le 16/06/2020

Portée de l’expertise amiable en matière de construction et principe d’indemnisation intégrale du préjudice subi

Cass. Civ., 3ème, 14 mai 2020, n° 19-16278 et n° 19-16279

Par un arrêt rendu le 14 mai 2020, la Cour de cassation a eu l’occasion de revenir, d’une part, sur la portée de l’expertise amiable et, d’autre part, sur le principe de réparation intégrale du préjudice subi.

En l’espèce et d’un point de vue factuel, un particulier a confié à une entreprise la réfection d’un escalier extérieur.

En arguant l’existence de malfaçons, ce dernier a refusé de régler le solde du marché.

L’assureur de l’entreprise a diligenté une expertise amiable contradictoire au terme de laquelle l’Expert mandaté a conclu à l’absence de malfaçons.

Toutefois, le maître d’ouvrage particulier a souhaité diligenter une nouvelle expertise à laquelle l’entreprise et son assureur ont été convoqués et au terme de laquelle l’Expert a, cette fois-ci, conclu à la nécessité de travaux de reprise.

L’entreprise a déposé une requête aux fins d’ordonnance portant injonction au maitre d’ouvrage particulier de lui régler le solde dû au titre de son marché.

Néanmoins, ce dernier a formé opposition à cette requête et réclamé, à titre reconventionnel, la condamnation de l’entreprise à supporter le coût des travaux de réparation.

Sur la base du rapport d’expertise amiable diligentée à la demande du maître d’ouvrage, le Tribunal a condamné l’entreprise à supporter le coût de ces travaux.

Contestant le fait que les juges ne peuvent se fonder uniquement sur les conclusions d’expertise amiable diligentée par une seule des parties, l’entreprise a formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation censure le jugement au visa des dispositions de l’article 16 du Code de procédure civile qui dispose notamment que « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. […] » et retient que « le tribunal, qui s’est fondé exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties par un technicien de son choix, peu important que la partie adverse y ait été régulièrement appelée, a violé le texte susvisé. […] ».

Par ailleurs, s’agissant de la demande de règlement du solde du marché, la Cour rappelle, au visa des dispositions de l’article 1149 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 Février 2016, que « les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit» et considère que « en indemnisant intégralement M. J… des conséquences des manquements de l’entreprise D… O… à ses obligations tout en le dispensant de payer le solde des travaux exécutés par celle-ci, le tribunal, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé le texte et le principe susvisés ».

Autrement dit, outre la nécessité pour le maître d’ouvrage ou le constructeur de privilégier l’expertise judiciaire pour appuyer ses demandes indemnitaires, cet arrêt s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence classique selon laquelle le principe de réparation intégrale du préjudice subi ne doit pas créer un enrichissement sans cause pas plus qu’une perte pour la victime.

A noter qu’en matière administrative, la position des juges est différente et moins favorable aux maîtres d’ouvrage publics en raison de l’application d’un coefficient de vétusté qui n’est pas sans conséquence sur le montant de l’indemnité allouée.