le 24/01/2019

Précisions sur la passation de marchés publics sans publicité ni mise en concurrence pour des raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité

CAA Paris, 11 décembre 2018, Société Steam France, req. n° 17PA01588

Ainsi que l’illustre cet arrêt, le Juge interprète de façon restrictive les dispositions permettant aux acheteurs de passer des marchés publics sans publicité ni mise en concurrence préalables au motif qu’ils ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons tenant à la protection de droits d’exclusivité.

A l’origine, l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a attribué un marché à bons de commandes à la société GETTINGE FRANCE, ayant pour objet le renouvellement des prestations de maintenance et de fourniture de pièces détachées des laveurs désinfecteurs d’instruments de chirurgie ou de verrerie de laboratoire, de marques Getinge, Maquet et Lancer, comportant également de la télémaintenance, sur le fondement de la procédure négociée, sans publicité préalable ni mise en concurrence, instituée par l’article 35-II-8° du Code des marchés publics en vigueur à l’époque. La Société STEAM FRANCE, estimant qu’elle aurait pu candidater pour l’attribution de ce marché s’il avait été précédé d’une mise en concurrence, a demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler le marché. Par un jugement en date du 9 mars 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Saisi par la Société d’une requête en appel, la Cour administrative d’appel de Paris statue par un arrêt en date du 11 décembre 2018.

Tout d’abord, la Cour précise que, pour recevoir légalement application, les dispositions de l’article 35-II-8° du Code des marchés publics permettant au pouvoir adjudicateur de passer des marchés publics négociés sans publicité et sans mise en concurrence préalables exigent non seulement des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité, mais, en outre, « que celles-ci rendent indispensable l’attribution du marché à un prestataire déterminé ». A charge pour l’acheteur de prouver l’existence de « circonstances exceptionnelles » justifiant une dérogation aux règles visant à garantir l’effectivité du principe de libre concurrence, conformément à la jurisprudence de l’Union Européenne (CJUE, 14 septembre 2004, Commission contre République italienne, aff. C-385/02).

Ensuite, la Cour applique ces principes au cas d’espèce et conclut que « l’AP-HP ne peut être regardée comme établissant qu’à la date à laquelle elle a attribué le marché en litige à la société Getinge, cette dernière aurait disposé de droits d’exclusivité qui rendaient indispensable l’attribution du marché à cette société sans mise en concurrence ». En effet, des prestations similaires avaient fait l’objet, antérieurement comme postérieurement à l’attribution du marché litigieux, d’une mise en concurrence de la part de plusieurs établissements hospitaliers – dont l’AP-HP elle-même – et cette mise en concurrence avait pu aboutir à l’attribution du marché à la Société STEAM FRANCE, sans que les droits exclusifs dont se prévaut la société GETINGE aient alors été invoqués. Par ailleurs, le « certificat d’exclusivité » versé au dossier par l’AP-HP se bornait à énumérer de manière succincte et générique une liste de matériels et prestations pour lesquels la société GETINGE disposerait d’une exclusivité, sans référence à la télémaintenance. Ce certificat ne permettait pas de déterminer la période au cours de laquelle cette exclusivité se serait appliquée, ni s’il avait été communiqué à l’AP-HP au moment de la détermination du mode de passation du marché litigieux. Par suite, la Cour annule le jugement et le marché attaqués.