Le Conseil d’Etat valide les lignes directrices de la CNIL sur l’utilisation des cookies sur un site internet

Le Conseil d’Etat a rendu sa décision le 16 octobre 2019 sur le recours pour excès de pouvoir introduit par la Quadrature du Net et Caliopen contre la délibération de la CNIL n° 2019-093 du 4 juillet 2019 portant adoption de lignes directrices.

Dans cette décision, le Conseil d’Etat estime que le délai de tolérance laissé par la CNIL aux acteurs du secteur pour se conformer aux nouvelles règles n’est pas illégal. En effet, le Conseil d’état estime qu’un « un tel choix permet à l’autorité de régulation d’accompagner les acteurs concernés, confrontés à la nécessité de définir de nouvelles modalités pratiques de recueil du consentement susceptibles d’apporter, sur le plan technique, les garanties qu’exige l’état du droit en vigueur, dans la réalisation de l’objectif d’une complète mise en conformité de l’ensemble des acteurs à l’horizon de l’été 2020 ». 

Le Conseil d’Etat rappelle que la CNIL continuera de réaliser des contrôles au cours de cette période sur « le respect des règles relatives au caractère préalable du consentement, à la possibilité d’accès au service même en cas de refus et à la disponibilité d’un dispositif de retrait du consentement facile d’accès et d’usage » et de sanctionner, le cas échéant, les manquements les plus graves à ses nouvelles lignes directrices.

Enfin, le Conseil d’Etat écarte l’atteinte au droit à la vie privée protégé par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, et l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que l’atteinte au droit à la protection des données personnelles garanti par l’article 8 de la charte des droits fondamentaux de l’Union.

Par conséquent, le Conseil d’Etat rejette le recours formé par la Quadrature du Net et Caliopen.

Le consentement actif des internautes au placement de cookies

Dans le cadre d’une question préjudicielle, la Cour fédérale de justice allemande a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’interpréter les articles 2, sous f) et l’article 5 paragraphe 3 de la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002, lus en combinaison avec l’article 2, sous h) de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 et de l’article 6, paragraphe 1, sous a) du RGPD concernant le consentement et l’information des internautes au placement de cookies.

Les cookies sont des fichiers déposés sur le disque dur de l’internaute par l’éditeur du site internet visité. L’éditeur de ce site peut accéder à nouveaux à ces fichiers lors d’une nouvelle visite ce qui lui permet de faciliter la navigation sur son site internet ou d’obtenir des informations sur le comportement de l’internaute. Il n’est pas rare que les sites institutionnels des collectivités ou des établissements publics utilisent des cookies.

Dans cet arrêt, la Cour de justice de l’Union considère que « le consentement visé à ces dispositions n’est pas valablement donné lorsque le stockage d’informations ou l’accès à des informations déjà stockées dans l’équipement terminal de l’utilisateur d’un site Internet, par l’intermédiaire de cookies, est autorisé au moyen d’une case cochée par défaut que cet utilisateur doit décocher pour refuser de donner son consentement ».

La juridiction de renvoi demande également à la CJUE si les dispositions dont il est demandé l’interprétation à la Cour de justice doivent être interprétées différemment selon que les informations stockées par les cookies constituent ou non des données à caractère personnel. A ce sujet, la CJUE considère que la protection de la vie privée « s’applique à toute information stockée sur cet équipement terminal, indépendamment du fait qu’il s’agisse ou non de données à caractère personnel ». Ainsi les dispositions encadrant le consentement de l’utilisateur au placement de cookie ne doivent pas être interprétées différemment selon que les informations stockées sont ou non des données à caractère personnel.

Enfin la CJUE estime que l’utilisateur d’un site internet doit être informé par l’éditeur de service de la durée de fonctionnement des cookies ainsi que la possibilité ou non pour des tiers d’avoir accès à ces cookies.

Par conséquent, il revient à la juridiction allemande compétente de résoudre l’affaire en conformité avec la décision de la CJUE.

Pour conclure, cet arrêt lie également les juridictions françaises qui seraient saisies d’un litige similaire. Il convient de rappeler que sur la question du consentement à l’utilisation des cookies sur un site internet, la CNIL a par une délibération n° 2019-093 du 4 juillet 2019 précisé sa doctrine à ce sujet. Ces nouvelles lignes directrices ont fait l’objet de deux recours, d’une part par les associations de défense des libertés sur internet et d’autre part, par les professionnels de la communication digitale. Par une décision rendue le 16 octobre 2019, le Conseil d’Etat a rejeté le recours pour excès de pouvoir introduit par la Quadrature du Net et Caliopen (voir notre brève consacrée à cette décision).

Propos injurieux contre un fonctionnaire : Recherche de la personne pénalement responsable d’un site édité à partir de l’étranger

Le 8 juin 2016, un fonctionnaire public était visé par des propos injurieux sur un site Internet édité à partir de la Suisse ; il faisait alors citer devant le Tribunal correctionnel la personne qu’il estimait être le directeur de publication du site suisse, au visa de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, afin de bénéficier des facilités de preuve offertes par cet article et par l’exercice même de la fonction de directeur de publication. En effet, rappelons d’emblée que l’article 93-3 de la loi précitée met le directeur de publication en première ligne des personnes dont la responsabilité pénale peut être recherchée pour une infraction de presse commise en ligne. Et dans ce cadre, ce dernier engage sa responsabilité pénale de plein droit : le directeur de publication ne peut ainsi s’exonérer seul de cette responsabilité qu’en démontrant qu’il n’était pas ou plus directeur de publication au moment de la diffusion, ou alors qu’il avait expressément donné l’ordre de ne pas publier – ces moyens de défense personnelle étant dès lors très limités.

La Cour d’appel, pour entrer en voie de condamnation, avait recherché si cette personne assumait effectivement la fonction de directeur de publication au sens de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 ; constatant qu’elle exerçait cette fonction, elle lui appliquait le principe de sa responsabilité pénale de plein droit ; elle oubliait toutefois que le service de communication au public était édité à partir de l’étranger, la Suisse, ce que soulignera le second moyen du pourvoi.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel : « Vu l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ; il résulte de ce texte que la responsabilité en cascade qu’il prévoit ne s’applique que lorsque le service de communication au public par voie électronique est fourni depuis la France. […] Alors qu’il résultait de ses propres constatations que le service de communication en ligne accessible à l’adresse […] était fourni par l’association […] ayant son siège en Suisse, sans examiner si la responsabilité pénale du prévenu pouvait être engagée en une autre qualité que celle de directeur de la publication, la juridiction correctionnelle ayant le pouvoir d’apprécier le mode de participation de la personne poursuivie aux faits spécifiés et qualifiés dans la poursuite, les restrictions que la loi sur la presse impose aux pouvoirs de cette juridiction n’étant relatives qu’à la qualification par rapport au fait incriminé, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe précédemment rappelé ».

L’arrêt de la Cour de cassation n’est pas novateur ; s’il peut apparaitre sévère pour les victimes, il a pour vertu de recadrer des éléments de procédure bien souvent ignorés ou malmenés :

  • Lorsque le site Internet est édité à partir de l’étranger, et même si ce site est consultable à partir de la France, le mécanisme de l’article 93-3 de la loi de 1982 ne peut pas trouver application – principe également applicable à la presse imprimée ; dès lors, la personne qui assure la direction de publication de ce site étranger ne peut pas voir sa responsabilité engager en cette qualité et sous ce mécanisme ; le principe de la responsabilité de plein droit des directeurs de publication qui en découle ne lui sera pas opposable.

     

    Puisque ce mécanisme et ce principe ne s’appliquent pas, les juges doivent alors motiver leur décision de condamnation selon les règles pénales du droit commun, c’est-à-dire rechercher un acte positif de participation personnelle de la personne poursuivie à l’acte de publication – ce qui prévaut déjà en matière de diffamation par voie de courriel électronique par exemple.

     

    Le directeur de publication d’un site étranger bénéficie donc de moyens de défense au fond beaucoup plus importants que celui d’un site français – circonstance qui contribue déjà à la délocalisation à l’étranger de certains sites, comme celui poursuivi en l’espèce.

  • Le juge de presse reste libre d’apprécier le mode de participation de la personne poursuivie aux faits de publication, sans être tenu par l’acte introductif des poursuites ; il importait alors peu, au cas d’espèce, que la citation ait visé (à tort) le responsable du site comme directeur de publication ; la Cour d’appel aurait dû rechercher, selon les règles pénales de droit commun, si cette personne avait personnellement participé à la publication et, à défaut d’élément, la relaxer.

Adoption d’une directive européenne visant à protéger les lanceurs d’alertes

Le 7 octobre 2019, la directive européenne sur la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l’Union a été définitivement adoptée par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne.

L’adoption de ce texte coïncide, dans l’actualité, avec la procédure d’Impeachment récemment initiée à l’encontre du Président des Etats-Unis, sur la base d’éléments fournis par un, voire même plusieurs, lanceurs d’alertes.

Ce texte européen vise à donner un socle commun à la protection des lanceurs d’alerte au sein de l’Union, dans un certain nombre de secteurs clés, tels que les infractions relevant des actes de l’Union dans plusieurs domaines majeurs (marchés publics, sécurité des produits et des transports, protection de l’environnement et sûreté nucléaire, sécurité des aliments, santé publique, protection des consommateurs, protection de la vie privée et des données personnelles, etc.), les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ou, encore, les infractions relatives au marché intérieur (Article 1er de la directive).

Il faut relever qu’à ce jour, la protection des lanceurs d’alertes est très inégale d’un pays européen à l’autre : seuls dix pays de l’Union disposeraient d’une législation complète de protection des lanceurs d’alertes, parmi lesquels le Royaume-Uni, l’Italie et la France (la France s’est en effet dotée d’un dispositif législatif et règlementaire particulièrement abouti de protection des lanceurs d’alertes depuis la loi Sapin II du 9 décembre 2016).

C’est pourquoi est apparue la nécessité de créer une base minimale de protection des lanceurs d’alertes au niveau supra-national, étant précisé que les Etats membres sont naturellement libres d’aller au-delà de ces prescriptions (Article 12 de la directive – Traitement plus favorable).

La directive européenne prévoit des canaux de signalement internes (notamment applicables aux entreprises de plus de cinquante salariés, aux administrations centrales et aux « municipalités » de plus de 10.000 habitants) et externes (tel que cela existe également en droit interne), étant précisé que le signalement interne doit être la voie encouragée pour le déclenchement d’une alerte en premier lieu.

La directive fixe la règle d’interdiction des représailles contre les informateurs, le texte fixant une liste exhaustive de la forme que sont susceptibles prendre ces représailles (rétrogradations, suspension de formation, non-renouvellement ou résiliation anticipée du contrat de travail temporaire, annulation d’une licence ou d’un permis). Elle prévoit également les règles afférentes aux mesures de protection des informateurs contre les représailles.

Il est également prévu que les Etats membres doivent disposer de personnels spécialisés ayant reçu une formation spécifique aux fins du traitement des signalements externes (Article 8) et, par ailleurs, veiller à ce que les autorités compétentes tiennent un registre des signalements reçus.

Enfin, le dispositif doit être éprouvé régulièrement, puisque les autorités compétentes doivent réviser leurs procédures de réception et de suivi des signalements au minimum bi-annuellement (Article 12).

Les Etats membres ont jusqu’au 15 mai 2021 pour transposer le contenu de cette directive européenne.

Copropriété : Bien saisi par le syndicat de copropriété et condamnation à indemnité d’occupation

Le 6 juin 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation devait se prononcer sur le droit d’occupation du débiteur saisi à la suite de la vente forcée de son bien.

En l’espèce, le syndicat des copropriétaires d’un immeuble a engagé une procédure de saisie immobilière à l’encontre du propriétaire d’un lot de copropriété. Le bien saisi a été adjugé au syndicat des copropriétaires – créancier poursuivant – selon jugement en date du 29 novembre 2012.

Postérieurement, le syndicat des copropriétaires a saisi le tribunal d’Instance pour que le débiteur saisi qui continuait à occuper les lieux soit condamné à lui verser une indemnité d’occupation du jour de l’adjudication au jour de son expulsion, soit le 23 octobre 2013.

Le Tribunal a fait droit à la demande du syndicat des copropriétaires, son jugement ayant été confirmé par la Cour d’appel.

Le débiteur saisi a formé un pourvoi en cassation et soutient « que l’indemnité d’occupation n’est due par le débiteur qui s’est maintenu dans les lieux que depuis la date de la signification du jugement d’adjudication ; qu’en énonçant que le syndicat des copropriétaires est devenu propriétaire dès le jugement du 29 novembre 2012 et que Monsieur X était dès lors occupant sans droit ni titre, tenu au paiement d’une indemnité d’occupation jusqu’à la date où il a quitté les lieux à savoir son expulsion le 23 octobre 2013, après avoir constaté que le jugement d’adjudication du 29 novembre 2012 avait été signifié à Monsieur X seulement le 11 mars 2013, la Cour d’Appel a violé les articles 502 et 503 du Code civil, ensemble l’article 1382 du Code civil, devenu 1240 du même Code ».

La Cour de cassation rejette le pourvoi en rappelant le principe selon lequel, en application de l’article L.322-10 du Code des procédures civiles d’exécution, l’adjudication emporte vente forcée du bien saisi et en transmet la propriété à l’adjudicataire, le saisi étant dès lors tenu, à l’égard de l’adjudicataire, à la délivrance du bien.

Dans ces conditions et sauf disposition contraire du cahier des conditions de vente, le saisi perd tout droit d’occupation dès le prononcé du jugement d’adjudication.

La Haute Cour ajoute que l’indemnité d’occupation est la contrepartie de l’utilisation sans titre du bien et qu’en conséquence le syndicat des copropriétaires, étant devenu propriétaire dès le jugement d’adjudication du 29 novembre 2012, était légitime à obtenir le paiement d’une indemnité d’occupation depuis cette date.

De nouvelles précisions sur la durée de la période d’essai

Déterminer le terme de la période d’essai est essentiel pour l’employeur ; En effet, soit la période d’essai a pris fin et l’employeur qui souhaite rompre le contrat de travail doit procéder à une mesure de licenciement en suivant la procédure ad hoc et en invoquant un juste motif de licenciement, soit le salarié est toujours en période d’essai et le contrat peut être rompu, après respect d’un délai de préavis sans la moindre motivation.

Si l’employeur estime à tort que le salarié est toujours en période d’essai, la rupture du contrat sera requalifiée en une mesure de licenciement de surplus sans cause réelle ni sérieuse, l’employeur n’ayant pas motivé cette rupture.

Il est dès lors nécessaire de déterminer la durée précise de la période d’essai en s’appuyant sur les précisions jurisprudentielles.

Ainsi, la Cour de cassation a déjà jugé que, pour permettre à l’employeur d’apprécier les capacités professionnelles du salarié, la période d’essai était rallongée de la durée des absences suivantes :

  • congés payés (Cass. Soc., 31 janv. 2018, n° 16-11.598) ;
  • congé ssans solde (Cass. Soc., 3 juin 1998, n° 96-40.344) ; 
  • accident du travail (Cass. Soc., 12 janv. 1993, n° 88-44.572).

Au terme de l’arrêt sus visé, la Cour de cassation, pour la première fois, vient préciser que les jours d’absence pour RTT prolongent la durée de la période d’essai, étant rappelé que la prolongation de la période d’essai se décompte en jours calendaires, en l’absence de dispositions conventionnelles ou contractuelles contraires.

Conséquences indemnitaires de la résiliation d’un marché pour motif d’intérêt général : non indemnisation des dépenses engagées à l’initiative du titulaire

L’affaire dans laquelle la Cour administrative d’appel de Marseille a rendu son arrêt du 16 septembre 2019 sous le numéro 18MA02656 fournit une utile illustration des frais et investissements exposés par le titulaire d’un marché résilié pour motif d’intérêt général qui n’ont pas vocation à être pris en compte dans le calcul de l’indemnité prévue par l’article 33 du Cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de fournitures courantes et services (CCAG FCS).

Pour rappel, l’article 33 du CCAG FCS stipule que lorsque le pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d’intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial HT du marché, diminué du montant HT non révisé des prestations admises, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %. En outre, le titulaire a droit à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n’aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d’apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l’indemnité dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché.

En l’espèce, le marché en question, auquel s’appliquait l’article 33 du CCAG FCS précité, avait pour objet la livraison de quatre véhicules dotés de bennes à ordures ménagères et avait été attribué par la Communauté d’agglomération du bassin de Thau, dite « Thau Agglomération », à la Société Faun Environnement en décembre 2014. En juillet 2016, la Collectivité a résilié ce marché pour un motif d’intérêt général. Après avoir émis une réclamation préalable, la Société Faun Environnement a saisi le Tribunal administratif de Montpellier d’une requête tendant à ce que Thau Agglomération soit condamnée à lui payer une indemnité de 461.559 euros au titre des frais et investissements engagés pour l’exécution du marché en cause avant sa résiliation, ainsi que l’indemnité forfaitaire de 5 % du montant du marché prévue par l’article 33 du CCAG FCS. Par un jugement n° 1604757 du 12 avril 2018, le Tribunal n’a fait droit qu’à la seconde partie de la demande et condamné Thau Agglomération à verser à la Société requérante une somme de 23.504 euros, tout en rejetant l’autre partie de la demande indemnitaire.

Saisie d’une requête d’appel par la Société Faun Environnement, la Cour administrative d’appel de Marseille commence, dans son arrêt du 16 septembre 2019, par annuler le jugement de première instance pour méconnaissance du principe du contradictoire. En effet, le Tribunal administratif avait soulevé d’office une fin de non-recevoir tirée du non respect par la requérante du délai de quinze jour à compter de la notification de la résiliation pour présenter toutes les justifications nécessaires à la fixation de son indemnité au titre des frais et investissements engagés, alors même que cette fin de non recevoir n’était pas d’ordre public et qu’il n’en avait pas avisé les parties au préalable. Puis, jugeant l’affaire au fond, la Cour constate que la réclamation indemnitaire d’un montant de 461.559 euros HT présentée par la Société requérante correspond « au coût d’acquisition des châssis, des matières premières, de la main d’oeuvre, de frais de nature indéterminée et de frais de sous-traitance pour chacun des véhicules » et qu’elle recouvre donc en réalité, non des frais et investissements exposés par l’entreprise pour l’exécution du marché, mais l’intégralité du coût de fabrication des bennes objets du marché. Or, dans la mesure où aucun ordre de service n’avait été notifié à l’entreprise à l’effet de commencer l’exécution du marché et, plus généralement, que la Collectivité n’avait pas entendu lui ordonner le démarrage des travaux de fabrication, ces coûts doivent être regardés comme ayant été exposés « à l’initiative de la société requérante ». De plus, les véhicules en cause étant « dépourvus de caractéristiques spécifiques ou d’adaptations exigées par le pouvoir adjudicateur », ils auraient pu être vendus à d’autres clients de la société, voire à d’autres prestataires exerçant une activité similaire à la sienne. Pour ce double motif, la Cour considère que les frais dont fait état la Société requérante ne peuvent être regardés comme des frais et investissements strictement nécessaires à l’exécution du marché et rejette donc sa demande indemnitaire.

Le défaut de consultation annuelle du Comité d’entreprise (ou du Comité social et économique) sur la politique sociale n’entraine pas l’inopposabilité d’un accord sur l’organisation du temps de travail

Dans une décision du 18 septembre 2019 (n° 17-31.274), la Cour de cassation s’est prononcée sur les conséquences d’un défaut de consultation annuelle du Comité d’entreprise (CE) sur la politique sociale sur une décision de l’employeur prise en application d’un accord d’entreprise portant sur l’aménagement du temps de travail ou la durée du travail.

Pour rappel, la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite « Loi Rebsamen », a supprimé expressément l’obligation légale pour l’employeur de consulter le CE sur les projets d’accords collectifs d’entreprise.

Cependant, des interrogations demeuraient sur le caractère impératif d’une telle consultation sur les mesures de mise en œuvre au titre de telles dispositions conventionnelles, dans le cadre d’une consultation ponctuelle sur marche générale de l’entreprise ou seulement dans le cadre de la consultation annuelle récurrente sur la politique sociale de l’entreprise.

Dans cette affaire, dans le cadre d’un accord de modulation, le programme global indicatif de modulation mis en place par l’employeur au titre des dispositions conventionnelles, n’avait pas été soumis à l’avis préalable du CE. Une salariée avait saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir requalifier son contrat de travail en contrat à temps plein et de solliciter une indemnisation pour non-respect des dispositions légales relatives au temps partiel modulé et au non-paiement de l’intégralité de ses heures de travail.

A cet effet, elle soutenait que l’absence de consultation rendait l’accord inopposable au personnel de l’entreprise entrant dans le champ d’application de ce dispositif.

La Cour d’appel a infirmé le jugement du Conseil de prud’hommes qui avait fait droit à ses demandes.

La Cour de cassation approuve cette décision en retenant que si le défaut de consultation du CE au titre de la politique sociale, des conditions de travail et de l’emploi, sur les décisions de l’employeur résultant de l’application d’un accord d’entreprise sur l’aménagement du temps de travail ou la durée du travail peut être sanctionné en application des règles régissant le fonctionnement du comité, il n’a, en revanche, pas pour effet d’entrainer l’inopposabilité de l’accord de modulation en cause à l’ensemble des salariés.

En conséquence, il semble résulter implicitement de la solution adoptée par la Chambre sociale que les « décisions de l’employeur » résultant de la mise en œuvre de cet accord, dès lors qu’elles entrent dans le champ des attributions du CE relatives à la durée du travail, doivent être soumises à l’avis du CE dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale, et non au titre de la marche générale de l’entreprise.

Cette décision a une portée particulièrement large puisqu’elle n’intéresse pas seulement les décisions de l’employeur relatives à la durée du travail mais plus généralement, toutes celles dont l’objet relève des consultations annuelles du CE sur la situation financière, les orientations stratégiques (formation, gestion prévisionnelle des emplois et des compétences,…) et la politique sociale de l’entreprise (qualification professionnelle, actions de prévention en matière de santé et de sécurité, congés, conditions de travail, égalité professionnelle entre les femmes et les hommes,…).

De plus, dès lors que la base de données économiques et sociales (BDES) constitue le support de mise à disposition des informations nécessaires aux trois consultations récurrentes (C. trav., art. R. 2312-7), les données relatives aux décisions de l’employeur et les mesures qui en résultent prises en application des dispositions conventionnelles d’entreprise devraient y être intégrées.

Par ailleurs, dans la mesure où la Cour de cassation considère que l’absence de consultation du CE sur les décisions de l’employeur résultant de l’application d’un accord d’entreprise entraîne, non pas l’inopposabilité de l’accord mais une sanction prise en application des « règles régissant le fonctionnement du comité », seul le comité peut saisir le juge d’un délit d’entrave et/ou d’une demande de dommages-intérêts contre l’employeur.

En toute hypothèse, les missions du CSE étant inchangées, et la consultation sur la politique sociale étant conservée, cette solution rendue à propos du CE est applicable au comité social et économique (CSE).

Toutefois, rappelons que le contenu de la BDES, de même que les consultations récurrentes peuvent être largement aménagés par voie conventionnelle. En effet, il est possible par un accord d’entreprise, ou en l’absence de délégué syndical, par un accord avec le CSE adopté à la majorité de ses membres titulaires, de définir :

  • le contenu des consultations,
  • leur périodicité, dans la limite de 3 ans maximum,
  • leurs modalités,
  • la liste et le contenu des informations nécessaires à ces consultations,
  • les niveaux auxquelles les consultations sont conduites, et le cas échéant, leur articulation,
  • la possibilité pour le CSE d’émettre un avis unique portant sur tout ou partie des thèmes des trois grandes consultations (C. trav., art. L. 2312-19).

Champ d’application restreint de la règle de cristallisation des règles d’urbanisme suivant l’achèvement d’un lotissement

Le Conseil d’Etat a été saisi d’un pourvoi contre un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux ayant rejeté le recours indemnitaire, introduit par un constructeur, en responsabilité pour faute dirigé contre une commune, la faute résidant dans la faute de la commune lui ayant refusé de lui octroyer un permis de construire, suite à l’annulation par jugement du Tribunal administratif de Pau du permis d’aménager.

L’annulation du permis d’aménager faisait elle-même suite à l’annulation, en cours d’instance, du plan local d’urbanisme (ci-après « PLU »). Par l’effet de l’annulation du PLU, l’ancien plan d’occupation des sols a été remis en vigueur. Sous l’empire de cet ancien document d’urbanisme, les terrains à lotir objet du permis d’aménager étaient classées en zone inconstructible.

Dans le cadre de son pourvoi, le constructeur se prévalait des dispositions de l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme, dans sa version antérieure à la loi ELAN en date du 23 novembre 2018, selon lequel « Dans les cinq ans suivant l’achèvement d’un lotissement, constaté dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à l’autorisation du lotissement ».

En appel, le recours indemnitaire du constructeur avait été rejeté au motif qu’il n’existait pas de lien de causalité direct entre l’illégalité du PLU et l’impossibilité de réaliser le lotissement objet du permis d’aménager.

La Cour administrative d’appel (CAA) s’était alors basée sur les dispositions de l’ancien article L. 442-14 du Code de l’urbanisme pour écarter l’existence de ce lien de causalité, en estimant que la règle de cristallisation des règles d’urbanisme qu’elle prévoit suite à l’achèvement d’un lotissement s’applique également en cas d’annulation du PLU.

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la CAA pour erreur de droit, en faisant une application stricte de l’ancien article L. 442-14 du Code de l’urbanisme :

« Si ces dispositions font obstacle à ce que, dans le délai qu’elles prévoient, des dispositions d’urbanisme adoptées après l’autorisation du lotissement puissent fonder un refus de permis de construire au sein de ce lotissement, elles n’ont, en revanche, pas pour effet de faire obstacle à un refus fondé sur des dispositions d’urbanisme antérieures remises en vigueur, conformément aux dispositions de l’article L. 121-8 du code de l’urbanisme, devenu l’article L.600-12 du même code, par l’effet d’une annulation contentieuse intervenue postérieurement à l’autorisation du lotissement. Ce n’est d’ailleurs que la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, inapplicable en l’espèce, qui a ajouté à l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme un dernier alinéa selon lequel “ l’annulation, totale ou partielle, ou la déclaration d’illégalité d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’un document d’urbanisme en tenant lieu ou d’une carte communale pour un motif étranger aux règles d’urbanisme applicables au lotissement ne fait pas obstacle, pour l’application du présent article, au maintien de l’application des règles au vu desquelles le permis d’aménager a été accordé ou la décision de non-opposition a été prise “.

[…] Il résulte de ce qui précède qu’en se fondant, pour juger qu’il n’existait pas de lien de causalité direct entre l’illégalité du plan local d’urbanisme du 18 décembre 2006 ayant conduit à son annulation et l’impossibilité, pour la société du Mouliès, de réaliser le lotissement en litige, sur la circonstance que les dispositions alors applicables de l’article L. 442-14 du code de l’urbanisme faisaient obstacle à ce que les dispositions du plan d’occupation des sols du 18 décembre 1998 puissent être opposées aux demandes de permis de construire présentées dans le délai de cinq ans suivant l’achèvement du lotissement, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, la société du Mouliès est fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ».

Ainsi que le souligne la Haute juridiction administrative dans son considérant de principe, le législateur, lequel avait dû anticiper le présent arrêt du Conseil d’Etat, a, à l’occasion de la loi ELAN du 23 novembre 2018, ajouté un alinéa à l’article L. 442-14 du Code de l’urbanisme, permettant de cristalliser les règles d’urbanisme suite à la délivrance d’un permis d’aménager, dans l’hypothèse où le document d’urbanisme serait annulé.

La présente jurisprudence du Conseil d’Etat n’a donc qu’une portée relative, eu égard au récent changement de la législation en la matière.

Externalisation des instructions des autorisations d’urbanisme par la loi ELAN : qui fait quoi ?

Si la loi ELAN avait opéré une clarification bienvenue concernant la possibilité de recourir à un prestataire privé dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme, son décret d’application du 23 mai 2019 semble aller à l’encontre de la volonté initiale du législateur et apporte de nouvelles incertitudes.

 

1 – La clarification opérée par la loi ELAN

La loi ELAN (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018) a modifié l’article L. 423-1 du Code de l’urbanisme en y inscrivant la possibilité de confier l’instruction des demandes d’urbanisme à des prestataires privés.

Celle-ci reste, toutefois, encadrée. Ainsi, la personne publique compétente doit conserver sa compétence s’agissant de la signature des actes d’instruction et n’est pas dans l’obligation de suivre la proposition du ou des prestataires. Ces derniers ne peuvent pas se voir confier des missions qui les exposeraient à un intérêt privé de nature à influencer, ou paraître influencer, l’exercice indépendant, impartial et objectif de leurs fonctions. Enfin, cette externalisation ne doit entraîner aucune charge supplémentaire pour le pétitionnaire :

« L’organe délibérant de la commune mentionnée à l’article L. 422-1 ou de l’établissement public de coopération intercommunale mentionné à l’article L. 422-3 peut confier l’instruction des demandes mentionnées au premier alinéa du présent article à un ou plusieurs prestataires privés, dans la mesure où l’autorité de délivrance mentionnée au même premier alinéa conserve la compétence de signature des actes d’instruction. Ces prestataires privés ne peuvent pas se voir confier des missions qui les exposeraient à un intérêt privé de nature à influencer, ou paraître influencer, l’exercice indépendant, impartial et objectif de leurs fonctions. Ils agissent sous la responsabilité de l’autorité mentionnée au sixième alinéa, et celle-ci garde l’entière liberté de ne pas suivre la proposition du ou des prestataires. Les missions confiées en application du présent alinéa ne doivent entraîner aucune charge financière pour les pétitionnaires.

Les modalités d’application de l’avant-dernier alinéa du présent article sont précisées par un décret en Conseil d’Etat » (article L. 423-1 alinéas 7 et 8). » 

 

Il ressort des travaux parlementaires que l’objectif poursuivi par le législateur n’était pas, à l’origine, de confier les actes d’instruction à des prestataires privés mais de clarifier les modalités d’intervention de ces derniers et de les limiter à de l’aide à la décision.

En cela, la volonté du législateur s’inscrivait dans la continuité de la doctrine administrative qui avait pu rappeler qu’ « une commune ne peut pas confier l’instruction des actes d’urbanisme à des prestataires privés » (Rép. min. n° 06861: JO Sénat Q 19 juin 2014, p. 1473) ou « que l’aide ne peut pas comprendre la rédaction des actes d’instruction » (selon la Rép. Orale JO Sénat du 19 novembre 2014, p. 8375).

Cette position avait également été retenue par le Tribunal administratif de Lyon qui a considéré :

« les dispositions des articles R. 410-5 et R. 423-15 du code de l’urbanisme limitent les personnes à qui peuvent être confiés les actes d’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme et déclarations préalables, (…) n’interdisent pas aux autorités compétentes de confier l’instruction de ces dossiers à des prestataires privés. Par suite, la commune de Lucena pouvait prévoir, par la convention de groupement de commandes approuvée par la délibération en litige, de confier à un prestataire privé l’examen des dossiers d’autorisations du droit des sols dans la mesure où elle conserve la compétence en ce qui concerne les actes d’instruction » (TA Lyon 4 mai 2017, commune de Lucenay, n° 1409329).

Jugement confirmé très récemment par la Cour administrative d’appel de Douai qui distingue clairement ce qui relève, d’une part de l’étude technique des dossiers, et d’autre part l’acte d’instruction :

« 3. Selon les dispositions des articles R.* 410-4 du code de l’urbanisme, s’agissant des certificats d’urbanisme et R.* 423-14 de ce code, s’agissant des autorisations d’urbanisme et des déclarations préalables,  » Lorsque la décision est prise au nom de la commune (…), l’instruction est faite au nom et sous l’autorité du maire « . En application des article R.* 410-5 et R.* 423-15,  » (…) l’autorité compétente peut charger des actes d’instruction : / a) Les services de la commune ; / b) Les services d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités ; / c) Les services d’un syndicat mixte ne constituant pas un groupement de collectivités ; / d) Une agence départementale créée en application de l’article L. 5511-1 du code général des collectivités territoriales ; / e) Les services de l’Etat, lorsque la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale remplit les conditions fixées à l’article L. 422-8. « .

4. Ces dispositions, qui fixent la liste limitative des services auxquels peuvent être confiés les actes matériels nécessaires à l’instruction des demandes de certificat d’urbanisme, des autorisations d’urbanisme et des déclarations préalables, n’interdisent cependant pas aux autorités compétentes pour les délivrer de confier, à titre onéreux et après mise en concurrence, l’étude technique de ces dossiers, exclusive de tout acte d’instruction, à des prestataires extérieurs, qu’ils soient d’ailleurs privés ou publics » (CAA Lyon 28 février 2019, req. n° 17LY02514).

 

La clarification opérée par le législateur permettait ainsi de fournir un cadre à cette intervention même s’il sera difficile de déterminer la limite au-delà de laquelle l’intérêt privé ne permettrait pas de confier une telle mission (au regard de la rédaction de la limite posée par la nouvelle rédaction de l’article L. 423-1 précité : « Ces prestataires privés ne peuvent pas se voir confier des missions qui les exposeraient à un intérêt privé de nature à influencer, ou paraître influencer, l’exercice indépendant, impartial et objectif de leurs fonctions »).

Au regard de ce qui précède, la rédaction du décret n° 2019-505 du 23 mai 2019 relatif à l’instruction par des prestataires privés des demandes d’autorisation d’urbanisme pris en application de la loi ELAN semble présenter une contradiction avec l’esprit de la loi.

 

2. Les incertitudes issues de son décret d’application

Selon les termes de la notice de ce décret, son objet est d’ouvrir la possibilité pour les communes et les EPCI de confier l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme à des prestataires privés :

« Notice : l’article L. 423-1 du code de l’urbanisme ouvre la possibilité pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale de confier l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme à des prestataires privés. Le décret complète en conséquence l’article R.* 423-15 du même code en ajoutant ces prestataires à la liste des services pouvant être chargés des actes d’instruction des demandes de permis et des déclarations préalables ».

Il est ainsi ajouté un f) à l’article R. 423-15 du Code de l’urbanisme aux termes duquel désormais :

« Dans le cas prévu à l’article précédent, l’autorité compétente peut charger des actes d’instruction :

a) Les services de la commune ;

b) Les services d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités ;

 c) Les services d’un syndicat mixte ne constituant pas un groupement de collectivités ;

d) Une agence départementale créée en application de l’article L. 5511-1 du code général des collectivités territoriales ;

 e) Les services de l’Etat, lorsque la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale remplit les conditions fixées à l’article L. 422-8 ;

 f) Un prestataire privé, dans les conditions prévues au septième alinéa de l’article L. 423-1 ».

 

Il en résulte qu’un prestataire privé pourrait donc désormais, sous l’autorité du maire ou du président de l’EPCI, se voir confier les actes d’instructions (par exemple : notification de la demande d’autorisation d’urbanisme ou du caractère incomplet du dossier ou encore un d’un délai d’instruction différent du droit commun).

Si cela ne va pas directement à l’encontre du texte de l’article L. 423-1 précité issu de la loi ELAN (la compétence n’est pas transférée), l’esprit du texte semble quelque peu remis en cause.

La lecture combinée des articles L. 423-1 et R. 423-15 du Code de l’urbanisme amène à la conclusion qu’en l’état des textes, un prestataire privé pourrait se voir confier, sous conditions, l’analyse des dossiers de demandes d’autorisations d’urbanisme en ce compris les actes d’instruction.

Reste à savoir comment ces nouvelles dispositions seront mises en pratique par les collectivités locales d’une part, et comment elles seront interprétées par le juge administratif, d’autre part.

 

Par Arthur Gayet et Pierre Laffitte

Le simple rappel au droit d’un arrêté municipal sur les conditions d’installation des compteurs « Linky » ne fait pas grief selon le Tribunal administratif de Nice

Le Tribunal administratif de Nice a partiellement annulé, par cinq jugements du 25 septembre 2019, plusieurs arrêtés municipaux portant sur la réglementation de l’installation des compteurs communicants d’électricité, compteurs dits « Linky ».

Pour répondre aux sollicitations de leurs administrés, les maires de cinq communes du département des Alpes-Maritimes (Saint-Laurent-du-Var, Vence, Gilette, Villeneuve-Loubet et Saint-Cézaire-sur-Siagne) ont pris des arrêtés municipaux aux fins de soumettre la pose des compteurs « Linky » à l’accord préalable des usagers, et laissant la possibilité à ces derniers d’opposer leur refus à cette pose par lettre simple.

Ces arrêtés municipaux disposent également que l’accès aux logements ou propriétés privées pour la pose des compteurs « Linky », et la transmission des données issues desdits compteurs à des partenaires commerciaux, doivent être autorisés par les usagers au gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité en charge de leur pose.

Estimant notamment que ces arrêtés faisaient obstacle au déploiement des compteurs « Linky » sur le territoire des communes concernées, le Préfet des Alpes-Maritimes et le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité ont demandé leur annulation au Tribunal administratif de Nice.

Dans les cinq jugements commentés, le Tribunal administratif de Nice a tout d’abord jugé que les cinq communes, ayant transféré leur compétence en matière d’autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité à un syndicat départemental d’électricité qui, en cette qualité, est propriétaire des compteurs électriques, ne sont pas compétentes pour soumettre la pose des compteurs « Linky » à l’accord formel et préalable de chacun de usagers.

Le Tribunal a également considéré qu’aucun trouble à l’ordre public ne justifiait l’usage des pouvoirs de police administrative du maire pour réglementer l’installation des compteurs « Linky », malgré la forte préoccupation des habitants face à des pratiques du gestionnaire lors de l’installation desdits compteurs.

Par suite, les dispositions des arrêtés portant sur l’accord préalable ou refus possible de l’installation d’un compteur « Linky » par les usagers ont été annulées par le Tribunal.

En revanche, le Tribunal administratif de Nice a considéré que les autres dispositions des arrêtés attaqués ne font qu’un simple rappel au droit existant insusceptible de recours en annulation.

En effet, la liberté pour l’usager de refuser ou d’accepter l’accès à son logement, pour le remplacement d’un compteur, s’inscrit selon le Tribunal dans le cadre des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (sur la propriété privée) et des articles 226-4 et 432-8 du Code pénal (sur les intrusions dans le domicile d’autrui). De même, l’obligation d’obtenir l’accord de l’usager pour la communication de ses données de consommation d’électricité découle de l’article D. 341-4 du Code de l’énergie.

Estimant que ces rappels au droit ne font pas grief aux requérants et qu’ils sont divisibles du reste de l’arrêté, le Tribunal a donc rejeté les demandes visant à leur annulation comme étant irrecevables.

 

Acte préparatoire et différend portant sur l’accès aux réseaux

Par cette décision, le CorDIS a précisé que les avis rendus par le gestionnaire du réseau public de distribution Enedis dans le cadre de l’instruction d’autorisation d’urbanisme sont des actes préparatoires qui ne peuvent être contestés devant lui dès lors qu’ils ne matérialisent pas un différend portant sur l’accès aux réseaux.

Par conséquent le CoRDIS n’est pas compétent pour apprécier le bien-fondé d’un avis rendu par Enedis dans ce cadre :

« […] 2. L’article R.* 423-50 du code de l’urbanisme, relatif à l’instruction des demandes de permis et des déclarations préalables, dispose que : « L’autorité compétente recueille auprès des personnes publiques, services ou commissions intéressés par le projet, les accords, avis ou décisions prévus par les lois ou règlements en vigueur ».

  1. En l’espèce, M. C. conteste le bien-fondé de l’avis rendu par la société ENEDIS le 1er février 2017 dans le cadre de l’examen de sa demande de permis de construire déposée le 23 décembre 2016 auprès de la commune de L. Il résulte de l’instruction que cet avis a été rendu en application des dispositions précitées de l’article R.* 423-50 du code de l’urbanisme afin d’éclairer l’autorité administrative sur les travaux qui s’avéreraient nécessaires pour procéder au raccordement de la construction projetée au réseau public de distribution d’électricité.

     

  2. L’avis en litige, qui a été adressé par le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité à l’autorité administrative dans le seul cadre de l’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme, dont le refus fait par ailleurs l’objet d’une contestation devant la juridiction administrative, est un acte préparatoire. Il est constant qu’il n’y a pas eu de demande de raccordement présentée par M. C. et, par conséquent, pas de refus d’accès au réseau de la société ENEDIS. Par suite, en l’état du dossier, la demande qu’il a présentée devant le comité de règlement des différends et des sanctions n’est pas relative à un différend portant sur l’accès aux réseaux ou à leur utilisation au sens des dispositions précitées de l’article L. 134-19 du code de l’énergie.

     

  3. Il résulte de ce qui précède que la demande de règlement de différend présentée par M. C. ne ressortit pas à la compétence du comité de règlement des différends et des sanctions de la commission de régulation de l’énergie ».

Le retrait d’une décision de délivrance du certificat d’économies d’énergie obtenue frauduleusement n’est pas une sanction administrative

La société Total Réunion était soumise, en sa qualité de fournisseur d’énergie, à des obligations d’économies d’énergie, au titre de la troisième période comprise entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2017. Elle s’est notamment acquittée de cette obligation en achetant, le 5 décembre 2016, à la société BHC, filiale à 100% du groupe Total, une fraction d’un certificat d’économies d’énergie que cette société avait elle-même acheté auprès du premier détenteur auquel il avait été délivré.

Par un courrier du 28 mai 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire a informé la société Total Réunion que la décision de délivrance de ce certificat avait été obtenue de manière frauduleuse et qu’il envisageait par conséquent, en application de l’article L. 241-2 du Code des relations entre le public et l’administration, le retrait de cette décision ainsi que le « retrait », sur son compte dans le registre national des certificats d’économies d’énergie, du volume de certificats correspondant. Par un courrier du 28 juin 2018, le ministre a notifié cette décision de retrait à la société Total Réunion.

A la suite du rejet de son recours gracieux contre la décision litigieuse, la société Total Réunion a introduit un recours pour excès de pouvoir contre cette décision devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Par une ordonnance n° 1813376 du 28 février 2019, le président du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a transmis au Conseil d’État la requête de la société Total Réunion, en application de l’article R. 351-2 du Code de justice administrative, au motif que la décision litigieuse était qualifiable de sanction administrative dont la contestation relevait, en vertu de l’article R. 222-12 du Code de l’énergie, de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État.

Le Conseil d’État conteste cette interprétation en jugeant qu’en prenant la décision litigeuse qui prononce « le retrait de la décision délivrant les certificats d’économies d’énergie litigieux au premier détenteur ainsi que le  » retrait « , sur le compte de la société requérante, des certificats correspondants, le ministre n’a pas infligé une sanction en faisant application des dispositions des articles L. 222-1 et suivants du code de l’énergie, permettant de sanctionner les manquements aux dispositions du chapitre Ier du titre II du livre II du même code, mais a entendu retirer une décision obtenue par fraude et tirer les conséquences de ce retrait, en se fondant sur les dispositions de l’article L. 241-2 du code des relations entre le public et l’administration ».

Le Conseil d’État poursuit son raisonnement et conclut que la décision attaquée n’est pas au nombre des décisions de sanction qui, en vertu de l’article R. 222-12 du Code de l’énergie, peuvent être contestées devant le Conseil d’Etat statuant en premier et dernier ressort et que le recours pour excès de pouvoir contre cette décision relève de la compétence « des tribunaux administratifs, juges de droit commun du contentieux administratif en vertu de l’article L. 211-1 du code de justice administrative ».

Vente immobilière et état des risques

Immobilier : L’état des risques et pollutions doit être mis à jour lors de la signature de l’acte authentique de vente. A défaut, le vendeur encourt la résolution de la vente.

En matière de vente immobilière, l’acquéreur doit être correctement informé, par le vendeur, de l’état du bien qu’il acquiert grâce, notamment, aux différents documents composant le dossier de diagnostic technique (DDT).

Il s’agit là d’une obligation légale (articles L. 271-4 et L. 271-5 du Code de la construction et de l’habitation (ci-après « CCH »)).

La Cour de cassation devait se prononcer, le 19 septembre 2019, à l’occasion d’un pourvoi formé par les vendeurs d’un terrain, sur la question relative à la validité de l’état des risques naturels et technologiques (état des risques et pollutions) que le vendeur doit fournir à l’acquéreur conformément à l’article L. 125-5 du Code de l’environnement.

En l’espèce, entre la signature du compromis de vente en 2008 et la réitération par acte notarié en 2009, la parcelle vendue a été inscrite dans une zone à risque d’inondation (zone rouge) couverte par un plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP), portant interdiction de toute extension ou nouveaux projets d’hôtellerie.

L’acquéreur a alors assigné les vendeurs en résolution de la vente et restitution du prix de vente au motif que, au moment de la signature de l’acte authentique de vente, les vendeurs n’ont pas délivré une information précise sur les risques auxquels le terrain acquis était exposé.

Les juges du fond ont fait droit à la demande des acquéreurs.

Les vendeurs forment alors un pourvoi en cassation aux motifs, que la promesse synallagmatique de vente vaut vente et que c’est à la signature de la promesse et non à celle de la réitération par acte authentique que la vente est parfaite, et par conséquent c’est donc à cette date que le DDT doit être fourni et que l’obligation de fournir un état des risques est appréciée.

Plus encore, ils arguent qu’ils ne pouvaient, en tout état de cause, avoir eu connaissance du classement du terrain en zone à risques puisque l’arrêté préfectoral du 25 novembre 2008 ayant approuvé le plan de prévention des risques d’inondation ne figurait pas parmi les informations mises à disposition sur le site internet de la préfecture.

La Cour de cassation approuve la solution de la Cour d’appel aux motifs que, afin d’assurer une bonne information de l’acquéreur, les différents états, repérages et diagnostics qui forment le DDT doivent être valides aussi bien au moment de la signature de l’avant-contrat qu’au moment de la réitération de la vente par acte authentique.

Cette règle est précisée par l’article L. 271-5 du CCH qui dispose, en son alinéa 2, que « si l’un de ces documents (tous les diagnostics, hors état des risques) produits lors de la signature de la promesse de vente n’est plus en cours de validité à la date de la signature de l’acte authentique de vente, il est remplacé par un nouveau document pour être annexé à l’acte authentique de vente ».

Par conséquent, en aucun cas, un vendeur ne peut se contenter de l’état des risques et pollutions qu’il a annexé lors de la signature du compromis de vente, quand bien même la vente serait parfaite à cette date.

Les travaux de renforcement des colonnes montantes électriques incombent au GRD

Depuis la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (loi « ELAN »), la question de la propriété des colonnes montantes d’électricité a été clarifiée par le législateur (voir notre lettre d’actualités juridiques énergie et environnement de décembre 2018). Toutefois, en dépit de cette clarification attendue, de nouveaux questionnements et de nouveaux différends émergent.

En l’espèce, le Médiateur National de l’Energie (MNE) était saisi par un copropriétaire ayant sollicité une augmentation de la puissance du point de livraison correspondant à son appartement de 6 à 9 kVA. Cette demande a été rejetée par le Gestionnaire du Réseau de Distribution d’électricité (GRD) au motif que la colonne montante électrique équipant l’immeuble ne pouvait pas supporter, en l’état, une puissance de 9 kVA, ce dernier refusant en outre de prendre en charge les travaux de renforcement de ladite colonne électrique.

Dans la recommandation ici commentée, le MNE donne raison au copropriétaire et estime que le renforcement de la colonne montante, rendu nécessaire par la demande d’augmentation de puissance, doit être intégralement pris en charge par le GRD.

Pour ce faire, le MNE écarte d’abord l’argument invoqué par le GRD selon lequel la loi ELAN ne l’obligerait à assurer, à ses frais, que les travaux de réparation rendus nécessaires pour des raisons de sécurité, ce qui n’inclurait pas, selon le GRD, les travaux de rénovation de la colonne montante.

Ainsi que le MNE le rappelle, la disposition de la loi ELAN relative aux colonnes montantes électriques « n’a eu d’autre but que de faire en sorte que toutes les colonnes montantes, y compris les colonnes montantes existantes, puissent être intégrées dans le réseau public sans se prononcer sur les conséquences qui en résultent ».

Partant, les dispositions du Code de l’énergie issues de la loi ELAN ne peuvent être utilement invoquées par le GRD pour justifier son refus de prendre en charge certains travaux.

Surtout, ainsi que le MNE poursuit, les conséquences de la loi ELAN sont en revanche claires : puisqu’elles posent le principe selon lesquelles les colonnes montantes électriques font partie intégrante du réseau public de distribution d’électricité, alors les obligations pesant sur le GRD à l’égard de ces ouvrages sont identiques à celles qui s’imposent à lui concernant le reste du réseau public. Evoquant l’article L. 322-8 du Code de l’énergie, le MNE rappelle ainsi que « Cet article lui impose de mettre en œuvre les politiques d’investissement mais également de développement dudit réseau, de les exploiter et d’en assurer l’entretien et la maintenance et ce, comme l’ajoute l’article L.322-12 du même code, afin « d’assurer une desserte en électricité d’une qualité régulière, définie et compatible avec les utilisations usuelles de l’énergie électrique » ».

Après avoir rappelé l’obligation de prise en charge « matérielle » des travaux de renforcement de la colonne montante par le GRD, le MNE souligne également que les coûts afférents doivent également être intégralement supportés par le GRD dès lors qu’ils sont intégrés en totalité dans le TURPE (Tarif d’Utilisation du Réseau Public d’Electricité) perçus par le GRD auprès des usagers. Si le MNE réserve le cas dans lequel la création d’un nouvel ouvrage serait requise et pourrait donner lieu à une facturation du demandeur, le Médiateur est très clair pour affirmer que les travaux de renforcement sont, en toute hypothèse, à la charge du GRD.

Le MNE recommande ainsi au GRD « chaque fois qu’une demande d’augmentation de puissance nécessite un renforcement de la colonne montante, de prendre immédiatement et intégralement en charge ce renforcement dont le coût est couvert par le TURPE ».

Cette recommandation a été transmise par le MNE à la Commission de Régulation de l’Energie, au titre de sa mission de fixation des méthodologies utilisées pour l’établissement des tarifs d’utilisation des réseaux.

 

Annulation d’une DUP en raison du parti pris sur le projet exprimé par le commissaire-enquêteur dans un article de presse

La Cour administrative d’appel de Marseille a rendu un arrêt, le 8 juillet 2019, par lequel elle a annulé l’arrêté préfectoral prononçant la déclaration d’utilité publique portant sur le projet de prolongement d’une route départementale.

Deux motifs d’annulation ont été retenus, le premier étant classiquement le défaut d’utilité publique du projet en raison d’un bilan coût-avantage jugé défavorable.

Le second motif retiendra davantage l’attention en ce qu’il est beaucoup plus rare : il s’agit du vice de procédure résultant de ce que le commissaire-enquêteur a exprimé un parti pris, en l’occurrence favorable au projet, dans un article de presse, alors même que l’enquête publique venait de démarrer :

« Il ressort des pièces du dossier que le commissaire enquêteur désigné pour donner son avis sur le projet litigieux s’est exprimé dans le journal Nice Matin le 21 septembre 2013, lendemain de l’ouverture de l’enquête publique. S’il a rappelé qu’il était neutre et indépendant, que son rôle consistait à apporter des réponses, accueillir le public et donner un avis au préfet, il a également répondu, à la question de savoir si le projet lui paraissait à l’heure actuelle viable, que  » juridiquement, je ne vois pas d’anomalies à l’utilité publique du prolongement. Je ne peux évidemment pas encore dire quel avis je vais rendre mais, à moins, de découvrir une énormité, je pense que le projet ira à terme. L’intérêt public est toujours supérieur à l’intérêt privé en France « . Compte-tenu de la nature, de la publicité et du stade de la procédure à laquelle ils sont intervenus, ces propos, qui s’analysent comme un parti pris initial favorable au projet puisque le commissaire-enquêteur suggère clairement que son avis sera favorable sauf  » énormité « , ont entaché la procédure d’un vice, qui a privé le public d’une garantie, et ce même si les conclusions que le commissaire-enquêteur a rendues sont complètes et motivées. Pour ce motif, l’arrêté préfectoral contesté doit être annulé ».

 

Cet arrêt viendra rappeler aux commissaires-enquêteurs qu’ils sont tenus strictement par un devoir de discrétion, dont la méconnaissance peut être (très) lourde de conséquences.

Performance énergétique des bâtiments tertiaires publics et privés : le décret est entré en vigueur le 1er octobre 2019

Par un décret en date du 23 juillet 2019 (décret n° 2019-771 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire, ci-après « le décret »), le pouvoir réglementaire a précisé les modalités de mise en œuvre de l’obligation d’actions en matière de réduction des consommations d’énergie dans les bâtiments à usage tertiaire prévue par l’article L. 111-10-3 du Code de la construction et de l’habitation (ci-après « CCH »).

Cet article du CCH avait été introduit par la loi du 12 juillet 2010 dite Grenelle II, puis complété par l’article 17 de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 (TECV), et en dernier lieu modifié par l’article 175 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) à la suite de l’annulation du premier décret tertiaire du 9 mai 2017 par le Conseil d’Etat sur le fondement de la violation du principe de sécurité juridique (CE, 18 juin 2018, n° 411583). Dans sa version post loi ELAN, il rend obligatoires les actions de réduction de la consommation d’énergie dans les bâtiments à usage tertiaire existants afin de parvenir à une réduction de la consommation d’énergie finale pour le parc concerné d’au moins 40% en 2030, 50% en 2040 et 60% en 2050, par rapport à 2010.

La publication du décret en Conseil d’Etat, devant notamment préciser les catégories de bâtiments concernés par cette obligation, et plus largement les conditions de mise en œuvre des objectifs fixés, était donc attendue. Après une importante concertation et l’avis de la section des travaux publics du Conseil d’Etat, c’est désormais chose faite.

Les dispositions du « nouveau » décret tertiaire sont codifiées aux articles R. 131-38 à R. 131-44 du CCH (nouvelle section 8 du chapitre Ier du titre III du livre Ier de la partie réglementaire du CCH intitulée « Obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire »).

 

Champ d’application de l’obligation : seuil de 1000 m2 de surface de plancher

En substance, sont assujettis aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans les bâtiments à usage tertiaire publics ou privés (activités marchandes ou non marchandes) les propriétaires et, le cas échéant, les preneurs à bail de : 

  • tout bâtiment hébergeant exclusivement des activités tertiaires sur une surface de plancher supérieure ou égale à 1 000 m2 (en prenant en compte, le cas échéant, les surfaces de plancher consacrées à des activités non tertiaires accessoires aux activités tertiaires) ;
  • toutes parties d’un bâtiment à usage mixte qui hébergent des activités tertiaires sur une surface de plancher cumulée supérieure ou égale à 1 000 m2 (bâtiment à usage mixte) ;
  • tout ensemble de bâtiments situés sur une même unité foncière ou sur un même site dès lors que ces bâtiments hébergent des activités tertiaires sur une surface de plancher cumulée supérieure ou égale à 1 000 m2. 

 

En revanche, le texte exclut de son champ d’application les constructions ayant donné lieu à un permis de construire à titre précaire ainsi que les bâtiments, parties de bâtiments ou ensembles de bâtiments destinés au culte ou dans lesquels est exercée une activité opérationnelle à des fins de défense, de sécurité civile ou de sûreté intérieure du territoire. Les propriétaires et, le cas échéant, les preneurs à bail de ces bâtiments ne sont donc pas soumis aux obligations du décret.          

 

Détermination des objectifs de réduction de la consommation d’énergie finale : un arrêté en cours d’élaboration

Pour mémoire, l’article L. 111-10-3-I du CCH prévoit précisément que tout bâtiment, partie de bâtiment ou ensemble de bâtiments soumis à l’obligation doit atteindre, pour chacune des années 2030, 2040 et 2050, les objectifs suivants :

  • « soit un niveau de consommation d’énergie finale réduit, respectivement, de 40 %, 50 % et 60 % par rapport à une consommation énergétique de référence qui ne peut être antérieure à 2010 » ;
  • « soit un niveau de consommation d’énergie finale fixé en valeur absolue, en fonction de la consommation énergétique des bâtiments nouveaux de leur catégorie ».

 

Sur ces deux points, l’évaluation ne sera possible qu’après la parution d’un arrêté, qui fait actuellement l’objet d’une large concertation menée par la DHUP et la DGEC au travers notamment du Plan bâtiment durable. En effet, selon le décret, la consommation énergétique de référence correspond à la consommation d’énergie finale du bâtiment, de la partie de bâtiment ou de l’ensemble de bâtiments à usage tertiaire, constatée pour une année pleine d’exploitation et ajustée en fonction des variations climatiques selon une méthode qui sera définie par un arrêté. Et, de la même manière sur le second objectif alternatif, le niveau de consommation d’énergie finale d’un bâtiment, d’une partie de bâtiment ou d’un ensemble de bâtiments, fixé en valeur absolue en fonction de la consommation énergétique des bâtiments nouveaux de la même catégorie sera déterminé par arrêté pour chaque échéance de 2030, 2040 et 2050 sur la base d’indicateurs d’intensité d’usage de référence spécifiques pour chaque catégorie d’activité ajustés en fonction des conditions climatiques de référence (article R. 131-39-I du CCH).

Aussi, ce même article du CCH énonce que ces objectifs peuvent être modulés en fonction : de contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales relatives aux bâtiments concernés ; d’un changement de l’activité exercée dans ces bâtiments ou du volume de cette activité ; de coûts manifestement disproportionnés des actions par rapport aux avantages attendus en termes de consommation d’énergie finale.

Par suite, des règles spécifiques sont prévues aux articles R. 131-39-1 (changement de l’activité exercée) et R. 131-40 du CCH (modulation des objectifs de réduction de la consommation d’énergie finale) introduits par le décret. Mais, ici aussi, le mécanisme ne sera opérationnel qu’après la parution de l’arrêté qui précisera : premièrement, les conditions de la modulation des objectifs de réduction de la consommation d’énergie finale en cas de contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales ou d’un changement du volume de l’activité exercée dans les bâtiments ; deuxièmement, et selon la nature des actions envisagées, les durées de retour sur investissement au-delà desquelles les coûts de ces actions, déduction faite des aides financières perçues, sont disproportionnés ; troisièmement, le contenu du dossier technique à fournir par le propriétaire ou le preneur qui devra présenter les justifications de ces modulations (sauf si elles portent sur le volume de l’activité exercée) ainsi que les modalités de son établissement.

S’agissant des actions destinées à atteindre ces objectifs, on relèvera que le décret dresse opportunément une liste non exhaustive de ce sur quoi elles peuvent porter : la performance énergétique des bâtiments ; l’installation d’équipements performants et de dispositifs de contrôle et de gestion active de ces équipements ; les modalités d’exploitation des équipements ; l’adaptation des locaux à un usage économe en énergie et le comportement des occupants (article R. 131-39-II du CCH).       

Il est par ailleurs précisé que le changement de type d’énergie utilisée ne devra entraîner aucune dégradation du niveau des émissions de gaz à effet de serre (article R. 131-39-2 du CCH).

 

Obligations déclaratives et suivi de la réduction de la consommation d’énergie finale : mise en place d’une plateforme numérique (« OPERAT »)

Conformément à l’article L. 111-10-3-III-4° du CCH, le décret indique ensuite les modalités de mise en place d’une plateforme informatique destinée au recueil et au suivi des consommations d’énergie (articles R. 131-41 à R. 131-43 du CCH).

Cette plateforme, nommée « OPERAT » (Observatoire de la performance énergétique, de la rénovation et des actions du tertiaire) sera gérée par l’ADEME et devrait commencer à fonctionner au début de l’année 2020.

Ainsi notamment, pour chaque bâtiment, partie de bâtiment ou ensemble de bâtiments soumis à l’obligation de réduction de la consommation d’énergie finale, les propriétaires et, le cas échéant, les preneurs à bail devront y déclarer :            

  • la ou les activités tertiaires qui y sont exercées ; 
  • la surface des bâtiments, parties de bâtiments ou ensembles de bâtiments soumis à l’obligation ; 
  • les consommations annuelles d’énergie par type d’énergie, des bâtiments, parties de bâtiments ou ensembles de bâtiments ; 
  • le cas échéant, l’année de référence mentionnée à l’article R. 131-39-1° et les consommations de référence associées, par type d’énergie, avec les justificatifs correspondants ; 
  • le cas échéant, le renseignement des indicateurs d’intensité d’usage relatifs aux activités hébergées, permettant de déterminer l’objectif de consommation d’énergie finale en application de l’article R. 131-39-2° et, éventuellement, de le moduler en application de l’article R. 131-40-II ; 
  • le cas échéant, les modulations prévues à l’article R. 131-40 ;
  • le cas échéant, la comptabilisation des consommations d’énergie finale liées à la recharge des véhicules électriques ou hybrides rechargeables. 

Les données relatives à l’année précédente devront être transmises à partir de 2021, au plus tard le 30 septembre de chaque année.

La plateforme sera capable de générer automatiquement, pour chaque bâtiment, partie de bâtiment ou ensemble de bâtiments :     

  • la modulation qui porte sur le volume de l’activité, sur la base des indicateurs d’intensité d’usage spécifiques à l’activité concernée ; 
  • les consommations annuelles d’énergie finale ajustées en fonction des variations climatiques, par type d’énergie ; 
  • une information sur les émissions de gaz à effet de serre correspondant aux consommations énergétiques annuelles, selon les différents types d’énergie ; 
  • l’attestation numérique annuelle mentionnée à l’article R. 131-43 et servant de base pour la publication ou l’affichage des consommations d’énergie finale et des objectifs de consommation mentionnés à l’article L. 111-10-3-III-6° du CCH.


Au plus tard les 31 décembre 2031, 2041 et 2051, le gestionnaire de la plateforme numérique vérifiera, pour l’ensemble des assujettis, que les objectifs fixés ont été atteints.

Il convient toutefois de relever que, pour la vérification du respect de ces objectifs, les assujettis pourront mutualiser les résultats à l’échelle de tout ou partie de leur patrimoine soumis à l’obligation mentionnée à l’article L. 111-10-3, dans des conditions qui seront prévues par l’arrêté à paraître – ce qui devrait constituer une réelle souplesse.

 

Sanctions : amendes administratives

Alors que le décret de 2017 ne prévoyait aucune sanction en cas de non-respect de ses obligations, celui de 2019 octroie au préfet un rôle de contrôle et de sanction. Notamment, ce dernier pourra prononcer, après mise en demeure restée sans effet, une amende administrative au plus égale à 1.500 euros pour les personnes physiques et 7.500 euros pour les personnes morales qui ne respecteraient pas l’un des objectifs de réduction de la consommation d’énergie finale.

Le succès du dispositif devrait assez largement dépendre du caractère intuitif de la plateforme numérique « OPERAT » et de son appropriation par les obligés. Un accompagnement des acteurs, publics comme privés, sera par ailleurs nécessaire pour que chacun prenne l’exacte mesure des obligations qui lui incombent et puisse correctement les satisfaire. Un guide d’accompagnement est à cet égard d’ores et déjà en cours d’élaboration par les services de l’Etat.

En tout état de cause, le mécanisme ne sera pleinement opérationnel qu’après la publication d’un arrêté, dont le premier projet fait actuellement l’objet d’une concertation.

Par Christophe Farineau

La maîtrise du loyer commercial : un gage de valorisation de l’actif immobilier

1 – Prévoir une clause d’échelle mobile = clause d’indexation automatique

  • nécessité d’une clause expresse dans le contrat de bail initial
  • automaticité de la variation (à la hausse comme à la baisse)
  • choix d’un indice licite au regard de l’article 112-1 du Code monétaire et financier
  • respecter une périodicité (le plus souvent annuelle)

 

2 – Mettre en œuvre la stratégie de l’article L. 145-39 du Code de commerce

Clause d’indexation automatique dans le bail initial = fixation du loyer à la valeur locative possible (avec lissage de 10% par an) si variation de plus de 25% par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou judiciairement.

 

3 – Prévoir une clause-recette =  clause de loyer binaire

  • une partie fixe / une partie variable
  • compétence du juge des loyers commerciaux

Cass. civ. 3ème, 29 novembre 2018, n°17-27.798, Publié au bulletin

 

4 – Prévoir une durée contractuelle supérieure à neuf ans

En application du dernier alinéa de l’article L. 145-34 du Code de commerce, lorsqu’un bail comporte une durée contractuelle supérieure à neuf, le loyer renouvelé est fixé à la valeur locative par application de paliers de 10% par an depuis la loi 2014-626 du 18 juin 2014, dite loi Pinel.

 

5 – Utiliser la stratégie de la prorogation tacite depuis plus de douze ans

Déplafonnement d’office du loyer renouvelé avec une fixation à la valeur locative « one shot » dès la date d’effet du renouvellement. Autrement dit sans l’existence du lissage de « 10% » susmentionné.

 

Par Alexane Raynaldy

Indemnité de licenciement : conséquences d’une faute grave commise pendant le préavis

Le contexte juridique 

Une salariée, dix jours après avoir été licenciée pour insuffisance professionnelle, se voit notifier par son employeur la rupture immédiate de son contrat de travail pour faute grave pendant l’exécution du préavis.

Privée d’indemnité conventionnelle de licenciement à l’occasion de la rupture de son contrat de travail, elle saisie la juridiction prud’homale afin d’en obtenir le paiement.

La Cour d’appel fait droit à sa demande mais calcule cette indemnité sur la base d’une ancienneté prenant fin à la date de notification de la rupture de préavis pour faute grave.

La salariée se pourvoi en cassation et fait valoir que le montant de son indemnité de licenciement devait déterminer non pas sur cette base mais sur celle d’une ancienneté calculée à la date d’expiration du délai normal de son préavis de 6 mois, qu’il ait été exécuté ou non.

L’arrêt

La chambre sociale de la Cour de cassation réfute cette analyse et approuve les juges du fond : « si le droit à l’indemnité de licenciement naît à la date où le licenciement est notifié, l’évaluation du montant de l’indemnité est faite en tenant compte de l’ancienneté à l’expiration du contrat ; qu’ayant constaté que la faute grave commise au cours de l’exécution de son préavis par la salariée, qui n’en était pas dispensée, avait eu pour effet d’interrompre le préavis, la cour d’appel a décidé à bon droit de prendre en compte cette interruption pour déterminer le montant de l’indemnité de licenciement ».

Apport de l’arrêt

S’il est de jurisprudence constante que lorsqu’un salarié commet une faute grave pendant son préavis, il peut être mis fin à ce denier et que l’interruption du préavis n’entraine pas la perte du droit à l’indemnité de licenciement, légale ou conventionnelle, qui naît à la date de notification du licenciement (Cass. Soc., 28 juin 1989, nº 86-40.764 ; Cass. Soc., 8 juill. 1992, n° 89-40.619), la Cour de cassation ne s’était pas prononcée sur le montant de ce denier !

Dans cet arrêt, la Cour de cassation se basant sur le principe selon lequel le droit à l’indemnité de licenciement naît à la date où celui-ci est notifié et que son montant tient compte de l’ancienneté du salarié à l’expiration du contrat (Cass. Soc., 11 janv. 2007, n° 04-45.250), elle en déduit que dès lors que la faute grave a pour effet d’interrompre le préavis, cette interruption doit être prise en compte pour déterminer le montant de l’indemnité de licenciement.

L’évaluation du montant de l’indemnité de licenciement est donc faite en tenant compte de l’ancienneté à l’expiration du contrat de travail, de sorte que l’interruption du préavis résultant d’une faute grave commise par le salarié pendant cette période est prise en compte pour déterminer le montant de cette indemnité.

Par Clara Bellest

Quand bon sens et droit font mauvais ménage

Le contexte juridique  

Un salarié meurt, pendant un déplacement professionnel, d’une crise cardiaque au cours d’une relation sexuelle qui se déroulait au domicile d’une femme totalement étrangère à l’entreprise.

L’employeur demandait à la Cour d’infirmer le jugement de première instance et de considérer que le salarié avait sciemment interrompu sa mission, qu’il n’était plus en mission au moment où il se rendait chez cette femme et que le malaise cardiaque n’était ainsi pas dû au travail.

L’arrêt

Les juges du fond confirment la décision de première instance et estiment donc que le décès devait être pris en compte au titre de la législation professionnelle car l’employeur « ne rapportait pas la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour accomplir un acte totalement étranger à celle-ci et que le fait que l’accident soit survenu à l’issue d’un rapport sexuel consommé dans un lieu autre que la chambre d’hôtel que la société X lui avait réservée ne permettait pas à lui seul de considérer que le salarié s’était placé hors de la sphère de l’autorité de l’employeur ».

Apport de l’arrêt

Ainsi, la Cour a une application très stricte de la présomption édictée par l’article L.411-1 du Code de la Sécurité sociale qui précise qu’est un « accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».

Est présumé accident du travail tout acte accompli pendant le temps de la mission accomplie par le salarié pour son employeur, peu important que l’accident survienne à l’occasion d’un acte professionnel ou d’un acte de la vie courante sauf à rapporter la preuve que le salarié avait interrompu sa mission pour un motif personnel.

Un rapport sexuel étant un acte de la vie courante, le salarié étant en mission, l’accident intervenu pendant ce rapport est bien un accident du travail, l’employeur ne justifiant pas d’un emploi du temps auquel aurait été tenu son salarié ni qu’au moment où le malaise est survenu le salarié s’était placé hors de la sphère d’autorité de son employeur.

Une réflexion devra ainsi être menée pour limiter en cas de déplacement professionnel cette période pendant laquelle le salarié est « sous la sphère d’autorité » de son employeur pour éviter un surcoût de cotisation accident du travail !

Par Corinne Metzger