Environnement, eau et déchet
le 08/12/2022
Pauline DELETOILLEPauline DELETOILLE

Usage de l’eau : protection du débit minimal biologique d’un cours d’eau

TA de Montpellier, 29 novembre 2022, n° 2100138

La gestion de la ressource en eau suppose de trouver un équilibre entre les différents usages de cette dernière. C’est ce que confirme le jugement rendu le 29 novembre 2022 par le Tribunal administratif de Montpellier.

En l’espèce, la Fédération nationale de l’environnement Languedoc-Roussillon (FNE LR) a demandé en 2020 au Préfet des Pyrénées-Orientales de relever, par arrêté complémentaire, les débits minimums biologiques relatifs aux prises d’eau des canaux d’Ille, de Thuir, de Peu del Tarres, de Régleille, de Perpignan et de Millas Nefiac situés sur le fleuve de la Têt. Ces prises d’eau ont en effet vocation à alimenter des canaux d’irrigation.

Le « débit minimal » (aussi appelé « débit réservé ») désigne la valeur de débit maintenu à l’aval immédiat de la prise d’eau afin de maintenir un débit minimal garantissant la vie, la circulation et la reproduction des espèces qui peuplent les eaux conformément à l’article L. 214-18 du Code de l’environnement. En l’espèce, les débits des six prises d’eau avaient été fixés par arrêtés du 6 septembre 2017, en fonction des canaux, le cas échéant modulé selon la période de l’année, pour des débits allant de 609 à 1217 litre/seconde (l/s).

Sa demande étant restée sans réponse de la part des services de l’Etat, la FNE demande au tribunal d’annuler la décision implicite de rejet opposée par le Préfet des Pyrénées-Orientales à sa demande et par voie de conséquence de modifier les arrêtés du 6 septembre 2017 ou d’enjoindre au Préfet de prendre de nouveaux arrêtés.

Le tribunal était donc chargé de se prononcer sur les valeurs des débits réservés, ce qui suppose d’articuler les dispositions pertinentes du Code de l’environnement.

D’une part, l’article L. 214-18 du Code de l’environnement énonce que les ouvrages dans le lit d’un cours d’eau doivent « comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux ». Le préfet détermine ce débit minimal, qui ne peut être inférieur à certaines valeurs définies par l’article L. 214-18.

D’autre part, l’article L. 211-1 même Code assure la « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ». Cette dernière « doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population […] » mais doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différent usages, d’autres exigences telles que la vie biologique du milieu, la prévention des inondations ou l’agriculture.

Le tribunal administratif considère que, en application des articles L. 214-18 et L. 211-1 du Code de l’environnement, les dispositions que « l’administration est tenue de prendre en compte pour déterminer le débit à maintenir dans le lit du cours d’eau concerné peuvent conduire à fixer un débit supérieur au débit minimal prévu par l’article L. 214-18 du code de l’environnement pour assurer en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces peuplant les eaux en cause. Cet objectif peut, lui-même, conduire à fixer un débit supérieur au débit minimal en fonction des particularités du cours d’eau. Toutefois, l’administration ne peut prendre en compte les autres exigences prévues à l’article L. 211-1 du même code et notamment les besoins de l’activité agricole lorsque ce débit minimal n’est pas atteint ».

En l’espèce, l’association FNE LR soutenait que les débits réservés fixés en 2017 ne respectaient pas les prescriptions de l’article L. 214-18 du Code de l’environnement, dès lors que les valeurs de ces débits n’étaient manifestement pas de nature à garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux.

Pour donner raison à l’association requérante, le tribunal se fonde notamment sur une étude de détermination des volumes prélevables du bassin versant de la Têt, réalisée entre juin 2009 et avril 2012, sous pilotage de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse et des services de l’Etat. Selon les juges, il résulte de cette étude que la valeur de débit minimal fixée à 1500l/s peut être regardée « comme constituant un seuil de fonctionnement satisfaisant ». Alors qu’il disposait de cette étude, le tribunal constate que le préfet « n’apporte aucun élément technique ou scientifique de nature à justifier son choix de fixer la valeur de 1 217 l/s correspondant à la valeur plancher prévue par le texte, alors même qu’il dispose d’une valeur hydrologique supérieure ».

En outre, le préfet ne pouvait justifier ce débit plus faible par la prise en compte des autres exigences prévues à l’article L. 211-1 du Code de l’environnement, puisque cela lui est interdit « dès lors que le débit minimum biologique prévu à l’article L. 214-18 du code de l’environnement n’est pas atteint ».

 

Rejetant le reste des arguments présentés en défense, le tribunal considère que la FNE LR « est fondée à soutenir que les valeurs des débits réservés imposées par les arrêtés contestés ont été fixées en méconnaissance de l’article L. 214-18 du code de l’environnement et qu’en refusant par la décision contestée d’édicter des prescriptions complémentaires en vue de modifier ces valeurs le préfet a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation ».

Par conséquent, le Tribunal administratif de Montpellier prononce l’annulation de cette décision implicite. En outre, après avoir rappelé que le présent litige constituait un contentieux de pleine juridiction (article L. 181-17 du Code de l’environnement), le Tribunal décide de modifier les arrêtés du 6 septembre 2017 et de fixer la valeur du débit réservé pour les six prises d’eau à 1500 l/s. Il supprime également la modulation estivale existante pour certains canaux.

L’ensemble des modifications prendra effet au 1er avril 2023.