Sur l’impartialité de l’élu dans le cadre d’une procédure de renouvellement de délégation de service public

Par une décision en date du 24 juillet 2024, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur la délicate appréciation du manquement au principe d’impartialité dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique, lequel, lorsqu’il est constitué, justifie l’annulation du contrat par le Juge. Saisi par le concessionnaire sortant, le juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil avait retenu ce manquement dans le cadre de la procédure menée par la ville de Sevran en vue du renouvellement de la délégation de service public portant sur la gestion du marché forain de la ville, et avait donc prononcé l’annulation de cette dernière par une ordonnance en date du 12 janvier 2024.

Plus précisément, un élu – présidant la Commission de délégation de service public, chargée d’analyser les dossiers de candidature et de dresser la liste des candidats admis à présenter une offre – avait publié un message sur Facebook, quelques jours avant la date limite de remise des candidatures, dont la substance était la suivante : « ce marché est mal géré. C’est dommage car il est très fréquenté. Et les incivilités font fuir les clients du centre-ville. Le bail de concessionnaire du marché doit être renouvelé en janvier prochain, c’est l’occasion de le réformer pour qu’il soit plus diversifié et qu’on y trouve plus de commerces de qualité ».

Le Juge des référés avait considéré que l’élu faisait « état d’une mauvaise gestion de ce marché, notamment en ce qui concernait la sélection des commerçants présents, et mettait exclusivement en lien la résolution de cette mauvaise gestion avec la procédure de renouvellement de la concession engagée quelques semaines plus tôt », et qu’une « telle prise de position critique visait directement la société SOMAREP, en charge à cette date de la gestion de ce marché urbain et candidate à sa succession, et constituait une atteinte à l’impartialité de la commission de l’article L. 1411-5 du Code général des collectivités territoriales dont il était président délégué » (TA Montreuil, 12 janvier 2024, req. n° 2315368).

Toutefois, saisi d’un pourvoi par la ville de Sevran, le Conseil d’Etat annule cette ordonnance.

La solution n’était cependant pas évidente. En effet, le Conseil d’Etat avait déjà affirmé que le principe d’impartialité s’impose à toute autorité administrative (y compris au pouvoir adjudicateur) et qu’il incombe aux membres de ces autorités de s’abstenir de toute prise de position publique de nature à compromettre le respect de ce principe (CE, 30 décembre 2010, Société Métropole Télévision, req. n° 338273 ; CE, 14 octobre 2015, Société Aplicam, req. n° 390968 391105 ; CE, 25 novembre 2021, Collectivité de Corse, req. n° 454466). Le Conseil d’Etat avait néanmoins déjà eu l’occasion de préciser que toute prise de parole publique sur un sujet par un membre d’une autorité administrative n’est pas par elle-même de nature à compromettre systématiquement le respect par cette autorité du principe d’impartialité (CE, 16 novembre 2020, Institut franco-européen de chiropraxie, req. n° 431120 ; CE, 13 novembre 2019, Société C8, req. n° 415396).

L’affaire commentée en est une illustration, puisque le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du juge des référés en considérant « qu’en jugeant que ce commentaire constituait une atteinte à l’impartialité de l’autorité concédante, alors que la modération des propos et le contexte de cette publication ne révélaient ni parti pris ni animosité personnelle à l’encontre de la société SOMAREP, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ». Cette décision confirme ainsi que le principe d’impartialité n’implique par l’interdiction pure et simple de toute prise de position publique dans le cadre d’une procédure de passation.

Les conclusions du Rapporteur public mettent toutefois en lumière que l’appréciation d’un tel manquement peut être divergente selon les juges. En effet, il reconnaissait lui-même « pouvoir comprendre que le juge des référés ait ainsi qualifié les faits », sans pour autant en retenir la même lecture. Il analysait le post Facebook non pas « comme l’affichage d’un parti pris dans la procédure de renouvellement de la concession », mais comme « l’affirmation d’une volonté de profiter de cette procédure pour procéder à une réforme et remédier aux difficultés identifiées, sans que cela implique nécessairement un changement de délégataire ».

Il relevait, en outre, que les propos litigieux avaient été tenus avant la date limite de remise des candidatures, de sorte que la liste des candidats n’était pas encore officiellement connue, et qu’il convenait de prendre en considération le contexte dans lequel les propos litigieux avaient été tenus : l’auteur du post était un conseiller municipal, le commentaire s’inscrivait dans une discussion en ligne sur le marché de Sevran dans laquelle des habitants de la commune exprimaient des avis divers, et une concertation publique sur l’avenir de ce marché avait été menée quelques mois avant par la Ville. Il en concluait avoir des réticences à proposer « d’interdire à un élu, lorsqu’il est interpelé à ce propos par ses administrés, de donner son avis sur le fonctionnement d’un service public relevant de sa compétence, dès que ce service public fait l’objet d’une procédure relevant de la commande publique ».

La jurisprudence étant particulièrement casuistique en la matière, cette décision – bien que rassurante pour les acheteurs – devrait conduire les élus à faire preuve d’une grande prudence dans les positions publiques qu’ils sont amenés à prendre dans le cadre de leur mandat au cours d’une procédure de passation.

Subventions aux associations : pas d’extension des obligations prévues par le contrat d’engagement républicain

Par un jugement en date du 24 juillet 2024, le Tribunal administratif de Lyon a retenu qu’une collectivité territoriale ne pouvait accroître les obligations du « contrat d’engagement républicain » en interdisant aux bénéficiaires d’une subvention le port de tenues « traduisant une quelconque forme de prosélytisme religieux » dans l’espace public.

Pour mémoire, la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021[1], dite loi « séparatisme », a inséré dans la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations[2] un article 10-1, qui subordonne, pour les associations et fondations, le bénéfice de subventions publiques à un ensemble de conditions qualifié de « contrat d’engagement républicain ».

Le législateur a renvoyé à un décret en Conseil d’Etat le soin de déterminer les modalités d’application de l’article 10-1 précité de la loi du 12 avril 2000. Le décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021, pris pour l’application de ces dispositions, fixe ainsi le contenu du contrat d’engagement républicain, dont l’exemplaire type figure en annexe. Très concrètement, est visée une série de sept engagements reprenant un certain nombre de principes de la République : le respect des lois de la République, la liberté de conscience, la liberté des membres de l’association, l’égalité et la non-discrimination, la fraternité et la prévention de la violence, le respect de la dignité de la personne ainsi que le respect des symboles de la République.

En l’occurrence, par une délibération en date du 17 mars 2022, le conseil régional d’Auvergne Rhône-Alpes avait, notamment, approuvé le contrat d’engagement républicain qui serait demandé lors du dépôt d’une demande de subvention auprès de la région, dont le contenu différait du contrat d’engagement républicain approuvé par l’article 1er du 31 décembre 2021 précité, et donné délégation à sa commission permanente pour faire évoluer ce document. Par une délibération du 30 juin 2022, la commission permanente avait modifié la troisième phrase de l’engagement n° 1 du contrat d’engagement républicain approuvé le 17 mars 2022. Très concrètement, cette obligation non prévue par le décret tenait à l’interdiction, par le bénéficiaire de la subvention, du « port de tenues vestimentaires traduisant une quelconque forme de prosélytisme religieux dans un espace public, à l’exception des représentants des cultes ».  L’on précisera que c’est d’ailleurs la teneur de cette modification qui « soulève des questions qui excèdent les seules circonstances locales en raison de ses implications dans le domaine des libertés publiques » qui a conduit le juge administratif à admettre l’intérêt à agir de l’association La Ligue des droits de l’homme, alors même qu’elle présente un champ d’action national.

Sur le fond, l’amendement apporté par la région au contrat d’engagement républicain a été censuré. Sans examiner son contenu – c’est-à-dire la légalité de la nouvelle obligation ainsi posée par la région – le tribunal administratif a considéré que le principe même de la modification était illégal. En clair, il a estimé que le contenu du contrat d’engagement républicain, fixé par décret, ne pouvait être modifié par les collectivités territoriales. Ainsi, l’adaptation du contenu du contrat avait été incompétemment décidée par la région Auvergne Rhône-Alpes : « le conseil régional […] n’était pas compétent pour adapter le contenu de ce contrat, qui est entièrement déterminé par le décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021 […] ».

 

[1] Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

[2] Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

Cristallisation des moyens : les moyens restés imprécis sont irrecevables

Par un arrêt en date du 12 juillet 2024 la Cour administrative d’appel de Nantes a considéré que les moyens qui n’ont pas été précisés dans le délai imparti par l’article R. 611-7-2 du Code de justice administratif devaient être regardés comme des moyens nouveaux soulevés tardivement. Dans cette affaire, par un arrêté du 21 décembre 2021, le préfet de Maine-et-Loire a autorisé l’exploitation de trois éoliennes. L’association Pour la Préservation de l’Environnement de Longuenée-en-Anjou et autres ont demandé à la Cour administrative d’appel de Nantes d’annuler cet arrêté. A cette occasion, la Cour a apporté des précisions quant à l’appréciation des dispositions de l’article R. 611-7-2 du Code de justice administrative, relatives à la cristallisation des moyens, selon lesquelles :

« Par dérogation à l’article R. 611-7-1, et sans préjudice de l’application de l’article R. 613-1, lorsque la juridiction est saisie d’un litige régi par les articles R. 311-5, R. 811-1-3 ou R. 811-1-4, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s’effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie ».

Il résulte de ces dispositions que, dans le cadre des litiges relevant des matières exhaustivement listées par les articles R. 311-5, R. 811-1-3 ou R. 811-1-4 du Code de justice administrative, les moyens soulevés plus de deux mois après l’enregistrement du premier mémoire en défense sont irrecevables. Dans son arrêt du 12 juillet 2024 (n° 22NT01245), la Cour administrative d’appel de Nantes a considéré que devaient également être regardés comme tardifs, les moyens soulevés avant l’expiration du délai fixé par l’article R. 611-7-1 du Code de justice administrative, mais dont le contenu est resté imprécis :

« Il résulte également de l’instruction que les requérants n’ont assorti ces moyens tirés, d’une part, de ce que l’étude d’impact est affectée d’inexactitudes, d’omissions, et d’insuffisances, d’autre part, de ce que l’enquête publique est entachée d’irrégularités, des précisions suffisantes pour en apprécier la portée et le bien-fondé que dans un mémoire enregistré le 27 février 2023, soit postérieurement à l’expiration du délai de deux mois courant après la communication aux parties, le 19 août 2022, du premier mémoire en défense de la société Parc Eolien de Longuenée. Ces moyens, qui n’ont été précisés qu’après le délai prévu par les dispositions de l’article R. 611- 7-2 du code de justice administrative, doivent être regardés comme des moyens nouveaux irrecevables, car invoqués tardivement. Par ailleurs, tels qu’ils ont été invoqués avant l’expiration de ce délai, ils ne peuvent qu’être écartés comme dépourvus des précisions permettant d’en apprécier la portée et le bien-fondé ».

Autrement dit, les moyens qui restent imprécis à l’expiration du délai de deux mois à compter de la cristallisation des moyens doivent être regardés comme irrecevables. En tout état de cause, ces moyens ne comportent pas les éléments suffisants pour en apprécier le bien-fondé et doivent nécessairement être écartés.

Focus sur la postulation en matière d’expropriation

En première instance, en principe, devant les tribunaux judiciaires, les avocats ne peuvent postuler, c’est-à-dire représenter une partie dans un contentieux, que devant l’ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de la cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel (article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certains professions judiciaires et juridiques).

Par exception, en région Parisienne, les avocats inscrits à l’un des barreaux de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre, peuvent postuler auprès de chacune de ces juridictions en première instance, alors même que le Tribunal judiciaire de Nanterre est rattaché à la Cour d’appel de Versailles et que les Tribunaux judiciaires de Bobigny, Créteil et Paris sont rattachés à la Cour d’appel de Paris. Un avocat postulant ne sera donc pas nécessaire. (article 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certains professions judiciaires et juridiques).

En outre, il existe une spécificité en matière d’expropriation sur tout le territoire français, car un avocat extérieur au ressort territorial de la juridiction qui connait l’affaire, n’aura pas besoin de postulant en première instance. En effet, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que :

« Le code de l’organisation judiciaire distingue du tribunal judiciaire les juridictions d’attribution énumérées à l’article L. 261-1 de ce code. Les dispositions de ce texte renvoient au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique lequel, dans son article L. 211-14, institue le juge de l’expropriation. Il en résulte que le juge de l’expropriation est une juridiction d’attribution distincte du tribunal judiciaire, de sorte que les règles de la postulation ne s’y appliquent pas » (Cass. Civ., 2ème, 6 mai 2021, n° 21-70.004).

A titre d’exemple donc, un avocat inscrit au barreau de Rennes pourra représenter une partie dans un contentieux devant le juge de l’expropriation du Tribunal judiciaire de Nice sans faire appel à un postulant sur place, à l’inverse d’une affaire devant le juge civil de ce même tribunal.

En appel, là encore, en principe, et même en expropriation, il est obligatoire de faire appel à un avocat postulant du ressort de la cour d’appel traitant l’affaire si l’avocat concerné n’est pas inscrit dans le ressort de ladite cour d’appel. Par exception, les avocats inscrits à l’un des barreaux de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre, peuvent postuler auprès de la Cour d’appel de Paris (ressort des Tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny et de Créteil) sans faire appel à un avocat postulant s’ils ont postulé devant celui des Tribunaux judiciaires de Paris, Bobigny ou Créteil qui a rendu la décision attaquée. Et, les avocats inscrits aux barreaux de Paris, Bobigny ou de Créteil peuvent même postuler auprès de la Cour d’appel de Versailles dans l’hypothèse où ils auraient postulé devant leTtribunal judiciaire de Nanterre (article 5-1 précité). Ainsi, dans les cas précités, la postulation en appel est liée à la situation de postulation de première instance. Pour un exemple a contrario :

« Mais attendu qu’il résulte des dispositions de l’article 1er, III, applicables au litige, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques applicables au litige, que les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre ne peuvent former une déclaration d’appel devant la cour d’appel de Paris que dans l’affaire pour laquelle ils ont postulé devant celui des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny ou Créteil qui a rendu la décision attaquée, ou devant la cour d’appel de Versailles dans l’affaire pour laquelle ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre ;

Attendu qu’ayant exactement retenu que la postulation consiste à assurer la représentation obligatoire d’une partie devant une juridiction et qu’un avocat ne postule pas lorsque la représentation n’est pas obligatoire et constaté que lui était déférée une décision du juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre, c’est à bon droit que la cour d’appel a déduit de ces énonciations et constatations que la déclaration d’appel, formée par un avocat inscrit au barreau de Paris qui n’avait pas pu être postulant en première instance peu important qu’il ait antérieurement postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre dans une affaire soumise à la procédure avec représentation obligatoire, était nulle » (Cass. Civ., 2ème, 28 janvier 2016, n° 14-29.185).

Il est donc important de relever qu’un avocat inscrit au barreau de Paris ne pourra pas postuler devant la Cour d’appel de Versailles si l’appel interjeté concerne une décision rendue par le Tribunal judiciaire de Pontoise ou de Versailles, alors même qu’il avait postulé devant ces juridictions en première instance.

En dehors de cette exception, en appel, il n’existe pas de spécificité en matière d’expropriation sur tout le territoire français, comme c’est le cas en première instance.

Lancement de l’expérimentation tarifaire des services autonomie à domicile

La loi en date du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir a prévu la possibilité pour dix départements maximum d’expérimenter différents modèles de financement des services autonomie à domicile (SAD), en ce qui concerne leur activité d’aide et d’accompagnement. Le décret du 7 juillet 2024 est venu préciser les modalités d’organisation et de mise en œuvre de cette expérimentation qui doit débuter le 1er janvier 2025.

1. Retour sur l’objectif de cette expérimentation : tester d’autres modalités de tarification

Les modalités actuelles de tarification des SAD, via des tarifs horaires, sont très souvent décriées, une majorité des SAD connaissant des grandes difficultés financières. L’objectif de cette expérimentation est de tester de nouvelles modalités de tarification afin, précise le décret, d’améliorer la qualité de la prise en charge, l’équilibre économique des services et la qualité de vie au travail des professionnels. Ainsi, les départements pourront tester la forfaitisation de la tarification des SAD (par opposition au financement horaire actuel).

Le décret prend cependant le soin de préciser qu’une expérimentation ne pourra conduire à diminuer ou augmenter le nombre d’heures d’intervention sans l’accord du bénéficiaire, ni à une augmentation de son reste à charge au-delà des conditions prévues par l’article L. 347-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) lorsque le service n’est pas habilité à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale.

2. Appel à manifestation d’intérêt

Les départements qui souhaitent s’engager dans cette expérimentation devront répondre à un appel à manifestation d’intérêt organisé par la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) qui sélectionnera les 10 départements expérimentateurs. Le décret précise que le comité de sélection des candidatures devra sélectionner les candidatures qui permettent :

  • une organisation de l’expérimentation sur des territoires diversifiés ;
  • d’expérimenter plusieurs modèles de financement dérogeant au CASF.

Dans leur dossier de candidature, les départements devront préciser le modèle de financement qu’ils souhaitent expérimenter et ses effets attendus, ainsi que le nombre et la typologie prévisionnels des services qui participeront à l’expérimentation. Les départements sélectionnés devront, par la suite, à leur tour, organiser un appel à manifestation d’intérêt afin de sélectionner les SAD volontaires (et de statuts juridiques différents) qui participeront à l’expérimentation sur leur territoire.

A noter que si cette expérimentation devrait être menée à ressources constantes, le décret précise toutefois que la CNSA versera aux départements qui en feront la demande des crédits d’accompagnement à la mise en œuvre de l’expérimentation.

3. Fin et évaluation de l’expérimentation

La loi du 8 avril 2021 a prévu que ces expérimentations prendront fin au plus tard le 31 décembre 2026 et qu’un comité d’évaluation sera mis en place afin de remettre un rapport au Parlement, six mois avant la fin de l’expérimentation. L’idée est d’analyser les effets des adaptations du financement des services concernés sur la qualité de prise en charge (l’amplitude et la continuité de l’accompagnement), le reste à charge des personnes bénéficiaires, l’équilibre économique des services et la qualité de vie au travail des professionnels.

Le décret vient préciser la composition de ce comité d’évaluation et prévoit la mise en place de comités de pilotage départementaux qui seront chargés tout au long de l’expérimentation du suivi de sa mise en œuvre. Cette expérimentation permettra-t-elle de mettre fin aux difficultés économiques rencontrées par les services qui se répercutent sur la prise en charge des professionnels et donc les personnes accompagnées ? Rendez-vous fin 2026 pour la réponse…

Situation financière fragile des ESSMS : que peut faire l’autorité de tarification ?

Les autorités de tarification peuvent être confrontées à des structures sociales et médico-sociales qui rencontrent de grandes difficultés financières, notamment dans le secteur non-lucratif. Les raisons de ces difficultés financières ? Conjoncture, mauvaise gestion, dépendance des fonds publics dans un contexte de diminution de la tarification, etc. L’origine des difficultés peut être très variée. Le risque ? L’ouverture d’une procédure collective et la cessation de l’activité gérée par le gestionnaire, ce qui entraînera des conséquences pour les personnes prises en charge, pour le gestionnaire notamment sur le plan RH et pour l’autorité de tarification, notamment sur le plan financier. Que peut faire l’autorité de tarification face à un organisme gestionnaire concerné par des difficultés financières ?

  • Exiger la plus grande transparence financière possible de la part de l’organisme gestionnaire et le contraindre à lui communiquer certains documents si elle rencontre des difficultés à les obtenir spontanément, sur le fondement des dispositions du Code de l’action sociale et des familles (CASF), sous peine de sanctions financières ;
  • L’inciter à prendre des mesures correctives afin de redresser la situation financière du dispositif qu’il gère[1].

A ce sujet, l’article L. 313-14-1 du CASF prévoit une procédure visant à inciter l’organisme privé à but non-lucratif à redresser la situation financière du dispositif qu’il gère. L’idée étant qu’il puisse prendre les mesures de redressement financier qui s’imposent le plus tôt possible afin d’éviter toute aggravation de la situation. Ainsi, lorsque l’autorité de tarification constate 1) une situation financière faisant apparaître un déséquilibre financier significatif et prolongé ou 2) des dysfonctionnements dans la gestion financière d’ESSMS, elle peut prononcer à la personne morale gestionnaire une injonction d’y remédier et notamment de produire un plan de redressement adapté, dans un délai qu’elle fixe, qui doit être raisonnable et adapté à l’objectif recherché. Les modalités de retour à l’équilibre financier donnent lieu à la signature d’un avenant au contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM).

  • Désigner un administrateur provisoire afin qu’il remédie aux difficultés financières.

S’il n’est pas satisfait à l’injonction, ou en cas de refus de l’organisme gestionnaire de signer le CPOM, l’autorité de tarification compétente peut désigner un administrateur provisoire pour une durée qui ne peut être supérieure à six mois, renouvelable une fois. Sa mission sera alors de remédier aux difficultés financières rencontrées par l’organisme gestionnaire. Il disposera pour cela de nombreux pouvoirs afin de mettre fin aux dysfonctionnements ou irrégularités constatées.

  • En cas d’échec de l’administration provisoire, saisir le commissaire aux comptes (CAC) de l’organisme gestionnaire.

Le CASF prévoit enfin que l’autorité de tarification peut saisir le CAC de l’organisme afin qu’il mette en œuvre une procédure d’alerte (prévue à l’article L. 612-3 du Code du commerce). Cette procédure permet au CAC d’alerter le président du tribunal judiciaire des difficultés rencontrées par une association lorsqu’il relève, à l’occasion de l’exercice de sa mission, des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de la personne morale.

D’autres leviers existent entre les mains des autorités mais ils concernent davantage la situation où les coûts d’un ESSMS sont trop importants et ne sont pas justifiés. C’est le cas notamment du retrait de l’habilitation confiée. Cette procédure est encadrée afin de permettre aux ESSMS d’éviter des mesures de retrait d’habilitation brutale qui seraient préjudiciables.

 

[1] Attention, ces dispositions ne s’appliquent pas aux foyers de jeunes travailleurs et aux services qui assurent des activités d’aide personnelle à domicile ou d’aide à la mobilité dans l’environnement de proximité au bénéfice de familles fragiles.

La qualification de l’offre inacceptable

Alors que la qualification de l’inacceptabilité de l’offre revêt une importance pratique majeure, force est de constater que la jurisprudence en la matière est rare. Pourtant, une telle qualification entraine par principe le rejet de l’offre, ce qui, tant pour le candidat que pour l’acheteur, s’avère lourd de conséquences. Comme les offres irrégulières et inappropriées, les offres inacceptables sont qualifiées d’irrecevables et sont par principe rejetées[1]. Plus précisément, l’examen des offres se décompose en deux étapes : la première étant dédiée au contrôle de la recevabilité des offres par l’acheteur tandis que la seconde est consacrée à l’examen des offres en tant que tel.

Les offres qualifiées d’irrecevables sont en principe écartées de la procédure et ne peuvent, donc, être examinées et classées au regard des critères d’attribution retenus. Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d’appel d’offres, la qualification d’offre inacceptable est catégorique car elle entraine le rejet pur et simple de l’offre[2]. En dehors de ces hypothèses et le cas échéant, dans le cadre d’une procédure adaptée avec négociation, l’acheteur a la possibilité d’inviter le soumissionnaire dont l’offre est inacceptable à régulariser son offre[3]. Du côté de l’acheteur, la qualification d’offre inacceptable peut s’avérer risquée dans la mesure où une qualification erronée est source de contentieux et peut entrainer jusqu’à l’annulation de la procédure.

Ainsi, tant du côté des soumissionnaires que de l’acheteur, la question des éléments de qualification de l’offre inacceptable est déterminante. Au regard des textes, l’offre inacceptable est celle dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure[4]. Notion rarement explicitée par la jurisprudence administrative, le Conseil d’Etat a très récemment eu l’occasion d’apporter d’utiles précisions sur la caractérisation d’offre inacceptable, dans le cadre d’un recours dirigé contre la procédure d’attribution d’un accord-cadre à montant maximal[5].

En substance, la Haute juridiction considère que lorsque le montant des crédits budgétaires alloués au marché est inférieur au montant maximal d’un accord-cadre, l’acheteur ne peut qualifier d’inacceptable l’offre excédant le montant des crédits budgétaires alloués seulement si les candidats ont été préalablement informés de ce montant.

Dans ce nouveau contexte jurisprudentiel, faut-il considérer que cette obligation de transmission doit être systématiquement respectée par les acheteurs et ce quelle que soit la procédure de passation suivie ?

Précisément, si l’offre inacceptable est celle dont le montant dépasse les crédits budgétaires alloués au marché déterminés et établis avant le lancement de la procédure (I), l’acheteur est-il tenu d’informer les candidats du montant de ce plafond en dehors du cas où celui-ci est inférieur au montant maximum d’un accord-cadre (II) ?

I. L’offre inacceptable excède le montant des crédits budgétaires alloués au marché

La qualification d’offre inacceptable implique que l’acheteur ait, dans un premier temps, déterminé et établi son budget ou, plus précisément, les « crédits budgétaires alloués au marché ». Pour ce faire, l’impératif de bon usage des derniers publics justifie qu’il dispose d’une certaine marge d’appréciation (A), laquelle doit cependant être conciliée avec le principe de liberté d’accès à la commande publique (B).

A. La marge d’appréciation de l’acheteur dans la détermination de son budget

L’acheteur dispose d’une certaine marge d’appréciation pour établir et déterminer son « budget »[6] également dénommé « crédits budgétaires alloués au marché »[7]. Cette marge d’appréciation se manifeste d’abord par la circonstance que les crédits budgétaires résultent d’une estimation opérée par l’acheteur en vertu du bon usage des derniers publics. Ils correspondent plus précisément « à la somme spécifique que, pour une opération donnée, l’acheteur public entend engager, et non à ses capacités générales de financement »[8].

Autrement dit, le budget alloué au marché est le résultat de la volonté de l’acheteur et non de sa capacité réelle de financement. Dans cette logique, le juge administratif n’opère qu’un contrôle restreint de l’erreur manifeste sur l’appréciation portée par l’acheteur dans la détermination et l’estimation des crédits budgétaires alloués au marché[9]. En plus du choix du montant des crédits alloués, l’acheteur est libre de choisir le support sur lequel son budget sera établi, qu’il s’agisse d’un document publié (par exemple une délibération de la collectivité) ou d’un document purement interne.

La liberté de l’acheteur ne doit cependant pas porter atteinte aux principes essentiels de la commande publique et notamment à la liberté d’accès à la commande publique.

B. La nécessaire conciliation avec la liberté d’accès à la commande publique

La liberté d’accès à la commande publique exige qu’en principe tout opérateur puisse se porter candidat à l’attribution d’un marché public. Ce principe justifie que la marge d’appréciation de l’acheteur dans la détermination de son budget soit contrôlée si ce n’est limitée.

En effet, la qualification d’offre inacceptable, laquelle découle de l’estimation budgétaire établie en amont par l’acheteur, peut entrainer le rejet pur et simple de l’offre et donc porter atteinte à la liberté d’accès à la commande publique. Lourde de conséquence, cette qualification appelle donc un certain contrôle de la part du juge administratif, lequel exige que la détermination des crédits budgétaires soit opérée de manière réaliste.

En application de cette règle, le juge administratif considère par exemple que le fait que le budget d’une opération ait dû être réévalué à l’issue d’une seconde procédure afin de prendre en compte la réalité du marché, est de nature à révéler que l’estimation ayant conduit à déclarer les offres inacceptables était irréaliste[10]. Autrement dit, les crédits budgétaires ne peuvent être déterminés que « sur des bases sincères et rationnelles »[11].

Par ailleurs, conformément à l’article L. 2152-3 du Code de la commande publique, la détermination du budget doit se faire avant le lancement de la procédure[12]. Cette exigence pourrait justifier que l’acheteur fasse connaitre aux candidats le montant des crédits budgétaires qu’il entend allouer au marché, en application du principe de transparence.

II. La connaissance préalable du montant du plafond budgétaire du marché

Dans l’hypothèse où le montant des crédits budgétaires alloués au marché est inférieur au montant maximal d’un accord-cadre, l’acheteur est dans l’obligation d’informer les candidats sur le plafond budgétaire prévu (A). La question se pose alors de savoir si cette nouvelle exigence est transposable aux marchés publics classiques (B).

A. Une exigence de publicité circonscrite aux accords-cadres à montant maximum

A la suite de la récente décision du Conseil d’Etat « Société Actor France », lorsque le montant des crédits budgétaires alloués au marché est inférieur au montant maximal d’un accord-cadre, l’acheteur ne peut qualifier d’inacceptable l’offre excédant le montant des crédits budgétaires alloués seulement si les candidats ont été préalablement informés de ce montant[13].  Pour le comprendre, il convient de revenir aux principes mêmes de l’accord-cadre.

Conformément aux dispositions de l’article R. 2162-4 du Code de la commande publique, les accords-cadres doivent être conclus avec un montant maximum[14]. Or, comme l’explique le rapporteur public sous la décision « Société Actor France », dans de tels accords, « l’acheteur n’a aucune obligation de passer commande à hauteur des valeurs maximales ». Et « le fait de prévoir dans l’accord-cadre une valeur maximale plus élevée que celle des crédits budgétaires alloués constituerait davantage une mesure de précaution juridique destinée à éviter la passation d’un avenant »[15]. Autrement dit, le montant maximum de l’accord-cadre, dans l’hypothèse où les soumissionnaires ignorent que le montant des crédits budgétaires alloués est inférieur, pourrait les induire en erreur[16].

Par ailleurs, cette circonstance pourrait inciter les acheteurs à fixer le montant de leur accord-cadre bien au-dessus de leurs besoins pour pouvoir ensuite, recourir à une procédure avec négociation, du fait du caractère inacceptable des offres déposées[17]. Pour ces raisons, le Conseil d’Etat considère que, dans le contexte particulier de l’accord-cadre à montant maximum et dans l’hypothèse où le montant des crédits alloués est inférieur à ce montant maximum, le montant des crédits alloués doit être porté à la connaissance des candidats.

A contrario, lorsque le montant des crédits budgétaires est supérieur au montant maximal de l’accord-cadre, l’acheteur n’est pas tenu d’informer les candidats sur le montant de son estimation budgétaire.

B. L’exigence de publicité du plafond budgétaire dans le cadre des marchés publics classiques

La décision « Société Actor France » opère un revirement de jurisprudence dans un cas très particulier : celui des seuls accords-cadres passés en procédure formalisée et dans lesquels le montant des crédits budgétaires alloués est inférieur au montant maximum du marché. Avant cette décision, aucun texte ni aucune jurisprudence n’imposait aux acheteurs d’informer les candidats du plafond budgétaire fixé par la collectivité en amont de la procédure.

En creux, en dehors de ce type de marché, on peut raisonnablement affirmer que l’acheteur n’a pas l’obligation d’informer les soumissionnaires du montant des crédits qu’il entend allouer à son contrat. Au soutien de cette thèse, l’information des candidats sur le plafond budgétaire pourrait les inciter à se rapprocher de l’estimation de l’acheteur public, ce qui aurait une incidence sur le prix leur offre, voire sur le jeu de la libre concurrence[18].

On signalera, enfin, que par une ordonnance du 9 août 2024, le Tribunal administratif de Rennes, a eu l’occasion de préciser, en substance, que lorsqu’une offre dépasse les seuils de procédure formalisée, cette seule circonstance n’autorise pas l’acheteur à déclarer une offre inacceptable. Pour ce faire, l’acheteur doit impérativement avoir établi, en amont de la procédure, les crédits budgétaires alloués au marché[19].

Pour rappel, l’acheteur peut recourir à une procédure adaptée pour l’attribution d’un marché public notamment si la valeur estimée de son besoin est inférieure aux seuils européens ou si la valeur de certains lots dans le cadre d’une procédure formalisée est inférieure à 80 000 € HT. Précisément, en l’espèce, l’acheteur avait eu recours à une procédure adaptée pour certains lots. Dans ces conditions, l’acheteur considérait que la connaissance par les candidats de ces seuils valait connaissance du montant des crédits budgétaires alloués au marché. Refusant d’aller dans ce sens, le juge des référés distingue l’estimation du besoin et le montant des crédits budgétaires alloués au marché : « une offre ne peut être déclarée inacceptable sur le fondement de l’article L. 2152-3 du code de la commande publique que s’il résulte de l’instruction qu’elle ne peut être financée par l’acheteur, la seule circonstance que le montant d’une offre soit supérieur à l’estimation des services [et des seuils de procédure] du pouvoir adjudicateur étant à cet égard sans incidence ».

Il n’est pas certain que cette décision soit confirmée à l’avenir dans la mesure où elle crée une situation de blocage pour les acheteurs : en cas d’offres dont le montant est supérieur aux seuils de procédures formalisées, les acheteurs ne pourront pas écarter les offres s’ils n’ont pas établi, en amont de la procédure, les crédits budgétaires alloués au marché.

Il est ainsi vivement conseillé aux acheteurs d’établir systématiquement, en amont de la procédure, les crédits budgétaires alloués au marché. Et, dans l’hypothèse où le montant des crédits budgétaires est inférieur au montant maximum du marché, les acheteurs devront, en outre, informer les candidats de ce plafond budgétaire.

Marion Terraux, Anna Véran et Julie Oger

 

[1] Article L. 2152-1 du Code de la commande publique

[2] Article R. 2152-1 du Code de la commande publique

[3] Article R. 2152-1 du Code de la commande publique

[4] Article L. 2152-3 du Code de la commande publique

[5] CE, 12 juin 2024, Société Actor France, n° 475214

[6] Point 4 de l’article 26 de la Directive 2014/24/UE

[7] Article L. 2152-3 du code de la commande publique

[8] Conclusions du rapporteur public M. Marc Pichon de Vendeuil sous CE, 12 juin 2024, Société Actor France, n° 475214

[9] CE, 3 octobre 2012, Département des Hauts-de-Seine, n° 359921

[10] CAA de Paris, 4eme chambre, 10 février 2023, n° 22PA00023

[11] Conclusions du rapporteur public M. Marc Pichon de Vendeuil sous CE, 12 juin 2024, Société Actor France, n° 475214

[12] Point 4 de l’article 26 de la Directive 2014/24/UE

[13] CE, 12 juin 2024, Société Actor France, n° 475214

[14] Article R. 2162-4 du code de la commande publique

[15] Conclusions du rapporteur public M. Marc Pichon de Vendeuil sous CE, 12 juin 2024, Société Actor France, n° 475214

[16] Ibid

[17] Ibid

[18] Ibid

[19] TA de Rennes, ord. 9 août 2024, n° 2404137

L’obligation de saisir le comité social territorial en cas de dissolution d’un syndicat mixte

Les impacts des restitutions de compétence d’un Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) vers les communes (transposables à la restitution d’une compétence d’un syndicat mixte à un EPCI) sont régis par les dispositions de l’article L. 5211-4-1, IV bis du Code général des collectivités territoriales (CGCT).

Aux termes de cet article :

  • la mise à disposition des agents à l’EPCI prend fin et les agents sont réintégrés dans les services de la collectivité. Deux hypothèses spécifiques sont encore envisagées :
    • Le fonctionnaire territorial qui ne peut être affecté dans son administration d’origine aux fonctions qu’il exerçait précédemment reçoit une affectation sur un emploi que son grade lui donne vocation à occuper ;
    • L’agent territorial non titulaire qui ne peut être affecté dans son administration d’origine aux fonctions qu’il exerçait précédemment reçoit une affectation sur un poste de même niveau de responsabilités.
  • les fonctionnaires et les agents transférés par les communes membres ou recrutés par l’EPCI et qui remplissaient la totalité de leurs fonctions dans l’exercice de la compétence restituée, sont répartis d’un commun accord par convention conclue entre l’EPCI et la commune membre. L’accord est notifié aux agents après consultation des comités sociaux territoriaux placés auprès du syndicat et auprès de la collectivité (le texte ne prévoit pas de solliciter l’avis de l’agent concernant cette répartition). A défaut d’accord, la répartition est arrêtée par le préfet dans un délai de trois mois à compter de la restitution de la compétence ;
  • les fonctionnaires et les agents transférés par les communes ou recrutés par le syndicat et qui remplissaient en partie seulement leurs fonctions dans l’exercice de la compétence restituée, reçoivent une affectation au sein du syndicat correspondant à leur grade ou niveau de responsabilité, ils sont donc maintenus au sein du syndicat

Par sa décision en date du 26 avril 2024, le Conseil d’Etat confirme, d’abord, que les dispositions de l’article L. 5211-4-1 IV bis du CGCT ont vocation à s’appliquer en cas de dissolution d’un syndicat mixte fermé. Il énonce, en effet, qu’ : « il résulte de ces dispositions, qui sont applicables aux syndicats mixtes fermés, constitués exclusivement de communes et d’établissements publics de coopération intercommunale, en vertu de l’article L. 5711-1 du même code, qu’en cas de restitution d’une compétence aux communes ou établissements publics de coopération intercommunale membres d’un syndicat mixte, y compris dans le cas où, ce syndicat devant être dissous, il leur restitue l’ensemble de ses compétences […] ».

Il juge, ainsi, que les comités sociaux territoriaux placés auprès du syndicat mixte et auprès des collectivités membres doivent obligatoirement être consultés sur la convention par laquelle le syndicat mixte et ses membres déterminent, d’un commun accord, la répartition des agents à la suite de la dissolution du syndicat mixte. Et considère que le défaut de saisine des comités sociaux territoriaux est de nature à priver les agents de la garantie que constitue cette consultation et, à ce titre, à créer un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés préfectoraux mettant fin à l’exercice des compétences du syndicat mixte à laquelle la convention de répartition des agents était annexée.

Utilisation du nom et du logo « Nouveau Front Populaire » (NFP) dans la communication électorale : compétence du juge judiciaire ou du juge électoral ?

Dans une affaire récente, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance du juge des référés du Tribunal judiciaire d’Évry, déclarant son incompétence pour statuer sur l’utilisation contestée de l’appellation et du logo « Nouveau Front Populaire » (NFP) pendant la campagne électorale des dernières élections législatives, le requérant n’ayant pas fondé son action sur un titre de droit de propriété intellectuelle.

Le litige est né dans une circonscription de l’Essonne, où deux candidats de gauche étaient en lice pour les élections législatives. Le candidat soutenu par une association politique locale a contesté l’utilisation par son opposant de l’appellation « Nouveau Front Populaire » et de son logo, arguant que cela créait une confusion parmi les électeurs.

Le juge des référés du Tribunal judiciaire d’Évry a rendu une ordonnance le 21 juin 2024, déclarant son incompétence rationae materiae pour statuer sur cette affaire. Il a fondé sa décision sur le principe de la compétence exclusive du Conseil constitutionnel pour tous les actes liés aux opérations électorales, juge de l’élection. Les demandeurs ont interjeté appel, soutenant que le juge judiciaire était compétent pour intervenir afin de faire cesser le trouble manifestement illicite causé par l’utilisation de l’appellation « Nouveau Front Populaire » dans les documents autres que ceux prévus par la communication électorale organisée par la loi. En effet, ils ont argué que l’utilisation de ces termes induisait les électeurs en erreur et faussait la sincérité du scrutin, en ajoutant que l’opposant se présentait illégitimement sous cette appellation, prétendant faussement être investi par le NFP.

Le 27 juin 2024, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance du juge des référés d’Évry, confirmant l’incompétence du juge judiciaire pour statuer sur cette affaire. La Cour a souligné que les actes de communication électorale, même ceux réalisés en dehors des supports officiels, relèvent du contentieux électoral, compétence exclusive du Conseil constitutionnel.

En précisant que « la compétence de la juridiction judiciaire requiert l’existence d’une atteinte à un droit privatif, ce trouble n’étant pas détachable du cadre de la fonction électorale », la Cour a jugé que le trouble invoqué relevait du contentieux électoral. Cette décision renforce la distinction stricte entre le contentieux électoral et les compétences du juge judiciaire. Elle met en lumière les limitations imposées au juge judiciaire lorsqu’il s’agit de questions touchant directement ou indirectement aux opérations électorales et à leur régularité, tant qu’elles ne sont pas détachables du cadre de la fonction électorale. En ce sens, la décision en date du 27 juin 2024 de la Cour d’appel de Paris réaffirme l’exclusivité de la compétence du juge de l’élection en matière de contentieux électoral, garantissant ainsi une régulation cohérente et spécialisée de ces questions sensibles.

Cependant si le requérant avait fondé son action sur la marque protégeant le nom ou le logo du NFP, un usage frauduleux de cette marque ainsi que des actes de contrefaçon auraient pu être considérés comme des bases légitimes pour une action devant le tribunal judiciaire.

Un nouveau régime indemnitaire en deux parts pour la police municipale

La plupart des cadres d’emploi de la fonction publique territoriales bénéficient désormais du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP), c’est-à-dire d’un régime servi en deux parts, l’une tenant compte des conditions d’exercice des fonctions, et l’autre de l’engagement professionnel et des résultats collectifs du service.

La police municipale n’a toutefois pas bénéficié de cette évolution, le statut prévoyant qu’ils bénéficient d’un régime indemnitaire déterminé entièrement par décret, après dérogation au principe applicable au sein de la fonction publique territoriale, en application de l’article L. 714-13 du Code général de la fonction publique.

Les personnels de la police municipale et leurs représentants syndicaux avaient, depuis plusieurs années, remis en cause cette situation, qui aboutissait à un plafonnement du niveau de rémunération de ses agents. Le ministère de l’Intérieur avait pourtant, dès janvier 2023, confirmé qu’il n’intègrerait pas la police municipale parmi les agents éligibles au RIFSEEP.

La situation soulevait toutefois des difficultés, comme l’avait soulevé une sénatrice en avril 2023 : cette limitation du régime indemnitaire des agents de police municipale avait abouti à conduire certaines collectivités, en difficulté pour pourvoir ses services, à instituer des primes ou des systèmes de rémunération irréguliers pour attirer les agents. Conscient de la difficulté, le ministère de la Transformation et de la Fonction publique avait annoncé une évolution du régime indemnitaire des agents de la municipale, qui tardait toutefois à arriver. C’est désormais chose faite par le décret n° 2024-614 du 26 juin 2024 relatif au régime indemnitaire des fonctionnaires relevant des cadres d’emplois de la police municipale et des fonctionnaires relevant du cadre d’emplois des gardes champêtres. Il autorise désormais l’organe délibérant des collectivités à instituer une indemnité spéciale de fonction et d’engagement, dont la similarité avec le RIFSEEP n’échappera à personne. Elle est ainsi composée :

  • D’une part fixe, calculée par l’application d’un pourcentage du traitement, décidé par l’organe délibérant, dans les limites fixées par le décret en fonction du cadre d’emploi auquel appartient l’agent (Art. 3 du décret) ;
  • D’une part variable, liée à l’engagement professionnel et à la manière de servir, selon des critères définis par l’organe délibérant (Art. 4 du décret).

Notons que ce dispositif vient remplacer les précédents régimes indemnitaires bénéficiant à la police municipale, dont les décrets seront abrogés le 1er janvier 2025 (art. 8 et 9 du décret). Les collectivités ont donc désormais jusqu’à la fin de l’année pour prendre une délibération instituant ce nouveau régime indemnitaire.

Précision importante sur le recours à l’expropriation en vue de la constitution d’une réserve foncière

Par arrêté en date du 31 août 2018, la préfète de la Charente a déclaré d’utilité publique (DUP) le projet de requalification d’une friche industrielle sur le site dit des « Chais Montaigne », situé boulevard Jean Monnet à Angoulême. Précisément et pour ce faire, elle a eu recours à l’expropriation en vue de la constitution d’une réserve foncière.

L’emprise, d’une superficie de plus de quatre hectares, abrite une ancienne usine d’embouteillage, constituée d’anciens hangars et bâtiments industriels désaffectés depuis 2004. Le site est laissé à l’abandon, menace ruine et n’est pas sécurisé. Il a déjà fait l’objet d’intrusions et a donné lieu à un accident mortel en 2015. Enfin, les sols de celui-ci sont pollués par des hydrocarbures. La DUP a fait l’objet d’un recours en excès de pouvoir par le propriétaire et par le bénéficiaire d’une promesse de vente, ayant fait, par ailleurs, une demande de permis d’aménager sur la parcelle concernée.

Par un arrêt du 30 avril 2024, le Conseil d’Etat a pu préciser le degré minimal de consistance d’un projet dont une collectivité doit justifier lorsqu’elle constitue, par voie d’expropriation, une réserve foncière. Au cas présent, le Conseil d’Etat relève que le terrain des « Chais Montaigne » a été réservé pour permettre la réalisation d’une opération de renouvellement urbain afin, d’une part, de résorber une friche industrielle à l’entrée de la ville présentant un danger avéré pour les habitants et, d’autre part, de développer de nouvelles zones d’activité économique ainsi qu’une offre de logements familiaux à loyer abordable, conformément à la vocation de la zone telle que modifiée par le plan local d’urbanisme intercommunal alors en cours d’élaboration et adopté en décembre 2019.

Il en conclut que la maîtrise foncière, par voie d’expropriation en vue de la constitution d’une réserve foncière, est nécessaire pour préciser le programme d’aménagement, alors même que la consistance du projet n’est définie que de manière sommaire, sans que ne soit arrêtée la répartition entre les composantes développement économique et habitat, en particulier pour réaliser les diagnostics et actions de dépollution rendus nécessaires par la présence historique de dépôts d’hydrocarbures sur le site. En conséquence, le Conseil d’Etat juge que l’expropriant justifiait à la date à laquelle la procédure de déclaration d’utilité publique est engagée, de l’existence d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques de ce projet n’auraient pas encore été définies à cette date.

Ainsi, sans revenir sur l’obligation pour la collectivité de justifier de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat admet que la constitution de réserves foncières soit autorisée non seulement lorsque les caractéristiques précises du projet n’ont pas été définies, mais aussi lorsque la consistance du projet reste définie sommairement sans que toutes ses composantes n’aient encore été arrêtées.

Par son arrêt, le Conseil d’Etat affirme la spécificité des réserves foncières dont l’objet n’est pas de « réaliser mais seulement d’anticiper la réalisation d’actions ou d’opérations d’aménagement, ce que traduit l’écart de texte entre les dispositions de l’article L. 221-1 et celles de l’article L. 210-1 [du Code de l’urbanisme] propre aux droits de préemption, les réserves foncières [au titre du Code de l’expropriation] étant exercées non pas «  en vue de la réalisation «  des actions et opérations mais «  en vue de permettre la réalisation «  de celles-ci »[1].

 

[1] Conclusions du rapporteur public Monsieur Nicolas AGNOUX sous l’arrêt commenté.

L’élargissement de la faculté d’opérer des perquisitions de nuit aux crimes contre les personnes de droit commun

La perquisition est « la recherche, à l’intérieur d’un lieu normalement clos, notamment au domicile d’un particulier, d’indices permettant d’établir l’existence d’une infraction ou d’en déterminer l’auteur »[1]. Conformément à l’article 59 du Code de procédure pénale, les perquisitions et visites domiciliaires ne peuvent être commencées qu’entre 6 heures et 21 heures, et ce, à peine de nullité. Cependant, elles peuvent se dérouler de nuit, avant 6 heures et après 21 heures, lorsque la mesure concerne les infractions de :

  • Criminalité organisée[2];
  • Trafic de stupéfiants (sauf locaux d’habitation)[3] ;
  • Proxénétisme[4].

Par la loi du 20 novembre 2023, un nouvel article 59-1 du Code de procédure pénale a été créé :

« Si les nécessités de l’enquête de flagrance relative à l’un des crimes prévus au livre II du Code pénal, autres que ceux relevant des articles 706-73 et 706-73-1 du présent code, l’exigent, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire peut, à la requête du procureur de la République et selon les modalités prévues aux premier et dernier alinéas de l’article 706-92, par ordonnance spécialement motivée au regard des conditions prévues aux 1° à 3° du présent article, autoriser que les perquisitions, les visites domiciliaires et les saisies de pièces à conviction soient opérées en dehors des heures prévues à l’article 59 :

1° Lorsque leur réalisation est nécessaire pour prévenir un risque imminent d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ;2° Lorsqu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves et des indices du crime qui vient d’être commis ;

3° Pour permettre l’interpellation de la personne soupçonnée s’il est nécessaire de procéder à cette interpellation en dehors des heures prévues au même article 59 afin d’empêcher cette personne de porter atteinte à sa vie ou à celle des enquêteurs.


Ces opérations ne peuvent, à peine de nullité, avoir un autre objet que la recherche et la constatation des infractions mentionnées dans la décision du juge des libertés et de la détention. Le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles mentionnées dans la décision du juge des libertés et de la détention ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. »

De fait, ce nouvel article élargit la possibilité d’effectuer des perquisitions de nuit en les autorisant dans le cadre d’enquêtes de flagrance relatives aux crimes contre les personnes de droit commun[5] pour :

  • Prévenir un risque imminent d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique;
  • Eviter un risque immédiat de disparition de preuves ou d‘indices ;
  • Interpeller la personne soupçonnée.

Notons que si ces nouvelles dispositions avaient été contestées — dans le cadre d’une saisine a priori du Conseil constitutionnel — comme permettant d’étendre les perquisitions de nuit à un nombre considérable d’infractions, le Conseil constitutionnel a considéré qu’elles opéraient une conciliation équilibrée entre la nécessité de rechercher les auteurs d’infractions et celles de protéger le droit au respect de la vie privée et l’inviolabilité du domicile. Il énonce toutefois une réserve d’interprétation selon laquelle [6] :

« À cet égard, la notion de  » risque immédiat de disparition des preuves et des indices du crime qui vient d’être commis «  doit s’entendre comme ne permettant d’autoriser une perquisition de nuit que si celle-ci ne peut être réalisée dans d’autres circonstances de temps ».

Par ailleurs, la loi du 20 novembre 2023 institue également un nouvel article 97-2 du Code de procédure pénale qui permet au juge d’instruction d’autoriser une perquisition de nuit « si les nécessités de l’information relative à l’un des crimes prévus au livre II du Code pénal » (crimes contre les personnes) l’exigent et qu’il s’agit d’un crime flagrant.

Précisons que l’entrée en vigueur de ces deux nouveaux articles est différée et fixée au 30 septembre 2024.

 

[1] Cass. Crim. 29 mars 1994, n° 93-84.995

[2] Articles 706-89 à 706-92 du Code de procédure pénale

[3] Article 706-28 du Code de procédure pénale

[4] Article 706-35 du Code de procédure pénale

[5] Articles 211-1 à 228-1 du Code pénal

[6] CC, 16 novembre 2023, n° 2023-866 DC, Considérants 22 à 32

Vice affectant la légalité de la Déclaration d’utilité publique invoqué par voie d’exception contre l’arrêté de cessibilité : le refus de permettre sa régularisation en cours d’instance

Nouvelle pierre à l’édifice du contentieux de la régularisation mis en place par le Conseil d’Etat : un vice affectant la légalité d’une déclaration d’utilité publique (DUP) ne peut pas faire l’objet d’une régularisation en cours d’instance. Au terme d’un arrêt du 14 juin dernier, le Conseil d’Etat refuse d’étendre la jurisprudence commune de Grabels[1] au vice invoqué à l’encontre d’une DUP par voie d’exception dans le cadre d’un recours en vue de l’annulation de l’arrêté de cessibilité. Les requérants, propriétaires de parcelles déclarées cessibles par arrêté préfectoral à la suite d’un arrêté déclarant d’utilité publique la zone d’aménagement concerté « Littorale », ont tenté d’obtenir l’annulation de l’arrêté de cessibilité du 27 février 2017 en soulevant un vice de procédure d’adoption de la DUP.

Après un premier passage devant la 6ème chambre du Conseil d’Etat, ce dernier ayant jugé le vice régularisable, la Cour administrative d’appel de Marseille a, de nouveau, annulé l’arrêté de cessibilité estimant que le vice n’était ni régularisé, ni régularisable. Un nouveau pourvoi a été formé par l’établissement public d’aménagement en charge du projet et le ministre de la transition écologique. Estimant que le vice était régularisable, les requérants soutenaient que la jurisprudence Commune de Grabels du 9 juillet 2021 (n° 437634, publié au Recueil) s’appliquait au cas présent. Pour rappel, cette jurisprudence étend le mécanisme de la régularisation (notamment mis en place pour les autorisations d’urbanisme) aux déclarations d’utilité publique. Elle permet au juge de surseoir à statuer en vue de la régularisation d’un tel acte dans le cadre d’un contentieux en annulation engagé directement contre la DUP. Estimant qu’une telle régularisation était possible par voie d’exception, les requérants n’ont pas hésité à saisir une deuxième fois le Conseil d’Etat en vue d’obtenir la régularisation du vice affectant la DUP du projet à l’occasion du contentieux contre l’arrêté de cessibilité. Telle était aussi la position partagée par Monsieur le Rapporteur public Nicolas Agnoux dans cette affaire.

Toutefois, par un arrêt mentionné aux tables du recueil Lebon, par un fichage B, le Conseil d’Etat, statuant en 6ème et 5ème chambres réunies, en a décidé autrement, estimant que si une régularisation de la DUP était possible dans l’hypothèse d’un contentieux par voie d’action, il en était autrement dans l’hypothèse de telle demande formulée par voie d’exception :

« 2. En premier lieu, si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un acte déclarant d’utilité publique et urgents des travaux, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la modification de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Il en va toutefois différemment lorsqu’est invoqué par voie d’exception, à l’appui de conclusions dirigées contre un arrêté de cessibilité, un vice affectant l’acte déclaratif d’utilité publique sur le fondement duquel cet arrêté de cessibilité a été pris. Dans cette hypothèse, un tel vice est insusceptible d’être régularisé dans le cadre du recours dirigé contre l’arrêté de cessibilité ».

En refusant de permettre la régularisation d’une DUP dont le vice entachant la légalité est invoqué par voie d’exception à l’encontre de l’arrêté de cessibilité, la Haute Cour affirme ainsi une certaine indépendance de ces deux actes, limitant les effets tirés de sa jurisprudence sur les liens entre DUP et arrêté de cessibilité. En effet, le Conseil d’Etat reconnaît que la DUP et l’arrêté de cessibilité forment une opération complexe admettant que la légalité d’une déclaration d’utilité publique, même définitive, puisse être contestée par voie d’exception dans le cadre d’un contentieux engagé contre l’arrêté de cessibilité (CE, 4 août 2021, Commune de Mitry-Mory, req. n° 458524). Pour autant, si ces deux actes font partie d’une opération complexe entrainant des annulations en cascade en cas de vices entachant leur légalité, ce lien ne va pas jusqu’à permettre d’obtenir la régularisation de la DUP par voie d’exception dans la cadre d’un sursis à statuer, le Conseil d’Etat s’y opposant fermement.

En conséquence, si le juge administratif est doté d’un pouvoir de régularisation dans le cadre d’un recours par voie d’action à l’encontre de la DUP, il en est dépourvu lorsque celle-ci est attaquée par voie d’exception lors d’un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté de cessibilité.

 

[1] CE, 2èmes et 7èmes chambres réunies, 9 juillet 2021, n° 437634, fiché A.

Instruction d’une demande d’imputabilité au service d’un accident et principe d’impartialité de l’autorité hiérarchique

On savait déjà que le principe d’impartialité, prévu à l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (lequel a été codifié à l’article L.121-1 du Code général de la fonction publique) s’impose à toute autorité administrative dans toute l’étendue de son action, y compris dans l’exercice du pouvoir hiérarchique.

Sur le fondement de ce principe, le Conseil d’Etat a précédemment considéré[1] que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison d’actes commis à l’encontre de son subordonné, qui, par leur nature ou leur gravité, sont insusceptibles de se rattacher à l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, « ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l’autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné. »

Dans un arrêt en date du 20 juin 2024, la Cour administrative d’appel de Lyon est-elle venue définir les contours du principe d’impartialité dans l’hypothèse où un supérieur hiérarchique serait amené à instruire une demande d’imputabilité au service d’un accident déclaré par un agent à la suite d’une réunion avec ledit supérieur hiérarchique, et notamment préciser si ce dernier était tenu de se déporter en pareil cas.

En l’espèce, un directeur général des services contestait le refus du maire de sa commune de lui reconnaître l’imputabilité au service de l’accident dont il s’estimait victime, en soutenant notamment que la décision avait été prise par une autorité incompétence au motif que le maire aurait dû se déporter du fait de sa partialité. L’agent avait déclaré un harcèlement moral puis une atteinte psychologique à la suite d’une réunion avec le maire et ses adjoints. La Cour est venue préciser, dans le cadre d’un considérant de principe, que si le respect du principe d’impartialité commande à l’autorité hiérarchique compétente, personnellement mise en cause par un agent, de s’abstenir de statuer sur la demande présentée par cet agent et qui tendrait à obtenir une mesure d’assistance, de protection ou de poursuite nécessitée par cette mise en cause personnelle, « il en va différemment lorsque la même autorité doit statuer sur une demande mettant en cause la collectivité ou le service que cette autorité représente ». En effet dans cette dernière hypothèse, la Cour considère que l’autorité hiérarchique « peut régulièrement statuer et l’impartialité à laquelle elle est tenue doit s’apprécier, dans les circonstances de l’espèce, en fonction de l’attitude qu’elle aura manifestée au cours de l’instruction puis dans la prise de la décision ».

Cette décision établie donc une distinction dans l’appréciation du principe d’impartialité, entre deux cas de figures :

1/. Lorsque l’autorité hiérarchique compétente est personnellement mise en cause par un agent qui présente une demande tendant à obtenir une mesure d’assistance, de protection ou de poursuite (nécessitée par cette mise en cause personnelle): elle est alors tenue, au nom du principe d’impartialité, de s’abstenir de statuer sur cette demande et doit donc obligatoirement se déporter au profit d’une autre autorité.

En pareil cas, le refus de se déporter méconnait le principe d’impartialité ;

2/. Lorsque l’autorité hiérarchique statue sur une demande du même type mais mettant en cause la collectivité ou le service qu’elle représente: elle peut statuer sur la demande mais son impartialité pourra toutefois être contrôlée par le juge, et s’appréciera en fonction de son attitude au cours de l’instruction et dans la prise de la décision[2].

En pareil cas, le refus de se déporter ne méconnait pas en lui-même le principe d’impartialité.

Au cas d’espèce, les juges d’appel ont estimé – dans le cadre de la 1ère étape du raisonnement – que même si les causes de l’accident de service impliquaient le maire, la demande de reconnaissance d’accident de service mettait en cause la commune et non le maire, de sorte que le refus de reconnaitre l’imputabilité au service n’était pas entaché de partialité au seul motif que le maire ne s’était pas abstenu de statuer.

Puis – dans le cadre de la 2nde étape du raisonnement – ils ont considéré que le maire a pu statuer sans méconnaitre ledit principe, dès lors qu’il « s’est borné à consulter la commission départementale de réforme de l’Isère et à s’en approprier le sens, sans manifester de parti pris au cours de l’instruction ou à l’occasion de la rédaction de la décision ». Les juges en ont donc déduit que l’absence de manifestation d’un parti-pris de la part du maire et le fait pour celui-ci d’avoir suivi l’avis de la Commission de réforme, permettaient, dans les circonstances de l’espèce, de conclure à l’absence de partialité de l’autorité hiérarchique.

Cet arrêt laisse présager des contentieux en perspective, à l’issue incertaine pour les administrations publiques puisque, même dans le cas où le déport n’est pas obligatoire (pas de mise en cause personnelle), l’impartialité de l’autorité hiérarchique lors de l’instruction d’une déclaration d’accident de service, pourra être contrôlée par le juge administratif, et appréciée en fonction des circonstances de l’espèce.

 

[1] CE, 29 juin 2020, n° 423996.

[2] A cet égard on peut rappeler que dans une décision en date du 30 décembre 2010, n° 338273, le Conseil d’Etat avait considéré que le principe d’impartialité impose de « s’abstenir de toute prise de position publique de nature à compromettre le respect de ce principe ».

Enregistrer à son insu un collègue ou un supérieur hiérarchique, une mauvaise idée pour l’agent public.

TA de Lyon, 8ème, 3 mai 2024, n° 2203751

Par deux décisions rendues au cours du printemps, le Tribunal administratif de Lyon et la Cour administrative d’appel de Nancy sont venus rappeler l’interdiction pour les agents publics de procéder à l’enregistrement de leurs collègues et supérieurs hiérarchiques sans leur autorisation. Et cela, même si l’agent n’a pas procédé lui-même à l’enregistrement. Et cela même s’il s’estime victime de harcèlement.

Dans le litige dont était saisi la Cour administrative d’appel de Nancy, le requérant avait fait installer par son collègue, placé sous son autorité, un dispositif discret d’enregistrement dans un véhicule de service dans le but de confondre l’un de ses collègues, qu’il soupçonnait d’avoir bloqué sa carte professionnelle par malveillance. Bien que l’intéressé n’ait pas lui-même procédé à l’enregistrement, la Cour a rappelé que « la décision contestée ne reproche pas au requérant d’avoir placé lui-même le dispositif, mais d’avoir eu l’idée d’enregistrer secrètement les conversations de l’un de ses collègues pendant le service ». Et la Cour de juger que « la démarche consistant à faire enregistrer secrètement les conversations de ses collègues », qui a par ailleurs a « eu pour effet d’exacerber les tensions déjà prégnantes dans le service », constitue un manquement aux obligations de loyauté, de dignité et d’exemplarité.

En d’autres termes, la simple commande de faire procéder à l’enregistrement d’un collègue est fautive.

Pour ce qui est du Tribunal administratif de Lyon, la juridiction a confirmé la légalité de la sanction d’exclusion temporaire de fonctions de trois jours d’une rédactrice territoriale qui avait notamment méconnu son obligation de réserve et de dignité en enregistrant ses supérieurs à leur insu lors d’un entretien.

En l’espèce, la requérante justifiait ses agissements en soutenant qu’elle aurait été victime de harcèlement moral. Argument qui n’a pas convaincu le tribunal et qu’il a écarté de la manière suivante : « Si Mme X expose qu’elle a été victime de harcèlement moral dans le cadre de ses fonctions, les circonstances dont il est fait état et relatives au déroulement de sa carrière, à ses conditions de travail, à son état de santé et aux missions qui lui étaient confiées ne permettent pas de faire présumer un tel harcèlement ». Dans la mesure où la requérante « a reconnu lors de la séance du conseil de discipline avoir procédé à l’enregistrement de ses supérieurs à leur insu lors d’un entretien », le tribunal estime que l’agent a observé un comportement fautif, et cela peu importe la motivation qui l’avait animé. Dès lors, la simple conviction de subir une situation de harcèlement moral ne saurait légitimer l’enregistrement à l’insu de ses supérieurs hiérarchiques. Mais en aurait été-il autrement si le harcèlement moral avait été bel et bien caractérisé ?

La chambre sociale de la Cour de Cassation a admis récemment la recevabilité d’un mode de preuve obtenu de manière déloyale, dès lors qu’il est indispensable à l’exercice du droit du justiciable à condition qu’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse, à l’image du droit au respect de la vie privée (Cass., plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 ; Cass., plén., 22 déc. 2023, n° 21-11.330). Était en cause dans la première affaire des enregistrements clandestins destinés à prouver la faute grave du salarié susceptible de justifier son licenciement.

La position du Conseil d’Etat est plus ferme. En consacrant un principe de loyauté de l’Administration employeur vis-à-vis de ses agents, cette dernière ne peut fonder une sanction disciplinaire sur des pièces ou documents obtenus en méconnaissance de cette obligation sauf si un intérêt public majeur le justifie. Et le juge est tenu d’apprécier la légalité de la sanction disciplinaire au regard des seules pièces que l’autorité disciplinaire pouvait retenir (CE, 16 juillet 2014, n° 355201). Ce principe de loyauté semble avoir été étendu aux agents vis-à-vis de leur Administration employeur. En effet, par exemple, un procès-verbal de constat d’huissier transcrivant les enregistrements clandestin de conversations a dû être  écarté « eu égard au principe de loyauté des preuves qui s’impose dans le procès administratif, sauf si un intérêt public majeur le justifie, ce qui n’est pas démontré ni même allégué par Mme C…, ce procès-verbal de constat doit être écarté » (C.A.A. de Douai, 1er décembre 2016, n° 14DA01169). Et puis, à supposer que le Conseil d’Etat vienne à admettre un procédé aussi déloyal que l’enregistrement clandestin, il n’en demeurerait pas moins que le comportement de l’agent resterait, malgré tout, fautif. Et ce, pour deux raisons.

D’abord parce que l’on rappellera que cette pratique dans l’air du temps, tendant donc (à tort ou à raison) à se généraliser, reste une infraction pénale. En effet, en vertu des dispositions de l’article 226-1 du Code pénal, la captation ou l’enregistrement à l’insu de son auteur de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel est une atteinte à la vie privée passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Ensuite parce que la spécificité du droit de la fonction publique impose aux agents publics un devoir de loyauté, de dignité, d’exemplarité et de réserve. En ce sens, le Tribunal administratif de Paris a par exemple jugé que : « la circonstance que ces enregistrements et cette note n’aient pas été diffusés de manière publique, mais uniquement à un huissier et à un magistrat instructeur dans la cadre d’une enquête pénale, pour justifier des faits de harcèlement moral, ne saurait exonérer l’agent de son devoir d’exemplarité et de loyauté ». (T.A. de Paris, 13 avril 2023, n° 2110196).

Ce qui est certain, c’est qu’en l’état de la jurisprudence administrative, la fin ne justifie toujours pas les moyens.

Maintien de la majoration de traitement pour un fonctionnaire affecté à Mayotte et placé en congé maladie à la suite d’un accident de service

Un fonctionnaire affecté dans le département de Mayotte a le droit au maintien de la majoration de traitement en cas de congé de maladie en raison d’un accident de service. Et ce, même s’il séjourne en dehors du département.

On sait qu’en cas d’accident de service, un fonctionnaire bénéficie de l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre ses fonctions. Cela comprend classiquement le maintien du supplément familial de traitement, l’indemnité de résidence et certaines indemnités accessoires « à l’exclusion de celles qui sont rattachées à l’exercice des fonctions ou qui ont le caractère de remboursement de frais » (C.E., 24 novembre 1971, n° 80035).

En l’espèce, la question posée au Conseil d’Etat était la suivante : la majoration de traitement versée à un fonctionnaire en raison de son affectation à Mayotte est-elle rattachée à l’exercice des fonctions ?

En réalité, cette question avait déjà été tranchée. Mais sous l’empire d’anciens textes. Le Conseil d’Etat avait ainsi jugé que cette indemnité se rattachait à l’exercice des fonctions. Partant, un fonctionnaire placé en congé de maladie ordinaire ne pouvait obtenir le maintien d’une telle majoration de traitement (C.E., 28 décembre 2001, n° 236161). Mais depuis, le cadre réglementaire a évolué avec l’adoption et l’entrée en vigueur du Décret du 26 août 2010 n° 2010-997, dont le Conseil d’Etat, dans la décision commentée, vient nous apporter des éclaircissements quant à son application. Précisons que ce décret prévoit un maintien des primes et indemnités aux fonctionnaires d’Etat, relevant de la fonction publique, « dans les mêmes proportions que le traitement » notamment en cas d’une maladie provenant d’un accident de service à moins que :

  • Les dispositions des régimes indemnitaires prévoient leur modulation en fonction des résultats et de la manière de servir de l’agent ;
  • Les dispositions prévoient, pour certains régimes indemnitaires spécifiques, leur suspension à compter du remplacement de l’agent dans ses fonctions.

Concernant les agents affectés à Mayotte, il ne ressort d’aucun texte que leur majoration de traitement serait liée aux résultats ou à leur manière de servir. Pas d’avantage qu’il ne serait prévu de règle de suspension en cas de remplacement. C’est en suivant ce raisonnement que le Conseil d’Etat a jugé que : « la majoration de traitement attribuée aux fonctionnaire affectés à Mayotte en application des dispositions rappelées au point 3 ne relève d’aucune de ces exceptions. Il résulte de ce qui précède qu’un fonctionnaire en service dans le Département de Mayotte et placé en congé de maladie à la suite d’un accident de service a droit au maintien de l’intégralité de la majoration de traitement prévue par l’article 1er du décret du 28 octobre 2013 ».

En d’autres termes, désormais, en application du Décret du 26 août 2010, le placement en congé de maladie ordinaire ne s’oppose plus au versement de la majoration de traitement octroyée aux fonctionnaires en service dans le département de Mayotte. Autre apport de cette décision : le Conseil d’Etat précise que le maintien de la majoration n’est pas conditionné à une résidence effective à Mayotte : « la circonstance que le fonctionnaire placé dans une telle situation séjourne hors de ce Département au cours de son congé est par ailleurs sans incidence sur son affectation et, par suite, sur son droit à indemnité ».

Puisqu’il faut savoir que le décret du 26 août 2010 ouvre le bénéfice de la majoration de traitement à l’ensemble des fonctionnaires « en service dans le Département de Mayotte », et que cette notion ne définit « ni n’implique une condition de résidence mais se borne à désigner les agents affectés dans le département de Mayotte », pour citer le Rapporteur Public Nicolas Agnoux. Et ce dernier d’ajouter « pendant la durée de son congé, l’agent doit donc être regardé comme demeurant ‘‘en service dans le Département de Mayotte’’ sans qu’il soit tenu compte de sa résidence effective pendant la période en cause ».

Affectation et résidence ne doivent donc pas être confondues.

Incomplétude du dossier de demande de permis de construire : la nouvelle demande de pièces manquantes entérinée et encadrée

Si le dossier de demande de permis de construire reste incomplet malgré les pièces fournies à la suite d’une demande de pièces manquantes (R. 423-38 du Code de l’urbanisme), l’Administration peut, une nouvelle fois, inviter le pétitionnaire à le compléter. Ce compris dans le délai d’un mois. Cette demande est toutefois sans incidence, tant sur le cours du délai de réponse de trois mois offert au pétitionnaire, que sur la naissance d’une décision tacite de rejet s’il ne régularise pas son dossier au terme de ce délai.

En l’espèce, la demande de permis de construire avait pour objet la construction d’une villa de 400m² avec piscine à Coti-Chiavari (Corse-du-Sud). Le préfet avait formulé une première demande de pièces afin que l’attestation de conformité du projet d’installation d’assainissement non collectif prévue par le d) de l’article R. 431-6 du Code de l’urbanisme, soit fournie. Si le pétitionnaire a d’abord fait parvenir un rapport établi par la société délégataire du service public de l’assainissement non collectif, ce n’est qu’à la suite d’une nouvelle demande de l’Administration que l’attestation demandée a finalement été communiquée. Le requérant estimait avoir produit les pièces demandées dès la première invitation de l’Administration et considérait donc être devenu bénéficiaire d’un permis de construire tacite au terme du délai de trois mois. En lui opposant, à l’issu de ce délai, un refus de permis de construire, le préfet avait selon lui illégalement retiré ce permis tacite.

Le préfet ne souscrivait pas à cette analyse. Selon lui, le pétitionnaire avait complété son dossier non pas à raison de son premier envoi, celui du rapport, mais à raison de son second envoi, celui de l’attestation. Le délai d’instruction n’avait donc commencé à courir qu’à partir de cette dernière date. Il revenait alors au Conseil d’Etat, d’abord de déterminer s’il était possible d’adresser deux demandes successives de pièces au-delà du délai d’un mois, puis, le cas échéant, de préciser les effets de telles demandes. On sait que lorsqu’un dossier de demande de permis de construire est incomplet, l’autorité compétente adresse au pétitionnaire une demande de communication des pièces manquantes dans un délai d’un mois (article R. 423-38 du Code de l’urbanisme). Le pétitionnaire dispose alors d’un délai de trois mois pour adresser les documents au service instructeur (article R. 423-9 a) du Code de l’urbanisme).

 

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat va distinguer trois cas de figure pouvant se présenter à l’Administration à la suite d’une demande de pièces manquantes et va en préciser les conséquences :

 

  • Le pétitionnaire peut produire l’ensemble des pièces manquantes dans le délai de trois mois. Dans ce cas, « le délai d’instruction commence à courir à la date à laquelle l’administration les reçoit et, si aucune décision n’est notifiée à l’issue du délai d’instruction, un permis de construire est tacitement accordé» conformément aux dispositions de l’article R. 424-1 du Code de l’urbanisme ;
  • En revanche « à défaut de production de l’ensemble des pièces manquantes» dans le délai de trois mois, la demande fera l’objet d’une décision tacite de rejet ;
  • Enfin, si le dossier de demande de permis de construire reste incomplet malgré la production de pièces par le pétitionnaire, l’Administration peut, dans le délai de trois mois, « inviter à nouveau le pétitionnaire à le compléter, cette demande étant toutefois sans incidence sur le cours du délai et la naissance d’une décision tacite de rejet si le pétitionnaire n’a pas régularisé son dossier au terme de ce délai».

 

On peut alors déduire deux choses de cette décision.

 

Tout d’abord, que la pratique dite des « courriers de relance » est admise. Et que l’Administration est donc libre d’inviter, une nouvelle fois, le pétitionnaire à compléter son dossier de demande de permis de construire. Le Conseil d’Etat a en ce sens suivi les conclusions de Laurent Domingo, lequel, estimait que les dispositions du Code de l’urbanisme « ne font pas obstacle, lorsque le demandeur ne produit pas la pièce demandée à ce que l’autorité compétente lui réclame à nouveau cette pièce, même passé le délai d’un mois depuis le dépôt de la demande de permis de construire ».

Ensuite, que la nouvelle demande de pièces manquantes est sans incidence sur les délais :

 

  • Elle ne fait courir aucun nouveau délai de trois mois qui continue de courir tant que le pétitionnaire ne communique pas la pièce exigée. Ce dernier s’exposant toujours à la naissance d’une décision tacite de refus ;
  • Si le pétitionnaire communique la pièce exigée, la demande de permis de construire devient complète après production de la dernière pièce et ce n’est qu’à compter de cette date que le délai d’instruction, également de trois mois, commence à courir.

Rappelons toutefois que si cette nouvelle demande de pièces manquantes est « à l’avantage du demandeur », pour reprendre les termes de Laurent Domingo, elle n’est qu’une simple faculté dont est libre de disposer ou non l’Administration. En d’autres termes, cette dernière n’est pas tenue d’informer le pétitionnaire du fait que la pièce versée ne répond que partiellement à sa demande de pièce complémentaire. Dans ce cas, deux situations peuvent alors se présenter au pétitionnaire. S’il a fourni les pièces manquantes demandées, il pourra être titulaire d’un permis de construire tacite. Mais s’il ne complète pas son dossier, sa demande sera tacitement rejetée à l’issue du délai de trois mois.

Attention, néanmoins, à ce que la demande de pièces manquantes soit bien légale : depuis sa décision « Commune de Saint-Herblain », le Conseil d’Etat juge que « le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigé » par le Code de l’urbanisme (C.E., 9 décembre 2022, n° 454521).

Procédure disciplinaire : l’interdiction à l’avocat de prendre la parole prive l’agent d’une garantie

Les obligations d’information du droit à la communication du dossier, de motivation des décisions prononçant une sanction disciplinaire, ou encore, le recours même au conseil de discipline, sont autant de garanties qui s’ancrent dans la droite ligne du principe général des droits de la défense applicable à toute mesure administrative présentant un caractère de sanction[1]. Le principe du caractère contradictoire de la procédure[2], corollaire du respect des droits de la défense, implique que l’agent poursuivi disciplinairement puisse présenter des observations sur les faits qui lui sont reprochés avant que l’autorité disciplinaire ne prononce de sanction[3].

Dans un arrêt en date du 27 février 2024, la Cour administrative de Bordeaux a précisé la portée de ces principes s’agissant de l’intervention de l’avocat lors des entretiens dans lesquels il assiste son client, en jugeant que l’avocat doit être mis en mesure de présenter des observations orales lorsqu’il vient assister son client en entretien disciplinaire. Lui interdire toute prise de parole prive l’agent d’une garantie, entraînant l’illégalité de la procédure.

En l’espèce, dans la perspective d’un licenciement disciplinaire, l’agent[4] s’était présenté à son entretien préalable accompagné de son avocat, ainsi que le permettent les dispositions de l’article 44 du décret du 17 janvier 1986[5]. Lors de cet entretien, la directrice du groupement d’intérêt public qui employait l’agent a expressément refusé que l’avocat de l’agent présente ses observations à l’oral. Ce n’est que postérieurement à celui-ci que son conseil a pu adresser des observations écrites par courriel.

La Cour administrative d’appel a estimé que l’agent avait à ce titre été privé d’une garantie, considérant que la circonstance que son avocat ait pu formuler des observations écrites n’avait pu avoir eu pour effet de compenser l’interdiction qui lui avait été faite de prendre la parole durant l’entretien. L’importance des observations orales, par rapports aux écrites avaient déjà été soulignées par Madame Da Silva, dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 mai 2006, (n° 284827).

La Cour juge ainsi que l’avocat doit pouvoir intervenir, demander des explications et compléter celles de l’agent. Ce qui ne signifie pas, pour autant, qu’aucune limite ne peut être donnée à l’intervention de l’avocat dans ce type d’entretien, reste à savoir jusqu’où ces limites peuvent être imposées sans priver l’agent d’une garantie : la jurisprudence ne manquera pas le préciser à l’avenir.

 

[1] CE, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, n° 69751 ; aussi consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République, CE, 5 mai 1944, Dame Veuve Trompier-Gravier, n° 69751 ; aussi consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République

[2] Décision CC, n° 84-184 DC, 29 décembre 1984, Loi de finances pour 1985

[3] Décision CC, n° 2019-781 QPC, 10 mai 2019, M. Grégory M.

[4] En l’espèce, un agent contractuel exerçant la fonction de garde animateur au sein du groupement d’intérêt public Reserve naturelle marine de La Réunion, relevant à ce titre de la fonction public d’Etat

[5] « L’agent non titulaire à l’encontre duquel une sanction disciplinaire est envisagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous documents annexes et à se faire assister par les défenseurs de son choix. / L’administration doit informer l’intéressé de son droit à communication du dossier ».

Marchés de travaux : comment empêcher la naissance d’un décompte général définitif tacite ?

Depuis près d’une année, la jurisprudence sur la naissance d’un décompte général définitif tacite ne cesse de s’enrichir, ce qui nous avait conduit à consacrer un premier article à ce sujet en juillet 2023 (Marchés de travaux : points de vigilance pour l’acheteur et le titulaire sur le décompte général définitif tacite) et un deuxième au mois de novembre suivant (Même irrégulière, la notification d’un décompte général empêche la naissance d’un décompte général définitif tacite).

Jamais deux sans trois : le Conseil d’État vient d’apporter, par sa décision en date du 7 juin 2024, de nouvelles précisions sur ce sujet, en particulier sur les diligences que doit faire un acheteur pour faire obstacle à la naissance d’un décompte général définitif tacite.

Cette décision intervient dans le cadre d’un contentieux relatif au versement du solde d’un marché de travaux ayant pour objet la construction d’ateliers artisanaux dans une zone d’activités, attribué par la commune de Chessy à la Société Entreprise Construction Bâtiment (ECB). Après la réception avec réserves de ses travaux, l’entreprise avait adressé à la commune un projet de décompte final, puis un projet de décompte général. En l’absence de notification par le maître d’ouvrage d’un décompte général, la Société ECB a soutenu que son projet de décompte général était devenu définitivement tacite et a donc saisi le juge des référés afin d’obtenir le versement d’une provision correspondant au solde de ce décompte.

En première instance, la commune de Chessy a été condamnée à verser la provision réclamée, tout en obtenant que son maître d’œuvre soit condamné à la garantir à hauteur de 30 % des condamnations prononcées à son encontre. Mais, en appel, cette ordonnance a été annulée et les demandes de la Société ECB ont été rejetées comme irrecevables, au motif que l’entreprise n’aurait pas, sous quelque forme que ce soit, présenté un mémoire en réclamation relatif au paiement de la créance née du décompte litigieux.

Saisi par la Société ECB d’un pourvoi contre l’ordonnance rendue par la Cour administrative d’appel de Paris, le Conseil d’État commence par l’annuler pour dénaturation, considérant qu’il ressortait des pièces du dossier que l’entreprise avait bel et bien exposé, dans un courrier adressé à la commune et au maître d’œuvre, les raisons pour lesquelles elle estimait pouvoir se prévaloir d’un décompte général et définitif tacite et sollicité le règlement du solde correspondant.

De plus, le Conseil d’Etat précise que lorsque le titulaire d’un marché de travaux se prévaut d’un décompte général définitif tacite, il n’est pas tenu, pour saisir la juridiction d’une demande tendant au versement de son solde, de suivre au préalable la procédure de réclamation prévue à l’article 50 du Cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux (CCAG Travaux).

Ensuite – et c’est là l’apport principal de cette décision qui justifie sa mention dans les tables du recueil Lebon – le Conseil d’Etat pose le principe suivant :

 « 10. En troisième lieu, il résulte des stipulations des articles 13.4.2 et 13.4.4 du CCAG Travaux citées au point 3 que seule la notification au titulaire du marché d’un décompte général, même irrégulier, à laquelle le simple rejet des projets de décompte établis par le titulaire ne saurait être assimilé, fait obstacle à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite à l’initiative du titulaire dans les conditions prévues par l’article 13.4.4 du CCAG ».

En d’autres termes, lorsque le titulaire d’un marché de travaux a respecté l’ensemble de la procédure d’élaboration de son projet de décompte général jusqu’à la notification de celui-ci au maître d’ouvrage et au maître d’œuvre, le maître d’ouvrage ne peut procéder qu’à une seule action pour empêcher que ce projet de décompte ne devienne tacitement définitif à l’issue d’un délai de dix jours à compter de sa notification : adresser au titulaire son propre décompte général, cette démarche ayant pour effet d’interrompre le délai de dix jours même si le décompte général est irrégulier (CE, 9 novembre 2023, Société Transport tertiaire industrie, n° 469673). Or, dans le cas présent, la commune de Chessy n’avait pas adressé à son cocontractant de décompte général dans un délai de dix jours suivant la réception du projet de décompte général élaboré par la Société ECB et s’était bornée à rejeter précédemment ses projets de décompte final puis général. Le Conseil d’Etat considère donc que ces rejets n’avaient pu faire obstacle à la naissance d’un décompte général définitif tacite et condamne la commune à verser à l’entreprise la provision correspondant au solde de ce décompte (en réduisant, ce faisant, le montant de la somme due par rapport à ce qu’avait fixé le juge des référés en première instance, lequel avait été au-delà des demandes de la requérante).

S’agissant de la demande de la commune tendant à ce que son maître d’œuvre soit appelé en garantie au motif qu’il n’aurait pas accompli les diligences lui incombant pour faire obstacle à la naissance d’un décompte général et définitif tacite, le Conseil d’Etat commence par rappeler que le préjudice dont la commune pouvait demander réparation de ce fait ne pouvait être que l’éventuel surcoût induit par ce décompte par rapport à la somme qu’un décompte général et définitif établi contradictoirement aurait mise à sa charge. Ensuite, il constate qu’en l’occurrence, la commune n’établit aucunement l’étendue ni même l’existence d’un tel préjudice, ce qui fait obstacle à ce que la créance dont elle se prévaut à l’égard de son maître d’œuvre puisse être regardée comme non sérieusement contestable. Par conséquent, il annule l’ordonnance de référé de première instance en ce qu’elle avait condamné le maître d’œuvre à garantir la commune à hauteur de 30 % de la condamnation prononcée à son encontre.

Concessions : précisions sur la méthode d’évaluation des offres

Par sa décision en date du 7 juin 2024, le Conseil d’État apporte d’utiles précisions sur les méthodes d’évaluation des offres qui doivent être écartées par les acheteurs, compte tenu du risque qu’elles comportent de ne pas aboutir au choix de l’offre présentant le meilleur avantage économique global.

Cette décision est intervenue dans le cadre d’un litige relatif à la passation d’un contrat de délégation de service public portant sur la gestion de services de mobilités initiée par la communauté d’agglomération Quimper Bretagne Occidentale. Deux candidats évincés ont saisi le juge des référés précontractuels d’une demande d’annulation de la procédure, à laquelle il a été fait droit, par ordonnance du 31 octobre 2023. Le juge des référés a en effet considéré, d’une part, que la notation retenue ne permettait pas de garantir que l’offre présentant le meilleur avantage économique global fût choisie et, d’autre part, que les sociétés requérantes avaient été nécessairement lésées par un tel manquement.

Saisi par la communauté d’agglomération et l’attributaire pressenti d’un pourvoi contre cette ordonnance, le Conseil d’État commence par annuler celle-ci, au motif que le juge des référés avait commis une erreur de droit et méconnu son office en ne recherchant pas si, eu égard aux appréciations portées par l’acheteur sur leurs offres, les sociétés requérantes n’étaient pas, en toute hypothèse, insusceptibles de se voir attribuer le contrat litigieux.

Ensuite, statuant sur le fond, le Conseil d’État commence par rappeler le cadre juridique de l’analyse des offres dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de concession : en substance, les offres doivent être analysées sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet ou aux condition d’exécution du contrat ; ces critères doivent être hiérarchisés par ordre décroissant, sans qu’il soit toutefois obligatoire de les pondérer avec un certain nombre de points, à l’inverse de ce qui prévaut pour les marchés publics.

Le Conseil d’État rappelle également les termes de sa jurisprudence récente sur le régime des éléments d’appréciation utilisés pour appliquer les critères d’analyse (CE, 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer req. n° 459678 transposant aux concessions le régime défini pour les marchés publics par la décision CE, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362) : l’acheteur définit librement la méthode d’évaluation des offres au regard de chacun des critères d’attribution qu’elle a définis et rendus publics. Cette méthode d’évaluation n’a pas à être rendue publique, à l’inverse des critères eux-mêmes. En tout état de cause, l’acheteur doit, au stade de la définition des éléments d’appréciation pris en compte pour son évaluation des offres et des modalités de leur combinaison, respecter les conditions suivantes :

  • les éléments d’appréciation doivent être liés au critère dont ils permettent l’évaluation ;
  • les modalités d’évaluation des critères d’attribution par combinaison de ces éléments d’appréciation ne doivent pas, par elles-mêmes, être de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et, de ce fait, être susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l’ensemble des critères, à ce que l’offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.

Ensuite, et c’est là le principal apport de cette décision, le Conseil d’État fait application de ces principes à un cas concret de méthode d’évaluation des offres. En l’espèce, la communauté d’agglomération avait choisi une méthode consistant attribuer à chaque offre une note correspondant à son classement obtenu sur chaque critère (1 point pour l’offre classée en première position, 2 points pour l’offre classée en deuxième position, etc.), puis de faire la moyenne de ces notes et, enfin, de pondérer cette moyenne par le coefficient associé à chaque critère, l’offre retenue devant donc être celle ayant obtenu la note la plus basse.

Cependant, ainsi que le relève le Conseil d’État et comme le détaille le Rapporteur public Nicolas Labrune dans ses conclusions, cette méthode d’évaluation ne reflétait que très imparfaitement les écarts de valeur entre les offres : ce n’est pas parce qu’une offre est classée en troisième position qu’elle est nécessairement trois fois moins bonne que la première. Réciproquement, l’offre classée en deuxième position n’aura qu’un point d’écart avec la meilleure offre, alors que la différence de qualité pourrait justifier un écart de points plus conséquent. Le Conseil d’État en conclut donc que cette méthode d’évaluation était susceptible, au moins en partie, de priver de portée les critères de sélection ou de neutraliser leur hiérarchisation et que les sociétés requérantes étaient fondées à en soulever l’irrégularité, et ce d’autant plus que leurs offres avaient été mieux classées que celles de l’attributaire sur au moins l’un des critères d’appréciation et que cette irrégularité était donc susceptible de les avoir lésées.

Le Conseil d’État prononce donc l’annulation de toute la procédure de passation. A cet égard, les conclusions du Rapporteur public Nicolas Labrune permettent de comprendre pourquoi les effets de l’annulation n’ont pas été limités au seul stade de l’analyse des offres : tout d’abord, la méthode d’évaluation des offres irrégulière avait été annoncée dans le règlement de consultation ; ensuite et surtout, cette méthode était susceptible d’influencer la stratégie des candidats pour l’élaboration de leurs offres.