Environnement, eau et déchet
le 05/10/2023
Clémence DU ROSTU
Julie CAZOU

Petit et grand cycle de l’eau : le point sur une actualité débordante

Qu’il s’agisse du petit cycle (assainissement et eau potable) ou du grand cycle de l’eau (gestion de la ressource à plus grande échelle), ces dernières semaines ont été riches en actualité.

Alors que la mission d’information sur la gestion durable de l’eau rendait, le 11 juillet dernier, son rapport formulant 53 propositions pour faire face à l’urgence de la situation (voir notre brève sur le sujet), de nouveaux textes ou nouvelles décisions de jurisprudence sont venus préciser le droit ou le faire évoluer. Le début de l’année avait déjà été marqué par la transposition de la Directive Eau potable (comme nous le développions dans notre focus du mois mars) et le sujet de l’eau reste l’une des principales sources de la législation au regard des enjeux liés au réchauffement climatique. C’est ainsi que tant les textes que la jurisprudence convergent la plupart du temps vers des mesures destinées à favoriser une meilleure gestion tant quantitative que qualitative de l’eau.

Les actualités les plus récentes concernent ainsi tant la gestion des eaux pluviales et des eaux usées (I) que celle des eaux utilisées par les ICPE (II) ou encore celle des cours d’eau et l’objectif de continuité écologique tant recherché par les acteurs de l’eau (III).

I. Eaux usées : entre précisions réglementaires sur les modalités de réutilisation et jurisprudentielles sur les zonages

Une des actualités fortes de la fin de l’été a été l’adoption, le 29 août, du décret relatif aux usages et conditions d’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées (A). Toutefois, l’arrêt du Conseil d’Etat rendu le 13 juillet au sujet de la définition des zonages d’assainissement et des obligations de raccordement des autorités compétentes ne doit pas non plus passer inaperçu (B).

A. La parution du décret relatif à la réutilisation des eaux de pluie et eaux usées traitées 

Décret n° 2023-835 du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées

Le décret sur la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) et des eaux de pluie, qui avait fait l’objet d’une consultation du public du 31 mai au 22 juin 2023 (voir notre article sur le sujet), a été publié au Journal officiel du 30 août 2023.

Ce décret a pour objectif de simplifier le régime applicable à la REUT, et plus particulièrement leur régime d’autorisation, afin de faciliter cette réutilisation et de définir les conditions d’utilisation des eaux de pluie pour les usages non domestiques.

Plusieurs modifications ont été apportées à la suite de la consultation du public, particulièrement :

  • La condition, pour la mise en œuvre de la REUT, relative à la qualité des boues des stations de traitement de eaux usées a été supprimée, dès lors que plusieurs observations du public avaient indiqué que la qualité des boues ne préjuge pas de la qualité des eaux ;
  • Le terme d’ « eaux non conventionnelles » a été supprimé, et il est ainsi créé au sein du Code de l’environnement une section relative aux « usages et conditions d’utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées » ;
  • Les dispositions relatives aux eaux usées traitées et aux eaux de pluie ont été réorganisées dans le but de permettre une meilleure identification des usages et des procédures associées ;
  • La définition des eaux de pluie a été harmonisée avec celle découlant du Code de la santé publique ;
  • Dans le cadre de la procédure d’autorisation pour la REUT, le silence de l’Agence régionale de santé lorsqu’elle est saisie pour avis est réputé donner lieu à un avis défavorable, alors qu’il était initialement prévu que ce silence soit favorable.

La publication de ce texte a soulevé quelques interrogations dans la mesure où il pourrait être interprété comme interdisant des pratiques d’utilisation des eaux de pluie jusqu’alors admises. En effet, alors que les arrêtés des 21 août et 17 décembre 2008 régissent les modalités de récupération des eaux de pluie et leur usage à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments, l’assimilation, par la nouvelle réglementation, des eaux de pluie et des eaux usées traitées et le renvoi à la notion d’« usages non domestiques » sans autre précision, pourraient conduire à considérer que l’utilisation jusqu’alors admise dans certains bâtiments ne l’est plus. Des précisions sur ce point sont donc attendues et les textes qui doivent intervenir en la matière pourraient venir lever les ambiguïtés existantes.

B. Zonage d’assainissement : le pouvoir d’appréciation des autorités compétentes et l’obligation de raccordement

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047837302?init=true&page=1&query=454945&searchField=ALL&tab_selection=all

Dans un récent arrêt mentionné au Recueil, le juge a précisé l’articulation des différentes dispositions qui s’imposent aux autorités compétentes pour définir leur zonage d’assainissement et procéder ou non au raccordement des usagers.

Dans cette espèce, un particulier s’était vu refuser sa demande de raccordement adressée au Maire de la Commune du Rouret et demandait au juge administratif l’annulation de ce refus. Si le tribunal administratif a suivi le requérant dans sa demande, tel n’a pas été le cas de la Cour administrative d’appel et, par suite, du Conseil d’Etat.

En effet, pour obtenir l’extension du réseau, le requérant faisait valoir que l’article R. 2224-10 du CGCT impose aux « communes dont tout ou partie du territoire est compris dans une agglomération d’assainissement dont les populations et les activités économiques produisent des eaux usées dont la charge brute de pollution organique est supérieure à 120 kg par jour [d’] être équipées, pour la partie concernée de leur territoire, d’un système de collecte des eaux usées ». Or tel était le cas de la commune du Rouret à l’époque des faits.

Le juge administratif a d’abord rappelé le large pouvoir d’appréciation dont bénéficient les communes ou EPCI dans la définition de leur zonage en vertu de l’article L. 2224-10 et R. 2224-6 et suivants du CGCT pour délimiter les zones d’assainissement collectif et les zone d’assainissement non collectif en précisant toutefois que devaient être pris en compte « la concentration de la population et des activités économiques productrices d’eaux usées sur leur territoire, de la charge brute de pollution organique présente dans les eaux usées, ainsi que des coûts respectifs des systèmes d’assainissement collectif et non collectif et de leurs effets sur l’environnement et la salubrité publique ».

Ensuite, le juge a confronté l’article R. 2224-10 précité avec l’article R. 2224-7 du CGCT qui permet aux collectivités de placer en zones d’assainissement non collectif les parties de leurs territoires « dans lesquelles l’installation d’un système de collecte des eaux usées ne se justifie pas, soit parce qu’elle ne présente pas d’intérêt pour l’environnement et la salubrité publique, soit parce que son coût serait excessif ». Il affirme alors que le second article permet de déroger au premier et en déduit que dès lors que le requérant était situé dans une zone d’assainissement non collectif à la date de sa demande, la commune n’était pas tenue de réaliser le raccordement demandé quand bien même cette dernière aurait été incluse au sein d’une agglomération d’assainissement au sens de l’article R. 2224-6 du CGCT, dont les populations et les activités économiques produisent des eaux usées dont la charge brute de pollution organique est supérieure à 120 kg par jour.

II. La meilleure prise en compte de la gestion quantitative et qualitative de l’eau dans les ICPE

L’actualité concerne aussi la gestion de l’eau dans le cadre des ICPE. Il ne s’agit pas là de traiter le régime spécifique des IOTA, soumis à la police de l’eau, mais bien de s’arrêter sur les mesures visant à préserver la quantité de la ressource (A) ainsi que sa qualité (B) qui s’imposent à certaines ICPE.

Arrêté du 30 juin 2023 relatif aux mesures de restriction, en période de sécheresse, portant sur le prélèvement d’eau et la consommation d’eau des installations classées pour la protection de l’environnement

A. Les mesures en faveur de la gestion quantitative de l’eau

Partant du double constat que les épisodes de sécheresse s’intensifient en France et que la réglementation applicable aux ICPE ne dispose pas d’un cadrage national propre à la gestion de l’eau en période de sécheresse, un arrêté du 30 juin 2023 a défini des mesures de restriction sur le prélèvement et la consommation d’eau par les ICPE lors des périodes de sécheresse.

Cet arrêté s’applique aux ICPE soumises à autorisation ou à enregistrement dont le prélèvement d’eau total annuel est supérieur à 10 000 m3, à l’exception de certaines exploitations qu’il identifie (notamment les installations d’eau potable ou d’électricité, celles ayant déjà réduit leurs prélèvements, etc.). Il prévoit, selon la gravité de l’épisode de sécheresse, des réductions des consommations d’eau qui doivent être atteintes au plus tard trois jours après le déclenchement du niveau de gravité correspondant :

  • vigilance : sensibilisation accrue du personnel aux règles de bon usage et d’économie d’eau selon une procédure écrite affichée sur site ;
  • alerte : réduction du prélèvement d’eau de 5 % ;
  • alerte renforcée : réduction du prélèvement d’eau de 10 % ;
  • crise : réduction du prélèvement d’eau de 25 %.

Pour les niveaux de gravité d’alerte renforcée ou de crise, l’exploitant doit également communiquer toutes les semaines sur une plateforme numérique les volumes d’eau journaliers prélevés et consommés sur la semaine calendaire précédente et le volume journalier moyen prévisionnel prélevé et consommé pour les besoins de son installation. Plusieurs informations relatives à sa gestion de l’eau doivent également être tenues à disposition de l’inspection des installations classées (liste des milieux de prélèvements et rejets, procédure de sensibilisation accrue du personnel, investissements pour réduire les volumes prélevés ou consommés, etc.).

Cet arrêté pourra être adapté par le préfet selon les circonstances locales.

B. Les mesures en faveur de la gestion qualitative de l’eau

Arrêté du 7 juillet 2023 modifiant l’arrêté du 2 février 1998

L’arrêté du 7 juillet 2023 apporte plusieurs modifications aux prescriptions, portant sur la règlementation des rejets aqueux, applicables à certaines des ICPE soumises à autorisation et fixées par arrêté du 2 février 1998 :

  • si l’industriel demeure responsable des seules concentrations de substances qui résultent de son activité, l’arrêté précise que l’exploitant devra démontrer la compatibilité du rejet avec le milieu récepteur et de la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 211-1 du Code de l’environnement ;
  • il exclut de l’obligation de collecte et traitement des eaux pluviales susceptibles d’être significativement polluées les aires de stationnement des véhicules exclusivement légers ;
  • il ajoute que la liste des ICPE soumises à autorisation auxquelles l’arrêté du 2 février 1988 ne s’applique pas comprend seulement les cimenteries relevant de la rubrique 2520 (relative à la fabrication de ciments, chaux et plâtres) et non la rubrique 2520 dans son ensemble ;
  • il supprime la mention relative au prélèvement instantané, qui ne constituerait pas une bonne pratique d’autosurveillance selon les services de l’Etat, qui privilégient des prélèvements représentatifs moyennés ;
  • l’arrêté indique que les valeurs limites, les fréquences et modalités de contrôle des rejets dans l’air et dans l’eau fixées par l’arrêté du 3 février 2022 relatif aux meilleures techniques disponibles (MTD) applicables à certaines installations classées du secteur du traitement de surface prévalent par rapport à celles qu’il fixe.

Et d’autres nouveautés règlementaires en matière de gestion de l’eau sont également à prévoir, un projet de décret portant diverses dispositions relatives à la procédure d’autorisation environnementale, à la planification et à la gestion de la ressource en eau ayant en effet été soumis à consultation du public récemment.

III. IOTA : la parution tant attendue de la nouvelle rubrique 3.3.5.0 relative aux travaux de restauration écologique des cours d’eau

Décret n° 2023-907 du 29 septembre 2023 modifiant la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités relevant de la police de l’eau annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement

C’est pour faire suite à l’annulation de la rubrique 3.3.5.0 relative aux travaux de restauration de la continuité écologique des cours d’eau par le Conseil d’Etat le 31 octobre 2022 (voir notre brève sur le sujet) que le décret de modification de la nomenclature loi sur l’eau a été adopté le 29 septembre dernier pour réintégrer ladite rubrique.

Pour rappel, par un arrêt en date du 31 octobre 2022, le juge administratif avait annulé la rubrique 3.3.5.0 qui ne soumettait les travaux qu’elle envisageait qu’à déclaration. Or le juge ayant considéré que ces travaux tels que l’arasement de barrage ou de digues pouvaient, par nature, présenter des dangers pour la sécurité publique ou d’accroître le risque d’inondation, le régime de l’autorisation aurait dû s’imposer dans certaines hypothèses.

La nouvelle rubrique issue du décret du 29 septembre 2023 pose encore le principe selon lequel les travaux de restauration des cours d’eau sont soumis à la seule déclaration, mais elle est beaucoup plus précise et exclut expressément un certain nombre de cas.

Sont ainsi soumis à déclaration les arasements d’ouvrages relevant de la nomenclature IOTA lorsqu’ils sont implantés dans le lit mineur d’un cours d’eau sauf s’il s’agit de barrages classés en application de l’article R. R. 214-112 du Code de l’environnement. Dans le même sens, l’arasement des ouvrages latéraux des cours d’eau entre dans le champ de cette nouvelle rubrique sauf s’ils sont intégrés à un système d’endiguement, au sens de l’article R. 562-13 du Code de l’environnement. Il en va également ainsi des d’ouvrages ayant un impact sur l’écoulement de l’eau ou les milieux aquatiques autres que ceux précités, sauf s’ils sont intégrés à des aménagements hydrauliques, au sens de l’article R. 562-18 du même Code.

La rubrique vise également d’autres travaux qui doivent faire l’objet d’une simple déclaration :

  • le déplacement du lit mineur pour améliorer la fonctionnalité du cours d’eau ou le rétablissement de celui-ci dans son talweg ;
  • la restauration de zones humides ou de marais ;
  • la mise en dérivation ou la suppression d’étangs ;
  • la revégétalisation des berges ou le reprofilage améliorant leurs fonctionnalités naturelles ;
  • le reméandrage ou la restauration d’une géométrie plus fonctionnelle du lit du cours d’eau ;
  • la reconstitution du matelas alluvial du lit mineur du cours d’eau ;
  • la remise à ciel ouvert de cours d’eau artificiellement couverts ;
  • la restauration de zones naturelles d’expansion des crues.

Il est encore précisé que « la présente rubrique est exclusive des autres rubriques de la nomenclature. Elle s’applique sans préjudice des obligations relatives à la remise en état du site et, s’il s’agit d’ouvrages de prévention des inondations et des submersions marines, à leur neutralisation, qui sont prévues par les articles L. 181-23, L. 214-3-1 et L. 562-8-1, ainsi que des prescriptions susceptibles d’être édictées pour leur application par l’autorité compétente. Ne sont pas soumis à la présente rubrique les travaux mentionnés ci-dessus n’atteignant pas les seuils rendant applicables les autres rubriques de la nomenclature ».

Les autorités compétentes en matière de gestion des cours d’eau (et en particulier celles qui assurent la GeMAPI) se réjouissent de l’apparition de cette nouvelle rubrique qui met fin au blocage auquel elles devaient faire face depuis l’arrêt du Conseil d’Etat. Pourtant, des recours contre le décret de la part d’associations sont déjà annoncés en particulier en ce qui concerne l’aspect « continuité écologique » de la rubrique, qui permettront notamment au juge de se prononcer sur la suffisance des modifications apportées.

 

Clémence DU ROSTU et Julie CAZOU