnances prises sur le fondement de l’article 38 de la Constitution).  

L’article suivant se propose d’effectuer, par suite, de façon synthétique, un bilan sur ce texte en distinguant précisément ce qui a été décidé, de ce qui reste en suspens sur les 3 aspects institutionnels suivants :  

  • le processus électoral en cours ;  
  • le fonctionnement des communes au sein desquels le conseil municipal a été élu au complet à l’issue du premier tour ;  
  • le fonctionnement des communes au sein desquels le conseil municipal n’a pas été élu au complet à l’issue du premier tour.  

 

1 – Le processus électoral en cours 

Ce qui a été décidé : 

  • L’élection régulière des conseillers élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 est acquise ; 
  • Le second tour est reporté au plus tard en juin 2020 : la date exacte sera fixée par décret en conseil des ministres pris le 27 mai 2020 au plus tard si la situation sanitaire le permet selon l’analyse du comité scientifique remise au plus tard au Parlement le 23 mai 2020 ; 
  • Si l’organisation du second tour est possible en juin :  
    • Les déclarations de candidature à ce second tour seront à déposer au plus tard le mardi qui suit la publication du décret de convocation des électeur (donc au plus tard le mardi 2 juin) ; 
    • La campagne électorale pour le second tour sera ouverte à compter du second lundi qui précèdera ce second tour (la campagne durera donc 13 jours, conformément au droit commun) ;
  • Si l’organisation du second tour n’est pas possible en juin, le premier tour du scrutin sera annulé (pour les communes n’ayant pas élu un conseil municipal complet) et une nouvelle élection sera organisée dans les délais et conditions fixés par une prochaine loi ;  
  • Les comptes de campagne (pour les listes de candidats se présentant dans les communes de plus de 9000 habitants) sont à déposer à la CNCCFP pour les listes de candidats non admises ou ne présentant par leur candidature au second tour, au plus tard le 10 juillet 2020 à 18 heures et pour celles présentes au second tour, au plus tard, le 11 septembre 2020 à 18 heures. 

 

Ce qui reste en suspens, dans l’attente d’une ordonnance gouvernementale (qui devra intervenir dans un délai d’un mois) : 

  • Des règles complémentaires relatives au dépôt des candidatures ;  
  • Des règles complémentaires relatives au financement et au plafonnement des dépenses électorales et à l’organisation de la campagne électorale (il a uniquement été acté, à ce stade, que les plafonds de dépenses seraient majorés par un coefficient fixé par décret qui ne pourra être supérieur à 1,5 et que toute action de propagande électorale interdite généralement 6 mois avant l’élection demeure prohibée) ;  
  • Des règles relatives aux consultations des listes d’émargement.  


A ce stade donc, la prudence requiert pour les candidats de limiter, autant que possible, toute action de « campagne », c’est-à-dire toute action générant une dépense devant être inscrite au compte de campagne.  

Il est néanmoins constant que des questions significatives se posent notamment s’agissant des personnes rémunérées à l’occasion de ces campagnes électorales ou encore s’agissant des locaux de campagne, pour lesquelles aucune réponse certaine ne peut aujourd’hui être apportée.  

 

2 – Le fonctionnement des communes ayant élu au complet un nouveau conseil municipal 

Ce qui a été décidé :  

  • Les conseillers élus le 15 mars 2020 entreront en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permettra au regard de l’analyse du comité de scientifiques ;  
  • La première réunion du conseil municipal se tiendra de plein droit au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction ;  
  • Les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’à l’entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour ;  
  • Nonobstant toute disposition contraire, le mandat des représentants d’une commune au sein d’organismes de droit public ou de droit privé en exercice à la date du premier tour est prorogé jusqu’à la désignation de leurs remplaçants par l’organe délibérant ; 
  • Si certains conseils municipaux se sont réunis, en application de l’article L. 2127-7 du CGCT, entre le vendredi 20 mars et le dimanche 22 mars, afin de procéder à l’élection du Maire et des adjoints et d’adopter de premières délibérations, ces décisions ne prendront effet qu’à compter de la date d’entrée en vigueur des conseillers élus qui sera fixée par décret ;  
  • Les délégations attribuées aux élus dont le mandat est prolongé demeurent valables jusqu’à l’entrée en fonction de leurs successeurs (conformément à une disposition ajoutée par la commission mixte paritaire, rédigée comme suit : « III – Par dérogation à l’article L. 227 du code électoral : Les délégations attribuées aux élus dont le mandat est prolongé non plus qu’aucune délibération ne deviennent caduques de ce seul fait ») ; 
  • Le délai de 3 mois fixé par l’article L. 2123201 du CGCT pour le vote des indemnités des membres du conseil municipal ne s’applique pas ;   
  • Les candidats élus au premier tour dont l’entrée en fonction est différée sont destinataires de la copie de l’ensemble des décisions prises sur le fondement de l’article L. 212222 CGCT (décisions prises par le Maire dans le cadre des délégations lui ayant été accordées par le conseil municipal). 

 

A noter, enfin, pour les communes qui seront situées dans les zones géographiques concernées par l’état d’urgence sanitaire, que des adaptations aux règles de quorum sont prévues. Les organes délibérants des collectivités concernées pourront délibérer dès lors que le tiers de leurs membres en exercice sera présent (par exception à l’article L. 2121-17 du CGCT). A défaut de satisfaction de cette condition, l’organe délibérant pourra être convoqué à trois jours au moins d’intervalle et délibérer sans condition de quorum. Dans tous les cas, un membre de ces organes pourra être porteur de deux pouvoirs. Sauf pour les scrutins secrets, il est encore prévu qu’un dispositif de vote électronique ou de vote par correspondance papier préservant la sécurité du vote pourra être mis en œuvre dans des conditions fixées par décret pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire. 

 

Ce qui reste en suspens :  

  • Doivent être réglées par une ordonnance gouvernementale à intervenir dans un délai d’un mois : les conditions d’organisation de l’élection des maires et des adjoints  
  • Et doivent être réglées par une ordonnance gouvernementale susceptible d’intervenir dans les 3 mois suivant l’entrée en vigueur de cette loi et d’avoir une portée rétroactive au 12 mars 2020 : les règles de fonctionnement des organes délibérants (y compris autorisant des formes de délibération collégiale à distance), les règles applicables aux délégations, les règles applicables à l’adoption et à l’exécution des décisions budgétaires, les règles applicables en matière de consultations et de procédures d’enquête publique ou exigeant une consultation d’une commission consultative ou d’un organe délibérant d’une collectivité territoriale ou de ses établissements publics. 

A ce stade, soit dans l’attente de l’intervention des ordonnances annoncées, notre conseil de prudence est donc, dans la mesure du possible, de limiter les décisions de la Commune à ce qui est absolument nécessaire.  

Si ces dispositions permettent, en cas de besoin, de prendre des décisions, notamment via le maintien des délégations accordées avant le premier tour et via des modalités adaptées de réunion des organes délibérants, de nombreuses questions restent néanmoins en suspens.  

Si l’on comprend qu’une délibération prise avec un tiers des membres présents d’un organe délibérant serait valide, peut-on en revanche considérer irrégulière une délibération qui serait prise en présence de plus de 50 conseillers compte tenu de l’interdiction actuelle de se rassembler au-delà de ce nombre ? 

Pour les jours à venir, soit avant l’introduction de nouvelles directives, une appréciation au cas par cas doit prévaloir (dans la recherche constante de l’intérêt général et de la limitation des décisions prises à la gestion de la crise sanitaire et à ce qui est absolument indispensable).    

 

3 – Le fonctionnement des communes n’ayant pas élu au complet le nouveau conseil municipal  

Ce qui a été décidé :  

  • Les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’au second tour du scrutin s’il a lieu en juin 2020 ou jusqu’à une date fixée ultérieurement, par la loi, s’il n’a pas lieu en juin ;  
  • A l’instar de ce qui s’applique pour les autres communes, nonobstant toute disposition contraire, le mandat des représentants d’une commune au sein d’organismes de droit public ou de droit privé en exercice à la date du premier tour est prorogé jusqu’à la désignation de leurs remplaçants par l’organe délibérant ; 
  • A l’instar de ce qui s’applique pour les autres commune, les délégations attribuées aux élus dont le mandat est prolongé demeurent valables jusqu’à l’entrée en fonction de leurs successeurs.  

Les mêmes adaptations aux règles de quorum que celles précitées s’appliquent également.  

 

Ce qui reste en suspens et doit être réglé par une ordonnance gouvernementale susceptible d’intervenir dans les 3 mois suivant l’entrée en vigueur de cette loi et d’avoir une portée rétroactive au 12 mars 2020 : les règles de fonctionnement des organes délibérants (y compris autorisant des formes de délibération collégiale à distance), les règles applicables aux délégations, les règles applicables à l’adoption et à l’exécution des décisions budgétaires, les règles applicables en matière de consultations et de procédures d’enquête publique ou exigeant une consultation d’une commission consultative ou d’un organe délibérant d’une collectivité territoriale ou de ses établissements publics. 

A nouveau pour ces communes, il sera signalé que des incertitudes demeurent et qu’à raison de l’importance du champ ouvert à l’intervention d’une ordonnance gouvernementale, plusieurs options de fonctionnement alternatives pourraient in fine s’appliquer.  

Dans l’attente donc de futures directives, nous ne pouvons que recommander aux exécutifs des communes concernées d’agir avec prudence et de n’adopter que les mesures qu’imposent la gestion de la crise sanitaire ou toute aussi situation d’urgence.  

En tout état de cause, il convient de rester particulièrement en alerte de l’actualité législative, réglementaire ainsi que des circulaires à intervenir. 

Par Elise Humbert

A vos côtés : le mot de Didier Seban

Seban & Associés est totalement mobilisé aux côtés des acteurs publics et de l’économie sociale et solidaire pour contribuer à informer et à proposer des solutions juridiques pour aider à combattre les conséquences de la pandémie.
 
Nous publions donc une lettre d’actualité juridique presque entièrement consacrée aux conséquences pratiques de l’épidémie sur le plan du droit et allons augmenter la fréquence de nos publications pour vous tenir ponctuellement informés des évolutions inédites dans les différents domaines du droit.
 
N’hésitez pas à partager cette lettre et ces informations.
 
Les 80 avocats et les 20 salariés du cabinet sont engagés à vos côtés, dans cette période où la crise sanitaire nous rappelle qu’au delà d’être des individus libres et autonomes, le service public, la solidarité sont ce qui fait société et détermine notre avenir commun. 
 
Didier Seban 

Approbation des comptes et sociétés d’habitations à loyer modéré

Les comptes annuels des sociétés d’habitations à loyer modéré, comme ceux de toutes les sociétés anonymes, doivent en principe, après avoir été arrêtés par leur conseil d’administration ou leur directoire, être approuvés par l’assemblée générale ordinaire des associés dans les six mois suivant la clôture de l’exercice (art. L. 225-100, I-al. 1 du Code de commerce). 

Ainsi, l’assemblée générale ordinaire d’approbation des comptes doit se tenir le 30 juin au plus tard.  

Si ce délai ne peut être respecté, il revient alors normalement à toute société qui le souhaite, par l’intermédiaire de son conseil d’administration ou de son directoire, de solliciter une prolongation dudit délai au président du tribunal de commerce (art. R. 225-64 du Code de commerce). 

Dans ce cas, la demande doit être présentée avant l’expiration du délai de six mois normalement imparti pour l’approbation des comptes et être formulée par requête. 

Dans les circonstances actuelles de crise sanitaire, le projet de loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 actuellement en cours de préparation pourrait autoriser le gouvernement à légiférer par ordonnance afin notamment de prévoir d’importants aménagements à ces dispositions, notamment : 

  • pour permettre la tenue des conseils d’administration, directoires et conseils de surveillance ainsi que des assemblées générales par visioconférence ou téléconférence ; 

  • pour permettre la tenue d’assemblées générales en faisant voter les actionnaires exclusivement par correspondance (« huis clos ») ; 

  • pour reporter le délai d’approbation des comptes sans avoir à formuler de requête. 

Sur la qualification de terrain à bâtir en expropriation

Par un arrêt en date du 8 novembre 2018, la Cour d’appel de Paris a fixé le montant des indemnités devant revenir à des expropriés au titre de l’expropriation de deux parcelles situées dans une zone d’aménagement concertée. 

Les expropriés se sont pourvus en cassation à l’encontre de cet arrêt en lui faisant grief de fixer les indemnités en écartant la qualification de terrain à bâtir.  

La qualification de terrains à bâtir présente des conséquences indemnitaires importantes dans la mesure où ces biens sont mieux valorisés qu’un terrain inconstructible, par exemple.  

En droit, l’article L. 322-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique définit les terrains à bâtir comme ceux qui, à la date de référence et quelle que soit leur utilisation, réunit cumulativement les conditions suivantes : 

  • Être situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l’absence d’un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d’une commune ; 
  • Être effectivement desservis par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l’urbanisme et à la santé publique l’exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d’assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu’il s’agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l’objet d’une opération d’aménagement d’ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l’ensemble de la zone. 

 
En l’espèce, les biens étant situés au sein d’une ZAC, la question se posait de savoir si, à la date de référence, la dimension des réseaux de l’ensemble de la zone était suffisante pour permettre à ces biens de revêtir la qualification de terrains à bâtir.  

Faisant application des dispositions susvisées, la Cour de cassation rejette le pourvoi après avoir confirmé le raisonnement de la Cour d’appel qui a retenu que, à la date de référence, les réseaux étaient insuffisants pour satisfaire les besoins de l’ensemble de la zone dans laquelle se situent les biens de sorte que ces derniers ne pouvaient revêtir la qualification de terrains à bâtir.  

Expropriation : une ordonnance d’expropriation ne peut être prise à l’encontre d’un bien déjà exproprié

Des expropriés ont formé un pourvoi en cassation contre une ordonnance d’expropriation rendue le 3 décembre 2018 par juge de l’expropriation du département des Hauts-de-Seine au profit de la société Bouygues Telecom.  

Les expropriés faisaient grief à l’ordonnance de déclarer expropriée la parcelle litigieuse, alors que par une ordonnance du 25 février 2014, le juge de l’expropriation du département des Hauts-de-Seine avait prononcé, au profit de la société Bouygues Immobilier, l’expropriation pour cause d’utilité publique de la même parcelle.  

Or, aux termes de l’article L. 222-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, « l’ordonnance d’expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels ou personnels existant sur les immeubles expropriés ».   

Par l’effet de l’ordonnance d’expropriation du 25 février 2014, tous droits réels ou personnels existant sur la parcelle des expropriés étaient ainsi éteints de sorte qu’ils n’avaient plus la qualité de propriétaires de la parcelle concernée.  

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation considère que  « en déclarant exproprié le même bien, au profit de la même société, le juge de l’expropriation a violé le texte susvisé ». 

Expropriation : exemple d’un bilan coût/avantage négatif

Par un arrêté du 21 janvier 2015, le Préfet d’Eure-et-Loir a déclaré d’utilité publique (ci-après « DUP ») un projet consistant à réaliser une nouvelle voie d’accès à une zone d’activités commerciales, deux giratoires, ainsi qu’un espace de stationnement de quatre-vingt-dix places, des cheminements piétons et des aménagements paysagers.  

 Des propriétaires, dont les parcelles étaient incluses dans le périmètre de la DUP, ont formé un recours pour excès de pouvoir contre cet arrêté. 

Par jugement du 29 novembre 2016 du tribunal administratif d’Orléans confirmé par un arrêt du 12 février 2018 par la Cour administratif d’appel de Nantes, la requête des propriétaires a été rejetée et ces derniers se sont pourvus en cassation contre l’arrêt précité.   

En principe, lorsque le juge administratif doit se prononcer sur le caractère d’utilité publique d’une opération nécessitant l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers, il lui appartient de contrôler successivement qu’elle répond à une finalité d’intérêt général, que l’expropriant n’était pas en mesure de réaliser l’opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l’expropriation, notamment en utilisant des biens se trouvant dans son patrimoine et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d’ordre social ou économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente. 

En l’espèce, après avoir relevé que « si une telle opération peut être regardée comme répondant à une finalité d’intérêt général et ne peut être réalisée sans procéder aux expropriations litigieuses, il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du rapport du commissaire enquêteur, que son apport à l’amélioration de l’accessibilité à ce secteur de la zone commerciale est limité et que la justification de l’expropriation prévue réside essentiellement dans l’objectif d’une amélioration de la visibilité de ce secteur, quand bien des places de stationnement supplémentaires seraient réalisées », le Conseil d’Etat considère que l’atteinte aux droits de propriété et  le coût de l’opération, évalué à près de 1,2 millions d’euros, étaient excessifs eu égard à l’intérêt que l’opération présente.  

 

Détermination de la date de référence en expropriation 

La Cour de cassation rappelle que, pour être prise en compte, la dernière modification doit affecter les caractéristiques de la zone où étaient situées les parcelles 

En matière d’expropriation, trois dates sont à prendre en considération pour l’évaluation des biens : 

  • l’estimation des bien expropriés correspondant à la date de la décision de première instance, aux termes des dispositions du premier aliéna de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation ;
     
  • la consistance matérielle et juridique des biens appréciée à la date de l’ordonnance portant transfert de propriété et, à défaut, à la date de la décision de première instance selon les mêmes dispositions ;

     

  • et enfin, l’usage effectif du bien, apprécié, quant à lui, à une date dite « de référence », selon deuxième alinéa de l’article L. 322-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.  

 
S’agissant de cette dernière date, celle-ci est, en principe, fixée à un avant l’ouverture de l’enquête publique relative à la déclaration d’utilité publique du projet sauf, notamment, lorsque le bien est soumis au droit de préemption urbain, auquel cas il y a lieu de faire application des dispositions des articles L. 213-6 et L. 213-4 du Code de l’expropriation.  

La date de référence à retenir est ainsi celle à laquelle a été publié l’acte approuvant, révisant ou modifiant le plan d’occupation des sols ou le plan local d’urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien.  

Par un arrêt en date du 13 juin 2019 (n° 18-18445) publié au bulletin, la Cour de cassation précisait qu’une telle date est prise en compte lorsque la modification concerne le périmètre de la zone dans laquelle est située la parcelle expropriée, mais aussi lorsque celle-ci affecte les caractéristiques de cette même zone.  

Par un arrêt en date du 19 septembre 2019 (n° 18-18834), la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de faire application de sa dernière jurisprudence en cassant et annulant un arrêt d’une Cour d’appel qui, après avoir constaté que la délibération portant modification du plan local d’urbanisme « avait modifié certaines caractéristiques de la zone où se situent les parcelles expropriées, notamment relatives à la hauteur des bâtiments », et alors même que cette modification n’affectait pas leur classement, n’a pas retenu la date de ladite délibération comme date de référence.   

En l’espèce, il était fait grief à l’arrêt attaqué de fixer la date de référence au 10 décembre 2010.  

Faisant application de sa dernière jurisprudence, la Cour de cassation relève que par une appréciation souveraine des éléments de preuve communiqués, la modification du plan local d’urbanisme intervenue en décembre 2013 n’avait pas modifié les caractéristiques de la zone où étaient situées les parcelles et que les règles d’utilisation de la zone 1AUe de la ZAC de la Maison Neuve avaient été modifiées pour la dernière fois le 10 décembre 2010 et qu’ainsi, la cour d’appel a déduit à bon droit de ces seuls motifs que la date de référence devait être fixée à cette date.