Agression d’élu.e : la place de la commune sur le banc des parties civiles

Par jugement en date du 27 juin 2024, le Tribunal correctionnel de Bobigny a reconnu le complice d’une agression envers une élue – adjointe de la commune de Saint-Denis – entièrement responsable du préjudice moral subi par la Collectivité. Cette décision constitue ainsi la première illustration de la recevabilité de la constitution de partie civile d’une commune au titre de l’article 2-19 du Code de procédure pénale.

Pour mémoire, cette disposition – dans ses termes issus de la loi n° 2023-23 du 24 janvier 2023 visant à permettre aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression, dispose :

« En cas d’infractions prévues aux livres II ou III du Code pénal, au chapitre III du titre III du livre IV du même code ou par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse commises à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électif public en raison de ses fonctions ou de son mandat, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile, si l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public ou par la partie lésée, et avec l’accord de cette dernière ou, si celle-ci est décédée, de ses ayants droit : […]

Au titre d’un de ses membres, le Sénat, l’Assemblée nationale, le Parlement européen ou la collectivité territoriale concernée. ».

Outre la fermeté de la réponse pénale apportée aux faits de violences inacceptables commis au préjudice d’élus – que ce soit à l’encontre des auteurs ou des commanditaires -, cette décision marque ainsi une position très claire du juge pénal quant à la place – désormais incontestable – de la collectivité sur le banc des parties civiles, aux côtés et en soutien de l’élu victime.

Violences conjugales, la situation des anciens conjoints précisée

En France, la répression des violences dépend de leurs conséquences sur la victime évaluée en nombre de jours d’incapacité totale de travail (ITT) et du contexte dans lequel l’infraction s’est déroulée. Ainsi, la situation de la victime, son activité ou son lien avec l’auteur aura pour conséquence d’aggraver la peine encourue par ce dernier. Les conséquences de ces circonstances aggravantes ne sont pas négligeables puisque l’infraction peut passer d’une simple contravention à un délit et la peine encourue est bien supérieure. Cette contravention, réprimée par l’article R624-1 du Code pénal à hauteur de 750 euros, passe alors au rang de délit, puni par l’article 222-13 du Code pénal de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende lorsque les violences sont commises par le conjoint, concubin, ou partenaire de PACS.

L’article 132-80 du Code pénal ajoute que cette circonstance aggravante est également constituée lorsque les faits sont commis par l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Les dispositions du présent alinéa sont applicables dès lors que l’infraction est commise en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime. Cependant, dans ce dernier cas, la circonstance aggravante ne peut être retenue que si l’infraction est commise en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime. Il est évident que cette notion est difficile à appréhender et qu’il est manifestement compliqué de connaitre les motivations d’un passage à l’acte violent. C’est sur cette question que s’est penchée la Cour de cassation dans son arrêt de la Chambre criminelle du 2 mai 2024.

En l’espèce, une femme a été victime de violences de la part de son ex-conjoint dans le contexte d’un différend à propos du droit de visite et d’hébergement de leur enfant commun, dont le juge aux affaires familiales avait été saisi. Dans ce contexte, la circonstance aggravante n’avait pas été retenue par la Cour d’appel, au motif que le différend ne concernait pas la relation ayant existé entre l’auteur des faits et la victime mais leurs enfants.

En opposition à ce raisonnement, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en précisant que la prise en charge de l’enfant commun concernait en tout point l’ancienne relation du couple des intéressés. Cette décision s’inscrit dans un mouvement plus général du droit qui tend à prendre davantage en compte les violences conjugales dans les décisions relatives aux enfants et réciproquement. C’est le cas notamment dans la prise en compte des violences faites à l’un des parents afin de fixer le droit de visite et d’hébergement de l’autre parent.

Plus largement cette décision de la Cour de cassation renforce la protection des victimes de violences intrafamiliales et elle doit à ce titre être saluée.

En admettant la constitution de cette circonstance aggravante, élargissant donc son champ d’application à la prise en charge de l’enfant commun comme élément de l’ancienne relation du couple, la Chambre criminelle étend à nouveau les possibilités de réprimer les violences conjugales.

La notion d’inceste en droit pénal : évolutions législatives et recommandations

S’il a longtemps été un sujet tabou, l’inceste est désormais au cœur des préoccupations sociétales et a un réel écho dans le débat public. Divers supports tels que des livres, des rapports, des sondages ont permis de faire la lumière sur la gravité et l’ampleur du phénomène. En effet, en 2020, 10 % des Français soit 6,7 millions de personnes se déclaraient victimes d’inceste en France[1].

Dans ce domaine, le législateur est intervenu pour introduire la notion d’inceste dans le Code pénal en 2010[2]. Cette prise en compte récente de l’inceste dans le Code pénal fut par la suite étendue jusqu’à la loi du 21 avril 2021[3]. Aujourd’hui, à la suite des évolutions législatives successives, la question se pose de leur cohérence et leur efficacité dans la répression de l’inceste. En effet, si l’inceste a fait l’objet de plusieurs évolutions législatives depuis une dizaine d’années (I), la loi du 21 avril 2021 a renforcé la prise en compte de la singularité de l’inceste en droit pénal (II), renforcement susceptible d’être encore aujourd’hui prolongé à la suite du rapport de la CIIVISE (III).

I. Sur les évolutions législatives relatives à la notion d’inceste en droit pénal depuis une dizaine d’années

Jusqu’en 2010, l’inceste était appréhendé en droit pénal par une circonstance aggravante liée au lien d’ascendance ou à l’autorité de l’auteur sur la victime[4]. L’entrée de la notion d’inceste dans le Code pénal s’est faite à partir de la loi du 8 février 2010, par les articles 222-31-1 et 227-27-2. Ces derniers prévoyaient que les viols, les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles étaient qualifiés d’incestueux lorsqu’ils étaient commis « au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait »[5]. Ils créaient en conséquence une forme de « surqualification » d’inceste, se superposant aux qualifications et circonstances aggravantes existantes en matière de viols, d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles, sans créer de nouvelles infractions[6]. L’imprécision de ces textes, résultant de l’absence de désignation des personnes pouvant être regardées comme membres de la famille, a été censurée par le Conseil constitutionnel[7].

La loi du 14 mars 2016[8] a alors précisé la définition de l’inceste à travers de nouveaux articles du Code pénal[9]. Dès lors, les viols, les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur par « 1° Un ascendant ; 2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ; 3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait ».

Cette « surqualification » d’inceste s’agissant des viols et des agressions sexuelles sera par la suite étendue aux victimes majeures par la loi du 3 août 2018[10].

II. La prise en compte renforcée de la singularité de l’inceste en droit pénal par la loi du 21 avril 2021

La loi du 21 avril 2021 a modifié le Code pénal sur le fond et la forme en matière d’inceste. Désormais, la section 3 du chapitre II du Titre II du Livre II du Code pénal est intitulée « Du viol, de l’inceste et des autres agressions sexuelles », accordant une place symbolique à l’inceste et marquant sa singularité. La définition de l’inceste y est étendue en intégrant les grands-oncles et les grands-tantes[11], et par ricochet les conjoints, concubins ou partenaires de ces derniers[12]. Cette nouvelle extension manifeste une volonté de renforcer l’autonomie du concept pénal en s’affranchissant de la conception civiliste[13].

De plus, le viol et les agressions sexuelles incestueux sur mineurs sont désormais incriminés spécifiquement aux articles 222-23-2, 222-23-3 et 222-29-3 du Code pénal. Ainsi, un viol ou une agression sexuelle commis par un majeur sur un mineur, même âgé de plus de quinze ans, unis par un lien familial, et sans considération de la différence d’âge entre eux, constitue une infraction incestueuse[14]. Dès lors, ont été écartées les conditions relatives à l’absence de consentement ou au seuil d’âge de quinze ans de la victime. Cependant, la loi a étendu la condition tenant à l’autorité de droit ou de fait à l’ensemble des auteurs listés à l’article 222-22-3 du Code pénal hormis l’ascendant. Cette exigence d’autorité de droit ou de fait est apparue nécessaire pour éviter une automaticité de l’incrimination, susceptible de faire passer la victime d’un acte incestueux pour l’auteur et inversement, en particulier en cas d’incestes collatéraux entre personnes d’âges proches[15].

Toutefois, ces nouveaux articles introduits par la loi du 21 avril 2021 ne s’appliquent pas aux victimes majeures, pour lesquelles la « surqualification » d’inceste s’agissant des viols et des agressions sexuelles continue de s’appliquer.

III. Les préconisations de la CIIVISE pour une législation plus impérative en matière d’inceste

La CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) a rendu son rapport en novembre 2023, dans lequel elle fait plusieurs préconisations relatives à l’inceste, visant à étayer la loi du 21 avril 2021 pour une législation plus impérative[16]Les préconisations 20 et 21 proposent à la fois de reconnaître une infraction spécifique d’inceste permettant de définir clairement cette notion, mais aussi de créer une infraction spécifique réprimant l’« incestualité », définie comme un inceste psychologique, une violence sans coups, une violence sexuelle sans agression ou pénétration. De plus, les préconisations 22 et 23 portent sur la définition de l’inceste, la première proposant d’ajouter les cousins dans la liste de l’article 222-22-3 du Code pénal et, la seconde, d’élargir la définition du viol et des agressions sexuelles incestueux aux victimes devenues majeures lorsque des faits similaires ont été commis pendant leur minorité par le même agresseur[17].

La CIIVISE appelle alors à davantage de précision par ces préconisations, lesquelles ouvrent un débat intéressant autour de la notion d’inceste et sa prise en compte en droit pénal interne.

 

[1] Sondage IPSOS « Les Français face à l’inceste », novembre 2020.

[2] Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux.

[3] Loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.

[4] DALLOZ, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Viol, Audrey DARSONVILLE, février 2020.

[5] Article 222-31-1 du Code pénal en vigueur du 10 février 2010 au 17 septembre 2011 ; Article 227-27-2 du Code pénal en vigueur du 10 février 2010 au 18 février 2012.

[6] Circulaire de la DACG n° CRIM-10-3/E8 du 9 février 2010 relative à la présentation des dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi du n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux, NOR : JUSD1003942C.

[7] Cons. Const., 16 septembre 2011, n° 2011-163 QPC ; Cons. Const., 17 février 2012, n° 2012-222 QPC ; Lexis Nexis, La Semaine Juridique, Edition générale, n° 41 du 8 octobre 2012, Chronique par Albert MARON, Jacques-Henri ROBERT et Michel VERON.

[8] Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.

[9] Article 227-27-2-1 du Code pénal dans sa version en vigueur du 16 mars 2016 au 23 avril 2021 ; Article 222-31-1 du Code pénal dans sa version en vigueur du 16 mars 2016 au 6 août 2018.

[10] Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

[11] Articles 222-22-3 et 227-27-2-1 du Code pénal dans leur version en vigueur depuis le 23 avril 2021.

[12] DALLOZ, RSC, « Le renforcement de la répression des infractions sexuelles contre les mineurs », Jean-Baptiste PERRIER et François ROUSSEAU, 2021, p. 454.

[13] Recueil DALLOZ, « Infractions sexuelles contre les mineurs : une sortie du droit commun, pour quelle efficacité ? », Sébastien PELLÉ, D. 2021, p. 1391.

[14] DALLOZ, AJ Pénal, « La répression des violences sexuelles en 2022 », Cécile MANAOUIL et Vivien LUCAS, 2022, p. 405.

[15] Lexis Nexis, La Semaine Juridique, Edition Générale, n° 19-20 du 10 mai 2021, « Violences sexuelles contre les mineurs – La loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste – Une avancée attendue de longue date… au goût d’inachevé » – Aperçu rapide par Carole HARDOUIN-LE GOFF.

[16] Rapport de la CIIVISE, « Violences sexuelles faites aux enfants : ‘‘ on vous croit ’’ », 11/2023, pp. 633-634.

[17] Ibidem.

Police administrative et JO : le Conseil d’Etat valide le régime d’autorisation d’accès et d’enquête administrative pour la cérémonie d’ouverture

Par une décision rendue le 1er juillet 2024, le Conseil d’Etat juge légal le décret du 14 mai 2024 portant application de l’article L. 211-11-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI) à la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques[1].

Pour rappel, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, adoptée dans le contexte des attentats de 2015 et en vue de l’Euro de 2016, a créé au sein du CSI un article L. 211-11-1instaurant un régime d’autorisation d’accès aux établissements et installations accueillant certains grands événements. Ces dispositions imposent d’abord au pouvoir règlementaire de désigner par décret les « établissements et installations qui accueillent ces grands évènements » et sont exposés à un risque « exceptionnel de menace terroriste ».

En application de ces dispositions, pendant toute la durée de l’événement et de sa préparation, toute personne autre qu’un spectateur ou un participant doit obtenir une autorisation préalable de l’organisateur pour accéder aux sites désignés. Cette autorisation de l’organisateur est subordonnée à l’avis préalable de l’autorité administrative, lequel se fonde sur une enquête administrative pouvant donner lieu à la consultation de certains fichiers comprenant des données personnelles, à l’exclusion des fichiers d’identification. Aux termes de ces dispositions, un avis défavorable ne peut être émis que s’il ressort de l’enquête administrative que le comportement ou les agissements de la personne sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’Etat.

A noter que le Conseil d’Etat avait déjà eu l’opportunité de se prononcer sur les dispositions précitées du CSI, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité qu’il avait refusé de transmettre au Conseil constitutionnel. A cet égard, il avait considéré que ces dispositions ne privaient pas de garanties légales les exigences constitutionnelles relatives à l’exercice de la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit au recours effectif dès lors que notamment, l’autorité réglementaire devait désigner le grand événement exposé à un risque terroriste exceptionnel, identifier l’organisateur responsable des autorisations d’accès, définir précisément la durée de préparation et de déroulement de l’événement, et désigner les établissements et installations concernés, à l’exclusion des autres locaux et voies publiques[2].

Le décret contesté du 14 mai 2024 désigne assez logiquement la cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris comme un « grand évènement » au sens de l’article L. 211-11-1 du CSI. Toutefois, ce décret désigne au titre des établissements et installations dont l’accès est soumis à autorisation administrative préalable un très large périmètre incluant notamment la Seine, les berges de Seine et d’autres voies publiques. Or, au vu de la jurisprudence du Conseil d’Etat et des dispositions du CSI, l’on pouvait s’interroger sur l’application régulière de ces dernières. Toutefois, et de manière assez pragmatique, le Conseil d’Etat a adopté ici une approche extensive, mais encadrée, des notions d’« établissement et installations ».

Pour ce faire, il a d’abord rappelé qu’en principe, les dispositions du CSI excluent que soient soumis à un tel régime tout autre local que ceux accueillant ces établissements et installations, ainsi que les voies publiques permettant d’y accéder. Il a néanmoins estimé que dans « le cas très particulier de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de 2024, la Seine elle-même, les voies publiques, et en particulier les quais bas, les quais hauts et les ponts devaient être regardés comme des établissements et installations accueillant ce grand événement » au sens et pour l’application de l’article L. 211-11-1 du CSI.

Il a également considéré qu’« en raison de sa nature, de sa visibilité internationale, du risque particulier qu’implique notamment la présence de chefs d’Etat et de gouvernement, de l’ampleur attendue de sa fréquentation et de la configuration des lieux qui l’accueillent », la cérémonie présentait un « caractère exceptionnel et sans précédent » qui justifiait la définition d’un tel périmètre, aussi étendu soit-il. Il est ainsi probable que cette appréciation extensive n’ait pas vocation à devenir la règle, mais à demeurer une exception cantonnée à des manifestations particulièrement exceptionnelles, voire exclusivement réservée à l’espèce.

Enfin, relevant – ainsi que le soutenait le requérant – que le dispositif mis en place permet de soumettre à une autorisation et à une enquête administrative préalable les personnes souhaitant accéder, à un titre autre que celui de spectateur, au périmètre défini par le décret, le Conseil d’Etat précise que « la délivrance d’une telle autorisation est de droit pour les personnes qui résident ou travaillent habituellement dans ce périmètre et qui en font la demande ».

Sous cette dernière condition, et eu égard aux enjeux et aux risques particulièrement prégnants pesant sur la cérémonie, le Conseil d’Etat a confirmé la légalité du décret attaqué, considérant qu’il ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de propriété des personnes soumises à la procédure d’autorisation d’accès.

 

[1] Décret n° 2024-431 du 14 mai 2024 portant application de l’article L. 211-11-1 du Code de la sécurité intérieure à la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de 2024.

[2] CE, 21 février 2018, Ligue des droits de l’Homme, n° 414827.

Laïcité : le juge administratif rappelle que le principe de neutralité ne s’applique pas aux élus locaux

Par un jugement remarqué rendu le 7 juin 2024, le Tribunal administratif de Grenoble rappelle qu’interdire de façon générale aux élus qui siègent au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leurs convictions religieuses est illégal car le principe de neutralité ne s’applique pas aux élus locaux.

Le fait pour un agent public de manifester ses croyances religieuses – notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion – dans l’exercice de ses fonctions (et dans certains cas particuliers hors de ses fonctions) constitue un manquement à l’obligation de neutralité à laquelle il est tenu et donc une faute[1]. Par cette obligation de neutralité imposée aux agents publics, il s’agit au fond de préserver le respect de toutes les croyances religieuses des usagers du service public, en leur assurant une stricte égalité d’accès et de traitement. Les élus bénéficient au contraire d’une très grande liberté dans le cadre de l’exercice de leur mandat, et ce dès le stade de la candidature. Ainsi, et alors même qu’ils ne sont que candidat à leur élection, aucune obligation de neutralité religieuse ne peut leur être opposée[2].

Cette même liberté d’expression religieuse vaut également une fois élu, et notamment au cours des séances de l’organe délibérant de la collectivité. Ainsi avait-t-il était jugé que le maire qui prive de parole un conseiller municipal, au motif qu’il porte un signe religieux, se rend coupable de discrimination dès lors qu’il n’est pas établi que le seul port d’un signe d’appartenance religieuse soit constitutif de troubles à l’ordre public et qu’aucune disposition législative ne permet au maire dans le cadre des séances du conseil municipal d’interdire aux élus de manifester publiquement leur appartenance religieuse[3]. Il en résulte que les élus peuvent exprimer, ne serait-ce que par le port d’un signe religieux visible, leurs opinions religieuses en conseil municipal.

Le maire ne saurait donc a fortiori interdire la présence d’un élu aux séances du conseil municipal au seul motif qu’il porterait un signe d’appartenance religieuse. C’est ce que viens rappeler le Tribunal administratif de Grenoble dans son jugement du 7 juin 2024. En l’occurrence, un conseil municipal avait adopté, au sein de son règlement intérieur, un article relatif à la police de l’assemblée qui prévoyait que : « une tenue vestimentaire correcte et ne faisant pas entrave au principe de laïcité est exigée des élus siégeant au conseil municipal ». Alors que plusieurs élus d’opposition avaient déféré à la censure du juge administratif la délibération afférente, celui-ci a d’abord relevé que ces dispositions avaient pour effet, si ce n’est pour objet, d’interdire, de manière générale, aux élus siégeant au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leur appartenance à une religion.

Il a ensuite indiqué que si, dans le cas où la tenue vestimentaire d’un élu municipal provoque un trouble à l’ordre public ou contrevient au bon fonctionnement de l’assemblée délibérante, il appartient au maire de prendre les mesures strictement nécessaires pour y remédier dans l’exercice de son pouvoir de police de l’assemblée, la liberté des élus municipaux d’exprimer leurs convictions religieuses ne peut être encadrée que sur le fondement de dispositions législatives particulières prévues à cet effet (en l’occurrence l’article L. 2121-16 du Code général des collectivités territoriales qui confie au maire la police de l’assemblée). Surtout, il a utilement rappelé qu’« il ne résulte d’aucune disposition législative que le principe de neutralité religieuse s’applique aux élus locaux ».

Par suite, le tribunal administratif a jugé les dispositions du règlement intérieur illégales en ce qu’elles interdisaient, de manière générale, aux élus siégeant au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leur appartenance à une religion.

 

[1] CE, avis, 3 mai 2000, n° 217017.

[2] CE, 23 décembre 2010, n° 337899.

[3] Cass., Crim. 1er septembre 2010, n° 10-80.584.

Est légal le refus de permis de construire pour la création de meublés touristiques fondé sur des considérations de salubrité publique

Dans cette affaire, une société propriétaire d’un local en rez-de-chaussée d’un immeuble en copropriété situé à Paris a déposé un dossier de demande de permis de construire pour le changement de destination de locaux d’artisanat en hébergement hôtelier avec modification des menuiseries extérieures, concernant précisément trois meublés touristiques.

Par décision du 24 février 2020, la Ville de Paris a refusé le permis de construire sollicité, au motif, comme rappelé par l’arrêt, que l’augmentation des flux et des nuisances sonores dans la cour de l’immeuble d’habitation, générés par la présence de trois meublés touristiques projetés par le pétitionnaire, étaient de nature à porter atteinte à la salubrité publique.

Le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision par jugement du 12 septembre 2022 et a enjoint à la Ville de délivrer le permis de construire sollicité au pétitionnaire. La Ville a alors interjeté appel de ce jugement. Dans son arrêt ici analysé, la Cour administrative d’appel de Paris a d’abord rappelé l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme, lequel dispose que :

« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. »

La Cour a relevé qu’il ressortait des pièces du dossier de demande de permis de construire que le projet prévoyait, dans un local auparavant occupé par une activité artisanale, la création de trois logements touristiques distincts d’une capacité totale d’accueil de 12 personnes en simultanée.

En outre, la Cour a relevé que ces trois meublés touristiques disposeraient, chacun, d’une entrée donnant sur la cour intérieure pavée de l’immeuble à usage d’habitation. Cette appréciation très casuistique de la Cour l’a conduite à considérer que : « dans ces conditions, le projet, par sa nature, son importance, et eu égard à la configuration des lieux, présente un risque de nuisances, notamment sonores, excédant les désagréments habituels de voisinage inhérents à l’occupation de logements collectifs, et est ainsi de nature à porter atteinte à la salubrité » au sens de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme.

La Cour en conclut que la Ville de Paris pouvait pour ce seul motif refuser le permis de construire sollicité.

Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne d’un arrêté antérieur de la CAA Paris, 10 mai 2023, n° 22PA02683. Dans cette affaire, il s’agissait également d’un changement de destination d’un local artisanal en deux meublés touristiques, pouvant accueillir 12 personnes simultanément, au sein d’un immeuble d’habitation. L’on relève que la Ville de Paris avait produit dans ce contentieux « plusieurs attestations d’habitants de la copropriété logés au rez-de-chaussée et riverains immédiats des deux meublés touristiques qui font état de nuisances sonores provenant de conversations bruyantes dans les cours adjacentes aux deux meublés, de claquements de portes à toute heure du jour et de la nuit et de nuisances diverses telles que des jets de cigarettes et de bouteilles dans les cours de l’immeuble ».

Ces deux arrêts rendus par la Cour administrative d’appel de Paris nous donnent, selon nous, une grille de lecture de l’appréciation retenue en considération des éléments suivants :

  • Le changement de destination d’un local (ici artisanal) à d’hébergement hôtelier ;
  • L’immeuble en copropriété à usage d’habitation ;
  • Le nombre de personnes pouvant être hébergées en simultanée (dans les 2 affaires, il s’agissait de 12 personnes) et non a priori pas tant le nombre de meublés (2 et 3 dans les contentieux ici évoqués) ;
  • La configuration des lieux (cour intérieure pavée, entrée distincte pour chacun des logements, etc.) ;
  • La production d’attestations d’habitants de la copropriété relatives aux nuisances.

Possibilité pour tous les conseils municipaux de moduler les indemnités de fonction de leurs membres au regard de leur participation effective

Par une décision en date du 6 juin 2024 le Conseil Constitutionnel a jugé contraire à la Constitution les dispositions de l’article L. 2123-24-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), issues de la loi du 27 décembre 2019 (n° 2019-1461) réservant la possibilité de modulation des indemnités de fonction des membres des conseils municipaux aux communes de 50 000 habitants et plus.

En effet, l’article L. 2123-24-2 du CGCT permet de moduler le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal de certaines communes peut allouer à ses membres, en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres. L’objectif de ces dispositions est d’assurer l’assiduité des conseillers municipaux aux réunions de l’organe délibérant de la commune et des commissions dont ils sont membres. Néanmoins, cet article réservait cette possibilité uniquement aux communes de 50.000 habitants et plus. Or, pour rappel, le principe d’égalité devant la loi est protégé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 selon lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

Toutefois, le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit (CC, décision n° 96-375 DC, du 9 avril 1996). Le Conseil Constitutionnel a estimé qu’au regard de l’objectif de ces dispositions, il n’y avait pas de différence de situation entre les communes de 50.000 habitants et plus et les autres communes puisque les conseillers municipaux sont tous soumis à la même obligation de participation aux réunions des organes et des commissions dont ils sont membres, ce qui avait pour conséquence d’instituer une différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi. Il a également estimé que cette différence de traitement ne pouvait pas non plus être justifiée par un motif d’intérêt général, et était donc contraire au principe d’égalité devant la loi.

Dès lors, le Conseil Constitutionnel a déclaré inconstitutionnels les mots « des communes de 50 000 habitants et plus » figurant à la première phrase de l’article L. 2123-24-2 du CGCT, dans sa rédaction issue de la loi du 27 décembre 2019. Aucun motif ne justifiant de reporter les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité, celle-ci a pris effet à compter de la date de la publication de la décision, soit le 7 juin 2024, et s’applique à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

L’article L. 2123-24-2 du CGCT, dans sa version en vigueur depuis le 7 juin 2024, dispose ainsi désormais que :

« Dans des conditions fixées par leur règlement intérieur, le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal alloue à ses membres peut être modulé en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres. La réduction éventuelle de ce montant ne peut dépasser, pour chacun des membres, la moitié de l’indemnité pouvant lui être allouée ».

Les agendas des élus locaux sont des documents administratifs communicables

Par une décision en date du 31 mai 2024, le Conseil d’Etat a jugé que les agendas des élus locaux détenus par la collectivité territoriale au sein de laquelle ils siègent, se rapportant à des activités qui s’inscrivent dans le cadre de leurs fonctions dans la collectivité, présentent le caractère de documents administratifs communicables au sens des articles L. 300-2 et L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Pour rappel, le premier aliéna de l’article L. 300-2 du CRPA fournit une définition ainsi qu’une liste non exhaustive d’exemples de documents administratifs :

« Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions ».

Quant à l’article L. 311-1 du CRPA, il fonde l’obligation pour les administrations de publier ou communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande. Le Conseil d’Etat opère néanmoins une distinction entre un agenda se rattachant aux fonctions exercées dans la collectivité qui est communicable, et un agenda personnel qui n’est, quant à lui, pas communicable.

En outre, la communication des agendas des élus locaux se rattachant à l’exercice des fonctions dans la collectivité est conditionnée à « l’occultation, le cas échéant, des mentions relatives à des activités privées ou au libre exercice du mandat électif ainsi que de celles dont la communication porterait atteinte à l’un des secrets et intérêts protégés par la loi, conformément à ce que prévoient les dispositions du Code des relations entre le public et l’administration, y compris des mentions qui seraient susceptibles de révéler le comportement de l’intéressé ou de tiers dans des conditions pouvant leur porter préjudice ».

S’agissant des activités se rattachant au libre exercice du mandat, le rapporteur public ayant conclu sur cette décision a indiqué, dans ce cadre, qu’il convenait d’écarter les rendez-vous qui ne s’inscrivaient pas dans le cadre des fonctions administratives de l’élu, mais dans celui de son activité politique. La Haute juridiction a également rappelé que les administrations n’étaient pas tenues de répondre à des demandes abusives. Elle a ainsi précisé que l’administration peut légalement refuser une demande de communication si « compte tenu de son ampleur, le travail de vérification et d’occultation ferait peser sur elle une charge disproportionnée », notamment au regard de la période, plus ou moins longue, sur laquelle porte cette demande et du nombre d’élus concernés. Cette précision a été rendue nécessaire par la demande en l’espèce, qui portait sur la communication intégrale des agendas de différents élus locaux sur des longues périodes pouvant porter sur plusieurs années, ce qui aurait fait peser sur l’administration une charge de travail disproportionnée.

Ainsi, le Conseil d’Etat a rejeté la requête de l’association tendant à annuler les décisions par lesquelles les demandes de communication lui avaient été toutes refusées. Avant cette décision, les juges du Palais-Royal s’étaient déjà prononcés sur le caractère communicable de courriels des élus (CE, 3 juin 2022, Commune d’Arvillard, n° 452218) et de leurs notes de frais (CE, 8 février 2023, Ville de Paris, n° 452521) :

  • S’agissant des courriels des élus (CE, 3 juin 2022, Commune d’Arvillard, n° 452218), il avait été jugé que « seules les correspondances émises ou reçues, dans le cadre des fonctions exercées au nom de la commune, par le maire, ses adjoints ou les membres du conseil municipal auxquels le maire a délégué une partie de ses fonctions, ont le caractère de documents administratifs au sens des dispositions citées au point 2 de l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’administration », tout en précisant qu’étaient exclues les correspondances des élus locaux exprimant des positions personnelles ou des positions prises dans le cadre du libre exercice de leur mandat électif ;
  • S’agissant des notes de frais des élus (CE, 8 février 2023, Ville de Paris, n° 452521), il avait été jugé que les « notes de frais et reçus de déplacements ainsi que [les] notes de frais de restauration et reçus de frais de représentation d’élus locaux ou d’agents publics constituent des documents administratifs, communicables à toute personne qui en fait la demande dans les conditions et sous les réserves prévues par les dispositions du Code des relations entre le public et l’administration ».

Agrivoltaïsme : point d’étape des contours législatifs et règlementaires après l’arrêté du 5 juillet 2024

Le cadre législatif et règlementaire actuel, et non encore achevé, de l’agrivoltaïsme a été impulsé par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi APER, qui vise notamment à permettre le développement du photovoltaïque en France. L’un des vecteurs de ce développement est celui de l’agrivoltaïsme.

Dans cette perspective donc, la loi APER a d’abord inscrit à l’article L. 100-4 du Code de l’énergie l’objectif « d’encourager la production d’électricité issue d’installations agrivoltaïques, […] en conciliant cette production avec l’activité agricole, en gardant la priorité donnée à la production alimentaire et en s’assurant de l’absence d’effets négatifs sur le foncier et les prix agricoles ».

La loi ne permettait évidemment pas de disposer d’un cadre juridique complet pour la mise en œuvre pratique de ces objectifs de développements. Aussi, sont intervenus le décret n° 2024-318 en date du 8 avril 2024 d’application de la loi APER, ainsi que l’arrêté du 5 juillet 2024 relatif au développement de l’agrivoltaïsme et aux conditions d’implantation des installations photovoltaïques sur terrains agricoles, naturels ou forestiers. Si d’autres textes sont attendus, la loi, le décret et l’arrêté constituent le socle principal du cadre juridique de l’agrivoltaïsme, de sorte qu’il convient ici de faire un point d’étape sur les contours de ce régime juridique.

Pour évoquer les différents éléments de ce régime, nous adopterons la présentation du décret du 8 avril dernier en évoquant successivement :

  • La définition des installations agrivoltaïques et des installations agricompatibles (I.)
  • Le régime des autorisations d’urbanisme (II.)
  • Les contrôles et les sanctions (III.)

I. Définitions des installations agrivoltaïques

Aux termes de la loi APER, les installations photovoltaïques en zone agricole sont classées en deux catégories :

  • Des installations agrivoltaïques au sens de l’article L.314-36 du Code de l’énergie, elles peuvent être implantées en zone agricole ;
  • Les installations compatibles avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestières, leur installation est bien plus encadrée.

S’agissant d’abord de la première catégorie, répondant donc aux caractéristiques de l’agrivoltaïsme, la loi APER a introduit à l’article L. 314-36 du Code de l’énergie une définition positive (A.) de l’installation photovoltaïque, ainsi qu’une définition négative (B.). Le décret du 8 avril 2024, ainsi que l’arrêté du 5 juillet 2024 ont complété ces définitions. Plus précisément, l’article L. 314-36 du Code de l’énergie qu’une installation agrivoltaïque est une « installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole ».

A. La définition positive de l’installation agrivoltaïque

La définition positive de l’agrivoltaïsme ressort du II de l’article L. 314-36 du Code de l’énergie :

« Est considérée comme agrivoltaïque une installation qui apporte directement à la parcelle agricole au moins l’un des services suivants, en garantissant à un agriculteur actif ou à une exploitation agricole à vocation pédagogique gérée par un établissement relevant du titre Ier du livre VIII du code rural et de la pêche maritime une production agricole significative et un revenu durable en étant issu :

1° L’amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques ;

2° L’adaptation au changement climatique ;

3° La protection contre les aléas ;

4° L’amélioration du bien-être animal. ».

Ainsi, la définition retient trois grands axes :

  • Apporter à la parcelle agricole au moins un service précisément visé par l’article (1.) ;
  • Ces ouvrages assurent une production agricole significative (2.) ;
  • Et un revenu durable à l’agriculture (3.).

Chacune de ces composantes de définition a été nourrie par la loi, le décret et éventuellement par le décret, il convient d’en faire une analyse globale.

  1. L’apport d’un service

Pour recevoir la qualification d’agrivoltaïsme, il convient de pouvoir constater donc que les installations de production de l’électricité apportent à l’une des parcelles au moins l’un des services énumérés au II de l’article L. 314-36 précité. Le décret du 8 avril 2024 est venu préciser ce que comprennent ces services :

  • La définition du contenu du service relatif à « l’amélioration, du potentiel et de l’impact agronomiques» qui consiste :

« en une amélioration des qualités agronomiques du sol et, d’autre part, en une augmentation du rendement de la production agricole ou, à défaut, au maintien de ce rendement ou au moins à la réduction de la baisse tendancielle du rendement qui est observée au niveau local. Peut également être considérée comme améliorant le potentiel agronomique des sols toute installation qui permet une remise en activité agricole ou pastorale d’un terrain agricole inexploité depuis plus de cinq années ».

  • Du service relatif à « l’adaptation au changement climatique » qui consiste :

« en une limitation des effets néfastes du changement climatique se traduisant par une augmentation du rendement de la production agricole ou, à défaut, à la réduction, voire au maintien, du taux de la réduction tendancielle du rendement qui est observée au niveau local, ou par une amélioration de la qualité de la production agricole. La limitation des effets néfastes du changement climatique s’apprécie notamment par l’observation de l’un des effets adaptatifs suivants :

1° En termes d’impact thermique, par la fonction de régulation thermique de la structure en cas de canicule ou de gel précoce ou tardif ;

2° En termes d’impact hydrique, par la limitation du stress hydrique des cultures ou des prairies, l’amélioration de l’efficience d’utilisation de l’eau par irrigation ou la diminution de l’évapotranspiration des plantes ou de l’évaporation des sols, et par un confort hydrique amélioré ;

3° En termes d’impact radiatif, par la limitation des excès de rayonnement direct conduisant notamment à une protection contre les brûlures foliaires » ;

  • Du service relatif à la « protection contre les aléas» qui :

« s’apprécie au regard de la protection apportée par les modules agrivoltaïques contre au moins une forme d’aléa météorologique, ponctuel et exogène à la conduite de l’exploitation et qui fait peser un risque sur la quantité ou la qualité de la production agricole, à l’exclusion des aléas strictement économiques et financiers » ;

  • Du service relatif à « l’amélioration du bien-être animal » qui :
    « s’apprécie au regard de l’amélioration du confort thermique des animaux, démontrable par l’observation d’une diminution des températures dans les espaces accessibles aux animaux à l’abri des modules photovoltaïques et par l’apport de services ou de structures améliorant les conditions de vie des animaux ».
  1. Le maintien d’une production agricole significative

Par la suite, la loi APER a indiqué à l’article L. 314-36 que pour être qualifié d’installations agrivoltaïques, ces ouvrages doivent permettre une production agricole significative. Le décret précise qu’elle sera regardée comme significative si la moyenne du rendement par hectare observé sur la parcelle est supérieure à 90 % de la moyenne du rendement par hectare observé sur une zone témoin ou un référentiel en faisant office.

Par ailleurs, le nouvel article R. 314-114 du Code de l’énergie introduit par le décret du 8 avril 2024 prévoit des exceptions qui peuvent être consenties sous certaines conditions par le préfet. Le décret et l’arrêté reviennent sur deux de ces notions importantes de la qualification de production agricole significative : la moyenne de rendement et la zone témoin.

D’une part, l’article 3 de l’arrêté du 5 juillet 2024 définit le mode d’appréciation de la moyenne de rendement par hectare pour les installations hors élevage et pour l’élevage.

D’autre part, l’article 1er du décret du 8 avril donne les caractéristiques d’une zone témoin, qui doit entre autres représenter une superficie d’au moins 5 % de la surface agrivoltaïque installée (dans la limite d’un hectare), située à proximité de l’installation agrivoltaïque, sans présenter aucun module photovoltaïque ou autre ombre, être cultivée dans les mêmes conditions que la parcelle sur laquelle est située l’installation agrivoltaïque, etc.

Le nouvel article R. 314-115 du Code de l’énergie prévoit quelques cas où il peut être dérogé à l’obligation de se référer à la zone témoin (par exemple pour les installations dont le taux de couverture est inférieur à 40 % pour une raison d’incapacité technique de créer une zone témoin).

En outre, l’activité agricole doit, pour être significative, rester l’activité principale de la parcelle. Pour ce faire, le nouvel article R. 314-118 introduit par le décret du 8 avril 2024, prévoit que :

  • La superficie qui n’est plus exploitable du fait de l’installation agrivoltaïque ne doit pas 10 % de la superficie totale couverte par l’installation agrivoltaïque ;
  • La hauteur de l’installation agrivoltaïque ainsi que l’espacement inter-rangées permettent une exploitation normale et assurent notamment la circulation, la sécurité physique et l’abri des animaux ainsi que, si les parcelles sont mécanisables, le passage des engins agricoles.
  1. Un revenu durable

L’article L. 314-36 du Code de l’énergie introduit par la loi APER prévoit en outre que répondent à la définition d’installations agrivoltaïque celles qui garantissent un revenu durable à l’agriculteur. Le décret du 8 avril donne une définition de cette notion de revenu durable comme suit :

« Le revenu issu de la production agricole est considéré comme durable lorsque la moyenne des revenus issus de la vente des productions végétales et animales de l’exploitation agricole après l’implantation de l’installation agrivoltaïque n’est pas inférieure à la moyenne des revenus issus de la vente des productions végétales et animales de l’exploitation agricole avant l’implantation de l’installation agrivoltaïque, en tenant compte de l’évolution de la situation économique générale et de l’exploitation, selon des modalités définies par arrêté. Une diminution plus importante peut être acceptée par le préfet du département, en raison d’événements imprévisibles et sur demande dument justifiée. Dans le cas de l’installation d’un nouvel agriculteur, le revenu est considéré comme durable par comparaison avec les résultats observés pour d’autres exploitations du même type localement. » (R. 314-117 Code de l’énergie).

En somme, il faut que, sauf conjoncture différente, les revenus de l’agriculteur issus de son activité agricole ne baissent pas par rapport à la période précédant l’implantation. Des installations de production d’énergie solaire. Le 6° de l’article 3 de l’arrêté du 5 juillet précise le mode de calcul des revenus issus de la vente des production végétales et animales de l’exploitation agricole.

B. La définition négative et les installations agricompatibles

  1. Les conditions de l’exclusions de la définition

La loi APER a également introduit au IV de l’article L. 314-36 du Code de l’énergie une définition par la négative, et donc des ouvrages de production d’électricité à partir de l’énergie solaire qui ne correspondent pas à la définition des installations agrivoltaïques : elle est beaucoup plus limitée. Selon l’article L. 314-36, ne sont pas des installations agrivoltaïques, les installations qui présentent au moins l’une de ces caractéristiques :

  • Elle ne permet pas à la production agricole d’être l’activité principale de la parcelle agricole ;
  • Elle n’est pas réversible.

Les modalités techniques des installations doivent permettre qu’elles n’affectent pas durablement les fonctions écologiques du sol, en particulier ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques ainsi que son potentiel agronomique, et que l’installation ne soit pas incompatible avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière.

  1. Les documents cadres

Les ouvrages qui ne peuvent recouvrir la définition de l’agrivoltaïsme, mais qui restent agricompatibles ne peuvent être implantés qu’au sein d’une surface identifiée dans un document-cadre établi par arrêté préfectoral après consultation de la commission CDPENAF, des organisations professionnelles intéressées et des collectivités territoriales concernées et sur proposition de la chambre départementale d’agriculture pour le département concerné : seuls peuvent être identifiés au sein de ces surfaces des sols réputés incultes ou non exploités depuis une durée minimale définie par décret (les sols ainsi identifiés sont intégrés en tout ou partie dans les zones d’accélération).

Pour les terres réputées incultes, le décret précise qu’une terre doit être regardée comme telle quand elle répond à l’un au moins des critères suivants :

  • Le site est un site pollué ou une friche industrielle ;
  • Le site est une ancienne carrière, sauf lorsque la remise en état agricole ou forestière a été prescrite ou une carrière en activité dont la durée de concession restante est supérieure à 25 ans ;
  • Le site est une ancienne carrière avec prescription de remise en état agricole ou forestière datant de plus de 10 ans mais dont la réalisation est inefficace en dépit du respect des prescriptions de cessation d’activité ;
  • Le site est une ancienne mine, dont ancien terril, bassin, halde ou terrain dégradé par l’activité minière, sauf lorsque la remise en état agricole ou forestier a été prescrite ;
  • Le site est une ancienne Installation de Stockage de Déchets Dangereux ou une ancienne Installation de Stockage de Déchets Non Dangereux ou une ancienne Installation de Stockage de Déchets Inertes, sauf lorsque la remise en état agricole ou forestier a été prescrite ;
  • Le site est un ancien aérodrome, délaissé d’aérodrome, un ancien aéroport ou un délaissé d’aéroport en domaine public ou privé ;
  • Le site est un délaissé fluvial, portuaire routier ou ferroviaire en domaine public ou privé ;
  • Le site est situé à l’intérieur d’une installation classée pour la protection de l’environnement soumise à autorisation, à l’exception des carrières et des parcs éoliens ;
  • Le site est un plan d’eau ;
  • Le site est dans une zone de danger d’un établissement SEVESO pour laquelle la gravité des conséquences humaines d’un accident à l’extérieur de l’établissement est à minima importante défini selon l’annexe 3 de l’arrêté du 29 septembre 2005 ;
  • Le site est en zone d’aléa fort ou très fort d’un plan de prévention des risques technologiques ;
  • Le site est un terrain militaire, ou un ancien terrain, faisant l’objet d’une pollution pyrotechnique ;
  • Le site est situé dans une zone classée comme favorable à l’implantation de panneaux photovoltaïques dans le plan local d’urbanisme de la commune ou de l’intercommunalité.

Pour ce qui est des surfaces non exploitées, ce sont celles non exploitées depuis au moins dix ans à la date de publication de la loi. Sont par ailleurs de facto exclues des documents cadres les périmètres de mise en œuvre d’un aménagement foncier agricole et forestier et les zones agricoles protégées. L’arrêté en date du 5 juillet donne la liste de certains espaces forestiers qui ne peuvent être inclus dans le document cadre (article 8 de l’arrêté). L’article 9 de l’arrêté précise que le préfet de département peut restreindre par arrêté la liste des catégories de bois et forêts ne pouvant être intégrées dans les documents cadres, dès lors que cette restriction est motivée par l’existence de circonstances locales et qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à la protection de bois et forêts sur le territoire. Le décret précise que les surfaces définies dans le document cadre sont en principe identifiées à l’échelle des parcelles cadastrales.

II. Le régime des autorisations d’urbanisme

Le décret en date du 8 avril et l’arrêté du 5 juillet apportent diverses précisions sur les conditions d’instruction des installations agrivoltaïques ou agricompatibles.

Compétence

C’est le préfet qui est compétent pour délivrer l’autorisation d’urbanisme concernant les projets d’installations agrivoltaïques (cf. article R. 422-2 du Code de l’urbanisme modifié par le décret du 8 avril 2024).

Adaptation du dossier de demande de permis ou de déclaration préalable

Le décret en date du 8 avril 2024 apporte des adaptations au Code de l’urbanisme afin de prévoir des pièces complémentaires à apporter dans le cadre de l’instruction d’une déclaration préalable ou d’un dossier de demande de permis de construire selon que le projet correspond à de l’agrivoltaïque, à des serres, hangars ou ombrières à usage agricole supportant des panneaux photovoltaïques, ou à un ouvrage de production d’électricité à partir de l’énergie solaire compatible avec l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière.

Pour les installations agrivoltaïques, le dossier doit permettre de justifier du respect des conditions prévues à l’article L. 314-36 et décrite ci-dessus, permettant de s’assurer notamment que le projet rend au moins un des quatre services énumérés par le Code de l’énergies, du caractère principal de l’activité agricole, qu’elle est significative, zone témoin, attestation que l’agriculteur est actif, etc.

Pour les installations de serres, de hangars et de ombrières à usage agricole, le décret prévoit que le dossier doit permettre de justifier que l’installation des serres, des hangars et des ombrières à usage agricole est nécessaire à l’exercice d’une activité agricole, pastorale ou forestière.

Pour les installations agricompatibles le dossier doit comporter une pièce permettant de justifier du respect des critères de l’article R. 111-20-1 du Code de l’énergie.

Délai d’avis du CDPENAF

L’article 3 du décret du 8 avril 2024 créé un nouvel article R. 423-70-2 du Code de l’urbanisme qui précise que l’avis de la Commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) est réputé favorable en l’absence de réponse dans un délai de deux mois (par dérogation à la règle générale des 1 mois prévue à l’article R. 423-59).

Durée de l’autorisation et conditions de prorogation de cette durée

L’article 4 du décret précise que toute installation agrivoltaïque ou agricompatible ne peut être autorisée pour une durée allant au-delà de 40 ans, durée qui peut être prorogée de 10 années lorsque le rendement de l’installation reste significatif (R. 111-62 Code de l’urbanisme).

Le pétitionnaire doit formuler une demande de prorogation au moins six mois avant la date d’échéance de l’autorisation.

Les opérations de démantèlement et de remise en état

Puisque l’autorisation n’est que provisoire, le décret prévoit les conditions de démantèlement et de remise en état du site après exploitation. L’autorisation prévoit des prescriptions relatives à l’enlèvement des ouvrages et à la remise en l’état (cf. nouvel article L. 421-6-2 code de l’urbanisme).

Le décret du 8 avril précise que ces opérations doivent être réalisées dans le délai d’un an à compter de la fin de l’exploitation de l’installation ou de la date d’échéance de son autorisation (R. 111-63 du Code de l’urbanisme). Sur avis de la CDPENAF ce délai peut être étendu jusqu’à trois ans en cas de difficulté matérielle tenant à la topographie du terrain.

La constitution de garanties financières auprès de la Caisse des dépôts et consignations

La délivrance de l’autorisation d’urbanisme peut être soumise à la condition de la constitution de garanties financières par le pétitionnaire, qui devront permettre de financer le démantèlement et la remise en l’état (cf. article L. 314-40 du Code de l’énergie introduit par la loi APER). Le décret précise que ces garanties financières ne sont pas opposables aux installations de serres, de hangars et de ombrières à usage agricole, et les conditions de la déconsignation de la somme, levée totale ou partielle

L’arrêté du 5 juillet est venu fixer le montant forfaitaire de ces garanties financière (cf. article 1) pour procéder au calcul.

III. Contrôles et sanctions

La loi APER prévoyait que le décret à intervenir devait définir les modalités de suivi et de contrôle des installations ainsi que les sanctions en cas de manquement (article L. 314-36 V.). Ce sont les articles 6 et 7 du décret du 8 avril 2024 et l’article 4 de l’arrêté du 5 juillet 2024 qui ont élaboré les conditions de ces contrôles et sanctions.

Pour les installations agrivoltaïques ainsi que les zones témoins, il est prévu :

  • Un contrôle préalable à la mise en service ;
  • Un contrôle dans la 6ème année de la mise en service ;
  • Les travaux de démantèlement et de remise en état du site font également l’objet d’un rapport établissant un relevé technique du terrain.

Ces contrôles sont réalisés par un organisme scientifique, un institut technique agricole, une chambre d’agriculture ou un expert foncier et agricole. L’article 4 de l’arrêté du 5 juillet 2024 précise ce que doit comprendre le rapport de contrôle, permettant de s’assurer du respect des conditions prévues au code de l’énergie et au code de l’urbanisme. Des contrôles sont également prévus pour d’autres installations, telles que des contrôles tous les trois ans pour les installations dont le taux de couverture est inférieur à 40 %, et tous les ans pour les autres installations. L’exploitant des installations agrivoltaïques doit également transmettre annuellement les informations nécessaires au suivi de la production énergétique et agricole de la parcelle à l’Agence de l’environnement de la maîtrise de l’énergie. Des sanctions sont associées à l’absence de mise en œuvre de ces formalités, notamment l’absence de transmission du rapport annuel, et en l’absence de démantèlement ou de remise en état du site.

 Pour les installations agricompatibles, il est également prévu :

  • Un contrôle préalable à la mise en service ;
  • Un contrôle dans la 6ème année de la mise en service ;
  • Un rapport sur les travaux de démantèlement et de remise en état du site.

L’arrêté en date du 5 juillet 2024 précise là encore le contenu de ces contrôle et rapports.

 

Emmanuelle Baron

Evaluation environnementale : mise à jour de la nomenclature

Évaluation environnementale des projets, Guide de lecture de la nomenclature, Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Plusieurs modifications de la nomenclature des projets soumis à évaluation environnementales sont intervenues au mois de juin 2024, portées par le décret du n° 2024-529. Ces modifications, qui ont principalement consisté à basculer certaines catégories de projets de l’évaluation systématique à l’évaluation au cas par cas, concernent les rubriques suivantes :

  • La rubrique 1., relative aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Le décret a soustrait à l’obligation de réaliser une évaluation environnementale systématique :
    • les élevages intensifs de volailles ou de porcs mentionnés par la rubrique 3660 de la nomenclature des ICPE. Demeureront seuls soumis de manière obligatoire à cette procédure les élevages intensifs de plus de 85 000 emplacements pour les poulets, 60 000 emplacements pour les poules, 3 000 emplacements pour les porcs de production et de plus de 900 emplacements pour les truies. Il s’agissait ici selon la note fournie par le ministère lors de la consultation du public, de s’aligner avec les seuils fixés par l’annexe I de la directive 2011/92/UE concernant l’évaluation des incidences de certains projets ;
    • concernant les activités de stockage géologique de CO2, les essais d’injection et de soutirage en formation géologique réalisés pendant la phase de recherche et d’une quantité inférieure à 100 kilotonnes.
  • La rubrique 27., qui concerne les forages en profondeur à l’exception des forages pour étudier la stabilité des sols, est modifiée afin de corriger une erreur matérielle concernant un renvoi à l’article du Code minier relatif aux activités géothermiques de minime importance ;
  • La rubrique 44., relative aux équipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés. Il est précisé que ne seront plus soumis à évaluation environnementale au cas par cas les projets concernant certains de ces équipements lorsqu’ils ne sont pas susceptibles d’accueillir plus de 1 000 personnes.
  • La rubrique 45, concernant certaines opérations d’aménagements fonciers agricoles et forestiers, qui ne seront plus soumises à évaluation environnementale systématique mais à évaluation environnementale au cas par cas.

Afin de prendre en compte ces modifications, le Guide méthodologique de lecture de cette nomenclature élaboré par le ministère a ainsi été actualisé.

Géothermie de minime importance : identification des modalités de certification

Arrêté du 29 mai 2024 modifiant l’arrêté ministériel du 25 juin 2015 relatif aux prescriptions générales applicables aux activités géothermiques de minime importance et l’arrêté ministériel du 25 juin 2015 relatif à l’agrément d’expert en matière de géothermie de minime importance

Deux arrêtés publiés au Journal officiel en date du 19 juin 2024 ont complété le cadre règlementaire applicables aux projets de géothermie de minime importance.

1°) Le premier fixe, conformément à l’article L. 164-1-1 du Code minier, les modalités de certifications des travaux de forage s’attachant à l’ouverture des travaux d’exploitation ainsi qu’à la remise en état lors de la cessation d’activité. Sont ainsi identifiés le processus de certification, les exigences pour les organismes de certification, les modalités de transfert de la certification, etc.

2°) Le second arrêté a quant à lui modifié les prescriptions applicables aux activités géothermiques de minime importance. On peut notamment noter que :

  • L’arrêté précise les mesures à mettre en œuvre lors de la réalisation de l’installation, ses modalités de surveillance et d’entretien ainsi que celles relatives à l’arrêt d’exploitation ;
  • Il prévoit également la possibilité de recourir à des échangeurs géothermiques fermés inclinés et définit leurs conditions d’implantation.

Autorisation environnementale : appréciation de l’intérêt à agir des communes

Dans quelles conditions une commune peut-elle se voir reconnaitre un intérêt à agir à l’encontre d’une autorisation environnementale ? Il s’agit de la question sur laquelle la Cour administrative d’appel de Lyon a été amenée à se pencher au sein d’un arrêt du 6 juin 2024.  Dans cette affaire, plusieurs requérants dont deux communes sur le territoire desquelles le projet devait être implanté, contestaient le permis de construire valant autorisation environnementale accordé pour l’exploitation d’un projet relatif à un projet de construction d’éoliennes. Ces permis de construire intervenaient en complément de permis initiaux et avaient pour objet de régulariser des vices de légalité externe.

La Cour indique ainsi que, sur le fondement de l’article R. 181-50 du Code de l’environnement, une personne morale de droit public a intérêt à contester une autorisation environnementale lorsque l’autorisation représente des inconvénients ou des dangers pour les intérêts visés à l’article L. 181-3 (dont ceux liés à la protection de l’environnement, de la ressource en eau, des paysages, etc.) qui sont de nature à affecter par eux-mêmes sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue. La circonstance que le projet soit implanté sur le territoire d’une commune ou sur celui d’une commune limitrophe ne conduit pas, selon la CAA, a une appréciation différente de l’intérêt à agir d’une commune.

Le juge considère dans cette espèce que, la décision litigieuse ne concernant que la régularisation de vices de légalité externe, l’autorisation en tant que telle n’aggrave pas les effets du projet initial et ne porte donc pas des atteintes au territoire des deux communes requérantes et à leur attractivité touristique susceptibles de les affecter dans leur situation, leurs intérêts ou leurs compétences.

Cette décision reprend ainsi les principes édictés par deux décisions du Conseil d’Etat du 1er décembre 2023 (voir notre article sur le sujet).

Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) : les pouvoirs du préfet dans l’application de mesures de protection de l’environnement après la cessation d’activité

Par un arrêté en date du 3 mars 2020, le préfet du Val-de-Marne avait prescrit à la société des Pétroles Shell la réalisation de nouvelles investigations relatives à la pollution résiduelle sur le site de son ancien dépôt de pétrole de Choisy-le-Roi. Cet arrêté faisait suite à une visite de l’inspection des installations classées intervenue en janvier 2018 après des plaintes déposées par les voisins du site du fait de la présence d’odeurs d’hydrocarbures survenues à la suite d’une crue de la Seine sur le site en cause.

La Société, qui avait procédé à la cessation de son activité et avait reçu en avril 2005 de la part de l’inspection des installations classées un procès-verbal établissant que la dépollution du site avait été réalisée selon les dispositions de l’arrêté préfectoral de référence, conteste dès lors l’arrêté lui prescrivant la réalisation de mesures complémentaires en 2020.

Le juge administratif réaffirme alors le principe selon lequel les dispositions de l’article L. 511-1 du Code de l’environnement permettent à l’autorité administrative de prendre à tout moment, à l’égard de l’exploitant d’une ICPE, les mesures qui se révèleraient nécessaires à la protection des intérêts énumérés à cet article et ce même si ces mesures concernent des terrains situés au-delà du stricte périmètre de l’ICPE en cause dès lors que ceux-ci présentent des risques de nuisances pour la santé publique ou la sécurité publique ou la protection de l’environnement, se rattachant directement à l’activité présente ou passée de cette installation.

Partant, on retiendra en particulier de cette décision que, dès lors que la société Shell n’a pas produit d’élément permettant d’écarter le lien entre son activité passée et la pollution constatée sur un terrain elle n’était pas fondée à soutenir que les investigations complémentaires qui lui ont été imposées par le préfet n’étaient ni justifiées, ni adaptées, ni efficaces.

Le tribunal conclut dès lors au rejet de la requête de la société.

Débat public : légalité de la décision posant le principe et les conditions de la poursuite du projet

Par deux requêtes distinctes de l’Association Nature Environnement 17 et de la commune de Saint-Pierre-d’Oléron, le juge administratif a dû apprécier la légalité de la décision du ministre de la Transition Écologique posant le principe et les conditions de poursuivre le projet d’implantation de deux parcs éoliens en mer au sein d’une zone de 300 km2 située au large de l’île d’Oléron, étendue par la suite pour atteindre une superficie de 743 km².

Cette décision a été adoptée sur le fondement de l’article L. 121-13 du Code de l’environnement aux termes duquel, « lorsqu’un débat public a été organisé sur un plan, programme ou projet, le maître d’ouvrage du projet ou la personne publique responsable de l’élaboration du plan ou du programme décide, dans un délai de trois mois après la publication du bilan du débat public, par un acte qui est publié, du principe et des conditions de la poursuite du plan, du programme ou du projet ».

La Haute juridiction pose d’abord le principe selon lequel un tel acte a pour seul objet de tirer les conséquences du débat public et que s’il acquiert le caractère d’une décision dès lors, notamment qu’une fois qu’il est devenu définitif, aucune méconnaissance des articles L. 121-8 à L. 121-12 du Code de l’environnement ne peut plus être invoquée, « il ne peut, eu égard à son objet, être contesté que sur le fondement de moyens tirés de vices propres dont il serait entaché et de l’irrégularité du débat public au regard de ces mêmes dispositions, à l’exclusion, notamment, de toute contestation du bien-fondé de l’opération dont il est décidé de poursuivre les études, celui-ci ne pouvant être mis en cause qu’à l’occasion des actes qui, au titre des différentes législations applicables, en autorisent la réalisation ».

C’est ainsi notamment que le juge rejette le moyen des requérantes tiré de ce que la décision exclurait la pratique de la pêche et affecterait la sécurité maritime dans la zone d’implantation des projets mais également de ce qu’elle méconnaitrait les dispositions de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ainsi que l’article L. 414-1 du Code de l’environnement, dans la mesure où, précisément, il s’agit ici d’apprécier le bien-fondé de la décision. Concernant les autres moyens, ils sont également rejetés un à un au motif :

  • que la personne responsable du projet dans le cas présent, au sens de l’article L. 121-13 du Code de l’environnement, est le ministre de la Transition Énergétique quand bien même le Premier ministre aurait saisi la commission nationale du débat public ;
  • que le dossier soumis au débat examinait bien des solutions alternatives et notamment l’hypothèse dans laquelle le projet ne se ferait pas ;
  • que l’article L. 121-8-1 du Code de l’environnement, dans sa version applicable au projet, n’envisageait pas la consultation des communes situées sur le littoral de la façade maritime concernée par le projet et qu’en tout état de cause plusieurs communes du littoral ont ultérieurement été invitées par la commission particulière du débat public à formuler un avis sur le projet, conformément aux mêmes dispositions ;
  • que la décision de la commission nationale du débat public sur la suite donnée à sa saisine a été publiée au Journal officiel conformément à l’article R. 121-6 du Code de l’environnement et qu’une telle publication ne s’imposait pas à l’avis par lequel la commission s’est prononcée sur la prise en considération, par le maître d’ouvrage, du compte-rendu du débat public ;
  • que la circonstance que la décision prévue à l’article L. 121-3 précité ait été publiée deux jours après l’expiration du délai de trois mois prévu par le même article est sans incidence sur sa légalité ;
  • et que la zone d’étude du débat public n’était pas trop restreinte de sorte que le principe de participation du public a été respecté.

Partant, le Conseil d’Etat a prononcé le rejet des recours en annulation.

Déchets : la qualité d’exploitant des installations classées pour la protection de l’environnement de fait

Dans l’espèce examinée, le juge s’est prononcé sur la légalité d’un arrêté préfectoral mettant en demeure la Société Foncière Industrie au titre de la législation sur les Installations classées pour la protection de l’environnement (ici les ICPE), soit de déclarer la cessation définitive de son activité de transit et regroupement de déchets non dangereux et de procéder à l’évacuation des déchets stockés dans l’entrepôt dont elle était locataire à Brignais soit de régulariser cette activité.

Dans les faits, la Société Foncière Industrie louait à la Société Collectors un terrain, cette dernière y exploitant une activité de stockage de déchets. A la fin de la période d’exploitation la Société Collectors devait engager la procédure de cessation d’activité. Toutefois, dans la perspective de vendre son terrain, c’est la Société Foncière Industrie qui a procédé à l’évacuation des déchets présent sur le site en les entreposant sur un autre terrain situé à Brignais. Pour faire cesser cette situation, le préfet a dès lors pris des mesures à l’encontre de la Société sur le fondement de la législation ICPE, considérant que l’entreprise s’était illégalement vouée à une activité de transit et regroupement de déchets non dangereux.

Alors que les deux premiers degrés de juridiction se sont prononcés en faveur de l’annulation des arrêtés adoptés par le préfet à l’encontre de la Société Foncière Industrie, le Conseil d’Etat revient sur ces décisions au motif que la société Foncière Industrie devait être regardée comme « exerçant, de fait, sur le site qu’elle avait retenu à Brignais, une activité de transit et de regroupement de déchets lui conférant la qualité d’exploitant d’une installation relevant de la rubrique 2714 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, distincte de l’installation située à Mornant et faisant l’objet de la mise en demeure antérieure de remise en état du site adressée par le préfet à la société Collectors ».

Fixation des dotations définitives au titre du Fonds de Péréquation de l’Electricité (FPE) pour l’année 2024

Délibération n° 2024-98 du 13 juin 2024

Délibération n° 2024-99 du 13 juin 2024

Délibération n° 2024-100 du 13 juin 2024

A la différence de l’Accès des Tiers au Réseau de Distribution de gaz naturel (ici ATRD) en matière de distribution de gaz[1], le tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (ici le TURPE) – visant à couvrir les coûts supportés par les gestionnaires de réseaux de distribution (ici les GRD) pour l’exploitation du réseau – fait l’objet d’une péréquation nationale. Il est ainsi identique quel que soit le gestionnaire en cause et déterminé à partir du niveau prévisionnel de charges supporté par Enedis, gestionnaire historique. Pourtant, ces coûts sont différents d’un gestionnaire à l’autre, notamment en raison des particularismes locaux du réseau de distribution en cause. Pour pallier l’hétérogénéité des conditions d’exploitation de ces réseaux, a été introduit un fond de péréquation de l’électricité (FPE) prévu par l’article L. 121-29 du Code de l’énergie.

Ces dispositions permettent ainsi aux gestionnaires desservant plus de 10.000 habitants ou desservant des zones non interconnectées (ici les ZNI) et considérant que la formule de péréquation nationale ne permet pas de prendre en compte leurs coûts d’exploitation, de solliciter une péréquation de leurs coûts adaptée à leur situation.

Il revient ensuite à la CRE de procéder à l’analyse de leurs coûts pour déterminer les montants à percevoir. C’est ainsi que la Commission saisie de demandes en ce sens de la part de plusieurs gestionnaires, est venue fixer, par quatre délibérations du 13 juin 2024, les montants des dotations prévisionnelles qui leur seraient versées au titre du FPE pour l’année 2024. Elles sont respectivement des montants suivants :

 

[1] Pour plus de détails, nous vous invitons à consulter notre brève relative aux récentes évolutions de l’ATRD.

La Commission de Régulation de l’Energie fait évoluer plusieurs tarifs d’utilisation des réseaux de distribution publique de gaz naturel

CRE, Délibération n° 2024-111 du 13 juin 2024

CRE, Délibération n° 2024-112 du 13 juin 2024

L’Accès des Tiers au Réseau de Distribution de gaz naturel (ici les ATRD) est le tarif d’utilisation des réseaux de distribution de gaz naturel payé par les utilisateurs des réseaux de distributions visant à couvrir les coûts de développement, d’exploitation et d’entretien du réseaux supportés par les gestionnaires de réseaux de distribution (ici les GRD).

A la différence du tarif d’utilisation du réseau public d’électricité (ici le TURPE) en matière d’électricité et en raison de la structure particulière du marché de la distribution de gaz, l’ATRD ne fait pas l’objet d’une péréquation nationale. Il ne vaut ainsi qu’à l’intérieur de la zone de desserte d’un opérateur (GRDF ou entreprise locale de distribution – ici ELD, ces dernières disposant pour certaines d’un tarif commun et pour d’autre de tarifs spécifiques).

En parallèle, les nouveaux réseaux de distribution publique de gaz naturels dont l’exploitation est confiée à un GRD après mise en concurrence (article L. 423-6 du Code de l’énergie) ne font pas l’objet de péréquation tarifaire. Ils disposent quant à eux d’un tarif propre à chacun d’entre eux (article L. 452-1-1 du Code de l’énergie).

L’ensemble de ces tarifs suit toutefois une structure tarifaire commune et il revient à la CRE d’en fixer la méthode d’établissement (articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de l’énergie).

Dans ce cadre, par deux délibérations du 15 février 2024 commentées dans notre précédente lettre d’actualités, la Commission de régulation de l’énergie (ici la CRE) était venue publier le nouveau tarif péréqué d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel de GRDF à compter du 1er juillet 2024. La CRE vient désormais porter des évolutions aux tarifs péréqués applicables aux ELD et aux tarifs non péréqués applicables à plusieurs réseaux publics de distribution. Plus précisément, par trois délibérations du 13 juin 2024 la CRE :

  • fixe deux nouveaux tarifs non péréqués d’utilisation des réseaux publics de distribution de gaz naturel concédés à GRDF en prévision du déploiement des compteurs évolués Gazpar sur ceux-ci à compter du 1er juillet (Délibération n° 2024-112 du 13 juin 2024).

Modifications du cahier des charges de l’appel d’offres de la Commission de Régulation de l’Energie relatif à l’autoconsommation d’électricité

La Commission de régulation de l’énergie (ci-après, CRE) a publié une délibération portant avis sur le projet de cahier des charges modifié de l’appel d’offres portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables, en autoconsommation et situées en métropole continentale. A titre liminaire, il convient de rappeler le cadre applicable à cet appel d’offres.

De première part, aux termes de l’article L. 311-10 du Code de l’énergie, lorsque les objectifs de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (ci-après, PPE) ne sont pas atteints, l’autorité administrative peut recourir à une procédure de mise en concurrence, prenant la forme d’appels d’offres, pour encourager le développement de certaines technologies en proposant aux lauréats des tarifs d’achat de leur électricité avantageux. En application de l’article précité, la ministre chargée de l’énergie a lancé sept appels d’offres au cours de l’année 2021 portant sur la réalisation et l’exploitation d’installations de production d’électricité renouvelable en métropole continentale. Ces appels d’offres sont désignés sous le terme « AO PPE2 ». L’un de ces appels d’offres concerne les installations dont au moins 50 % de la production est autoconsommée au sens des articles L. 315-1 ou L. 315-2 du Code de l’énergie, dont le cahier des charges modifié est ici commenté.

De seconde part, l’autoconsommation désigne la situation dans laquelle un producteur consomme en tout ou partie l’énergie produite par son installation. L’énergie qui n’est pas consommée, appelée surplus, est cédée à un tier. En répondant à l’appel d’offres AO PPE2 Autoconsommation, le producteur participant à une opération d’autoconsommation peut céder son électricité dans le cadre prévu par le cahier des charges de l’appel d’offres à la société EDF OA.

La délibération de la CRE ici commenté porte avis sur le projet de modification du cahier des charges de l’AO PPE2 Autoconsommation. Les principales modifications relevées par la CRE sont les suivantes.

En premier lieu, le projet de cahier des charges précise les dates de réponses à l’appel d’offres pour la quatrième période. Les candidats à l’appel d’offres ne peuvent répondre que lors de périodes préalablement définies. Pour l’année 2024, elles sont au nombre de quatre et la quatrième et dernière période de réponse s’étendra du 2 septembre au 14 septembre 2024.

En deuxième lieu, le projet de cahier des charges introduit la notion de grappe de projet. Cette introduction permettra à des producteurs participant à une unique opération d’autoconsommation collective de répondre ensemble à l’appel d’offres, quand jusqu’à lors, seul un producteur pouvait y répondre. La grappe de projet est définie comme suit :

« Un lot de plusieurs ensembles de machines électrogènes décrites dans l’offre et bénéficiant chacun d’un contrat d’accès au réseau public, participant à une opération d’autoconsommation collective étendue ».

L’ensemble des installations composant la grappe seront considérées comme une seule et même installation au sens du cahier des charges. Le cahier des charges sera adapté en conséquence pour prendre en compte l’introduction de cette nouvelle configuration.

En troisième lieu, le projet de cahier des charges opère des modifications générales pour mettre en cohérence l’appel d’offres AO PPE2 Autoconsommation avec les autres appels d’offres du ministère de l’énergie en cours.

En conclusion, la CRE, favorable aux modifications apportées, rappelle néanmoins sa position à l’égard de l’appel d’offres AO PPE2 Autoconsommation en recommandant « de ne pas reconduire les appels d’offres dédiés à l’autoconsommation et d’ouvrir la possibilité pour les projets actuellement éligibles à l’ »AO PPE2 Autoconsommation » de candidater aux appels d’offres dits « classiques » (« PPE2 PV Bâtiment « , « PPE2 PV Sol », et « PPE2 Eolien ») via la suppression de la limitation de 10 % de taux d’autoconsommation qui s’applique aux lauréats de ces appels d’offres. ».

Précisions réglementaires sur l’autorisation dont doivent être titulaires les producteurs concluant un contrat de vente directe d’électricité renouvelable.

L’article 86 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dite loi APER, a consacré en droit interne la notion de contrat d’achat direct d’électricité d’origine renouvelable, mieux connue sous le terme de Power Purchase Agreement ou PPA. En modifiant l’article L. 333-1 du Code de l’énergie, l’article 86 précité a précisé que les producteurs concluant un contrat de vente directe d’électricité avec des consommateurs finals ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes doivent être titulaires d’une autorisation délivrée par l’autorité administrative. Le décret n° 2024-613 du 27 juin 2024 relatif à l’autorisation de fourniture d’électricité et à l’abattement du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité vient préciser le cadre réglementaire applicable à ces autorisations en modifiant les articles R. 333-1 et suivants du Code de l’énergie, jusque-là relatif à l’autorisation d’achat d’électricité pour revente, soit l’autorisation de fourniture.

En premier lieu, le décret consacre une définition des contrats d’achat directs d’électricité d’origine renouvelable. Aux termes de l’article R. 333-1 du Code de l’énergie modifié :

« Tout contrat ayant pour objet la vente d’électricité, d’un producteur raccordé au réseau métropolitain continental à un consommateur final à des fins de consommation finale ou à un gestionnaire de réseaux pour ses pertes, sans cession ultérieure ».

La distinction avec l’activité de fourniture est donc clairement affirmée, puisque l’objet de ces contrats directs ne peut être la revente ultérieure, écartant de fait les contrats dits financiers ayant pour objet d’acheter l’électricité produite par un producteur pour la revendre ultérieurement à des consommateurs finals. Par cette exclusion le pouvoir réglementaire confirme que la notion de PPA consacrée en droit français s’apparente à la notion de corporate PPA, à l’exclusion des virtual PPA (ou PPA financier).

En deuxième lieu, ainsi que le prévoit l’article L. 333-1 du Code de l’énergie, le producteur concluant un contrat direct d’achat d’électricité renouvelable peut déléguer l’obligation d’être titulaire d’une autorisation. Le décret ici commenté précise le cadre réglementaire de cette délégation. L’article R. 333-1 du Code de l’énergie dispose désormais :

« Dans le cas prévu au 2° du I de l’article L. 333-1, le producteur est dispensé de faire une demande d’autorisation s’il a délégué à un tiers déjà titulaire de l’autorisation la responsabilité d’assumer, à l’égard des consommateurs finals, les obligations incombant aux fournisseurs d’électricité en application du présent code, notamment celles prévues au chapitre V du présent titre et au titre II du livre II. Le producteur en informe le ministre chargé de l’énergie au moins un mois avant la prise d’effet de la délégation. Cette délégation peut être renouvelée périodiquement et confiée à des tiers autorisés successifs différents. ».

Ainsi que le relevait la Commission de régulation de l’énergie dans sa délibération portant avis sur le projet de décret, le producteur se tournera naturellement vers le fournisseur en titre du consommateur final cocontractant. Toutefois, comme le relevait la CRE, des difficultés pourraient apparaitre du fait d’une part, de la différence de durée des contrats (fourniture 3 ans, PPA 20 ans) et d’autre part, du blocage potentiel des fournisseurs traditionnels.

En dernier lieu, le décret commenté adapte les articles R. 333-1 à R. 333-9 du Code de l’énergie pour supprimer la mention des termes « achat d’électricité pour revente » qui prévalait jusqu’à lors dans la mesure où l’autorisation visée par ces articles ne concernait que la fourniture au sens strict, c’est-à-dire l’achat pour revente et non la production pour revente. La modification de ces articles laisse songeur sur la qualification de l’activité de production pour revente. En effet, en soumettant les producteurs d’énergie renouvelable cédant leur production à des obligations similaires à celles des fournisseurs, on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient qualifiables de fournisseur.

Un doute avait pu naitre sur le fait de savoir si les producteurs cédant directement leur électricité à des consommateurs finals devait être titulaires de l’autorisation de fourniture, dont les fournisseurs d’électricité doivent être titulaires ou d’une autorisation distincte. Le décret ici commenté met un terme à ce doute en consacrant la nécessité d’une autorisation similaire, avec des particularités propres à ce type de contrat.

Le Conseil d’État annule la procédure de passation d’une délégation de service public au regard de sa méthode de notation irrégulière

Par principe, l’autorité concédante définit librement la méthode d’évaluation des offres dans le cadre de l’attribution d’une délégation de service public (« DSP »). Cette méthode doit néanmoins respecter les principes fondamentaux de la commande publique. Comme le rappelle Lucienne Erstein, « pour que le choix de l’offre auquel elle aboutit soit régulier, la méthode doit éviter deux écueils. D’une part, elle ne doit pas priver les critères retenus de leur portée ou neutraliser leur pondération (marchés publics) ou hiérarchisation (concessions). D’autre part, il convient d’éviter que, pour chaque critère, la meilleure offre ne soit pas la mieux classée ou, pour l’ensemble des critères, que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie »[1].

Dans cette affaire, la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale avait lancé une procédure de consultation en vue d’attribuer une DSP relative à la gestion des services de mobilités. A l’issue de cette procédure, la communauté d’agglomération a retenu l’offre variante de la société RATP Développement. Or, les sociétés Keolis[2] et Transdev, candidates évincées, ont contesté cette décision d’attribution. Le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes a annulé cette procédure[3]. La communauté d’agglomération et la société RATP Développement ont donc saisi le Conseil d’Etat afin qu’il annule l’ordonnance du juge des référés.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat estime que le Tribunal administratif a commis une erreur de droit en estimant que toute irrégularité entachant la méthode de notation lèse nécessairement l’ensemble des candidats, sans rechercher si les sociétés Keolis et Transdev étaient susceptibles de se voir attribuer la DSP.

Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle son considérant issu de la jurisprudence commune de Saint-Cyr-sur-Mer[4] :

« Une méthode d’évaluation est toutefois entachée d’irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d’appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d’attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l’évaluation ou si les modalités d’évaluation des critères d’attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que l’autorité concédante, qui n’y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l’avis d’appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d’évaluation ».

En l’espèce, le Conseil d’Etat estime que la méthode d’évaluation utilisée par la communauté d’agglomération était effectivement irrégulière dès lors qu’elle était susceptible de conduire à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.

« La méthode d’évaluation mise en œuvre en l’espèce par l’autorité concédante a consisté, conformément aux dispositions du règlement de la consultation, à classer les offres au regard de chacun des critères d’appréciation puis à attribuer à chaque offre une note correspondant à la moyenne des rangs de classement obtenus sur chaque critère, pondérée par le coefficient associé à chaque critère. L’offre retenue est celle ayant obtenu, en application de cette méthode, la note la plus basse. En faisant ainsi le choix, alors même qu’elle n’était en rien tenue de traduire en notes chiffrées l’appréciation qu’elle portait sur la valeur respective des offres, d’un mode d’attribution de la concession litigieuse fondé sur la moyenne pondérée des rangs de classement des offres au regard de chacun des critères d’attribution, alors que le classement ne reflète que très imparfaitement les écarts de valeur entre les offres, l’autorité concédante a retenu une méthode d’évaluation susceptible de conduire à ce que, au regard de l’ensemble des critères, l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie. Dans ces conditions, les sociétés Keolis et Transdev sont fondées à soutenir que la méthode d’évaluation mise en œuvre par l’autorité concédante est entachée d’irrégularité. ».

En conséquence, le Conseil d’État annule l’ordonnance du juge des référés et l’intégralité de la procédure de consultation.

 

[1] Lucienne ERSTEIN, « méthode de notation des offres : la simplicité est un gros défaut », la Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 24, 17 juin 2024, act. 332.

[2] Qui est le concessionnaire sortant

[3] Tribunal administratif de Rennes, 31 octobre 2023, req. n° 2305258

[4] CE, 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, req. n° 459678