Le régime fiscal actuellement applicable aux indemnités des élus locaux

Jusqu’à fin 2016, le régime fiscal de droit commun des élus locaux au titre de l’indemnité de fonction leur étant versée, était la retenue à la source, dispositif particulier où l’indemnité était imposée isolément des autres revenus (article 204-0 bis du Code général des impôts).

Ce système permettait d’exonérer totalement d’impôt sur le revenu, les indemnités d’élus locaux inférieures à 1.460 euros ou 1.795 euros pour deux ou plusieurs mandats.

Avec la loi de finances pour 2017, qui a préparé le terrain pour la mise en place du prélèvement à la source, la retenue à la source a été supprimée et l’article 10 de la loi de finances pour 2017 a aligné les modalités de recouvrement de l’impôt sur les indemnités de fonction des élus locaux sur le doit commun.

Seul l’abattement annuel de 7.986 euros a survécu (1° de l’article 81 du CGI)

L’intégration des indemnités de fonction des élus locaux dans les traitements et salaires, a placé certains revenus dans des tranches d’imposition d’un taux plus élevé, et les montants des impôts de 2018, ont été sensiblement augmentés, en particulier chez les maires de petites communes.

Les sénateurs ont voulu rétablir, au cours de l’examen du Projet de loi de finances 2019, les effets du précédent dispositif pour les maires ruraux, notamment ceux des communes entre 500 et 2.000 habitants, communes ne disposant pas de services publics organisés.

Au terme d’un affrontement avec le gouvernement, et d’une interruption des travaux du Sénat un accord a, en définitive, été trouvé entre le Sénat et le Gouvernement.

A compter de 2019, les indemnités entrent bien dans le champ d’application du prélèvement à la source et l’assiette de la retenue à la source sur les indemnités de fonction des élus sera égale au montant net imposable de ces indemnités (déduction faite de la fraction représentative de frais d’emploi).

Mais la différence principale concerne les abattements prévus, à ce stade.

a) pour les élus exerçant un mandat dans une commune de moins de 3.500 habitants

L’abattement fiscal sur le montant d’une ou plusieurs indemnités est augmenté. Unique et forfaitaire, il a été fixé à un montant de 1.507 euros/mois, quel que soit le nombre de mandats et les 1.507 euros doivent être proratisés en cas de pluralité de mandats. C’est-à-dire que les élus doivent informer chaque collectivité ou structure leur versant une indemnité, des indemnités versées par les autres, afin que le total versé ne dépasse pas 1.507 euros, par mois.

Le bénéfice de cet abattement est conditionné, en outre, par le renoncement au remboursement des frais de transport et de séjour prévus à l’article L. 2123-4 du Code général des collectivités territoriales.

Concrètement, les élus de communes de moins de 3.500 habitants pourront, avec ce dispositif, quel que soit le nombre de mandats, déduire de l’assiette de l’impôt sur le revenu, 1,25 fois le montant de l’indemnité versée aux maires de communes de moins de 1.000 habitants, soit 1.499,87 euros.

b) Pour les élus n’exerçant pas un mandat au moins dans une commune de moins de 3.500 habitants

Le montant de l’abattement fiscal reste celui existant : 661 euros mensuel pour un mandat et 991 euro en cas de pluralité de mandats (661 euros x 1,5). L’obligation de proratisation s’applique également.

Comment apprécier la destination d’une construction dont l’usage a cessé depuis longtemps ?

Dans cette affaire, le requérant est propriétaire, sur le territoire de la commune d’Hyères, d’un terrain sur lequel est implantée une ancienne bergerie en pierres. Il a déposé une demande de permis de construire portant sur la réhabilitation de ce bâtiment à des fins d’habitation.

Cette demande lui a été refusée au motif que le plan d’occupation des sols de la commune d’Hyères ne permettait, pour les constructions existantes à usage agricole, que les constructions nouvelles à caractère précaire et démontable.

La décision de refus de permis de construire a été confirmée par le Tribunal administratif de Toulon et la Cour administrative d’appel de Marseille qui ont considéré qu’il convenait de retenir, pour l’ancienne bergerie, une destination « agricole ».

Saisi en cassation, le Conseil d’Etat censure cette interprétation en considérant que :

« 3.        Si l’usage d’une construction résulte en principe de la destination figurant à son permis de construire, lorsqu’une construction, en raison de son ancienneté, a été édifiée sans permis de construire et que son usage initial a depuis longtemps cessé en raison de son abandon, l’administration, saisie d’une demande d’autorisation de construire, ne peut légalement fonder sa décision sur l’usage initial de la construction ; il lui incombe d’examiner si, compte tenu de l’usage qu’impliquent les travaux pour lesquels une autorisation est demandée, celle-ci peut être légalement accordée sur le fondement des règles d’urbanisme applicables ».

Ainsi, lorsqu’une construction a été édifiée sans permis de construire en raison de son ancienneté et que son usage initial a cessé depuis longtemps en raison de son abandon, l’ancienne destination de la construction n’a pas à être prise en compte lors de l’instruction d’une autorisation d’urbanisme portant sur celle-ci.

Il restera, toutefois, aux juges du fond de définir ce qu’il faut entendre à travers la notion de construction dont l’ « usage initial a depuis longtemps cessé en raison de son abandon »…

Refus du transfert de bail en cas d’inadaptation du logement à la taille du ménage

Une société d’HLM avait donné à bail un logement de 6 pièces à un locataire, bail poursuivi par sa veuve à son décès. Au décès de la veuve, son fils a sollicité le transfert de bail à son profit, sur le fondement de l’article 14 de la loi n° 89-462 de la loi du 6 juillet 1989.

Le bailleur refuse au motif que le logement de 6 pièces était inadapté à la taille du ménage de l’héritier.

Ce dernier invoque alors l’article L. 442-3-1 du Code de la construction et de la construction en vertu duquel le bailleur est tenu, en cas de sous-occupation du logement (qui s’entend d’un logement inadapté en nombre de pièces habitables à la taille du ménage) de proposer un logement plus petit.

La Cour d’appel donne raison au bailleur pour qui l’héritier n’était pas titulaire du bail et ne pouvait donc bénéficier des dispositions invoquées.

L’héritier se pourvoit alors en cassation.

La juridiction judiciaire suprême rejette le pourvoi au motif, d’une part, que le logement n’étant pas adapté à la situation du ménage de l’héritier, ce dernier ne pouvait prétendre au transfert du bail à son profit.

Surtout, la Cour de cassation considère que l’article L. 442-3-1 du Code de la construction et de l’habitation ne s’applique qu’aux rapports entre l’organisme d’HLM et le locataire, qualité que n’avait pas l’héritier.

Le droit du fonctionnaire territorial à travailler à temps complet en lieu et place du contractuel

Monsieur A., professeur territorial d’enseignement artistique à temps non complet avait sollicité de son employeur le bénéfice d’un emploi à temps complet dès le mois de septembre 2010, ce qui lui avait été refusé.

Pourtant, la Communauté d’agglomération qui l’employait était également l’employeur d’un autre professeur d’enseignement artistique, contractuel, à temps non complet.

Rappelant que les dispositions de l’article 3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions relatives à la fonction publique territoriale dans sa rédaction alors en vigueur (ndlr : il s’agit aujourd’hui des articles 3-1 à 3-3) qui régissent le recours aux agents contractuels par les collectivités territoriales – et en font une exception au recrutement de fonctionnaires – sont applicables aux emplois permanents de professeur d’enseignement artistique, même à temps non complet, le Conseil d’Etat a jugé que la collectivité ne pouvait dès lors légalement refuser la demande de Monsieur A.

Il a ainsi rappelé cette priorité donnée aux fonctionnaires et relevé ensuite que le recrutement d’un contractuel plutôt que d’un titulaire ne se justifiait pas, au vu des enseignements concernés, qui pouvaient parfaitement être assumés en partie par le requérant et, de ce fait, permettre son emploi à temps complet.

Enfin, sur le fondement de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative, le Conseil d’Etat a enjoint à la Communauté d’agglomération, en l’absence de changement dans les circonstances de droit et de fait depuis la demande de l’agent, de le titulariser en qualité de professeur d’enseignement artistique à temps complet, et ce à compter du mois de septembre 2010.

Précisions sur la notion de « supérieur hiérarchique direct » ayant qualité pour mener un entretien d’évaluation

Venant remplacer la notation, l’entretien professionnel permet d’évaluer annuellement la valeur professionnelle de l’agent. Pour les fonctionnaires territoriaux, l’article 2 du décret n° 2014-1526 relatif à l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires territoriaux, indique que cet entretien est mené par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire, sans autre précision. Telle est aussi la formulation de l’article 2 du décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l’Etat.

S’agissant de la notation, le Conseil d’Etat a pu juger par le passé que la conduite de l’entretien par une autre personne que le supérieur hiérarchique direct entache d’irrégularité la procédure (CE, 6 décembre 2006, n° 287453).

Par un arrêt M. B. c/ Ministre de l’intérieur en date du 3 décembre 2018 (req. 16LY00043), la Cour administrative d’appel de Lyon a elle précisé quelles étaient les prérogatives exercées par le supérieur hiérarchique direct, qui permettaient de le caractériser comme tel.

En l’espèce, M. B., fonctionnaire de la Police nationale au grade de gardien de la paix affecté à la direction départementale de la sécurité publique du Rhône, a été chargé, au sein d’une unité de garde en brigade de nuit, dépendant de la compagnie de garde et de surveillance (CGS) du service d’ordre public et de sécurité routière (SOPSR), de la garde d’un bâtiment de la préfecture du Rhône puis, après le déménagement des services installés jusqu’alors dans ce bâtiment, à compter du 14 septembre 2011, a exercé ses fonctions au sein d’une unité de surveillance de l’hôtel de police (USHP), de nuit.

C’est dans le cadre de l’exercice desdites fonctions que M. B. a contesté son entretien pour les années 2012, 2013 et 2014 devant le Tribunal administratif de Lyon, au motif qu’ils n’avaient pas été conduits par les personnes ad hoc, au vu du décret de 2010 précité.

Saisie du rejet des requêtes par le Tribunal, la Cour administrative d’appel de Lyon, en confirmant les évaluations, a jugé que le supérieur hiérarchique direct s’entend comme la personne disposant « de l’ensemble des prérogatives lui permettant à la fois d’organiser le travail […] d’adresser des instructions, de contrôler [l’] activité et de modifier, retirer ou valider ses actes ».

L’administration peut refuser un congé de maladie à un agent faisant l’objet d’une exclusion temporaire de fonctions

Madame G, fonctionnaire d’un Office public de l’habitat, a fait l’objet d’une première sanction en date du 22 octobre 2015 par laquelle elle était exclue temporairement de ses fonctions pour une durée de 18 mois, dont 12 mois avec sursis. Pour mémoire, cette sanction a pour effet de suspendre tout versement de rémunération, sans permettre la perception d’une allocation chômage.

Le 16 mai 2017, Madame G devait se voir infliger une seconde exclusion temporaire de fonctions (ETF) d’une durée d’un mois à compter du 20 mai suivant qui, de fait, révoquait le sursis de la précédente : elle était dès lors exclue de ses fonctions 13 mois, du 20 mai 2017 au 19 juin 2018.

Le 20 juin 2017, elle faisait parvenir à l’Office un arrêt maladie au terme duquel elle était arrêtée jusqu’au 31 juillet suivant.

La Directrice générale de l’OPH, autorité territoriale, a refusé l’arrêt maladie qui couvrait en réalité une partie de la période durant laquelle elle était exclue de ses fonctions.

Le Tribunal, pour rejeter la requête de la fonctionnaire, a considéré que cette dernière ne remplissait pas les « conditions légales » pour être placée en congé de maladie puisque la cause de l’impossibilité d’exercer ses fonctions reposait non sur cet arrêt maladie, mais sur la sanction disciplinaire qui lui était préalable.

Les conditions légales en question résultent en l’espèce de l’article 57 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984, aux termes duquel :

« Le fonctionnaire en activité a droit : (…) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l’intéressé dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions. »

L’arrêt maladie est par définition la conséquence de l’inaptitude à exercer ses fonctions, or l’agent frappé d’une ETF n’exerce aucune fonction, justement.

En d’autres termes : n’exerçant aucune fonction, il ne peut être inapte à en exercer.

Ce faisant, le Tribunal a raisonné par analogie avec la situation du fonctionnaire en congé annuel qui tombe malade :

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le fonctionnaire ne dispose d’un droit à congé de maladie que lorsque la maladie l’empêche d’exercer ses fonctions ; que si la maladie survient alors que l’intéressé exerce ses droits à congé annuel, et n’exerce donc pas ses fonctions, il appartient à l’autorité hiérarchique saisie d’une demande de congé maladie d’apprécier si l’intérêt du service, en raison des conséquences du report du congé annuel en cours, ne s’oppose pas à son octroi » (Conseil d’Etat, 29 décembre 2004, req. 262006).

Cette décision, pour logique qu’elle soit, rend d’autant plus critiquable la décision du Conseil d’Etat relative à la suspension conservatoire des fonctions fondée sur l’article 30 de la loi n° 83-634 portant droits et obligations des fonctionnaires, selon laquelle le fonctionnaire suspendu étant toujours en position d’activité, il peut être placé en congé de maladie :

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le fonctionnaire qui fait l’objet d’une mesure de suspension est maintenu en position d’activité, et dispose dans cette position du droit à congé de maladie en cas de maladie dûment constatée le mettant dans l’impossibilité d’exercer les fonctions qu’il exercerait s’il n’était pas suspendu ; qu’ainsi le droit au congé de maladie ne peut être légalement refusé à un fonctionnaire au seul motif qu’à la date de sa demande il fait l’objet d’une mesure de suspension » (Conseil d’Etat, 22 février 2006, req. 279756).

En effet, le fonctionnaire exclu de ses fonctions est également toujours en position d’activité, et, pas plus que le fonctionnaire suspendu, il n’exerce ses fonctions…

Le titulaire exploitant d’une autorisation temporaire est indemnisé par le juge de l’expropriation

Dans cette affaire, une société occupant une copropriété a bénéficié d’une autorisation temporaire, à titre précaire et gratuit, octroyée par le syndicat des copropriétaires pour la réalisation et la jouissance d’une véranda aux droits du bar-tabac-restaurant qu’elle exploite. 

La question s’est donc posée de savoir si la perte de la possibilité d’exploiter cette véranda, ayant pour origine une autorisation temporaire consentie à titre précaire et gratuit, était en lien avec l’expropriation et pouvait donc être indemnisée.

Cette problématique a été l’occasion pour la 3ème chambre civile de la Cour de cassation de rappeler les grands principes qui commandent l’indemnisation en matière d’expropriation. En effet, en application des dispositions de l’article L. 321-1 du Code de l’expropriation : « Les indemnités allouées couvrent l’intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l’expropriation ».

Ainsi, la Cour de cassation a jugé, que nonobstant la circonstance que l’autorisation temporaire ait été octroyée à titre précaire et gratuit, dès lors que cette autorisation était toujours en vigueur au moment de la procédure d’expropriation, le préjudice de la société bénéficiant de cette autorisation est en lien avec l’expropriation et ouvre donc droit à indemnisation.

Précisions quant à la compétence du juge administratif en cas de litige entre participants à l’exécution de travaux publics membres d’un même groupement

Le Tribunal des conflits a, en décembre dernier, eu à déterminer une nouvelle fois l’ordre juridictionnel compétent pour connaître des actions en garantie engagées les uns envers les autres par des constructeurs membres d’un même groupement en vue d’exécuter un marché de travaux publics.

Pour rappel, le Tribunal des conflits avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur cette question dans sa décision Société Ace European Group (TC, 9 février 2015, n°3983), où il avait alors adopté une position innovante par rapport à la jurisprudence De Castro, jusque-là bien établie (TC, 24 novembre 1997, n°03060).

Aussi, la position du Tribunal des conflits en la matière est a priori simple : tout litige né de l’exécution d’un marché de travaux publics et opposant des participants à l’exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé. Le principe d’attractivité des travaux publics emporte donc dans ce domaine le contentieux relatif à l’exécution des contrats, sauf à les qualifier juridiquement comme étant de droit privé.

L’apport de la Société Ace European Group se cristallise d’ailleurs sur ce point. En effet, le Tribunal des conflits a considéré en 2015 que le juge administratif demeurait compétent dès lors que le litige l’amenait à connaître des actions en garantie engagées par les constructeurs les uns envers les autres :

  • lorsque le marché indique la répartition des prestations entre les membres du groupement
  • ou, si tel n’est pas le cas, lorsque le contrat de droit privé liant les membres du groupement ne soulève pas de difficultés sérieuses quant à sa validité ou son interprétation.

Aux termes de cette décision, le juge administratif se trouve donc compétent pour connaître dans cette circonstance de contrats de droit privé.

La décision SARL Egis Bâtiments Centre Ouest ici commentée est, partant, la première application de cette « exception ». Elle en clarifie d’ailleurs nettement le domaine d’intervention.

En effet, le Tribunal des conflits commence par reprendre successivement – ce qu’il n’avait pas fait dans la décision de 2015 – les considérants de principe des décisions De Castro et Société Ace European Group, ci-dessus rappelés. Il applique ensuite communément sa solution à l’espèce, en constatant que si le litige oppose effectivement deux sociétés membres du même groupement de maîtrise d’œuvre liées entre elles par un contrat de droit privé, ce litige n’est pas né de l’exécution d’un marché public de travaux ayant, qui plus est, opposé à l’origine le maître de l’ouvrage à un ou plusieurs des constructeurs.

En d’autres termes, le Tribunal des conflits conclut qu’il n’est tout simplement pas question dans cette affaire d’un appel à garantie. Le litige est apparu en effet seulement entre les membres du groupement, puisque l’un d’entre eux a estimé, au regard du décompte du marché, que le mandataire avait commis une faute en signant le décompte malgré des impayés. Il en résulte que la naissance du litige ne correspond donc pas au cadre dorénavant strict de la jurisprudence Société Ace European Group, et reste ainsi dans le giron de la jurisprudence De Castro ou – plus traditionnellement – de celle désignant le juge judiciaire pour connaître de contrats passés entre deux personnes privées (TC, 3 mars 1969, Société Interlait, n° 01926 – TC, 8 juillet 2013, Société d’exploitation des énergies photovoltaïques c/ Électricité Réseau Distribution France, n°C3906).

Précisions sur la passation de marchés publics sans publicité ni mise en concurrence pour des raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité

Ainsi que l’illustre cet arrêt, le Juge interprète de façon restrictive les dispositions permettant aux acheteurs de passer des marchés publics sans publicité ni mise en concurrence préalables au motif qu’ils ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité.

A l’origine, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a attribué un marché à bons de commandes à la société GETTINGE FRANCE, ayant pour objet le renouvellement des prestations de maintenance et de fourniture de pièces détachées des laveurs désinfecteurs d’instruments de chirurgie ou de verrerie de laboratoire, de marques Getinge, Maquet et Lancer, comportant également de la télémaintenance, sur le fondement de la procédure négociée, sans publicité préalable ni mise en concurrence, instituée par l’article 35-II-8° du Code des marchés publics en vigueur à l’époque. La Société STEAM FRANCE, estimant qu’elle aurait pu candidater pour l’attribution de ce marché s’il avait été précédé d’une mise en concurrence, a demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler le marché. Par un jugement en date du 9 mars 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Saisi par la Société d’une requête en appel, la Cour administrative d’appel de Paris statue par un arrêt en date du 11 décembre 2018.

Tout d’abord, la Cour précise que, pour recevoir légalement application, les dispositions de l’article 35-II-8° du Code des marchés publics permettant au pouvoir adjudicateur de passer des marchés publics négociés sans publicité et sans mise en concurrence préalables exigent non seulement des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité, mais, en outre, « que celles-ci rendent indispensable l’attribution du marché à un prestataire déterminé ». A charge pour l’acheteur de prouver l’existence de « circonstances exceptionnelles » justifiant une dérogation aux règles visant à garantir l’effectivité du principe de libre concurrence, conformément à la jurisprudence de l’Union Européenne (CJUE, 14 septembre 2004, Commission contre République italienne, aff. C-385/02).

Ensuite, la Cour applique ces principes au cas d’espèce et conclut que « l’AP-HP ne peut être regardée comme établissant qu’à la date à laquelle elle a attribué le marché en litige à la société Getinge, cette dernière aurait disposé de droits d’exclusivité qui rendaient indispensable l’attribution du marché à cette société sans mise en concurrence ». En effet, des prestations similaires avaient fait l’objet, antérieurement comme postérieurement à l’attribution du marché litigieux, d’une mise en concurrence de la part de plusieurs établissements hospitaliers – dont l’AP-HP elle-même – et cette mise en concurrence avait pu aboutir à l’attribution du marché à la Société STEAM FRANCE, sans que les droits exclusifs dont se prévaut la société GETINGE aient alors été invoqués. Par ailleurs, le « certificat d’exclusivité » versé au dossier par l’AP-HP se bornait à énumérer de manière succincte et générique une liste de matériels et prestations pour lesquels la société GETINGE disposerait d’une exclusivité, sans référence à la télémaintenance. Ce certificat ne permettait pas de déterminer la période au cours de laquelle cette exclusivité se serait appliquée, ni s’il avait été communiqué à l’AP-HP au moment de la détermination du mode de passation du marché litigieux. Par suite, la Cour annule le jugement et le marché attaqués.

Quelques actualités en matière de mobilité

Il s’agit actuellement d’un sujet central, parce que le Gouvernement en a fait un sujet primordial du quinquennat mais également parce qu’il s’agit de l’une des revendications originelles du mouvement des « gilets jaunes » : la mobilité est sans conteste au cœur des débats actuels.

Dans la lettre adressée par le Président de la République aux français pour lancer le « Grand débat national », la mobilité n’est pas identifiée comme une thématique à part entière, mais les déplacements apparaissent bien comme un enjeu de la transition écologique. Et il ne fait par ailleurs pas de doute que, comme préoccupation sociétale récurrente, ce sujet devrait faire l’objet de remarques et doléances des citoyens, le Président de la République ayant apporté la garantie qu’ils pourraient « évoquer n’importe quel sujet concret » susceptible d’ « améliorer [votre] [leur] existence au quotidien ».

Le thème de la mobilité durable et inclusive pour tous les territoires de la République constitue d’ailleurs une revendication centrale de l’Association des petites villes de France (APVF). A ce propos, l’APVF a formulé plusieurs propositions, telles que la création d’une prime mobilité pour les habitants des territoires ruraux qui n’ont d’autre choix que d’emprunter leur voiture individuelle pour se rendre sur leur lieu de travail ou jusqu’à une gare ou, encore, la mise en œuvre d’un dispositif de péréquation territoriale pour le financement des mobilités en zone périurbaine et rurale.

C’est pour tenir compte des conclusions de ce Grand débat que l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités (LOM) au Sénat a été repoussé, visiblement à la semaine du 11 mars prochain. L’objectif est que le texte puisse être déposé à l’Assemblée nationale au mois de juin, voire au mois de mai, afin que le texte soit définitivement adopté avant la trève estivale (la procédure accélérée a été retenue pour ce texte).

Sans attendre les conclusions du Grand débat et pour parer au plus vite aux revendications actuelles, la Ministre des Transports, Elisabeth Borne, après avoir discuté avec les sociétés autoroutières le 17 janvier dernier, a annoncé une réduction du coût des péages de 30% pour les automobilistes effectuant au moins dix allers-retours par mois sur un même trajet, à partir du 1er février prochain. Parallèlement, à cette même date, les tarifs des péages devraient augmenter en moyenne de 1,8%.

Par ailleurs, la Présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté a annoncé, le 14 janvier, la mise en place d’un « ticket mobilité » de 400 euros par an, aide qui sera notamment soumise à un plafond de salaire individuel et à des conditions géographiques particulières (habiter à 25 kilomètres au moins de son lieu de travail dans une zone non desservie par les transports publics).

A cet égard, notons que le « forfait mobilités durables » prévu par la LOM (article 26) – lequel prévoit la faculté de prise en charge, par les employeurs, des frais de covoiturage ou d’une indemnité kilométrique vélo pour la réalisation du trajet domicile-travail de leurs salariés – pourrait être rendu obligatoire.

Précisions sur le point de départ du délai de recours contentieux ouvert à l’encontre d’un acte règlementaire pris par une collectivité locale

Qu’il s’agisse des communes, des départements, des régions et des EPCI (voir respectivement les articles L. 2131-1, L. 3131-1, L. 4141-1 et L. 5211-3 du Code général des collectivités territoriales), il est prévu que leurs actes réglementaires « sont exécutoires de plein droit dès qu’il a été procédé à leur publication ou affichage ».

Ils doivent par ailleurs faire l’objet d’une publication au recueil des actes administratifs (les textes visant de manière générale les actes réglementaires pour les départements et régions et, pour les communes de 3.500 habitants et plus, le dispositif des délibérations à caractère réglementaire ainsi que les arrêtés municipaux à caractère réglementaire).

Il résulte de ces dispositions que le caractère exécutoire d’un acte réglementaire d’une collectivité locale est alternativement subordonné à sa publication ou à son affichage. Le simple affichage d’un acte réglementaire est donc de nature à permettre son entrée en vigueur, le Conseil d’Etat ayant indiqué que les dispositions relatives à l’obligation de publication au recueil des actes administratifs ne déroge pas au principe selon lequel « la formalité de publicité qui conditionne l’entrée en vigueur des actes réglementaires du maire peut être l’affichage » (CE, 25 juillet 2008, Société Francelot, n° 295799).

Par une décision du 3 décembre 2018, le Conseil d’Etat vient néanmoins indiquer que les formalités permettant l’opposabilité aux tiers des actes réglementaires, faisant courir le délai de recours contentieux de deux mois prévu par l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, ne correspondent pas à celles de leur l’entrée en vigueur.

Le Conseil d’Etat a en effet jugé que l’affichage d’un acte réglementaire (à l’Hôtel du Département, en l’occurrence) ne suffit pas à faire courir le délai de recours contentieux contre cet acte. Il précise que sont de nature à faire courir ce délai :

  • soit la publication de l’acte au recueil des actes administratifs de la collectivité, dans les conditions prévues par le Code général des collectivités territoriales;
  • soit sa publication dans son intégralité sous forme électronique sur le site internet de la collectivité, dans des conditions garantissant sa fiabilité et sa date de publication, en complément de son affichage.

Il annule ainsi en partie l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel, laquelle avait rejeté le recours de la Ligue des droits de l’homme pour tardiveté, en prenant en compte la date d’affichage à l’Hôtel de ville de l’arrêté contesté.

Au regard de la rédaction des dispositions précitées du Code général des collectivités territoriales, on peut pour le moins considérer qu’une telle solution n’allait pas de soi. D’ailleurs, quelques jours après cette décision, la Cour administrative d’appel de Lyon a, quant à elle, retenu la date d’affichage d’un arrêté municipal pour calculer le délai de recours contentieux et considérer que la requête soumise à son examen était tardive (CAA Lyon, 6 décembre 2018, Fédération départementale des randonneurs équestres de Haute-Savoie, n° 16LY04103). Mais les juridictions du fond devraient vraisemblablement appliquer prochainement cette nouvelle ligne jurisprudentielle, définie dans une décision rendue en section par la Haute juridiction administrative.

Les collectivités territoriales devront donc redoubler de prudence dans l’accomplissement de leurs formalités de publication si elles souhaitent que le délai de contestation de leurs actes réglementaires soit rapidement purgé.

La CNIL sanctionne toujours plus fort les violations de sécurité

Délibération de la formation restreinte n° SAN-2018-011 du 19 décembre 2018 prononçant une sanction pécuniaire à l’encontre de la société UBER FRANCE SAS

 

Dans deux délibérations rendues successivement, la formation restreinte de la CNIL a prononcé deux amendes administratives de respectivement 400.000 euros pour Uber France et 250 000 pour Bouygues Télécom en raison de problèmes relatifs à la sécurité des données collectées.

Ces deux décisions montrent de nouveau que la CNIL est particulièrement vigilante sur ce qui touche à la sécurité des systèmes d’information et n’hésite pas à sanctionner les faits même plusieurs années après la connaissance et la matérialisation de la violation de données personnelles.

Dans le cas de Bouygues Télécom, une vulnérabilité liée à un défaut de sécurité permettait d’accéder à des contrats et factures de deux millions de clients B&You pendant plus de deux ans. L’entreprise, après en avoir été informée, a corrigé la faille de sécurité mais la formation restreinte de la Commission a considéré que la société avait manqué à son obligation d’assurer la sécurité des données personnelles et ce d’autant plus que le défaut de sécurité avait pour origine un oubli au sein de la société de réactiver la fonction d’authentification sur l’espace client (désactivée pour une phase de test).

Dans le cas d’Uber, la société a révélé dans la presse avoir été victime en 2016 d’une violation de sécurité avec le vol de données personnelles de près de 57 millions d’utilisateurs, dont 1,4 millions de Français. Comme dans la situation de Bouygues Télécom, la formation restreinte de la CNIL a estimé que cette attaque n’aurait pu aboutir si des mesures élémentaires de sécurité avaient été mises en place comme imposer une authentification forte pour ses ingénieurs sur la plateforme de développement « Github » ou encore en stockant de manière chiffrée les informations présentes au sein du code source de la plateforme « Github ».

Ces deux décisions montrent bien que la CNIL sanctionne toujours les violations de sécurité et de manière toujours plus dissuasive. L’ensemble des acteurs traitant des données ne pourra plus arguer d’un défaut de connaissance de la loi informatique et liberté ou du RGPD pour justifier de tels manquements.

 

La CNIL prononce une sanction record pour Google LLC

Dans une décision rendue le 15 janvier et publiée le 21, la CNIL a prononcé une amende record de 50 millions d’euros contre Google LLC sur le fondement du RGPD.

Il s’agit de la première sanction sur un tel fondement.

La formation restreinte de la CNIL a relevé deux séries de manquements au RGPD.

Dans un premier temps, la formation a estimé qu’il y avait une violation continue des obligations de transparence et d’information (article 12 du RGPD) lors de la collecte des données personnelles (article 13 et 14 du RGPD) et que les droits des personnes n’était pas assez clair (article 15 à 22 du RGPD).

En effet, la formation relève que des informations essentielles (finalité, durée de conservation ou catégories de données) étaient anormalement disséminées dans de multiples espaces où il était nécessaire d’activer des boutons ou onglets pour prendre connaissance des informations complémentaires. De plus, la CNIL a remarqué que les informations fournies n’étaient pas suffisamment claires ou compréhensibles par rapport aux aspects massifs et intrusifs des différents traitements réalisés par l’entreprise et que les finalités étaient trop génériques et vagues.

Dans un second temps, la formation restreinte de la CNIL est venue sanctionner l’absence de base légale pour les traitements de personnalisation de la publicité. La société américaine indiquait se fonder sur le contentement des utilisateurs, or les agents de la Commission ont estimé que celui-ci n’était pas éclairé, spécifié et univoque. En effet, dans le prolongement de ce qui a été exposé précédemment, les informations permettant de justifier du consentement ont été réparties sur plusieurs espaces et documents en plus de présenter des cases précochées au moment de la collecte.

Enfin, cette décision est intéressante en ce que la sanction administrative a été prononcée sans mise en demeure préalable du responsable de traitement. Ce changement dans les pratiques de la CNIL semble indiquer des choix plus répressifs avec moins d’accompagnement des différents acteurs de la donnée.

Précisions sur la notion d’établissement distinct

La mise en place du comité social et économique dans les entreprises (ci-après « CSE ») à sites multiples nécessite préalablement de déterminer si les différents sites constituent des établissements distincts.

Un accord d’entreprise conclu dans les conditions de l’article L. 2232-12 du Code du travail, avec les délégués syndicaux détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts.

A défaut de délégués syndicaux dans l’entreprise, un accord sur ce sujet pourra être conclu avec le CSE (article L. 2313-3 du Code du travail).

L’article L. 2313-4 du Code du travail précise qu’en l’absence d’accord avec un délégué syndical ou avec le CSE, l’employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel.

Cette définition de la notion d’établissement distinct donnée par les textes en l’absence d’accord d’entreprise ou d’accord avec le CSE est repris par la Cour de cassation qui vient pour la première fois préciser dans l’arrêt commenté que « caractérise […] un établissement distinct l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétence dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service ».

Ainsi, dans le cadre de la mise en place des CSE, le nombre et le périmètre des établissements distincts doit être fixé compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel au regard du critère dégagé par la Cour de cassation.

Une analyse in concreto devra donc être menée au regard de ce critère.

Extension de la jurisprudence Czabaj aux contentieux des autorisations d’urbanisme

Par cette décision, le Conseil d’Etat étend de nouveau la portée de la jurisprudence Czabaj (CE, 13 Juillet 2016, n°387763) aux recours formés à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme.

En effet, après avoir étendu le principe selon lequel une décision administrative individuelle créatrice de droit ne peut plus être contestée « indéfiniment » mais uniquement dans le délai d’un an après notification de cette dernière, au contentieux indemnitaire, la Haute juridiction vient appliquer cette décision au contentieux de l’urbanisme.

Pour ce faire, le Conseil d’Etat considère qu’au nom du principe de sécurité juridique, « qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps », il doit être « fait obstacle à ce que puissent être contestés indéfiniment par les tiers un permis de construire, une décision de non-opposition à une déclaration préalable, un permis d’aménager ou un permis de démolir ».

Par cet arrêt, il est précisé que dans le cas où l’affichage de l’autorisation d’urbanisme, bien que conforme aux prescriptions de l’articles R. 424-15 du Code de l’urbanisme, n’aurait pas fait courir le délai de recours de deux mois faute d’avoir porté mention dudit délai sur le panneau, le recours doit être impérativement présenté dans un délai raisonnable qui court à compter du premier jour de la période continue de deux mois d’affichage sur le terrain. Ce délai raisonnable ne peut, désormais, au sens de la jurisprudence Czabaj excéder un an.

Annulation de trois marchés de conception-réalisation portant sur la construction de collèges

CAA Nantes, 9 novembre 2018, Conseil régional de l’ordre des architectes des Pays-de-la-Loire, req. n° 17NT01602 
CAA Nantes, 9 novembre 2018, Conseil régional de l’ordre des architectes des Pays-de-la-Loire, req. n° 17NT01606

 

Par trois arrêts en date du 9 novembre 2018, la Cour administrative d’appel de Nantes a annulé trois marchés de conception-réalisation, portant chacun sur la construction d’un collège, conclus par le département de Loire Atlantique sous l’empire du Code des marchés publics.

La Cour a tout d’abord souligné que « la passation d’un marché de conception-réalisation, qui modifie les conditions d’exercice de la mission de maître d’œuvre, en principe distincte de celle d’entrepreneur, ne peut avoir lieu que dans des circonstances particulières d’interprétation stricte » ; circonstances listées à l’article 37 du Code des marchés publics, et aujourd’hui à l’article 34 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, et qui tiennent à des motifs d’ordre technique ou à un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique qui rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage.

Et, dans les affaires dont elle était saisie, la Cour a considéré que ces circonstances particulières n’étaient pas satisfaites, et que le département ne pouvait pas légalement solliciter des marchés de conception-réalisation.

Plus précisément, la Cour a considéré que le choix du département d’un procédé de construction reposant sur la préfabrication des éléments à agencer pour permettre le caractère  » modulaire  » du projet, destiné notamment à favoriser le transfert éventuel de tout ou partie des bâtiments du collège vers d’autres sites, ou l’ajout de modules provenant d’autres collèges réalisés sur le même principe, n’exigeait pas « au regard tant des dimensions des modules ou des matériaux utilisés que des exigences acoustiques et thermiques posées par le maître d’ouvrage et des contraintes susceptibles d’en résulter, un mode de construction spécifique présentant des difficultés techniques particulières telles qu’elles auraient nécessité d’associer l’entrepreneur aux études de l’ouvrage ».

Sur ce point, les décisions ne surprennent guère, tant la jurisprudence rendue en la matière témoigne de ce que le recours aux marchés de conception-réalisation est strictement encadré pour les pouvoirs adjudicateurs soumis aux dispositions de la loi MOP.

La Cour a par ailleurs jugé que l’objectif de performance énergétique supérieure de 10 % à la norme thermique RT 2012 invoqué par le département n’était pas, « au regard de la nature de la construction envisagée comme du procédé constructif retenu et des matériaux dont l’emploi était prévu », « une contrainte ou une complexité telle qu’elle exigeait d’associer nécessairement les opérateurs de maîtrise d’œuvre et les entreprises de construction dès le stade de l’établissement des études ».

Les décisions sont sans doute plus surprenantes de ce point de vue, puisqu’elles laissent à penser que la dérogation à la loi MOP qui tient à un « engagement contractuel portant sur l’amélioration de l’efficacité énergétique » pourrait dans l’absolu être satisfaite pour des constructions neuves, alors que ce cas de recours au marché de conception-réalisation ne concerne en principe que les opérations de travaux sur bâtiments existants (Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics du 26 septembre 2014 ; voir également en ce sens Fiche de la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’économie Allotissement et contrats globaux, 27 octobre 2017 ; Réponse ministérielle n° 18837, 2 avril 2013, p. 3582 ; Rapport annuel 2011 de la Commission Consultative des Marchés Publics, p. 17).

Le sujet appartiendra toutefois prochainement au passé, puisque la loi ELAN a introduit dans la loi MOP un nouveau motif permettant à un maître d’ouvrage de déroger à la règle suivant laquelle la mission de maître d’œuvre est distincte de celle d’entrepreneur : lorsque « la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage » (article 69 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique). Le texte de l’ordonnance relative aux marchés publics n’a pas été adapté en conséquence, mais l’article L. 2171-2 du Code de la commande publique, qui entrera en vigueur le 1er avril prochain prend bien en compte cette évolution : « les acheteurs soumis aux dispositions du livre IV ne peuvent conclure un marché de conception-réalisation, quel qu’en soit le montant, que si des motifs d’ordre technique ou un engagement contractuel portant sur l’amélioration de l’efficacité énergétique ou la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage ». Il demeure toutefois que, même dans cette hypothèse, il appartiendra toujours au pouvoir adjudicateur d’être en mesure de prouver que l’association de l’entrepreneur aux études est nécessaire. Et si, à ce jour, le niveau d’exigence que pourrait avoir un juge à cet égard n’est pas connu, il nous semble toutefois que, par analogie avec la jurisprudence rendue en matière de « motifs d’ordre technique », cette exigence sera entendue strictement.

Contestation de la validité du « barème MACRON »

Conseil de prud’hommes Troyes, 13 décembre 2018, RG 18/00989 
Conseil de prud’hommes Amiens, 19 décembre 2018, RG 18/00040,
Conseil de prud’hommes Lyon, 21 décembre 2018, RG 18/01238, 7 janvier 2019, n° 15/01398
Conseil de prud’hommes Grenoble, 18 janvier 2019, RG 18/00989 

 

Le « barème Macron » a-t-il encore de beaux jours devant lui ?

Ce questionnement peut se poser au regard de l’offensive menée par plusieurs Conseil de prud’hommes.

En effet, ces derniers mois, un mouvement de contestation est né reprochant au barème Macron d’être un obstacle à la réparation intégrale du préjudice du salarié.

C’est dans ce contexte que plusieurs Conseils de prud’hommes ont prononcé la non-conformité du « barème Macron » en s’appuyant sur les dispositions de :

  • l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail qui dispose que « si les organismes […] arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée».
  • l’article 24 de la Charte sociale européenne qui énonce pour sa part « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître […] le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée».

Le dernier jugement rendu en la matière par le CPH de Grenoble le 19 janvier 2019 fait, en outre, référence à une décision rendu par le Comité européen des droits sociaux (CEDS, 8 septembre 2016, n°106/2014, « Finish Society Social Rights c/Finlande) qui a censuré le barème d’indemnisation mis en place par la Finlande dans le cadre duquel le montant de l’indemnisation pouvant être octroyée en cas de licenciement abusif était plafonnée.

En résumé, la vigilance des employeurs doit être de mise car les Conseillers ne vont pas hésiter à écarter le barème Macron en rappelant qu’il n’est pas conforme aux textes et à la jurisprudence européens.

Un recours a été formé devant le Comité européen des droits sociaux pour se prononcer sur la validité du barème prud’homal applicable en France. Ce recours est actuellement en cours d’examen.

Affaire à suivre…

L’examen approfondi des motifs d’un arrêté de couvre-feu des mineurs opéré par le juge administratif

Annulation par le Conseil d’Etat de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille qui avait jugé légal l’arrêté municipal interdisant la circulation des mineurs de moins de 13 ans la nuit à Béziers. 

***

Le maire de Béziers avait, par arrêté du 25 avril 2014, instauré un couvre-feu pour les mineurs de 13 ans non accompagnés, entre 23h et 6h, les vendredi, samedi, dimanche et pendant les fêtes, entre 15 juin et le 15 septembre 2014, sur le territoire du centre-ville et des zones spéciales de sécurité. Il avait, par un arrêté du 7 juillet 2014, renforcé les sanctions à l’endroit des parents dont les enfants ne respectent pas les dispositions de l’arrêté du 25 avril.

Le Tribunal administratif de Montpellier avait prononcé un non-lieu sur les conclusions dirigées contre l’arrêté du 25 avril et rejeté celles tendant à l’annulation de celui du 7 juillet. La Cour administrative de Marseille, saisie en appel, avait rejeté les conclusions du requérant, tendant à l’annulation de l’arrêté du 7 juillet.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat, dans un arrêt en date du 6 juin 2018, a fait application de sa jurisprudence classique, en vertu de laquelle ce type d’arrêtés sont légaux, pris sur le fondement des pouvoirs de police administrative générale du maire et malgré l’existence de pouvoirs concurrents.

Les arrêtés doivent cependant remplir les conditions suivantes : ils visent à contribuer à la protection des mineurs et à prévenir les troubles à l’ordre public qu’ils seraient susceptibles de provoquer ; l’arrêté est justifié par des circonstances locales particulières ; la mesure est adaptée à l’objectif (protection des mineurs et prévention des troubles à l’ordre public) et proportionnée.

Cependant, la ville de Béziers avait précisé, dans l’exposé des motifs de l’arrêté contesté, que l’interdiction poursuivait à la fois l’objectif de protection des mineurs de moins de 13 ans contre les violences dont ils pourraient être victimes et l’objectif de préservation de l’ordre public en raison des délits que ces mêmes mineurs pourraient commettre.

Or, le Conseil d’Etat a relevé qu’aucune des pièces remises par la ville ne venaient étayer le fait que les actes de délinquances commis par ces mêmes mineurs auraient augmenté, sur les zones concernées, dans les 18 mois précédant la mise en œuvre de la mesure contestée. 

Par conséquent, le Conseil d’Etat a considéré que « dans ces conditions, en jugeant, sans que des éléments précis et circonstanciés de nature à étayer l’existence de risques particuliers relatifs aux mineurs de moins de 13 ans dans le centre ville de Béziers et dans le quartier de la Devèze ne soient soumis à son appréciation, que la mesure d’interdiction de circulation des mineurs de 13 ans contestée était justifiée par l’existence de risques particuliers et adaptée aux objectifs visés, la cour administrative d’appel de Marseille a entaché son arrêt d’inexacte qualification juridique des faits ».

Ainsi, si le Conseil d’Etat a laissé la possibilité aux maires d’adopter de tels couvre-feux, il s’est décidé à opérer à une appréciation plus rigoureuse que par le passé des justifications fournies.

Ecarts de rémunération entre les femmes et les hommes : parution du décret d’application de la loi « avenir »

Pour les entreprises d’au moins 50 salariés, le dispositif légal en matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes a été renforcé par la loi dite « Avenir » du 5 septembre 2018. Aux obligations déjà existantes s’ajoute l’obligation de publier chaque année des indicateurs relatifs aux écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et aux actions de mise en œuvre pour les supprimer au sein d’un index d’égalité salariale et de publier les résultats obtenus.

Le décret permettant l’application de ces dispositions a été publié le 8 janvier dernier. La méthodologie de calcul des indicateurs, les modalités et délais de publication, les conditions de fixation de la pénalité financière d’une entreprise défaillante et le seuil de mise en œuvre des mesures correctives sont publiés.

Concernant les indicateurs, ils sont au nombre de quatre ou de cinq selon la taille de l’entreprise et le premier est, à titre d’exemple, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, calculé à partir de la moyenne de la rémunération des femmes comparée à celle des hommes, par tranche d’âge et par catégorie de postes équivalents. A ces indicateurs sont attachés des résultats exprimés en pourcentages traduits selon un système de points. Pour le premier indicateur par exemple, un maximum de 40 points pourra être obtenu si l’écart de rémunération est égal à 0%.

Quel que soit la taille de l’entreprise, un minimum de 75 points devra être atteint pour ne pas être considérée comme défaillante. Selon le décret, un délai de 3 ans courant à compter de la publication des résultats est laissé aux entreprises pour se mettre en conformité et mettre en place des mesures correctives. A défaut et à l’issu des 3 ans, l’employeur pourra se voir appliquer une pénalité financière pouvant aller jusqu’à 1% de la masse salariale.

Concernant les modalités de publication, les résultats obtenus doivent être publiés annuellement, au plus tard le 1er mars de l’année en cours, au titre de l’année précédente. Un calendrier transitoire est prévu pour l’année 2019 : 1er mars 2019 pour les entreprises de 1.000 salariés et plus ; 1er septembre 2019 pour celles de 251 à 999 salariés ; 1er mars 2020 pour celles de 50 à 250 salariés.

Obligation de rémunérer les heures supplémentaires exigées par la charge de travail malgré l’opposition de l’employeur

En principe, seules les heures supplémentaires demandées par l’employeur, ou effectuées avec son accord même s’il est implicite, donnent lieu à majoration (Voir par exemple : Cass. soc., 23 janv. 2008, n° 06-43.919).

Ainsi, pour refuser de payer les heures supplémentaires, l’employeur doit prouver que le salarié a effectué des heures supplémentaires contre son avis (Cass. soc., 31 mars 1998, n° 96-41.878).

Cependant, la Cour de cassation avait nuancé ce principe en retenant que devaient être majorées les heures supplémentaires « imposées par la nature ou la quantité du travail demandé au salarié », ce dont il résultait un accord implicite de l’employeur à l’accomplissement de ces heures de travail (Cass. soc., 19 avr. 2000, n°98-41.071).

Dans deux affaires portant sur des prises d’actes de rupture de contrats de travail en raison notamment du non-paiement d’heures supplémentaires, cette solution a été réaffirmée par deux arrêts du 14 novembre 2018 publiés au bulletin de la Cour de cassation (n° 17-16.959 ; n° 17-20.659).

Dans la première espèce, le salarié avait signé un avenant à son contrat de travail aux termes duquel il s’engageait à demander l’aval préalable de l’employeur avant d’effectuer des heures supplémentaires.

Soutenant que l’intéressé n’avait pas respecté son obligation contractuelle en s’abstenant de solliciter une telle autorisation en amont, puis qu’il avait expressément refusé leur réalisation en mettant le salarié en demeure puis en le sanctionnant par un avertissement, l’employeur a refusé le paiement des heures supplémentaires litigieuses.

Toutefois, la Cour d’appel d’Orléans qui avait eu à connaître de ce litige, avait constaté que la charge de travail, qui avait donné lieu à la réalisation et au paiement d’heures supplémentaires pendant la période précédant la signature de l’avenant, s’était maintenue puis accrue après celle-ci.

Dans ces conditions, la Cour de cassation a retenu que « le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord au moins implicite de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées ».

Dans la seconde espèce, les juges du fond avaient refusé de condamner l’employeur au paiement des heures supplémentaires en relevant que celui-ci avait « indiqué dans plusieurs lettres ou courriers électroniques adressés au salarié qu’il devait respecter la durée de travail de 35 heures par semaine et que les heures supplémentaires devaient faire l’objet d’un accord préalable avec le supérieur hiérarchique […] ».

Dans la lignée de sa jurisprudence, la Cour de cassation a censuré cette solution en jugeant « qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si, ainsi qu’il le lui était demandé, les heures de travail accomplies avaient été rendues nécessaires à la réalisation des tâches confiées au salarié, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

Ainsi, il résulte de la jurisprudence que l’employeur, même en cas d’opposition à leur réalisation, est tenu de payer les heures supplémentaires rendues nécessaires par les tâches confiées au salarié.

L’employeur qui ne souhaite pas que le salarié effectue des heures supplémentaires doit donc non seulement lui faire part de son refus exprès sur ce point, mais également être en mesure de démontrer en cas de contentieux, qu’il a effectivement contrôlé la charge de travail de l’intéressé et a procédé régulièrement à des adaptations ne rendant pas nécessaire l’accomplissement d’heures supplémentaires.