Energie
le 07/09/2023
Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE
Simon OLLIC

Raccordement aux réseaux d’électricité : une recodification éclairante qui laisse subsister des zones d’ombres

Ordonnance n° 2023-816 du 23 août 2023 relative au raccordement et à l’accès aux réseaux publics d’électricité

La loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables avait habilité le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de modifier les dispositions législatives du Code de l’énergie relatives au raccordement aux réseaux d’électricité.

Aux termes de l’article 26 de la loi précitée, le gouvernement a été habilité pour :

  • supprimer les incohérences rédactionnelles ;
  • améliorer la lisibilité des dispositions relatives à l’accès et au raccordement aux réseaux publics d’électricité ;
  • clarifier les modalités de prise en charge des coûts de raccordement au réseau par les redevables de la contribution au titre du raccordement ou par le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, sans modifier la répartition actuelle de ces prises en charge ni aggraver leur niveau ;
  • adapter, pour les zones non interconnectées à la France métropolitaine continentale, les procédures d’élaboration et d’évolution des schémas de raccordement au réseau des énergies renouvelables ;
  • modifier, le cas échéant, pour les zones non interconnectées à la France métropolitaine continentale, la définition du périmètre de mutualisation ;
  • prévoir les conditions dans lesquelles les conventions de raccordement peuvent permettre une évolution de la puissance de raccordement par rapport à la puissance effectivement mise à disposition par le gestionnaire des réseaux publics d’électricité.

Ainsi, par une ordonnance n° 2023-816 en date du 23 août 2023, le Gouvernement a mis en œuvre son habilitation et procédé à une refonte de plusieurs parties du Code de l’énergie.

Après avoir abordé successivement les modifications apportées aux dispositions relatives aux raccordements (I.), aux ZNI (II.) et à la modification des conventions de raccordement (III.), le présent focus présentera les limites juridiques liées à l’application de l’ordonnance qui mériteraient d’être clarifiées à l’occasion d’un nouveau texte (IV.).

 

I. Sur la recodification du chapitre relatif au raccordement

Le Gouvernement était habilité pour clarifier les modalités de prise en charge des coûts de raccordement aux réseaux. Pour ce faire, il a procédé à une refonte du chapitre 2 du titre IV de la partie III du Code de l’énergie, chapitre relatif au raccordement aux réseaux.

Si les dispositions étaient organisées de manière anarchique entre le chapitre précité et d’autres dispositions du Code de l’énergie, force est de constater que le Gouvernement est parvenu à mettre de l’ordre en réorganisant le chapitre 2, qui obéit désormais à un plan détaillé abordant successivement : les ouvrages de raccordement (Section 1), l’exécution des travaux et la maitrise d’ouvrage (Section 2), les délais de raccordement et l’indemnisation des retards des dysfonctionnements (Section 3), le financement (Section 4) et les règles générales applicables aux conventions de raccordement (Section 5).

Quelques modifications au sein de ce chapitre revisité méritent d’être étudiées.

En premier lieu, le Gouvernement a consacré un paragraphe aux schémas régionaux de raccordement aux réseaux des énergies renouvelables (ci-après S3RENR). Ainsi, les dispositions relatives à ces schémas ne sont plus présentées dans la partie du Code relative aux missions du gestionnaire du réseau de transport mais dans une partie dédiée.

Pour rappel, ce schéma est chargé de :

  • définir les ouvrages à créer ou renforcer ;
  • assurer la pertinence technique et économique des investissements à réaliser par les gestionnaires de réseau ;
  • définir un périmètre de mutualisation des postes du réseau public ;
  • évaluer le coût prévisionnel de l’établissement des capacités d’accueil nouvelles nécessaires.

En outre, le S3RENR fixe une quote-part unitaire dont doivent s’acquitter les exploitants des nouvelles installations de production d’énergie renouvelable raccordées au réseau. L’objet de cette quote-part est de mutualiser les coûts d’adaptation et de modification du réseau public.

Les modifications apportées par l’ordonnance sont résiduelles, le Gouvernement ayant en effet largement reproduit les dispositions préexistantes. Par ailleurs, les dispositions nouvelles, qui ont vocation à avoir force législative après ratification de l’ordonnance, s’efforcent de ne pas contrevenir aux dispositions réglementaires en vigueur.

Enfin, ainsi que le laissait entrevoir l’étude d’impact de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023, la partie réglementaire du Code de l’énergie aura également vocation à être modifiée. Des précisions sont ainsi attendues notamment s’agissant de périodicité de la mise à jour du schéma et de son délai d’élaboration.

En deuxième lieu, le Gouvernement a procédé à une clarification des dispositions relatives au financement du coût des raccordements (nouveaux articles L. 342-11 à L. 342-21). Si la répartition n’est pas bouleversée, les nouvelles dispositions font œuvre de clarté.

Le coût du raccordement au réseau public de distribution est ainsi réparti comme suit, s’agissant de la part extension du raccordement, la part branchement du raccordement restant inchangée :

  • Une partie du coût de l’extension est couverte par le TURPE (nouvel article L. 342-11) ; cette partie est en principe de 40 % du coût mais par exception elle peut être de :
    • 60 % lorsque le raccordement concerne une installation de production d’électricité d’origine renouvelable raccordée au réseau public de distribution et ayant une puissance inférieure à 500 kW ;
    • 100 % lorsque le raccordement consiste en un renforcement du réseau de distribution et est un raccordement en basse tension de consommateurs finals effectué par le gestionnaire du réseau de distribution;
    • 80 % lorsque les travaux de renforcement sont rendus nécessaires par les évolutions des besoins de consommateurs raccordés en basse tension pour des puissances inférieures ou égales à 36 kilovoltampères et qu’ils concourent à l’atteinte des objectifs de la politique énergétique.

Il y a là d’utiles précisions sur la prise en charge de la part renforcement du raccordement, quoique la dernière précision ci-dessus nous semble prêter à interprétation.

  • L’autre partie du coût fait l’objet d’une contribution due par le demandeur du raccordement, dans les conditions déterminées au nouvel article L. 342-21, reprenant in extenso les dispositions de l’ancien article L. 342-11 mais ajoutant un nouveau membre de phrase aux termes duquel « le demandeur d’un raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité est le redevable de la contribution», confirmant de fait la suppression de la part de la contribution due par les collectivités en charge de l’urbanisme (ci-après, CCU).

Il convient enfin de souligner l’apparition d’une nouvelle disposition, codifiée au nouvel article L. 342-14, qui concerne le raccordement des producteurs d’électricité renouvelable. Aux termes de cet article :

« Lorsque des ouvrages, autres que les ouvrages propres, sont nécessaires au raccordement de l’installation et qu’ils ne sont pas prévus par le schéma régional de raccordement en vigueur, le producteur est redevable d’une contribution portant sur ses ouvrages propres et sur l’intégralité des ouvrages créés et renforcés pour ce raccordement, sans qu’aucun des éléments constitutifs de ce raccordement, y compris les renforcements, puisse bénéficier de la prise en charge prévue au 3° de l’article L. 341-2 et à l’article L. 342-11.

La contribution due par le producteur ne peut être inférieure à un seuil défini par un décret, pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie ».

 

II. Sur les dispositions relatives aux ZNI

Aux termes des points 4 et 5 de l’article 26 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023, le Gouvernement devait adapter aux zones non interconnectées au réseau métropolitain continental (ci-après, ZNI) les procédures d’élaboration et d’évolution des schémas de raccordement au réseau des énergies renouvelables ainsi que modifier la définition du périmètre de mutualisation.

Ces sujets ont été traités par l’article 4 de l’ordonnance qui a modifié le chapitre 1 du titre VI de la partie III du Code de l’énergie, relatif aux dispositions applicables aux départements et régions d’outre-mer.

A titre liminaire, il convient de souligner que la Corse, qui faisait l’objet d’une disposition spécifique (le dernier alinéa de l’article L. 322-8), est désormais régie par les mêmes dispositions que les territoires d’outre-mer.

Le chapitre se décompose désormais en trois articles.

En premier lieu, l’article L. 361-1, seul préexistant à l’ordonnance, et relatif aux S3ENR des ZNI, a été partiellement modifié, dans la continuité des modifications apportées aux S3ENR métropolitains.

Ainsi, le schéma de raccordement au réseau des énergies renouvelables des ZNI devra :

  • définir les ouvrages à créer ou renforcer ;
  • assurer la pertinence technique et économique des investissements à réaliser par les gestionnaires de réseau ;
  • définir un périmètre de mutualisation des postes du réseau public ;
  • evaluer le coût prévisionnel de l’établissement des capacités d’accueil nouvelles nécessaires.

Conformément à l’habilitation législative, le Gouvernement a procédé à une légère adaptation des S3RENR aux ZNI. Ainsi, les distinguos entre réseau public de transport et réseau public de distribution sont remplacés par une distinction entre ligne à plus de 50 kV et autres lignes.

De surcroît, le schéma de raccordement au réseau des énergies renouvelables est pensé pour s’intégrer aux documents de planification locaux en matière d’énergie, et notamment à la programmation pluriannuelle de l’énergie prévue par l’article L. 141-5 du Code de l’énergie. Ainsi, aux termes du quatrième alinéa de l’article L. 361-1 : « l’élaboration, la modification ou la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie peut entraîner la modification ou la révision du schéma ».

En deuxième lieu, l’article L. 361-2 du Code de l’énergie est une nouveauté. S’il prévoit que « le périmètre de mutualisation du schéma peut être étendu, dans des conditions fixées par voie réglementaire, à des ouvrages du réseau public de distribution exploités à une tension supérieure ou égale à 15 kV », cette formulation ne donne pas grande indication sur l’objectif du Gouvernement.

Le rapport au Président de la République est toutefois éclairant. En effet, ce rapport dispose au sujet du nouvel article L. 361-2 : « l‘ordonnance prévoit par ailleurs un élargissement ciblé du périmètre de mutualisation des ouvrages du réseau à certains ouvrages exploités en haute tension de niveau A (HTA), en réponse à des difficultés identifiées sur certains départements et régions d’outre-mer caractérisés par exemple par une double insularité ».

L’article L. 361-2 prévoit donc que le périmètre de mutualisation peut être étendu à des ouvrages du réseau public de distribution exploités à une tension supérieure ou égale à 15 kV.

En troisième et dernier lieu, le nouvel article L. 361-3 est une reprise in extenso des alinéas 3, 4 et 5 de l’article L. 361-1 dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance.

 

III. Sur les dispositions relatives à l’évolution de la puissance de raccordement

Aux termes du point 6 de l’article 26 de la loi n° 2023-175 en date du 10 mars, le Gouvernement était habilité afin de :

« Prévoir les conditions dans lesquelles les conventions de raccordement mentionnées aux articles L. 342-4 et L. 342-9 du même Code peuvent permettre une évolution par rapport à la puissance de raccordement par rapport à la puissance effectivement mise à disposition par le gestionnaire des réseaux publics d’électricité, à des fins de dimensionnement optimal du réseau sur les plans technique et économique ».

Cette possibilité d’évolution de la puissance de raccordement mentionnée dans les conventions de raccordement est prévue par le nouvel article L. 342-24. Cet article dispose :

« Les conventions ou protocoles de raccordement mentionnés aux articles L. 342-22 et L. 342-23 conclus postérieurement au 10 novembre 2023 ou en cours d’exécution à cette date précisent, dans des conditions déterminées par la Commission de régulation de l’énergie, les modalités selon lesquelles la puissance de raccordement peut être modifiée par le gestionnaire de réseau, lorsque la puissance maximale soutirée par l’utilisateur concerné est inférieure à la puissance de raccordement en soutirage prévue par cette convention ou ce protocole, à des fins de dimensionnement optimal du réseau.

La Commission de régulation de l’énergie détermine les modalités d’évolution de la puissance de raccordement et les éventuelles indemnités auxquelles un client peut prétendre, en cas de modification de sa puissance de raccordement.

Un arrêté du ministre chargé de l’énergie, pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie, précise les catégories d’installations soumises aux dispositions du présent article, en fonction de leurs caractéristiques ».

En premier lieu, l’évolution de puissance envisagée se traduit par une possible diminution de puissance de raccordement pour les installations raccordées en soutirage dont la puissance prévue par la convention n’est pas atteinte en pratique.

En deuxième lieu, cette possibilité d’évolution de la puissance de raccordement concernant aussi bien les conventions conclues à partir du 10 novembre 2023 (date d’entrée en vigueur de l’ordonnance) que les conventions en cours d’exécution, le nouvel article L. 342-24 du Code de l’énergie impose donc aux gestionnaires de réseau de transport et de distribution de modifier leurs modèles de convention de raccordement en soutirage ainsi que les conventions en cours d’application.

En troisième et dernier lieu, les modalités selon lesquelles la puissance de raccordement pourra être modifiée par les gestionnaires de réseau seront précisées par la Commission de régulation de l’énergie.

Cette analyse résulte du rapport au président de la République qui indique :

« Dans l’objectif d’accélérer les raccordements tout en veillant à un dimensionnement optimal du réseau sur les plans technique et économique, les conditions dans lesquelles la part de puissance de raccordement non utilisée par l’installation concernée pourra être récupérée par le gestionnaire de réseau sont précisées. Ces dispositions s’appliqueront également aux contrats déjà signés ».

 

IV. Sur les difficultés juridiques relatives à la suppression de la contribution des CCU liées à l’entrée en vigueur de l’ordonnance

La suppression de la contribution due par les CCU était envisagée dès le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables présenté par le gouvernement mais sa mise en œuvre renvoyée à l’ordonnance attendue du Gouvernement. Les sénateurs avaient toutefois entendu « inscrire dans le dur » le principe de cette suppression et habiliter le Gouvernement pour les détails. Toutefois, en l’état des textes, une part de la contribution ne sera due par personne pendant deux mois.

D’une part, la suppression de la contribution des CCU entre en vigueur le 10 septembre 2023. D’autre part, le nouvel article L. 342-21 du Code de l’énergie, introduit par l’ordonnance, et prévoyant que le demandeur du raccordement est redevable de la contribution, dans son intégralité (voir supra), entre en vigueur le 10 novembre 2023.

Quid de la période du 10 septembre au 10 novembre ? La part de la contribution due par les CCU ne sera plus, la prise en charge de l’intégralité de la contribution par le demandeur ne sera pas encore.

Et on ne pourrait affirmer que la part des CCU sera transférée au demandeur du raccordement. Car si l’article L. 342-11 a bien été modifié, l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme demeure. Et cet article limite la contribution du demandeur du raccordement « à la fraction de l’extension du réseau située sur le terrain d’assiette de l’opération ». La contribution des CCU concerne l’extension située en dehors du terrain d’assiette, qui ne peut donc, en l’état, être affectée au demandeur du raccordement.

Au-delà de la limite temporelle, l’absence de modification de l’article L. 332-15 pose des difficultés juridiques.

Une ordonnance n’a force de loi que lorsqu’elle est ratifiée, ou qu’un projet de loi de ratification a été déposé dans le délai d’habilitation initialement fixé et que celui-ci est échu (Conseil constitutionnel, 28 mai 2020, n° 2020-843 QPC). Tant que l’un de ces évènements n’est pas intervenu, l’ordonnance conserve un caractère réglementaire.

Or, au cas présent, ainsi qu’il a été vu, le nouvel article L. 341-21 du Code de l’énergie est en contradiction avec l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme. Le premier article met à la charge du demandeur l’intégralité de la contribution quand le second lui impose seulement de prendre en charge une part de cette contribution. Quelle est la norme à appliquer ? Tout dépend de l’intervention ou non de la loi de ratification de l’ordonnance avant la date limite.

Si l’ordonnance est ratifiée ou que la loi de ratification est publiée avant l’échéance de l’habilitation législative, alors les dispositions de l’ordonnance auront force de loi. Il conviendra dès lors de faire application de la loi nouvelle, soit de l’article L. 341-21 du Code de l’énergie, et d’imputer au demandeur du raccordement l’intégralité de la contribution due pour l’extension du réseau de distribution d’électricité.

A cette heure, cette première option n’est pas.

Et si l’ordonnance n’est pas ratifiée ou qu’un projet de loi de ratification n’est pas déposé dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance, soit le 24 novembre, aux termes du dernier alinéa de l’article 26 de la loi du 10 mars 2023 précitée, alors l’ordonnance conservera un caractère réglementaire.

Juridiquement, l’article L. 342-21 du Code de l’énergie aura donc la valeur d’un règlement et ne pourra contrevenir à une norme de valeur législative. Dès lors, il conviendra de faire application de l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme, au détriment de l’article L. 342-21 du Code de l’énergie.

On peut vraisemblablement penser que l’ordonnance ne sera pas ratifiée mais qu’un projet de loi de ratification sera déposé. Dès lors, l’article L. 342-21 du Code de l’énergie n’aura une force législative qu’à partir du 24 novembre 2023. La période pendant laquelle la contribution des CCU sera supprimée mais non remplacée s’étendra alors, dans ce cas de figure, du 10 septembre 2023 au 24 novembre 2023.

De tout cela on retiendra qu’il y a urgence à modifier l’entrée en vigueur de l’ordonnance ici commentée et à déposer le projet de loi de ratification de ladite ordonnance, une affaire on l’espère entre les mains du Gouvernement. Et à profiter d’une prochaine loi pour lever la contradiction entre le Code de l’urbanisme et le Code de l’énergie.