Economie sociale et solidaire
le 14/04/2023
Audrey LEFEVRE
Esther DOULAIN
Donya BURGUET

Loi Séparatisme, l’heure du bilan : le renforcement croissant du contrôle des associations

Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République

La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite loi « Séparatisme » a considérablement renforcé le contrôle des associations et des fondations avec l’instauration du contrat d’engagement républicain (« CER ») (1.1) et l’évolution des motifs pouvant justifier la dissolution d’une association (1.2).

1.1. Mise en œuvre du contrat d’engagement républicain

Plus d’un an après l’entrée en vigueur de la loi Séparatisme[1], un premier bilan de la mise en œuvre du contrat d’engagement républicain (« CER ») que doivent signer les associations et les fondations pour bénéficier d’une subvention peut être effectué.

Le contrôle des associations s’en est trouvé considérablement renforcé, tant au niveau de leurs actions que de leurs financements. Au point de susciter des craintes grandissantes parmi les acteurs du monde associatif. Annoncé comme un outil de lutte contre le séparatisme (rappelons que le but du CER tel qu’énoncé dans l’exposé des motifs de la loi était de combler l’insuffisance de l’arsenal juridique « face à l’islamisme radical, face à tous les séparatismes »), il fait l’objet de vives critiques, les acteurs du monde associatif voyant surtout dans ce dispositif un outil permettant aux pouvoirs publics de limiter la liberté d’expression et d’interpellation d’associations et leur capacité à faire vivre le débat, bien au-delà du seul sujet du communautarisme. Le contenu de ce « contrat » (précisé par le décret d’application n° 2021-1947 du 31 décembre 2021) est par ailleurs remis en cause dans sa rédaction sujette à interprétations, et donc source d’une insécurité juridique et financière forte pour les associations et pour leurs partenaires, à commencer par les collectivités[2].

Aux termes de ce « contrat », les associations et les fondations doivent notamment s’engager à respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, à ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République, et à s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public. Le décret d’application susvisé est par ailleurs venu préciser les sept engagements du CER :

  • le respect des lois de la République ;
  • la liberté de conscience ;
  • la liberté des membres de l’association ;
  • l’égalité et la non-discrimination ;
  • la fraternité et la prévention de la violence ;
  • le respect de la dignité de la personne humaine ;
  • le respect des symboles de la République.

Si l’autorité qui subventionne considère que l’un de ces principes et/ou engagements n’a pas été respecté, elle peut retirer la subvention de l’association ou de la fondation et lui demander le remboursement des sommes déjà versées.

L’article 5 du décret d’application a par ailleurs prévu des dispositions au sujet de la responsabilité des associations et des fondations en cas de non-respect du CER, l’association ou la fondation ayant l’obligation de veiller à ce que ses dirigeants, ses salariés, ses membres et ses bénévoles respectent le CER souscrit. Aux termes de cette loi, l’association ou la fondation est responsable des manquements au CER commis par les différentes catégories de personnes susvisées. Sur cette question de la responsabilité, nous avons déjà eu l’occasion de faire part de nos interrogations quant au régime de responsabilité applicable en cas de non-respect d’un des « engagements » susvisés (Cf. notre brève « L’ESS à l’épreuve du contrat d’engagement républicain : la question de la responsabilité des associations et des fondations » dans la LAJ#128 du 20 janvier 2022).

Depuis l’entrée en vigueur de la loi, plusieurs associations ont déjà été sanctionnées pour non-respect de leur CER par les autorités subventionneuses. Peu de décisions ont en revanche été rendues par les juges pour l’instant.

Le Tribunal administratif de Dijon (TA Dijon, ord. réf., 4 mars 2022, n° 2200610), suivi du Conseil d’Etat (CE, 10 mars 2022, req. n° 462140) ont été amenés, pour la première fois (et unique fois à notre connaissance) à statuer sur l’interprétation des termes du CER par une autorité subventionneuse au sujet du respect du caractère laïque de la République et du principe d’égalité par l’Association Planning familial de Saône-et-Loire.

Absence de manquement au contrat d’engagement républicain par l’association Planning familial de Saône-et-Loire.

Dans cette affaire, le Planning familial de Saône-et-Loire avait été autorisé par le Maire de la ville de Chalon-sur-Saône à installer un stand sur la place de l’hôtel de ville dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes afin d’informer et sensibiliser le public sur le thème de l’égalité femmes-hommes. Dans ce cadre, la Ville avait mis gratuitement à disposition de l’association du matériel, ce qui constitue une subvention en nature.

L’affiche (ou visuel) établie par l’association et utilisée pour annoncer la manifestation faisait apparaitre six femmes dessinées, dont l’une d’elles portait un voile.

Le Maire de Chalon-sur-Saône a retiré son autorisation au motif que l’association aurait méconnu le CER. Le Maire considérait en effet que « la ville de Chalon-sur-Saône n’a pas vocation, conformément au contrat d’engagement républicain qui régit désormais les relations avec les associations, de donner de quelconques moyens de propager une idéologie contrevenant [aux] principes [républicains] » accusant l’association de prosélytisme et de promouvoir le communautarisme.

Le Planning familial a alors saisi le juge administratif d’un référé-liberté. Le juge, après avoir analysé l’affiche, a suspendu la décision de retrait et ordonné au Maire d’assurer l’exécution de sa décision initiale.

Les juges des référés du Conseil d’Etat, en appel, ont confirmé la décision du Tribunal administratif de Dijon considérant que le Planning familial n’avait pas manqué au CER. Selon les juges, « la seule circonstance que l’une de ces silhouettes, qui n’apparaît pas particulièrement visible parmi les autres, porte un voile, lui-même discret au sein du visuel et ne recouvrant pas le visage, une autre des silhouettes portant un turban africain ou d’autres ne portant pas de couvre-chef, ne saurait à l’évidence, compte tenu de la composition du visuel et de l’objectif d’universalisme qu’elle affiche ainsi clairement, être regardée comme traduisant une quelconque forme de prosélytisme religieux, de promotion, ou même d’approbation du port d’un tel voile ».

Ils ont ainsi considéré que la Ville n’était pas fondée à soutenir que l’association aurait porté une quelconque atteinte au principe de la laïcité et d’égalité de tous devant la loi par l’utilisation de cette affiche, reflétant au contraire selon eux la volonté de l’association de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes indifféremment auprès de l’ensemble des femmes, y compris celles portant le voile et nonobstant donc les convictions que ce port, qui par ailleurs n’est pas prohibé dans l’espace public, peut révéler.

Cette décision a ainsi permis de rappeler que les engagements souscrits au titre du CER ne devaient pas faire obstacle à l’exercice, par les associations et les fondations, de la liberté d’expression et de communication qui leur est garantie par la Constitution.

Cette affaire a exacerbé la crainte exprimée par les acteurs du monde associatif que le CER puisse être détourné de sa finalité première, laissant finalement entre les mains des juges, lorsqu’ils sont saisis (et toutes les associations n’ont pas les moyens de se lancer dans une telle procédure), le rôle fondamental de garantir le respect des libertés fondamentales.

Les juges administratifs vont prochainement devoir se prononcer dans une autre affaire, l’affaire « Alternatiba », dont l’issue est elle aussi très attendue.

L’affaire « Alternatiba » : un cas emblématique de la liberté d’association à l’épreuve du contrat d’engagement républicain

Alternatiba Poitiers est une association qui œuvre pour le climat et la justice sociale, cherchant notamment à sensibiliser le public sur le dérèglement climatique en cours au moyen d’actions citoyennes sur l’ensemble du territoire.

Pour soutenir ses actions, l’association a bénéficié de subventions de la part de la mairie de Poitiers (10.000 €) et de la communauté urbaine du Grand Poitiers (5.000 €) affectées à l’organisation de l’événement « Le Village des alternatives » prévu les 17 et 18 septembre 2022. Au cours de cet événement était prévu un atelier intitulé « formation à la désobéissance civile ».

Le Préfet du département de la Vienne a estimé que cet atelier portait atteinte au CER signé par l’association. Il a alors demandé à la mairie de Poitiers et à la communauté urbaine du Grand Poitiers le retrait des subventions versées.

Refusant de faire droit à la demande du Préfet de la Vienne, la mairie de Poitiers et la communauté urbaine du Grand Poitiers ont renouvelé leur soutien financier à l’association. Le Préfet s’est alors tourné vers la justice administrative.

Par deux déférés préfectoraux en date du 28 octobre 2022, le Préfet de la Vienne a demandé au Tribunal administratif de Poitiers d’annuler les décisions de la commune et de la communauté d’agglomération et de prononcer le retrait de la subvention accordée à l’association Alternatiba Poitiers.

La notion de désobéissance n’apparait pas dans le cadre du CER prévu par la loi Séparatisme et son décret d’application. C’est donc par une interprétation des engagements figurant au sein du CER que le Préfet de la Vienne a pu considérer que la désobéissance civile porterait atteinte aux valeurs et principes de la République.

Si le Tribunal administratif de Poitiers ne s’est pas encore prononcé, sa décision pourrait entraîner des conséquences importantes pour les associations, notamment celle de devoir éventuellement choisir entre subvention et désobéissance civile.

Ces dispositions, qui accroissent le contrôle de l’activité et du financement des associations et fondations par les pouvoirs publics financeurs suscitent de vives inquiétudes dans le monde associatif et plus largement chez tous les acteurs du secteur non lucratif, dans un contexte particulièrement tendu où des associations pourtant historiquement reconnues, telle la Ligue des Droits de l’Homme, voient le maintien de leur subvention menacé (s’agissant de la LDH, du fait de la présence d’observateurs pour documenter le maintien de l’ordre lors des manifestations de Sainte-Soline du 25 mars dernier contre les mégabassines). Cet épisode récent fait écho à une tendance plus générale nécessitant une vigilance accrue afin de veiller au fragile « équilibre entre préservation des libertés associatives et nécessité de régulation et de transparence »[3].

1.2. Les cas de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait

La loi Séparatisme a modifié les motifs pouvant justifier la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait prévus à l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure.

Le Gouvernement peut désormais dissoudre une association ou un groupement de fait en cas d’incitation « […] à des agissements violents à l’encontre des personnes et des biens » (1°). Cette rédaction est plus large que la rédaction antérieure du 1° qui prévoyait qu’une association ou un groupement de fait est dissout s’ils « provoquent à des manifestations armées dans la rue ».

Ce sont ces dispositions dont se saisira sans doute le conseil des ministres pour concrétiser l’annonce de la décision du Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, au sujet de la dissolution du collectif Les Soulèvements de la Terre, dans le cadre des manifestations de Sainte-Soline du 25 mars dernier. Cette décision, qui doit faire l’objet d’un décret en conseil des ministres, était attendue le 12 avril (à l’heure où nous publions cet article nous n’avons eu information de l’adoption de ce décret) ou mercredi prochain (le 19 avril).

Par une ordonnance en date du 16 mai 2022[4], le Conseil d’Etat a été amené à préciser la portée de ces nouvelles dispositions sur le fondement desquelles le groupement d’extrême gauche lyonnais « Groupe Antifasciste Lyon et Environs » a été dissout par un décret du Ministre de l’Intérieur. Des appels à la violence ainsi que des débordements lors de manifestations lui étaient reprochés.

Le Conseil d’Etat a suspendu la dissolution de ce groupement, considérant que « les éléments retenus contre le groupement, pris tant isolément que dans leur ensemble, ne justifient pas sa dissolution au regard du code de la sécurité intérieure ». Les juges ont estimé qu’il n’était pas « démontré que les actions violentes » commises lors de manifestations « soient liées aux activités » du groupe. Ils ont par ailleurs observé « que les publications du groupement sur ses réseaux sociaux ne peuvent être regardées à elles seules comme une légitimation du recours à la violence » et en a déduit qu’il ne pouvait être, s’agissant de ce groupement de fait, considéré « que le groupement ait appelé à commettre des actions violentes » (Cf. à ce sujet notre brève « Associations et Loi Séparatisme : suspension de la dissolution du Groupe Antifasciste Lyon et Environs » dans la LAJ# 133 de juin 2022).

La loi Séparatisme a également modifié le motif visé au 3° de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure relatif aux atteintes à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du Gouvernement avec des dispositions qui désormais ne concernent pas uniquement l’objet de l’association ou du groupement de fait mais également son action.

A noter que la loi permet par ailleurs la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait lorsque ses membres « provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée » (6° de l’article susvisé).

C’est ainsi qu’un décret pris le 1er février 2023[5] est venu illustrer un nouveau cas de dissolution d’association au visa de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure, plus précisément des nouveaux 1° et 6° dudit article ainsi que de son 7° relatif aux agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger. Il s’agissait d’une association qui relayait des messages antirépublicains et radicaux invitant à la révolte et qui propageait une idéologie antisémite et homophobe mais également des discours d’apologie du terrorisme. Le décret s’est fondé sur l’ensemble des publications internet de l’association et a procédé à une analyse de chacune de ses déclarations pour considérer qu’il y avait lieu de prononcer sa dissolution.

 

 

[1] La Loi Séparatisme est entrée en vigueur le 1er janvier 2022.

[2] Voir en ce sens le Communiqué de presse du Mouvement associatif du 23 janvier 2023 https://lemouvementassociatif.org/wp-content/uploads/2023/01/LMA_CP_23012023_pointpresse_1anCER.pdf

[3] « De la liberté au contrôle », Madame Frédérique Pfrunder, Déléguée générale du Mouvement associatif, Jurisassociations 2022, n°667, page 16

[4] CE, 16 mai 2022, req n° 462954

[5] Décret du 1er février 2023, JO du 2, texte 10