Protection de la biodiversité: le Conseil d’état précise sa jurisprudence sur la notion de raison impérative d’intérêt public majeur et confirme l’absence de juridicité des ZNIEFF

CE, 3 juin 2020, Commune de Piana, n° 422182

 

Par deux décisions en date du 3 juin 2020[1], le Conseil d’Etat est venu, tout à la fois, étoffer sa jurisprudence sur la notion de « raison impérative d’intérêt public majeur », l’un des motifs qui permet le jeu des dispositions dérogatoires au principe de protection des espèces protégées et d’interdiction de toute destruction desdites espèces ou de leurs habitats (article L. 411-1 du Code de l’environnement) et apporter des précisions supplémentaires sur ces outils de connaissance de la biodiversité que constituent les inventaires ZNIEFF (Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) réalisés sous l’égide du ministère de l’environnement et du Muséum national d’histoire naturelle.

 

I – Sur la notion de raison impérative d’intérêt public majeur et l’apport de la décision Société Provençale

 

En admettant, pour la première fois, que l’exploitation d’une carrière puisse répondre à une « raison impérative d’intérêt public majeur », le Conseil d’Etat semble élargir la catégorie des projets pouvant prétendre à une éventuelle dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.

Toutefois, il est délicat, à partir de cette décision, d’anticiper un éventuel assouplissement de la juridiction administrative sur les motifs énumérés à l’article L. 411-2 du Code de l’environnement permettant de justifier d’une autorisation de dérogation, tant le Conseil d’Etat a pris soin de sérier, en l’espèce, l’enjeu européen attaché à ce projet de réouverture d’une carrière de marbre blanc dans les Pyrénées-Orientales.

En la matière, la police de protection des espèces et des habitats menacés repose sur une interdiction de principe énoncée à l’article L. 411-1 du Code de l’environnement, laquelle prohibe toute destruction d’espèces protégées et de leurs habitats, ainsi que tout acte de perturbation du cycle de vie de ces espèces.

Cette disposition générale d’interdiction fait l’objet de tempéraments précisément énoncés à l’article L. 411-2 du même Code puisque des autorisations portant dérogation à l’interdiction de destruction peuvent être accordées sous réserve de la réunion de trois conditions, tout à la fois distinctes et cumulatives :

  • le projet ne peut être autorisé qu’en l’absence de solution alternative satisfaisante ;
  • le projet ne doit pas nuire au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
  • le projet doit justifier d’un des cas dans lesquels une dérogation peut être octroyée.

Et au titre du c) du 4° de l’article L. 411-2, un projet peut ainsi prétendre à la délivrance d’une dérogation à la condition de démontrer qu’il relève d’une raison impérative d’intérêt public majeur, tenant à l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques mais également à une raison impérative de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques pour l’environnement.

La notion de raison impérieuse d’intérêt général n’est définie ni par les textes, communautaires comme nationaux, ni par les juges même si la Cour de justice de l’Union Européenne en a dressé, par sa jurisprudence, quelques lignes de force en jugeant qu’un intérêt ne peut être majeur que lorsqu’il est « d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune, y compris de l’avifaune, et de la flore sauvages poursuivi par cette directive »[2].

Le Conseil d’Etat, par des décisions commentées, en avaient également fixé le cadre d’analyse applicable[3] et l’approche adoptée ici s’inscrit dans cette ligne jurisprudentielle.

Dans un premier temps de son raisonnement, la Haute Juridiction procède à une mise en balance entre l’intérêt du projet en litige et l’objectif de protection poursuivi :

« 9. Il résulte du point précédent que l’intérêt de nature à justifier, au sens du c) du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, la réalisation d’un projet doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation, justifiant ainsi qu’il y soit dérogé. Ce n’est qu’en présence d’un tel intérêt que les atteintes portées par le projet en cause aux espèces protégées sont prises en considération, en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, afin de vérifier s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et si la dérogation demandée ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ».

Ce n’est qu’après la caractérisation de l’existence d’un intérêt public majeur que le juge vérifie également la réunion des autres conditions posées par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, à savoir l’absence d’alternative satisfaisante et l’absence de nuisance au maintien des espèces dans un état de conservation favorable.

Le second temps du raisonnement est plus intéressant et c’est sur l’appréciation faite, en l’espèce, de la raison impérative d’intérêt public majeur que la décision rendue retient l’attention en désavouant à la fois l’analyse faite par les juges du fond et en s’écartant des conclusions de son rapporteur public.

Tout en validant la méthode d’appréciation retenue par la Cour administrative d’appel de Marseille, le Conseil d’Etat n’en a pas moins fait une lecture très différente relativement à l’importance de projet de réouverture de la carrière.

Alors que les juges d’appel avaient retenu, suivis en cette appréciation par le rapporteur public, que le projet de réouverture de la carrière ne justifiait pas d’un caractère exceptionnel en dépit des besoins éventuellement à satisfaire au niveau européen :

« Afin de justifier l’intérêt public majeur du projet, le ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer fait valoir que l’exploitation de la carrière de Nau‑Bouques devrait permettre le maintien de plus de quatre‑vingt emplois directs dans un département dont le taux de chômage, d’environ 15 %, est supérieur à la moyenne nationale de 10,4 % ainsi que la création d’emplois indirects, notamment dus à la sous‑traitance et l’activité économique générée dans le département des Pyrénées‑Orientales par l’exploitation de la carrière. Il fait également valoir que ce projet s’inscrit dans les principales préoccupations des politiques économiques menées à l’échelle de l’Union Européenne qui visent à favoriser l’approvisionnement durable de secteurs d’industrie en matières premières en provenance de sources européennes. Au regard de ces considérations économiques et sociales, l’exploitation de la carrière de Nau Bouques présente un caractère d’intérêt général incontestable. Néanmoins, les créations d’emplois envisagées dans ce contexte de difficulté économique au niveau départemental et les besoins industriels à satisfaire en marbre blanc à partir de ce gisement à une échelle nationale voir même européenne comme il est prétendu mais dont les pièces du dossier ne démontrent pas le caractère indispensable, ne présentent pas un caractère exceptionnel ».[4]

 

En première instance, le Tribunal administratif de Montpellier avait estimé, au regard des pièces produites, que l’intérêt économique d’une réouverture ne constituait pas, eu égard à la portée très locale des intérêts économiques en cause, une raison impérative d’intérêt public majeur :

« Considérant, d’autre part, que l’arrêté contesté est fondé sur le motif que l’exploitation de la carrière Nau Bouques à Vingrau et Tautavel présente des raisons impératives d’intérêt public majeur, de nature économique et sociale, grâce à l’activité économique qu’elle génère, mobilisant plus de 80 emplois directs dans le département ; qu’en défense la préfète des Pyrénées-Orientales et la société Provençale SA font en outre valoir l’importance du taux de chômage dans le département, ainsi que l’importance des répercussions en terme de richesses et d’emplois indirects de l’activité de la société ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’importante activité dans les Pyrénées-Orientales de la société Provençale SA, qui exploite des carrières et des usines de transformation sur deux autres sites en France et un dans le sud de l’Espagne, présente, sur les  plans économique et social, un intérêt général incontestable ; que toutefois, en admettant même que l’exploitation envisagée de la carrière de Nau Bouques, pour un  volume annuel de 145 000 tonnes, serait indispensable à la pérennisation des 87 emplois directs de la société sur le site et des emplois indirects invoqués, le seul projet de création d’une carrière par cette société, nonobstant son intérêt économique, ne saurait, par ses caractéristiques et sa nature, eu égard notamment à la portée très locale de l’intérêt économique avancé, être regardé comme constituant une raison impérative  d’intérêt public majeur au sens des dispositions analysées ci-dessus ; que la circonstance que le projet d’exploitation serait conforme aux dispositions du schéma départemental des carrières ne permet pas davantage d’assurer le respect de cette condition ; que le motif retenu, relatif à la raison impérative d’intérêt public majeur, ne pouvait donc légalement fonder la décision contestée ».[5]

 

Le Conseil d’Etat a contrairement jugé, sur la base toutefois d’une argumentation du ministère qui s’était enrichie au fil des instances, que l’intérêt public majeur du projet était démontré par le caractère européen du projet, l’absence d’autre gisement de marbre blanc disponible en Europe et la contribution à l’émergence d’une filière industrielle française :

« 9. […] Cependant, outre le fait que, comme l’a relevé la cour, l’exploitation de la carrière de Nau‑Bouques devrait permettre la création de plus de quatre‑vingts emplois directs dans un département dont le taux de chômage dépasse de près de 50 % la moyenne nationale, il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le projet de réouverture de la carrière de Nau Bouques s’inscrit dans le cadre des politiques économiques menées à l’échelle de l’Union Européenne qui visent à favoriser l’approvisionnement durable de secteurs d’industrie en matières premières en provenance de sources européennes, qu’il n’existe pas en Europe un autre gisement disponible de marbre blanc de qualité comparable et en quantité suffisante que celui de la carrière de Nau Bouques pour répondre à la demande industrielle et que ce projet contribue à l’existence d’une filière française de transformation du carbonate de calcium. Par suite, eu égard à la nature du projet et aux intérêts économiques et sociaux qu’il présente, la cour a commis une erreur de qualification juridique en estimant qu’il ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur au sens du c) du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ».

 

Sur la caractérisation de la raison impérative d’intérêt majeur et de l’importance d’un projet pour un territoire ou un Etat en termes d’emploi ou de répercussions économiques, la décision s’inscrit dans des précédents européens et notamment ceux cités par le rapporteur public sous la décision, lesquels ont permis de caractériser un tel intérêt public majeur dans la poursuite d’un projet européen stratégique[6], dans la mise en œuvre d’un plan-cadre visant à éviter la fermeture de charbonnage et la perte de 10 000 emplois[7] ou encore dans le développement d’axes de transport majeurs à l’échelle des territoires[8].

En présence d’intérêts stratégiques en termes d’industrialisation, de contribution à l’émergence d’une filière industrielle nationale ou européenne, il apparaît, par principe, que de tels enjeux sont susceptibles de caractériser une raison impérative d’intérêt public majeur.

A la lecture des conclusions, on peut s’interroger sur la caractérisation de ce motif de dérogation pour une carrière dont la réouverture ne permettait pas forcément d’identifier un effet économique majeur en termes de créations d’emploi sur le territoire local concerné (et dont quelques doutes avaient été exprimés sur la quantification exacte), et dont la spécificité industrielle n’était visiblement pas apparue très manifeste aux juges du fond et au rapporteur public en cette affaire.

La raison impérative reconnue ne suffit cependant pas pour que la dérogation puisse être validée par le juge, la Cour administrative d’appel de Marseille sera appelée à se prononcer sur l’ensemble des conditions permettant de déroger à la protection des 28 espèces de faune et de flore identifiées sur le site à exploiter.

 

II – Sur l’absence d’effet juridique d’une décision portant délimitation d’un périmètre de ZNIEFF

 

Dans cette seconde espèce, se posait la question de savoir si le refus de l’autorité administrative de modifier le périmètre d’une ZNIEFF constituait ou pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

La question juridique du pourvoi n’est pas anodine puisqu’elle avait donné lieu à des réponses contradictoires du Tribunal administratif de Bastia et de la Cour administrative d’appel de Marseille.

En effet, devant le Tribunal administratif de Bastia, la commune de Piana avait sollicité l’annulation pour excès de pouvoir d’une décision du Préfet de la Corse-du-Sud qui avait rejeté sa demande tendant à ce que soit réduit le périmètre de la ZNIEFF du « Capo Rosso, côte rocheuse et îlots », ainsi que la décision implicite de rejet opposée par le ministre de l’environnement.

La commune estimait qu’une surface d’environ treize hectares ne présentait pas de caractéristiques écologiques justifiant que ces espaces soient inclus dans cette ZNIEFF.

On rappellera que les ZNIEFF sont nées en 1982 de la volonté du ministère de l’environnement de recenser au sein d’un programme national le patrimoine naturel.

Instrument de travail collaboratif entre le ministère et le Muséum national d’histoire naturelle, la ZNIEFF ne trouve son assise législative qu’en 1993 avec l’article 23 de la loi du 8 janvier 1993 sur la protection et la mise en valeur des paysages puis avec la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité qui codifie l’Inventaire national du patrimoine naturel à l’article L. 411-5 du Code de l’environnement, aujourd’hui L. 411-1 A dudit Code.

L’objectif poursuivi par les inventaires ZNIEFF est de dresser une photographie de la biodiversité et des secteurs de grand intérêt écologique sur le territoire national en distinguant des espaces écologiquement homogènes constituant des zones remarquables du territoire (ZNIEFF de type I) et des espaces qui intègrent des ensembles naturels fonctionnels et paysagers (ZNIEFF de type II).

Les ZNIEFF sont ainsi des données brutes de la richesse écologique, collectées principalement au plus près des territoires par les personnes publiques et par les réseaux associatifs de protection de la nature. Ces données étant, par la suite, retraitées et corrélées par les services de l’Etat et les autorités scientifiques (conseil scientifique régional du patrimoine naturel et Muséum national d’histoire naturelle) pour validation.

Ce n’est qu’au terme de cette validation définitive par le MNHN (Muséum national d’histoire naturelle) que l’inscription d’un espace naturel en ZNIEFF se matérialise par une publication à l’inventaire des ZNIEFF sur le site de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN).

En l’espèce, et au sujet de la ZNIEFF de type I du Capo Rosso, la commune de Piana avait sollicité les services préfectoraux et obtenu, dans un premier temps, la réduction du périmètre de la zone naturelle avant que celle-ci ne retrouve sa configuration initiale sur le site de l’INPN et que le Préfet de la Corse-du-Sud confirme à la commune le rejet de sa demande.

Devant le Tribunal administratif de Bastia et par un jugement n° 1500511 du 9 février 2017, la commune avait obtenu satisfaction puisque les premiers juges saisis avaient considéré « qu’en application des dispositions combinées du code de l’urbanisme et du schéma d’aménagement de la Corse, la présence d’une ZNIEFF de type I emportait présomption du caractère remarquable des espaces demeurés naturels couvert par ladite zone ; qu’il résultait ainsi de ces dispositions que le classement de parcelles en ZNIEFF de type I comportait des effets au titre du droit de l’urbanisme pour les communes concernées » et de conclure que le refus de déclassement de certaines parcelles à l’intérieur de ce périmètre constituait un acte susceptible de recours.

Amenée à se positionner sur l’appel formé par le ministère de l’environnement, la Cour administrative d’appel de Marseille, dans un arrêt n° 17MA01513 du 11 mai 2018, annulait le jugement rendu par le tribunal administratif de Bastia et retenait l’absence d’effet juridique des ZNIEFF sur les territoires délimités et le caractère non décisoire et ainsi insusceptible de recours de la décision portant refus de procéder au déclassement sollicité.

« Il résulte des dispositions de l’article L. 411‑5 du code de l’environnement que les zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) constituent un outil d’inventaire scientifique du patrimoine naturel conduit sous la responsabilité scientifique du muséum national d’histoire naturelle. Cet inventaire comporte, notamment, des zones naturelles d’intérêt écologique, floristique et faunistique de type I, qui comprennent des secteurs de superficie généralement limitée, défini par la présence d’espèces, d’associations d’espèces ou de milieux rares, caractéristiques du patrimoine naturel national ou régional. Un tel inventaire, s’il est un élément d’expertise qui signale la présence d’habitats naturels et d’espèces remarquables ou protégées par la loi, n’emporte par lui‑même aucun effet juridique ni sur le territoire ainsi délimité, ni sur les activités humaines qui s’y exercent.

Si les auteurs du schéma d’aménagement de la Corse ont entendu instituer des mesures de protection des espaces naturels en s’inspirant des zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique délimitées par les services du ministère de l’environnement, ils ne se sont pas estimés liés par ces délimitations, dont ils se sont d’ailleurs écartés dans certains cas. Les ZNIEFF n’ayant ainsi servi que de simple référence, la modification du périmètre d’une de ces zones, postérieurement à l’approbation du schéma d’aménagement de la Corse, ne saurait avoir pour objet ou pour effet de modifier corrélativement, selon un régime que ni la loi ni le schéma lui‑même n’ont d’ailleurs prévu, les prescriptions de ce document de planification tel qu’il a été approuvé par décret en Conseil d’Etat. Il s’ensuit que le refus de modifier le périmètre de la ZNIEFF de « Capo Rosso » n’emporte par lui‑même aucun effet juridique. Ainsi, un tel refus ne constitue pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Il résulte de ce qui précède que la demande d’annulation dont la commune de Piana a saisi le tribunal était irrecevable. La ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat est, par suite, fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a fait droit à cette demande et à demander l’annulation du jugement attaqué ».

 

Par sa décision en date du 3 juin 2020, le Conseil d’Etat confirme la lecture faite par les juges d’appel par un considérant n° 3 lequel rappelle que :

« Les inventaires des richesses écologiques, faunistiques et floristiques réalisés par zone sous la responsabilité scientifique du Museum national d’histoire naturelle, sous l’appellation de zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), constituent un outil d’inventaire scientifique du patrimoine naturel permettant d’apprécier l’intérêt environnemental d’un secteur pour l’application de législations environnementales et urbanistiques mais sont, par eux-mêmes, dépourvus de portée juridique et d’effets. Par suite, si les données portées à l’inventaire que constitue une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique sont susceptibles d’être contestées à l’occasion du recours formé contre une décision prise au titre de ces législations, la constitution d’un inventaire en une zone n’est pas un acte faisant grief. Il en est de même, par voie de conséquence, du refus de modifier les ZNIEFF existantes. Par suite, la cour administrative d’appel de Marseille n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le refus de modifier les limites de la zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique « Capo Rosso, côte rocheuse et îlots » ne fait pas grief. Il en résulte que le pourvoi doit être rejeté ».

 

Cette solution n’est en soi pas nouvelle et elle est en cohérence avec la logique de l’article L. 411-1-A du Code de l’environnement lequel ne contient aucune disposition conférant une juridicité à l’outil ZNIEFF et le fait que cet outil institue un zonage ne suffit donc pas à conférer aux espaces ainsi délimités une quelconque protection juridique comme le mentionnait le rapporteur public dans ses conclusions sous cette affaire.

Outil de connaissance scientifique et non juridique, tel était déjà le sens de la jurisprudence du Conseil d’Etat lorsque la Haute juridiction ne voyait dans les ZNIEFF que des indices permettant d’identifier une Zone Spéciale de Conservation[9], un espace naturel remarquable au sens de la loi Littoral[10] mais non un outil à portée réglementaire[11].

Plus intéressante est l’argumentation de la commune qui faisait ainsi valoir que si la ZNIEFF n’avait pas d’effet juridique direct, une telle délimitation n’en produisait pas moins des effets notables, lesquels pouvaient se traduire de facto, sur un plan urbanistique, par des inconstructibilités.

Se posait ainsi la question de savoir si des orientations ou des prises de position d’autorités administratives, lorsqu’elles seraient de nature à produire des effets notables ou à exercer une influence sur les comportements, seraient susceptibles de recours pour excès de pouvoir[12].

Suivant en tous points les conclusions de son rapporteur public, le Conseil d’Etat a ici rappelé que la ZNIEFF constitue un outil de connaissance scientifique et non une prise de position d’une autorité administrative sur la nécessité d’une protection des espaces. Le juge administratif décorrèle ainsi la procédure d’identification de ces espaces de la question des procédures de protection de ces mêmes milieux.

Si les données qui alimentent ces zonages et l’existence d’une ZNIEFF sur des espaces peuvent être pris en compte pour l’élaboration d’autres actes qui peuvent être susceptibles de recours, cette « justiciabilité », pour reprendre les termes du rapporteur public, « ne se transmet pas, par capillarité, à l’acte de création ou de modification de la ZNIEFF  »[13].

Pour autant, la solution ainsi dégagée pour les ZNIEFF laisse entière la question de la portée juridique des autres inventaires naturels pouvant relever de différentes réglementations et pour lesquels le positionnement de la juridiction administrative pourrait être différent notamment pour les sites Natura 2000.

Gaëlle Paulic, Seban Atlantique

[1] Conseil d’Etat, 3 juin 2020, Ministre de la Transition écologique et solidaire- Société Provençale, n° 425395, 425399,425425 et Conseil d’Etat, 3 juin 2020, Commune de Piana, n° 422182

[2] CJUE, Grande Chambre, 29 juillet 2019, Inter-Environnement Wallonie ASBL, Affaire C-411/17

[3] A propos du projet de centre commercial Val Tolosa, voir CE,25 mai 2018, Société PCE et autre, n° 413267 et CE, 24 juillet 2019, Société PCE et autre, n° 414353

[4] CAA Marseille, 14 septembre 2018, Société Provençale SA, n° 16MA02625 et n° 16MA02626

[5] TA Montpellier, 3 mai 2016, Fédération pour les espaces naturels et l’environnement des Pyrénées-Orientales et M. C, n° 1502035

[6] Avis de la Commission Européenne du 19 avril 2000 sur l’extension d’un site de l’entreprise Daimler Chrysler Aerospace

[7] Avis de la Commission Européenne du 24 avril 2003 sur le plan-cadre d’exploitation du charbonnage Prosper Haniel pour la période 2001-2019

[8] Avis de la Commission Européenne du 19 novembre 2019 sur l’aménagement du Danube comme voie navigable entre Straubing et Vilshofen

[9] CE, 16 janvier 2008, Ministre d’Etat, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables c/ Association Manche Nature, n° 292489

[10] CE, 3 septembre 2009, Commune de Canet-en-Roussillon et Seran, n° 306298 et 306468

[11] CE, 22 mai 2012, Association de défense des propriétaires privés fonciers et autres et Association des habitants de Pibrac et des communes voisines pour la sauvegarde de l’environnement, n° 333654 et 334103

[12] En ce sens, voir CE, Ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta International GMBH et autres, n° 368082 et CE, CE, Ass., 19 juillet 2019, Mme Le Pen, n° 426389

[13] Conclusions de Monsieur Olivier Fuchs sous ladite décision

Le Conseil d’Etat interdit le dispositif de surveillance par drone à Paris

Les associations La Quadrature du Net et La Ligue des droits de l’Homme ont déposé un référé liberté le 2 mai 2020 devant le Tribunal administratif de Paris. Elles demandaient la suppression immédiate du dispositif mis en œuvre par la préfecture de police de Paris depuis le 18 mars 2020 visant à « capturer des images par drones puis à les exploiter afin de faire respecter les mesures de confinement ». Elles exigeaient également la destruction des images déjà captées sous astreinte de 1024 euros par jour de retard.

Elles soutenaient que « l’atteinte ainsi portée à ces libertés est grave car les drones permettent de surveiller de très larges zones, les données peuvent être partagées entre les divers services de l’Etat, les drones sont plus mobiles que les caméras fixes de vidéosurveillance et leur utilisation n’est pas réglementée comme celles-ci, enfin l’utilisation des drones hors de tout cadre juridique renforce le sentiment de surveillance généralisée ressenti par les personnes concernées qui sont susceptibles d’altérer leur comportement et notamment de se retreindre dans l’exercice de leur liberté d’aller et de venir ».

Le juge des référés a rejeté la requête des deux associations au motif que les images captées sont prises en utilisant un grand angle et qu’elles ne permettent pas l’indentification des individus. Le juge reconnait que les drones, lorsqu’ils sont utilisés dans un cadre judiciaire, pourraient permettre une telle identification mais en l’espèce, la preuve n’en a pas été rapportée par les deux associations.

Suite à l’appel des deux associations, et par une décision du 18 mai 2020, le Conseil d’Etat est venu interdire la surveillance par drones.

S’agissant de l’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées, le Conseil d’Etat indique :

« En premier lieu, la finalité poursuivie par le dispositif litigieux, qui est, en particulier dans les circonstances actuelles, nécessaire pour la sécurité publique, est légitime » ;

« En deuxième lieu, il est constant qu’un usage du dispositif de surveillance par drone effectué conformément à la doctrine d’emploi fixée par la note du 14 mai 2020 n’est pas de nature à porter, par lui-même, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées ».

 

Toutefois, le Conseil d’Etat va rappeler que la surveillance par drone relève de la directive police/justice et de la loi du 6 janvier 1978, correspond bien à une activité de traitement et que les données susceptibles d’être collectées sont des données à caractère personnel.

Comme le rappelle le Conseil d’Etat, l’article 31 de la loi de 1978 impose une autorisation par arrêté du ou des ministres compétents ou par décret, selon les cas, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Or, dans le cadre de la surveillance par drones, la CNIL n’avait pas été saisie.

Le Conseil d’Etat indique :

« Compte tenu des risques d’un usage contraire aux règles de protection des données personnelles qu’elle comporte, la mise en œuvre, pour le compte de l’Etat, de ce traitement de données à caractère personnel sans l’intervention préalable d’un texte réglementaire en autorisant la création et en fixant les modalités d’utilisation devant obligatoirement être respectées ainsi que les garanties dont il doit être entouré caractérise une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée ».

Aussi, la surveillance par drone est interdite tant que n’a pas été mis en œuvre :

  • soit un texte réglementaire, pris après avis de la CNIL, autorisant la création de ce traitement de données à caractère personnel ;
  • soit la transformation des appareils utilisés par la préfecture de police avec des dispositifs techniques de nature à rendre impossible, quels que puissent en être les usages retenus, l’identification des personnes filmées.

Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) – Un possible cumul des poursuites pénales et des sanctions en cas de gestion de fait

Par décision du 7 mai 2020, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité aux droits et libertés constitutionnels, de l’article L.131-11 du Code des juridictions financières (CJF) qui prévoit que « les comptables de fait peuvent, dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet pour les mêmes opérations des poursuites prévues à l’article 433-12 du code pénal, être condamnés à l’amende par la Cour des comptes en raison de leur immixtion dans les fonctions de comptable public ».

Ces dispositions n’excluent donc le prononcé d’une amende pour gestion de fait par le juge financier, que dans le cas où le comptable de fait est poursuivi pour les mêmes opérations sur le fondement de l’article 433-12 du Code pénal qui, pour mémoire, sanctionne l’immixtion dans l’exercice d’une fonction publique.

En l’espèce, le Président et le Directeur d’un Office de tourisme ont fait l’objet, d’une part, de poursuites pénales des chefs d’abus de confiance, d’abus de biens sociaux, de corruption passive et de concussion, et, d’autre part, d’une procédure pour gestion de fait devant la Chambre régionale des comptes (CRC).

Par arrêt du 14 novembre 2019, la Cour des comptes – saisi de l’appel du jugement de la CRC – a transmis au Conseil d’Etat deux questions prioritaires de constitutionnalité, portant sur la constitutionnalité de l’article L. 131-11 du Code des juridictions financières au regard des dispositions de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 relatif au principe de nécessité des délits et des peines.

Les requérants soutenaient que le cumul de poursuites devant le Tribunal correctionnel et devant la Chambre régionale des comptes, fondées sur les mêmes faits et protégeant, selon eux, les mêmes intérêts sociaux, était contraire au principe de nécessité des délits et des peines.

Le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas suivi cette position, rappelant que ce principe constitutionnel ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente, en application de règles distinctes, précisant que « la seule circonstance que plusieurs incriminations soient susceptibles de réprimer un même comportement ne peut caractériser une identité de faits que si ces derniers sont qualifiés de manière identique ».

Les infractions d’abus de confiance, de concussion ou encore de corruption – pour lesquels les requérants avaient notamment été poursuivis et condamnés par la juridiction pénale – ne réprimant pas, selon le Conseil constitutionnel, des faits identiques – même s’il s’agit d’un même comportement -, ils peuvent se cumuler avec l’amende prévue par le Code des juridictions financières, sans méconnaitre le principe de nécessité des délits et des peines.

COVID 19 – Validation par le Conseil constitutionnel des dispositions sur la responsabilité pénale des décideurs, issues de la loi sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire

Dans nos dernières colonnes, nous avions évoqué les discussions parlementaires dans le cadre de l’examen du projet de loi sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire.

Pour mémoire, les Sénateurs avaient proposé de limiter le champ d’application des dispositions relatives à l’engagement de la responsabilité pénale des décideurs publics – et privés – dans le cadre de la crise sanitaire, en ne sanctionnant que les comportements fautifs les plus graves, savoir les comportements intentionnels, les fautes de négligence ou d’imprudence commises dans l’exercice des pouvoirs de police administrative dans le cadre de la crise sanitaire, et les cas de violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence prévue par un texte à caractère législatif ou réglementaire.

Cette proposition n’avait pas été retenue par l’Assemblée nationale ; la Commission mixte paritaire était intervenue pour trancher cette divergence, par l’insertion d’une disposition L. 3136-2 dans le Code de la santé publique qui précise :

« L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».

Dans le cadre de l’examen de constitutionnalité de cette loi à l’initiative notamment de l’exécutif et du Président du Sénat, le Conseil constitutionnel devait analyser la conformité de cette disposition au principe constitutionnel d’égalité devant la loi pénale, certains requérants estimant que les dispositions susvisées méconnaîtraient ce principe « dès lors qu’elles pourraient avoir pour effet d’exonérer certains « décideurs » de toute responsabilité pénale » et seraient entachées d’incompétence négative « dans la mesure où elles seraient imprécises quant aux faits auxquels elles sont susceptibles de s’appliquer et quant à la nature des moyens à la disposition de l’auteur des faits devant être pris en compte pour apprécier sa responsabilité ».

Dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de la loi, le Conseil constitutionnel a, par décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, validé les dispositions susvisées applicables en cas de catastrophe sanitaire, considérant à juste titre qu’elles « ne diffèrent pas de celles de droit commun et s’appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire. Dès lors, elles ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi pénale. Elles ne sont pas non plus entachées d’incompétence négative. Dans la mesure où elles ne contreviennent à aucune autre exigence constitutionnelle, elles sont donc conformes à la Constitution ».

La CNIL rend son avis sur les conditions de mise en œuvre de l’application « StopCovid »

Décret n° 2020-650 du 29 mai 2020 relatif au traitement de données dénommé « StopCovid »

 

La CNIL (Commission nationale informatique et liberté) s’est prononcée le 25 mai 2020 sur un projet de décret relatif à l’application mobile « StopCovid », disponible sur smartphones et mise en œuvre par le Gouvernement afin d’alerter les utilisateurs d’un risque de contamination au virus.

Dans un avis du 24 avril 2020 (commenté dans une précédente LAJ), la CNIL s’était prononcée sur le principe de la mise en œuvre d’une telle application et avait formulé certaines recommandations. Dans l’avis du 25 mai, la CNIL se prononce sur des dispositions précisées ou modifiées et sur la concrète mise en œuvre de ce dispositif prévu par le projet de décret, accompagné de l’analyse d’impact sur la protection des données.

Pour rappel, cette application vise à informer les personnes qui ont consenti à son utilisation, qu’elles ont été à proximité de personnes diagnostiquées positives au Covid-19 et utilisant la même application, cette proximité induisant un risque de contamination.

La CNIL a été saisie en urgence le 15 mai 2020 par le ministre des solidarités et de la santé, d’une demande d’avis concernant un projet de décret relatif à l’application « StopCovid » et la conformité du traitement des données au règlement (UE) 2016/679 du 15 avril 2016 (RGPD) et à la loi « Informatique et Libertés ».

Dans un premier temps, la Commission rappelle que le dispositif doit être nécessaire et proportionné et que face à la situation exceptionnelle, cette application tend à répondre aux actions menées par le Gouvernement pour lutter contre l’épidémie. Elle relève également que le fait d’instaurer un tel dispositif, qui enregistre de manière automatique les cas contacts de ses utilisateurs constitue une atteinte à la vie privée qui n’est admissible que dans certaines conditions.

La CNIL relève également qu’aucune liste de contacts contaminés ne sera créée, mais simplement une liste de contacts avec des données pseudonymisées. Cette disposition vise à protéger les données dès la conception de l’application et avant toute utilisation.

Concernant les recommandations émises de la part de la CNIL dans son précédent avis, il semblerait que le Gouvernement les ait en partie suivies. La responsabilité du traitement est confiée au Ministre chargé de la politique sanitaire. Aucune sanction ne peut être infligée à une personne qui ne souhaite installer l’application. Enfin, concernant la durée de mise en œuvre du dispositif, celle-ci sera conditionnée par les résultats obtenus lors d’évaluations régulières.

Globalement, la CNIL estime que l’application peut être déployée dans la mesure où elle intervient comme un complément au dispositif d’enquêtes sanitaires manuelles et que les alertes sont émises plus rapidement en cas de contact avec n’importe quelle personne contaminée.

La CNIL relève cependant que l’utilité du dispositif n’est pas réellement démontrée et que celle-ci doit être plus profondément étudiée.

En revanche, la CNIL émet plusieurs recommandations.

Elle relève d’une part, que les utilisateurs ne sont pas suffisamment informés des conditions d’utilisation de l’application et des modalités d’effacement des données personnelles et d’autre part, qu’il est nécessaire de délivrer une information spécifique en fonction des populations, notamment des mineurs et des parents de mineurs.

Concernant le droit d’opposition et d’effacement des données pseudonymisées, le décret devait préciser les modalités d’exercice des droits reconnus par le RGPD.

Enfin, la CNIL semble favorable à ce que l’intégralité du code source de l’application mobile et du serveur soit accessible.

C’est par un décret n° 2020-650 du 29 mai 2020, entré en vigueur le 30 mai 2020, que le gouvernement a décidé de la mise en œuvre de l’application. Ce décret détermine les finalités du traitement de données à caractère personnel mis en œuvre, les catégories de données enregistrées, les destinataires de ces données, la durée de leur conservation, les modalités d’exercice des droits des personnes concernées. Cette application est téléchargeable à compter du 2 juin 2020.

Le juge des référés enjoint à la commune de Bobigny de définir les modalités d’accueil des élèves dans les grandes sections de maternelles

Le Tribunal administratif de Montreuil a été saisi d’une requête en référé liberté (article L. 521-2 du Code de justice administrative) d’une demande d’injonction à la commune de Bobigny d’ouvrir les grandes sections des écoles maternelles. Le parent d’élève et élue d’opposition soutient que cette décision aggrave les inégalités sociales dans la mesure où certains établissement tels que les écoles rouvrent mais que les classes de maternelles restent fermées.

Par un arrêté du 15 mai 2020 pris sur le fondement de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, le maire de Bobigny a décidé de maintenir la fermeture des écoles maternelles et des crèches jusqu’à la fin de l’année scolaire 2019-2020. En effet, ces établissements devaient demeurer fermés jusqu’en septembre, à l’exception des classes déjà rouvertes et accueillant les enfants des personnes prioritaires au titre de la gestion de la crise sanitaire.

En outre, le ministre de l’Education nationale avait annoncé la réouverture de certaines écoles après le confinement mais avait indiqué que les élèves de grande section, CP et CM2 seraient prioritaires, notamment car l’accueil reste limité et que ces niveaux correspondent à des paliers et classes charnières dans la scolarité des enfants.

Le maire rappelle tout d’abord le caractère pathogène et contagieux du virus, responsable de la maladie covid-19, de sa propagation et de l’absence de traitement.

Le maire précise ensuite qu’il entend garantir la santé et la sécurité des administrés et qu’à ce titre, il considère qu’il est impossible de respecter les règles de distanciation physique pour des enfants âgés de 0 à 6 ans alors que la circulaire du ministre de l’éducation nationale conditionne la réouverture des écoles à la mise en œuvre d’un protocole sanitaire, qui tend à imposer la distanciation entre les individus.

Les pouvoirs du maire sont encadrés par le Code général des collectivités territoriales (article L. 2212-2) et par la jurisprudence. Il doit contribuer à la bonne application sur son territoire des mesures sanitaires décidées par l’Etat.

Partant, il est prévu que le maire ne peut prendre de dispositions différentes de celles prises par l’Etat pour lutter contre l’épidémie sauf si des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rende l’édiction indispensable et à la condition de ne pas compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat.

Dans le cas d’espèce, le juge des référés a estimé au vu des moyens soulevés et arguments apportés, que la décision du maire de ne pas autoriser l’accueil des enfants de grande section de maternelle, ne remplissait pas les conditions imposées.

D’une part, le juge considère que la commune n’invoquait pas de circonstance sanitaire particulière à son territoire et se contentait simplement de relever qu’elle fait partie des communes du département classée en « zone rouge » alors que le décret du 11 mai 2020 ne prévoit pas d’exception à ce titre.

D’autre part, le juge considère que la ville n’apporte aucun élément concret suffisamment précis pour établir l’existence d’une raison impérieuse particulière à la commune et rejette donc les arguments selon lesquels la commune ne peut respecter le protocole sanitaire et qu’elle ne dispose pas du personnel nécessaire.

C’est sur l’ensemble de ces fondements que le juge des référés-libertés a donné jusqu’au 3 juin 2020 à la commune de Bobigny, un délai pour définir les modalités d’accueil dans les grandes sections de ses écoles maternelles. En revanche, le juge ne contraint pas la commune à rouvrir les écoles.

Il convient enfin de relever le silence de la part des diverses institutions étatiques que sont le ministère de l’éducation nationale, la préfecture de la Seine-Saint-Denis et le rectorat de Créteil, parties dans cette instance, qui n’ont pas produit de mémoires en défense.

Notons que, dans une espèce encore plus récente, le même tribunal a au contraire rejeté un nouveau référé liberté dirigé contre la ville de Saint-Denis, qui n’avait pas rouvert une école maternelle. Cependant, la ville avait rouvert 8 autres écoles maternelles, soit une par quartier, dont les capacités d’accueil étaient loin d’être atteintes dans les faits.

La restitution des lieux est caractérisée par la remise des clés au bailleur

Un couple de bailleurs consent une promesse de vente à son locataire, une SCI, que cette dernière accepte.

Toutefois, lors de la vente est révélée l’existence d’une hypothèque légale, que les vendeurs refusent de purger.

Un contentieux naît donc entre les parties, les vendeurs assignant la SCI en réalisation de la vente et sollicitant notamment le paiement d’une indemnité d’occupation depuis l’arrivée à échéance du bail.

La Cour d’appel rejette leur demande sur ce point au motif que la SCI n’occupait plus matériellement les lieux.

La Cour de cassation est saisie d’un pourvoi des bailleurs qui invoquent une violation par la Cour d’appel de l’article 1737 du Code civil selon lequel « le bail cesse de plein droit à l’expiration du terme fixé, lorsqu’il a été fait par écrit, sans qu’il soit nécessaire de donner congé ».

La 3ème chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt en considérant que la Cour d’appel a violé l’article susvisé en actant de la libération des lieux par la résiliation des contrats de fourniture d’énergie, sans constater la remise des clés au bailleur en personne ou à son mandataire dûment habilité à les recevoir.

La Cour de cassation rappelle à l’occasion de cet arrêt que la libération des lieux ne peut s’entendre que par la remise des clés au bailleur ou à son mandataire, dont le preneur a la charge, quand bien même les lieux seraient vides de toute occupation et de tout objet.

Aides économiques : que peuvent faire les acteurs publics locaux pour soutenir les entreprises de proximité ?

À l’heure où la vie économique reprend progressivement, bon nombre d’acteurs publics ou parapublics s’interrogent sur les leviers qu’ils peuvent activer pour soutenir les commerçants et autres entreprises de proximité implantés sur leur territoire. L’objectif est clair : il s’agit de pouvoir apporter un soutien financier immédiat aux acteurs les plus fragilisés par la crise, afin que ne disparaissent pas ceux qui animaient jusque-là la vie locale.

Au niveau national, l’Etat a fait une partie du chemin avec notamment la création, par ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, ou encore l’octroi de prêts garantis par l’Etat.

La plupart des régions ont mis en place des dispositifs d’aides complémentaires à l’échelon régional. À leur niveau, le champ des possibles est en effet assez large – sous réserve évidemment du respect du droit européen des aides d’Etat et du principe d’égalité –, les régions ayant, par principe, et sauf dispositions législatives particulières, seules une compétence pour définir les régimes d’aides et pour décider de l’octroi des aides aux entreprises de la région.

C’est au niveau infra-régional que le sujet se complique : les possibilités d’intervention des départements, des communes et des établissements publics locaux sont très limitées, parce que les aides économiques ne relèvent pas – ou si peu – de leur office (I.). Certes, les textes adoptés spécifiquement pour faire face à la crise sanitaire ouvrent quelques perspectives nouvelles, mais qui ne permettent pas la mise en place de réels dispositifs de soutien de proximité (II.).

 

I – Les possibilités d’intervention extrêmement limitées des départements, des communes et des établissements publics locaux en matière d’aides économiques

 

On le disait, l’état du droit est clair : la région est, par principe, seule compétente pour mettre en place des régimes d’aides au profit des entreprises. Et elle est également seule compétente pour accorder des aides aux entreprises en difficulté. Les communes et leurs groupements peuvent uniquement participer au financement des aides et à la mise en œuvre des régimes d’aides mis en place par la région, et ce dans le cadre d’une convention passée avec elle (article L. 1511-2 du Code général des collectivités territoriales).

Il est vrai que les communes, les groupements de communes et les départements peuvent eux-mêmes verser des aides aux entreprises dans certains des cas spécifiques, expressément prévus par le Code général des collectivités territoriales. La plupart d’entre eux n’apparaissent toutefois absolument pas de nature à permettre d’apporter des aides en réaction à la crise. Restent les aides à l’immobilier d’entreprise (article L. 1511-3 du Code général des collectivités territoriales), dont certains pensent qu’elles peuvent être sollicitées par les communes et leurs groupements pour soutenir des acteurs locaux affectés par la crise sanitaire. Ces aides ont toutefois « pour objet la création ou l’extension d’activités économiques », si bien qu’on peut douter de la légalité d’une aide versée sur ce fondement pour soutenir des entreprises fragilisées par la crise.

Il est vrai aussi que les collectivités territoriales disposent de compétences propres, dans le cadre desquelles elles pourraient au premier regard s’inscrire pour justifier les subventions qu’elles souhaiteraient verser à des entreprises en souffrance. Et certaines collectivités ont d’ailleurs franchi le pas ces dernières semaines, en versant des aides à des entreprises locales sur le fondement de leur compétence en matière de développement économique par exemple, voire même – pour les communes – sur le fondement de leur clause de compétence générale. Mais de telles interventions suscitent un réel débat parce qu’il semble bien que les compétences propres dont disposent les collectivités territoriales ne les autorisent pas à déroger aux dispositions du Code général des collectivités territoriales, qui réservent à la région la possibilité d’octroyer des aides économiques. La Cour administrative d’appel de Nantes a eu l’occasion de le souligner assez récemment (CAA Nantes, 27 avril 2018, Union des métiers et des industries de l’hôtellerie des Côtes d’Armor, req. n° 16NT03165). Et c’est ce qui ressortait déjà de l’instruction du gouvernement du 3 novembre 2016 sur les conséquences de la nouvelle répartition des compétences en matière de développement économique sur les interventions des conseils départementaux. Et, de façon plus générale, c’est le sens des conclusions du Rapporteur public Vincent Daumas sur la décision du Conseil d‘État du 11 octobre 2017 Département des Yvelines et autres (req. n° 407347), qui portait précisément sur la légalité de cette instruction.

De notre point de vue, les règles de compétence applicables en matière d’aides économiques, telles que fixées par le Code général des collectivités territoriales, ne permettent donc ni aux communes, ni à leurs groupements, d’aider financièrement les commerçants impactés par la crise sanitaire de leur propre chef : ils ne peuvent légalement le faire que dans le cadre d’une convention conclue avec la Région. Et les départements n’ont, pour leur part, même pas cette possibilité.

 

II – La portée limitée des textes adoptés spécifiquement pour faire face à la crise sanitaire

 

Les textes adoptés spécifiquement pour faire face à la crise sanitaire ouvrent quelques perspectives nouvelles d’intervention : ils permettent aux collectivités d’aider des entreprises de façon un peu plus large qu’en temps normal, au travers de mesures spécifiques.

Cette « souplesse » est toutefois très relative, et ne permet sans doute pas la mise en place de réels dispositifs de soutien de proximité.

L’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation permet ainsi à toute collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de participer au financement de ce fonds de solidarité qui a pour objet de versement d’aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences de la crise sanitaire :

« Le fonds de solidarité est financé par l’État, et peut également l’être, sur une base volontaire, par les régions, les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et toute autre collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre.          

Le montant et les modalités de cette contribution sont définis dans le cadre d’une convention conclue entre l’État et chaque collectivité territoriale ou établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre volontaire ».

L’abondement de ce fonds par les collectivités permet assurément de témoigner de leur volonté de soutenir l’économie, mais il ne permet pas de « cibler » les entreprises et commerçants locaux.

L’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au Code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de covid-19, modifiée par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, dispose quant à elle, en son article 6, que :

« En cas de difficultés d’exécution du contrat, les dispositions suivantes s’appliquent, nonobstant toute stipulation contraire, à l’exception des stipulations qui se trouveraient être plus favorables au titulaire du contrat :

[…]

7° Lorsque le contrat emporte occupation du domaine public et que les conditions d’exploitation de l’activité de l’occupant sont dégradées dans des proportions manifestement excessives au regard de sa situation financière, le paiement des redevances dues pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public est suspendu pour une durée qui ne peut excéder la période mentionnée à l’article 1er [période courant du 12 mars 2020 à la fin de l’état d’urgence sanitaire augmentée d’une durée deux mois]. A l’issue de cette suspension, un avenant détermine, le cas échéant, les modifications du contrat apparues nécessaires ».

 

Le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de covid-19, indique que « cette disposition serait applicable […] aux pures conventions domaniales, qui sont des contrats publics par détermination de la loi (article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques) mais ne peuvent bénéficier ni des dispositions applicables aux marchés ou aux concessions ni de la théorie de l’imprévision qui, en l’état de la jurisprudence administrative, n’est susceptible d’être invoquée que dans le cadre de la prise en charge de missions de service public, de la gestion d’un service public ou de l’exécution de mesures prises dans un but d’intérêt général ».

Les collectivités peuvent ainsi alléger quelque peu les charges qui pèsent sur certains des commerçants : les commerçants installés dans des locaux relevant du domaine public et ceux qui occupent une partie de la voie publique (terrasse…) peuvent voir leurs redevances d’occupation du domaine public suspendues pour quelques mois. Et une exonération pure et simple, plutôt qu’un simple report, pourrait d’ailleurs peut-être se justifier, à tout le moins au profit de certains commerçants, compte tenu du peu d’« avantages de toutes natures » que l’occupation du domaine leur a procuré pendant la période de fermeture.

Tout porte par ailleurs à croire que les propriétaires publics et parapublics (bailleurs sociaux et pépinières notamment) pourraient exonérer de loyers pour quelques mois ceux des commerçants qui sont leurs locataires, mais qui occupent cette fois des locaux relevant de leur domaine privé.

Mais il reste que de telles mesures ne permettent pas de soutenir tous les commerçants et entreprises locaux fragilisés par la crise, mais seulement ses propres « locataires », et ne permettent donc pas la mise en place de réels dispositifs de soutien de proximité.

Par Maeva Guillerm

Suspension de travaux pour mauvaise appréciation de leurs impacts sur la qualité de l’air et méconnaissance du droit d’accès à l’information

Par une ordonnance de référé du 5 mai 2020, la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris a suspendu l’exécution d’un arrêté déclarant l’intérêt général de travaux d’aménagement d’un système d’échangeurs autoroutiers en raison notamment des impacts négatifs sur la qualité de l’air que ce projet pourrait avoir.   

La question de la compétence de la CAA de Paris a tout d’abord été soulevée. En effet, aux termes de l’article R. 311-2 5° du Code de justice administrative, cette juridiction est compétente en premier ressort pour connaitre des litiges relatifs aux aménagements et infrastructures nécessaires, même en partie, à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Or, en l’espèce, il ne ressortait pas de l’arrêté contesté que le projet en cause entretiendrait un lien avec cet évènement. La Cour livre toutefois une interprétation plus étendue de sa compétence et considère que, eu égard à son objet, à sa portée et à ses effets, l’arrêté contesté porte sur des opérations en lien avec les Jeux de 2024.  

Ensuite, la Cour se penche sur les conditions du référé-suspension et relève, d’une part, que la condition d’urgence est remplie dès lors que, sur le fondement de l’arrêté préfectoral attaqué, des travaux présentant « un caractère difficilement réversible » pourraient être engagés avant qu’elle ne puisse statuer sur la requête au fond. D’autre part, le juge retient que deux moyens sont de nature à faire naitre un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée. En effet, en application de l’article L. 122-1 III du Code de l’environnement, un projet constitué de plusieurs travaux doit être appréhendé dans son ensemble. Or, en l’espèce, la Cour considère que « la cohérence d’ensemble des différents projets d’aménagement en cours sur le territoire et les liens fonctionnels entre les opérations de travaux n’ont pas été pris en compte », et donc que le droit du public d’accéder à des informations suffisantes et pertinentes lors de la procédure de concertation a été méconnu. En outre, la Cour considère que les conséquences sanitaires négatives du projet d’échangeurs autoroutiers auraient été mal appréciées, s’agissant plus spécifiquement de l’impact de ce projet sur la dégradation de la qualité de l’air au niveau des sites sensibles.   

En conséquence, la Cour prononce la suspension de l’arrêté contesté. 

Règlementation des épandages de boues d’épuration durant la période de crise sanitaire liée au Covid-19

Le 5 mai 2020, un arrêté réglementant les épandages de boues d’épuration durant la période du covid-19 a été publié au Journal officiel. Les restrictions et mesures imposées par cet arrêté entrent en vigueur à compter de la date de publication de l’arrêté, sans qu’une date de fin ne soit cependant précisée, et visent les boues d’épuration et les boues « produites par des stations d’épuration d’installations classées pour la protection de l’environnement soumises à autorisation recevant des eaux résiduaires domestiques dans une proportion supérieure à 1 % » (article 1er).  
 

L’arrêté commenté pose des restrictions à l’épandage de ces boues en raison de la crise sanitaire liée au covid-19. En effet, le 27 mars 2020, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a rendu un avis sur les risques éventuels liés à l’épandage de boues d’épuration urbaines dans un contexte de leur contamination possible par le SARS-CoV-2, l’agent de la maladie covid-19. L’ANSES considère que la contamination par le SARS-CoV-2 serait faible à négligeable pour les boues ayant subi un traitement hygiénisant. Toutefois, l’agence estime que pour les « boues n’ayant pas subi de traitement considéré comme hygiénisant […] et produites à partir d’effluents collectés en situation épidémique, une contamination par le SARS-CoV-2 ne peut être exclue selon les données actuellement disponibles ». 

Ainsi, en application de l’arrêté commenté, seules les boues extraites avant le début d’exposition à risques pour le covid-19, ou celles extraites après si elles répondent à certains critères d’hygiénisation, peuvent être épandues sur les sols agricoles, en forêt ou à des fins de végétalisation ou de reconstitution de sols. La date d’exposition à risques est définie en Annexe de l’arrêté et varie selon les départements. En outre, les boues extraites après le début d’exposition à risques pour le covid-19 sont soumises à des mesures de surveillance complémentaires, tel qu’un enregistrement du suivi des températures, de la durée de compostage et du nombre de retournements. Le producteur de ces boues doit également tenir les résultats d’analyse garantissant le respect des critères d’hygiénisation à disposition du Préfet. 

Adoption du décret fixant les modalités de versement de la TGAP et les caractéristiques et usages de sa composante « matériaux d’extraction »

Le décret n° 2020-442 du 16 avril 2020 relatif aux composantes de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), publié au Journal officiel le 18 avril 2020, porte sur la composante de la TGAP relative aux matériaux d’extraction et en précise les produits et usages taxables. Ce décret indique également les modalités d’acquittement de l’acompte pour l’ensemble des composantes de la taxe, lesquelles sont énumérées à l’article 266 sexies du Code des douanes.  
 

S’agissant de la composante matériaux de la TGAP, l’article I 6. a) 266 sexies du Code des douanes dispose en effet que cette taxe est due par « Toute personne qui, pour les besoins de son activité économique, livre pour la première fois en France […] des matériaux d’extraction de toutes origines se présentant naturellement sous la forme de grains ou obtenus à partir de roches concassées ou fractionnées, dont la plus grande dimension est inférieure ou égale à 125 millimètres et dont les caractéristiques et usages sont fixés par décret ». Le décret commenté précise donc les caractéristiques et usages de ces matériaux ; il s’agit de certains sables naturels, cailloux, graviers et pierres concassées, granulés, éclats et poudre de diverses pierres devant être utilisés pour la fabrication de certaines couches d’assises et de surface ou pour la fabrication de béton, à l’exclusion de la fabrication du liant. Le décret indique que lorsque les matériaux feront l’objet d’un autre usage ou lorsque celui-ci n’est pas déterminé avec certitude au moment de la livraison ou que plusieurs usages sont envisagés, la condition d’usage n’est pas remplie et la taxe ne sera donc pas due.

Le destinataire de la livraison de ces matériaux doit fournir une attestation au vendeur dans laquelle il déclare s’il est ou non redevable de la TGAP.  

S’agissant du versement de l’acompte de la taxe, l’article II 266 undecies du Code des douanes dispose que « La taxe est acquittée, dans les conditions définies par voie réglementaire, au moyen d’acomptes dont le nombre ne peut excéder trois ainsi que, le cas échéant, d’une régularisation intervenant au plus tard lors de la déclaration prévue au I ». Le décret prévoit ainsi que, à compter du 1er janvier 2020, un seul acompte sera dû par les redevables de la taxe, dont les modalités de calcul du montant sont précisées à l’article 6 du décret. Son article 7 précise quant à lui les modalités de son versement. Les acomptes acquittés en 2019 devront être régularisés selon les règles prévues à l’article 11.  

 En outre, le décret indique que l’acompte qui devra être versé ne devra pas comprendre la composante huiles et préparations lubrifiantes, celle-ci ayant été supprimée par la loi économie circulaire.  

Dispositions réglementaires venant limiter les périodes de dépassement des normes de qualité de l’air prévues par les plans de protection de l’atmosphère

Le décret n° 2020-483 du 27 avril 2020 vise à ajuster les dispositions réglementaires applicables aux plans de protection de l’atmosphère, pour les rendre conformes à l’article 23 de la Directive 2008/50/CE du Parlement Européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe. Celui-ci prévoit que « les plans relatifs à la qualité de l’air prévoient des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible » [1].  

Le décret tire les conséquences de cet article et modifie les articles R. 222-14 et R. 222-16 du Code de l’environnement afin que les objectifs que des plans de protection de l’atmosphère se réalisent dans le temps le plus court possible.   

Ainsi, l’article R. 222-14 du Code de l’environnement prévoit que les plans de protection de l’atmosphère « recensent et définissent les actions prévues localement pour se conformer aux normes de la qualité de l’air dans le périmètre du plan », le décret du 27 avril venant préciser que ces actions visent à ce que « la période de dépassement soit la plus courte possible ».   

De la même manière, l’article R. 222-16 du Code de l’environnement énonce que les plans de protection de l’atmosphère doivent définir les objectifs nécessaires pour réduire les niveaux globaux des polluants définis à l’article R. 221-1 à un niveau conforme aux valeurs limites il est complété pour ajouter que le délai associé à chacun de ces objectifs doit être « le plus court possible ».  

[1] Directive 2008/50/CE Du Parlement Européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, article 23.

Dispositions réglementaires fixant la procédure d’enquête publique simplifiée applicable aux modifications mineures des périmètres de protection des captages d’eau destinée à la consommation humaine

Le décret n° 2020-296 du 23 mars 2020 porte sur la procédure d’enquête publique prévue à l’article L. 1321-2-2 du Code de la santé publique, relatif aux modifications des périmètres de protection immédiate des points de prélèvement d’eau destinée à l’alimentation des collectivités humaines mentionnés à l’article L. 1321-2 du même Code.   

En effet, l’article 1321-2-2 prévoit que toute « modification mineure » d’un périmètre de protection est soumise à enquête publique conduite selon une procédure simplifiée, que le décret ici commenté vient définir. À cette fin, le décret n° 2020-296 du 23 mars 2020 insère un nouvel article R. 1321-13-5 au Code de la santé publique.    

En premier lieu, le décret définit trois différents cas de modifications mineures des périmètres de protection justifiant le recours à la procédure simplifiée :   

  • La suppression de servitudes devenues sans objet ou reconnues inutiles ou inapplicables par l’administration ;  
     
  • Le retrait ou l’ajout d’une ou de plusieurs parcelles du périmètre de protection rapprochée ou du périmètre de protection éloignée, à la condition que la superficie concernée ne dépasse pas 10 % de la superficie totale initiale du périmètre de protection concerné ;  
     
  • Le retrait d’une ou de plusieurs parcelles du périmètre de protection immédiate, à la condition que la superficie concernée ne dépasse pas 10 % de la superficie totale initiale du périmètre de protection immédiate.   
     

Le décret précise ensuite le déroulement de l’enquête publique simplifiée. Elle est ouverte et organisée par arrêté du préfet du département concerné. L’arrêté d’ouverture doit contenir certaines mentions précisées par l’article R. 3121-13-5 précité. Le dossier soumis à enquête publique doit contenir a minima, certains documents comme une notice explicative, un plan de situation et les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants. L’enquête publique se déroule soit à la préfecture du département, soit à la ou les mairies des communes concernées par le projet de modification, pour une durée d’au moins quinze jours.    

Le décret pose également certains délais, concernant notamment la durée de l’enquête publique, qui ne peut être inférieure à quinze jours ou encore s’agissant de l’information du public par le préfet de l’enquête, qui doit également avoir lieu au moins quinze jours avant l’ouverture de celle-ci.   

À l’expiration du délai d’enquête, le commissaire enquêteur voit le registre d’enquête mis à sa disposition. Il dispose d’un mois pour transmettre le dossier de l’enquête, avec son rapport, au préfet.   

Conseil d’Etat : rejet pour défaut d’urgence des demandes de suspension de mesures fixant les distances minimales d’épandage de pesticides à proximité des habitations

CE, 15 mai 2020, Association Générations futures et a., n° 440211 

 

Le 15 mai 2020, le Conseil d’État a rendu deux ordonnances portant sur les référés-suspension introduits, d’une part, par le Collectif des maires anti-pesticides et, d’autre part, par diverses associations de protection de l’environnement et des consommateurs. Par ces ordonnances, le Conseil d’État a rejeté les demandes formulées par les requérantes, qui sollicitaient la suspension du décret du 27 décembre 2019 et de l’arrêté du même jour fixant les distances minimales d’épandage à proximité des habitations (I) et de divers instruments permettant de procéder à un épandage selon des distances minimales réduites avant que le projet de charte d’engagement ne soit approuvé par le Préfet (II).  

  

Pour mémoire, en application du décret du 27 décembre 2019, les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques élaborent des chartes d’engagement définissant notamment des mesures de protection des personnes résidant à proximité des zones d’épandage de ces produits. Les projets de charte sont soumis à une procédure de concertation publique et à l’approbation du Préfet.    

  

I – Demande de suspension du décret et de l’arrêté du 27 décembre 2019 fixant les distances minimales de sécurité pour l’épandage de pesticides à proximité des habitations  
 

Le collectif des maires anti-pesticides sollicitait à nouveau la suspension du décret du 27 décembre 2019 et de l’arrêté du même jour fixant les distances minimales de sécurité pour les épandages réalisés à proximité des habitations. C’est en effet la seconde fois que ce collectif formule cette demande auprès du Conseil d’État, qui avait rejeté leur recours par une ordonnance du 14 février 2020 pour défaut d’urgence.   

Dans cette affaire, la requérante soutenait que l’urgence à agir était désormais caractérisée, notamment en raison des mesures adoptées lors de la crise sanitaire du covid-19 contraignant les personnes à rester chez elles durant les périodes d’épandage des pesticides et alors que la pollution de l’air liée à ces épandages s’est révélée être un facteur aggravant les effets du covid-19. Selon la requérante, ces risques sont d’autant plus accentués que le Ministère de l’agriculture a, par une annonce commentée infra, autorisé des réductions des distances minimales de sécurité alors même que les chartes d’engagement des utilisateurs n’auraient pas été approuvées par le Préfet et que les concertations avec le public n’auraient pas encore eu lieu.   

Le Conseil d’État a cependant jugé que les nouvelles études produites par la requérante « ne portent pas sur la question spécifique des effets à court et moyen termes de l’épandage de pesticides à des fins agricoles sur la santé des habitants des zones situées à proximité ». Par suite, selon la juridiction, elles ne remettent pas en cause l’avis rendu le 4 juin 2019 par l’ANSES, lequel préconisait les distances minimales de sécurité finalement retenues par les décisions contestées. Le Conseil d’État considère ainsi que la condition d’urgence n’est toujours pas caractérisée et rejette le recours du Collectif.  

  

II – Demande de suspension des mesures permettant de procéder à un épandage selon des distances minimales réduites avant l’approbation du projet de charte d’engagement par le préfet 

 

Plusieurs associations de protection de l’environnement et des consommateurs ont demandé au Conseil d’État la suspension de divers instruments, présentés ci-après, qui prévoient la possibilité d’appliquer les distances minimales de sécurité réduites pour les épandages de pesticides à proximité des habitations avant que les chartes d’engagement prévues par le décret du 27 décembre 2019 et énonçant ces mesures ne soient approuvées par le Préfet. Il s’agit :   

  • De l’instruction technique DGAL/SDQSPV/2020-87 du 3 février 2020, laquelle prévoit que, sous certaines conditions et jusqu’au 30 juin 2020, les utilisateurs puissent appliquer les distances minimales réduites sans attendre l’approbation de la charte par le préfet dès lors que ce projet est soumis à une procédure de;concertation publique ;   
     
  • Du communiqué de presse « Distances de sécurité pour les traitements phytopharmaceutiques à proximité des habitations », publié le 30 mars 2020 et de la note « Eléments de mise en œuvre », dans sa version du 30 mars 2020. Ces deux instruments du Ministère de l’agriculture autorisent l’application des distances minimales réduites sans attendre l’approbation de la charte par le Préfet ni la soumission à la procédure de concertation publique.   
     

Les associations requérantes soutiennent que, en raison notamment des effets aggravants de la crise sanitaire actuelle tels qu’exposés ci-dessus, l’urgence à suspendre ces mesures est caractérisée.   

Concernant la demande de suspension de l’instruction technique, le Conseil d’État relève que les distances minimales en cause sont conformes à l’avis de l’ANSES susmentionné. Il considère en outre que, dès lors que le projet de charte est effectivement soumis à la procédure de concertation publique, l’application de la charte avant approbation du préfet « n’a ni pour objet ni pour effet de priver les populations concernées de l’information à laquelle elles ont droit sur l’existence et le contenu d’un projet de charte ni du bénéfice d’une concertation effective avant l’approbation du projet de charte par le préfet ». Cette mesure ne serait également pas de nature à présenter un risque imminent pour la santé. La condition d’urgence n’est dès lors pas remplie selon le Conseil d’État.   

S’agissant de la demande de suspension du communiqué de presse et de la note du Ministère de l’agriculture, le Conseil d’État relève que, selon une « foire aux questions » publiée sur le site du Ministère, les procédures de concertation publique peuvent reprendre dès la levée du confinement le 11 mai 2020. La dérogation introduite par ces instruments n’est donc plus applicable et le Conseil d’État considère qu’il n’y a pas lieu de statuer sur cette demande de suspension. 

Le Conseil d’Etat se prononce en faveur de l’utilisation du vélo pendant la période d’urgence sanitaire

Par une ordonnance de référé du 30 avril 2020, le Conseil d’État s’est prononcé sur l’utilisation du vélo durant la période de l’état d’urgence sanitaire, alors que des mesures de restriction des déplacements sont en vigueur.   

En effet, la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) demandait au Conseil d’État d’enjoindre au gouvernement de faire cesser des contradictions liées à l’utilisation du vélo, certaines autorités ministérielles, préfectorales ou d’administration centrale l’ayant interdit tandis que d’autres l’autorisaient pendant la période de restriction des déplacements. La FUB soutenait que ces restrictions imposées par l’état d’urgence sanitaire n’interdisaient pas l’utilisation du vélo. Plusieurs utilisateurs de ce mode de transport ayant en outre été verbalisés pour ce motif, la requérante demandait également l’annulation de ces amendes. Par ailleurs, elle souhaitait qu’il soit enjoint aux Préfets de rouvrir les voies cyclables fermées.   

Le Conseil d’État a fait droit à la première demande de la FUB, jugeant que l’interdiction des déplacements à bicyclette portait une atteinte grave et manifeste à la liberté fondamentale que constitue « la faculté de se déplacer en utilisant un moyen de locomotion dont l’usage est autorisé ». Le Conseil d’État consacre ainsi un nouvel aspect de la liberté d’aller et venir et de la liberté personnelle au rang de liberté fondamentale. Le juge enjoint alors au Premier ministre de « rendre publique, sous vingt-quatre heures, par un moyen de communication à large diffusion », sa position sur l’utilisation du vélo, afin de mettre fin aux contradictions relevées.   

Le Conseil d’Etat rejette les autres demandes de l’association requérante, en estimant, d’une part, qu’il ne ressort pas de sa compétence en premier ressort d’enjoindre la réouverture des voies cyclables et, d’autre part, qu’il ne lui appartient pas d’enjoindre aux autorités judiciaires d’annuler les amendes prononcées par celles-ci.  

Pollution aquatique – Absence de lien entre la caractérisation d’une infraction pénale et la mise en place de mesures conservatoires

Dans une affaire de pollution d’un cours d’eau révélée par des taux de concentration anormaux en nitrites, phosphates et ions ammonium à hauteur d’une station de traitement et d’épuration, propriété d’un Syndicat mixte et exploitée par une société, le Juge des Libertés et de la détention – saisi par le Procureur de la République, sur requête d’une Fédération départementale, sur le fondement de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement – avait ordonné, sous astreinte la cessation de tout rejet dépassant les seuils réglementaires dans le milieu aquatique.      

Saisie sur appel des structures propriétaire et gestionnaire de la station d’épuration, la Chambre de l’instruction a infirmé ladite ordonnance, estimant que l’intervention du Juge des libertés et de la détention était nécessairement subordonnée au constat d’une infraction à la réglementation en matière environnementale.  

Sur pourvoi de la Fédération départementale, la Chambre criminelle a, par arrêt du 28 janvier 2020, tranché en faveur d’une lecture plus littérale des dispositions de l’article L. 216-13 du Code de l’environnement, en cassant l’arrêt de la Cour d’appel sur ce point.   

La Cour de cassation a, en effet, considéré que l’article L. 216-13 du Code de l’environnement ne subordonne pas à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale, le prononcé par le Juge des libertés et de la détention, lors d’une enquête pénale, de mesures conservatoires destinées à mettre un terme à une pollution ou à en limiter les effets dans un but de préservation de l’environnement et de sécurité sanitaire.  

Cette lecture apparait cohérente avec la nature des mesures conservatoires qui ont vocation, non à sanctionner une faute, mais à préserver l’environnement et qui de plus sont ordonnées au stade de l’enquête, donc avant toute décision sur les éventuelles responsabilités. 

Autorisation d’exploitation d’un parc éolien – rappel des critères d’autonomie de l’autorité environnementale

Par une décision en date du 3 avril 2020, le Conseil d’Etat rappelle que lorsqu’un projet a été autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l’avis rendu par l’autorité environnementale doit être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d’une autonomie réelle, à la condition cependant que le projet n’ait pas été instruit, pour le compte du préfet de département, par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).   

Pour rappel, le Conseil d’Etat avait, dans une décision en date du 6 décembre 2017 « France Nature Environnement », censuré les dispositions du décret n° 2016-519 du 28 avril 2016 portant réforme de l’autorité environnementale en tant qu’elles maintenaient la désignation du préfet de région en qualité d’autorité compétente de l’Etat en matière d’environnement sans prévoir de garantie d’autonomie dans l’hypothèse où le préfet serait également compétent pour autoriser le projet ou dans le cas où il serait en charge de l’élaboration ou de la conduite du projet au niveau local (CE, 6 décembre 2017, n° 400559). La haute juridiction administrative a récemment rendu plusieurs décisions afin de préciser les conséquences de cette censure.     

Dans cette affaire, le préfet de la Haute-Saône avait délivré à la société « Parc éolien des Ecoulottes » une autorisation d’exploiter sept éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Vars. Des requérants avaient demandé au Tribunal administratif de Besançon d’annuler cet arrêté et avaient été déboutés, en première instance puis en appel.      

Ils soulevaient notamment, à l’appui de leur demande, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 du fait de l’absence d’autonomie de l’autorité environnementale qui s’était prononcée sur le projet.    

Dans sa décision, le Conseil d’Etat rappelle d’abord la jurisprudence « France Nature Environnement » précitée,  selon laquelle il résulte des dispositions de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011 que si ces dispositions « ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce que l’entité administrative concernée dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée en donnant un avis objectif sur le projet concerné ».   

Le Conseil d’Etat précise qu’il en résulte que, lorsque le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l’avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu’autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d’une autonomie réelle répondant aux exigences de l’article 6 de la directive du 13 décembre 2011.   

Cependant, cette présomption d’autonomie est renversée lorsque c’est le même service qui a instruit la demande d’autorisation et préparé l’avis de l’autorité environnementale. C’est le cas lorsque le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la DREAL et que l’avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par cette même direction, sauf si l’avis a été préparé, au sein de cette direction, par le service mentionné à l’article R. 122-21 du Code de l’environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales.   

Dès lors, le Conseil d’Etat conclut que la Cour administrative d’appel de Nancy a commis une erreur de droit en jugeant que, par principe, il avait été répondu aux exigences de la directive précitée alors même que le projet avait été instruit, en l’espèce, pour le compte du préfet de département, par la DREAL de Franche-Comté, qui avait ainsi à la fois instruit la demande d’autorisation et préparé l’avis de l’autorité environnementale.   

A noter qu’une telle solution avait déjà été retenue dans une décision récente du Conseil d’Etat du 5 février 2020 (CE, 5 février 2020, n° 425451, Mentionné dans les tables du recueil Lebon).   

Sur ce point également, il faut relever qu’un projet de décret portant réforme de l’autorité environnementale a été soumis à consultation du public en février dernier. Ce projet de décret prévoit de confier aux missions régionales d’autorité environnementale (MRAe) la compétence en matière d’avis environnementaux sur les projets locaux, le préfet de région demeurant compétent pour se prononcer sur les projets relevant de la procédure d’examen au cas par cas. 

Publication d’un document de travail commun à plusieurs autorités administratives et publiques indépendantes sur leurs moyens d’action face au changement climatique

Huit Autorités Administratives Indépendantes (ci-après, AAI) et Autorités Publiques Indépendantes (API)1 ont publié un document de travail relatif à leur rôle et leurs moyens d’action face au changement climatique.  

Cette étude s’inscrit dans le prolongement de l’Accord de Paris, signé en décembre 2015 par 195 pays, et constituant une étape politique internationale majeure actant de l’objectif de contenir le réchauffement de la planète en-dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Les huit autorités sont en effet réunies depuis 2017 au sein d’un groupe de travail informel publiant régulièrement des réflexions sur l’urgence climatique et sur les enjeux de régulation que celle-ci représente.  

Dans le document de travail commun publié en mai 2020 et ici commenté, les huit autorités signataires rappellent que l’atteinte des objectifs de l’Accord implique notamment des « transformations profondes et irréversibles des activités et modèles économiques, avec de fortes implications sociales et sociétales » et que « toutes les activités sont concernées par ces transformations, […] y compris celles soumises en France à la supervision ou à la régulation des autorités administratives ou publiques indépendantes ».   

L’étude expose ainsi l’impact climatique des secteurs entrant dans le champ des missions des différentes autorités. Ainsi, l’utilisation d’énergie constitue la principale source d’émission de gaz à effet de serre (78 % en 2017). Et, les utilisations d’énergie les plus émettrices sont l’industrie de l’énergie (27,3%) et les transports (21,9%). Si le secteur numérique représente actuellement une part faible des émissions de gaz à effet de serre (environ 3% des émissions mondiales), l’augmentation croissante de cette part nécessite une attention particulière.  

Dans ce cadre, les huit autorités soulignent la nécessité d’articuler leurs différentes interventions dans le but d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.   

Si le cadre juridique applicable à certaines autorités inclut d’ores et déjà une mission en matière de préservation du climat, tel n’est pas le cas, par exemple, de l’Autorité de la concurrence, du CSA ou de la CNIL dont les missions n’intègrent pas encore véritablement de dimension climatique.    

L’étude souligne néanmoins la possibilité pour l’ensemble de ces autorités d’exercer à l’égard des pouvoirs publics un rôle d’alerte à propos des enjeux climatiques liés à leur mission de régulation, y compris s’agissant des autorités dont les missions n’intègrent pas véritablement de dimension climatique.  

L’étude expose en outre les leviers d’intervention dont disposent les autorités afin de faire face à des problématiques communes, à savoir :  

  • La définition de règles incitatives, de recommandations ou de bonnes pratiques ;
  • Le suivi et le contrôle, comme celui exercé, par exemple, par l’AMF sur l’information des sociétés cotées et des gérants d’actifs en matière de gestion du risque climatique 
  • Les décisions ou avis, à l’image de ceux rendus par la CRE ou l’Autorité de la concurrence, pouvant contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique ou à faire émerger des comportements d’entreprises permettant de répondre aux enjeux climatiques ; 
  • La fourniture de données sur le risque climatique et les impacts des activités sur le climat, dans le cadre d’une « régulation par la donnée » (telle que décrite dans la précédente publication des AAI/API de juillet 2019), pour encourager les entreprises et aider à la prise de décisions ; 
  • Le renforcement de l’information du public et de la pédagogie s’agissant des enjeux climatiques, 
  • Le renforcement de l’expertise des autorités de régulation s’agissant de l’impact sur le climat des activités régulées.  
     

Enfin, les huit autorités identifient les prochaines étapes et actions qu’elles entendent engager en lien avec les enjeux climatiques.   

A titre d’exemple, s’agissant de la CRE, celle-ci a élaboré dix fiches thématiques pour contribuer à la réflexion sur les évolutions législatives à venir pour mener au mieux la transition vers une Europe à zéro émission nette de gaz à effet de serre d’ici à 2050 (« Pacte vert européen » de la Commission européenne). À l’échelon national, la CRE a également initié une collaboration avec le Haut conseil pour le climat (organisme indépendant placé auprès du Premier ministre). Le Comité de prospective de la CRE travaillera en 2020 sur les énergies marines, la mobilité électrique et le biométhane. 

Fin des tarifs réglementés de vente d’électricité et de gaz naturel : publication d’un guide à destination des consommateurs professionnels

Depuis le 1er juillet 2007, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’électricité et du gaz naturel, tous les consommateurs ont la possibilité de choisir librement leur fournisseur d’énergie.  

La Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, la CRE) et le Médiateur National de l’Energie (ci-après, le MNE) ont publié un guide relatif au passage en offres de marché pour les consommateurs d’énergie professionnels (également appelés consommateurs non résidentiels ou non domestiques) : entreprises, collectivités, association ou administrations (ci-après, le Guide de la CRE et du MNE).   

Pour rappel, deux types d’offres co-existent :  

  • Les tarifs réglementés de vente (ci-après, les TRV), dont les prix sont fixés par les pouvoirs publics, et que seuls peuvent proposer les fournisseurs historiques (EDF en électricité, Engie en gaz naturel et, sur leur périmètre de desserte historique, les entreprises locales de distribution).
  • Les offres de marché, dont les prix sont déterminés dans le contrat, et qui sont proposées par tous les fournisseurs.

La loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat (retrouvez notre focus ici) est venue modifier les catégories de consommateurs résidentiels et professionnels éligibles aux tarifs réglementés de vente en gaz et en électricité, dont le nombre de bénéficiaires ne cesse de se réduire.  

S’agissant du gaz naturel, les consommateurs non domestiques consommant moins de 30 MWh/an ont l’obligation de choisir une offre de marché d’ici le 1er décembre 2020. Les consommateurs domestiques consommant moins de 30 MWh/an, les propriétaires uniques d’un immeuble à usage principal d’habitation consommant moins de 150 MWh/an et les syndicats des copropriétaires d’un tel immeuble devront pour leur part souscrire un nouveau contrat avant le 1er juillet 2023.  

S’agissant des tarifs réglementés de vente d’électricité (ci-après, les TRVE), les consommateurs non domestiques qui emploient plus de dix personnes ou dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le bilan annuel excède deux millions d’euros, ne pourront plus bénéficier des TRVE au 31 décembre 2020.  

Concernant les démarches pour changer d’offre d’électricité et de gaz naturel, le Guide de la CRE et du MNE propose des critères de comparaison des offres (notamment l’inclusion ou non, dans l’offre, de l’acheminement de l’électricité et du gaz par le réseau, les conditions d’évolution des prix, l’existence de pénalités éventuelles en cas de résiliation anticipée) et renvoie vers le site officiel du MNE pour comparer les offres existantes :  https://comparateur.energie-info.fr  

Programmation pluriannuelle de l’énergie

Pris en application de l’article L. 141-1 du Code de l’énergie, le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie (ci-après, le « Décret PPE ») fixe la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui définit les priorités d’action des pouvoirs publics pour la gestion des formes d’énergie sur le territoire métropolitain continental pour la période 2019-2028 afin d’atteindre les objectifs définis aux articles L. 100-1L. 100-2 et L. 100-4 du Code précité.  

En particulier, s’agissant de la réduction de la consommation d’énergie primaire fossile par rapport à 2012, le Décret PPE fixe les objectifs suivants  :  

  • pour le gaz naturel : – 10 % en 2023 et – 22 % en 2028 ;  
  • pour le pétrole : – 19 % en 2023 et – 34 % en 2028 ;  
  • pour le charbon : – 66 % en 2023 et – 80 % en 2028.  

L’objectif de réduction de la consommation finale d’énergie par rapport à 2012 est, quant à lui, fixé à – 7,5 % en 2023 et à – 16,5 % en 2028.  

S’agissant de la production d’électricité d’origine renouvelable en France métropolitaine continentale, les objectifs de développement retenus sont les suivants :   

  • énergie éolienne terrestre : 24,1 GW en 2023, et entre 33,2 GW (option basse) et 34,7 GW (option haute) en 2028 ;  
  • énergie radiative du soleil : 20,1 GW en 2023, et entre 35,1 GW (option basse) et 44,0 GW (option haute) en 2028 ;  
  • hydroélectricité (dont énergie marémotrice) : 25,7 GW en 2023, et entre 26,4 GW (option basse) et 26,7 GW (option haute) en 2028 ;  
  • éolien en mer : 2,4 GW en 2023, et entre 5,2 GW (option basse) et 6,2 GW (option haute) en 2028 ;  
  • méthanisation : 0,27 GW en 2023, et entre 0,34 GW (option basse) et 0,41 GW (option haute) en 2028.  

Sur la question de la mobilité propre, les objectifs de développement sont les suivants :   

  • véhicules électriques  : 660 000 au 31 décembre 2023, et 3 000 000 au 31 décembre 2028  ;  
  • véhicules particuliers hydrides rechargeables  : 500 000 au 31 décembre 2023, et 1 800 000 au 31 décembre 2028  ;  
  • véhicules utilitaires légers électriques ou hybrides rechargeables  : 170 000 au 31 décembre 2023, et 500 000 au 31 décembre 2028  ;  
  • véhicules lourds à faibles émissions  : 21 000 au 31 décembre 2023, et 65 000 au 31 décembre 2028.  

Ce sont là des objectifs multiples de nature à lancer nombre d’actions publiques et à participer à l’effort de relance économique nécessaire à la sortie de la crise sanitaire actuelle.