Par un arrêt du 11 juillet 2024, la deuxième chambre civile lève enfin toute ambiguïté en confirmant la nécessité d’indemniser le préjudice d’angoisse de mort imminente tant en cas de décès qu’en cas de survie de la victime (I). Par le même temps, elle met néanmoins fin aux espoirs des victimes de réparation autonome de ce poste de préjudice qu’elle inclut dans les souffrances endurées (II).
1. Sur la confirmation de la nécessaire réparation du préjudice d’angoisse de mort imminente, que la victime soit ou non décédée
La chambre criminelle avait déjà eu l’occasion de dessiner les contours du préjudice d’angoisse de mort imminente, en énonçant que ce poste consistait en la souffrance psychique subie entre le moment de l’accident et le décès de la victime, résultant d’un état de conscience suffisant pour envisager sa propre fin (Crim., 23 oct. 2012, n° 11-83.770).
Un an plus tard, elle avait précisé que ce préjudice prenait fin au moment de la disparition de la conscience du risque de mort par la victime, qui pouvait intervenir soit au moment de son décès, soit en amont, au moment de la perte de conscience au sens médical (Crim., 15 oct. 2013, n° 12-83.055).
Certains revendiquaient alors l’absence d’existence d’un tel préjudice lorsque la victime survivait à ses blessures.
La formulation ambiguë de la chambre mixte de la Cour de cassation dans son arrêt du 25 mars 2022, qui évoquait un « préjudice spécifique lié à la conscience de sa mort imminente, du fait de la dégradation progressive et inéluctable de ses fonctions vitales », confortait les opposants à la réparation d’un tel préjudice en cas de survie de la victime (Ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-15.624).
Sur ce point, l’arrêt de la deuxième chambre civile rendu le 11 juillet 2024 a le mérite d’être particulièrement clair et tranche définitivement cette question dans les termes suivants (Civ. 2e, 11 juill. 2024, n° 23-10.068) :
« 5. À compter de la survenance du fait dommageable, la victime d’une atteinte corporelle ou d’une menace d’atteinte corporelle suffisamment graves pour qu’elle envisage légitimement l’imminence de sa propre mort, subit un préjudice spécifique.
6. Dans le cas où la victime a survécu, ce préjudice se réalise dès qu’elle a conscience de la gravité de sa situation et tant qu’elle n’est pas en mesure d’envisager raisonnablement qu’elle pourrait survivre.»
Le préjudice d’angoisse de mort imminente doit donc nécessairement être réparé dès lors que la victime envisage légitimement l’imminence de sa propre mort, que celle-ci se soit ou non réalisée.
Il s’agit là d’une clarification qui ne peut qu’être saluée en ce qu’elle bénéficiera aux victimes de dommage corporel dans leurs demandes d’indemnisation.
2. Sur l’indemnisation non obligatoirement autonome du préjudice d’angoisse de mort imminente
Outre la définition du préjudice, l’arrêt de la deuxième chambre civile apporte également une précision quant au régime de sa réparation, moins favorable ici aux victimes.
En effet, il existait dans un premier temps une divergence de position entre la chambre criminelle et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation concernant l’autonomie de ce poste de préjudice.
Ainsi, la chambre criminelle admettait la réparation du préjudice d’angoisse de mort imminente tant au titre des souffrances endurées (Crim., 11 juill. 2017, n° 16-86.796) que de façon autonome (Crim., 23 oct. 2012, n° 11-83.770, B ; Crim., 15 oct. 2013, n° 12-83.055).
À l’inverse, la deuxième chambre civile censurait automatiquement toute réparation de ce préjudice au titre d’un poste autonome (Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-11.411 – Cass. 2e civ., 14 sept. 2017, n° 16-22.013).
L’arrêt de la chambre mixte du 25 mars 2022 précité, en affirmant que c’est « sans indemniser deux fois le même préjudice que la Cour d’appel (…) a réparé, d’une part, les souffrances endurées du fait des blessures, d’autre part, de façon autonome, l’angoisse d’une mort imminente » avait laissé penser qu’il était nécessaire d’indemniser ce préjudice dans un poste autonome, indépendant notamment des souffrances endurées.
L’arrêt de la deuxième chambre civile du 11 juillet 2024 montre qu’il ne s’agissait toutefois pas de la bonne grille de lecture, et qu’il fallait voir plutôt dans l’arrêt de la chambre mixte une affirmation de la spécificité du préjudice d’angoisse de mort imminente par rapport aux autres souffrances endurées par la victime, plutôt qu’une obligation de cloisonnement du préjudice dans un poste autonome.
Ainsi, l’arrêt énonce que ce préjudice se rattache en principe aux souffrances endurées (Civ. 2e, 11 juill. 2024, n° 23-10.068) :
« 7. Ce préjudice d’angoisse de mort imminente en cas de survie se rattache au poste des souffrances endurées, qui indemnise toutes les souffrances physiques et psychiques, quelles que soient leur nature et leur intensité, ainsi que les troubles associés qu’endure la victime à compter du fait dommageable et jusqu’à la consolidation de son état de santé. »
Pour autant, l’indemnisation du préjudice dans un poste autonome ne saurait donner lieu à elle seule à cassation, le seul critère à prendre en compte étant celui de l’absence de double indemnisation.
Cette solution est à distinguer notamment de celle apportée en matière de préjudice d’attente et d’inquiétude subi par les proches de la victime, pour lequel la chambre mixte a affirmé qu’il « ne se confond pas (…) avec le préjudice d’affection et ne se rattache à aucun autre poste de préjudice indemnisant ces victimes, mais constitue un préjudice spécifique qui est réparé de manière autonome » (Ch. mixte, 25 mars 2022, n° 20-17.072).
Si l’indemnisation du préjudice d’angoisse de mort imminente au titre d’un poste autonome est donc toujours possible, la formulation de l’arrêt du 11 juillet 2024 incitera inévitablement les juges du fond à intégrer ce préjudice aux souffrances endurées.
Cette intégration risque malheureusement d’entraîner une minimisation de l’indemnisation, en aboutissant à une simple majoration de la réparation des souffrances endurées en cas d’existence d’une angoisse de mort imminente, là où la séparation du préjudice d’angoisse de mort imminente et des souffrances endurées permettrait plus facilement d’obtenir une plus juste indemnisation des victimes.