Précision sur l’appréciation dans le temps du caractère régularisable des vices entachant le bien-fondé d’une autorisation d’urbanisme

Par une décision en date du 3 juin dernier, le Conseil d’Etat est venu préciser que l’appréciation du caractère régularisable des vices entachant le bien-fondé d’un permis de construire s’apprécie au regard des règles en vigueur à la date à laquelle le juge statue.

Dans cette affaire, des requérants avaient demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler trois arrêtés par lesquels le maire de Saint-Bon-Tarentaise avait délivré un permis de construire puis deux permis de construire modificatifs pour la construction d’un chalet à usage d’habitation.

Ces arrêtés avaient été annulés en première instance puis en appel, pour méconnaissance des articles UC9, UC10 et UC11 du plan local d’urbanisme.

Devant le Conseil d’Etat, le pétitionnaire prétendait notamment que la Cour aurait dû faire application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme, qui permettent au juge, lorsqu’il constate qu’un vice entachant la légalité du permis de construire peut être régularisé par un permis modificatif, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi.

Sur ce point, le Conseil d’Etat vient préciser que pour l’application de cet article, si l’existence et la consistance d’un vice de procédure doit être apprécié au regard des règles applicables à la date de la décision litigieuse, et réparé selon les modalités prévues à cette même date, en revanche, le caractère régularisable des vices entachant le bien-fondé d’un permis de construire doit être apprécié au regard des dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue.

En l’espèce, le Conseil d’Etat relève que la Cour, qui a refusé de faire usage de l’article L. 600-5-1 précité alors même qu’un nouveau plan local d’urbanisme avait été approuvé et dont il résultait que les vices affectant les autorisations d’urbanisme avaient disparu à la date à laquelle elle statuait, a commis une erreur de droit.

Néanmoins, certains vices n’ayant pas été régularisés par le nouveau plan local d’urbanisme, la Cour était fondée à annuler les arrêtés en raison des vices subsistant au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date à laquelle elle statuait. Le Conseil d’Etat rejette donc le pourvoi.

Bore-out : nouvelle forme de harcèlement moral

Alors que la notion de burn-out a émergée il y a plus de 40 ans, une nouvelle notion tend à s’imposer : le bore-out qui se définit comme un trouble psychologique engendré par le manque de travail, l’ennui et, de fait, l’absence de satisfaction dans le cadre professionnel.

Dans l’arrêt commenté rendu par la Cour d’appel de Paris, cette nouvelle notion est reconnue par les juges du fond qui reconnait l’existence du harcèlement moral subi par un salarié invoquant un « bore out »

En l’espèce, un salarié, responsable des services généraux, est licencié pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif. Afin de voir reconnaître son licenciement comme étant nul, ce dernier invoque l’existence d’une situation de harcèlement moral. Le salarié fait état, en produisant des échanges de mails et des attestations d’anciens collègues, d’une mise à l’écart par son employeur marquée par l’absence de « réelles tâches correspondant à sa qualification et à ses fonctions contractuelles », le fait d’avoir été affecté à des travaux subalternes relevant de fonctions d’homme à tout faire et de manière générale, une situation de « bore-out », faute de tâches à accomplir.

Il appartenait aux juges de la Cour d’appel de Paris de déterminer si la situation de mise à l’écart et de bore-out invoquée par le salarié s’analysait comme du harcèlement moral.

La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 2 juin 2020, répond par l’affirmative.

Pour la première fois les juges du fond reconnaissent l’existence du harcèlement moral subi par un salarié invoquant un « bore-out ».

En effet, précédemment, était considérée comme du harcèlement moral la mise à l’écart d’un salarié consistant à ne plus lui donner de travail et à priver le salarié d’information dès lors que les conditions de travail sont dégradées et que ces dernières altèrent sa santé physique ou mental (Cass. Crim., 14 mai 2013, n° 12-82.36).

En revanche, la notion de bore-out n’avait pas en tant que telle été reconnue.

En effet, les décisions des juges du fond précédentes évoquaient cette notion mais ne l’avaient jamais reconnu comme caractérisant une situation de harcèlement moral écartant toujours finalement cette notion (CA Orléans, 16 juillet 2019, n° 16/02412 ; CA Aix-en-Provence du 24 juin 2016, n° 13/20777 ; CA Aix-en-Provence du 24 janvier 2020, n° 2020/35).

Le transfert de gestion peut intervenir sans changement d’affectation de la dépendance

Une réponse ministérielle du 5 mars dernier est venue préciser que le transfert de gestion des immeubles dépendant du domaine public, prévu à l’article L. 2123-3 du Code général des collectivités territoriales, et destiné à « permettre à la personne publique bénéficiaire de gérer ces immeubles en fonction de leur affectation », peut être sollicité en cas de changement d’affectation, mais également lorsque l’affectation initiale du bien n’est pas modifiée :

« Cette disposition a essentiellement pour portée de couvrir les cas de figure dans lesquels le propriétaire d’un bien relevant du domaine public transfère la gestion de ce bien à une autre personne publique en acceptant que ce bien reçoive une autre affectation matérielle. Dans ce cas, le changement d’affectation présente à la fois un caractère personnel et un caractère matériel. Toutefois, l’article L. 2123-3 ne comporte aucune disposition qui interdirait le recours à un transfert de gestion pour modifier la seule qualité de la personne publique gestionnaire d’un bien qui continuerait à relever de la même catégorie de domaine public, sans être ainsi accompagné concomitamment d’un changement matériel d’affectation de ce bien. Cette hypothèse concerne des cas d’application moins fréquents dès lors que les changements de personne publique gestionnaire qui peuvent intervenir sans modification de la destination du bien transféré s’exercent, dans leur grande majorité, conformément à des dispositions spécifiques, comme, par exemple, les conventions de gestion du domaine public prévues à l’article L. 2123-2 du CG3P ou les mises à disposition liées à des transferts de compétences ».

Ce sujet faisait débat en doctrine.

Plusieurs auteurs considéraient en effet que le changement d’affectation devait nécessairement être complet, c’est-à-dire à la fois personnel (changement de gestionnaire) et matériel (changement de destination). La circonstance que l’article L. 2123-3 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) trouve place dans une section intitulée transfert de gestion lié à un changement d’affectation allait naturellement en ce sens.

D’autres estimaient au contraire que le changement d’affectation pouvait n’être que personnel, et que l’affectation originelle de l’immeuble pouvait être maintenue par le bénéficiaire du transfert de gestion. Et il est vrai que l’exigence expresse d’un changement de destination, posée à l’époque par l’article L. 35 du Code du domaine de l’Etat, n’a pas été reprise par le CG3P, et que l’objectif de ce code était de faciliter la circulation des biens entre les personnes publiques.

La jurisprudence, extrêmement rare sur le transfert de gestion, n’avait pour sa part pas tranché la question. Saisie du sujet, la Cour administrative d’appel de Nancy avait botté en touche : « qu’à supposer même que l’opération dont il s’agit ne puisse s’analyser comme un transfert de gestion, du fait que, comme le soutiennent les requérants, l’affectation des biens demeurerait inchangée » (CAA Nancy, 27 juin 2013, Communauté de communes de Verdun, req. n° 12NC01590).

Cette réponse ministérielle récente a donc le mérite de clarifier le sujet.

Précisions importantes sur les conséquences salariales de l’absence d’un salarié protégé à la suite d’un refus de nouvelle affectation

L’affaire d’espèce peut paraître simple : un employeur propose à un salarié protégé dont la demande d’autorisation administrative de licenciement a été rejetée, une nouvelle affectation.

Le salarié protégé refuse et ne se rend plus sur son lieu de travail : l’employeur ne maintient plus alors sa rémunération, estimant que le salarié est en situation d’absence injustifiée.

Dans le même temps, à la suite des recours effectués, il obtient finalement l’autorisation de licenciement du salarié. Le salarié sollicite un rappel de salaires au titre de la période séparant la notification de son changement d’affectation de la date de son licenciement.

Au terme de son arrêt en date du 20 mai 2020, la Cour de cassation vient rappeler que l’employeur est tenu de maintenir tous les éléments de rémunération que le salarié protégé perçoit tant que l’inspecteur du travail n’a pas autorisé son licenciement.

Peu importe que le salarié ne se soit jamais présenté sur son nouveau lieu de travail à la suite d’un refus de changement de poste : il ne s’agit pas d’une absence fautive.

Cette solution s’inscrit logiquement dans la continuité de la jurisprudence interdisant toute modification du contrat ou même des conditions de travail d’un salarié protégé sans son accord.

Il convient dès lors d’être particulièrement attentif : le salarié protégé s’absentant à la suite d’un refus d’un changement d’affectation est en droit de percevoir son salaire et plus largement « tous les éléments de sa rémunération ».

Publication du Rapport d’activité 2019 de la CNIL – Le nombre de plaintes reçues en nette augmentation

Ce 9 juin 2020, la CNIL a publié son rapport d’activité 2019 intitulé La CNIL, alliée du quotidien numérique.

Au regard de plusieurs chiffres, mis en exergue dès les premières pages de ce rapport, la CNIL relève une forte mobilisation des citoyens et des entreprises autour de la protection des données.

La présente brève, se propose d’identifier au sein de ce rapport, pour les acteurs publics, les 3 chiffres à retenir, les 3 débats en cours sur lesquels ils devront être vigilants, les 3 outils produits en 2019 par la CNIL à ne pas avoir manqué ainsi que les 3 annonces à suivre.

Les 3 chiffres à retenir :

  • 14.137 plaintes reçues, soit 27 % de plus qu’en 2018, ce qui témoigne d’une véritable conscience citoyenne sur les enjeux de protection des données à caractère personnel ;
  • 64.900 délégués à la protection des données désignés, soit 21 000 de plus qu’en 2018. On constate donc une nette augmentation du nombre de ces professionnels, lequel demeure néanmoins très en deçà de ce qu’il devrait être puisqu’en mars 2020, devant l’Association des Maires de France, la Présidente de la CNIL rappelait que 60 % des Communes n’avaient toujours pas désigné de DPD ;
  • 300 contrôles et 8 sanctions prononcées, soit un nombre de contrôle et de sanction globalement constant par rapport à 2018.

 

Les 3 débats à surveiller :

  • La reconnaissance faciale, sur laquelle la CNIL a publié en novembre 2019, une contribution pour un débat à la hauteur des enjeux, après s’être opposée en octobre 2019 à son utilisation à l’entrée des lycées de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ;
  • La prévention de la délinquance, sur laquelle la CNIL a rappelé les bonnes pratiques à observer, après avoir constaté de nombreux manquements au sein de plusieurs communes ;
  • Les traitements ayant pour finalité la recherche scientifique, sur lesquels une consultation a été organisée en juillet 2019 et des recommandations doivent être formulées prochainement.

 

Les 3 nouveaux outils diffusés par la CNIL, à ne pas avoir manqué :

  • Le registre des activités de traitement de la CNIL, réalisé sur word, lequel constitue un référentiel très utile en termes de niveau d’exigence attendu pour cet élément central de toute documentation de conformité ;
  • Le guide de sensibilisation au RGPD établi spécifiquement pour les collectivités territoriales intégrant quelques fiches pratiques directement opérationnelles (notamment sur les dispositifs vidéo) ;
  • Le guide pratique Open Data réalisé avec la CADA, lequel était attendu de longue date, qui dresse un état des lieux complets des précautions à prendre avant la mise en ligne d’un document susceptible de contenir des données à caractère personnel.

 

Les 3 annonces de la CNIL pour 2020 à relever :

  • Un possible MOOC de formation, spécial collectivité territoriale. Constatant le succès de son MOOC de formation, la CNIL précise la volonté de développer son offre en l’orientant sur des pratiques sectorielles (dont celui des collectivités territoriales) ;
  • Des recommandations sur les traitements de données de mineurs, après de nouvelles investigations, puisque ses travaux effectués en 2019 sur cet axe de contrôle ont révélés que d’une manière générale, les mineurs ne bénéficiaient pas d’une protection satisfaisante ;
  • De nouveaux outils tendant à sécuriser les relations contractuelles entre responsable de traitement et sous-traitant. La CNIL annonce en tout état de cause renforcer la sensibilisation en la matière après avoir relevé, en 2019, de nombreuses insuffisances et incompréhensions.

 

Il sera noté enfin, pour attiser les curiosités que la lecture de ce rapport permet de mettre en exergue les innovations en cours de déploiement, à l’instar de la carte d’identité numérique portée par le gouvernement ou encore le concept de « portabilité citoyenne », à partir duquel les villes du Grand Lyon, de La Rochelle et Nantes Métropole, explorent la possibilité de faire émerger de nouveaux services.

Portée de l’expertise amiable en matière de construction et principe d’indemnisation intégrale du préjudice subi

Par un arrêt rendu le 14 mai 2020, la Cour de cassation a eu l’occasion de revenir, d’une part, sur la portée de l’expertise amiable et, d’autre part, sur le principe de réparation intégrale du préjudice subi.

En l’espèce et d’un point de vue factuel, un particulier a confié à une entreprise la réfection d’un escalier extérieur.

En arguant l’existence de malfaçons, ce dernier a refusé de régler le solde du marché.

L’assureur de l’entreprise a diligenté une expertise amiable contradictoire au terme de laquelle l’Expert mandaté a conclu à l’absence de malfaçons.

Toutefois, le maître d’ouvrage particulier a souhaité diligenter une nouvelle expertise à laquelle l’entreprise et son assureur ont été convoqués et au terme de laquelle l’Expert a, cette fois-ci, conclu à la nécessité de travaux de reprise.

L’entreprise a déposé une requête aux fins d’ordonnance portant injonction au maitre d’ouvrage particulier de lui régler le solde dû au titre de son marché.

Néanmoins, ce dernier a formé opposition à cette requête et réclamé, à titre reconventionnel, la condamnation de l’entreprise à supporter le coût des travaux de réparation.

Sur la base du rapport d’expertise amiable diligentée à la demande du maître d’ouvrage, le Tribunal a condamné l’entreprise à supporter le coût de ces travaux.

Contestant le fait que les juges ne peuvent se fonder uniquement sur les conclusions d’expertise amiable diligentée par une seule des parties, l’entreprise a formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation censure le jugement au visa des dispositions de l’article 16 du Code de procédure civile qui dispose notamment que « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. […] » et retient que « le tribunal, qui s’est fondé exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties par un technicien de son choix, peu important que la partie adverse y ait été régulièrement appelée, a violé le texte susvisé. […] ».

Par ailleurs, s’agissant de la demande de règlement du solde du marché, la Cour rappelle, au visa des dispositions de l’article 1149 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 Février 2016, que « les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit» et considère que « en indemnisant intégralement M. J… des conséquences des manquements de l’entreprise D… O… à ses obligations tout en le dispensant de payer le solde des travaux exécutés par celle-ci, le tribunal, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé le texte et le principe susvisés ».

Autrement dit, outre la nécessité pour le maître d’ouvrage ou le constructeur de privilégier l’expertise judiciaire pour appuyer ses demandes indemnitaires, cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence classique selon laquelle le principe de réparation intégrale du préjudice subi ne doit pas créer un enrichissement sans cause pas plus qu’une perte pour la victime.

A noter qu’en matière administrative, la position des juges est différente et moins favorable aux maîtres d’ouvrage publics en raison de l’application d’un coefficient de vétusté qui n’est pas sans conséquence sur le montant de l’indemnité allouée.

 

Le Comité européen de la protection des données publie ses lignes directrices sur les cookies

Le 4 mai 2020, le Comité européen de la protection des données (CEPD), l’équivalent de la CNIL européenne, a publié ses lignes directrices sur le recueil du consentement lors de la pose de cookies sur les navigateurs des internautes. Ces lignes directrices s’inscrivent dans le prolongement des travaux que la CNIL a réalisés en la matière.

En effet, la CNIL a mené une concertation pendant l’automne 2019, afin d’élaborer, en concertation avec les entreprises du secteur, un projet de recommandation proposant des modalités opérationnelles de recueil du consentement. Ce projet de recommandation a été soumis à consultation entre janvier et février 2020 avant que la CNIL ne prépare et publie la version finale de la recommandation.

Dans ses lignes directrices, le CEDP rappelle les obligations centrales en matière de consentement sur la pose de cookies.

Le CDPD indique que le consentement ne peut constituer une base légale appropriée que si la personne concernée se voit offrir un véritable choix quant à l’acceptation ou au refus des conditions offertes, et ce sans préjudice sur l’accès au site internet.

Lorsqu’il recueille le consentement de l’internaute, le responsable du traitement a le devoir d’évaluer s’il satisfera toutes les exigences pour obtenir un consentement valable. S’il est obtenu en pleine conformité avec le RGPD, le consentement est un outil qui permet aux personnes concernées de contrôler facilement si les données à caractère personnel les concernant sont ou non traitées. Dans le cas contraire, le contrôle de la personne concernée devient illusoire et le consentement sera une base invalide pour le traitement, rendant l’activité de traitement illégale.

Dans ce cadre, les bandeaux bloquant l’accès de l’internaute au contenu du site tant que celui-ci n’a pas accepté les différents cookies (ou été spécifiquement paramétré dans un espace dédié les traceurs), tels qu’ils sont pensés aujourd’hui, ne sont pas légaux. Le CEPD affirme que « pour que le consentement soit donné librement, l’accès aux services et fonctionnalités ne doit pas être conditionné au consentement de l’utilisateur au dépôt de traceurs, ou à l’accès à des traceurs déjà enregistrés, dans le terminal de l’utilisateur ».

La présence des bandeaux avec la possibilité de cliquer sur « Accepter les cookies » pose problème en ce qu’il ne laisse aucun choix à l’usager, empêchant par là-même le recueil d’un consentement libre.

Ensuite, tout comme la CNIL, le comité européen réaffirme son opposition à ce que toute action de défilement ou poursuite de la navigation puisse être assimilée à un recueil du consentement libre, éclairé, non-équivoque et spécifique. Le CEPD indique qu’il serait alors impossible pour celui-ci de retirer son consentement et donc la collecte pourrait se poursuivre indéfiniment.

Néanmoins, le 12 juin 2020, dans une affaire devant le Conseil d’Etat où des associations professionnelles des médias, de la publicité et du commerce en ligne (le Geste, le Fevad, l’IAB, le Syndicat des régies Internet notamment) s’opposaient à la CNIL et ses lignes directrices, le rapporteur public, Alexandre Lallet, a estimé que la CNIL allait trop loin sur ce point par rapport aux législations européennes et nationales en vigueur. Selon l’article du figaro[1], le rapporteur a rappelé que le RGPD exigeait que le consentement donné par l’internaute à ces fameux cookies soit «libre». Mais il serait «hasardeux» de conclure que les internautes seraient systématiquement «privés de leur liberté» si on leur barrait l’accès à un site internet, a défendu M. Lallet. «Un désagrément» comme la privation d’accès au site n’est pas forcément «un préjudice», selon lui, car l’internaute a le choix de se rendre sur d’autres sites similaires.

Le Conseil d’Etat devrait rendre sa décision définitive avant deux semaines, à moins qu’il n’envoie une question préjudicielle à la Cour européenne de justice.

[1]https://www.lefigaro.fr/flash-eco/cookies-les-editeurs-de-site-soutenus-sur-une-demande-cruciale-20200612

Contrôle du niveau des sanctions disciplinaires : l’échelle des sanctions doit être prise en considération

Par un arrêt du 27 mars 2020, le Conseil d’Etat a récemment rappelé et précisé les modalités selon lesquelles le Juge administratif doit apprécier la proportionnalité des sanctions.

Pour rappel, depuis un arrêt Dahan (CE, 13 novembre 2013, n° 347704, cf. LAJ du mois de janvier 2014), le juge exerce un contrôle normal sur la proportionnalité des sanctions disciplinaires aux fautes commises par les agents publics. Le renforcement du contrôle du Juge sur les sanctions s’est ainsi accompagné d’une difficulté accrue, pour les employeurs publics, à savoir d’évaluer le niveau de sanction approprié, alors que l’appréciation de la gravité d’une faute reste casuistique, voire subjective. Dans ce contexte, les précisions apportées par le Juge sur les méthodes de son contrôle sont donc précieuses.

Dans cette affaire soumise au Conseil d’Etat en cassation, la cour administrative d’appel avait annulé la sanction de révocation prononcée, considérant qu’elle était disproportionnée compte tenu des circonstances atténuantes dont l’agent pouvait se prévaloir.

Le Conseil d’Etat infirme le raisonnement de la cour, considérant que, malgré ces circonstances, « toutes les sanctions moins sévères susceptibles de lui être infligées […] étaient, en raison de leur caractère insuffisant, hors de proportion avec les fautes qu’il avait commises ».

Autrement dit, le Conseil d’Etat n’apprécie pas seulement le niveau de sanction par rapport à sa sévérité intrinsèque, mais aussi par rapport aux autres sanctions existant dans l’échelle définie par le statut. Constatant que toutes les sanctions d’une sévérité plus faibles auraient été hors de proportion avec la gravité de la faute, car trop faibles, il en conclut que l’administration ne pouvait que prononcer la révocation de l’agent.

Il faudra donc garder à l’esprit qu’il faut apprécier la proportionnalité d’une sanction que l’on souhaite infliger à un agent, en prenant en compte les autres niveaux de sanction dans l’échelle.

Ceci précisé, il est intéressant de relever cependant que, dans la présente affaire, une sanction moindre que la révocation aurait été une exclusion temporaire de fonctions de deux ans. Néanmoins, les faits étaient tout aussi notables, étant reproché à l’agent d’avoir eu une relation sexuelle avec une salariée d’Orange, à son domicile, après avoir établi avec elle un dossier concernant la situation personnelle de cette dernière et alors qu’elle était alors en situation de vulnérabilité, se trouvant en attente de reprise d’activité dans le cadre d’un mi-temps thérapeutique.

Licenciement pour insuffisance professionnelle : conséquences des fonctions qui ne correspondent pas au grade

L’insuffisance professionnelle se caractérise par l’inaptitude à exercer les fonctions d’un grade par rapport aux exigences de capacité que l’administration est en droit d’attendre d’un fonctionnaire de ce grade.

Ainsi, à l’occasion de son contrôle d’une décision de licenciement fondée sur une telle insuffisance, le Juge administratif s’assurer que le fonctionnaire n’est effectivement pas en mesure de remplir les missions de son grade dans les conditions selon lesquelles l’administration est raisonnablement en droit de s’attendre.

Par exemple, pour des fonctions de nature essentiellement managériales, des carences en la manière, lorsqu’elles compromettent bon fonctionnement du service, sont de nature à justifier d’une telle décision (CE, 20 mai 2016, Monsieur A. c/ Communauté urbaine de Strasbourg, req. n° 387105).

Déjà, en matière de licenciement pour insuffisance professionnelle de stagiaires, il a été jugé qu’évidemment lorsque les missions confiées avaient vocation à être exercées par un agent relevant de la catégorie hiérarchique supérieure il ne pouvait être reproché au stagiaire une telle insuffisance (CAA Nantes, 10 janvier 2019, Madame A. c/ Commune de Saint-Pair-sur-Mer, req. n° 17NT03424).

Tel est aussi le cas pour le fonctionnaire titulaire que l’administration entend licencier, ce que le Conseil d’Etat vient de rappeler dans un arrêt du 9 juin en confirmant l’annulation d’un licenciement prononcé par la Commune d’Ouveillan d’un agent qui, d’abord contractuel, avait été stagiairisé et titularisé dans le cadre d’emploi des adjoints administratifs.

Précisément, après avoir relevé que les fonctions de secrétaire de mairie qu’occupait l’agent n’étaient pas au nombre de celles correspondant à son grade d’adjoint administratif territorial de seconde classe, le Conseil confirme que le licenciement pour insuffisance professionnelle contesté ne pouvait être fondé sur les manquements qui lui avaient été reprochés dans l’exercice de ces fonctions, et ce alors même que ces manquements auraient porté sur des tâches administratives d’exécution au sens des dispositions de l’article 3 du décret du 22 décembre 2006 portant statut des adjoints administratifs territoriaux.

C’est ainsi que, préalablement à une telle décision, l’administration doit nécessairement veiller à l’adéquation des fonctions de l’agent avec son grade.

L’accident d’un agent lors d’une fête du personnel organisée par la collectivité constitue-t-il un accident de service ?

Un agent avait subi un accident lors d’une fête du personnel organisé par la Commune. Après avis favorable de la Commission de réforme et de la Commission départementale de réforme, l’autorité territoriale a néanmoins refusé de reconnaître cet accident comme imputable au service. Le Tribunal administratif de Toulouse saisi de conclusions en ce sens par l’agent avait alors annulé cette décision et la Commune interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux.

Dans un arrêt du 11 mai 2020, la Cour revient sur la notion d’activité qui constitue le prolongement du service.

L’article 21 bis de la loi n° 83-64 du 13 juillet 1983 prévoit pour mémoire une présomption d’imputabilité au service de tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion du service ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal.

Le juge administratif a ainsi considéré comme une activité constituant le prolongement du service des activités sportives organisées par la collectivité. Notamment, a été reconnu comme imputable au service l’accident d’un agent lors d’un entrainement de l’équipe de football de la commune pendant son temps de travail et sur instruction de son supérieur hiérarchique (CE, 29 décembre 1995, n° 120960) ou celui d’un agent à l’occasion d’une marche de cohésion organisée par la hiérarchie pendant le temps de service et avec les moyens du service (CAA Lyon, 13 janvier 2004, n° 00LY00264).

Le juge examine à cette occasion si l’accident a eu lieu pendant les heures de travail ou de service, avec les moyens du service et surtout si l’agent a reçu pendant l’activité des instructions de sa hiérarchie.

En l’espèce, la Cour, en appliquant ces critères, a relevé que la fête du personnel s’était déroulée en dehors du lieu de travail et des heures de service. Elle constate dans son arrêt que la participation à cette fête était facultative, que l’ensemble des membres de la direction n’ont pas assisté à cette fête et qu’aucune représailles n’a été faite en cas de non-participation. Par ailleurs, la Cour indique que l’agent a participé à cette fête en tant qu’invité et non comme organisateur ou pour y exercer ses fonctions de conseillers en prévention, de sorte qu’elle ne pouvait être regardée comme étant une activité s’inscrivant dans la continuité de l’exécution de ses fonctions ni comme étant le corollaire de ses obligations de service.

Par conséquent, selon la Cour, c’est à bon droit que l’administration a refusé de reconnaître l’imputabilité au service de l’accident.

Précisions sur les mentions substantielles d’un avis d’attribution et le point de départ du délai de recours en contestation de validité d’un contrat

Par un arrêt en date du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur le formalisme des avis d’attribution permettant le déclenchement du délai de recours contentieux du recours en contestation de validité d’un contrat administratif appelé aussi le recours « Tarn-et-Garonne[1] ».

En l’espèce, le Centre Hospitalier d’Avignon avait lancé une consultation en vue de l’attribution de quatre lots destinés à couvrir ses besoins en matière d’assurance pour une durée de cinq ans. Sur l’un des lots, un candidat évincé a contesté la validité du marché public conclu par le Centre hospitalier d’Avignon et a demandé la condamnation de l’établissement public de santé à lui verser la somme de 273.750 euros en réparation des préjudices résultant de son éviction irrégulière.

Pour soutenir la recevabilité de son recours, le candidat évincé a fait valoir que les avis d’attribution du marché litigieux, publiés au JOUE et au BOAMP étaient irréguliers au motif qu’ils ne mentionnaient pas la date de la conclusion du contrat, et que par conséquent son recours devait être considéré comme recevable.

Il s’agissait donc pour le Conseil d’Etat de répondre à la question de savoir si la date de conclusion d’un contrat sur un avis d’attribution, constitue ou non une mention substantielle dont le défaut d’indication dans l’avis, fait obstacle au déclenchement du délai de recours contentieux de 2 mois.

La Haute juridiction a répondu par la négative en considérant que la circonstance que l’avis d’attribution ne mentionnait pas la date de la conclusion du contrat est sans incidence sur le point de départ du délai de recours contentieux. En outre, le juge administratif a précisé que l’avis d’attribution est réputé conforme, si cet avis comporte l’information de la conclusion du contrat ainsi que les modalités de la consultation dans le respect des secrets protégés par la loi.

Ainsi, la solution retenue par le juge constitue une précision intéressante sur la notion de « mesure de publicité appropriée », reprise par la jurisprudence « Tarn-et-Garonne », et les modalités de déclenchement du délai de recours de deux mois contre un contrat administratif.

[1] CE, Ass, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994

Publication de deux notes de la DGCL relative à la gouvernance des EPCI et des syndicats durant l’état d’urgence sanitaire

Cette note, qui rappelle préalablement les règles générales applicables entre la prise de fonction des conseillers communautaires élus au premier tour et le renouvellement complet du conseil à l’issue du deuxième tour du scrutin, apporte également quelques indications utiles s’agissant de l’exécutif de l’EPCI durant cette même période.

La note expose ainsi notamment – conformément à l’ordonnance n° 2020-562 du 13 mai 2020 – que le maintien des fonctions exécutives (c’est-à-dire même s’il est mis fin au mandat de conseiller communautaire) concerne les présidents, les vice-présidents mais aussi les autres membres du bureau.

Elle précise, à cet égard, que les membres de l’exécutif ayant perdu leur mandat de conseiller communautaire, s’ils conservent la plénitude de leurs attributions exécutives (c’est-à-dire au-delà des affaires courantes) et participent aux réunions de l’organe délibérant (présidence, présentation des rapports, participation aux débats), ne peuvent pas prendre part au vote.

 

Dans une note du 22 mai dernier, actualisée le 26 mai, relative à la gouvernance des syndicats durant l’état d’urgence sanitaire, la DGCL a donné son interprétation de l’article 19, X de loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Cette note rappelle d’abord que ces dispositions prévoient que les mandats des délégués syndicaux sont prorogés jusqu’à la désignation de leurs remplaçants, ce qui vaut aussi pour les exécutifs du syndicat, qui restent en place jusqu’à l’installation du nouveau comité syndical ; toutefois si le président perd son mandat de délégué syndical dans l’intervalle, il doit être réélu.

Cette prorogation peut courir, précise la DGCL, jusqu’à l’installation de l’organe délibérant du syndicat, sauf délibération contraire de l’organe délibérant.

Ainsi, s’agissant des syndicats de communes ou des syndicats mixtes fermés, les mandats peuvent être prorogés jusqu’à l’installation du comité syndical suivant le renouvellement général, qui a lieu – selon que le syndicat comprend ou non des communes dont le conseil municipal n’a pas été entièrement renouvelé au premier tour – soit à l’issue du premier tour, soit à l’issue du second tour (au plus tard le vendredi de la quatrième semaine suivant l’élection de l’ensemble des maires pour les syndicats de communes ou suivant l’élection de l’ensemble des présidents d’EPCI pour les syndicats mixtes fermés en application de l’article L. 5211-8 du CGCT).

Toutefois, les communes et EPCI à FP membres des syndicats gardent la possibilité, à tout moment, de modifier la désignation de leurs délégués dans les conditions de droit commun avant la date de la séance d’installation.

S’agissant des syndicats mixtes ouverts, cette fiche rappelle notamment que la prorogation des mandats des délégués syndicaux vaut également, sauf délibération contraire de l’organe délibérant, jusqu’à l’installation du comité syndical, étant rappelé que les SMO ne sont pas concernés, sauf disposition expresse dans leurs statuts, par l’obligation de fixer leur réunion d’installation à une date déterminée, l’article L. 5211-8 précité ne leur étant pas applicable.

Il convient toutefois de noter que la notion même de séance d’installation peut interroger s’agissant d’un syndicat mixte ouvert, qui comporte le plus souvent des membres qui ne sont pas impactés par le renouvellement des conseils municipaux, de sorte qu’il ne s’agit que d’un renouvellement partiel du comité syndical.

La note rappelle, enfin, les modalités de droit commun de désignation des délégués communaux et intercommunaux dans les syndicats de communes, les syndicats mixtes fermés et les syndicats mixtes ouverts – notamment modifiées par les lois n° 2015-991 (NOTRe) et n° 2019-1461 (« engagement et proximité ») – et le régime des indemnités dans les syndicats.

Protection de la biodiversité: le Conseil d’état précise sa jurisprudence sur la notion de raison impérative d’intérêt public majeur et confirme l’absence de juridicité des ZNIEFF

CE, 3 juin 2020, Commune de Piana, n° 422182

 

Par deux décisions en date du 3 juin 2020[1], le Conseil d’Etat est venu, tout à la fois, étoffer sa jurisprudence sur la notion de « raison impérative d’intérêt public majeur », l’un des motifs qui permet le jeu des dispositions dérogatoires au principe de protection des espèces protégées et d’interdiction de toute destruction desdites espèces ou de leurs habitats (article L. 411-1 du Code de l’environnement) et apporter des précisions supplémentaires sur ces outils de connaissance de la biodiversité que constituent les inventaires ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) réalisés sous l’égide du ministère de l’environnement et du Muséum national d’histoire naturelle.

 

I – Sur la notion de raison impérative d’intérêt public majeur et l’apport de la décision Société Provençale

 

En admettant, pour la première fois, que l’exploitation d’une carrière puisse répondre à une « raison impérative d’intérêt public majeur », le Conseil d’Etat semble élargir la catégorie des projets pouvant prétendre à une éventuelle dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.

Toutefois, il est délicat, à partir de cette décision, d’anticiper un éventuel assouplissement de la juridiction administrative sur les motifs énumérés à l’article L. 411-2 du Code de l’environnement permettant de justifier d’une autorisation de dérogation, tant le Conseil d’Etat a pris soin de sérier, en l’espèce, l’enjeu européen attaché à ce projet de réouverture d’une carrière de marbre blanc dans les Pyrénées-Orientales.

En la matière, la police de protection des espèces et des habitats menacés repose sur une interdiction de principe énoncée à l’article L. 411-1 du Code de l’environnement, laquelle prohibe toute destruction d’espèces protégées et de leurs habitats, ainsi que tout acte de perturbation du cycle de vie de ces espèces.

Cette disposition générale d’interdiction fait l’objet de tempéraments précisément énoncés à l’article L. 411-2 du même Code puisque des autorisations portant dérogation à l’interdiction de destruction peuvent être accordées sous réserve de la réunion de trois conditions, tout à la fois distinctes et cumulatives :

  • le projet ne peut être autorisé qu’en l’absence de solution alternative satisfaisante ;
  • le projet ne doit pas nuire au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
  • le projet doit justifier d’un des cas dans lesquels une dérogation peut être octroyée.

Et au titre du c) du 4° de l’article L. 411-2, un projet peut ainsi prétendre à la délivrance d’une dérogation à la condition de démontrer qu’il relève d’une raison impérative d’intérêt public majeur, tenant à l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques mais également à une raison impérative de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques pour l’environnement.

La notion de raison impérieuse d’intérêt général n’est définie ni par les textes, communautaires comme nationaux, ni par les juges même si la Cour de justice de l’Union Européenne en a dressé, par sa jurisprudence, quelques lignes de force en jugeant qu’un intérêt ne peut être majeur que lorsqu’il est « d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune, y compris de l’avifaune, et de la flore sauvages poursuivi par cette directive »[2].

Le Conseil d’Etat, par des décisions commentées, en avaient également fixé le cadre d’analyse applicable[3] et l’approche adoptée ici s’inscrit dans cette ligne jurisprudentielle.

Dans un premier temps de son raisonnement, la Haute Juridiction procède à une mise en balance entre l’intérêt du projet en litige et l’objectif de protection poursuivi :

« 9. Il résulte du point précédent que l’intérêt de nature à justifier, au sens du c) du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, la réalisation d’un projet doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation, justifiant ainsi qu’il y soit dérogé. Ce n’est qu’en présence d’un tel intérêt que les atteintes portées par le projet en cause aux espèces protégées sont prises en considération, en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, afin de vérifier s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et si la dérogation demandée ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».

Ce n’est qu’après la caractérisation de l’existence d’un intérêt public majeur que le juge vérifie également la réunion des autres conditions posées par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, à savoir l’absence d’alternative satisfaisante et l’absence de nuisance au maintien des espèces dans un état de conservation favorable.

Le second temps du raisonnement est plus intéressant et c’est sur l’appréciation faite, en l’espèce, de la raison impérative d’intérêt public majeur que la décision rendue retient l’attention en désavouant à la fois l’analyse faite par les juges du fond et en s’écartant des conclusions de son rapporteur public.

Tout en validant la méthode d’appréciation retenue par la Cour administrative d’appel de Marseille, le Conseil d’Etat n’en a pas moins fait une lecture très différente relativement à l’importance de projet de réouverture de la carrière.

Alors que les juges d’appel avaient retenu, suivis en cette appréciation par le rapporteur public, que le projet de réouverture de la carrière ne justifiait pas d’un caractère exceptionnel en dépit des besoins éventuellement à satisfaire au niveau européen :

« Afin de justifier l’intérêt public majeur du projet, le ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer fait valoir que l’exploitation de la carrière de Nau‑Bouques devrait permettre le maintien de plus de quatre‑vingt emplois directs dans un département dont le taux de chômage, d’environ 15 %, est supérieur à la moyenne nationale de 10,4 % ainsi que la création d’emplois indirects, notamment dus à la sous‑traitance et l’activité économique générée dans le département des Pyrénées‑Orientales par l’exploitation de la carrière. Il fait également valoir que ce projet s’inscrit dans les principales préoccupations des politiques économiques menées à l’échelle de l’Union Européenne qui visent à favoriser l’approvisionnement durable de secteurs d’industrie en matières premières en provenance de sources européennes. Au regard de ces considérations économiques et sociales, l’exploitation de la carrière de Nau Bouques présente un caractère d’intérêt général incontestable. Néanmoins, les créations d’emplois envisagées dans ce contexte de difficulté économique au niveau départemental et les besoins industriels à satisfaire en marbre blanc à partir de ce gisement à une échelle nationale voir même européenne comme il est prétendu mais dont les pièces du dossier ne démontrent pas le caractère indispensable, ne présentent pas un caractère exceptionnel ».[4]

 

En première instance, le Tribunal administratif de Montpellier avait estimé, au regard des pièces produites, que l’intérêt économique d’une réouverture ne constituait pas, eu égard à la portée très locale des intérêts économiques en cause, une raison impérative d’intérêt public majeur :

« Considérant, d’autre part, que l’arrêté contesté est fondé sur le motif que l’exploitation de la carrière Nau Bouques à Vingrau et Tautavel présente des raisons impératives d’intérêt public majeur, de nature économique et sociale, grâce à l’activité économique qu’elle génère, mobilisant plus de 80 emplois directs dans le département ; qu’en défense la préfète des Pyrénées-Orientales et la société Provençale SA font en outre valoir l’importance du taux de chômage dans le département, ainsi que l’importance des répercussions en terme de richesses et d’emplois indirects de l’activité de la société ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’importante activité dans les Pyrénées-Orientales de la société Provençale SA, qui exploite des carrières et des usines de transformation sur deux autres sites en France et un dans le sud de l’Espagne, présente, sur les  plans économique et social, un intérêt général incontestable ; que toutefois, en admettant même que l’exploitation envisagée de la carrière de Nau Bouques, pour un  volume annuel de 145 000 tonnes, serait indispensable à la pérennisation des 87 emplois directs de la société sur le site et des emplois indirects invoqués, le seul projet de création d’une carrière par cette société, nonobstant son intérêt économique, ne saurait, par ses caractéristiques et sa nature, eu égard notamment à la portée très locale de l’intérêt économique avancé, être regardé comme constituant une raison impérative  d’intérêt public majeur au sens des dispositions analysées ci-dessus ; que la circonstance que le projet d’exploitation serait conforme aux dispositions du schéma départemental des carrières ne permet pas davantage d’assurer le respect de cette condition ; que le motif retenu, relatif à la raison impérative d’intérêt public majeur, ne pouvait donc légalement fonder la décision contestée ».[5]

 

Le Conseil d’Etat a contrairement jugé, sur la base toutefois d’une argumentation du ministère qui s’était enrichie au fil des instances, que l’intérêt public majeur du projet était démontré par le caractère européen du projet, l’absence d’autre gisement de marbre blanc disponible en Europe et la contribution à l’émergence d’une filière industrielle française :

« 9. […] Cependant, outre le fait que, comme l’a relevé la cour, l’exploitation de la carrière de Nau‑Bouques devrait permettre la création de plus de quatre‑vingts emplois directs dans un département dont le taux de chômage dépasse de près de 50 % la moyenne nationale, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le projet de réouverture de la carrière de Nau Bouques s’inscrit dans le cadre des politiques économiques menées à l’échelle de l’Union Européenne qui visent à favoriser l’approvisionnement durable de secteurs d’industrie en matières premières en provenance de sources européennes, qu’il n’existe pas en Europe un autre gisement disponible de marbre blanc de qualité comparable et en quantité suffisante que celui de la carrière de Nau Bouques pour répondre à la demande industrielle et que ce projet contribue à l’existence d’une filière française de transformation du carbonate de calcium. Par suite, eu égard à la nature du projet et aux intérêts économiques et sociaux qu’il présente, la cour a commis une erreur de qualification juridique en estimant qu’il ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens du c) du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ».

 

Sur la caractérisation de la raison impérative d’intérêt majeur et de l’importance d’un projet pour un territoire ou un Etat en termes d’emploi ou de répercussions économiques, la décision s’inscrit dans des précédents européens et notamment ceux cités par le rapporteur public sous la décision, lesquels ont permis de caractériser un tel intérêt public majeur dans la poursuite d’un projet européen stratégique[6], dans la mise en œuvre d’un plan-cadre visant à éviter la fermeture de charbonnage et la perte de 10 000 emplois[7] ou encore dans le développement d’axes de transport majeurs à l’échelle des territoires[8].

En présence d’intérêts stratégiques en termes d’industrialisation, de contribution à l’émergence d’une filière industrielle nationale ou européenne, il apparaît, par principe, que de tels enjeux sont susceptibles de caractériser une raison impérative d’intérêt public majeur.

A la lecture des conclusions, on peut s’interroger sur la caractérisation de ce motif de dérogation pour une carrière dont la réouverture ne permettait pas forcément d’identifier un effet économique majeur en termes de créations d’emploi sur le territoire local concerné (et dont quelques doutes avaient été exprimés sur la quantification exacte), et dont la spécificité industrielle n’était visiblement pas apparue très manifeste aux juges du fond et au rapporteur public en cette affaire.

La raison impérative reconnue ne suffit cependant pas pour que la dérogation puisse être validée par le juge, la Cour administrative d’appel de Marseille sera appelée à se prononcer sur l’ensemble des conditions permettant de déroger à la protection des 28 espèces de faune et de flore identifiées sur le site à exploiter.

 

II – Sur l’absence d’effet juridique d’une décision portant délimitation d’un périmètre de ZNIEFF

 

Dans cette seconde espèce, se posait la question de savoir si le refus de l’autorité administrative de modifier le périmètre d’une ZNIEFF constituait ou pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

La question juridique du pourvoi n’est pas anodine puisqu’elle avait donné lieu à des réponses contradictoires du Tribunal administratif de Bastia et de la Cour administrative d’appel de Marseille.

En effet, devant le Tribunal administratif de Bastia, la commune de Piana avait sollicité l’annulation pour excès de pouvoir d’une décision du Préfet de la Corse-du-Sud qui avait rejeté sa demande tendant à ce que soit réduit le périmètre de la ZNIEFF du « Capo Rosso, côte rocheuse et îlots », ainsi que la décision implicite de rejet opposée par le ministre de l’environnement.

La commune estimait qu’une surface d’environ treize hectares ne présentait pas de caractéristiques écologiques justifiant que ces espaces soient inclus dans cette ZNIEFF.

On rappellera que les ZNIEFF sont nées en 1982 de la volonté du ministère de l’environnement de recenser au sein d’un programme national le patrimoine naturel.

Instrument de travail collaboratif entre le ministère et le Muséum national d’histoire naturelle, la ZNIEFF ne trouve son assise législative qu’en 1993 avec l’article 23 de la loi du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages puis avec la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité qui codifie l’Inventaire national du patrimoine naturel à l’article L. 411-5 du Code de l’environnement, aujourd’hui L. 411-1 A dudit Code.

L’objectif poursuivi par les inventaires ZNIEFF est de dresser une photographie de la biodiversité et des secteurs de grand intérêt écologique sur le territoire national en distinguant des espaces écologiquement homogènes constituant des zones remarquables du territoire (ZNIEFF de type I) et des espaces qui intègrent des ensembles naturels fonctionnels et paysagers (ZNIEFF de type II).

Les ZNIEFF sont ainsi des données brutes de la richesse écologique, collectées principalement au plus près des territoires par les personnes publiques et par les réseaux associatifs de protection de la nature. Ces données étant, par la suite, retraitées et corrélées par les services de l’Etat et les autorités scientifiques (conseil scientifique régional du patrimoine naturel et Muséum national d’histoire naturelle) pour validation.

Ce n’est qu’au terme de cette validation définitive par le MNHN (Muséum national d’histoire naturelle) que l’inscription d’un espace naturel en ZNIEFF se matérialise par une publication à l’inventaire des ZNIEFF sur le site de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN).

En l’espèce, et au sujet de la ZNIEFF de type I du Capo Rosso, la commune de Piana avait sollicité les services préfectoraux et obtenu, dans un premier temps, la réduction du périmètre de la zone naturelle avant que celle-ci ne retrouve sa configuration initiale sur le site de l’INPN et que le Préfet de la Corse-du-Sud confirme à la commune le rejet de sa demande.

Devant le Tribunal administratif de Bastia et par un jugement n° 1500511 du 9 février 2017, la commune avait obtenu satisfaction puisque les premiers juges saisis avaient considéré « qu’en application des dispositions combinées du code de l’urbanisme et du schéma d’aménagement de la Corse, la présence d’une ZNIEFF de type I emportait présomption du caractère remarquable des espaces demeurés naturels couvert par ladite zone ; qu’il résultait ainsi de ces dispositions que le classement de parcelles en ZNIEFF de type I comportait des effets au titre du droit de l’urbanisme pour les communes concernées » et de conclure que le refus de déclassement de certaines parcelles à l’intérieur de ce périmètre constituait un acte susceptible de recours.

Amenée à se positionner sur l’appel formé par le ministère de l’environnement, la Cour administrative d’appel de Marseille, dans un arrêt n° 17MA01513 du 11 mai 2018, annulait le jugement rendu par le tribunal administratif de Bastia et retenait l’absence d’effet juridique des ZNIEFF sur les territoires délimités et le caractère non décisoire et ainsi insusceptible de recours de la décision portant refus de procéder au déclassement sollicité.

« Il résulte des dispositions de l’article L. 411‑5 du code de l’environnement que les zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) constituent un outil d’inventaire scientifique du patrimoine naturel conduit sous la responsabilité scientifique du muséum national d’histoire naturelle. Cet inventaire comporte, notamment, des zones naturelles d’intérêt écologique, floristique et faunistique de type I, qui comprennent des secteurs de superficie généralement limitée, défini par la présence d’espèces, d’associations d’espèces ou de milieux rares, caractéristiques du patrimoine naturel national ou régional. Un tel inventaire, s’il est un élément d’expertise qui signale la présence d’habitats naturels et d’espèces remarquables ou protégées par la loi, n’emporte par lui‑même aucun effet juridique ni sur le territoire ainsi délimité, ni sur les activités humaines qui s’y exercent.

Si les auteurs du schéma d’aménagement de la Corse ont entendu instituer des mesures de protection des espaces naturels en s’inspirant des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique délimitées par les services du ministère de l’environnement, ils ne se sont pas estimés liés par ces délimitations, dont ils se sont d’ailleurs écartés dans certains cas. Les ZNIEFF n’ayant ainsi servi que de simple référence, la modification du périmètre d’une de ces zones, postérieurement à l’approbation du schéma d’aménagement de la Corse, ne saurait avoir pour objet ou pour effet de modifier corrélativement, selon un régime que ni la loi ni le schéma lui‑même n’ont d’ailleurs prévu, les prescriptions de ce document de planification tel qu’il a été approuvé par décret en Conseil d’Etat. Il s’ensuit que le refus de modifier le périmètre de la ZNIEFF de « Capo Rosso » n’emporte par lui‑même aucun effet juridique. Ainsi, un tel refus ne constitue pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Il résulte de ce qui précède que la demande d’annulation dont la commune de Piana a saisi le tribunal était irrecevable. La ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat est, par suite, fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a fait droit à cette demande et à demander l’annulation du jugement attaqué ».

 

Par sa décision en date du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat confirme la lecture faite par les juges d’appel par un considérant n° 3 lequel rappelle que :

« Les inventaires des richesses écologiques, faunistiques et floristiques réalisés par zone sous la responsabilité scientifique du Museum national d’histoire naturelle, sous l’appellation de zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), constituent un outil d’inventaire scientifique du patrimoine naturel permettant d’apprécier l’intérêt environnemental d’un secteur pour l’application de législations environnementales et urbanistiques mais sont, par eux-mêmes, dépourvus de portée juridique et d’effets. Par suite, si les données portées à l’inventaire que constitue une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique sont susceptibles d’être contestées à l’occasion du recours formé contre une décision prise au titre de ces législations, la constitution d’un inventaire en une zone n’est pas un acte faisant grief. Il en est de même, par voie de conséquence, du refus de modifier les ZNIEFF existantes. Par suite, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le refus de modifier les limites de la zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique « Capo Rosso, côte rocheuse et îlots » ne fait pas grief. Il en résulte que le pourvoi doit être rejeté ».

 

Cette solution n’est en soi pas nouvelle et elle est en cohérence avec la logique de l’article L. 411-1-A du Code de l’environnement lequel ne contient aucune disposition conférant une juridicité à l’outil ZNIEFF et le fait que cet outil institue un zonage ne suffit donc pas à conférer aux espaces ainsi délimités une quelconque protection juridique comme le mentionnait le rapporteur public dans ses conclusions sous cette affaire.

Outil de connaissance scientifique et non juridique, tel était déjà le sens de la jurisprudence du Conseil d’Etat lorsque la Haute juridiction ne voyait dans les ZNIEFF que des indices permettant d’identifier une Zone Spéciale de Conservation[9], un espace naturel remarquable au sens de la loi Littoral[10] mais non un outil à portée réglementaire[11].

Plus intéressante est l’argumentation de la commune qui faisait ainsi valoir que si la ZNIEFF n’avait pas d’effet juridique direct, une telle délimitation n’en produisait pas moins des effets notables, lesquels pouvaient se traduire de facto, sur un plan urbanistique, par des inconstructibilités.

Se posait ainsi la question de savoir si des orientations ou des prises de position d’autorités administratives, lorsqu’elles seraient de nature à produire des effets notables ou à exercer une influence sur les comportements, seraient susceptibles de recours pour excès de pouvoir[12].

Suivant en tous points les conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’Etat a ici rappelé que la ZNIEFF constitue un outil de connaissance scientifique et non une prise de position d’une autorité administrative sur la nécessité d’une protection des espaces. Le juge administratif décorrèle ainsi la procédure d’identification de ces espaces de la question des procédures de protection de ces mêmes milieux.

Si les données qui alimentent ces zonages et l’existence d’une ZNIEFF sur des espaces peuvent être pris en compte pour l’élaboration d’autres actes qui peuvent être susceptibles de recours, cette « justiciabilité », pour reprendre les termes du rapporteur public, « ne se transmet pas, par capillarité, à l’acte de création ou de modification de la ZNIEFF  »[13].

Pour autant, la solution ainsi dégagée pour les ZNIEFF laisse entière la question de la portée juridique des autres inventaires naturels pouvant relever de différentes réglementations et pour lesquels le positionnement de la juridiction administrative pourrait être différent notamment pour les sites Natura 2000.

Gaëlle Paulic, Seban Atlantique

[1] Conseil d’Etat, 3 juin 2020, Ministre de la Transition écologique et solidaire- Société Provençale, n° 425395, 425399,425425 et Conseil d’Etat, 3 juin 2020, Commune de Piana, n° 422182

[2] CJUE, Grande Chambre, 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie ASBL, Affaire C-411/17

[3] A propos du projet de centre commercial Val Tolosa, voir CE,25 mai 2018, Société PCE et autre, n° 413267 et CE, 24 juillet 2019, Société PCE et autre, n° 414353

[4] CAA Marseille, 14 septembre 2018, Société Provençale SA, n° 16MA02625 et n° 16MA02626

[5] TA Montpellier, 3 mai 2016, Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales et M. C, n° 1502035

[6] Avis de la Commission Européenne du 19 avril 2000 sur l’extension d’un site de l’entreprise Daimler Chrysler Aerospace

[7] Avis de la Commission Européenne du 24 avril 2003 sur le plan-cadre d’exploitation du charbonnage Prosper Haniel pour la période 2001-2019

[8] Avis de la Commission Européenne du 19 novembre 2019 sur l’aménagement du Danube comme voie navigable entre Straubing et Vilshofen

[9] CE, 16 janvier 2008, Ministre d’Etat, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables c/ Association Manche Nature, n° 292489

[10] CE, 3 septembre 2009, Commune de Canet-en-Roussillon et Seran, n° 306298 et 306468

[11] CE, 22 mai 2012, Association de défense des propriétaires privés fonciers et autres et Association des habitants de Pibrac et des communes voisines pour la sauvegarde de l’environnement, n° 333654 et 334103

[12] En ce sens, voir CE, Ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta International GMBH et autres, n° 368082 et CE, CE, Ass., 19 juillet 2019, Mme Le Pen, n° 426389

[13] Conclusions de Monsieur Olivier Fuchs sous ladite décision

Le Conseil d’Etat interdit le dispositif de surveillance par drone à Paris

Les associations La Quadrature du Net et La Ligue des droits de l’Homme ont déposé un référé liberté le 2 mai 2020 devant le Tribunal administratif de Paris. Elles demandaient la suppression immédiate du dispositif mis en œuvre par la préfecture de police de Paris depuis le 18 mars 2020 visant à « capturer des images par drones puis à les exploiter afin de faire respecter les mesures de confinement ». Elles exigeaient également la destruction des images déjà captées sous astreinte de 1024 euros par jour de retard.

Elles soutenaient que « l’atteinte ainsi portée à ces libertés est grave car les drones permettent de surveiller de très larges zones, les données peuvent être partagées entre les divers services de l’Etat, les drones sont plus mobiles que les caméras fixes de vidéosurveillance et leur utilisation n’est pas réglementée comme celles-ci, enfin l’utilisation des drones hors de tout cadre juridique renforce le sentiment de surveillance généralisée ressenti par les personnes concernées qui sont susceptibles d’altérer leur comportement et notamment de se retreindre dans l’exercice de leur liberté d’aller et de venir ».

Le juge des référés a rejeté la requête des deux associations au motif que les images captées sont prises en utilisant un grand angle et qu’elles ne permettent pas l’indentification des individus. Le juge reconnait que les drones, lorsqu’ils sont utilisés dans un cadre judiciaire, pourraient permettre une telle identification mais en l’espèce, la preuve n’en a pas été rapportée par les deux associations.

Suite à l’appel des deux associations, et par une décision du 18 mai 2020, le Conseil d’Etat est venu interdire la surveillance par drones.

S’agissant de l’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées, le Conseil d’Etat indique :

« En premier lieu, la finalité poursuivie par le dispositif litigieux, qui est, en particulier dans les circonstances actuelles, nécessaire pour la sécurité publique, est légitime » ;

« En deuxième lieu, il est constant qu’un usage du dispositif de surveillance par drone effectué conformément à la doctrine d’emploi fixée par la note du 14 mai 2020 n’est pas de nature à porter, par lui-même, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ».

 

Toutefois, le Conseil d’Etat va rappeler que la surveillance par drone relève de la directive police/justice et de la loi du 6 janvier 1978, correspond bien à une activité de traitement et que les données susceptibles d’être collectées sont des données à caractère personnel.

Comme le rappelle le Conseil d’Etat, l’article 31 de la loi de 1978 impose une autorisation par arrêté du ou des ministres compétents ou par décret, selon les cas, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Or, dans le cadre de la surveillance par drones, la CNIL n’avait pas été saisie.

Le Conseil d’Etat indique :

« Compte tenu des risques d’un usage contraire aux règles de protection des données personnelles qu’elle comporte, la mise en œuvre, pour le compte de l’Etat, de ce traitement de données à caractère personnel sans l’intervention préalable d’un texte réglementaire en autorisant la création et en fixant les modalités d’utilisation devant obligatoirement être respectées ainsi que les garanties dont il doit être entouré caractérise une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée ».

Aussi, la surveillance par drone est interdite tant que n’a pas été mis en œuvre :

  • soit un texte réglementaire, pris après avis de la CNIL, autorisant la création de ce traitement de données à caractère personnel ;
  • soit la transformation des appareils utilisés par la préfecture de police avec des dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l’identification des personnes filmées.

Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) – Un possible cumul des poursuites pénales et des sanctions en cas de gestion de fait

Par décision du 7 mai 2020, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité aux droits et libertés constitutionnels, de l’article L.131-11 du Code des juridictions financières (CJF) qui prévoit que « les comptables de fait peuvent, dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet pour les mêmes opérations des poursuites prévues à l’article 433-12 du code pénal, être condamnés à l’amende par la Cour des comptes en raison de leur immixtion dans les fonctions de comptable public ».

Ces dispositions n’excluent donc le prononcé d’une amende pour gestion de fait par le juge financier, que dans le cas où le comptable de fait est poursuivi pour les mêmes opérations sur le fondement de l’article 433-12 du Code pénal qui, pour mémoire, sanctionne l’immixtion dans l’exercice d’une fonction publique.

En l’espèce, le Président et le Directeur d’un Office de tourisme ont fait l’objet, d’une part, de poursuites pénales des chefs d’abus de confiance, d’abus de biens sociaux, de corruption passive et de concussion, et, d’autre part, d’une procédure pour gestion de fait devant la Chambre régionale des comptes (CRC).

Par arrêt du 14 novembre 2019, la Cour des comptes – saisi de l’appel du jugement de la CRC – a transmis au Conseil d’Etat deux questions prioritaires de constitutionnalité, portant sur la constitutionnalité de l’article L. 131-11 du Code des juridictions financières au regard des dispositions de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 relatif au principe de nécessité des délits et des peines.

Les requérants soutenaient que le cumul de poursuites devant le Tribunal correctionnel et devant la Chambre régionale des comptes, fondées sur les mêmes faits et protégeant, selon eux, les mêmes intérêts sociaux, était contraire au principe de nécessité des délits et des peines.

Le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas suivi cette position, rappelant que ce principe constitutionnel ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente, en application de règles distinctes, précisant que « la seule circonstance que plusieurs incriminations soient susceptibles de réprimer un même comportement ne peut caractériser une identité de faits que si ces derniers sont qualifiés de manière identique ».

Les infractions d’abus de confiance, de concussion ou encore de corruption – pour lesquels les requérants avaient notamment été poursuivis et condamnés par la juridiction pénale – ne réprimant pas, selon le Conseil constitutionnel, des faits identiques – même s’il s’agit d’un même comportement -, ils peuvent se cumuler avec l’amende prévue par le Code des juridictions financières, sans méconnaitre le principe de nécessité des délits et des peines.

COVID 19 – Validation par le Conseil constitutionnel des dispositions sur la responsabilité pénale des décideurs, issues de la loi sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire

Dans nos dernières colonnes, nous avions évoqué les discussions parlementaires dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire.

Pour mémoire, les Sénateurs avaient proposé de limiter le champ d’application des dispositions relatives à l’engagement de la responsabilité pénale des décideurs publics – et privés – dans le cadre de la crise sanitaire, en ne sanctionnant que les comportements fautifs les plus graves, savoir les comportements intentionnels, les fautes de négligence ou d’imprudence commises dans l’exercice des pouvoirs de police administrative dans le cadre de la crise sanitaire, et les cas de violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence prévue par un texte à caractère législatif ou réglementaire.

Cette proposition n’avait pas été retenue par l’Assemblée nationale ; la Commission mixte paritaire était intervenue pour trancher cette divergence, par l’insertion d’une disposition L. 3136-2 dans le Code de la santé publique qui précise :

« L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».

Dans le cadre de l’examen de constitutionnalité de cette loi à l’initiative notamment de l’exécutif et du Président du Sénat, le Conseil constitutionnel devait analyser la conformité de cette disposition au principe constitutionnel d’égalité devant la loi pénale, certains requérants estimant que les dispositions susvisées méconnaîtraient ce principe « dès lors qu’elles pourraient avoir pour effet d’exonérer certains « décideurs » de toute responsabilité pénale » et seraient entachées d’incompétence négative « dans la mesure où elles seraient imprécises quant aux faits auxquels elles sont susceptibles de s’appliquer et quant à la nature des moyens à la disposition de l’auteur des faits devant être pris en compte pour apprécier sa responsabilité ».

Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de la loi, le Conseil constitutionnel a, par décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, validé les dispositions susvisées applicables en cas de catastrophe sanitaire, considérant à juste titre qu’elles « ne diffèrent pas de celles de droit commun et s’appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire. Dès lors, elles ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi pénale. Elles ne sont pas non plus entachées d’incompétence négative. Dans la mesure où elles ne contreviennent à aucune autre exigence constitutionnelle, elles sont donc conformes à la Constitution ».

La CNIL rend son avis sur les conditions de mise en œuvre de l’application « StopCovid »

Décret n° 2020-650 du 29 mai 2020 relatif au traitement de données dénommé « StopCovid »

 

La CNIL (Commission nationale informatique et liberté) s’est prononcée le 25 mai 2020 sur un projet de décret relatif à l’application mobile « StopCovid », disponible sur smartphones et mise en œuvre par le Gouvernement afin d’alerter les utilisateurs d’un risque de contamination au virus.

Dans un avis du 24 avril 2020 (commenté dans une précédente LAJ), la CNIL s’était prononcée sur le principe de la mise en œuvre d’une telle application et avait formulé certaines recommandations. Dans l’avis du 25 mai, la CNIL se prononce sur des dispositions précisées ou modifiées et sur la concrète mise en œuvre de ce dispositif prévu par le projet de décret, accompagné de l’analyse d’impact sur la protection des données.

Pour rappel, cette application vise à informer les personnes qui ont consenti à son utilisation, qu’elles ont été à proximité de personnes diagnostiquées positives au Covid-19 et utilisant la même application, cette proximité induisant un risque de contamination.

La CNIL a été saisie en urgence le 15 mai 2020 par le ministre des solidarités et de la santé, d’une demande d’avis concernant un projet de décret relatif à l’application « StopCovid » et la conformité du traitement des données au règlement (UE) 2016/679 du 15 avril 2016 (RGPD) et à la loi « Informatique et Libertés ».

Dans un premier temps, la Commission rappelle que le dispositif doit être nécessaire et proportionné et que face à la situation exceptionnelle, cette application tend à répondre aux actions menées par le Gouvernement pour lutter contre l’épidémie. Elle relève également que le fait d’instaurer un tel dispositif, qui enregistre de manière automatique les cas contacts de ses utilisateurs constitue une atteinte à la vie privée qui n’est admissible que dans certaines conditions.

La CNIL relève également qu’aucune liste de contacts contaminés ne sera créée, mais simplement une liste de contacts avec des données pseudonymisées. Cette disposition vise à protéger les données dès la conception de l’application et avant toute utilisation.

Concernant les recommandations émises de la part de la CNIL dans son précédent avis, il semblerait que le Gouvernement les ait en partie suivies. La responsabilité du traitement est confiée au Ministre chargé de la politique sanitaire. Aucune sanction ne peut être infligée à une personne qui ne souhaite installer l’application. Enfin, concernant la durée de mise en œuvre du dispositif, celle-ci sera conditionnée par les résultats obtenus lors d’évaluations régulières.

Globalement, la CNIL estime que l’application peut être déployée dans la mesure où elle intervient comme un complément au dispositif d’enquêtes sanitaires manuelles et que les alertes sont émises plus rapidement en cas de contact avec n’importe quelle personne contaminée.

La CNIL relève cependant que l’utilité du dispositif n’est pas réellement démontrée et que celle-ci doit être plus profondément étudiée.

En revanche, la CNIL émet plusieurs recommandations.

Elle relève d’une part, que les utilisateurs ne sont pas suffisamment informés des conditions d’utilisation de l’application et des modalités d’effacement des données personnelles et d’autre part, qu’il est nécessaire de délivrer une information spécifique en fonction des populations, notamment des mineurs et des parents de mineurs.

Concernant le droit d’opposition et d’effacement des données pseudonymisées, le décret devait préciser les modalités d’exercice des droits reconnus par le RGPD.

Enfin, la CNIL semble favorable à ce que l’intégralité du code source de l’application mobile et du serveur soit accessible.

C’est par un décret n° 2020-650 du 29 mai 2020, entré en vigueur le 30 mai 2020, que le gouvernement a décidé de la mise en œuvre de l’application. Ce décret détermine les finalités du traitement de données à caractère personnel mis en œuvre, les catégories de données enregistrées, les destinataires de ces données, la durée de leur conservation, les modalités d’exercice des droits des personnes concernées. Cette application est téléchargeable à compter du 2 juin 2020.

Le juge des référés enjoint à la commune de Bobigny de définir les modalités d’accueil des élèves dans les grandes sections de maternelles

Le Tribunal administratif de Montreuil a été saisi d’une requête en référé liberté (article L. 521-2 du Code de justice administrative) d’une demande d’injonction à la commune de Bobigny d’ouvrir les grandes sections des écoles maternelles. Le parent d’élève et élue d’opposition soutient que cette décision aggrave les inégalités sociales dans la mesure où certains établissement tels que les écoles rouvrent mais que les classes de maternelles restent fermées.

Par un arrêté du 15 mai 2020 pris sur le fondement de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, le maire de Bobigny a décidé de maintenir la fermeture des écoles maternelles et des crèches jusqu’à la fin de l’année scolaire 2019-2020. En effet, ces établissements devaient demeurer fermés jusqu’en septembre, à l’exception des classes déjà rouvertes et accueillant les enfants des personnes prioritaires au titre de la gestion de la crise sanitaire.

En outre, le ministre de l’Education nationale avait annoncé la réouverture de certaines écoles après le confinement mais avait indiqué que les élèves de grande section, CP et CM2 seraient prioritaires, notamment car l’accueil reste limité et que ces niveaux correspondent à des paliers et classes charnières dans la scolarité des enfants.

Le maire rappelle tout d’abord le caractère pathogène et contagieux du virus, responsable de la maladie covid-19, de sa propagation et de l’absence de traitement.

Le maire précise ensuite qu’il entend garantir la santé et la sécurité des administrés et qu’à ce titre, il considère qu’il est impossible de respecter les règles de distanciation physique pour des enfants âgés de 0 à 6 ans alors que la circulaire du ministre de l’éducation nationale conditionne la réouverture des écoles à la mise en œuvre d’un protocole sanitaire, qui tend à imposer la distanciation entre les individus.

Les pouvoirs du maire sont encadrés par le Code général des collectivités territoriales (article L. 2212-2) et par la jurisprudence. Il doit contribuer à la bonne application sur son territoire des mesures sanitaires décidées par l’Etat.

Partant, il est prévu que le maire ne peut prendre de dispositions différentes de celles prises par l’Etat pour lutter contre l’épidémie sauf si des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rende l’édiction indispensable et à la condition de ne pas compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat.

Dans le cas d’espèce, le juge des référés a estimé au vu des moyens soulevés et arguments apportés, que la décision du maire de ne pas autoriser l’accueil des enfants de grande section de maternelle, ne remplissait pas les conditions imposées.

D’une part, le juge considère que la commune n’invoquait pas de circonstance sanitaire particulière à son territoire et se contentait simplement de relever qu’elle fait partie des communes du département classée en « zone rouge » alors que le décret du 11 mai 2020 ne prévoit pas d’exception à ce titre.

D’autre part, le juge considère que la ville n’apporte aucun élément concret suffisamment précis pour établir l’existence d’une raison impérieuse particulière à la commune et rejette donc les arguments selon lesquels la commune ne peut respecter le protocole sanitaire et qu’elle ne dispose pas du personnel nécessaire.

C’est sur l’ensemble de ces fondements que le juge des référés-libertés a donné jusqu’au 3 juin 2020 à la commune de Bobigny, un délai pour définir les modalités d’accueil dans les grandes sections de ses écoles maternelles. En revanche, le juge ne contraint pas la commune à rouvrir les écoles.

Il convient enfin de relever le silence de la part des diverses institutions étatiques que sont le ministère de l’éducation nationale, la préfecture de la Seine-Saint-Denis et le rectorat de Créteil, parties dans cette instance, qui n’ont pas produit de mémoires en défense.

Notons que, dans une espèce encore plus récente, le même tribunal a au contraire rejeté un nouveau référé liberté dirigé contre la ville de Saint-Denis, qui n’avait pas rouvert une école maternelle. Cependant, la ville avait rouvert 8 autres écoles maternelles, soit une par quartier, dont les capacités d’accueil étaient loin d’être atteintes dans les faits.

La restitution des lieux est caractérisée par la remise des clés au bailleur

Un couple de bailleurs consent une promesse de vente à son locataire, une SCI, que cette dernière accepte.

Toutefois, lors de la vente est révélée l’existence d’une hypothèque légale, que les vendeurs refusent de purger.

Un contentieux naît donc entre les parties, les vendeurs assignant la SCI en réalisation de la vente et sollicitant notamment le paiement d’une indemnité d’occupation depuis l’arrivée à échéance du bail.

La Cour d’appel rejette leur demande sur ce point au motif que la SCI n’occupait plus matériellement les lieux.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi des bailleurs qui invoquent une violation par la Cour d’appel de l’article 1737 du Code civil selon lequel « le bail cesse de plein droit à l’expiration du terme fixé, lorsqu’il a été fait par écrit, sans qu’il soit nécessaire de donner congé ».

La 3ème chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt en considérant que la Cour d’appel a violé l’article susvisé en actant de la libération des lieux par la résiliation des contrats de fourniture d’énergie, sans constater la remise des clés au bailleur en personne ou à son mandataire dûment habilité à les recevoir.

La Cour de cassation rappelle à l’occasion de cet arrêt que la libération des lieux ne peut s’entendre que par la remise des clés au bailleur ou à son mandataire, dont le preneur a la charge, quand bien même les lieux seraient vides de toute occupation et de tout objet.

Aides économiques : que peuvent faire les acteurs publics locaux pour soutenir les entreprises de proximité ?

À l’heure où la vie économique reprend progressivement, bon nombre d’acteurs publics ou parapublics s’interrogent sur les leviers qu’ils peuvent activer pour soutenir les commerçants et autres entreprises de proximité implantés sur leur territoire. L’objectif est clair : il s’agit de pouvoir apporter un soutien financier immédiat aux acteurs les plus fragilisés par la crise, afin que ne disparaissent pas ceux qui animaient jusque-là la vie locale.

Au niveau national, l’Etat a fait une partie du chemin avec notamment la création, par ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, ou encore l’octroi de prêts garantis par l’Etat.

La plupart des régions ont mis en place des dispositifs d’aides complémentaires à l’échelon régional. À leur niveau, le champ des possibles est en effet assez large – sous réserve évidemment du respect du droit européen des aides d’Etat et du principe d’égalité –, les régions ayant, par principe, et sauf dispositions législatives particulières, seules une compétence pour définir les régimes d’aides et pour décider de l’octroi des aides aux entreprises de la région.

C’est au niveau infra-régional que le sujet se complique : les possibilités d’intervention des départements, des communes et des établissements publics locaux sont très limitées, parce que les aides économiques ne relèvent pas – ou si peu – de leur office (I.). Certes, les textes adoptés spécifiquement pour faire face à la crise sanitaire ouvrent quelques perspectives nouvelles, mais qui ne permettent pas la mise en place de réels dispositifs de soutien de proximité (II.).

 

I – Les possibilités d’intervention extrêmement limitées des départements, des communes et des établissements publics locaux en matière d’aides économiques

 

On le disait, l’état du droit est clair : la région est, par principe, seule compétente pour mettre en place des régimes d’aides au profit des entreprises. Et elle est également seule compétente pour accorder des aides aux entreprises en difficulté. Les communes et leurs groupements peuvent uniquement participer au financement des aides et à la mise en œuvre des régimes d’aides mis en place par la région, et ce dans le cadre d’une convention passée avec elle (article L. 1511-2 du Code général des collectivités territoriales).

Il est vrai que les communes, les groupements de communes et les départements peuvent eux-mêmes verser des aides aux entreprises dans certains des cas spécifiques, expressément prévus par le Code général des collectivités territoriales. La plupart d’entre eux n’apparaissent toutefois absolument pas de nature à permettre d’apporter des aides en réaction à la crise. Restent les aides à l’immobilier d’entreprise (article L. 1511-3 du Code général des collectivités territoriales), dont certains pensent qu’elles peuvent être sollicitées par les communes et leurs groupements pour soutenir des acteurs locaux affectés par la crise sanitaire. Ces aides ont toutefois « pour objet la création ou l’extension d’activités économiques », si bien qu’on peut douter de la légalité d’une aide versée sur ce fondement pour soutenir des entreprises fragilisées par la crise.

Il est vrai aussi que les collectivités territoriales disposent de compétences propres, dans le cadre desquelles elles pourraient au premier regard s’inscrire pour justifier les subventions qu’elles souhaiteraient verser à des entreprises en souffrance. Et certaines collectivités ont d’ailleurs franchi le pas ces dernières semaines, en versant des aides à des entreprises locales sur le fondement de leur compétence en matière de développement économique par exemple, voire même – pour les communes – sur le fondement de leur clause de compétence générale. Mais de telles interventions suscitent un réel débat parce qu’il semble bien que les compétences propres dont disposent les collectivités territoriales ne les autorisent pas à déroger aux dispositions du Code général des collectivités territoriales, qui réservent à la région la possibilité d’octroyer des aides économiques. La Cour administrative d’appel de Nantes a eu l’occasion de le souligner assez récemment (CAA Nantes, 27 avril 2018, Union des métiers et des industries de l’hôtellerie des Côtes d’Armor, req. n° 16NT03165). Et c’est ce qui ressortait déjà de l’instruction du gouvernement du 3 novembre 2016 sur les conséquences de la nouvelle répartition des compétences en matière de développement économique sur les interventions des conseils départementaux. Et, de façon plus générale, c’est le sens des conclusions du Rapporteur public Vincent Daumas sur la décision du Conseil d‘État du 11 octobre 2017 Département des Yvelines et autres (req. n° 407347), qui portait précisément sur la légalité de cette instruction.

De notre point de vue, les règles de compétence applicables en matière d’aides économiques, telles que fixées par le Code général des collectivités territoriales, ne permettent donc ni aux communes, ni à leurs groupements, d’aider financièrement les commerçants impactés par la crise sanitaire de leur propre chef : ils ne peuvent légalement le faire que dans le cadre d’une convention conclue avec la Région. Et les départements n’ont, pour leur part, même pas cette possibilité.

 

II – La portée limitée des textes adoptés spécifiquement pour faire face à la crise sanitaire

 

Les textes adoptés spécifiquement pour faire face à la crise sanitaire ouvrent quelques perspectives nouvelles d’intervention : ils permettent aux collectivités d’aider des entreprises de façon un peu plus large qu’en temps normal, au travers de mesures spécifiques.

Cette « souplesse » est toutefois très relative, et ne permet sans doute pas la mise en place de réels dispositifs de soutien de proximité.

L’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation permet ainsi à toute collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de participer au financement de ce fonds de solidarité qui a pour objet de versement d’aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences de la crise sanitaire :

« Le fonds de solidarité est financé par l’État, et peut également l’être, sur une base volontaire, par les régions, les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et toute autre collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.          

Le montant et les modalités de cette contribution sont définis dans le cadre d’une convention conclue entre l’État et chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre volontaire ».

L’abondement de ce fonds par les collectivités permet assurément de témoigner de leur volonté de soutenir l’économie, mais il ne permet pas de « cibler » les entreprises et commerçants locaux.

L’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19, modifiée par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, dispose quant à elle, en son article 6, que :

« En cas de difficultés d’exécution du contrat, les dispositions suivantes s’appliquent, nonobstant toute stipulation contraire, à l’exception des stipulations qui se trouveraient être plus favorables au titulaire du contrat :

[…]

7° Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d’exploitation de l’activité de l’occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l’article 1er [période courant du 12 mars 2020 à la fin de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’une durée deux mois]. A l’issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires ».

 

Le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19, indique que « cette disposition serait applicable […] aux pures conventions domaniales, qui sont des contrats publics par détermination de la loi (article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques) mais ne peuvent bénéficier ni des dispositions applicables aux marchés ou aux concessions ni de la théorie de l’imprévision qui, en l’état de la jurisprudence administrative, n’est susceptible d’être invoquée que dans le cadre de la prise en charge de missions de service public, de la gestion d’un service public ou de l’exécution de mesures prises dans un but d’intérêt général ».

Les collectivités peuvent ainsi alléger quelque peu les charges qui pèsent sur certains des commerçants : les commerçants installés dans des locaux relevant du domaine public et ceux qui occupent une partie de la voie publique (terrasse…) peuvent voir leurs redevances d’occupation du domaine public suspendues pour quelques mois. Et une exonération pure et simple, plutôt qu’un simple report, pourrait d’ailleurs peut-être se justifier, à tout le moins au profit de certains commerçants, compte tenu du peu d’« avantages de toutes natures » que l’occupation du domaine leur a procuré pendant la période de fermeture.

Tout porte par ailleurs à croire que les propriétaires publics et parapublics (bailleurs sociaux et pépinières notamment) pourraient exonérer de loyers pour quelques mois ceux des commerçants qui sont leurs locataires, mais qui occupent cette fois des locaux relevant de leur domaine privé.

Mais il reste que de telles mesures ne permettent pas de soutenir tous les commerçants et entreprises locaux fragilisés par la crise, mais seulement ses propres « locataires », et ne permettent donc pas la mise en place de réels dispositifs de soutien de proximité.

Par Maeva Guillerm