Energie
le 06/03/2025
Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE
Ana NUYTTEN

Le va-et-vient des tarifs réglementés de vente de l’électricité

Le 17 février dernier, le ministère de l’Économie et de l’Énergie a publié sur son site son rapport d’évaluation des tarifs réglementés de vente d’électricité (TRVE) en France.

Ce rapport est établi sur la base des analyses préalablement transmises par la Commission de régulation de l’énergie (la CRE) et l’Autorité de la concurrence, qui l’on s’en souvient, partageaient des positions antagonistes au sujet de l’avenir des TRVE (commentées ici).

Il sera ensuite soumis à la Commission européenne qui pourrait trancher de leur sort.

C’est pour nous l’occasion de revenir sur le rôle actuel et futur des TRVE sur le marché de l’électricité.

Un cadre discuté

Le service public de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés, une exception française

Les TRVE ont été créés en 1946 avec le monopole d’EDF et des entreprises locales de distribution (ELD) afin de garantir un accès équitable à l’électricité pour tous.

L’ouverture à la concurrence du marché de la fourniture d’électricité sous le coup du droit de l’Union européenne a ensuite permis aux consommateurs de choisir entre la souscription d’offres d’électricité aux prix du marché (indifféremment proposées par les fournisseurs historiques comme les fournisseurs alternatifs d’électricité) ou aux TRVE (exclusivement proposés par les fournisseurs historiques que sont EDF et les ELD et pourvu qu’ils y soient éligibles).

Dans cette configuration du marché intérieur de l’électricité, la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente constitue un service public relevant de la compétence des autorités organisatrices de la distribution d’électricité (article L. 121-5 du Code de l’énergie) au même titre que le service public de la distribution (article L. 2224-31 du Code Général des collectivités territoriales).

Pourtant, au sens de la Commission européenne, les prix de vente de l’électricité doivent être librement fixés par les fournisseurs et la possibilité de fixer des tarifs réglementés n’est qu’une dérogation offerte aux Etats à titre transitoire : « Dans le but d’assurer une période transitoire permettant d’établir une concurrence effective entre les fournisseurs pour les contrats de fourniture d’électricité et de parvenir à une fixation pleinement effective des prix de détail de l’électricité fondée sur le marché conformément au paragraphe 1, les États membres peuvent mettre en œuvre des interventions publiques dans la fixation des prix pour la fourniture d’électricité aux clients résidentiels et aux microentreprises qui ne bénéficient pas d’interventions publiques en vertu du paragraphe 3. » (Article 5 de la directive du 5 juin 2019 relative au marché intérieur de l’électricité).

C’est la raison pour laquelle cette même directive a instauré la transmission par chaque Etat, pour examen à la Commission européenne, d’un rapport sur les interventions publiques effectuées à titre dérogatoire sur les tarifs d’électricité. C’est l’objet du rapport que vient de publier le ministère de l’Économie et de l’Énergie.

L’éligibilité aux tarifs réglementés de vente d’électricité en question

Les TRVE étaient déclinés en catégories tarifaires (à savoir les tarifs dits « Bleus », « Jaunes » et « Verts ») selon la tension et la puissance de raccordement souscrite par le consommateur pour le site concerné.

Sur la base de ces catégories, l’éligibilité des consommateurs aux TRVE a été réduite par deux fois. La loi du 7 décembre 2010 dite loi « NOME » est d’abord venue supprimer à compter de 2016 les TRV « Jaune » et « Vert », auxquels étaient éligibles les sites ayant une puissance de soutirage supérieure à 36 kVA. Puis la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat est encore venue restreindre l’éligibilité des TRV « Bleu » (seule tarification maintenue donc) pour la réserver au bénéfice des particuliers et petits consommateurs résidentiels.

La crise énergétique s’est alors invitée dans le paysage, exposant à la volatilité des prix de l’électricité des consommateurs devenus inéligibles aux TRVE, ou y ayant délibérément renoncé au profit d’offres de marché plus compétitives, et dont les caractéristiques et les connaissances du marché de l’électricité sont pourtant proches de celles des usagers de sites souscrivant pour une puissance inférieure à 36kVa.

Afin de rétablir cohérence et équité dans ce traitement tarifaire des usagers, la récente loi du 11 avril 2024 visant à protéger le groupe Électricité de France d’un démembrement a élargi l’éligibilité des TRVE à compter du 1er février 2025 en supprimant le plafond de 36 kVA pour la puissance souscrite des sites (voir notre commentaire de cette loi ici).

Ainsi tous les consommateurs résidentiels, les très petites entreprises (ci-après « TPE ») et les petites collectivités peuvent, depuis le 1er février 2025, et quelle que soit la puissance sollicitée, souscrire un TVE auprès du fournisseur historique de leur zone de desserte.

Ce faisant, contre vents et marées, la pertinence des TRVE est réaffirmée.

Et pour cause, ces tarifs, par leur méthode de construction, semblent jouer un rôle « d’amortisseur des variations de prix »[1] tout en permettant une concurrence effective sur le marché de l’électricité.

La structure des tarifs réglementés, vecteur de stabilité

On rappellera en effet que par application de l’article L. 337-6 du Code de l’énergie, les TRVE sont établis selon une méthode dite « d’empilement des coûts », par l’addition :

  • du prix d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), appelé à disparaître au 31 décembre 2025 (disparition commentée ici) ;
  • du coût du complément d’approvisionnement au prix de marché ;
  • du coût de la garantie de capacité ;
  • des coûts d’acheminement de l’électricité ;
  • des coûts de commercialisation ;
  • d’une rémunération normale de l’activité de fourniture.

Le niveau des TRVE reflète ainsi les coûts supportés par un fournisseur aussi efficace que les fournisseurs historiques, incitant donc les fournisseurs alternatifs à développer une concurrence effective et efficace sur le marché.

Par ailleurs, la part des coûts liés à l’approvisionnement en électricité des TRVE (regroupant les coûts susvisés liés à d’accès à l’ARENH ainsi qu’au complément d’approvisionnement au prix de marché) est lissé sur 24 mois, ce qui permet de protéger les consommateurs de variations importantes des prix du marché.

C’est principalement du fait de ces caractéristiques que le Gouvernement considère dans son rapport que le dispositif des TRVE permet l’atteinte « d’objectifs d’intérêt économique général, notamment de stabilité des prix, de sécurité d’approvisionnement et de cohésion sociale et territoriale ».

Il estime ainsi – contrairement à ce qu’avait estimé l’Autorité de la concurrence dans son rapport publié en novembre dernier et commenté ici – que ceux-ci doivent être maintenus. Il propose toutefois la mise en œuvre et l’étude de certaines mesures pour améliorer le marché de détail de l’électricité.

Ce que le rapport ne dit pas ou du moins pas explicitement, c’est qu’il doit ensuite être soumis à la Commission européenne à qui il pourrait revenir de trancher définitivement le sort des TRVE.

 

Des perspectives annoncées

Les pistes du Gouvernement

Si le Gouvernement ne partage pas la position de l’Autorité de la Concurrence sur la suppression des TRVE à l’avenir, il la rejoint sur plusieurs des propositions émises avec la CRE dans leurs rapports respectifs.

En ce sens, le Gouvernement annonce notamment :

  • qu’il sera demandé aux fournisseurs historiques (à la société EDF comme aux ELD donc) de mettre en œuvre les actions nécessaires afin de garantir que le processus de souscription aux contrats de fourniture n’induise aucune confusion entre les TRVE et les offres de marché. Ces derniers devront soumettre à la CRE d’ici le 1er juillet 2025 les mesures prises en ce sens.
  • que le dispositif de comparateur d’offres du Médiateur National de l’énergie (dont la création avait été commentée ici) sera développé et les lignes directrices pour le renforcement de la protection des consommateurs d’électricités de la CRE (analysées ici) renforcées. Et ce, notamment à travers de nouvelles exigences pour les fournisseurs en matière d’informations précontractuelles ou de modification des contrats de fourniture en cours ;
  • que la désignation d’un fournisseur de dernier recours, suggérée par l’Autorité de la Concurrence et la CRE, serait redondante avec le dispositif des TRVE, mais qu’un appel d’offres doit en revanche être lancé pour désigner un nouveau fournisseur de secours:

En effet, le Gouvernement considère que la désignation d’un fournisseur de dernier recours pour assurer la continuité de la fourniture d’électricité – pertinente sur le marché du gaz – est inutile en matière de fourniture d’électricité alors qu’EDF et les ELD ont l’obligation de service public de fournir les TRVE. Il précise toutefois qu’un appel d’offre sera prochainement lancé pour désigner un fournisseur de secours ayant vocation à remplacer les fournisseurs en cas de défaillance[2], fonction assurée par EDF à titre « transitoire » depuis 2021 ;

  • qu’il va réaliser une étude approfondie de la possibilité d’ouvrir à tous les fournisseurs la faculté de proposer des TRVE: l’Autorité de la concurrence notait en effet dans son rapport que « la possibilité de distribuer des TRV pourrait à ce titre être ouverte à tous les fournisseurs. Une telle évolution impliquerait une évaluation de la charge ou au contraire du bénéfice que représente cette obligation de service public. ». Sans encore se prononcer sur l’opportunité d’un tel élargissement des TRVE, le Gouvernement estime que cette piste sera étudiée. Devront notamment être analysées la possibilité d’imposer aux fournisseurs alternatifs les contraintes inhérentes au service public de la fourniture d’électricité ainsi que les conséquences de cet élargissement sur les modalités de calcul des TRVE.

Sur ce dernier point, il nous semble important que l’accent soit mis sur toutes les caractéristiques du service public de fourniture d’électricité aux TRVE afin de ne pas réduire ce service public à la seule délivrance d’un tarif. Ce service public se caractérise en effet avant tout par sa continuité et d’autres caractéristiques pourraient utilement y être réaffirmées (origine de l’électricité fournie, protection des usagers consommateurs, …), sous l’autorité des autorités organisatrices de cette activité dont il faut souligner le caractère local.

Et demain ?

Le Gouvernement et son rapport n’auront pas nécessairement le dernier mot sur l’avenir des TRVE.

L’article 5 de la directive du 5 juin 2019 relative au marché intérieur de l’électricité prévoit en effet qu’« Au plus tard le 31 décembre 2025, la Commission réexamine la mise en œuvre du présent article visant à parvenir à une fixation des prix de détail de l’électricité fondée sur le marché, et présente un rapport sur cette mise en œuvre au Parlement européen et au Conseil assorti ou suivi, s’il y a lieu, d’une proposition législative. Cette proposition législative peut comprendre une date de fin pour les prix réglementés. »

A l’issue de l’examen du rapport du Gouvernement sur les TRVE, la Commission européenne pourrait donc revenir sur leur existence par une proposition législative ou, au contraire, donner un nouvel élan aux TRVE.

Ce sera alors l’occasion de penser autrement ce service public de la fourniture aux TRVE comme une mission de service public local à part entière.

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[1] Expression utilisée par le Ministère dans son rapport d’évaluation des ministres chargés de l’Économie et de l’Énergie, page 10.

[2] Voir en ce sens article L. 333-33 du Code de l’énergie