Loi du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement : dispositions intéressant les organismes HLM

Plusieurs dispositions de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 intéressent les organismes HLM.

On citera en premier lieu l’article 20 de ladite loi, créant la notion de « syndic d’intérêt collectif », réputé compétent pour intervenir dans les copropriétés en difficulté pour lesquelles un mandataire ad hoc a été désigné sur le fondement de l’article 29-1 A de la loi du 10 juillet 1965 et pour assister l’administrateur provisoire désigné sur le fondement de l’article 29-1.  Cette qualité de syndic d’intérêt collectif est reconnue par voie d’agrément, délivré par le préfet du département pour une période de cinq ans dans des conditions à déterminer par décret. La liste des syndics d’intérêt collectif est communiquée par le préfet au Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. Le III de l’article 20 de la loi du 9 avril 2024 prévoit que les organismes HLM et les SEM agréées logement social se voient de plein droit, et à leur demande expresse, reconnaître la qualité de syndic d’intérêt collectif.

En second lieu, on rappellera que l’ordonnance n° 2023-80 en date du 8 février 2023 a créé le bail réel et solidaire d’activité (BRSA), dont l’objet est de permettre aux organismes de foncier solidaire (OFS), « à titre subsidiaire et dans un but de mixité fonctionnelle de leurs opérations, d’intervenir pour réaliser ou faire réaliser des locaux à usage commercial ou professionnel sur des terrains acquis ou gérés au titre de leur activité principale ». Dit autrement, les OFS peuvent construire (ou faire construire, via un BRSA-opérateur), sur des terrains acquis pour la construction de logements, des locaux d’activité en vue de la conclusion de BRSA au profit de microentreprises (moins de 10 salariés et moins de deux millions d’euros de chiffre d’affaires). La loi du 9 avril 2024 apporte plusieurs précisions concernant les organismes HLM :

  • l’article 57 précise que les organismes HLM peuvent être opérateurs dans le cadre des BRSA-opérateurs susmentionnés ;
  • l’article 58 autorise les organismes HLM à réaliser des prestations de services pour le compte des OFS dans le cadre des BRSA (par exemple, des prestations de commercialisation) ;
  • enfin, l’article 59 les autorise expressément, lorsqu’ils sont agréés en qualité d’OFS, à conclure des BRSA.

L’absence d’une clause de révision de prix n’empêche pas l’application du contrat

L’absence d’une clause de révision de prix obligatoire ne rend pas illicite le contenu même du contrat et ne constitue pas un vice d’une particulière gravité de nature à justifier que le contrat soit écarté et à faire obstacle à ce que le litige soit réglé sur le terrain contractuel.

En l’espèce, la société Nouvelle Laiterie de la Montagne (SNLM) s’était vu attribuer deux lots portant sur la fourniture de thon entier naturel dans le cadre d’un marché public de fourniture et de livraison de produits alimentaires lancé par l’établissement national des produits de l’agriculture et de la mer (FranceAgriMer).

Durant l’exécution du contrat, la SNLM a fait part à FranceAgriMer des difficultés d’exécution du marché qu’elle rencontrait et a sollicité, soit une hausse de prix de 18 %, soit un report de la date de livraison « en raison de la situation sur le marché mondial du thon ».

FranceAgriMer a refusé et a appliqué les pénalités prévues dans le cahier des charges pour non-respect de l’obligation de livraison. Ce dont la SNLM a tenté de s’exonérer en demandant au juge d’écarter l’application du contrat qui aurait été, selon elle, entaché d’un vice d’une particulière gravité en l’absence de clause de révision des prix.

On sait qu’aux termes des dispositions de l’article R. 2112-14 du Code de la commande publique, la clause de révision de prix est obligatoire pour les marchés d’une durée supérieure à 3 mois qui nécessitent pour leur réalisation le recours à une part importante de fournitures (notamment de matières premières) dont le prix est directement affecté par les fluctuations de cours mondiaux.

On sait aussi que depuis la jurisprudence « Béziers I », une irrégularité n’est de nature à écarter l’application d’un contrat que si elle rend illicite le contenu même du contrat ou constitue un vice d’une particulière gravité.

En l’espèce, bien que la Cour administrative d’appel de Paris ait constaté qu’« en l’absence de clause de révision de prix, ces marchés étaient donc entachés d’illégalité », elle a jugé que « l’absence d’une clause de révision de prix ne rend pas illicite le contenu même du contrat, et ne constitue pas un vice d’une particulière gravité, de nature à justifier que le contrat soit écarté et à faire obstacle à ce que le litige soit réglé sur le terrain contractuel. La société SNLM n’est donc pas fondée à se prévaloir de l’illégalité entachant, en l’absence d’une telle clause, les marchés qu’elle a conclus avec FranceAgriMer, pour solliciter la décharge des pénalités d’inexécution qui lui ont été infligées sur le fondement de ces contrats ».

Cette décision s’inscrit ainsi dans la continuité de la jurisprudence administrative qui a déjà pu considérer que l’absence d’une clause obligatoire d’un contrat administratif ne rend pas illicite le contenu même de ce dernier.

Ainsi, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de considérer que l’omission de faire figurer dans une convention de délégation de service public, comme le prévoit l’article L. 1411-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), la justification des montants et modes de calcul des droits d’entrée et des redevances versées par le délégataire à la collectivité délégante ne donne pas un caractère illicite au contrat ni n’affecte les conditions dans lesquelles les deux parties ont donné leur consentement et peut, au demeurant, être régularisée. Dès lors, pour le Conseil d’Etat, une telle omission n’est pas de nature à justifier, en l’absence de toute autre circonstance particulière, que dans le cadre d’un litige entre les parties, l’application de ce contrat soit écartée (CE, 10 juillet 2020, n°434353).

L’on notera que la position de la jurisprudence administrative diffère en présence d’une clause illicite indivisible du reste du contrat. Comme l’a très récemment jugé le Conseil d’Etat au sujet d’une clause de paiement différé dans un marché public, puisqu’ « il serait impossible d’annuler cette seule clause sans modifier substantiellement le contrat, soit en supprimant le prix soit en imposant son versement en une seule fois » pour reprendre les termes du Rapporteur Public Nicolas LABRUNE. Ainsi, une clause indivisible du reste du marché public est de nature à entacher d’illicéité le contenu même du contrat (CE, 3 avril 2024, n°472476).

La signature d’une transaction ne crée pas un droit à indemnisation pour le tiers au contrat, même si ce dernier est une caisse de sécurité sociale

La transaction signée entre la victime d’un accident et la collectivité responsable n’est pas de nature à ouvrir un droit à indemnisation à un tiers, même si ce dernier est une caisse de sécurité sociale subrogée dans les droits de la victime. Le remboursement des débours exposés par la caisse ne pourra se faire que par la démonstration d’une faute de la personne publique.

A la suite d’une blessure à la jambe subie lors d’un jeu de ballon organisé par le centre de loisirs de la commune de Clermont-Ferrand, les parents de la victime ont reproché aux responsables de cette structure de ne pas avoir tenu compte de la contre-indication à cette activité de leur enfant à raison de la maladie génétique dont il est affecté (Charcot-Marie-Tooth). Ils ont saisi le Tribunal administratif d’un recours indemnitaire et la CPAM du Puy-de-Dôme est intervenue durant l’instance pour obtenir le remboursement de ses débours.

Mais après avoir conclu un protocole transactionnel avec la commune, les parents se sont désistés de leur action et le Tribunal administratif a reconnu une faute imputable à la collectivité et a enjoint à cette dernière le versement d’une somme de l’ordre de 50 000 euros à la CPAM. La Cour a annulé le jugement et a rejeté les conclusions de la CPAM qui s’est alors pourvue en cassation en soutenant que la transaction conclue entre la collectivité et la victime permettait, par elle-même, de reconnaître son droit à indemnisation.

La question posée au Conseil d’Etat consistait donc à savoir si la signature d’une transaction vaut droit à indemnisation au profit des tiers que sont les organismes de sécurité sociale.

Le Conseil d’Etat aurait pu faire sienne la jurisprudence définie par ses homologues judiciaires dans l’affaire dite du « Médiator ». En effet, par la décision du 21 avril 2022 la Cour de Cassation a retenu que la personne qui transige avec la victime d’un dommage corporel « admet par là-même, en principe, un droit à indemnisation de la victime dont la caisse, subrogée dans ses droits, peut se prévaloir ». En conséquence de quoi il « incombe alors aux juges du fond, saisis du recours  subrogatoire de la caisse qui n’a pas été invitée à participer à la transaction, d’enjoindre aux  parties de la produire pour s’assurer de son contenu et, le cas échéant, déterminer les sommes  dues à la caisse […] » (Cass. Civ., 21 avril 2022, n° 20-17.185). Ainsi, pour la Cour de Cassation, la signature d’une transaction entre la victime et l’auteur du dommage ouvre un droit à indemnisation à l’organisme subrogé dans les droits de la victime.

Mais le Conseil d’Etat a fait le choix d’adopter la position opposée à celle retenue par la Cour de Cassation, suivant en cela les conclusions de son Rapporteur Public Florian ROUSSEL. Ce dernier nous rappelle tout d’abord qu’aucune disposition législative, expresse ou implicite, ne reconnait aux tiers payeurs un tel droit à indemnisation, qui ne peut pas non plus se déduire du caractère subrogatoire du recours des tiers payeurs. Il précise également que la jurisprudence administrative est en décalage avec celle du juge judiciaire qui privilégie « une conception plus objective du contrat, traité comme un fait juridique invocable par les tiers ». Le Conseil d’Etat a par exemple déjà jugé qu’un tiers à une transaction ne peut invoquer à son profit une clause par laquelle l’administration renonce à toute réclamation (CE, 21 octobre 2019, n° 4200868). Ainsi, devant le juge administratif les tiers ne peuvent se prévaloir des stipulations d’une convention à l’exception de ses clauses réglementaires.

Florian ROUSSEL ajoute que la consécration d’une telle solution porterait atteinte à un principe cardinal du droit administratif, la prohibition des libéralités, en vertu duquel l’Administration ne peut être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas. Avant de faire état, enfin, de plusieurs arguments « d’opportunité », comme la possibilité effective pour l’organisme d’engager la responsabilité de la collectivité en exerçant un recours autonome ou encore le caractère dissuasif de la transaction si un tel droit à indemnisation était consacré.

Dès lors, c’est en reprenant presque totalement les motifs exposés par Florian ROUSSEL que le Conseil d’Etat a jugé que « s’il est loisible aux personnes publiques de conclure une transaction pour mettre un terme à une procédure mettant en cause leur responsabilité, les tiers à ce contrat ne peuvent se prévaloir d’un droit à indemnisation résultant de sa signature […] ».

Pour être indemnisé, le tiers payeur devra donc apporter la preuve du triptyque classique en matière de responsabilité : un préjudice, que l’on peut imaginer être les débours, une faute et un lien de causalité direct et certain. Précisons qu’en l’espèce Florian ROUSSEL avait proposé d’écarter le principe d’une faute car il est « délicat de déduire de la fiche de liaison que l’enfant ne pouvait participer à un jeu de ballon » et « sévère » de reprocher aux employés du centre de loisirs, qui ne sont pas des professionnels de santé, de ne pas avoir recherché si la maladie dont souffrait la victime était incompatible avec ce jeu.

Même victime d’une escroquerie, l’acheteur public doit payer son cocontractant

Tout acheteur public est tenu de procéder au paiement des sommes dues en exécution d’un marché public, même s’il est victime d’escroquerie, sans que la communication, par la société cocontractante, d’éléments permettant la fraude, ait une incidence sur l’obligation de paiement de la prestation. Une décision protectrice du titulaire du contrat.

L’Office Public de l’Habitat du département de la Seine-Maritime (Habitat 76) a attribué à la société Brunet le lot n°1 « chaufferie » du marché public de travaux relatif à la création de la chaufferie collective et à la réfection des gaines de désenfumage. Après que les travaux ont été exécutés et réceptionnés, un individu se présentant comme le « comptable d’agence » a transmis à Habitat 76 de nouvelles coordonnées bancaires pour que l’Office Public puisse procéder au paiement. Habitat 76 s’est exécuté en ce sens ne s’apercevant qu’a posteriori de l’escroquerie.

« Qui paye mal paye deux fois ». Cet adage juridique nous rappelle que le paiement d’une dette à un tiers est nul et contraint ainsi le débiteur à procéder à un nouveau paiement entre les mains du véritable créancier. Mais aux termes des dispositions de l’article 1342-3 du Code civil, le paiement est libératoire lorsqu’il est fait de bonne foi entre les mains d’un créancier apparent.

Si la Cour administrative d’appel de Douai, on va le voir, a décidé de faire application de ces dernières dispositions, la question de la pénétration dans le droit des marchés publics de la notion civiliste du « créancier apparent » n’a pas encore été tranchée par le Conseil d’Etat et fait l’objet de décisions contraires de la part des juridictions du fond.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux a par exemple récemment jugé que « le Grand port maritime de Bordeaux ne peut, en tout état de cause, se prévaloir des dispositions de l’article 1342-3 du code civil en vertu desquelles le paiement fait de bonne foi à un créancier apparemment est valable » (C.A.A. de Bordeaux, 4 juillet 2023, n°21BX02286). La formation de jugement bordelaise suivant en cela les conclusions de la Rapporteure Publique Isabelle Le Bris qui considérait que les dispositions de l’article 1342-3 du Code civil « ne sauraient prévaloir […] sur l’application des stipulations contractuelles » qui prévoient le paiement du prix en contrepartie d’une prestation. Une primauté de l’autonomie du droit administratif qui n’est pas sans rappeler la récente décision du Conseil d’Etat qui a jugé que l’article 1792-7 du Code civil n’est pas applicable à la garantie décennale à laquelle sont tenus les constructeurs au titre des marchés publics de travaux (C.E., 5 juin 2023, n°461341).

La Cour administrative d’appel de Douai, on l’a dit, admet pour sa part l’invocabilité des dispositions de l’article 1342-3 du Code civil. Mais c’est pour en faire une lecture stricte et refuser de reconnaître, dans le cas d’espèce, la présence d’un « créancier apparent ». La Cour déployant un faisceau d’indices à la défaveur d’Habitat 76 qui, selon elle, ne pouvait légitimement croire être en présence du véritable créancier.

La Cour relève ainsi que :

  • L’auteur présumé de l’escroquerie n’avait auparavant jamais été en contact avec Habitat 76, étant précisé que le numéro de téléphone affiché était tout aussi inconnu ;
  • Le courriel reçu par Habitat 76 laissait apparaitre l’adresse réellement utilisée par l’auteur présumé et comportait un nom de domaine qui n’était pas utilisé par l’entreprise ;
  • L’attestation relative à la modification des coordonnées bancaires de la société Brunet comportait une date de clôture du précédent compte bancaire différente de celle mentionnée dans le mail d’accompagnement ;
  • Si l’adresse de la domiciliation était identique à celle de l’établissement secondaire « Brunet Lacheray » elle n’était cependant pas celle du siège de la société Brunet.

Par conséquent, au regard de l’ensemble de ces éléments, la Cour a estimé que « compte tenu de ces incohérences, qui auraient dû donner lieu à des investigations et vérifications complémentaires, notamment auprès des responsables de la société Brunet habituellement en contact avec Habitat 76, ce dernier n’a pu légitimement croire se trouver en présence du véritable créancier ».

Cet arrêt en rappelle au strict devoir de vigilance qui pèse sur les personnes publiques lors du paiement des prestations. La Cour imposant un rôle particulièrement actif de la part du débiteur en cas de doute sur l’identité du créancier, puisque selon la juridiction Habitat 76 aurait dû, en l’espèce, investiguer et procéder à des vérifications complémentaires compte tenu des incohérences susmentionnées.

L’arrêt rappelle également que le titulaire du contrat a droit au paiement de l’intégralité des sommes qui lui sont dues en « application des stipulations contractuelles ce qui implique, le cas échéant, dans le cas d’une fraude résidant dans l’usurpation de l’identité du cocontractant et ayant pour conséquence le détournement des paiements, que ces paiements soient renouvelés entre les mains du véritable créancier ».

Ainsi, en l’espèce et en application de ce principe, bien que l’escroquerie ait été rendue possible par les agissements d’un salarié de la société requérante (en l’espèce, la société Brunet a communiqué des factures correspondant au paiement litigieux à une adresse électronique ne correspondant pas au nom de domaine habituel d’Habitat 76 et des attestations d’assurance de la société) cette circonstance ne saurait caractériser un manquement de la société requérante à ses obligations contractuelles de nature à minorer la somme due.

En revanche, il sera toujours envisageable pour l’acheteur public d’essayer de rechercher la responsabilité délictuelle du cocontractant « en raison des fautes qu’il aurait commises en contribuant à permettre l’infraction », afin d’être indemnisé de tout ou partie du préjudice subi résultant du versement des sommes litigieuses dans d’autres mains (C.A.A. de Nancy, 22 décembre 2022, n° 20NC02692 ; C.A.A. de Nancy, 13 novembre 2023, n° 23NC02825).

Illégalité d’une convention résultant de l’illicéité de son objet : interdiction de faire participer un opérateur économique à l’exécution du service public du contrôle fiscal

La Cour administrative d’appel de Marseille, dans une décision en date du 12 février dernier, a fait application de la règle tenant à l’interdiction de confier à un tiers l’exercice du service public du contrôle fiscal et a, par application de cette dernière, qualifié une convention d’illégale du fait du caractère illicite de son objet, lequel consistait à faire participer cet opérateur à l’exécution du service public du contrôle fiscal.

Cette décision a été rendu au sujet d’un contrat conclu entre la commune d’Ajaccio et un opérateur économique, précisément une convention d’audit et de conseil en ingénierie fiscale destinée à identifier, au profit de la commune, les possibilités d’optimisation de la taxe locale sur la publicité extérieure. Le contentieux avait pris naissance dans le cadre de difficultés rencontrées entre les deux parties, du fait notamment de la position adoptée par cet opérateur, lequel avait considéré que la commune avait mis fin aux relations contractuelles de manière unilatérale et que cette dernière lui devait une somme de 30.000 euros.

Le Tribunal administratif de Bastia, saisi d’une demande de paiement de la part de cet opérateur, avait fait droit à cette demande, ce qui a conduit la commune d’Ajaccio à porter l’affaire devant la Cour administrative d’appel de Marseille. Après avoir rappelé le considérant de principe relatif à l’office du juge du contrat[1], la Cour s’est penchée sur le contenu de la convention ici en cause. Elle a, en résumé, retenu que « la mission dévolue contractuellement à la société CTR ne se limitait pas au recensement des enseignes, préenseignes et dispositifs publicitaires et à la fourniture de conseils d’ordre général, mais impliquait l’accès à des données fiscales personnelles. Ainsi, le fonctionnement de l’application  » TLPE-Online  » impliquait que le consultant fût informé de l’identité des contribuables ayant manqué à leurs obligations déclaratives et participât au traitement des déclarations reçues. En outre, l’article 5.1 de la convention confiait à la société le soin d' » effectuer la gestion des contestations  » des contribuables. Enfin, l’article 5.2 de cette convention prévoyait l’obligation pour la commune d’assurer la  » transmission à CTR de tous les éléments et documents justifiant de la perception de la Taxe  » ».

Aussi, la Cour a jugé que la convention avait « fait participer la société à l’exécution même du service du contrôle fiscal ». Et, par application, notamment, de la règle selon laquelle le service de contrôle de l’assiette des impositions de toute nature ne peut être confié qu’à des agents placés sous l’autorité directe de l’administration[2], la Cour a qualifié l’objet de la convention d’illicite puisqu’il avait fait participer cette société à l’exécution même du service du contrôle fiscal.

Enfin, tirant les conséquences des constats précités, la Cour a considéré que « la société ne peut donc réclamer le paiement des sommes dues en vertu du contrat » et que « la commune d’Ajaccio est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à la demande de condamnation présentée par la société CTR ».

 

[1]  « Le juge du contrat, juge de plein contentieux saisi par une partie, peut relever d’office une irrégularité tenant au caractère illicite du contenu du contrat. Dans ce cas, si le juge est saisi d’un litige d’exécution du contrat, il doit l’écarter et ne peut pas régler le litige sur le terrain contractuel ».

[2] Cette règle est prévue, notamment, par les articles L. 2333-6 et R. 2333-13 du Code général des collectivités territoriales et l’articles L. 103 du livre des procédures fiscales.

Publication par la DAJ d’une fiche dédiée aux méthodes de notation du critère prix dans les marchés publics

Dans le cadre de ses nombreuses démarches destinées à accompagner les acheteurs soumis au Code de la commande publique et des travaux de l’Observatoire économique de la commande publique, la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie, des finances, et de la souveraineté industrielle (DAJ) a publié, le 15 mars 2024, un ensemble documentaire portant sur les méthodes de notation du critère prix dans les marchés publics. Précisément, la DAJ a mis à disposition des acheteurs :

  • une fiche pratique présentée sous la forme d’un mode d’emplois exposant les différentes méthodes de notation, leurs caractéristiques respectives ainsi que des recommandations quant à leur utilisation ;
  • des fichiers de calcul, sous la forme de tableurs, deux tableurs (format Excel et Libre office), permettant d’obtenir le calcul de la note du prix, présentés comme un « outil clé en main [devant permettre] de transformer automatiquement le prix en note en fonction du poids du critère et des offres financières remises par les candidats ».

La fiche comporte donc un focus sur les trois méthodes suivantes (car validées par la jurisprudence) :

  • La méthode dite classique ;
  • La méthode dite linéaire ;
  • La méthode dite moyenne des offres.

D’utiles recommandations sont également données en fin de documents, et notamment les suivantes :

  • « prévoir une méthode de notation non stéréotypée, adaptée aux spécificités de l’offre de prix pressentie en procédant à une simulation.» ;
  • prendre en compte, lors de la détermination de la méthode de notation, de l’effet psychologique que peut avoir la notation sur les candidats non retenus à la lecture de la lettre de rejet.

Cette fiche est l’occasion de rappeler, comme l’a fait la DAJ, l’absence de méthode universelle pouvant être dupliquée pour tous les marchés, peu important leurs caractéristiques. Ainsi, le choix de la méthode de notation mérite d’y accorder un temps d’analyse suffisant, en prenant en compte des aspects pratiques et financiers et des limites de nature juridique puisque, pour mémoire, le choix de la méthode fait l’objet d’un encadrement, la jurisprudence ayant notamment posé les règles suivantes :

  • la note attribuée aux offres financières doit, dans tous les cas, refléter fidèlement leur écart de prix avec l’offre financière la plus basse (voir en ce sens CE, 3 novembre 2014, req. n° 373362), ce qui n’est, par exemple, pas le cas lorsqu’elle conduit l’acheteur a attribué à l’offre la plus onéreuse la note de 0/20 sur un critère prix (CE, 24 mai 2017, Société Techno Logistique, req. n° 405787, mentionné dans les tables du recueil Lebon) ;
  • il n’est aucune obligation de rendre publique, dans les pièces de la consultation, la méthode de notation retenue ce qui suppose de déterminer s’il est ou non utile, en fonction des caractéristiques de chaque marché, de la publier et aussi que, lorsqu’elle est publiée, l’acheteur n’est plus en droit de la modifier.

Conflit d’intérêts : le risque d’impartialité d’un assistant à maîtrise d’ouvrage entretenant des relations commerciales avec le fournisseur de l’attributaire du marché

Par un jugement en date du 6 mars 2024, le Tribunal administratif de la Guyane a considéré qu’une situation de conflit d’intérêts était constituée lorsque l’assistant à maîtrise d’ouvrage d’une personne publique, chargé de l’examen de la conformité des offres déposées lors de la consultation d’un marché public, a entretenu des relations commerciales et partenariales avec le fournisseur du candidat qui s’est vu attribuer ledit marché.

Dans cette affaire, le Grand port maritime de Guyane (ici GPM-Guyane) a lancé une procédure de consultation sous la forme d’une procédure avec négociation pour l’installation, la maintenance, le dépannage et l’entretien des systèmes de sécurité et de sûreté des installations du GPM-Guyane. A compter du deuxième tour de négociation, le GPM-Guyane s’est attaché les services d’un assistant à maîtrise d’ouvrage en charge de se prononcer sur la conformité ou non de chaque offre au cahier des clauses techniques particulières du marché.

A la suite de l’attribution du marché, une des sociétés évincées a initié un référé précontractuel au motif de l’irrégularité de son éviction, considérant notamment que le principe d’impartialité avait été méconnu lors de l’attribution de ce marché. La société évincée soutenait que les liens commerciaux et partenariaux existant entre l’AMO et le fournisseur du groupement attributaire révélaient une situation de conflit d’intérêts.

Pour trancher cette question, le Tribunal administratif rappelle que le principe d’impartialité s’impose à tous les pouvoirs adjudicateurs et implique l’absence de conflit d’intérêts que l’article L. 2141-10 du Code de la commande publique définit comme « toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché ». Il relève que le groupement attributaire propose d’utiliser un dispositif vidéo par fibre optique reposant sur l’utilisation d’une suite logicielle distribuée par une société avec laquelle l’AMO entretient des liens commerciaux voire partenariaux.

Par la suite, poursuivant sa qualification d’une situation de conflit d’intérêts, le Tribunal administratif de Guyane relève que le GPM a écarté à tort l’offre de la société requérante. En effet, outre deux nouveaux motifs de rejet de l’offre des requérantes invoqués par le GPM en cours d’instance, ce dernier a considéré inappropriée l’offre de la société requérante qui reposait sur une solution fondée non pas sur l’utilisation de la fibre optique mais sur des capteurs et ondes radio, alors même que le CCTP n’excluait pas une telle solution.

En concluant que la participation de l’AMO à l’analyse de la conformité des offres dans le cadre de la procédure de passation du marché constitue une méconnaissance du principe d’impartialité, le jugement commenté retient une position large de la situation de conflit d’intérêts. Jusqu’alors, une situation d’impartialité avait pu être identifiée :

  • lorsqu’un AMO en charge de l’élaboration des pièces d’un marché et de l’analyse des offres reçues était par le passé responsable de l’entreprise attributaire (CE, 14 octobre 2015, Région Nord-Pas-de-Calais, req. n° 390968) ;
  • lorsque le dirigeant de la société à laquelle la commune avait confié une mission d’AMO pour analyser les offres était également le dirigeant de la société éditeur de logiciel que le groupement attributaire du marché désignait comme étant son fournisseur pour l’exécution du marché (CE, 28 février 2023, Société Sofratel, req. n° 467455).

En revanche, le juge administratif avait refusé de reconnaître une méconnaissance du principe d’impartialité lorsqu’un AMO à la passation d’un contrat de concession avait eu des relations commerciales avec l’un des membres du groupement retenu, dès lors que celles-ci, datées de plus de 2 ans, ne représentaient que des missions ponctuelles correspondant à une part minime de son chiffre d’affaires (TA Paris, ord., 22 août 2018, Société Excelsis, req. n° 183709/4).

Le jugement rendu par le Tribunal administratif de la Guyane retient donc la qualification de conflit d‘intérêts s’agissant de relations commerciales, voire de partenariat, qu’un AMO a pu entretenir avec le fournisseur de l’attributaire – sans prendre en compte cette fois-ci l’antériorité des relations ou le volume financier résiduel qu’a pu représenter ce partenariat – alors que l’offre de la société requérante a été écartée en raison d’une solution technique distincte de celle dont ledit fournisseur est le distributeur officiel dans le secteur.

Droit à indemnisation du candidat irrégulièrement évincé et résiliation

Lorsque le juge administratif est amené à calculer le montant du manque à gagner auquel a droit le candidat qui a été irrégulièrement évincé d’une procédure de passation d’un contrat public alors qu’il disposait d’une chance sérieuse de le remporter, doit-il tenir compte de la circonstance que le contrat litigieux initialement signé a, par la suite, été résilié ?

Le Conseil d’État répond par la positive à cette question, dans une décision rendue le 24 avril 2024 et dont l’importance justifie la publication au recueil Lebon. Cette décision a été rendue dans le cadre d’un contentieux sur la passation par la commune de la Chapelle d’Abondance d’une délégation de service public pour l’exploitation des remontées mécaniques et des pistes de ski alpin situées sur son territoire. La société Chapelle d’Abondance Loisirs Développement (CALD), candidate évincée, n’avait obtenu en première instance que l’indemnisation des frais de présentation de son offre.

En appel, elle s’était vu accorder l’indemnisation de l’ensemble de son manque à gagner. Et, à cette occasion, la Cour administrative d’appel de Lyon avait jugé, en ce qui concernait le montant de ce manque à gagner, que « la circonstance que la délégation de service public initialement signée ait été par la suite résiliée est sans incidence sur le droit du candidat évincé à indemnisation sur la durée prévue par son offre ».

Saisi d’un pourvoi par la commune contre cet arrêt, le Conseil d’Etat commence par rappeler sa jurisprudence en matière d’indemnisation du candidat irrégulièrement évincé d’une procédure de passation : lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre ; qu’il convient ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché ; que, dans un tel cas, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique (CE, 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires EPTO Guadeloupe, req. n° 249630). En outre, le juge est tenu de vérifier qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité commise par l’acheteur et le préjudice dont le candidat demande l’indemnisation (CE, 10 février 2017, Société Bancel, req. n° 393720).

Ensuite, le Conseil d’État complète ce cadre jurisprudentiel, en précisant qu’il incombe au juge, pour apprécier dans quelle mesure le préjudice du candidat irrégulièrement évincé présente un caractère certain, de tenir compte notamment, s’agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l’exploitation, de l’aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci. Poursuivant dans cette logique de limiter l’indemnisation au préjudice présentant un caractère suffisamment certain, le Conseil d’État pose le principe suivant :

« Dans le cas où le contrat a été résilié par la personne publique, il y a lieu, pour apprécier l’existence d’un préjudice directement causé par l’irrégularité et en évaluer le montant, de tenir compte des motifs et des effets de cette résiliation, afin de déterminer quels auraient été les droits à indemnisation du concurrent évincé si le contrat avait été conclu avec lui et si sa résiliation avait été prononcée pour les mêmes motifs que celle du contrat irrégulièrement conclu ».

Puis, faisant application de ce principe nouvellement dégagé au cas d’espèce, le Conseil d’État annule l’arrêt attaqué pour erreur de droit, considérant que les juges du fond n’auraient pas dû juger que, par principe, la résiliation du contrat litigieux était sans incidence sur le droit à l’indemnisation du manque à gagner du concurrent évincé mais, au contraire, tenir compte des motifs et des effets de cette résiliation.

L’affaire est donc renvoyée devant la Cour administrative d’appel de Lyon, ce qui sera l’occasion d’avoir des précisions complémentaires sur les conséquences concrètes de la résiliation du contrat sur le droit indemnitaire du candidat irrégulièrement évincé.

La Cour de cassation s’oppose au délai raisonnable d’un an consacré par la jurisprudence Czabaj du Conseil d’Etat

Cass. Assemblée Plénière, 8 mars 2024, Société City c/ Communauté de l’agglomération havraise, n° 21-21.230

Par deux arrêts rendus le 8 mars 2024 (pourvois n° 21-12.560 et 21-21.230), la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, s’est prononcée sur le délai de recours applicable devant le juge judiciaire en matière de contestation d’un titre de recettes exécutoire émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local, en l’absence de notification régulière des voies et délais de recours contre cet acte. Pour rappel, d’une part, un titre exécutoire est un acte juridique permettant de recourir à l’exécution forcée, en général, du paiement d’une somme d’argent, ce qui est le cas d’un titre de recettes.

D’autre part, l’article L. 1617-5 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) fixe un délai de recours de deux mois à l’encontre d’un tel acte émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local. En principe, en vertu de l’article R. 421-5 du Code de justice administrative (CJA) :

« Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ».

Dans sa décision Czabaj en date du 13 juillet 2016 (n° 387763), le Conseil d’Etat a jugé, en se fondant sur le principe de sécurité juridique, qu’en l’absence de mention des voies et délais de recours dans une décision administrative individuelle notifiée à son destinataire, ou lorsqu’il est établi, à défaut d’une telle notification, que son destinataire en a eu connaissance, celui-ci ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable d’un an à compter de la date à laquelle elle lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance.

Le juge administratif avait ensuite étendu cette solution aux titres exécutoires émis par les collectivités locales (CE, 9 mars 2018, n° 401386).

Dans les deux affaires commentées ici, la Cour de cassation était saisie de la question de la transposition de la jurisprudence Czabaj à l’ordre judiciaire, concernant le délai de contestation d’un titre exécutoire émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local et ne mentionnant pas, ou de manière erronée, les voies et délais de recours.

Dans la première affaire (n° 21-12.560), une commune avait réclamé à une société le paiement d’une taxe locale par trois titres exécutoires, sans que ceux-ci ne précisent la juridiction devant laquelle ces titres pouvaient être contestés. La société avait sollicité devant le juge judiciaire l’annulation de ces titres exécutoires, mais les juges du fond avaient rejeté sa demande, la considérant tardive, car intervenue plus d’un an après que les titres avaient été portés à sa connaissance.

Dans la deuxième affaire (n° 21-21.230), une communauté d’agglomération avait réclamé à une société le paiement d’une facture d’eau par deux titres exécutoires. La société en avait sollicité l’annulation et la décharge devant le juge judiciaire. En première instance, ses demandes avaient été déclarées irrecevables en raison de leur tardiveté, car intervenues au-delà d’un délai d’un an, tandis que la cour d’appel avait annulé le jugement en déclarant les demandes de la société recevables.

En se fondant sur l’article L. 1617-5 du CGCT et sur l’article R. 421-5 précité du CJA, la Cour de cassation avait déjà jugé en 2015 que le délai de deux mois pour contester un titre exécutoire émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local devant la juridiction compétente (civile ou administrative) n’était opposable au débiteur qu’à la condition d’avoir été mentionné dans la notification du titre avec la voie de recours (Cass. Civ., 8 janvier 2015, n° 13-27.678).

Par les deux arrêts commentés du 8 mars 2024, elle a refusé de transposer la jurisprudence Czabaj à l’ordre judiciaire. Les titres exécutoires, en l’absence de mention des voies et délais de recours, pourront donc continuer à être contestés devant le juge civil au-delà du délai raisonnable d’un an. Pour justifier sa position, différente de celle du Conseil d’Etat, la Cour de cassation précise que cette divergence jurisprudentielle s’explique par l’application de principes et de règles juridiques différents à chacun des deux ordres de juridiction. La Cour de cassation estime que l’existence de règles de prescription applicables à l’ordre judiciaire, lesquelles ont pour effet de limiter le délai de recours, suffit en principe à répondre à l’exigence de sécurité juridique alors que, devant le juge administratif, les actes pourraient, eux, être indéfiniment contestés par la voie du recours pour excès de pouvoir.

A cet égard, on relèvera qu’en matière indemnitaire, le Conseil d’Etat a jugé, dans le même sens que la Cour de cassation, que la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues notamment par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968. Elle précise ensuite que la règle issue de l’article 680 du Code de procédure civile, selon laquelle le délai de recours ne court pas si les modalités de recours ne sont pas indiquées « de manière très apparente », constitue un principe général devant les juridictions judiciaires. Ce qui la conduit à estimer que, quelle que soit la nature de l’acte et celle des voies et délais de recours, ce principe risquerait d’être remis en cause par la transposition de la solution dégagée par le Conseil d’Etat. En ne transposant pas cette solution, la Cour de cassation termine par expliquer qu’elle entend assurer un juste équilibre entre le droit du créancier public de recouvrer les sommes qui lui sont dues, et le droit du débiteur d’accéder au juge.

Ainsi, par conséquent, selon le juge compétent pour connaître du recours contre un titre de recettes émis par une collectivité territoriale ou un établissement public local, en l’absence de mention des voies et délais de recours (ou si la mention est irrégulière), l’acte pourra être contesté dans un délai raisonnable d’un an, ou dans la limite des règles de prescription applicables devant le juge judiciaire.

Pour être complet, relevons que le Conseil d’Etat avait, par ailleurs, précisé dans sa décision Czabaj que la solution ainsi dégagée était applicable de manière immédiate aux instances en cours, quelle que soit la date des faits qui lui avaient donné naissance. Cette précision s’est vue censurée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans un arrêt en date du 9 novembre 2023 (CEDH, 9 novembre 2023, Legros c/ France, n° 72173/17). La Cour a en effet considéré que l’application immédiate de cette solution aux instances en cours violait l’article 6 § 1 de la Convention en ce qu’elle avait pour effet de restreindre le droit d’accès des requérants à un tribunal.

SOS Méditerranée : les collectivités peuvent subventionner une action humanitaire internationale

CE, 13 mai 2024, n° 474507

CE, 13 mai 2024, n° 474652

L’article L. 1115-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) autorise, « dans le respect des engagements internationaux de la France », les collectivités territoriales et leurs groupements à « mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire » – cette aide prenant dans bien des cas la forme d’une subvention.

Au titre de cette action extérieure, plusieurs tribunaux administratifs avaient déjà admis la légalité des interventions des collectivités locales venant en aide aux associations secourant les migrants en mer[1]. Récemment, deux cours administratives d’appel s’étaient prononcées de manière contradictoire sur l’octroi de subventions à l’association SOS Méditerranée qui mène une activité de sauvetage en mer de migrants dans les eaux internationales[2].

Par trois arrêts rendus le 13 mai dernier, la section du contentieux du Conseil d’Etat précise le cadre juridique des actions extérieures des collectivités territoriales qui interviennent en soutien d’actions internationales à caractère humanitaire. Les affaires en litige portaient sur l’attribution de subventions (100 000 € par la Ville de Paris, 20 000 € par le département de l’Hérault et 15 000 € par la ville de Montpellier) à l’association SOS Méditerranée.

La Haute juridiction rappelle d’abord que la loi permet aux collectivités territoriales de mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire, sans que cette action n’ait à répondre à un intérêt public local, à s’inscrire dans les autres domaines de compétences des collectivités territoriales ou à impliquer une autorité locale étrangère (point 5 de l’arrêt).

Ces actions doivent, aux termes de la loi, respecter les engagements internationaux de la France. Elles ne doivent pas interférer avec la conduite par l’État des relations internationales de la France. Enfin, ces actions ne peuvent pas conduire une collectivité territoriale à prendre parti dans un conflit de nature politique (point 7 de l’arrêt).

Sur ce dernier point, le Conseil d’Etat estime que, si le simple fait qu’une organisation prenne des positions dans le débat public n’interdit pas à une collectivité territoriale de lui accorder un soutien pour des actions mentionnées à l’article L. 1115-1 du CGCT, c’est à la condition que cette action ne constitue pas en réalité une action à caractère politique et que la collectivité territoriale qui décide d’apporter son soutien à une telle organisation s’assure que son aide sera exclusivement destinée au financement d’une action de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire, et ne sera pas utilisée pour financer les autres activités de cette organisation (points 7 et 8 de l’arrêt).

Le cadre juridique applicable ayant été rappelé et précisé, le Conseil d’Etat considère qu’une collectivité territoriale peut légalement apporter un soutien financier à l’association SOS Méditerranée pour son action humanitaire de sauvetage en mer.

Il juge à cet égard que l’activité de sauvetage en mer de SOS Méditerranée est bien une action internationale à caractère humanitaire, et non une action de nature politique. Il relève qu’elle est menée en conformité avec les principes du droit maritime international, qui prévoient l’obligation de secourir les personnes se trouvant en détresse en mer, et de les débarquer dans un lieu sûr dans un délai raisonnable, quel que soit leur nationalité ou leur statut, et juge qu’elle n’est pas contraire aux engagements internationaux de la France. Il relève également que si les autorités de certains États de l’Union européenne ont pu refuser le débarquement des navires de l’association, celle-ci y a déféré, et que les autorités françaises ont d’ailleurs contesté la conformité de ces refus au droit maritime international, et juge que, dans ces conditions, cette activité ne peut être regardée comme interférant avec la conduite par l’État des relations internationales de la France.

Il ajoute que le fait que les responsables de SOS Méditerranée aient pris des positions dans le débat public sur la politique de l’Union européenne et de certains États en matière de sauvetage en mer des migrants en Méditerranée ne suffit pas à interdire aux collectivités territoriales d’apporter un soutien à son activité opérationnelle de sauvetage en mer, à condition de réserver ce soutien à cette seule activité.

Sur le fond, la section du contentieux juge que la subvention accordée par la ville de Paris (n° 472155) « est exclusivement destinée à financer l’affrètement d’un nouveau navire en vue de permettre à l’association de reprendre ses activités de secours en mer ». Il estime également que la convention conclue avec SOS Méditerranée prévoit que l’utilisation de la subvention à d’autres fins que l’activité de sauvetage en mer entraîne la restitution de tout ou partie des sommes déjà versées et que la ville de Paris peut effectuer des contrôles, y compris sur pièces et sur place, pour s’assurer du respect de ces obligations. Le Conseil d’État en déduit que la destination de ce soutien est donc suffisamment encadrée. Pour les mêmes motifs, le Conseil d’Etat rejette également le recours contre la subvention accordée par le département de l’Hérault (n° 474507).

En revanche, celle attribuée par la commune de Montpellier (n° 474652) est annulée, aucun élément ne permettant d’établir « que la commune se serait assurée, […], que son aide serait exclusivement destinée au financement de l’action internationale à caractère humanitaire qu’elle entendait soutenir ». Notons que dans cette dernière affaire, la haute juridiction juge qu’une délibération « qui a pour objet d’accorder une subvention, a par elle-même une incidence directe sur le budget communal, [ce] qui suffit à conférer à un requérant établissant sa qualité de contribuable communal un intérêt pour agir », sans qu’il soit nécessaire d’établir que les conséquences directes de cette délibération sur les finances communales seraient d’une importance suffisante.

 

[1] V. en ce sens TA Montpellier, 19 octobre 2021, n° 2003886 ; TA Paris 12 septembre 2022, n° 1919726 ; TA Nantes, 19 octobre 2022, n° 202012829.

[2] CAA Bordeaux, 7 février 2023, n° 20BX04222 ; CAA Paris, 3 mars 2023, n° 22PA04811.

Recours contentieux : le cachet de la poste fait désormais foi

Le Conseil d’Etat fait évoluer sa jurisprudence en considérant qu’un recours contentieux envoyé par voie postale ne doit plus désormais être parvenu à la juridiction administrative avant la fin du délai de recours mais doit être posté avant l’expiration de ce délai, le cachet de la poste faisant foi. Avant l’intervention de cet arrêt de Section et selon une jurisprudence constante, la tardiveté d’un recours contentieux formé par voie postale (et via le téléservice Télérecours) était appréciée au regard du jour de la présentation du pli au greffe de la juridiction[1].

Sous réserve des cas où la loi permet de remettre le recours à une autorité administrative chargée de le transmettre à la juridiction (comme c’est le cas en matière électorale), la jurisprudence a toujours refusé de prendre en compte la date d’un acte antérieur au dépôt au greffe, même s’il manifestait l’intention d’engager la procédure contentieuse[2]. Ainsi, selon cette jurisprudence, il appartenait au requérant de poster son recours suffisamment à l’avance pour qu’il parvienne à la juridiction avant le terme du délai. Cela étant, un recours présenté tardivement restait néanmoins recevable s’il avait été remis aux services des postes « en temps utile », pour y parvenir à temps selon « les délais normaux d’acheminement du courrier »[3].

En pratique, la jurisprudence retenait le plus souvent qu’un recours posté deux jours ouvrables (48 heures) avant l’expiration du délai pouvait être considéré comme remis en temps utile[4]. Or, l’évolution de cette jurisprudence apparaissait souhaitable et/ou nécessaire pour au moins trois séries de considérations relevées par le rapporteur public dans ses conclusions.

D’abord en raison de ses difficultés d’application géographique qui, notamment outre-mer, rendait la notion de « délai normal d’acheminement » particulièrement aléatoire avec des jurisprudences incertaines et parfois contradictoires.

Ensuite du fait de la réforme du service postal universel entrée en vigueur le 1er janvier 2023. En effet, les délais de la plupart des offres de distribution du courrier ont évolué vers un nouveau standard de délai d’acheminement en J+3, évolution qui semblait faire obstacle à ce que soit maintenue la règle des 48 heures précitée. Notons enfin que les justiciables qui utilisent le téléservice Télérecours pouvaient déposer leur recours contentieux jusqu’au dernier jour du délai de recours tandis que la règle de la date d’enregistrement contraignait les justiciables qui envoient leur recours par voie postale à le poster plusieurs jours avant l’expiration de ce délai pour être certains qu’il parvienne dans les temps à la juridiction. A l’occasion de sa décision rendue le 13 mai dernier, le Conseil d’Etat a donc fait évoluer la jurisprudence en jugeant que, pour les recours par voie postale, le respect du délai s’apprécie désormais à la date d’envoi du courrier, attestée par le cachet de la poste.

Ce faisant, le Conseil d’Etat procède à une double harmonisation. D’une part, les justiciables bénéficient désormais, en pratique, du même délai de recours qu’ils utilisent ou non le téléservice Télérecours. D’autre part, les règles de délai sont désormais identiques pour les citoyens, qu’ils saisissent la justice ou l’administration. En effet, la règle du cachet de la poste faisant foi est déjà celle qui s’applique chaque fois qu’une personne est tenue, à l’égard de l’administration, de respecter une date limite pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document (article L. 112-1 du Code des relations entre le public et l’administration).

 

[1] V. en ce sens CE, 27 février 1885, élections de Prétin, Rec. p. 251 ; CE, 30 décembre 1998, Epoux Serot, n° 167843 ; CE, 30 juillet 2003, Mme Chenilco, n° 240756.

[2] V. sur ce point CE, 2 février 1864, Oxéda, Rec. p. 69.

[3] V. en ce sens CE, 14 janvier 1910, Sieur Levallois, Rec. P. 25.

[4] V. par ex. CE, 3 juin 1991, Société Dormeuil, n° 61896.

Le principe général du droit à la protection fonctionnelle des agents publics peut fonder l’octroi de la protection fonctionnelle aux conseillers municipaux qui n’exercent pas de fonctions exécutives

L’obligation de protection fonctionnelle des élus communaux est prévue par les articles L. 2123-34 et L. 2123-35 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), qui visent respectivement les cas dans lesquels l’élu est mis en cause ou victime.

Plus particulièrement, ces deux articles réservent le bénéfice de la protection fonctionnelle aux seuls élus communaux exerçant ou ayant exercé des fonctions exécutives, soit le maire, ses adjoints ou les conseillers ayant reçu une délégation de la part du maire.

Dans l’affaire soumise à la Cour administrative d’appel de Versailles, le conseil municipal de Maurepas avait cependant, sur le fondement de l’article L. 2123-34 du CGCT, accordé la protection fonctionnelle à des conseillers municipaux alors que ceux-ci ne disposaient d’aucune délégation du maire.

Après avoir rappelé que les délibérations attaquées ne pouvaient être prises sur le fondement de l’article L. 2123-34 susvisé, qui ne permet à une commune d’accorder sa protection qu’au maire ou aux seuls élus municipaux le suppléant ou ayant reçu une délégation de sa part, la Cour a néanmoins relevé que ces délibérations auraient pu être prises sur le fondement d’un autre texte ou d’un autre principe que celui dont la méconnaissance est invoquée, à savoir le principe général du droit à la protection fonctionnelle des agents publics[1].

Elle a ainsi rappelé que, aux termes de ce principe général du droit, « cette protection s’applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions, notamment à l’ensemble des conseillers municipaux, même ceux n’ayant pas reçu de délégation du maire et n’exerçant en conséquence pas de fonction exécutive ».

Faisant usage de son pouvoir de substitution de base légale, la Cour a dès lors considéré que les délibérations du conseil municipal de Maurepas trouvaient leur fondement légal dans le principe général du droit à la protection fonctionnelle des agents publics, qui pouvait être substitué aux dispositions de l’article L. 2123-24 du CGCT.

Conformément aux conditions de mise en œuvre de la substitution de base légale posées par la célèbre jurisprudence « El Bahi »[2], la Cour a alors relevé, en premier lieu, que les conseillers municipaux concernés se trouvaient dans une situation où, en application du principe général précité, la commune pouvait décider de leur accorder la protection fonctionnelle, en deuxième lieu, que cette substitution de base légale n’avait pour effet de priver les intéressés d’aucune garantie et, en troisième lieu, que l’administration disposait du même pouvoir d’appréciation pour appliquer le principe général du droit ou les dispositions de l’article L. 2123-34 du CGCT.

Notons qu’une position inverse avait toutefois été adoptée par la Cour administrative d’appel de Nancy en 2019, laquelle avait considéré que ce principe général du droit n’implique pas que la protection fonctionnelle doive être accordée à ceux des élus qui, n’exerçant aucune fonction exécutive, ne sauraient être regardés comme ayant, en raison de leur seule qualité de membres de l’organe délibérant de leur collectivité, la qualité d’agents publics[3].

Cette appréciation ambivalente sur l’extension du droit à la protection fonctionnelle aux conseillers municipaux n’exerçant pas de fonctions exécutives appelle dès lors une clarification de la part du Conseil d’Etat.

 

[1] CE, 11 février 2015, Min. de la Justice, n° 372359

[2] CE, sect., 3 décembre 2003, Préfet de la Seine-Maritime c/ El Bahi, n° 240267

[3] CAA Nancy, 12 décembre 2019, n° 18NC02134

Commande publique et RGPD : quelle responsabilité pour quel acteur ?

Lorsque les administrations concluent des marchés publics et des contrats de concession, les cocontractants sont amenés à mettre en œuvre des traitements de données à caractère personnel, en particulier des données relatives au personnel ou aux usagers du service public.  Ces traitements de données doivent nécessairement respecter les exigences posées par le Règlement Général sur la Protection des Données RGPD (ci-après « RGPD »).

En juin 2022, la CNIL a alors publié un guide pratique intitulé « la responsabilité des acteurs dans le cadre de la commande publique » pour accompagner les professionnels concernés à identifier leurs responsabilités. La Commission précise tout d’abord que la qualification des acteurs (responsable de traitement, sous-traitant, responsable conjoint) doit intervenir le plus tôt possible. Pour cela, il est nécessaire d’analyser le contexte contractuel, et de se demander quelle est l’entité qui a initié et organisé le traitement. La qualité retenue pour chaque acteur a une incidente sur la nature et l’étendue de ses responsabilités au regard des données traitées, et ainsi, sur les clauses relatives à la protection des données qui doivent être insérées au contrat.

A titre d’illustration, si l’administration est qualifiée de responsable de traitement, elle devra – après avoir déterminé les finalités de traitement des données et leur durée de conservation – mettre en œuvre les mesures techniques et organisationnelles appropriées pour circonscrire tout risque de violation de données.

Si l’opérateur économique revêt quant à lui la qualité de sous-traitant, l’ensemble des clauses prévues à l’article 28 du RGPD devra figurer dans le contrat, à savoir :

  • L’interdiction pour l’opérateur économique de recruter un autre sous-traitant sans l’accord écrit préalable de l’administration ;
  • L’obligation pour l’opérateur économique de ne traiter les données personnelles que sur instruction documentée de l’administration ;
  • L’obligation pour l’opérateur économique de prendre toutes les mesures pour veiller à la sécurité du traitement.

Le guide publié par la CNIL fournit alors aux administrations et aux opérateurs économiques de nombreux indices pour arriver à déterminer les qualités et responsabilités de chacun.

Les collectivités et administrations dans le viseur des cyberattaquants

En 2023, la cybermenace n’a fait qu’augmenter : elle devient systémique et s’attaque désormais à tous les pans de la société. A l’occasion de la publication de son rapport d’activité annuel, cybermalveillance.gouv fait état des principales cybermenaces pesant, notamment, sur certains acteurs publics.

Cybermalveillance.gouv.fr : l’outil d’assistance et de prévention du risque numérique

Cybermalveillance.gouv.fr est un outil d’assistance en ligne qui délivre aux victimes un diagnostic du problème qu’elles rencontrent et des conseils de cybersécurité permettant d’y faire face. L’analyse des données recueillies par cet outil a permis de mettre en évidence les cyber malveillances les plus répandues.

Les principales cybermenaces pesant sur les collectivités et les administrations

Les collectivités et les administrations doivent en premier lieu se méfier de tout message s’apparentant à de l’hameçonnage, aussi connu sous son nom anglais de phishing. Cette pratique, consistant à obtenir du destinataire d’un courriel ou d’un SMS, d’apparence légitime, qu’il transmette ses coordonnées bancaires ou ses identifiants de connexion, afin de lui dérober de l’argent, constitue la première cybermenace pour les acteurs publics.

Autre attaque majeure : les rançongiciels ou ransomware. Ces logiciels malveillants (ou virus) bloquent l’accès à l’ordinateur ou à des fichiers et réclament à la victime le paiement d’une rançon pour en obtenir de nouveau l’accès.

La troisième cybermenace que les collectivités et les administrations doivent avoir en tête est le piratage de compte en ligne. Cette attaque désignant l’utilisation frauduleuse par un cyberattaquant d’un compte (messagerie, site administratif, réseau social, …) au détriment de son propriétaire légitime, afin de dérober des informations confidentielles, peut avoir des conséquences dramatiques pour les victimes.

Pour les collectivités et administrations, les principales menaces qui les visent continuent de gagner en intensité. Partant, elles doivent veiller à toujours adopter de bonnes pratiques permettant d’évincer tout risque cyber (sécurisation des sites et applications, utilisation d’antivirus, mise à jour régulière des logiciels utilisés, …). Cybermalveillance.gouv.fr se présente comme une précieuse aide pour affronter ces menaces.

Prospection commerciale et RGPD : quelles obligations à ne pas manquer ?

Par une délibération en date du 4 avril 2024, la formation restreinte de la CNIL a sanctionné la société HUBSIDE.STORE pour avoir procédé à de la prospection commerciale en passant sous silence plusieurs exigences du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) !

Manquement à l’obligation de recueillir le consentement des personnes concernées

La société HUBSIDE.STORE a pour habitude de procéder à des campagnes de démarchage par téléphone et par SMS, et ce, à partir de fichiers de prospects achetés auprès de partenaires. Or, ces partenaires collectent les données sans que les personnes concernées aient donné leur consentement par un acte positif clair et dénué d’ambiguïté, comme l’exigent pourtant le Code des Postes et des Communications Electroniques (CPCE)[1] et le RGPD[2].

La CNIL rappelle que la société HUBSIDE.STORE, en sa qualité de responsable de traitement, est tenue de vérifier elle-même si le consentement donné par les utilisateurs peut être considéré comme valide. Ce qu’elle ne fait malheureusement pas ! Or, sans consentement valide, HUBSIDE.STORE n’est pas autorisée à utiliser les données achetées auprès de ses partenaires.

Manquement à l’obligation de traiter les données de manière licite

Pour fonder ses opérations de prospection commerciale par téléphone, la société HUBSIDE.STORE peut se prévaloir de la base légale de l’intérêt légitime. Mais, pour cela, elle doit informer les personnes concernées, au moment de la collecte de leurs données, qu’elles peuvent faire l’objet de prospection commerciale. En l’état, il n’en est rien.

Sans une telle information, HUBSIDE.STORE ne peut se prévaloir de la base légale de l’intérêt légitime pour fonder ses opérations de prospection commerciale par téléphone, mais, à défaut de justifier d’un tel intérêt, ces traitements dépourvus de base légale sont alors considérés comme illicites !

Manquement à l’obligation d’information

Au regard de l’article 14 du RGPD, lorsque des données personnelles ne sont pas collectées auprès des personnes concernées, le responsable de traitement doit fournir à celles-ci des informations précises sur les traitements qu’il met en œuvre. Or, une nouvelle fois, HUBSIDE.STORE ne fournit pas de telles informations aux personnes démarchées par téléphone. Après avoir souligné ces divers manquements au RGPD, la CNIL a sanctionné la société HUBSIDE.STORE d’une amende de 525 000 euros, condamnation qu’elle a décidée de rendre publique !

 

[1] Article L.34-5 CPCE

[2] Article 4.11 RGPD

Développement de système d’IA et protection des données : de nouvelles fiches pratiques publiées par la CNIL

Le 8 avril 2024, à la suite d’une consultation publique du 15 décembre 20231 sur l’intelligence artificielle (IA), la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a publié sept fiches pratiques concernant le développement de systèmes d’IA. Élaborées en vue d’une articulation intelligible avec les futures obligations du Règlement européen sur l’IA (AI Act)2, ces fiches ont vocation à orienter les organismes développant des systèmes d’IA dans leur mise en conformité au RGPD.

Au sein de sa première fiche, la CNIL propose un faisceau d’indices pour parvenir à déterminer le régime juridique applicable aux phases de développement et de déploiement d’un système d’IA, étant précisé que ces phases constituent des traitements de données personnelles distincts. Elle détaille les différents régimes juridiques à envisager, à savoir le régime résultant du RGPD, celui spécifique aux secteurs « police-justice » et celui intéressant la défense nationale de l’Etat régi par les dispositions de la loi Informatiques et Libertés[1]. Ensuite, la CNIL rappelle la nécessité de définir une finalité pour tout traitement de données personnelles, et, notamment, pour les bases de données utilisées dans le développement d’un système d’IA.

La CNIL expose au sein de la fiche 3 les différents critères permettant de qualifier les acteurs de responsable de traitement, de responsables conjoints de traitement, ou de sous-traitant.

Par la fiche 4, la CNIL met en exergue la nécessité de fonder le traitement sur l’une des bases légales prévues par le RGPD.  Elle exclut de son champ d’analyse l’étude de celle relative à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne, laissant présager qu’une telle base légale ne pourrait donc pas être mobilisable. En outre, elle rappelle que lorsque le responsable de traitement réutilise des données qu’il a collectées pour une finalité initiale, il doit vérifier si ce traitement ultérieur est compatible avec ladite finalité.

La CNIL rappelle que la constitution d’une base de données pour l’apprentissage d’un système d’IA peut engendrer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes. Une analyse d’impact sur la protection des données (AIPD) doit alors être réalisée, afin de cartographier et d’évaluer les risques pour les personnes concernées (fiche 5). La Commission revient sur la nécessité de mener une réflexion sur le développement d’un système d’IA respectueux de la protection des données dès la conception dudit système (fiche 6), et, par la suite, de veiller au respect du principe de minimisation durant toute la collecte et la gestion des données (fiche 7).

Par ces fiches, la CNIL met en avant le fait que l’AI Act, adopté le 13 mars dernier par le Parlement européen, n’a pas vocation à écarter le RGPD dans le développement de systèmes d’intelligence artificielle impliquant le traitement de données personnelles. Elle souligne, au contraire, leur complémentarité. Ainsi, elle tente de démontrer que la protection des données personnelles ne constitue pas un obstacle à l’innovation en matière d’IA, mais qu’elle favorise l’émergence de technologies plus respectueuses des droits des individus.

[1] La loi nᵒ 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

Le rapport annuel de 2023 de la CNIL : un nombre record de plaintes reçues, une intelligence artificielle au cœur des préoccupations et des sanctions en hausse

CNIL, rapport annuel 2023

Le 23 avril 2024, la CNIL a publié son rapport annuel. L’année 2023 a été marquée par le 45ème anniversaire de la CNIL et le 5ème de l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Au sein de ce rapport, la CNIL fait le point sur son activité à travers quatre grandes missions dont elle est investie.

Au titre de la protection des droits des individus, on notera que la CNIL a traité 16 433 plaintes, soit 35 % de plus par rapport à l’année précédente. Malgré cette hausse, la CNIL a instruit, pour la deuxième année consécutive, autant de plaintes qu’elle en a reçu. Même s’il est difficile d’établir un constat précis de l’amélioration de son efficacité en raison de la singularité de chaque plainte, on peut tout de même conclure à une accélération du rythme de traitement des plaintes. De surcroît, elle a reçu 20 810 demandes d’exercice de droits indirects via un téléservice dédié, soit une augmentation de 217 % en un an. Ces chiffres témoignent d’une meilleure appréhension des droits protecteurs des données personnelles par les individus.

En outre, s’agissant de sa mission d’accompagnement et de conseil des acteurs dans leur mise en conformité, en 2023, l’accent a été mis sur l’intelligence artificielle (IA), avec un accompagnement renforcé de trois entreprises innovantes et la création d’un « bac à sable » dédié à cette thématique, qui consiste à sélectionner des projets et à les accompagner dans leur sécurisation juridique. Par ailleurs, le nombre de notification pour violation de données est en augmentation depuis 5 ans, avec 4 668 notifications en 2023, soit une augmentation de 14 % par rapport à 2022 mais une diminution de 8 % par rapport à 2021. A cet égard, la CNIL estime que les organismes sont généralement mieux préparés à faire face à ces incidents.

Au titre de sa mission d’innovation et d’anticipation, la CNIL a favorisé l’interaction entre les chercheurs et les régulateurs, notamment via l’organisation de la seconde édition du « Privacy research day » qui a réuni 4439 participants. Elle a également publié une feuille de route sur le thème de l’intelligence artificielle, articulée autour de trois principes fondamentaux : guider le développement d’une IA respectueuse de la vie privée, fédérer et accompagner les acteurs innovants et auditer les systèmes existants pour protéger les personnes.

Enfin, au titre de sa mission de contrôle et de sanction, la CNIL a procédé à 340 contrôles en 2023, aboutissant notamment à 168 mises en demeure et 33 rappels aux obligations légales. 42 sanctions ont été prononcées, soit plus du double par rapport à l’année précédente, dont 36 ayant entraîné des amendes pour un montant global de 89 179 500 euros. Cette augmentation témoigne notamment de l’efficacité de la procédure simplifiée, lancée en 2022, qui s’applique à des dossiers d’une moindre complexité et ne pouvant donner lieu à une amende excédant un montant de 20 000 euros. En effet, 24 des 42 sanctions prononcées l’ont été dans le cadre de la procédure simplifiée, totalisant un montant cumulé de 229 500 euros.

De plus, dans le cadre de la procédure ordinaire, deux sanctions s’élevant respectivement à 40 et 32 millions d’euros ont été prononcées. La première, en date du 22 juin 2023, a visé la société Criteo, spécialisée dans le « reciblage publicitaire », en raison de divers manquements, à savoir l’absence de preuve concernant le recueil du consentement des internautes par ses partenaires dont elle traite les données, la fourniture de données incomplètes lors des demandes d’accès, le défaut de suppression des données lors du retrait du consentement, une politique de confidentialité incomplète et peu claire ainsi que des accord avec ses partenaires ne détaillant pas l’ensemble des obligations requises par le RGPD. La seconde concerne Amazon France Logistique qui a été sanctionné le 27 décembre dernier en raison de la mise en place d’un système de surveillance de la productivité et de l’activité de ses salariés, jugé excessivement intrusif.

Par conséquent, le rapport annuel de la CNIL met en lumière un accroissement des sollicitations de cette institution et du rythme de cette dernière pour tenter d’y répondre. Dans le contexte d’une innovation technologique croissante, l’IA semble s’inscrire au cœur des préoccupations de la CNIL. Cette dernière, dans l’attente du rôle qu’elle sera amenée à jouer dans l’application de l’Artificial Intelligence Act (dénommé l’IA Act), se positionne de manière proactive sur le sujet. Il est fort à parier que l’année 2024 sera également marquée par cette volonté comme l’illustre la publication, le 8 avril 2024, de sept fiches pratiques à destination des organismes pour les accompagner dans leur mise en conformité concernant le développement de systèmes d’IA.

L’édition 2024 du Guide de la sécurité des données personnelles

CNIL, guide de la sécurité des données personnelles

CNIL, 26 mars 2024, Guide de la sécurité des données personnelles : suivi des modifications entre les différentes versions

Les responsables de traitement et les sous-traitants sont soumis à une obligation de sécurité en vertu des articles 5 et 32 du RGPD. Pour répondre à cette exigence, ils doivent donc mettre en œuvre un ensemble de mesures techniques et organisationnelles. Afin de les aider dans cette démarche, la CNIL publie depuis plusieurs années un guide de la sécurité des données personnelles, composé de diverses fiches thématiques, régulièrement actualisé. La dernière version de ce guide, parue en mars dernier, présente plusieurs améliorations.

Cinq nouvelles fiches (numéro 1, 22, 23, 24 et 25) ont été ajoutées. Si la première traite d’un sujet plus global, puisqu’elle vise à assurer la mise en place et le maintien dans la durée de la sécurité des données en prévoyant notamment une prise en compte de ce sujet dans les processus de décision des organismes, les dernières abordent des enjeux actuels.

En effet, la fiche 22 porte sur le Cloud, à cette occasion la CNIL rappelle notamment que le fournisseur de service et le client ont une responsabilité partagée qui doit être formalisée dans un contrat, qu’une cartographie des données et des traitements dans le cloud doit être créée, qu’une politique d’habilitation stricte doit être mise en œuvre, que les données au repos et en transit doivent être chiffrées et qu’une méthode de gestion des clés cryptographiques appropriée doit être prévue.

La fiche numéro 23 est quant à elle dédiée à la conception et au développement des applications mobiles. La CNIL insiste, entre autres, sur l’importance du principe de minimisation, de la sécurisation des échanges de données, au moins pour les serveurs, via l’utilisation des canaux TLS conformément aux instructions de l’ANSSI (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information). Elle encourage également à privilégier les fonctionnalités de sécurité matérielles disponibles sur les appareils mobiles pour stocker les secrets cryptographiques.

La fiche 24 traite de la conception et de l’apprentissage des systèmes d’intelligence artificielle en mettant en avant des aspects tels que la qualité des données utilisées pour entraîner les modèles d’IA, ou encore la mise en œuvre d’une procédure obligatoire pour le développement et l’intégration continus.

Enfin, la fiche 25 concerne les interfaces de programmation applicative (API) qui permettent d’échanger des données. Afin de sécuriser correctement les échanges, la CNIL encourage à identifier les acteurs et leur rôle fonctionnel pour organiser le périmètre des habilitations, à tenir des journaux détaillés afin de tracer les échanges et détecter tout comportement inhabituel, à respecter le principe de minimisation et à maintenir une documentation à jour. Cette actualisation du guide traduit donc une prise en compte des nouveaux risques pour la protection des données.

En outre, la CNIL a renforcé les recommandations en termes de sensibilisation et de formation en matière de sécurité informatique, elle a fourni des directives plus précises concernant le stockage des mots de passe, l’utilisation de gestionnaires de mots de passe, et l’interdiction des pratiques risquées telles que la conservation de mots de passe en clair. Ces évolutions témoignent de la nécessité d’adapter les pratiques et les politiques de sécurité pour faire face aux défis émergents qui pèsent sur la protection des données personnelles.

Droit pour l’aménageur de se voir proposer par la collectivité une convention de projet urbain partenarial dans une zone de PUP prédéfinie

Rappel des faits et de la procédure :

Dans cette affaire, une commune a délibéré pour délimiter un périmètre à l’intérieur duquel les propriétaires fonciers, les aménageurs, les constructeurs se livrant à des opérations d’aménagement ou de construction participent, par le biais de conventions de projet urbain partenarial (PUP), à la prise en charge des équipements publics nécessaires à l’aménagement et à la construction d’un secteur de la commune, que ces équipements soient à réaliser ou déjà réalisés, dès lors qu’ils répondent aux besoins des futurs habitants ou usagers de ces opérations. Par cette même délibération, le conseil municipal a précisé la liste de ces équipements, à savoir des créations et réhabilitations de voiries bénéficiant à l’ensemble de la zone, mais également les modalités du partage de leurs coûts au prorata de la superficie foncière aménagée.

Cela étant posé, un promoteur immobilier a sollicité de la commune la transmission d’un projet de convention de PUP pour ses parcelles situées dans le périmètre défini par la délibération précitée. En l’absence de toute réponse sur cette demande par la commune, une décision implicite de rejet est née. En parallèle, le promoteur a déposé auprès de cette même commune une demande de permis d’aménager.

Seulement, la commune a adressé au pétitionnaire un courrier lui demandant de compléter sa demande faute de contenir un extrait de la convention de PUP signé avec la commune. Le promoteur a alors saisi le juge des référés d’une demande de suspension de la décision implicite de rejet et de la demande de production de la pièce manquante.

En première instance, le juge des référés a rejeté les demandes du pétitionnaire, lequel a exercé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Décision du Conseil d’Etat :

Dans la décision ici commentée, le Conseil d’Etat a d’abord rappelé le I. de l’article L. 332-11-3 du Code de l’urbanisme selon lequel il est possible de conclure entre une collectivité et un aménageur une convention de PUP prévoyant la prise en charge financière en tout ou partie des équipements autres que les équipements propres, si le foncier est compris dans un périmètre déterminé par la collectivité.

Selon le rapporteur public, « ce dispositif repose donc sur une logique « gagnant-gagnant« . Il permet ainsi à l’opérateur privé de faire avancer plus rapidement son projet en préfinançant des équipements publics nécessaires à son opération de façon proportionné à l’usage qui en sera retiré par les usagers et futurs habitants, et sans attendre que la collectivité y procède de son côté. Quant à celle-ci, elle perçoit, sous forme numéraire ou d’apport foncier, un préfinancement de cet équipement, qui sera parfois supérieur aux ressources issues de la seule taxe d’aménagement », conclusions de Monsieur Thomas JANICOT sous cet arrêt.

Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle que cet article a été complété par un II. par la loi Alur de 2014, afin de disposer que, lorsque des équipements publics faisant l’objet d’une première convention de PUP desservent des terrains autres que ceux mentionnés dans le projet de ladite convention, la collectivité compétente en matière de plan local d’urbanisme peut fixer par délibération les modalités de partage des coûts des équipements et délimiter un périmètre à l’intérieur duquel les propriétaires fonciers, les aménageurs ou les constructeurs qui s’y livrent à des opérations d’aménagement ou de construction, participent, dans le cadre de conventions, à la prise en charge de ces mêmes équipements publics, qu’ils soient encore à réaliser ou déjà réalisés, dès lors qu’ils répondent aux besoins des futurs habitants ou usagers de leurs opérations. Il s’agit ici de la « zone de PUP », également appelée « périmètre de PUP ». Comme le relève justement le Rapporteur public, cette possibilité « cherche ainsi à éviter la naissance de contentieux entre les différents aménageurs intervenant sur une même zone. »

On distingue donc deux outils :

  • La convention de PUP, parfois appelée « PUP initial »: laquelle peut en principe toujours être librement négociée et conclue entre la collectivité et l’opérateur privé ;
  • La zone de PUP, impliquant de conclure des conventions ultérieures: dans l’hypothèse où les équipements publics, objets de la « convention initiale » desservent des terrains destinés à accueillir une future opération d’aménagement et répondent aux besoins de leurs futurs habitants ou usagers, la collectivité pourra en effet délimiter une « zone de PUP » et chaque opérateur privé qui souhaiterait à l’avenir y réaliser une opération devra participer au financement des équipements publics mentionnés dans le PUP initial, en signant leur propre convention de PUP avec la collectivité.

La signature de telles conventions en application d’une zone de PUP sort donc de la logique partenariale à l’origine de l’instauration de l’outil PUP. Ces conventions ultérieures sont nécessairement beaucoup moins libres car les modalités de répartition du financement des équipements publics entre les opérateurs auront été préalablement définies par la délibération de la collectivité fixant la zone de PUP. Surtout, et ainsi que le relève le Conseil d’Etat, cette obligation pour l’opérateur privé, n’en ait pas moins une pour la collectivité elle-même qui ne peut donc, par principe, refuser de conclure une telle convention prise en application de la zone de PUP qu’elle a elle-même instauré.

Comme le souligne le Rapporteur public dans cette affaire : « nous convenons qu’il est inhabituel d’imposer à une personne publique de contracter avec une personne privée, configuration que l’on trouve rarement dans votre jurisprudence. Mais nous pensons que cette limitation de sa liberté́ contractuelle découle non seulement de la loi mais surtout de sa propre décision de fixer une zone de PUP. En adoptant la délibération la délimitant, la collectivité́ accepte donc sciemment de se lier les mains pour l’avenir et de proposer une convention à tout opérateur qui la demanderait lorsque les conditions légales pour le faire sont remplies ».

Relevons cependant, ainsi que le défendait la commune dans cette affaire, que l’opérateur sollicitant la conclusion de cette convention de PUP doit mettre la collectivité – par les pièces qu’il fournit – en mesure de connaître la nature et les caractéristiques du projet de manière à pouvoir appliquer la clef de répartition définie dans la zone de PUP.

Sans ces éléments, la Commune ne pourra donc pas se voir opposer l’obligation de signer cette convention de PUP dès lors qu’elle ne sera pas en mesure de s’assurer que le projet répond aux besoins des futurs habitants ou usagers du projet d’aménagement ou de construction qu’il porte. A défaut, cela reviendrait à imposer à la collectivité de signer une convention de PUP sans s’assurer du respect du principe de lien direct et du principe de proportionnalité régissant le financement des équipements publics.

Au cas présent, et au regard de la clef de répartition prévue dans le cadre de la délibération de la zone de PUP, le Conseil d’Etat a jugé que le requérant était « en droit […] de se voir proposer par la commune ou l’établissement public un projet de convention de projet urbain partenarial appliquant à l’opération en cause les modalités de répartition des coûts de ceux des équipements publics répondant aux besoins des futurs habitants ou usagers de cette opération que cette autorité a elle-même décidé de fixer. ».

Ainsi, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du juge des référés de première instance en tant qu’elle a rejeté la demande de suspension par le pétitionnaire de l’exécution de la décision implicite de rejet opposée à sa demande de transmission d’un projet de convention de PUP. Pour autant, statuant au fond, le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’y avait pas d’urgence à suspendre l’exécution de ladite décision sollicitée par le promoteur. La demande de ce dernier présentée devant le juge des référés de première instance est donc rejetée.

L’application du règlement européen Digital Service Act (DSA) aux plateformes en ligne gérées par des personnes publiques

Le Digital Service Act (ou communément appelé « DSA ») est entré en vigueur le 17 février 2024. Ce règlement européen encadre les services numériques et a souvent été mentionné comme un nouveau cadre applicable aux GAFAM (pour « Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft », plateformes qualifiées, aux termes de ce règlement, de « très grandes plateformes en lignes »).

Le DSA a cependant un champ d’application beaucoup plus large que les seules GAFAM puisque, depuis son entrée en vigueur le 17 février dernier, il s’applique à toutes les plateformes en ligne, y compris celles gérées par les personnes publiques. En effet, l’objectif du texte est de rendre l’environnement en ligne plus sûr, plus équitable et plus transparent. A ce titre, son champ d’application est défini par référence aux types de services proposés et non par référence aux catégories de personnes qui fournissent ces services.

Le champ d’application du DSA est en ce sens très large car il s’applique à tous les « services intermédiaires » proposés à des destinataires au sein de l’Union européenne (article 1 du DSA). Ces « services intermédiaires » sont définis par référence notamment à la notion de « service de la société de l’information » (article 3.g du DSA). Cette notion du droit de l’Union précède le DSA et est définie notamment par la directive 2015/1535[1] comme « tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services ».

Concernant la condition de rémunération, cette condition était déjà présente au sein de la directive 2000/31 dite « directive sur le commerce électronique »[2] qui évoque, à propos des services de la société de l’information, un « large éventail d’activités économiques qui ont lieu en ligne » qui peuvent s’étendre « à des services qui ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent ».

Ainsi, dès lors que les dispositions du DSA ne distinguent pas en fonction du public visé ou de la nature des produits ou services fournis, il n’est pas possible d’exclure l’application de ce règlement aux plateformes en ligne gérées par des personnes publiques, sous réserve que ces plateformes entrent bien dans la définition de « service intermédiaire ». A ce titre, les plateformes en ligne gérées par des personnes publiques et pour lesquelles aucune rémunération n’est prévue, que ce soit de manière directe ou indirecte, ne seront pas concernées par ce règlement.

Il convient, en outre, de ne pas omettre que certaines des obligations imposées par le DSA sont exclues pour les microentreprises (i.e. celles ayant moins de 10 salariés et un chiffre d’affaires annuel ou un total du bilan annuel n’excédant pas 2 millions d’euros) et les petites entreprises (i.e. celles qui ont moins de 50 salariés et un chiffre d’affaires annuel ou un total du bilan annuel n’excédant pas 10 millions d’euros). Cette exonération pourrait s’appliquer à certaines personnes publiques.

Les personnes publiques gérant une plateforme en ligne entrant dans le champ du DSA devront donc se conformer à un régime de responsabilité particulier qui comprend notamment la mise en place d’un système de traitement des réclamations contre les décisions prises après le signalement d’un contenu illicite, l’information des utilisateurs sur les publicités ou la mise à disposition de rapports de transparence (article 20 à 28 du DSA).

Il convient, en outre, de préciser que l’application du DSA n’exclut pas le respect par la personne publiques des autres règles nationales et européennes applicables, telles que le règlement européen « P2B »[3] ou encore les normes issues du Code de la consommation.

 

[1] Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des règlementations techniques et des règles relatives aux services de la société́ de l’information.

[2] Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société́ de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché́ intérieur, transposé par la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dite « LCEN »).

[3] Règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne.