Une même personne ne peut à la fois être élue et représentant syndical dans un même CSE

Au terme de l’arrêt sus visé, la Cour de cassation vient pour la première fois affirmer qu’un salarié élu au sein d’un Comité social économique (CSE) et ayant dès lors une fonction délibérative (peu important qu’il soit titulaire ou suppléant), ne peut dans le même temps être représentant syndical dans cette même instance.

Le salarié doit choisir entre son mandat de représentant élu et celui de représentant syndical.

La double casquette est ainsi impossible !

Calcul du délai de dénonciation de l’assignation à la préfecture

Un bailleur, après avoir signifié un commandement de payer visant la clause résolutoire demeuré infructueux, assigne son locataire en acquisition de la clause résolutoire, paiement de la dette locative et expulsion.

Une date d’audience est réservée devant le Tribunal d’Instance du Raincy pour le 19 juin et, le 19 avril, soit 2 mois avant l’audience, le bailleur dénonce l’assignation délivrée au locataire à la préfecture, conformément à l’article 24 III de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.

Le Tribunal déclare la demande du bailleur irrecevable au motif que « une copie de l’assignation a été dénoncée au sous préfet du Raincy le 19 avril 2017en vue d’une audience prévue le 19 juin 2017 à 9 heures, soit moins de 2 mois avant l’audience selon la règle de computation des délais ».

Le bailleur, considérant que le premier juge a fait une application erronée des règles de computation des délais en tenant compte des heures alors que le délai était exprimé en mois, a relevé appel du jugement.

La Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 11 février 2020, a infirmé le jugement en ces termes :

« L’article 641 [du code de procédure civile] dispose notamment que « Lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai. A défaut d’un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois. »

Que l’article 642 [du même code] ajoute que : « Tout délai expire le dernier jour à vingt-quatre heures. Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant. »

Qu’il se déduit de ces deux textes que, lorsque le délai est exprimé en mois, ce délai expire le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai, étant précisé que le dernier jour compte entièrement dans le délai – à savoir jusqu’à minuit, plus précisément 23h59’59’’ – et qu’à défaut d’un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois, tout délai expirant le dernier jour à 24 heures ;

Considérant, en l’espèce, que l’assignation signifiée le 18 avril 2017 a été dénoncée au préfet le 19 avril 2017 en vue d’une audience du 19 juin 2017 ;

Qu’ainsi, le délai de dénonciation de l’assignation au préfet, au moins deux mois avant l’audience du 19 juin 2017, expirait le 19 avril 2017 à 24 heures, date qui porte le même quantième que l’événement qui fait courir le délai, en l’espèce la date d’audience ;

Que ladite dénonciation étant intervenue deux mois avant l’audience, la demande [du bailleur], qui a respecté le délai prescrit par l’article 24 III de la loi du 6 juillet 1989, doit donc être déclarée recevable ;

Que le jugement sera infirmé de ce chef ».

Par cet arrêt, la Cour d’appel rappelle les règles de computation des délais, notamment le calcul des délais lorsque ceux-ci sont exprimés en mois.

Engagement et Proximité : vers une consécration de la vie politique locale et du droit des élus locaux ?

Rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, n° 2499 rectifié

 

La loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (loi « Engagement et proximité ») du 27 décembre 2019 a pour but principal de lutter contre la fracture territoriale, valoriser la démocratie locale et la place des élus.

Après un accord en commission mixte paritaire (CMP), le 11 décembre, le Sénat puis l’Assemblée Nationale, les 11 et 19 décembre, ont définitivement adopté le projet de loi selon la procédure accélérée choisie par le gouvernement.

C’est dans un contexte particulier que ce texte trouve à s’appliquer pour la première fois, puisque les élections municipales des 15 et 22 mars prochain permettront d’en mesurer les premiers résultats, l’un des objectifs proclamés étant d’inciter les candidats dans les territoires ruraux.

Cette loi porte sur de nombreuses mesures telles que le développement des pouvoirs d’astreinte et d’amende du Maire ou encore la meilleure prise en charge des élus, dont l’efficacité devra être appréciée à moyen terme.

Au niveau des intercommunalités, la loi Engagement et Proximité opère également des modifications, dont les mesures phares tendent à renforcer le rôle des communes et des maires au sein des EPCI, à moderniser le fonctionnement institutionnel ainsi qu’à remanier les compétences exercées.

 

La revalorisation du poste d’élu

Un des volets essentiels du texte est l’amélioration des conditions d’exercice du mandat des élus, notamment pour ceux des petites communes ou ceux confrontés à des situations de handicap.

Un ensemble de mesures ont ainsi été prises mais la plus emblématique porte sur une revalorisation des indemnités et de la prise en charge des Maires et des adjoints.

En premier lieu, de manière différenciée, les indemnités des maires et des adjoints sont revalorisées dans les communes de moins de 3 500 habitants. Dans les communes de moins de 500 habitants la hausse sera de 50%, dans les communes qui ont entre 500 et 999 habitants, elle sera de 30% et dans les communes entre 1000 et 3499 habitants, elle sera de 20%. Cette évolution entre en vigueur dès le prochain mandat, soit 2020-2026. Cependant, le maire dispose dans les communes de moins de 3 500 habitants du droit d’avoir l’indemnité au taux maximal ou de faire voter par le conseil municipal une indemnité inférieure aux barèmes.

S’agissant des élus communautaires, les EPCI à fiscalité propre doivent désormais chaque année établir un état présentant l’ensemble des indemnités de toutes natures dont bénéficient les élus siégeant dans leur conseil, communiqué chaque année aux conseillers communautaires avant l’examen du budget de l’EPCI. Il est également prévu, dans les EPCI de 50 000 habitants et plus, la possibilité de moduler le montant des indemnités de fonction que l’organe délibérant alloue à ses membres en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres. Est également supprimée la condition de ne pas bénéficier d’indemnités pour obtenir le remboursement des frais spécifiques de déplacement.

En deuxième lieu, pour faciliter la vie de ces élus, la loi vise à prendre en charge les frais de garde d’enfant et d’accompagnement des personnes à charge. Ces dispositions nouvelles permettent à l’élu de se libérer plus facilement pour faire vivre la vie politique locale. L’Etat compensera cette dépense dans les communes de moins de 3 500 habitants.

Les élus intercommunaux en situation de handicap pourront bénéficier d’un régime semblable à celui des élus communaux concernant le remboursement de frais spécifique de déplacement, d’accompagnement et d’aide technique.

Un autre volet de la loi porte davantage sur la protection même du statut de l’élu.

Dorénavant, les communes sont obligées de souscrire des contrats d’assurance tenant à la protection juridique des maires, adjoints, élus ayant reçu une délégation. Dans les communes de moins de 3 500 habitants l’Etat compensera ces dépenses obligatoires en fonction d’un barème.

Enfin, la loi vise à valoriser un élu qui exercerait une activité professionnelle en parallèle de son activité d’élu local. En effet, en début de mandat, le salarié élu s’entretient avec son employeur pour fixer les conditions dans lesquelles il sera amené à concilier ses deux activités. La loi élargit à tous les adjoints la possibilité de cesser toute activité professionnelle pour exercer leur mandat local et il est consacré dans le Code du travail un principe de non-discrimination pour les élus ayant une activité professionnelle.

 

La simplification dans le fonctionnement des organes

Le deuxième volet de cette loi tend à simplifier le fonctionnement du conseil municipal, afin de rendre l’exercice du mandat plus accessible.

Une des mesures principales repose sur la question des délégations du maire.

Avant la loi engagement et proximité, le maire devait respecter un certain ordre en cas de délégation d’une partie de ses compétences : l’article L. 2122-18 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoyait que « Le maire est seul chargé de l’administration, mais il peut, sous sa surveillance et sa responsabilité, déléguer par arrêté une partie de ses fonctions à un ou plusieurs de ses adjoints et, en l’absence ou en cas d’empêchement des adjoints ou dès lors que ceux-ci sont tous titulaires d’une délégation, à des membres du conseil municipal ». Cet article imposait un ordre de désignation au profit des adjoints du maire, puis dans un second temps au profit des membres du conseil municipal.

La loi de 2019 supprime ce principe et prévoit que les adjoints ne sont plus prioritaires dans l’attribution des délégations de compétences. Le maire peut donc désormais choisir de donner délégation indifféremment aux adjoints ou aux membres du conseil municipal.

D’autres mesures sont intervenues et tendent à faciliter le fonctionnement des organes locaux, notamment dans les petites communes.

La composition des conseils municipaux a évolué et tend à favoriser les plus petites communes lorsque le nombre de candidats est restreint. Dans les communes de moins de 100 habitants, le conseil municipal sera réputé complet dès lors que 5 (auparavant 7) conseillers au moins ont été élus et 9 conseillers dans les communes de 100 à 499 habitants (auparavant 11). Dans les cas où une vacance est constatée après le 1er janvier de l’année qui précède le renouvellement du conseil, il n’est procédé aux élections nécessaires que si le conseil a perdu au minimum un tiers de ses membres.

Les députés ont renoncé à l’extension du scrutin de liste aux communes de 500 à 1 000 habitants. Le texte adopté prévoit qu’une modification du code électoral interviendra lavant le 31 décembre 2021 pour étendre l’égal accès des femmes et des hommes aux fonctions électives dans les communes et leurs groupements. Dans le cas où un poste d’adjoint serait vacant, il revient à l’adjoint de même sexe et de même rang de reprendre le poste.

La loi tend également à développer la démocratie locale, mais son rapport reste limité. En effet, lorsqu’un dixième des membres du conseil municipal décide d’organiser un débat de politique générale, il est organisé lors de la réunion suivante du conseil municipal. Cependant, cette faculté est limitée à une fois par an. Dans les communes de plus de 3 500 habitants, chaque bourg, hameau ou groupement de hameaux peut être doté par le conseil municipal, sur demande de ses habitants, d’un conseil facultatif.

 

Le renforcement des pouvoirs de police du maire

Le Code général des collectivités territoriales organise les pouvoirs du maire (art. L. 2112-2). Le maire doit assurer dans sa commune le bon ordre, la sûreté et la salubrité publiques. Pour exercer ces missions, le maire dispose d’un pouvoir de police administrative générale et d’un pouvoir de police administrative spéciale.

En matière de police administrative spéciale, le maire peut prononcer des astreintes. Par exemple, en matière de fermeture des établissements recevant du public menaçant ruine, le maire après mise en demeure demeurée sans effet, peut ordonner la fermeture et imposer une astreinte au propriétaire qui peut s’élever jusque 500 euros par jour de retard et des amendes administratives dont le montant total exigible ne peut excéder 25 000 euros. Cette prérogative s’applique aussi lorsque ces arrêtés ne sont pas respectés en matière de fermeture des établissements recevant du public, d’urbanisme ou d’obligations de débroussaillement.

Le préfet peut, à la demande du maire lui déléguer son pouvoir en matière de fermeture administrative des débits de boissons, suivant des circonstances locales. De plus, chaque commune doit se doter d’une commission municipale des débits de boissons qui sera composée de représentants de services communaux, désignés par le maire, ainsi que des représentants des services de l’Etat désignés par le préfet de département et des représentants des organisations professionnelles représentatives des cafetiers. Le maire peut limiter la vente d’alcool sur le territoire de la commune et de nouvelles licences peuvent être créées dans les communes de plus de 3 500 habitants qui n’en disposent pas.

Le maire peut également prononcer des amendes, notamment contre les dépôts sauvages de déchets ou contre l’occupation sans titre du domaine public. Certains y ont vu la possibilité pour le maire de prononcer des amendes pour un certain nombre d’incivilités telles que l’occupation du domaine public. Des associations de défense aux personnes sans-abris ont redouté que les maires ne les utilisent contre elles. Cependant, les craintes ont été levées car les maires ne peuvent prononcer d’amendes à l’encontre d‘une personne qui a installé sur le domaine public des objets nécessaires à la satisfaction de ses besoins élémentaires.

 

Le rescrit préfectoral

A l’occasion du grand débat national organisé au printemps 2019, les élus locaux ont exprimé un besoin de renforcer la sécurité juridique de leurs décisions face à l’augmentation du nombre de litiges devant les juridictions. La loi de 2019 introduit une procédure dite de « rescrit préfectoral ». Ce rescrit permet aux collectivités d’interroger le préfet sur la régularité de leurs actes en amont d’une prise de décision et partant d’éviter les contentieux futurs au stade du contrôle de légalité. Cette demande doit être écrite et comporter la question de droit sur laquelle la prise de position est demandée, ainsi qu’un projet d’acte. Le préfet dispose d’un délai de trois mois pour répondre à la collectivité. A défaut, le silence gardé par le préfet vaut absence de prise de position formelle, sans conséquence juridique. Cependant, dans le cas où le préfet fournit une réponse, la décision lui sera opposable par la suite.

 

Le renforcement des communes et des maires au sein des intercommunalités

L’une des mesures les plus importantes de la loi Engagement et Proximité est de prévoir la mise en œuvre facultative d’un pacte de gouvernance et la généralisation des conférences des maires.

L’article 1er crée ainsi un article L. 5211-11-2 dans le CGCT rendant possible l’élaboration d’un pacte de gouvernance dans les EPCI afin d’associer plus étroitement les maires des communes membres à la gouvernance de l’intercommunalité.

Le même article crée également un article L. 5211-11-3 dans le CGCT prévoyant la création obligatoire d’une conférence des maires dans les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et les EPT, sauf lorsque le bureau de l’établissement public comprend déjà l’ensemble des maires des communes membres. Il s’agit d’une instance de coordination présidée par le président de l’EPCI qui se réunit sur un ordre du jour déterminé, à l’initiative du président de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou, dans la limite de quatre réunions par an, à la demande d’un tiers des maires.

La loi comporte également à l’article 8 un droit à l’information des conseillers municipaux sur les affaires de leur EPCI, en particulier lorsqu’ils ne sont pas membres du conseil communautaire, en permettant ainsi de les rendre destinataires de droit de la convocation, de la note explicative de synthèse, du compte rendu du conseil communautaire, ainsi que du rapport annuel sur les orientations budgétaires de l’EPCI.

 

La modernisation du fonctionnement institutionnel

Plusieurs mesures ont également pour objet ou pour effet d’apporter de la souplesse dans le fonctionnement institutionnel des EPCI. Ainsi, le fonctionnement du conseil communautaire bénéficie de plusieurs évolutions parmi lesquelles l’organisation de conseils communautaires par téléconférence, à l’article 7 de la loi.

S’agissant des commissions thématiques intercommunales créées en application de l’article L. 2121-22, l’article L. 5211-40-1 du code général des collectivités territoriales relatif aux EPCI est modifié pour prévoir que, en cas d’empêchement, un membre de la commission peut être remplacé pour une réunion par un conseiller municipal de la même commune, désigné par le maire dans le respect du principe de la représentation proportionnelle.

Par ailleurs, l’organisation des conseils communautaires est simplifiée par les dispositions relatives à la dématérialisation de la convocation prévues à l’article 9 de la loi.

 

Un remaniement des modalités d’exercice des compétences

L’exercice même des compétences par l’EPCI est également modifié puisqu’un article 13 relatif aux compétences optionnelles supprime l’obligation dans les communautés de communes et les communautés d’agglomération de choisir des compétences optionnelles. Un article 21 relatif à l’intérêt communautaire permet de définir celui-ci à la majorité des deux tiers des suffrages exprimés. La loi inscrit par ailleurs dans le Code général des collectivités territoriales, par son article 12, la procédure de restitution de compétences par un EPCI à ses communes membres.

En outre, des dispositions sont destinées à simplifier le droit applicable aux élus locaux dans la poursuite de leurs politiques publiques, et notamment un article 80 relatif à la suppression de l’obligation de créer divers conseils locaux et la production de certains rapports. Ainsi, le seuil pour la création obligatoire du conseil de développement dans les EPCI est relevé à 50 000 habitants et ce conseil peut être mutualisé au sein des pôles d’équilibre territoriaux ruraux. Par ailleurs, le président d’un EPCI à fiscalité propre n’a plus l’obligation d’établir, dans l’année suivant chaque renouvellement général des conseils municipaux, le rapport relatif aux mutualisations de services entre les services de l’EPCI et ceux des communes membres, l’établissement de ce rapport constituant désormais une faculté afin d’assurer une meilleure organisation des services.

Enfin, deux évolutions du droit matériel sont à relever particulièrement :

  • le mécanisme, dans les communautés de communes et d’agglomération, de la délégation de compétence en matière d’eau et d’assainissement au profit de leurs communes membres, prévu par l’article 14 de la loi selon un mécanisme de délégation dérogatoire au droit commun issu de l’article L. 1111-8 CGCT, d’une part,
  • la possibilité, pour les communes touristiques érigées en stations classées de tourisme membres d’une communauté de communes ou d’agglomération, de décider, par délibération et après avis de l’organe délibérant, de conserver ou de retrouver l’exercice de la compétence “promotion du tourisme, dont la création d’offices de tourisme”, énoncée à l’article 16 de la loi d’autre part.

 

Par Solenne Daucé, Aloïs Ramel, Mélissa Goasdoué et Camille Condamine

Sursis à statuer du juge judiciaire sur l’action directe contre l’assureur du constructeur lié au maître d’ouvrage par contrat administratif

Dans un arrêt publié au bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler que le maître d’ouvrage ne peut obtenir la condamnation des assureurs des constructeurs avec lesquels il est lié par contrat administratif, sans que le juge administratif ne se soit au préalable prononcé sur la responsabilité de ces derniers.

Dans cette affaire, la commune de Tuchan avait tenté, à la suite de désordres apparus sur le foyer communal, d’obtenir la condamnation devant le juge judiciaire des constructeurs et de leurs assureurs au paiement d’une provision sur le fondement de l’article 809 alinéa 2 du Code de procédure civile.

La Cour d’appel de Montpellier, après avoir écarté sa compétence pour connaître de la condamnation des constructeurs au motif que ces derniers étaient liés par un contrat administratif, avait condamné leurs assureurs à payer à la commune des sommes provisionnelles au titre de l’indemnisation de désordres d’infiltrations.

La Cour considérait en effet que l’action directe de la victime contre l’assureur relevant de la compétence exclusive du juge judicaire, la commune pouvait obtenir leur condamnation dès lors que le caractère décennal des désordres était établi.

Pour censurer l’arrêt d’appel, et après avoir rappelé le principe selon lequel « un assureur de responsabilité ne peut être tenu d’indemniser le préjudice causé à un tiers par la faute de son assuré que dans la mesure où ce tiers peut se prévaloir, contre l’assuré, d’une créance née de la responsabilité de celui-ci », la Haute juridiction retient que « à défaut de reconnaissance, par les assureurs, de la responsabilité de leurs assurés, il lui incombait de surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction administrative se soit prononcée sur cette responsabilité ».

Ainsi la Cour de cassation confirme, au visa de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor de l’an III et de l’article L. 124-3 du Code des assurances, que le juge judiciaire n’a pas compétence pour se prononcer sur la responsabilité de l’assuré lié par contrat administratif au maître d’ouvrage lorsqu’il est saisi de l’action directe de la victime contre son assureur.

Dans un tel cas, il lui appartient ainsi de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge administratif sur le principe de responsabilité de son assuré.

La Cour rappelle néanmoins qu’il n’y a pas lieu à de surseoir à statuer en cas de reconnaissance par l’assureur de la responsabilité de son assuré.

Si cette reconnaissance doit en principe intervenir de manière volontaire (Civ.1ère, 30 octobre 1984, n°83-13836) ou encore expresse (voir en ce sens, Civ. 2ème, 16 décembre 2010, n° 09-71797), on notera néanmoins que la Cour de cassation ne prend pas soin ici de rappeler la forme qu’elle doit revêtir pour obtenir la condamnation de l’assureur au versement des indemnités.

Les maîtres d’ouvrage prendront cependant garde, de ne pas se précipiter dans cette brèche pour prétendre à une indemnisation plus rapide des désordres et ainsi éviter de supporter le préfinancement des travaux de reprise.

Recours entre constructeurs et prescription quinquennale

Cass. Civ., 3ème, 16 janvier 2020, n° 18-21.895

Les deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 16 janvier 2020 concernant le délai applicable à l’action en contribution à la dette des constructeurs sont particulièrement importants en matière de prescription des recours entre constructeurs.

En pratique et pour mémoire, il résulte des dispositions de l’article 1792 du Code civil que le maître d’ouvrage dispose d’un délai de 10 ans à compter de la réception pour agir contre les locateurs d’ouvrage.

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article 1792-4-3 du même Code que le maître d’ouvrage dispose du même délai d’action de 10 ans à compter de la réception pour agir contre les sous-traitants.

A la lumière de ces dispositions et après de nombreuses divergences jurisprudentielles, la Cour de cassation se devait de se prononcer sur le régime de prescription applicable, cette fois-ci, à l’action des constructeurs entre eux c’est-à-dire des coobligés à la dette.

C’est désormais chose faite, la Cour a tranché !

 

En effet, aux termes de son premier arrêt, la Cour de cassation affirme, sans aucune ambiguïté, que le délai de prescription de l’action d’un constructeur contre un autre constructeur ne relèvent pas des dispositions de l’article 1792-4-3 du Code civil en arguant, d’une part, que ce texte « n’a vocation à s’appliquer qu’aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants » et, d’autre part, que « fixer la date de réception comme point de départ du délai de prescription de l’action d’un constructeur contre un autre constructeur pourrait avoir pour effet de priver le premier, lorsqu’il est assigné par le maître de l’ouvrage en fin de délai d’épreuve, du droit d’accès à un juge ».

La Cour en conclut, de la même manière, que « le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève des dispositions de l’article 2224 du code civil ; qu’il se prescrit donc par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Puis aux termes d’un deuxième arrêt, la Cour de cassation a jugé que « […] les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation, que, selon l’article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer […] ».

Encore faut-il désormais savoir ce que l’on entend par le « jour où le titulaire d’un droit a connu ou au aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer »…mais il s’agit là d’un autre débat qui n’a pas fini d’occuper les juges !

Création des sous-destinations « hôtels » et « autres hébergements touristiques »

Le décret n° 2020-78 du 31 janvier 2020 modifie les sous-destinations des constructions prévues à l’article R. 151-28 du Code de l’urbanisme afin de distinguer entre les « hôtels » et les « autres hébergements touristiques », qui peuvent désormais faire l’objet de règles différenciées dans le PLU.

Pour rappel, le plan local d’urbanisme peut, au sein d’une même zone, soumettre à des règles différentes les constructions en fonction de leur destination ou sous-destination.

Les destinations, listées à l’article R. 151-27 du Code de l’urbanisme, sont au nombre de cinq : exploitation agricole et forestière, habitation, commerce et activités de service, équipements d’intérêts collectifs et services publics, autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire.

Ces grandes destinations sont subdivisées en vingt sous-destinations, prévues à l’article R. 151‑28 du Code de l’urbanisme.

Jusqu’à présent, la destination « commerce et activités de service » regroupait les sous‑destinations « artisanat et commerce de détail, restauration, commerce de gros, activités de services où s’effectue l’accueil d’une clientèle, hébergement hôtelier et touristique, cinéma ».

Le décret du 31 janvier 2020 est venu modifier l’article R. 151-28, afin de remplacer la sous-destination « hébergement hôtelier et touristique » par deux nouvelles sous-destinations : « hôtels » et « autres hébergements touristiques », permettant ainsi aux plans locaux d’urbanisme de définir des règles différenciées entre ces différentes constructions.

Un arrêté du même jour a par ailleurs défini ces deux notions. Ainsi, il est prévu que la sous-destination « hôtels » recouvre les « constructions destinées à l’accueil de touristes dans des hôtels, c’est-à-dire des établissements commerciaux qui offrent à une clientèle de passage qui, sauf exception, n’y élit pas domicile, des chambres ou des appartements meublés en location, ainsi qu’un certain nombre de services », tandis que la sous-destination « autres hébergements touristiques » correspond pour sa part aux « constructions autres que les hôtels destinées à accueillir des touristes, notamment les résidences de tourisme et les villages de vacances, ainsi que les constructions dans les terrains de camping et dans les parcs résidentiels de loisirs ».

Ces nouvelles dispositions, motivées par la nécessité, dans les stations balnéaires et de montagne, de mieux distinguer les types d’hébergement hôteliers et touristiques selon leur nature, sont applicables à compter du 2 février 2020.

L’article R. 151-28 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction antérieure demeure en principe applicable aux plans locaux d’urbanisme ou aux documents en tenant lieu dont l’élaboration, la révision, la modification ou la mise en compatibilité a été engagée avant cette même date.

Il est toutefois prévu, pour les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu dont l’élaboration ou la révision a été prescrite avant l’entrée en vigueur du décret, que l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale compétent ou le conseil municipal peut décider, par une délibération expresse intervenant au plus tard lorsque le projet est arrêté, que seront applicables au projet les nouvelles dispositions de l’article R. 151-28.

 

Précisions apportées quant à la notion d’ « erreur matérielle » permettant le recours à la modification simplifiée d’un PLU

Selon les dispositions de l’article L. 153-45 du Code de l’urbanisme (ancien article L. 123-13-3), le recours à la procédure de modification simplifiée peut notamment intervenir lorsque l’évolution envisagée du document d’urbanisme a « uniquement pour objet la rectification d’une erreur matérielle ».

Par sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil d’Etat est venu préciser les contours de cette notion en ces termes :

« 3. Il résulte de ces dispositions que le recours à la procédure de modification simplifiée pour la correction d’une erreur matérielle est légalement possible en cas de malfaçon rédactionnelle ou cartographique portant sur l’intitulé, la délimitation ou la règlementation d’une parcelle, d’un secteur ou d’une zone ou le choix d’un zonage, dès lors que cette malfaçon conduit à une contradiction évidente avec les intentions des auteurs du plan local d’urbanisme, telles qu’elles ressortent des différents documents constitutifs du plan local d’urbanisme, comme le rapport de présentation, les orientations d’aménagement ou le projet d’aménagement et de développement durable ».

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a considéré qu’il ressortait des différents documents du PLU (notamment le rapport de présentation ainsi que le projet d’aménagement et de développement durable) que la commune n’avait, en aucun cas, entendu remettre en cause ou restreindre les activités liées à l’exploitation des carrières existant dans la zone Nc. Par conséquent, la circonstance que le règlement applicable dans cette zone ne permettait pas d’y exercer une telle activité ne pouvait qu’être regardée comme une erreur matérielle. Ainsi, la modification du règlement de cette zone pour y autoriser explicitement, notamment « les équipements, installations et constructions nécessaires à l’exploitation de carrières et aux activités connexes » ainsi que les installations classées soumises à autorisation devait être considérée comme une rectification de cette erreur matérielle qui pouvait, par conséquent, faire l’objet d’une modification simplifiée.

Si cette précision est nouvelle en jurisprudence, elle se rapproche de la doctrine administrative rendue sur le sujet qui avait pu, à l’occasion d’une réponse ministérielle, insister sur la nécessité de se référer à l’intention des auteurs du PLU (Rép. Min. n° 79658, JOAN 12 mai 2015 p. 3547).

Modèle d’avis de publicité des marchés répondant à un besoin compris entre 90 000 € hors taxes et les seuils de procédure formalisée

Arrêté du 12 février 2020 fixant un modèle d’avis pour la passation des marchés publics répondant à un besoin d’une valeur estimée entre 90 000 € hors taxes et les seuils de procédure formalisée

 

Prévu par le décret n° 2018-1225 du 24 décembre 2018 portant diverses mesures relatives aux contrats de la commande publique et pris en application du 2° de l’article R. 2131-12 du Code de la commande publique, l’arrêté du 12 février 2020 fixant un modèle d’avis pour la passation des marchés publics répondant à un besoin d’une valeur estimée entre 90 000 € hors taxes et les seuils de procédure formalisée a été publié au JORF du 20 février 2020.

Il fixe le modèle d’avis standard qui devra obligatoirement être utilisé à compter du 1er janvier 2022, s’agissant des marchés publics répondant à un besoin compris entre 90 000 € hors taxes et les seuils de procédure formalisée.

Cet arrêté poursuit deux objectifs : d’une part, il a pour vocation de permettre une utilisation simplifiée et harmonisée des avis de publicités par les acheteurs publics et, d’autre part, il entend renforcer leur lisibilité par les opérateurs économiques.

Formellement, le modèle d’avis de publicité se présente sous forme de 6 sections visant à recueillir des informations relatives à/aux :

  • l’identification de l’acheteur (nom, numéro national d’identification, …) ;
  • la communication (lien vers le profil acheteur, lien d’accès direct aux documents de la consultation, …) ;
  • la procédure (type de procédure, technique d’achat, nombre maximum de candidats, …) ;
  • l’identification du marché (type de marché, valeur estimée du besoin, …) ;
  • lots (description et estimation de la valeur des lots, …) ;
  • informations complémentaires (caractère obligatoire ou non de la visite, …).

Nouvelle illustration du devoir de conseil du maître d’oeuvre

Dans le prolongement de la décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux du 26 novembre 2019 (n°17BX02518) évoquée dans notre lettre d’actualité juridique de décembre dernier, cet arrêt revient sur le devoir de conseil du maître d’œuvre, et plus particulièrement ici de son étendue.

Le Conseil d’Etat rappelle un principe connu selon lequel le Maître d’ouvrage est fondé à rechercher la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre pour manquement à son devoir de conseil lorsque celui-ci s’est abstenu d’attirer l’attention du premier sur des désordres affectant l’ouvrage et dont il pouvait avoir eu connaissance en cours de chantier.

Par suite, le Conseil d’Etat retient que :

« sur la seule circonstance que les désordres allégués n’avaient pas présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux et qu’il ne résultait pas de l’instruction que les maîtres d’œuvre auraient eu connaissance de ces désordres au cours du chantier, alors qu’elle aurait dû aussi vérifier, comme Bordeaux Métropole le lui demandait expressément, si les maîtres d’œuvre auraient pu avoir connaissance de ces vices s’ils avaient accompli leur mission selon les règles de l’art, la cour administrative d’appel de Bordeaux a entaché son arrêt d’erreur de droit ».

En d’autres termes, il ne suffisait pas de rechercher si les vices étaient apparents ou non au moment de la réception ainsi qu’au cours du chantier.

Le Conseil d’Etat précise que la Cour aurait dû vérifier, comme l’invitait à le faire le Maître d’ouvrage, si le maître d’œuvre aurait pu en avoir connaissance s’il avait accompli sa mission selon les règles de l’art.

Cette décision témoigne de l’enjeu de l’étendue du devoir de conseil du maitre d’œuvre, dont la responsabilité peut notamment être recherchée par le Maître d’ouvrage qui aurait échoué à engager la responsabilité décennale des constructeurs, comme c’était le cas en l’espèce.

EDF et ENGIE : mises en demeure pour non-respect de certaines conditions de recueil du consentement concernant les données de LINKY

Décision n° MED 2019-036 du 31 décembre 2019 mettant en demeure la société ENGIE

Par deux délibérations en date du 20 janvier 2020, la commission nationale de l’informatique et des libertés a rendu public deux mises en demeure prises à l’encontre des sociétés ENGIE et EDF le 31 décembre 2019 autour de deux thématiques centrales du règlement européen sur la protection des données : la manière dont le consentement est recueilli et les durées de conservations pendant lesquelles les données sont sauvegardées.

S’agissant du consentement, la CNIL rappelle une nouvelle fois les quatre critères fondant sa licéité: la liberté du choix, sa spécificité et son caractère éclairé et non-équivoque.

Dans ses deux mises en demeure, la CNIL constate que celui-ci n’a pas été valablement obtenu puisque deux des quatre critères étaient manquants : le caractère spécifique et le caractère éclairé.

Le caractère spécifique s’entend comme le fait que tout individu, dont les données sont collectées, doit comprendre et fournir un consentement distinct pour chacun des objectifs poursuivis par la collecte des données. Sauf qu’en l’espèce la CNIL constate que « EDF et ENGIE recueillent par le bais d’une seule et unique case à cocher le consentement pour deux opérations clairement distinctes : l’affichage dans l’espace client des consommations quotidiennes et l’affichage des consommations à la demi-heure. En outre, s’agissant de la société EDF, la CNIL a constaté que le fait de cocher la case entraîne également une troisième opération de traitement, à savoir la fourniture de conseils personnalisés visant à réduire la consommation d’énergie du foyer ».

En recueillant un consentement global pour plusieurs finalités au sein des activités de traitement, la spécificité du consentement ne pouvait être valablement retenue. Le principal reproche qui est adressé ici est que l’usager n’a pas la possibilité de choisir plus finement les services qui peuvent lui être offerts, et il est dans l’obligation de les choisir en bloc.

 

Le caractère éclairé s’entend comme le fait que tout individu, pour que son consentement soit valable, doit régulièrement obtenir des informations sur la nature du traitement, ses finalités et les moyen mis en œuvre. C’est la qualité de l’information fournie qui va permettre à l’individu de fournir un consentement valable. Or, la CNIL a pu constater que :

  • s’agissant d’EDF, la rédaction de la mention accompagnant la case à cocher « j’accepte » est particulièrement susceptible d’induire l’abonné en erreur sur la portée de son engagement. En effet, la société fait référence à la « consommation d’électricité quotidienne (toutes les 30 min) » et présente donc les données quotidiennes et à la demi-heure comme étant équivalentes, alors que ces dernières sont plus révélatrices des habitudes de vie des personnes que les données quotidiennes ;
  • s’agissant d’ENGIE, la CNIL a constaté qu’aucune information suffisamment précise n’était donnée pour permettre à l’utilisateur de comprendre la différence de portée entre la collecte de « l’index quotidien » (données de consommation journalière) et la collecte de la « courbe de charge » (données de consommation fines à l’heure ou la demi-heure).

 

Les conséquences d’un recueil de consentement non valablement obtenu est potentiellement grave, car cela prive le traitement de données à caractère personnel d’une base légale, ce qui entraine la responsabilité administrative de l’organisme et est un délit pénal.

 

S’agissant des durées de conservations, la CNIL constate que celles-ci sont trop longues au regard des finalités pour lesquelles les données sont traitées. Les trois temps du cycle de vie des données à caractère personnel sont présentés de la manière suivante :

  • la base active ;
  • l’archivage intermédiaire ;
  • l’archivage définitif.

Sur la base active, la CNIL indique que cela correspond au temps pendant lequel les données sont utiles aux différents services de la structure et doivent être conservées.

Sur la durée de l’archivage intermédiaire, la CNIL rappelle qu’il ne s’agit pas de conserver l’intégralité des données mais seulement celles qui sont indispensables ou requises par l’obligation légale.

Sur l’archivage définitif, la CNIL rappelle que certaines données et documents présentant un intérêt historique doivent effectivement pouvoir être conservées et archivées, dans les conditions fixées par le code du patrimoine.

A l’encontre d’EDF, la CNIL a constaté que l’entreprise conservait en base active les consommations quotidiennes et à la demi-heure cinq ans après la résiliation du contrat alors qu’aucune procédure d’archivage n’était par ailleurs prévue. A ce propos, la CNIL indique « Tout d’abord, les données de consommation à la demi-heure ne sont pas nécessaires pour établir la facturation et n’ont dès lors pas à être conservées cinq ans après la résiliation du contrat. Ensuite, les fournisseurs d’électricité ne sont tenus de mettre à disposition des clients leur historique de consommation que pendant une durée de trois années suivant la date de recueil du consentement (article D. 224-26 du code de la consommation) ».

A l’encontre d’ENGIE, la CNIL a constaté que les données de consommation mensuelles de ses clients étaient conservées à l’issue de la résiliation de leur contrat pendant une durée de trois ans en base active, puis pendant une durée de huit ans en archivage intermédiaire. Or, selon elle, « si les coordonnées du client peuvent être conservées en base active pendant trois ans à l’issue de la résiliation du contrat pour que la société puisse effectuer de la prospection commerciale, les données de consommation mensuelles ne sont pas nécessaires pour cet objectif, de sorte que leur conservation ne saurait être justifiée par cette finalité. Par ailleurs, la conservation des données de consommation mensuelles à l’issue de la résiliation du contrat n’est pas non plus justifiée par la mise à disposition de ces données dans l’espace client de l’usager dans la mesure où cette mise à disposition n’est effective que pour une durée d’un an à l’issue de la résiliation du contrat ».

Les conséquences d’une conservation excessive est une violation de l’article 5, paragraphe 1, e), du RGPD et peut donc entrainer la mise en jeu de la responsabilité administrative de l’organisme.

 

Face à ces deux manquements, la CNIL a décidé de laisser trois mois aux deux entreprises pour se mettre en conformité.

La validation du plan d’action de la CNIL en matière de publicité ciblée par le Conseil d’Etat

Par une décision rendue le 16 octobre 2019, le Conseil d’Etat a validé le plan d’action de la CNIL en matière de publicité ciblée. En effet, par un communiqué du 28 juin 2019 publié sur son site internet, la CNIL a annoncé avoir élaboré un plan d’actions pour l’année 2019-2020 afin de préciser les règles applicables en matière de ciblage publicitaire en ligne et d’accompagner les acteurs dans leur mise en conformité avec ces règles. L’objectif était ici d’établir de nouvelles règles plus adaptées aux usages en ligne et la publicité ciblée tout en abrogeant sa recommandation du 5 décembre 2013 relative aux cookies et autres traceurs.

Face à cela, les associations « La Quadrature du net » et « Caliopen » ont demandé au Conseil d’Etat d’annuler la décision par laquelle la Commission permettait, pendant une période de transition d’environ douze mois, la poursuite de la navigation comme expression du consentement au dépôt de cookies et aurait renoncé à utiliser les pouvoirs dont elle dispose pour réprimer, pendant cette période, les manquements aux règles applicables en la matière.

Dans sa décision, le Conseil d’Etat constate que le délai choisi par la CNIL a pour objectif de permettre à l’ensemble des opérateurs de respecter effectivement les exigences résultant du RGPD.

Selon le Conseil d’Etat, le fait que la poursuite de la navigation comme expression du consentement n’entraîne pas la mise en mouvement du pouvoir répressif de la CNIL est un moyen pour l’autorité de régulation d’accompagner les acteurs concernés, ce qui rentre dans ses missions telles que définies par la loi informatique et libertés.

Le Conseil considère que, confronté à la nécessité de définir de nouvelles modalités pratiques de recueil du consentement susceptibles d’apporter, sur le plan technique, les garanties qu’exige l’état du droit en vigueur, le CNIL n’a pas tort d’étaler la réalisation de l’objectif d’une complète mise en conformité de l’ensemble des acteurs à l’horizon de l’été 2020.

Enfin, le Conseil d’Etat souligne que la CNIL continuera malgré tout de contrôler le respect des règles relatives au caractère préalable du consentement, à la possibilité d’accès au service même en cas de refus et à la disponibilité d’un dispositif de retrait du consentement facile d’accès et d’usage.

Absence de droit au renouvellement d’un bail commercial pour un preneur non immatriculé au RCS

Le défaut d’inscription du preneur au Registre du Commerce et des Sociétés prive ce dernier de son droit au renouvellement de son bail commercial.

L’article L. 145-1,I, alinéa 1er du Code de commerce prévoit que le statut des baux commerciaux s’applique aux baux d’immeubles ou de locaux dans lesquels un fonds est exploité.

Le texte prévoit également que l’application du statut des baux commerciaux implique nécessairement que le fonds appartienne soit à :

  • un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés ;
  • un chef d’entreprise immatriculé au registre des métiers accomplissant ou non des actes de commerce.

Ainsi, l’application du statut protecteur des baux commerciaux impose la réunion de quatre conditions.

Il faut à la fois un bail, un immeuble ou un local objet du bail, mais également l’exploitation par le preneur d’un fonds dans les locaux loués et enfin l’immatriculation de ce dernier. À défaut, le statut protecteur des baux commerciaux n’est pas acquis.

En ce sens, l’immatriculation du preneur n’a pas fait exception.

Rapidement, la jurisprudence a pu préciser que l’immatriculation n’est nécessaire que pour bénéficier du statut des baux commerciaux, notamment pour ce qui est du droit au renouvellement (Cass.Civ., 3ème, 1er oct. 1997 , n° 95-15.842, Bull. civ. III, n° 179).

Dans cette hypothèse, l’immatriculation n’est obligatoire qu’à la date de délivrance du congé ou de la demande de renouvellement du bail.

Si elle est intervenue postérieurement à la délivrance du congé, l’immatriculation est dépourvue de tout effet rétroactif (Cass.Civ., 3ème, 4 mars 1998 , n° 96-13.556, Bull. civ. III, n° 52 ; AJDI 1998. 620 ; RDI 1998. 305, obs. F. Collart-Dutilleul et J. Derruppé ).

Le présent arrêt est venu préciser le champ d’application de ces principes.

En l’espèce, une société a consenti à une autre société un bail portant sur un terrain nu et l’a autorisée à y édifier des constructions.

Le 28 avril 2014, le bailleur a notifié au preneur un refus de renouvellement du bail sans indemnité d’éviction pour défaut d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés de l’établissement secondaire situé dans les lieux.

Après avoir régularisé son immatriculation, le preneur a assigné le bailleur en nullité du congé et en paiement d’une indemnité d’éviction.

Les juges du fond ont considéré que le défaut d’immatriculation de la société au moment de la délivrance du congé fait obstacle à l’application du statut des baux commerciaux.

Le preneur a alors formé un pourvoi en cassation. Selon lui, l’article L. 145-1, 2°, du Code de commerce est une disposition autonome qui étend le bénéfice du statut des baux commerciaux aux baux de terrains nus sur lesquels ont été élevées des constructions sans en subordonner l’application à la condition que le preneur soit immatriculé au registre du commerce et des sociétés au jour de la délivrance d’un congé par le bailleur.

Se pose alors la question de savoir si l’article L. 145-1, I alinéa 1er, trouve à s’appliquer aux baux de terrains nus.

La Cour de cassation retient que « le preneur à bail d’un terrain nu sur lequel sont édifiées des constructions ne peut bénéficier du droit au renouvellement du bail que confère le statut des baux commerciaux que s’il remplit les conditions exigées au premier alinéa de l’article L. 145-1 du code de commerce tenant à son immatriculation et à l’exploitation d’un fonds ».

Si la validité du bail n’est pas subordonnée à l’immatriculation du preneur au registre du commerce et des sociétés, le renouvellement du bail est conditionné à cette immatriculation et ce, y compris en ce qui concerne les baux portant sur des terrains nus.

Le défaut d’immatriculation, au jour où le congé est délivré ou au jour où la demande de renouvellement est formulée, empêche le preneur de revendiquer une indemnité d’éviction prévue par le statut des baux commerciaux.

 

Entrée en vigueur du décret relatif au contrôle déontologique : précision sur les emplois relevant du contrôle direct de la HATVP

En vue de l’entrée en vigueur, le 1er février 2020, des nouvelles dispositions déontologiques définies par la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, le gouvernement vient d’adopter le décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique.

Pour rappel, l’article 25 octies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires prévoit désormais deux types de contrôles déontologiques.

Le premier contrôle est réservée aux fonctionnaires ou agents contractuels « occupant un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, mentionnés sur une liste établie par décret en Conseil d’Etat », lesquels doivent directement saisir la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) de leur projet, qui se prononcera directement sur la compatibilité entre l’activité privée que l’agent se destine à exercer avec les fonctions administratives qu’il a occupé dans les trois années précédant le début de cette activité.

Le deuxième contrôle, de droit commun pour l’ensemble des autres agents publics, est un contrôle procédant par filtrages successifs, déterminant, à chaque étape, la nécessité d’un contrôle plus approfondi de la situation dans les cas les plus délicats.

Le décret apporte notamment deux précisions importantes sur ce contrôle.

En premier lieu, il définit les emplois relevant du contrôle direct de la HATVP : il s’agit, d’une part, des emplois qui sont déjà soumis à l’obligation de transmission préalable d’une déclaration d’intérêt, prévue à l’article 25 ter de la loi du 13 juillet 1983. Il faut à cet égard préciser que par un décret n° 2020-37 du 22 janvier 2020, le nombre de ces emplois a été élargi puisque les directeurs généraux des services, directeur généraux adjoint et directeur généraux des services techniques des communes et des EPCI de plus de 40 000 habitants y seront à présent soumis, contre 80 000 avant ce décret.

Une précision n’est en revanche pas apportée par le décret sur le moment de l’occupation de l’emploi. Le IV de l’article 25 octies prévoit que le contrôle direct de la HATVP s’impose aux agents « occupant un emploi dont le niveau hiérarchique » le justifie. Il s’agit donc, a priori, de l’emploi occupé par l’agent au moment de la saisine. Mais on peut s’interroger sur la procédure applicable aux agents qui ont occupé un emploi de ce type dans les trois dernières années, même s’ils ne l’occupent plus : devront-ils saisir directement la HATVP, ou se borner à suivre la procédure de droit commun ? Il faudra attendre les premiers avis publiés par la HATVP pour le savoir.

En deuxième lieu, le nouveau décret définit le délai auquel sera astreinte la HATVP pour délivrer son avis en matière déontologique : elle devra se prononcer en toutes hypothèses dans un délai de 15 jours à compter de l’enregistrement de la saisine.

Un certain flou règne en revanche sur le délai qui s’imposera pour la saisine de l’autorité hiérarchique pour les agents ne relevant pas de la saisine directe de la HATVP.

Le port d’une barbe ne suffit plus à caractériser la manifestation de convictions religieuses au sein du service

Le principe de laïcité impose aux agents publics de ne pas manifester leurs croyances religieuses dans l’exercice de leurs fonctions, y compris lorsque cette manifestation des croyances est susceptible d’être exprimée par un élément corporel de l’agent, comme une barbe.

Le centre hospitalier de Saint-Denis avait accueilli dans le cadre d’une convention de stage un chirurgien de nationalité égyptienne, à compter du 30 septembre 2013. Le lendemain même, le directeur de l’établissement lui avait ordonné de raccourcir sa barbe « de type islamique » en lui indiquant que celle-ci pouvait être perçue comme « un signe religieux extérieur et ostentatoire ».

Face aux refus réitérés du praticien de modifier son apparence corporelle, le Centre hospitalier avait mis fin à son stage et résilié la convention qui l’unissait à l’université d’origine du praticien.

Saisie d’une demande d’annulation du jugement du Tribunal administratif de Montreuil ayant rejeté la demande d’annulation de la décision mettant fin à son stage, la Cour administrative d’appel de Versailles avait confirmé l’analyse du Tribunal et du Centre Hospitalier.

Elle avait en effet jugé que si le port d’une barbe, bien que conséquente, ne peut en soit être regardée comme un signe d’appartenance religieuse, le fait que le praticien n’ait pas nié qu’en l’espèce sa barbe pouvait manifester un tel signe d’appartenance justifiait, avec le refus de la tailler, de la décision querellée.

Cette décision avait fait l’objet de nombreuses critiques, ce que n’a pas manqué de relever le rapporteur public du Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi sur la question : « il paraît choquant que le silence gardé par l’agent sur une interrogation relative à ses convictions puisse lui être ainsi opposé, au regard de la protection de la liberté de conscience des agents publics ».

Le Conseil, après avoir rappelé que les stagiaires doivent respecter les obligations qui s’imposent aux agents du service public hospitalier (CE, 28 juillet 2017, C… et autres, n° 390740), y compris le respect du principe de laïcité et du devoir de neutralité, a ainsi annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles dès lors qu’il n’a retenu aucune autre circonstance que l’absence de dénégations de l’intéressé sur le caractère possiblement religieux de sa barbe et le fait qu’elle pourrait être perçue de la sorte par les autres agents du service.

Notons cependant que la décision commentée porte davantage sur l’organisation et le respect de la charge de la preuve s’agissant de l’examen des manifestations de convictions religieuses dans le cadre du service, que sur la nature même de la barbe en tant que signe d’appartenance religieuse, bien que le rapporteur public y fasse référence en note de bas de page dans ses conclusions, aux termes d’une réflexion nuancée.

Les vacataires ont droit à la prise en charge de leur frais de transport !

Le Conseil d’Etat, par un arrêt du 7 février 2020, a jugé que les vacataires sont des « personnels civils des collectivités territoriales » et qu’en tant que tels ils ont droit à la prise en charge partielle par leur employeur de leurs frais de transports.

C’est à l’occasion de la requalification du contrat d’un « faux vacataire » que le Conseil d’Etat a été amené, dans un premier temps, à rappeler qu’un agent recruté pour remplacer un gardien tous les week-end pendant plusieurs années est placé non pas sur un besoin occasionnel, mais sur un besoin permanent, auquel cas il n’est pas vacataire mais agent contractuel soumis au décret n° 88-145 du 15 février 1988.

A ce titre, la collectivité territoriale a été enjointe de régulariser les rémunérations perçues par cet agent, à savoir verser la différence entre les rémunérations qui auraient dû être versées en qualité d’agent contractuel, et celles réellement versées en tant que vacataire.

Mais l’agent avait également sollicité l’indemnisation du préjudice causé par le refus de prise en charge partiel du titre de transport, conformément à l’article 1er du décret du 21 juin 2010 instituant une prise en charge partielle du prix des titres d’abonnement correspondant aux déplacements effectués par les agents publics entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail. 

Le Conseil d’Etat affirme à cet égard qu’il résulte des dispositions de l’article 1er du décret du 21 juin 2010 « qu’elles ouvrent droit à la prise en charge partielle du prix des titres d’abonnement de transport à tous les « personnels civils » des collectivités et établissements qu’elles visent, au nombre desquels figurent les agents vacataires ».

En outre, ce décret en son article 7 ne prévoit une modulation de cette prise en charge qu’en fonction du nombre d’heures travaillées, en dehors de la question du statut des agents, permettant ainsi d’écarter tout fondement au refus de remboursement.

En conclusion, au-delà du fait que les employeurs publics doivent pouvoir s’assurer qu’ils ne courent pas un risque financier important en cas de requalification du contrat de leurs vacataires, ils doivent, pour ces derniers, prendre en charge leur frais de transport dans les conditions réglementaires.

Garantie des vices cachés et indemnisation des acquéreurs ayant choisi de conserver le bien sans restitution du prix

Un couple a acquis auprès d’un particulier et par acte authentique de vente une maison d’habitation.

A la suite de l’apparition de désordres, les acquéreurs ont assigné le vendeur en garantie des vices cachés et le notaire sur le fondement de sa responsabilité délictuelle. Les défendeurs ont appelé l’agent immobilier en garantie sur ce dernier fondement.

Par arrêt du 21 juillet 2016, la Cour d’appel de Bourges a condamné le vendeur à restituer aux acquéreurs une partie du prix de vente et à leur payer le coût des travaux de démolition et de reconstruction de l’immeuble.

Elle a également fixé à 10 % chacun la part de cette condamnation que le notaire et l’agent immobilier devraient supporter au titre de leur responsabilité délictuelle.

Les intimés ont formé un pouvoir en cassation, estimant que la Cour d’appel avait eu tort de condamner le vendeur à payer aux acquéreurs le coût des travaux de démolition et de reconstruction de l’immeuble, considérant notamment que les dommages et intérêts versés en application de l’article 1645 du Code civil ne peuvent réparer que des préjudices distincts de la réparation des vices cachés.

Au visa de l’article 1645 du Code civil, la Cour de cassation a considéré que « le vendeur qui connaissait les vices de la chose est tenu de tous les dommages-intérêts envers l’acheteur, qui peut exercer l’action en indemnisation indépendamment de l’action rédhibitoire ou estimatoire ».

C’est en effet l’article 1644 du Code civil qui donne le choix à l’acquéreur entre l’action rédhibitoire, qui consiste à rendre le bien et à se faire restituer le prix, et l’action estimatoire, qui consiste à garder le bien et se faire rendre une partie du prix.

La Cour de cassation a considéré que l’acquéreur, qui avait choisi de conserver le bien sans restitution de tout ou partie du prix de vente, était fondé à obtenir du vendeur de mauvaise foi des dommages-intérêts équivalent au coût de sa démolition et de sa reconstruction :

« Après avoir énoncé à bon droit que le vendeur de mauvaise foi peut être condamné à des dommages-intérêts correspondant à l’intégralité du préjudice subi et que l’acquéreur est en droit de demander la réparation de tout préjudice imputable au vice, la cour d’appel a retenu que la qualité de vendeur de mauvaise foi était établie, que, les évaluations de l’expert judiciaire étant reprises, la nouvelle habitation aura la même superficie que l’ancienne et que le préjudice subi par les acquéreurs ne pouvait être réparé, sans enrichissement sans cause, que par la démolition et la reconstruction du bâtiment, seules de nature à mettre fin aux vices constatés, y compris d’implantation ».

Ainsi, l’acquéreur, qui n’engage ni action rédhibitoire, ni action estimatoire, a le droit de demander réparation de tout préjudice découlant des vices cachés sur le fondement de l’article 1645 du Code civil.

Même après la résiliation, les parties doivent respecter la procédure de réclamation prescrite par le contrat

Même après avoir été évincé à la suite d’une résiliation, le titulaire d’un marché public doit être vigilant à respecter la procédure de réclamation prescrite par les documents contractuels, en particulier le Cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable, sous peine de rendre irrecevables ses prétentions pécuniaires.

En l’occurrence, la Société caribéenne d’études et de développement (CED) était titulaire depuis 2006 d’un mandat de maîtrise d’ouvrage déléguée et d’assistance technique pour la reconstruction des locaux du Centre hospitalier du François. Après de nombreux désaccords, le Centre hospitalier a résilié ce mandat. La Société CED a donc saisi le Tribunal administratif de la Martinique d’une requête tendant à ce que le Centre hospitalier soit condamné à lui verser, d’une part, une somme en exécution du contrat et, d’autre part, une somme en réparation des préjudices causés par la résiliation. Le Tribunal administratif a rejeté sa requête par jugement du 10 novembre 2016.

Saisie en appel de ce litige par la Société CED, la Cour administrative d’appel de Paris commence par rappeler que le contrat litigieux se référait au CCAG applicable aux marchés de fournitures et de services dans sa version du 27 mai 1977, dont l’article 34.1 dispose que « tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l’objet de la part du titulaire d’un mémoire de réclamation qui doit être communiqué à la personne responsable du marché dans le délai de trente jours compté à partir du jour où le différend est apparu ». Et, le titulaire ne peut s’exonérer de cette obligation au motif que le litige avec le maître d’ouvrage serait apparu antérieurement à la réception du décompte de résiliation ou encore que le maître d’ouvrage lui aurait envoyé une lettre évoquant la perspective d’un règlement amiable du conflit en cas de persistance du désaccord.

Par suite, la Cour administrative d’appel conclut qu’en n’ayant pas produit de mémoire en réclamation dans le délai d’un mois suivant la notification du projet de décompte de résiliation, la Société CED était devenue forclose à introduire une action contentieuse tendant à ce que lui soit versée une somme en exécution du contrat.

Enfin, on notera que la Cour rejette également les conclusions de la Société CED tendant à la réparation du préjudice résultant de la résiliation, sans se prononcer clairement sur leur recevabilité et en se bornant à renvoyer aux motifs retenus par les premiers juges.

Précision sur l’articulation des procédures en cas de conflit d’intérêt entre le maire et la commune

Dans un arrêt en date du 30 janvier 2020, le Conseil d’Etat précise l’articulation entre les deux procédures de délégation de la qualité d’ester en justice d’un maire au nom de sa commune quand il se trouve en situation de conflit d’intérêts, ainsi que l’office du juge en la matière.

La question de la répartition des compétences en matière d’urbanisme en Nouvelle-Calédonie peut poser des difficultés politiques. Le congrès de Nouvelle-Calédonie prévoit les principes directeurs en droit de l’urbanisme et les provinces prévoient les autres règles générales d’urbanisme, notamment le plan d’urbanisme directeur de certaines communes, sur leur proposition.

En l’espèce, par une délibération intervenue en 2010, l’Assemblée de la province Sud de Nouvelle-Calédonie a décidé d’élaborer le plan d’urbanisme directeur de la Commune de Païta. Cependant, compte tenu des divergences d’appréciation entre la province Sud et la commune de Païta, le président de l’Assemblée de la province Sud a refusé à deux reprises, en avril et juillet 2016, de réunir le comité d’étude chargé de valider les étapes d’avancement de l’élaboration du plan d’urbanisme directeur et à la suite d’une ordonnance du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie, il a refusé d’ouvrir l’enquête administrative relative au plan d’urbanisme.

Le maire de la Païta est l’un des principaux propriétaires terriens de la commune. Le maire s’est estimé de ce fait en conflit d’intérêt sur des questions d’urbanisme et a décidé de mettre en œuvre le mécanisme consistant à se déporter au profit de son premier adjoint pour l’exercice de sa compétence en matière d’urbanisme, par un arrêté de janvier 2016 et pour l’introduction et la gestion des contentieux dans ce domaine, par un arrêté de septembre 2016.

Le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a rejeté la demande du Maire de la commune de Païta tendant à l’annulation de la décision de refus du président de l’Assemblée de la province Sud d’ouvrir l’enquête administrative relative aux plans d’urbanisme en province Sud. Le jugement a été confirmé par la Cour administrative d’appel de Paris.

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat considère d’une part, qu’il résulte des dispositions combinées de l’article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 et de l’article 5 du décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014 pris pour son application, qu’un maire qui s’estime en situation de conflit d’intérêts doit prendre un arrêté mentionnant la teneur des questions pour lesquelles il estime ne pas devoir exercer ses compétences et désigner, dans les conditions prévues par la loi, la personne chargée de le suppléer.

D’autre part, il résulte des dispositions de l’article L. 122-12 du Code des communes de la Nouvelle-Calédonie, que lorsque les intérêts du maire se trouvent en opposition avec ceux de la commune dans un litige donné ou pour la signature ou l’exécution d’un contrat, seul le conseil municipal est compétent pour désigner un autre de ses membres, soit pour représenter la commune en justice, soit pour signer le contrat ou intervenir dans son exécution.

Dès lors, il résulte de la combinaison de ces textes, que le maire estimant ne pas devoir exercer ses compétences à raison d’un conflit d’intérêts, ne saurait désigner la personne lui-même habilitée soit à représenter la commune en justice dans un litige donné soit à signer ou exécuter un contrat que si ses intérêts ne se trouvent pas en opposition avec ceux de la commune.

En l’espèce, le Conseil d’Etat considère que la Cour a commis une erreur de droit en se bornant à relever, pour juger irrecevable la demande d’une commune représentée par son premier adjoint au Maire, qu’en dépit de l’arrêté par lequel le maire avait délégué à son premier adjoint ses compétences en matière d’urbanisme, seul le conseil municipal avait compétence pour désigner un autre de ses membres pour ester en justice en son nom, sans rechercher si les intérêts du maire se trouvaient, dans le présent litige, en opposition avec ceux de la commune.

De l’utilisation, dans la passation d’un marché public portant sur des prestations intellectuelles, d’un sous-critère d’analyse des offres lié à l’expérience et la qualification des soumissionnaires

Par un arrêt en date du 17 janvier 2020, le Cour administrative d’appel de Paris a précisé la latitude dont bénéficie l’acheteur public dans le choix d’un sous-critère technique de jugement des offres présentées dans le cadre la passation d’un marché de maîtrise d’œuvre.

S’agissant du contexte, rappelons que le 18 avril 2016, l’établissement public d’aménagement universitaire de la région Ile-de-France (EPAURIF) a publié au bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP) un avis d’appel public à concurrence pour la passation, en procédure adaptée, d’un marché de maîtrise d’œuvre en vue de l’aménagement d’une halte-garderie dans le campus de l’Université Jussieu à Paris. Une société a été retenue à l’issue d’une consultation particulièrement rapide – puisque le délai de remise des offres était de quatorze jours –, et le marché a été signé le 31 mai 2016.

Cependant, la société Azoulay – membre d’un groupement conjoint dont la candidature a été rejetée –, a saisi le Tribunal administratif de Paris d’un recours de pleine juridiction tendant notamment à l’annulation du marché ainsi qu’à l’indemnisation du préjudice qu’elle considérait avoir subi en raison du rejet irrégulier de son offre. Par un jugement du 26 janvier 2018, le Tribunal administratif de Paris a condamné l’EPAURIF à indemniser la société requérante des frais exposés pour présenter son offre (le délai de remise des offres, 14 jours dont 10 jours ouvrés, ayant été insuffisant pour assurer une mise en concurrence effective) mais a écarté les conclusions relatives à l’annulation du marché.

La société Azoulay a alors interjeté appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Paris. Un des moyens développés par cette société devant la Cour tendait à contester la solution, adoptée par le Tribunal administratif de Paris, selon laquelle le recours à un sous-critère technique lié à « l’expérience, la qualification et la qualité du responsable de projet et des personnes affectées à l’exécution de la mission » était justifié. Plus précisément, cette société a soutenu que ce sous-critère relevait de l’analyse des candidatures et non de l’analyse des offres, qu’il avait eu pour effet de discriminer les jeunes candidats ou ceux ayant des personnels plus jeunes et qu’il avait été irrégulièrement affecté de la même pondération que celui du prix.

La requête de la société Azoulay a toutefois été rejetée dans sa totalité par la Cour administrative d’appel de Paris. S’agissant du moyen précité, la Cour a considéré que « ce sous-critère de la valeur technique de l’offre, examinée sous l’angle de l’expérience, de la qualification et la qualité des personnes effectivement affectées à la mission de maîtrise d’œuvre, était objectivement justifié par l’objet du marché de prestations intellectuelles et n’était pas redondant avec l’analyse des candidatures, limitée aux capacités techniques et professionnelles générales du candidat ».

La Cour a également considéré que si la société « soutient également que ce sous-critère était discriminatoire en ce qu’il aurait désavantagé les jeunes candidats ou les équipes plus jeunes, cette branche du moyen ne peut qu’être écartée dès lors qu’aucune corrélation entre l’âge des professionnels et l’adéquation des équipes à la mission envisagée ne saurait être regardée comme établie ». En outre, la Cour a eu l’occasion de relever que « la circonstance que ce sous-critère ait été affecté de la même pondération que celle du prix relève du libre choix du pouvoir adjudicateur ».

Il résulte de cette décision que, pour la passation d’un marché portant sur des prestations intellectuelles, les documents de la consultation peuvent prévoir un critère ou un sous-critère technique de l’offre relatif à l’expérience et à la qualification du responsable du projet et des personnels. En effet, alors que l’analyse des candidatures ne permet que de s’assurer des capacités techniques et professionnelles générales d’un candidat, un tel critère permet une analyse plus concrète de l’offre.

Diffamation publique d’un élu contre un agent de la collectivité

Les propos « cet homme est ivre, vous le sortez » tenus par un conseiller municipal à l’adresse d’un policier municipal lors d’un conseil municipal sont diffamatoires.

En raison de propos tenus lors de la séance publique d’un conseil municipal à l’encontre d’un policier municipal, un conseiller municipal a été cité devant le Tribunal correctionnel de Draguignan du chef de diffamation publique envers un particulier. Le conseiller municipal poursuivi avait déclaré : « Cet homme est ivre, vous le sortez » tandis que le policier municipal assistait à la réunion en raison de l’inscription à l’ordre du jour d’une question sur laquelle il était en conflit avec la commune.

La Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance en ce qu’il avait déclaré le prévenu coupable. La Cour de cassation, saisie par ce dernier, a rejeté le pourvoi.

Pour mémoire, en matière de presse, il revient à l’auteur d’imputations diffamatoires qui entend se prévaloir de sa bonne foi d’établir les circonstances particulières qui tendent à démontrer l’exception de bonne foi. Celle-ci ne saurait être légalement admise par les juges qu’autant qu’ils analysent les pièces produites par le prévenu et s’assurent de la réunion des quatre critères cumulatifs suivants :

  • La recherche d’un but légitime dans les propos tenus ;
  • L’absence d’animosité personnelle ;
  • La prudence dans l’expression ;
  • L’existence d’une enquête préalable sérieuse ou la production d’une « base factuelle suffisante ».

C’est en ce sens que la chambre criminelle de la Cour de cassation se prononçait dans l’arrêt du 10 décembre 2019 en considérant que le conseiller municipal ne justifiait pas de la réunion des quatre critères cumulatifs :

« Attendu que, pour refuser au prévenu le bénéfice de la bonne foi et le déclarer coupable de l’infraction de diffamation, l’arrêt retient qu’aucun élément tiré de l’enregistrement audio-visuel de la séance du conseil municipal ne vient confirmer que [le policier municipal] ait eu le comportement d’un homme pris de boisson ni même d’un perturbateur, que [le conseiller municipal] ne poursuivait aucun but légitime dès lors que la seule présence [du policier] ne troublait pas la séance et que, quelle que soit la teneur des attestations qu’il produit et qui interviennent à postériori, il n’avait aucune raison de penser que celui-ci était ivre ; qu’il ajoute qu’il ne saurait invoquer l’absence d’animosité personnelle puisque plusieurs recours avaient été initiés par [le conseiller municipal] à l’encontre de la commune sur un sujet que le maire était en train d’aborder et qu’il a manqué de prudence dans ses propos dénués de toute nuance ; qu’il conclut qu’il semble qu’il ait ainsi voulu priver [le policier] de toute intervention sur un dossier qui l’opposait à la mairie » ; et d’ajouter « qu’aucun des quatre critères de la bonne foi n’était satisfait ».

La Cour de cassation vient par ailleurs considérer qu’imputer publiquement un état d’ivresse à une personne peut consommer le délit de diffamation publique. La Haute Juridiction avait déjà jugé qu’imputer « un goût immodéré pour l’alcool »[1] portait nécessairement atteinte à l’honneur et à la considération de la personne visée.

[1] Cass. Crim., 25 févr. 2014, n° 13-80.826