Permis de construire et domaine public : précisions relatives aux constructions en surplomb et au contrôle du juge sur la qualité pour déposer une demande sur le domaine public

CE, 23 novembre 2022, n° 449443

Par deux décisions en date du 23 novembre 2022 mentionnées aux Tables, le Conseil d’Etat est venu apporter des précisions concernant les demandes de permis de construire portant en surplomb ou sur une dépendance du domaine public.

Ainsi, dans la première affaire (450008), le Maire de La Baule-Escoublac avait délivré à la société civile de construction vente Aldéia un permis de construire un immeuble collectif comprenant six logements et deux locaux commerciaux, après démolition d’un bâtiment.

Le projet comportait des balcons en surplomb du domaine public.

Devant le Tribunal administratif de Nantes, était soulevé le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article R. 431-13 du Code de l’urbanisme aux termes desquelles :

« Lorsque le projet de construction porte sur une dépendance du domaine public, le dossier joint à la demande de permis de construire comporte une pièce exprimant l’accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public ».

Le Tribunal a écarté ce moyen en se fondant sur la circonstance que les balcons en surplomb du domaine public prévus par le projet n’avaient pas pour effet de compromettre l’affectation au public du trottoir qu’ils surplombent et n’excédaient pas, compte tenu de la faiblesse du débord et de l’élévation par rapport au sol, le droit d’usage appartenant à tous.

Le Conseil d’Etat censure cette analyse en rappelant qu’il résulte de l’article R. 431-13 précité que « lorsqu’un projet de construction comprend des éléments en surplomb du domaine public, le dossier de demande de permis de construire doit comporter une pièce exprimant l’accord du gestionnaire du domaine public pour engager la procédure d’autorisation d’occupation temporaire de ce domaine ».

Ainsi, en cas de surplomb du domaine public – comme dans tout cas d’occupation dudit domaine, il appartient au service instructeur et, le cas échéant, au juge, de s’assurer que le dossier de demande comporte une pièce exprimant l’accord du gestionnaire et non de rechercher si le projet pourrait être légalement poursuivi au regard des règles de la domanialité publique.

Dans la seconde affaire (449443), le Maire de Juvigny avait délivré à la société civile de construction vente Les Jardins de Flore et à la société anonyme Mont-Blanc un permis de construire neuf bâtiments comportant quatre-vingt-dix-huit logements, un local commercial et trois niveaux de sous-sols de stationnement sur un terrain situé route de la Savoie.

Le projet portant sur une partie du domaine public communal, le Tribunal administratif de Grenoble a censuré le permis de construire en considérant que la commune de Juvigny ne pouvait ignorer qu’en l’absence de déclassement et de vente de la parcelle, ces sociétés ne disposaient d’aucun droit sur le domaine public communal leur permettant d’inclure ces aménagements dans leur projet, ce qui entrainait une méconnaissance des dispositions de l’article R. 423-1 du Code de l’urbanisme aux termes desquelles :

« Les demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont adressées par pli recommandé avec demande d’avis de réception ou déposées à la mairie de la commune dans laquelle les travaux sont envisagés : a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ; b) Soit, en cas d’indivision, par un ou plusieurs co-indivisaires ou leur mandataire ; c) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l’expropriation pour cause d’utilité publique».

Ici également, le raisonnement du Tribunal est censuré par le Conseil d’Etat qui considère qu’il résulte des dispositions précitées :

« Qu’en se fondant sur l’absence de déclassement et de transfert de la propriété de la parcelle pour en déduire que les sociétés pétitionnaires n’avaient pas qualité pour déposer une demande de permis de construire incluant les aménagements en cause, le tribunal administratif, à qui il incombait seulement de rechercher si, à défaut de déclassement et de transfert de la propriété de la parcelle, le dossier joint à la demande comportait une pièce exprimant l’accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d’autorisation d’occupation temporaire du domaine public, a commis une erreur de droit ».

Sur les conditions de l’acquisition du statut de preneur d’un bail rural par le conjoint survivant

Le bail rural, régi par les articles L. 411-1 à L. 493-1 du Code rural et de la pêche maritime, se définit comme un contrat de location de terres ou de bâtiments à usage agricole, entre un propriétaire et un exploitant, moyennant un loyer.

L’une des particularités d’un tel bail est que le preneur bénéficie d’un droit au renouvellement, et ce « nonobstant toutes clauses, stipulations ou arrangements contraires », conformément à l’article L. 411-46 du Code précité.

En outre, le Code rural et de la pêche maritime dispose en son article L. 411-34 alinéa 1 qu’en cas de décès du preneur, le bail continue au profit « de son conjoint, du partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, de ses ascendants et de ses descendants participant à l’exploitation ou y ayant participé effectivement au cours des cinq années antérieures au décès ».

A contrario, le bailleur sera en mesure de solliciter la résiliation du contrat de bail rural, dans les six mois à compter du jour où il a eu connaissance du décès de son locataire, lorsque « le preneur décédé ne laisse pas de conjoint, de partenaire d’un pacte civil de solidarité ou d’ayant droit réunissant les conditions posées au premier alinéa ».

Ainsi, deux conditions cumulatives s’imposent au conjoint survivant pour bénéficier du statut de preneur du bail, à savoir avoir la qualité de pacsé ou d’époux de l’exploitant décédé, et justifier de sa participation effective à l’exploitation agricole au cours des cinq années antérieures au décès.

Par un arrêt en date du 16 novembre 2022, la troisième chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser les conditions d’application de ces deux conditions.

En l’espèce, des propriétaires ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux, à la suite du décès de leur exploitant, aux fins de voir constater leur refus de la continuation du bail rural par les ayants droit du preneur, et ainsi obtenir leur expulsion.

Les bailleurs soutenaient que la participation à l’exploitation agricole, au cours des cinq dernières années antérieures au décès du preneur, requise par l’article L.411-34 du Code rural et de la pêche maritime, devait être réalisée en qualité de conjoint, de partenaire, d’ascendant ou de descendant, à l’exclusion de toute participation antérieure à l’acquisition d’une telle qualité.

Or, dans le cas présent, le défunt preneur et sa compagne s’étaient mariés seulement 49 jours avant son décès.

Dans ces conditions, les propriétaires affirmaient qu’il appartenait au juge du fond de rechercher si cette durée était suffisante.

Surtout, en prenant en considération une participation à l’exploitation antérieure au mariage, la Cour d’appel aurait, selon leur analyse, violé le texte susvisé.

La Cour de cassation va rejeter le pourvoi formé par les bailleurs, au motif que la Cour d’appel avait souverainement retenu que la conjointe du preneur décédé avait participé de manière régulière et effective aux travaux de l’exploitation depuis plus de cinq ans avant son décès, et qu’elle pouvait dès lors bénéficier du statut de preneur du bail dont son époux était titulaire, « peu important qu’elle n’ait acquis la qualité de conjoint que peu de temps avant son décès ».

Par cet arrêt, la Cour de cassation établit ainsi que les deux conditions cumulatives posées par l’article L 411-34 du Code rural et maritime doivent être apprécié distinctement, et qu’il n’est pas exigé que le conjoint survivant ait participé effectivement à l’exploitation agricole en cette qualité.

Annulation d’une vente immobilière et demande de garantie du notaire par le vendeur

Une SCI a vendu plusieurs lots d’un bien immobilier à un particulier. Cette vente a été annulée par la Cour d’appel de Paris en raison du changement de destination du bien.

Le vendeur faisait toutefois grief à la Cour d’avoir rejeté sa demande de condamnation du notaire à la garantir de toutes les condamnations sur les demandes formées à son encontre.

La Cour d’appel avait en effet jugé que le vendeur ne pouvait pas demander la garantie des notaires pour ces condamnations qui ne correspondent pas à un préjudice indemnisable mais à des restitutions.

La Cour de cassation a considéré que les travaux réalisés par l’acquéreur, devant s’analyser en des dépenses de conservation du bien, la Cour d’appel en avait exactement déduit que ces dépenses donnant lieu à restitution du vendeur, elles ne pouvaient donner lieu à garantie du notaire, cette condamnation ne correspondant pas à un préjudice indemnisable.

En revanche, la Cour de cassation a considéré que les condamnations prononcées au titre du remboursement des charges de copropriété, du coût de l’assurance et des taxes foncières acquittés par l’acquéreur, ne constituaient pas des restitutions consécutives à l’annulation du contrat de vente, mais présentaient un caractère indemnitaire. Elle a donc cassé l’arrêt de la Cour d’appel sur ce point, dans la mesure où celle-ci avait jugé qu’il ne s’agissait pas de préjudices indemnisables.

Cet arrêt de la Cour de cassation permet donc de distinguer les dépenses faites par l’acquéreur qui constituent des restitutions consécutives à l’annulation de la vente et celles qui constituent un préjudice indemnisable.

Seules celles constituant un préjudice indemnisable sont susceptibles de faire l’objet d’un appel en garantie du notaire.

L’acte d’approbation participant au processus de la conclusion d’un contrat ne peut pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir des tiers

Indépendamment du recours de pleine juridiction, dit « Tarn-et-Garonne »[1] dont disposent les tiers à un contrat administratif pour en contester la validité, les tiers qui se prévalent d’intérêts auxquels l’exécution du contrat est de nature à porter une atteinte directe et certaine sont recevables à contester devant le juge de l’excès de pouvoir la légalité de l’acte administratif portant approbation du contrat.

Ainsi, par une décision en date du 23 décembre 2016[2], le Conseil d’Etat affirmait la recevabilité d’un tel recours à l’encontre d’un décret approuvant la signature d’un contrat de partenariat, tout en précisant que les moyens susceptibles d’être invoqués devaient être tirés de vices propres à l’acte d’approbation.

La possibilité d’introduire un tel recours était donc limitée tant au niveau des intérêts dont les tiers se prévalent, qu’au niveau des moyens susceptibles d’être invoqués.

Par une décision rendue le 2 décembre 2022[3], le Conseil d’Etat vient apporter de nouvelles limitations à ce recours, en considérant que les actes d’approbation susceptibles de faire l’objet d’un tel recours « sont seulement ceux qui émanent d’une autorité distincte des parties contractantes, qui concernent des contrats déjà signés et qui sont nécessaires à leur entrée en vigueur. Ne sont pas au nombre de ces actes ceux qui, même s’ils indiquent formellement approuver le contrat, participent en réalité au processus de sa conclusion ».

Au cas de l’espèce, la délibération du Conseil d’administration approuvant a posteriori la conclusion d’un contrat de partenariat public-privé, dont l’établissement était signataire, n’entrait pas dans cette définition. Cette décision participe en effet en réalité au processus de sa conclusion et un recours en excès de pouvoir à son encontre n’est donc pas possible.

Cette décision vient donc de nouveau circonscrire la possibilité, pour les tiers, d’introduire un recours en excès de pouvoir à l’encontre d’un acte d’approbation du contrat, et s’inscrit ainsi dans la logique des décisions déjà rendues en la matière.

 

[1] CE, 4 avril 2014, Tarn-et-Garonne, req. n° 358994

[2] CE, 23 décembre 2016, Association Etudes et consommation CFDT du Languedoc-Roussillon, req. n° 392815

[3] CE, 2 décembre 2022, req. n° 454318

Référent déontologue des élus : le décret d’application enfin publié

Arrêté du 6 décembre 2022 pris en application du décret n° 2022-1520 du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l’élu local

 

La loi 3DS du 21 février 2022 a complété l’article L. 1111-1-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), qui consacre les principes déontologiques applicables aux élus au sein d’une charte de l’élu local, afin de prévoir que « tout élu local peut consulter un référent déontologue chargé de lui apporter tout conseil utile au respect » de ces principes.

Il s’agissait davantage d’une consécration législative d’une pratique déjà largement existante, plutôt que d’une création ex nihilo d’un dispositif.

Pour autant, depuis la promulgation de la loi 3DS, un décret d’application déterminant les modalités et les critères de désignation des référents déontologues était attendu.

Celui-ci est paru au Journal officiel du 7 décembre dernier, de même qu’un arrêté pris en application de ce décret.

Le décret n° 2022-1520 en date du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l’élu local crée quatre articles – les articles R. 1111-1 A à R. 1111-1 D – au sein du CGCT qui entreront en vigueur le 1er juin 2023.

Le choix du déontologue

Le référent déontologue est désigné par l’organe délibérant de la collectivité territoriale, du groupement de collectivités territoriales ou du syndicat mixte ouvert.

Plusieurs collectivités territoriales, groupements de collectivités territoriales ou syndicats mixtes ouverts peuvent désigner un même référent déontologue pour leurs élus par délibérations concordantes.

Les missions sont exercées par des personnes choisies en raison de leur expérience et de leurs compétences.

Le choix peut porter sur :

  • Une ou plusieurs personnes ;
  • Un collège.

Les personnes concernées doivent être extérieures aux collectivités au sein desquelles elles ont été désignées.

En effet, elles ne doivent ni exercer un mandat (actuel ou passé depuis moins de trois ans) ni être agent de ces collectivités.

Il s’agit ici d’une différence avec le référent déontologue des agents publics qui peut être interne ou externe (v. décret n° 2017-519 du 10 avril 2017 relatif au référent déontologue dans la fonction publique) et auquel il n’est d’ailleurs aucunement fait référence dans le décret du 6 décembre 2022.

Enfin, et logiquement, les personnes désignées ne doivent pas se trouver en situation de conflit d’intérêt avec les collectivités concernées et exercer leurs missions en toute indépendance et impartialité.

Les obligations et moyens du déontologue

La délibération portant désignation du ou des référents déontologues ou des membres du collège qui le constituent précise la durée de l’exercice des fonctions de l’entité. Elle précise également les moyens matériels mis à sa disposition.

Le ou les référents déontologues ou les membres du collège qui le constituent sont tenus au secret professionnel dans le respect des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal et à la discrétion professionnelle pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.

La procédure de saisine et d’avis du déontologue

La délibération institutive précise les modalités de la saisine du déontologue et de l’examen de la question posée, ainsi que les conditions dans lesquelles les avis sont rendus.

Lorsque le référent déontologue est constitué en collège, celui-ci adopte un règlement intérieur précisant son organisation et son fonctionnement.

La délibération institutive ainsi que les informations permettant de consulter le ou les référents déontologues ou le collège sont portées par tout moyen à la connaissance des élus locaux intéressés par chaque collectivité territoriale, groupement ou syndicat mixte ouvert.

La rémunération du déontologue

La délibération institutive précise les éventuelles modalités de rémunération du référent déontologue.

Le cas échéant, la rémunération prend la forme de vacations dont le montant ne peut pas dépasser un plafond fixé par arrêté, à savoir :

  • 80 euros par dossier ;
  • pour la présidence effective d’une séance du collège d’une demi-journée : 300 euros ;
  • pour la participation effective à une séance du collège d’une demi-journée : 200 euros ;

Les membres du collège désignés comme rapporteurs peuvent cumuler les indemnités propres au collège et l’indemnité de maximum 80 euros.

La délibération peut également prévoir le remboursement de leurs frais de transport et d’hébergement dans les conditions applicables aux personnels de la fonction publique territoriale.

Le défaut d’impartialité de l’auteur d’un rapport d’enquête administrative n’entraîne pas l’irrégularité de la sanction prononcée sur son fondement

Le développement significatif de la pratique des enquêtes administratives interne ces dernières années s’accompagne logiquement d’un développement important de la jurisprudence relative à ces enquêtes.

Après un arrêt en date du 21 octobre 2022 qui avait précisé que la communication des procès-verbaux d’audition ne s’imposait que si l’agent les demandait spécifiquement (voir notre brève sur cet arrêt). Le Conseil d’Etat précise désormais les conséquences d’un manque d’impartialité apparent de l’auteur d’un rapport d’enquête, en consacrant un principe d’étanchéité procédurale entre la phase d’enquête administrative et la phase disciplinaire.

En l’espèce, une sanction avait été infligée à un fonctionnaire, en s’appuyant sur un rapport d’enquête administrative établi par l’inspection générale de la jeunesse. Conformément aux règles au principe général d’impartialité qui s’impose à tout fonctionnaire, la charte de déontologie de ces agents leur interdisait de participer à une mission d’inspection, de contrôle ou d’enquête portant sur un organisme ou un service au sein duquel il a exercé des responsabilités ou avec lequel il a noué une relation au cours des trois dernières années. Or, l’un des deux agents auteurs du rapport avait assuré la mission en méconnaissance de cette obligation puisqu’il était employé en tant que directeur de cabinet du ministère de rattachement de l’agent sanctionné.

Sur proposition de son rapporteur public, le Conseil d’Etat a jugé que « le requérant ne saurait utilement soutenir que la méconnaissance du principe d’impartialité par l’un des auteurs du rapport de l’inspection générale, dont la mission ne constitue pas une phase de la procédure disciplinaire, affecterait la régularité de cette procédure et entacherait d’illégalité le décret attaqué ».

Ce faisant, et pour reprendre les termes des conclusions du rapporteur public sur cette affaire, le Conseil d’Etat consacre « l’étanchéité de la phase juridictionnelle avec celle qui lui précède », afin d’éviter que d’éventuelles irrégularités entachant des opérations d’enquête et de contrôle « ne contaminent » la procédure de sanction ultérieure.

Pour cela, le Conseil d’Etat s’appuie sur le fait qu’il convient de distinguer l’appréciation portée par l’auteur du rapport d’enquête, qui peut être entachée de partialité, avec celle portée par l’autorité de poursuite disciplinaire qui ne sauraient être confondues. Autrement dit, les biais qui entachent le rapport n’ont pas nécessairement affecté l’appréciation portée par la suite.

La Haute juridiction, toujours selon les sages conclusions de son rapporteur, n’exclut pour autant pas que l’éventuelle partialité d’un rapport affecte la sanction infligée. Elle n’affecte pas sa légalité externe, mais peut affecter la légalité interne d’une erreur de fait : à un certain degré, on peut en effet comprendre que la partialité de l’auteur d’un rapport peut mettre lourdement en doute les faits qui y sont rapportés, et ainsi compromettre la preuve sur laquelle l’administration s’appuie.

C’est donc sous cet angle que l’éventuelle partialité d’un enquêteur pourra être invoquée. Non pas au titre d’une partialité objective déduite du conflit d’intérêt apparent, mais au titre d’une partialité subjective, constatée au vu des réels biais dont peut être affecté les termes du rapport du fait de son auteur.

L’avenir dira avec quelle sévérité le juge administratif examinera ce moyen. Dans l’intervalle, l’administration devra, par prudence, veiller à confier les enquêtes réalisées à des enquêteurs aussi impartiaux que possible, afin d’aménager une preuve insusceptible d’une remise en cause significative, et à maintenir une stricte séparation entre la phase d’enquête et la phase disciplinaire des procédures qu’elle conduit.

Marché de maîtrise d’œuvre : prolongation de la responsabilité du mandataire du groupement solidaire au-delà de la réception des travaux

Par un arrêt en date du 12 octobre 2022, le Conseil d’Etat a étendu la solution qu’il avait retenu dans sa décision Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer (CE, Section du Contentieux, 06 avril 2007, req. n° 264490, Publié au recueil Lebon) pour juger que la date de réception marque certes la fin des relations contractuelles mais demeure sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution d’un marché de maîtrise d’œuvre, qui lient le mandataire au titre de l’engagement solidaire.

S’agissant du contexte, rappelons que la communauté d’agglomération du Grand Angoulême avait confié un marché de maîtrise d’œuvre relatif à la construction d’une médiathèque à un groupement conjoint avec mandataire solidaire et que, postérieurement à la réception de l’ouvrage, la communauté d’agglomération a émis à l’encontre dudit mandataire un titre exécutoire d’un montant de 62 535,72 euros.

Saisi d’une demande du mandataire d’annuler ce titre exécutoire ainsi que de la décharger de l’obligation de payer la somme de 62 535,72 euros, le tribunal administratif de Poitiers a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la demande tendant à l’annulation du titre exécutoire. En revanche, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé ce jugement et le titre exécutoire litigieux et a déchargé cette société de l’obligation de payer la somme demandée, au motif « que la responsabilité de la société FRA Architectes ne pouvait plus être recherchée en sa qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d’œuvre à compter de la date à laquelle la mission du groupement de maîtrise d’œuvre s’était achevée ».

Sur pourvoi de la communauté d’agglomération du Grand Angoulême, le Conseil d’Etat a remis en cause l’arrêt de la Cour.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat a relevé :

  • d’une part, qu’aux termes de l’article 3.1 du CCAG-PI issu du décret du 26 décembre 1978 qui était applicable au marché, « les cotraitants sont conjoints lorsque chacun d’eux n’est engagé que pour la partie du marché qu’il exécute. Toutefois, l’un d’entre eux, désigné dans l’acte d’engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l’égard de la personne responsable du marché, jusqu’à la date où ces obligations prennent fin» et que « cette date est soit l’expiration de la garantie technique prévue à l’article 34, soit, à défaut de garantie technique, la date de prise d’effet de la réception des prestations. Le mandataire représente, jusqu’à la date ci-dessus, l’ensemble des cotraitants conjoints vis-à-vis de la personne responsable du marché pour exécution de ce dernier ». ;
  • et, d’autre part, qu’« en vertu de l’article 20 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) du marché de maîtrise d’œuvre, la mission du maître d’œuvre s’achève à la fin du délai de garantie de parfait achèvement, d’une durée d’un an, prévu au CCAG-Travaux applicable, ou après la levée des réserves signalées lors de la réception de l’ouvrage si cette levée est plus tardive. Dans cette dernière hypothèse, l’achèvement de la mission intervient lors de la levée de la dernière réserve».

Puis, le Conseil d’Etat a repris le considérant de principe formulé dans sa décision Centre hospitalier général de Boulogne-sur-Mer selon lequel :

« La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage. Si elle interdit, par conséquent, au maître de l’ouvrage d’invoquer, après qu’elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l’ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation, elle ne met fin aux obligations contractuelles des constructeurs que dans cette seule mesure. Ainsi, la réception demeure, par elle-même, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l’établissement du solde du décompte définitif. Seule l’intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d’interdire au maître de l’ouvrage toute réclamation à cet égard ».

Enfin, faisant application de ces règles au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a retenu que :

« En jugeant qu’en application des stipulations précitées de l’article 3.1 du CCAG-PI, la responsabilité de la société FRA Architectes ne pouvait plus être recherchée en sa qualité de mandataire solidaire du groupement de maîtrise d’œuvre à compter de la date à laquelle la mission du groupement de maîtrise d’œuvre s’était achevée alors que si cette dernière date marque la fin des relations contractuelles, elle demeure, ainsi qu’il a été dit au point précédent, sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, qui lient le mandataire au titre de l’engagement solidaire qu’il a contracté, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. Il suit de là que la communauté d’agglomération du Grand Angoulême est fondée, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ».

Modalités d’analyse de la candidature d’un groupement d’opérateurs dont le membre désigné comme devant exécuter les prestations ne dispose pas de l’expérience requise

Par une décision en date du 30 septembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a eu à répondre la question préjudicielle, posée par une juridiction lettonne, tenant à savoir si « l’article 63, paragraphe 1, de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’il est établi que, en cas d’attribution d’un marché public de services à un groupement d’opérateurs économiques, l’exécution des activités pour lesquelles il est requis une expérience sera confiée à un seul membre du groupement, le groupement soumissionnaire peut uniquement se prévaloir, afin de démontrer qu’il satisfait à une condition tenant à l’expérience imposée par le pouvoir adjudicateur conformément à l’article 58, paragraphe 4, de cette directive, de l’expérience dudit membre de ce groupement, et ce même si les documents de marché ne prévoient pas expressément que les membres d’un groupement d’opérateurs économiques doivent satisfaire individuellement à cette condition ».

Pour répondre à cette question, la CJUE a rappelé que « conformément à l’article 58, paragraphe 4, premier et deuxième alinéas, de ladite directive, les pouvoirs adjudicateurs peuvent imposer des conditions garantissant que les opérateurs économiques possèdent les ressources humaines et techniques ainsi que l’expérience nécessaires pour exécuter le marché en assurant un niveau de qualité approprié. Ils peuvent ainsi exiger notamment que les opérateurs économiques disposent d’un niveau d’expérience suffisant, démontré par des références adéquates provenant de marchés exécutés antérieurement ».

Elle a ensuite relevé que « le premier alinéa du paragraphe 1 de l’article 63 de la directive 2014/24, qui, conformément au quatrième alinéa de ce paragraphe, est applicable à un groupement d’opérateurs économiques visé à l’article 19, paragraphe 2, de cette directive, prévoit le droit pour un opérateur économique d’avoir recours, pour un marché déterminé, aux capacités d’autres entités, quelle que soit la nature juridique des liens qui l’unissent à ces entités, en vue de satisfaire notamment aux critères relatifs aux capacités techniques et professionnelles, visés à l’article 58, paragraphe 4, de ladite directive (voir, en ce sens, arrêts du 10 octobre 2013, Swm Costruzioni 2 et Mannocchi Luigino, C94/12, EU:C:2013:646, points 29 et 33 ; du 3 juin 2021, Rad Service e.a., C210/20, EU:C:2021:445, point 30, ainsi que du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras, C927/19, EU:C:2021:700, point 150). En ce qui concerne le critère relatif à l’expérience professionnelle pertinente, l’article 63, paragraphe 1, premier alinéa, de la même directive dispose que les opérateurs économiques ne peuvent toutefois avoir recours aux capacités d’autres entités que lorsque ces dernières fourniront les services pour lesquels ces capacités sont requises. Si un opérateur économique souhaite recourir aux capacités d’autres entités, il apporte au pouvoir adjudicateur la preuve qu’il disposera des moyens nécessaires, par exemple, en produisant l’engagement de ces entités à cet effet ».

Après avoir rappelé ces éléments, la CJUE a considéré que :

« dans l’hypothèse où le chef de file d’un groupement d’opérateurs économiques déclare expressément que la fourniture des services faisant l’objet de la procédure de passation de marché public en cause sera assurée par un seul membre de ce groupement ou lorsqu’une telle conclusion peut être tirée du DUME, dès lors que celui-ci fait apparaître que seul un membre dudit groupement dispose d’une expérience dans l’activité de services en cause, le pouvoir adjudicateur est fondé à considérer que ce même groupement peut uniquement se prévaloir de l’expérience du membre de ce groupement auquel sera confiée, en cas d’attribution du marché, l’exécution des activités pour lesquelles l’expérience est requise ».

Enfin, répondant à la question préjudicielle, la CJUE a retenu que « lorsqu’il est établi que, en cas d’attribution d’un marché public de services à un groupement d’opérateurs économiques, l’exécution des activités pour lesquelles il est requis une expérience sera confiée à un seul membre du groupement, le groupement soumissionnaire peut uniquement se prévaloir, afin de démontrer qu’il satisfait à une condition tenant à l’expérience imposée par le pouvoir adjudicateur conformément à l’article 58, paragraphe 4, de cette directive, de l’expérience dudit membre de ce groupement, et ce même si les documents de marché ne prévoient pas expressément que les membres d’un groupement d’opérateurs économiques doivent satisfaire individuellement à cette condition ».

Prescription et action en requalification en bail commercial

Par un arrêt très récent en date du 7 décembre 2022 et publié au Bulletin, la Cour de cassation est venue rappeler le principe de la prescription biennale en matière de demande de requalification d’un bail commercial.

En l’espèce, le 16 juillet 2009, une société (la bailleresse) avait pour une durée de sept années – soit jusqu’au 30 juin 2016 – donné en location à une société (locataire) un terrain nu.

Le 24 novembre 2015, la bailleresse a ainsi donné congé à la locataire pour le 30 juin 2016, puis l’a assigné le 27 juin 2017 en expulsion et paiement d’une indemnité d’occupation.

A titre reconventionnel, la locataire, a le 12 décembre 2018 sollicité l’annulation du congé en se prévalant du caractère non-écrit de la durée du contrat.

La Cour d’appel a déclaré prescrites les demandes de la locataire qui s’est pourvu en cassation.

La locataire se prévalait en effet des dispositions de l’article L.145-15 du Code de commerce qui prévoit que sont réputées non écrites les clauses qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement afin de démontrer que l’action en requalification du bail commercial n’était pas prescrite.

En effet, l’action tendant à voir réputer non écrite une clause du bail n’étant pas soumise à prescription, la locataire considérait qu’il s’agissait en réalité d’un bail commercial de 9 années dont le terme était le 30 juin 2018 et qu’ainsi l’action en requalification n’était pas prescrite.

Néanmoins, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt d’appel en rappelant que l’article L.145-15 du Code de commerce n’est pas applicable à une demande en requalification d’un contrat en bail commercial et qu’ainsi la prescription de deux ans commençait à courir à compter de la conclusion de la convention le 16 juillet 2009, soit le 16 juillet 2011.

L’analyse de la demanderesse était ainsi intéressante dans la mesure où elle s’appuie sur ces dispositions d’ordre public de l’article L.145-15 du Code de commerce et leurs articulations avec les clauses du bail, mais n’a pu – à juste titre- aboutir en raison de ce principe, rappelé par la Cour de cassation, de la prescription biennale de l’action en requalification en bail commercial.

Le transfert d’un bail d’habitation est automatique pour le bénéficiaire qui remplit les conditions

Par un arrêt récent en date du 28 septembre 2022, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 3e civ. 28-9-2022 n° 21-11.533 F-D) est venue rappeler le caractère automatique du transfert du bail d’habitation au bénéficiaire qui en remplit les conditions.

En l’espèce, la locataire d’un logement social décède. Son fils demeure dans les lieux sans en informer son bailleur.

Informé par l’administration fiscale quatre ans après le décès de la locataire, le bailleur assigne le fils pour faire constater la résiliation de plein droit du bail à la date du décès, ordonner son expulsion et sa condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation.

La Cour d’appel a fait droit aux demandes du bailleur et a ainsi déclaré irrecevable la demande du descendant tendant à bénéficier du transfert du bail.

Néanmoins, et sans surprise, la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel au visa des articles 14 et 40-1, I, de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989.

Il résulte en effet de ces textes que d’une part lors du décès du locataire, le contrat est transféré automatiquement aux descendants qui vivaient avec lui depuis au moins un an à la date du décès. D’autre part, s’agissant d’un logement social comme en l’espèce, le bénéficiaire doit remplir les conditions d’attribution et le logement doit être adapté à la taille du ménage.

Ainsi, et contrairement à ce qu’avait indiqué à la Cour d’appel – à savoir que le transfert devait donner lieu à une action en justice du bénéficiaire visant à faire reconnaitre la réalité de ce droit – la Cour de cassation est venue rappeler que celui-ci s’opère par l’effet même de la loi à la date du décès du locataire si les conditions susmentionnées sont respectées.

Cette piqûre de rappel aux bailleurs et plus particulièrement aux bailleurs sociaux est salutaire et permettra ainsi d’éviter d’éventuels contentieux dont l’issue apparaît aujourd’hui certaine.

Félicitations à nos nouveaux avocats !

Nous sommes fiers de vous annoncer que Camille Langlade Demoyen, Louis Malbète et Marc Langlade ont prêté serment et sont maintenant officiellement avocats au sein de notre Cabinet !

Camille Langlade Demoyen est maintenant avocate dans le secteur de Clémence Du Rostu en droit de l’environnement !

Louis Malbète intègre en qualité d’avocat le secteur domanialité publique aux côtés d’Alexandre Vandepoorter, avocat associé.

Marc Langlade rejoint en qualité d’avocat l’équipe de Claire-Marie Dubois en droit immobilier

 

 

Usage de l’eau : protection du débit minimal biologique d’un cours d’eau

La gestion de la ressource en eau suppose de trouver un équilibre entre les différents usages de cette dernière. C’est ce que confirme le jugement rendu le 29 novembre 2022 par le Tribunal administratif de Montpellier.

En l’espèce, la Fédération nationale de l’environnement Languedoc-Roussillon (FNE LR) a demandé en 2020 au Préfet des Pyrénées-Orientales de relever, par arrêté complémentaire, les débits minimums biologiques relatifs aux prises d’eau des canaux d’Ille, de Thuir, de Peu del Tarres, de Régleille, de Perpignan et de Millas Nefiac situés sur le fleuve de la Têt. Ces prises d’eau ont en effet vocation à alimenter des canaux d’irrigation.

Le « débit minimal » (aussi appelé « débit réservé ») désigne la valeur de débit maintenu à l’aval immédiat de la prise d’eau afin de maintenir un débit minimal garantissant la vie, la circulation et la reproduction des espèces qui peuplent les eaux conformément à l’article L. 214-18 du Code de l’environnement. En l’espèce, les débits des six prises d’eau avaient été fixés par arrêtés du 6 septembre 2017, en fonction des canaux, le cas échéant modulé selon la période de l’année, pour des débits allant de 609 à 1217 litre/seconde (l/s).

Sa demande étant restée sans réponse de la part des services de l’Etat, la FNE demande au tribunal d’annuler la décision implicite de rejet opposée par le Préfet des Pyrénées-Orientales à sa demande et par voie de conséquence de modifier les arrêtés du 6 septembre 2017 ou d’enjoindre au Préfet de prendre de nouveaux arrêtés.

Le tribunal était donc chargé de se prononcer sur les valeurs des débits réservés, ce qui suppose d’articuler les dispositions pertinentes du Code de l’environnement.

D’une part, l’article L. 214-18 du Code de l’environnement énonce que les ouvrages dans le lit d’un cours d’eau doivent « comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ». Le préfet détermine ce débit minimal, qui ne peut être inférieur à certaines valeurs définies par l’article L. 214-18.

D’autre part, l’article L. 211-1 même Code assure la « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ». Cette dernière « doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population […] » mais doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différent usages, d’autres exigences telles que la vie biologique du milieu, la prévention des inondations ou l’agriculture.

Le tribunal administratif considère que, en application des articles L. 214-18 et L. 211-1 du Code de l’environnement, les dispositions que « l’administration est tenue de prendre en compte pour déterminer le débit à maintenir dans le lit du cours d’eau concerné peuvent conduire à fixer un débit supérieur au débit minimal prévu par l’article L. 214-18 du code de l’environnement pour assurer en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces peuplant les eaux en cause. Cet objectif peut, lui-même, conduire à fixer un débit supérieur au débit minimal en fonction des particularités du cours d’eau. Toutefois, l’administration ne peut prendre en compte les autres exigences prévues à l’article L. 211-1 du même code et notamment les besoins de l’activité agricole lorsque ce débit minimal n’est pas atteint ».

En l’espèce, l’association FNE LR soutenait que les débits réservés fixés en 2017 ne respectaient pas les prescriptions de l’article L. 214-18 du Code de l’environnement, dès lors que les valeurs de ces débits n’étaient manifestement pas de nature à garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux.

Pour donner raison à l’association requérante, le tribunal se fonde notamment sur une étude de détermination des volumes prélevables du bassin versant de la Têt, réalisée entre juin 2009 et avril 2012, sous pilotage de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse et des services de l’Etat. Selon les juges, il résulte de cette étude que la valeur de débit minimal fixée à 1500l/s peut être regardée « comme constituant un seuil de fonctionnement satisfaisant ». Alors qu’il disposait de cette étude, le tribunal constate que le préfet « n’apporte aucun élément technique ou scientifique de nature à justifier son choix de fixer la valeur de 1 217 l/s correspondant à la valeur plancher prévue par le texte, alors même qu’il dispose d’une valeur hydrologique supérieure ».

En outre, le préfet ne pouvait justifier ce débit plus faible par la prise en compte des autres exigences prévues à l’article L. 211-1 du Code de l’environnement, puisque cela lui est interdit « dès lors que le débit minimum biologique prévu à l’article L. 214-18 du code de l’environnement n’est pas atteint ».

 

Rejetant le reste des arguments présentés en défense, le tribunal considère que la FNE LR « est fondée à soutenir que les valeurs des débits réservés imposées par les arrêtés contestés ont été fixées en méconnaissance de l’article L. 214-18 du code de l’environnement et qu’en refusant par la décision contestée d’édicter des prescriptions complémentaires en vue de modifier ces valeurs le préfet a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation ».

Par conséquent, le Tribunal administratif de Montpellier prononce l’annulation de cette décision implicite. En outre, après avoir rappelé que le présent litige constituait un contentieux de pleine juridiction (article L. 181-17 du Code de l’environnement), le Tribunal décide de modifier les arrêtés du 6 septembre 2017 et de fixer la valeur du débit réservé pour les six prises d’eau à 1500 l/s. Il supprime également la modulation estivale existante pour certains canaux.

L’ensemble des modifications prendra effet au 1er avril 2023.

Encadrement de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000

Ce décret, publié le 30 novembre, renforce le contrôle des produits phytopharmaceutiques (plus couramment appelés pesticides) dans les zones Natura 2000.

Selon l’article L. 414-1 du Code de l’environnement, l’appellation commune de « sites Natura 2000 » regroupe un ensemble de sites terrestres ou maritimes désignés comme tels par décision de l’autorité administrative, soit comme zones spéciales de conservation, soit comme zones de protection spéciale. Par conséquent, ces sites font l’objet de mesures de conservation, de restauration ou de prévention, afin de permettre le maintien à long terme des habitats naturels et des populations des espèces de faune et de flore sauvages qui ont justifié leur délimitation.

En raison de leur particulière sensibilité, la protection de ces zones au titre des produits phytopharmaceutiques apparaît alors comme nécessaire.

C’est d’abord la directive-cadre 2009/128/CE sur les pesticides du 21 octobre 2009[1] qui a considéré que « l’utilisation de pesticides peut s’avérer particulièrement dangereuse dans certaines zones très sensibles telles que les sites Natura 2000 protégés en vertu des directives 79/409/CEE et 92/43/CEE. […] » (préambule, considérant 16).

A ce titre, l’article 12 de cette directive prévoit que les Etats membres de l’Union européenne doivent veiller à ce que l’utilisation de produits phytopharmaceutiques soit restreinte ou interdite dans les sites Natura 2000.

Cette obligation a fait l’objet d’une transposition en droit interne[2] par le biais de l’article L. 253-7 du Code rural et de la pêche maritime. En vertu de cette disposition, l’autorité administrative peut prendre toute mesure d’interdiction, de restriction ou de prescription particulière, s’agissant notamment de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, dès lors que de telles mesures s’avèrent nécessaires à la protection de la santé publique et de l’environnement.

Ces mesures sont prises par arrêté conjoint des Ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation (article R. 253-45 du Code rural et de la pêche maritime) et s’appliquent explicitement aux sites Natura 2000 (article L. 253-7 du Code rural et de la pêche maritime, I, 3°).

En l’espèce, l’intervention du décret du 28 novembre 2022 doit s’apprécier en fonction de la décision rendue par le Conseil d’Etat le 15 novembre 2021[3], dans laquelle ce dernier a annulé la décision implicite de refus des Ministres de la transition écologique et solidaire, des solidarités et de la santé, de l’agriculture et de l’alimentation et de l’économie et des finances, de définir les mesures d’application des 2° et 3° du I de l’article L. 253-7 du Code rural et de la pêche maritime. En effet, les dispositions règlementaires actuelles ne permettaient pas « de garantir que l’utilisation de pesticides sera systématiquement encadrée voire interdite » sur les sites terrestres Natura 2000, « en méconnaissance des exigences posées par l’article 12 de la directive du 21 octobre 2009 précitée et des dispositions de l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime qui assurent sa transposition ».

Le juge administratif conclut que le pouvoir règlementaire doit être regardé comme n’ayant pas adopté les mesures règlementaires qui s’imposaient au regard des exigences du droit de l’Union européenne tel que transposé en droit interne. Par conséquent, il enjoint aux Ministres précédemment désignés de prendre les mesures règlementaires d’application qu’implique nécessairement le 3° du I de l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime.

Le présent décret entend apporter une réponse à la décision du Conseil d’Etat en complétant l’article R. 253-45 du Code rural et de la pêche maritime. Par dérogation au deuxième alinéa de cet article, qui prévoit une compétence interministérielle pour prendre les mesures nécessaires en matière de produits phytopharmaceutiques, le décret prévoit désormais que les préfets encadrent ou interdisent l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, dans les sites terrestres Natura 2000.

Depuis le 1er décembre 2022, l’article R. 253-45 est donc rédigé comme suit :

« L’autorité administrative mentionnée à l’article L. 253-7 est le ministre chargé de l’agriculture.

Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l’article L. 253-7 concernent l’utilisation et la détention de produits visés à l’article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation.

Par dérogation au deuxième alinéa, le préfet encadre ou interdit l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les sites terrestres Natura 2000, au regard des objectifs de conservation ou de restauration des habitats naturels et des espèces définis dans les documents d’objectifs, lorsque cette utilisation n’est pas effectivement prise en compte par les mesures, prévues au V de l’article L. 414-1 du code de l’environnement, définies dans le cadre des contrats et chartes ».

Un point de vigilance toutefois : les préfets ne peuvent encadrer l’utilisation des produits phytopharmaceutiques que lorsque cet encadrement n’a pas été prévu par les chartes et contrats.

En effet, les dispositions prévues au V de l’article L. 414-1 du Code de l’environnement énoncent que les sites Natura 2000 font l’objet de mesures de conservation, de restauration ou de prévention « définies en concertation notamment avec les collectivités territoriales intéressées et leurs groupements concernés ainsi qu’avec des représentants de propriétaires, exploitants et utilisateurs des terrains et espaces inclus dans le site ». Ces mesures sont prises dans le cadre de contrats ou de chartes.

Plus précisément, la gestion des sites Natura 2000 en France repose principalement sur une démarche contractuelle et volontaire :

  • les orientations sont d’abord définies par un document d’objectifs (DOCOB) ;
  • la gestion du site se fait par l’intermédiaire de contrats et chartes Natura 2000 signés par différents acteurs des sites (élus, agriculteurs, forestiers, chasseurs, pêcheurs, propriétaires terriens, associations, usagers et experts…).

Les mesures de protection de la faune et de la flore sont donc prises essentiellement dans le cadre de ces contrats et chartes.

Ce n’est qu’à défaut de cet encadrement contractuel que les préfets pourront agir sur le fondement du nouvel alinéa introduit, afin d’encadrer ou d’interdire l’utilisation de produits phytopharmaceutiques.

Cette intervention locale des préfets de département est la bienvenue, dès lors qu’elle permet de protéger davantage les sites Natura 2000.

 

[1] Directive 2009/128/CE du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.

[2] Ordonnance n° 2011-840 du 15 juillet 2011 relative à la mise en conformité des dispositions nationales avec le droit de l’Union européenne sur la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

[3] CE, 15 novembre 2021, France Nature Environnement, n° 437613.

Fermeture des stations de lavage bretonnes : le Tribunal administratif de Rennes rejette la demande de suspension des arrêtés préfectoraux

L’année 2022 a été la plus chaude jamais mesurée en France depuis le début des relevés en 1900. Les trois vagues de chaleur enregistrées pendant l’été se sont accompagnées d’une sécheresse historique, et de fait, plusieurs mesures réglementaires sont intervenues afin d’en limiter les effets.

Les articles L. 211-3 et R. 211-67 du Code de l’environnement permettent au préfet compétent de prendre un arrêté, dit arrêté-cadre, fixant le cadre des modalités de préservation et de gestion de la ressource en eau, en période de sécheresse, dans le département. Sont également déterminées les restrictions à mettre en œuvre en fonction du niveau de gravité déterminé par des seuils de gestion (vigilance, alerte, alerte renforcée, sécheresse). Le préfet peut ensuite prendre des mesures de limitation ou de suspension provisoire des usages de l’eau, pour faire face à une menace ou aux conséquences d’accidents, de sécheresse, d’inondations ou à un risque de pénurie.

Cette procédure a été mise en œuvre dans le département d’Ille-et-Vilaine :

  • Arrêté du 11 juin 2021 : cet arrêté-cadre délimite les secteurs et les seuils de gestion sur le territoire du département, pour la période du 1er avril au 30 novembre de chaque année ;
  • Arrêtés des 18 juillet, 25 juillet et 2 août 2022 : ces arrêtés placent le département, selon les secteurs et le débit journalier des cours d’eau, en situation d’alerte, d’alerte renforcée ou de crise sécheresse ;
  • Arrêté du 12 août 2022 : face à l’aggravation de la situation, cet arrêté place l’ensemble du département en crise sécheresse et prescrit un ensemble de restrictions et d’interdictions de prélèvements et des usages des eaux, dont la fermeture des stations de lavage (sauf pour un certain nombre d’exceptions) ;
  • Arrêté du 20 octobre 2022 : ce dernier arrêté place le département en alerte renforcée et l’activité des stations de lavage est interdite, à l’exception d’une piste de lavage à haute pression par station jusqu’au 30 novembre 2022.

Sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, plusieurs sociétés de lavage ont demandé la suspension de l’exécution des arrêtés des 12 août et 20 octobre 2022, en tant qu’ils ont interdit puis rétabli partiellement l’activité des stations de lavage.

A noter que si le référé-suspension, enregistré le 7 octobre 2022, n’était dirigé initialement qu’à l’encontre de l’arrêté du 12 août, la clôture de l’instruction a été différée à l’issue de l’audience, permettant au juge des référés de prendre en considération l’arrêté préfectoral du 20 octobre. Les sociétés requérantes ont donc formulé, à l’encontre de ce dernier, des conclusions à fin de suspension.

D’une part, le juge des référés considère qu’il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions présentées à l’encontre de l’arrêté du 12 août, ce dernier ayant été abrogé par l’arrêté du 20 octobre.

D’autre part, s’agissant du second arrêté, il convient de revenir sur les dispositions applicables.

En droit, l’article L. 211-1 du Code de l’environnement dispose que les dispositions du titre Ier du Livre II de ce Code « ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ». Cette dernière « doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population […] ».

L’article R. 211-66 du même Code prévoit que les mesures prises par le préfet en application de l’article L. 211-3 sont « proportionnées au but recherché [et] ne peuvent être prescrites que pour une période limitée, éventuellement renouvelable. Dès lors que les conditions d’écoulement ou d’approvisionnement en eau redeviennent normales, il est mis fin, s’il y a lieu graduellement, aux mesures prescrites ».

En l’espèce, le juge retient que l’arrêté préfectoral du 20 octobre 2022 répond, en l’état de l’instruction, à la nécessité de faire face à la menace de sécheresse ou à un risque de pénurie de la ressource en eau. Le juge se fonde utilement sur les conditions climatiques, et en particulier le déficit pluviométrique constaté dans le département depuis le début de l’année.

Cet arrêté est également, selon le juge, proportionné au but recherché, dans la mesure où ce dernier relève que le préfet a opéré une conciliation entre :

  • L’exercice de l’activité des sociétés requérantes, notamment les atteintes invoquées par ces dernières à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie ;
  • Les exigences d’une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau, qui doit nécessairement prioriser les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population.

Le juge des référés relève en outre qu’ « il ne résulte pas de l’instruction que l’objectif de préservation de la ressource en eau potable pourrait être atteint, eu égard à la situation à la date de la présente ordonnance, par des mesures moins contraignantes que celles édictées par l’arrêté en litige ».

Enfin, le juge des référés considère que les mesures prescrites sont limitées dans le temps, dès lors qu’elles peuvent être modifiées « en fonction de l’observation de l’état de la ressource en eau » et que l’arrêté n’est « en tout état de cause applicable que jusqu’au 30 novembre 2022 ».

Par conséquent, le juge des référés considère qu’il n’existe aucun moyen, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige, y compris sur les atteintes à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie invoquées devant lui.

Dès lors, les conclusions à fin de suspension de la requête ne peuvent, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la condition d’urgence, qu’être rejetées.

Atteinte à la conservation des habitats naturels : la simple violation d’un arrêté préfectoral suffit à caractériser l’intention délictuelle

En l’espèce, la construction d’un gazoduc avait nécessité le défrichement de zones boisées et la création d’une piste pour permettre notamment le passage des engins de travaux publics.

Ces opérations qui entrainaient notamment une destruction des habitats naturels et une dégradation des sites de reproduction ou d’aires de repos d’espèces animales protégées avaient été autorisées par arrêtés préfectoraux qui prévoyaient toutefois la mise en œuvre de mesures de remise en état – notamment de reboisement du site – dans un délai déterminé.

Lors des transports sur les lieux par les Inspecteurs de l’Office français de la Biodiversité (OFB), il apparaissait que la société en charge des travaux n’avait pas respecté les prescriptions préfectorales, notamment quant aux mesures compensatoires prévues.

La société en charge des travaux ainsi que son directeur de projet se voyaient alors délivrer une citation devant le Tribunal correctionnel du chef du délit d’atteintes à la conservation des habitats naturels prévu et réprimé par l’article L.415-3 du Code de l’environnement – en l’occurrence par la destruction de plus de 40 hectares de forêt.

Dans un arrêt en date du 10 novembre 2021, la Cour d’appel de Dijon – saisie par les prévenus à la suite de leur condamnation par le Tribunal correctionnel – rappelait que l’article L. 411-2 du Code de l’environnement prévoit la possibilité de dérogations à la protection stricte des habitats naturels afin notamment de permettre la construction de projets nécessaires à l’activité humaine qui présente un intérêt public majeur ; elle confirmait toutefois le jugement et déduisait la caractérisation de l’infraction du seul fait d’une violation des arrêtés préfectoraux délivrés.

Les prévenus formaient un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt soutenant notamment que l’intention délictueuse n’avait pas été caractérisée par la Cour alors que le délit poursuivi était une infraction de commission.

Saisie d’un pourvoi, la Chambre criminelle validait le raisonnement des juges du fond en affirmant que d’une part « le délit d’atteinte à la conservation des habitats naturels, en violation des prescriptions prévues par les règlements ou décisions individuelles […], peut être consommé par la simple abstention de satisfaire aux dites prescriptions » et, d’autre part, « une faute d’imprudence ou négligence suffit à caractériser l’élément moral du délit ».

Cet arrêt vient apporter une nouvelle illustration du contentieux pénal environnemental, intéressante notamment quant aux contours de l’élément moral des infractions dites non intentionnelles.

Avis de la CRE sur les projets de textes réglementaires d’application de la loi MUPPA

Par une délibération en date du 10 novembre 2022, la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) a donné son avis sur un projet de décret et un projet d’arrêté d’application de dispositions législatives introduites aux articles L. 321-17-1 et L. 321-17-2 du Code de l’énergie par la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat (dite « loi MUPPA »).

Pour rappel, ces nouvelles dispositions législatives prévoient, en cas de menace grave et imminente sur la sécurité d’approvisionnement :

  • L’obligation de mise à disposition du gestionnaire du réseau public de transport de la totalité des capacités d’effacement de consommation, de production et de stockage valorisées par des opérateurs d’ajustement sur le mécanisme d’ajustement techniquement disponible et non utilisées par ces opérateurs par l’intermédiaire de ce mécanisme d’ajustement ; et l’obligation d’offre à la vente de la totalité des capacités d’effacement de consommation valorisées sur les marchés de l’énergie par des opérateurs d’effacement, techniquement disponibles et non utilisées (art. L. 321-17-1 du Code de l’énergie) ;
  • Ensuite, l’obligation, pour les sites de consommation qui utilisent des installations de production ou de stockage d’électricité de plus d’un mégawatt en vue de leur fournir une alimentation de secours, de mettre à la disposition du gestionnaire du réseau public de transport la totalité de la puissance non utilisée et techniquement disponible de ces installations (art. L. 321-17-2 du Code de l’énergie).

La mise en œuvre de ces deux dispositions appelle des textes réglementaires dont les projets ont été soumis à la CRE par le Gouvernement.

Le projet de décret élaboré :

  • définit les modalités de la mise à disposition de la puissance non utilisée et techniquement disponible des installations susvisées ;
  • encadre le montant des pénalités financières dues en cas de manquement à cette obligation ;
  • détaille les catégories de sites de consommation exemptées de cette même obligation.

Un projet d’arrêté définit quant à lui les modalités de calcul des pénalités financières de ce dispositif.

La CRE émet un avis favorable sur ces projets de décret et d’arrêté « en ce qu’ils permettront la mise à disposition du système électrique français d’un maximum de puissance techniquement disponible et non utilisée en période de tension. En particulier, la CRE est favorable aux modalités de pénalisation financière associées à ce dispositif, dans la mesure où celles-ci sont à la fois proportionnées et suffisamment incitatives pour encourager la mobilisation de l’ensemble des moyens disponibles. La CRE est également favorable à la liste établie pour les sites de consommation bénéficiant d’une exemption relative à la mise à disposition de leurs moyens de fourniture de secours, celle-ci correspondant aux sites sensibles et à ceux assurant des missions d’intérêt général ».

Crise énergétique : mesures d’aides en faveur des ménages chauffés collectivement au gaz

Un décret du 14 novembre 2022 a prolongé le dispositif d’aide en faveur des ménages chauffés collectivement au gaz naturel ou par un réseau de chaleur utilisant du gaz.

Ce dispositif d’aide (instauré par le décret n° 2022-514 du 9 avril 2022 relatif à l’aide en faveur de l’habitat collectif résidentiel face à l’augmentation du prix du gaz naturel) se veut un équivalent au dispositif de gel des tarifs réglementés du gaz dont bénéficient les consommateurs concernés dans le cadre d’une alimentation individuelle au gaz.

Le gel des tarifs réglementés de vente du gaz ayant été prolongé jusqu’au 31 décembre 2022, le dispositif d’aide ici commenté l’est également de manière symétrique.

Dispositif du « bac à sable réglementaire » : point d’étape de la CRE

Délibération n° 2022-299 du 24 novembre 2022 portant modification de la délibération n° 2020-125 en date du 4 juin 2020 portant décision sur la mise en œuvre du dispositif d’expérimentation réglementaire prévu par la loi relative à l’énergie et au climat

Par une délibération en date du 17 novembre 2022, la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) a dressé un bilan de l’avancement des projets ayant bénéficié du dispositif dit de « bac à sable réglementaire » depuis la création du dispositif.

Pour rappel, l’article 61 de la loi Energie Climat du 8 novembre 2019 a prévu un dispositif d’expérimentation, dit « bac à sable règlementaire », qui permet à la CRE d’octroyer des dérogations temporaires aux conditions d’accès et d’utilisation des réseaux et installations fixées par le Code de l’énergie au bénéfice de porteurs de projets innovants en vue d’expérimenter des technologies ou des services innovants en faveur de la transition énergétique.

Comme le relève la CRE : « ce dispositif apporte un cadre juridique adapté aux projets, leur permettant de tester des innovations qui, sans cela, auraient nécessité des évolutions préalables du cadre réglementaire et législatif applicable ».

A ce jour, deux guichets de traitement des candidatures à ce dispositif ont été organisés par la CRE, 41 projets candidats ayant été déposés dans le cadre du premier et 38 dans le cadre du second.

Au total, à ce jour, 23 projets ont bénéficié de dérogations accordées par la CRE, et 4 projets ont bénéficié de dérogation de la Direction Générale de l’Energie et du Climat (DGEC) qui dispose également d’une compétence pour accorder des dérogations.

La délibération du 17 novembre 2022 a pour objet l’établissement d’un bilan annuel (imposé par la loi) de l’état d’avancement des 13 projets ayant bénéficié d’une dérogation au cours de l’année précédente (en 2021 donc). Ce bilan est établi sur la base des informations communiquées par les porteurs de projets et les gestionnaires de réseaux concernés.

Au titre de ce bilan, la CRE apporte de nombreuses précisions sur le contexte, le degré d’avancement et les différentes étapes réalisées ou à venir de chacun de ces projets.

La CRE « constate un bon avancement général des projets, et se réjouit de l’implication des gestionnaires de réseaux aussi bien de gaz que d’électricité dans l’accompagnement de ces projets ».

La CRE formule néanmoins une réserve en notant que « le bac à sable réglementaire gagnerait encore en efficacité si les autorités compétentes dans l’instruction et l’octroi des dérogations renforçaient leurs processus de coordination et de décision ».

La CRE constate par ailleurs que le cadre réglementaire a récemment évolué, permettant d’ores et déjà à des expérimentations lancées dans le cadre du bac à sable réglementaire d’être généralisées (il s’agit des opérations visant à injecter dans les réseaux du méthane de synthèse produit à partir d’intrants biodégradables).

Enfin, par une délibération en date du 24 novembre 2022, la CRE a apporté des précisions sur les modalités procédurales de traitement des candidatures au dispositif d’expérimentation réglementaire. Aux termes de cette délibération, le mécanisme de guichet ouvert pendant trois mois pour déposer les candidatures est supprimé. Lui est substitué un dispositif permettant un dépôt de candidature à tout moment, la CRE traitant désormais les candidatures au fur et à mesure de leur réception.

Les modalités précises d’examen des candidatures et des projets sont en outre rappelées dans cette délibération.

Procédure de mise en concurrence relatives à des installations de production d’énergie renouvelable en mer et commande publique

Dans le cadre des procédures de mise en concurrence relatives à des installations de production d’énergie renouvelable en mer, une procédure d’amélioration de l’offre du candidat a été instituée par le III de l’article 58 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance. Cette possibilité concernait les procédures dont le candidat retenu avait été désigné avant le 1er janvier 2015 mais avec lequel aucun contrat d’achat d’électricité n’avait encore été conclu à la date de publication de la loi du 10 août 2018.

Cette procédure nouvelle permet au Ministre chargé de l’énergie de demander au candidat retenu d’améliorer son offre, notamment :

  • En modifiant le montant du tarif d’achat ;
  • En modifiant les modalités de révision ou de versement de ce tarif ;
  • En réduisant la puissance de l’installation, le cas échéant par dérogation à certaines dispositions du cahier des charges.

C’est dans le cadre de la mise en œuvre de cette procédure que l’association « Non aux éoliennes entre Noirmoutier et Yeu » a demandé l’annulation de la décision retenant le site d’implantation du parc éolien en mer sur le domaine public maritime au large des îles d’Yeu et de Noirmoutier et de l’arrêté du Ministre de la transition écologique et solidaire autorisant la société X à exploiter une installation éolienne de production d’électricité en mer.

L’association requérante soutenait notamment que la procédure d’amélioration des offres méconnaissait les principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats en ce qu’elle avait pour effet de modifier substantiellement le cahier des charges initial. L’association en déduisait que la décision portant acceptation de l’offre améliorée aurait dû être précédée d’une nouvelle mise en concurrence.

Après avoir rappelé le principe de la procédure d’amélioration de l’offre, le Conseil d’Etat indique que celle-ci, prévue par le législateur, « est justifiée par des motifs d’intérêt général et permet notamment de tenir compte de l’évolution des conditions économiques d’exploitation des parcs éoliens en mer, en diminuant par exemple le tarif d’achat de l’électricité ainsi produite et en évitant que, compte tenu de cette évolution, la société exploitation ne perçoive une rémunération excessive ».

La Haute juridiction en déduit que cette procédure « permet de départager les candidats selon une procédure objective, transparente et non discriminatoire » et « ne porte par elle-même aucune atteinte aux principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats ».

Hausse du coût de l’énergie : Les mesures envisagées pour soutenir les collectivités territoriales

Un amortisseur électricité pour les entreprises et les collectivités dès 2023

Le 27 octobre 2022, la Première ministre Elisabeth Borne avait annoncé le dispositif « amortisseur électricité » visant à réduire la facture énergétique des collectivités territoriales ne pouvant bénéficier des tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE).

En complément du filet de sécurité défini par le projet de la loi de finances pour 2023[1], ce mécanisme consistera en la prise en charge, par l’Etat, d’une partie de la facture d’électricité des collectivités dès lors que le prix souscrit dépasse un certain montant.

La Ministre Agnès Pannier-Runacher précise que ce dispositif sera automatique, sans aucun dossier ni instruction préalable. La baisse du prix apparaîtra directement sur la facture d’électricité.

Ce dispositif, qui entrera en vigueur dès le 1er janvier 2023 pour une durée d’un an, fera l’objet d’une compensation financière versée par l’Etat aux fournisseurs d’énergie, à travers les charges de service public de l’énergie.

Le Parlement est également force de propositions s’agissant du soutien aux collectivités territoriales, en témoigne le texte déposé le 24 octobre 2022 par des sénateurs visant à protéger les collectivités territoriales de la hausse des prix de l’énergie en leur permettant de bénéficier des tarifs réglementés de vente de l’énergie.

Précisément, cette proposition de loi porte notamment l’ambitieux projet de rendre applicables les TRV à l’ensemble des collectivités territoriales et leurs groupements.

Pour mémoire, désormais seules les petites collectivités ont la faculté de conserver leurs TRVE.

Entré en vigueur le 1er janvier 2021, l’article L. 337-7 du Code de l’énergie dispose en substance que seules peuvent bénéficier du tarif réglementé en matière d’électricité (TRVE), pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères, les collectivités ayant moins de dix personnes employées et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n’excède pas 2 millions d’euros.

Par ailleurs, l’article 2 de cette proposition de loi entend également maintenir les TRV de gaz (TRVG) notamment pour les collectivités territoriales et leurs groupements. En effet, l’article 63 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat a supprimé les TRVG, le 1er décembre 2020, pour les consommateurs finals non domestiques consommant moins de 30.000 kilowattheures par an, et le 1er juillet 2023, pour les consommateurs finals domestiques ainsi que les propriétaires ou syndicats des copropriétaires d’immeubles d’habilitation dont la consommation est inférieure à ce niveau.

Des propositions qui, pour aboutir, doivent être conciliées avec le droit de l’Union européenne appelé, il est vrai, à évoluer en raison de la crise énergétique.

 

[1] Voir en ce sens notre brève faisant le point sur les aides au bénéfice des collectivités territoriales pour leur approvisionnement en électricité, parue le 17 novembre 2022