Absence d’indemnisation par la commune des travaux réalisés postérieurement à un arrêté de péril imminent

Dans cette affaire, une société ayant exécuté, sans contrat écrit, les travaux d’urgence prescrits par deux arrêtés de péril imminent sollicitait la condamnation de la commune au paiement des prestations réalisées.

A titre de rappel, le Maire peut, en présence d’un péril grave et imminent, prendre, sur le fondement de ses pouvoirs de police spéciale et en application des articles L. 511-3 et suivants du Code de la construction et de l’habitation, un arrêté de péril prescrivant aux propriétaires de l’immeuble concerné la réalisation de travaux conservatoires dans un délai imparti.

En cas de carence de ces propriétaires, le Maire a la faculté de se substituer à ces derniers en faisant réaliser d’office ces travaux et de recouvrer le coût de ces travaux conformément à l’article L. 511-4 du même Code, ce qui n’était pas le cas ici.

Par suite, la Cour rappelle que « il résulte de ces dispositions que les frais engagés pour mettre fin à l’imminence du désordre affectant un bâtiment sont en principe à la charge du propriétaire de l’immeuble, que les travaux aient été exécutés à l’initiative de ce dernier ou d’office par la commune ».

Pour écarter la responsabilité extracontractuelle de la commune, la Cour retient qu’ « il ne résulte d’aucun élément de l’instruction qu’elle [la société] aurait entrepris les travaux sur les immeubles avant l’intervention des arrêtés de péril imminent. Si la commune […], qui n’a pas mis en œuvre la procédure d’exécution d’office des travaux prévue par les dispositions de l’article L. 511-3 du code de la construction et de l’habitation, a pu s’entremettre entre la société Ceroni et les propriétaires des immeubles, il ne résulte d’aucune pièce du dossier, […]qu’elle aurait entendu commander pour elle-même l’exécution de ces prestations, ce qu’elle ne pouvait d’ailleurs légalement faire ».

En d’autres termes, aucun élément ne permettait d’identifier avec certitude le commanditaire des travaux, dont le coût était par principe à la charge des propriétaires de l’immeuble visé par les arrêtés de péril, en application des dispositions précitées du code de la construction et de l’habitation, la conséquence étant que la commune ne pouvait être tenue au règlement de ces sommes.

A l’inverse, il est jugé que les prestations commandées par la commune et réalisées avant ces arrêtés sont bien dues par cette dernière.

Confirmation de l’annulation de la délibération par laquelle la ville de Marseille a décidé de recourir à un accord-cadre de marchés de partenariat

Par un arrêt en date du 27 décembre 2019, la Cour administrative d’appel de Marseille a confirmé l’annulation de la délibération par laquelle la ville de Marseille a approuvé le principe du recours à un accord-cadre de marchés de partenariat pour la réalisation d’une opération de rénovation d’écoles et de construction de nouveaux établissements.

Confirmant et précisant le raisonnement du Tribunal, la Cour administrative d’appel de Marseille a tout d’abord jugé que « la décision par laquelle l’organe délibérant d’une collectivité territoriale se prononce, en application de l’article 77 de l’ordonnance du 23 juillet 2015, sur le principe du recours à un marché de partenariat ne présente pas, quant à elle, le caractère d’une simple mesure préparatoire à la conclusion du contrat mais manifeste, d’une part, le choix des modalités particulières d’acquisition et d’exploitation de biens nécessaires à une mission de service public ou d’intérêt général, d’autre part, le cas échéant, le choix corrélatif de la collectivité s’agissant des modalités de gestion de cette mission et, enfin, ses options quant aux modalités de financement et d’intégration, dans son patrimoine, des équipements nécessaires. Cet acte n’est dès lors pas au nombre de ceux qui peuvent être contestés seulement à l’occasion du recours dirigé contre le contrat lui-même. La ville de Marseille n’est dès lors pas fondée à soutenir que les recours pour excès de pouvoir présentés contre la délibération du 16 octobre 2017 […] seraient irrecevables en raison de l’existence d’une voie de droit ouverte contre le marché
lui-même ».

Et elle a ensuite considéré que, dans les circonstances particulières de l’espèce, la ville de Marseille ne démontre pas, au vu de l’évaluation préalable qu’elle a réalisée, que le recours à un marché de partenariat présente un bilan plus favorable que celui des autres modes de réalisation du projet.

Cette décision témoigne, une fois encore, de ce que l’évaluation préalable du mode de réalisation est un document important, à la rédaction duquel il faut attacher le plus grand soin.

Quand les clauses d’exclusion dans les polices d’assurance construction ne cessent de faire parler d’elles…

À la rentrée 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation était revenue sur l’appréciation stricte du caractère précis, formel et limité de la clause d’exclusion de garantie dans les polices d’assurance construction[1].

C’était sans compter sur une fin d’année où la Cour de cassation, certainement plus agitée, est venue bousculer les précédentes décisions rendues en la matière avec un renvoi à la définition risque garanti.

Sur le plan factuel, une société a souhaité faire réaliser des travaux de chauffage-climatisation de la péniche, aménagée en bureaux, dont elle est propriétaire et qu’elle donne en location.

La société chargée de réaliser lesdits travaux était assurée au titre de sa responsabilité auprès de la compagnie AXA aux termes d’un contrat couvrant la responsabilité de son assuré pour les dommages de nature décennale, la responsabilité civile, après réception, connexe à celle pour dommages de nature décennale, ainsi que la responsabilité civile du chef d’entreprise avant ou après réception des travaux.

Postérieurement à la réception intervenue avec réserves en juin 2010, des désordres consistant en une insuffisance des températures effectivement atteintes sont apparues.

Pour condamner la compagnie AXA à garantir le sinistre, la Cour d’appel de Versailles avait, aux termes de son arrêt rendu le 13 novembre 2017, rappelé que « une clause qui doit être interprétée ne peut être une clause d’exclusion formelle et limitée ».

A l’appui de son argumentation, la Cour d’appel avait ainsi considéré que « En l’espèce, la combinaison des clauses des conditions particulières qui prévoient l’assurance de tout sinistre mettant en jeu la responsabilité civile du chef d’entreprise couvrant tous dommages confondus avant réception et après réception, comprenant le préjudice matériel et immatériel, et des clauses des conditions générales excluant la responsabilité civile de son fait ou de celui de ses préposés et à l’activité de construction conduit à constater l’imprécision des clauses d’exclusion et par voie de conséquence, conduit à écarter les articles 2.18.15, 2.18.16 et 2.18.17. »

En réalité, jusque-là, aucune surprise pour cette solution ancienne qui s’inscrit dans la ligne droite de nombreuses décisions rendues en matière d’interprétation et d’imprécision d’une clause d’exclusion de garantie.

Néanmoins, par un arrêt rendu le 19 décembre 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation retient que « […] sans apprécier la validité des clauses d’exclusion de garantie par rapport à la définition du risque garanti prévue par l’article 2.17 des conditions générales, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef »

Autrement dit, la Cour revient sur la question de la validité des clauses d’exclusion de garantie qui doivent, selon elle, être interprétées et appréciées par rapport à la définition du risque garanti.

Interprétation ou non….la problématique des clauses d’exclusions dans les polices d’assurance promet encore de faire parler d’elle en cette nouvelle année.

[1]https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000039156993&fastReqId=363978709&fastPos=1

Attention aux effets d’une fusion sur la Base de données économiques et sociales (BDES) !

La BDES  prévue à l’article L. 2312-18 du Code du travail, est le support de préparation à la consultation annuelle du comité économique et social (CSE) sur :

  • les orientations stratégiques de l’entreprise;
  • la situation économique et financière de l’entreprise ;
  • la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

 

En l’absence d’accord d’entreprise, les informations portent en application de l’article L. 2312-36 du Code du travail sur :

  • l’année en cours ;
  • les 2 années précédentes ;
  • les 3 années suivantes, sous forme de perspectives.

 

Elle doit permettre au CSE d’obtenir une information « complète et loyale » pour qu’il soit en mesure de rendre des « avis éclairés ».

En cas de BDES manquante, incomplète ou non mise à jour, le CSE, un représentant du personnel, un syndicat ou l’inspection du travail peut saisir le juge judiciaire pour ordonner à l’employeur la mise en place de la BDES ou la communication des éléments manquants.

Le délit d’entrave, sanctionné par une amende de 37.500 euros (porté à 75.000 euros en cas de récidive) peut être alors constitué.

Au terme de l’arrêt sus visé, la Cour de cassation précise que dans le cas d’une opération de fusion, les informations fournies doivent porter, sauf impossibilité pour l’employeur de se les procurer, sur les entreprises parties à l’opération de fusion, pour les années visées aux articles précités.

À défaut, les délais d’information-consultation annuelle du CSE ne courent pas (Cass. Soc., 28 mars 2018, n° 17-13.081).

Il est donc impératif à l’issue d’une fusion de veiller à bien intégrer dans la BDES de l’entreprise d’accueil, les données récoltées dans l’entreprise sortante, afin que les consultations annuelles récurrentes puissent valablement se dérouler.

 

Validation des tarifs plafonds applicables aux Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) par la Haute juridiction administrative

Un arrêt du Conseil d’Etat a validé les tarifs plafonds fixés par un arrêté interministériel du 2 mai 2018[1] pour les Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS). Les lois de financement de la Sécurité sociale pour 2008 et 2009 et la loi de finances pour 2009 ont en effet modifié le droit budgétaire des ESSMS financés par l’Etat en créant des tarifs plafonds règlementaires notamment s’agissant des Etablissements ou Services d’Aide par le Travail (ESAT) et des CHRS.

C’est ainsi que l’article L. 314-4 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoit qu’un arrêté interministériel doit, pour chacune de ces catégories, déterminer le forfait plafond ou son mode de calcul ainsi que les règles permettant de ramener le tarif pratiqué au niveau du tarif plafond.

Dans ce cadre, un arrêté interministériel en date du 2 mai 2018 – soit près de neuf ans après que le législateur en a prévu la possibilité – a fixé pour la première fois les tarifs plafonds des CHRS qui leur sont imposés au titre de l’exercice 2018. Ces tarifs dépendent des prestations apportées par ces centres déterminés à partir de douze Groupes Homogènes d’Activité et de Missions (GHAM). Les différents montants retenus ont été reconduits pour l’exercice 2019 par un arrêté du 13 mai 2019[2].

Plusieurs associations se sont opposées à la fixation de tels tarifs plafonds et ont alors formé un recours contre cet arrêté. C’est ce dernier qui vient d’être définitivement rejeté par la Haute juridiction administrative.

Tout d’abord, sur la possibilité pour l’autorité compétente de l’Etat de procéder à la tarification d’office de l’établissement en l’absence de transmission des données prévues à l’article L. 345-1 du CASF visée à l’article 3 de l’arrêté, la juridiction a rappelé que l’arrêté se bornait à rappeler la règle prévue par ces mêmes dispositions. Ce principe laisse cependant une grande part d’incertitude dans l’hypothèse où l’organisme gestionnaire ne parvient pas à transmettre ses données, en raison d’un problème informatique par exemple.

Ensuite, le recours portait notamment sur le niveau retenu pour les tarifs plafonds et la méthode retenue par l’autorité administrative pour les déterminer qui, selon les requérants, auraient manqué de fiabilité. Or, le Conseil d’Etat considère que rien n’interdisait que les tarifs plafonds soient différenciés en fonction des missions assurées par les établissements et du type d’hébergement qu’ils proposent, c’est-à-dire, par GHAM. Au contraire, les juges considèrent qu’ils visent à mieux prendre en compte les charges supportées par les structures dans l’allocation des ressources de l’Etat. De même, les juges ont considéré que l’étude des coûts portant sur l’activité de 672 CHRS sur un total de 797 existants, ayant permis de fixer les tarifs plafonds, était un échantillon « suffisant pour permettre aux ministres d’appréhender les coûts moyens des établissements et services et d’identifier les facteurs expliquant les écarts à la moyenne », cela en dépit du fait que l’étude en question n’a pas fait l’objet d’une publication ou n’était prévue par aucune disposition législative ou règlementaire.

Par ailleurs, à l’argument selon lequel les coûts – en particulier immobiliers – supportés par les CHRS sont hétérogènes, les juges ont répondu en considérant que les ministres n’ont pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en adoptant des tarifs plafonds uniformes pour l’ensemble du territoire et en n’opérant des majorations des tarifs plafonds que pour les collectivités d’outre-mer.

Enfin, les juges ont validé le principe fixé à l’article 3 de l’arrêté contesté et qui concernait les règles applicables aux établissements présentant un coût de fonctionnement brut à la place supérieur à ces tarifs plafonds et notamment la possibilité pour le préfet d’aller au-delà du taux d’effort déterminé dans certaines circonstances. Si les organisations à l’origine du recours contestaient l’imprécision de cet effort, le Conseil d’Etat a considéré que les dispositions permettant à l’autorité de tarification d’appliquer un taux d’effort budgétaire supérieur dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 314-7 du CASF afin de tenir compte des moyennes observées sur son territoire et des écarts à ces moyennes pour des établissements dont l’activité est comparable étaient suffisamment claires et précises.

Cette décision du Conseil d’Etat ne surprend pas étant donné qu’il avait déjà validé les tarifs plafonds fixés en 2015 pour les ESAT[3]. Le Conseil d’Etat reconnait toutefois plus spécifiquement dans l’arrêt étudié une grande marge d’appréciation au Gouvernement pour fixer les tarifs plafonds. Il reviendra ainsi au juge de la tarification sanitaire et sociale de se prononcer sur la manière dont les préfets de Région appliquent ces règles dans le cadre des recours contentieux formés par les CHRS à l’encontre de leurs tarifs 2018 et 2019.

Pour finir, rappelons que les tarifs plafonds ont été mis en place par le Gouvernement alors que ce dernier constatait une très forte hétérogénéité dans les crédits attribués aux CHRS et souhaitait garantir « plus d’équité dans la répartition des ressources, avec des tarifs harmonisés selon les prestations délivrées ».« Cette réforme ne remet aucunement en cause les deux principes au fondement de la politique de l’hébergement : l’inconditionnalité de l’accueil et la continuité de la prise en charge.»[4]. Il importe cependant de préciser que la tarification plafond intervient dans un contexte de restriction budgétaire avec un objectif gouvernemental de diminution du budget des CHRS qui forcément impactera la qualité de l’accompagnement des personnes hébergées et le nombre de places voire de centres disponibles.

[1] Arrêté du 2 mai 2018, NOR: TERS1804182A

[2] Arrêté du 13 mai 2019, NOR: TERS1913574A

[3] Conseil d’Etat, 28 juillet 2017, n° 39-4811

[4] Question écrite d’Emmanuelle Anthoine du 20 novembre 2018, n° 14374 et réponse du Ministère de la Ville et du Logement, n° 6491, JO de l’Assemblée nationale du 9 juillet 2019

Le droit de rétractation peut être contractuellement conféré à un acquéreur professionnel aux termes de la promesse de vente d’un bien immobilier

La Cour de cassation devait se prononcer le 5 décembre 2019, à l’occasion d’une action en paiement d’une clause pénale suite à l’exercice de sa faculté de rétractation par un acquéreur professionnel.

En l’espèce, des époux ont vendu une maison d’habitation à une société laquelle a exercé la faculté de rétractation prévue au contrat et, qui lui avait été notifiée par le notaire rédacteur de la promesse de vente.

Soutenant que la société ne pouvait se rétracter en raison de sa qualité de professionnel, les vendeurs l’ont assignée en paiement de la clause pénale.

La demande en paiement de la clause pénale est rejetée par les juges du fond.

Les requérants forment alors un pourvoi en cassation, aux motifs que l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation n’offre une faculté de rétractation qu’en présence d’un acte ayant pour objet la construction ou l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation au profit d’un acquéreur non professionnel.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel au motifs que les parties peuvent conférer contractuellement à un acquéreur professionnel la faculté de rétractation prévue par l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation, et les vendeurs ne peuvent contester le droit de rétractation qu’ils ont contractuellement conféré à la société.

En effet, en dépit de la qualité de professionnel de l’immobilier de la société, les vendeurs ont sciemment accepté la clause négociée par laquelle ils ont donné, ensemble avec l’acquéreur, mandat exprès au notaire de notifier le droit de rétractation de l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation à la société.

Par ailleurs, les vendeurs ne justifient d’aucune erreur sur l’objet de la société acquéreur ni de conditions de négociation et de signature propres à établir qu’ils n’auraient pas négocié les termes du contrat et ne démontrent pas que la clause prévoyant le droit de rétractation serait une clause de style.

Enfin, les termes « acquéreur non professionnel » figurant dans la clause litigieuse ont pour effet de conférer un droit de rétractation à l’acquéreur, clairement identifié comme étant la société.

En conséquence, la faculté de rétractation prévue par l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation peut être conférée contractuellement à un acquéreur professionnel.

Le droit à réparation du tiers au contrat sur le fondement de la responsabilité délictuelle

En raison de l’interruption de la fourniture en énergie endurée pendant plusieurs semaines par une société commercialisant du sucre de canne, le tiers au contrat d’alimentation en énergie, qui était en relation avec la société sucrière, a subi un préjudice d’exploitation.

C’est ainsi que l’assureur de cette société tierce a recherché, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, la responsabilité de la société fournisseur d’énergie tirée du manquement contractuel qui lui était imputable et qui lui avait causé un dommage.

La Cour de cassation était donc appelée à s’interroger sur le maintien du principe énoncé dans l’arrêt Boot shop, rendu par son assemblée plénière le 6 octobre 2006 et depuis en partie controversé. La Cour de cassation y avait considéré que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage », excluant ainsi toute nécessité de démontrer une faute.

Dans son arrêt du 13 janvier 2020, la Cour de cassation confirme le principe énoncé dans son arrêt Boot shop, considérant que le tiers au contrat qui établit un lien de causalité entre un manquement contractuel et le dommage qu’il subit n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement.

Il s’agit de faciliter l’indemnisation du tiers à un contrat qui, justifiant avoir été lésé en raison de l’inexécution d’obligations purement contractuelles, ne pouvait caractériser la méconnaissance d’une obligation générale de prudence et diligence, ni du devoir général de ne pas nuire à autrui.

Il sera enfin noté qu’en appliquant le principe énoncé par l’arrêt Boot shop à une situation où le manquement dénoncé portait sur une obligation de résultat et non, comme dans ce précédent arrêt, sur une obligation de moyens, l’assemblée plénière ne retient pas la nécessité d’une distinction fondée sur la nature de l’obligation méconnue.

L’appréciation de la titularité d’un bail commercial entre une société commercial et la personne de son gérant

En droit, les dispositions de l’article 1843 du Code civil prévoient que les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant son immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas.

Il est également prévu que les engagements souscrits seront réputés l’avoir été pour le compte de cette société dès l’origine.

« les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant l’immatriculation sont tenues des obligations nées des actes ainsi accomplis, avec solidarité si la société est commerciale, sans solidarité dans les autres cas. La société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits, qui sont alors réputés avoir été dès l’origine contractés par celle-ci ».

En l’espèce, une SARL avait été constituée par son associé unique qui avait, dans l’attente de l’immatriculation de sa société, souscrit un bail commercial en vue de l’exercice de son activité professionnelle.

Dans un contentieux relatif aux impayés liés aux loyers et charges de cette société s’est posée la question de la titularité du bail entre la société et son gérant.

A cette question la Cour d’appel a précisé que, bien que les statuts de la société, ne mentionnent pas la reprise du bail dans ses annexes et qu’il n’existe aucun mandat écrit autorisant son gérant à contracter le bail au nom de la société, il résulte de l’ensemble des éléments produits que les parties avaient la volonté de substituer la société à la personne de son gérant.

En l’espèce, la Cour d’appel a précisé que les parties avaient clairement marqué la volonté de substituer la société à la personne de son gérant après avoir relevé l’existence de « 3 actes positifs » à savoir :

  • Une instance en référé initiée par la société se présentant comme titulaire du bail ;
  • La signature par cette société d’un contrat de prêt afin de financer l’aménagement des locaux ;
  • L’inscription du droit au bail dans sa comptabilité.

La Cour de Cassation a, dans son arrêt du 15 janvier 2020, confirmé la position de la Cour d’appel en réaffirmant le principe selon lequel la titularité d’un bail commercial fait l’objet d’une appréciation in abstracto tentant de réunir les éléments permettant d’établir la volonté des parties.

Attribution à l’ARCEP de la mission de régulation du secteur de la distribution de la presse par la loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de la presse

Loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques

Rapport au ministre de l’Économie et des Finances et à la ministre de la Culture – Dix propositions pour moderniser la distribution de la presse

 

Dans un contexte de profond bouleversement du secteur de la distribution de la presse au numéro, du fait de l’accélération de la diffusion numérique et de l’évolution des pratiques des lecteurs, la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques (dite loi « Bichet »), adoptée dans l’immédiat après-guerre afin d’organiser la pluralité de l’information et l’égalité entre les éditeurs, indépendamment de leur taille ou des opinions qu’ils véhiculent, est apparue inadaptée aux présents enjeux du secteur.

Rendu public par le Gouvernement en juillet 2018, le rapport de la mission confiée à M. Marc Schwartz a porté dix propositions[1] pour moderniser la distribution de la presse. Ce rapport prônait en particulier une régulation renforcée de la distribution de la presse par le biais d’un régulateur unique, aux pouvoirs étendus, et disposant d’une expertise juridique, économique et technique suffisante tout en étant doté de moyens d’exercer un contrôle efficace.

Promulguée le 18 octobre 2019, la loi n° 2019-1063 du 18 octobre 2019 relative à la modernisation de la distribution de la presse réformant la loi Bichet a ainsi confié la mission de régulation du secteur de la distribution de la presse, précédemment exercée par l’Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP) et du Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), à l’Arcep. L’information est passée relativement inaperçue, mais à l’occasion de l’attribution de cette nouvelle mission, l’Arcep a changé de nom pour devenir « l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse », tout en conservant l’acronyme préexistant Arcep (le « p » renvoyant à présent tant à ses missions postales qu’à ses missions de distribution de la presse).

 

[1]

1. Réaffirmer les principes fondateurs de la loi Bichet que sont la liberté de diffusion de la presse et l’impartialité de la distribution (absence de discrimination entre les titres) ; ainsi que l’indépendance et le pluralisme de la presse d’information politique et générale.
2. Unifier et renforcer la régulation de la distribution de la presse en la confiant à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).
3. Créer auprès de la nouvelle autorité de régulation un comité consultatif de la distribution de la presse représentatif de l’ensemble des parties prenantes du système de distribution.
4. Instaurer pour les entreprises de presse, en remplacement du statut coopératif obligatoire, un « droit à être distribué » dans des conditions transparentes, efficaces et non discriminatoires et par des sociétés agréées par le régulateur.
5. Rendre ce droit d’accès à un réseau effectif, en dotant le régulateur de réels pouvoirs d’investigation, de contrôle et de sanction à l’égard des sociétés agréées pour distribuer la presse.
6. Mieux définir le champ d’application de la loi, pour réguler les flux d’entrée dans le système de distribution.
7. Une urgence : insuffler une nouvelle dynamique commerciale en allégeant les contraintes qui pèsent sur le réseau de vente et en associant effectivement les détaillants au choix des produits qu’ils reçoivent.
8. Assouplir l’organisation de la distribution, sans déstabiliser le réseau.
9. Prévoir une transition fluide vers le nouveau système de régulation.
10. Envisager d’étendre à la diffusion numérique le principe de pluralisme de la presse d’information politique et générale.

 

Consultation publique relative à la transposition du Code des communications électroniques européen

La Direction Générale des Entreprises a lancé, le 16 janvier dernier, la consultation publique relative à la transposition de la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le Code des communications électroniques européen. Il est prévu que cette transposition, qui doit intervenir avant le 21 décembre 2020, soit réalisée par ordonnance dans le cadre du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique.

Depuis la libéralisation du secteur des télécoms en 1998, trois « paquets » télécoms se sont succédé : en 2002, en 2009 et en 2018 avec la directive visée ci-avant. Le Code des communications électroniques européen s’inscrit dans la continuité des textes précédents puisqu’il porte sur les mêmes domaines et poursuit des objectifs similaires, tout en mettant l’accent sur l’investissement dans les réseaux de nouvelle génération.

Les auteurs du Code ambitionnent d’instaurer un cadre harmonisé au sein de l’UE pour la réglementation des réseaux et des services de communications électroniques, qu’ils soient destinés aux télécoms ou à l’audiovisuel.

La consultation publique, qui a pour vocation de recueillir l’avis de l’ensemble des publics concernés par le projet d’ordonnance, se présente sous forme de versions consolidées des dispositions du Code des postes et des communications électroniques et du Code de la consommation concernées par l’exercice de transposition, dispositions qui sont réparties en huit annexes[1].

Parmi les modifications les plus notables, on trouve notamment l’intégration, sous la notion clé d’opérateurs de communications électroniques nouvellement définie, des fournisseurs de services OTT (pour « over the top »), tels que SkypeOut.

Le texte soumis à consultation introduit aussi un changement de paradigme en supprimant l’obligation de déclaration préalable à l’établissement et l’exploitation des réseaux ouverts au public et à la fourniture au public de services de communications électroniques auprès de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP), au profit d’une autorisation générale.

Le texte soumis à consultation transcrit par ailleurs la mise en place obligatoire, avant le 21 juin 2022, d’un système d’alerte aux publics, c’est-à-dire la transmission de messages à l’ensemble des utilisateurs finals situés dans une zone géographique déterminée dès réception d’une demande du Premier ministre, du représentant de l’Etat dans le département ou, à Paris, du préfet de police.

Ce projet introduit aussi des dispositions relatives à l’information sur l’état des réseaux et la planification des déploiements, avec l’idée d’éviter les doublons, particulièrement en ce qui concerne le déploiement de la fibre. Pour ce faire, le texte prévoit que l’ARCEP a l’obligation d’établir un relevé géographique de la couverture du territoire par des réseaux existants afin d’identifier les zones dans lesquelles aucun réseau permettant d’offrir un débit descendant d’au moins 100 Mbps n’a été ou ne sera déployé avant de lancer des appels à manifestation d’intention.

Il élargit le périmètre du service universel en prévoyant que tous les consommateurs devront avoir accès à un service d’accès adéquat à l’Internet à haut débit et à un service de communications vocales. Le caractère adéquat implique a minima l’accès à des fonctionnalités telles que la messagerie électronique, l’achat et la commande de biens ou de services en ligne ou encore les médias sociaux et messagerie instantanée. Ce service d’accès devra également être abordable, y compris pour les personnes à faibles revenus ou ayant des besoins sociaux particuliers. L’ARCEP sera en charge de vérifier le caractère abordable en surveillant le niveau et l’évolution des tarifs de détail des services disponibles sur le marché, notamment au regard des revenus nationaux.

Le texte soumis à consultation publique prévoit par ailleurs la possibilité d’attribuer des ressources en numérotation en vue de fournir des services de communications électroniques autres que les communications interpersonnelles, une telle possibilité visant à accompagner le développement de l’Internet des objets.

Enfin, de nouvelles dispositions viennent renforcer les droits des consommateurs, en particulier l’introduction de règles d’indemnisation des utilisateurs finals en cas de non-respect des fournisseurs en matière de portage, de changement de fournisseur et de non-présentation à un rendez-vous de service et d’installation. Certaines dispositions prévues pour les consommateurs sont étendues aux microentreprises, aux petites entreprises et aux organisations à but non lucratif (modalités de l’information contractuelle, durée maximale des contrats, etc.).

S’agissant de l’obligation des Etats membres d’attribuer, au plus tard le 31 décembre 2020, des blocs de la bande de fréquences 3,4 – 3,8 GHz pour permettre le déploiement de la 5G, il convient de noter qu’aucune mesure de transposition n’est rendue nécessaire.

 

– 

[1] Annexe 1 : transposition des dispositions relatives aux définitions et à la gouvernance
Annexe 2 : transposition des dispositions relatives à l’autorisation générale et aux obligations légales
Annexe 3 : transposition des dispositions relatives à l’information sur l’état des réseaux, la planification des déploiements et les demandes d’informations aux entreprises
Annexe 4 : transposition des dispositions relatives au service universel des communications électroniques
Annexe 5 : transposition des dispositions relatives à l’accès
Annexe 6 : transposition des dispositions relatives au spectre
Annexe 7 : transposition des dispositions relatives à la numérotation
Annexe 8 : transposition des dispositions relatives aux droits des consommateurs

 

Précisions sur les délais de recours de l’acquéreur évincé à l’encontre d’une décision de préemption

Lorsqu’un acquéreur évincé se voit notifier une décision de préemption sans mention des voies et délais de recours, ces délais ne lui sont pas opposables. Néanmoins, son recours ne peut être exercé, en application de la jurisprudence « Czabaj », que dans un délai raisonnable d’un an.

Dans cette affaire, le maire de Montreuil avait décidé de préempter un immeuble pour l’acquisition duquel M. et Mme A avaient conclu une promesse de vente. Si ces derniers ne s’étaient pas vus notifier la décision de préemption, ils s’étaient néanmoins renseignés auprès de la Commune sur l’état d’avancement du projet pour lequel le droit de préemption avait été exercé et avaient joint à leur demande la copie intégrale de la décision de préemption, dépourvue de la mention des voies et délais de recours.

M. et Mme A avaient ensuite saisi le Tribunal administratif de Montreuil d’un recours en annulation de cette décision de préemption.

Si en première instance, le Tribunal administratif de Montreuil avait fait droit aux prétentions des requérants, la Cour administrative d’appel de Versailles avait quant à elle estimé que leur recours était tardif, et annulé ce jugement.

Dans sa décision du 16 décembre 2019, le Conseil d’Etat souligne d’abord que l’acquéreur évincé étant au nombre des personnes auxquelles la décision de préemption doit être notifiée, le délai de recours prévu à l’article R. 421-1 du Code de justice administrative ne lui est pas opposable si la décision ne lui a pas été notifiée avec l’indication des voies et délais de recours.

Faisant application de sa jurisprudence « Czabaj » (CE, 13 juillet 2016, n° 387763), le Conseil relève néanmoins que le principe de sécurité juridique fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle. Le destinataire de la décision de préemption ne peut donc exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable d’un an à compter de la notification de la décision ou à compter de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance.

En l’espèce, le Conseil d’Etat a considéré que la demande de renseignement adressée à la mairie était de nature à établir que les requérants avaient eu connaissance, à cette date, de la décision de préemption.

Le recours de M. et Mme A, exercé au-delà du délai raisonnable d’un an à compter de cette date, était donc tardif.

La CJUE se prononce sur la question du régime de responsabilité applicable en cas de non-respect d’une licence de logiciel (responsabilité délictuelle ou contractuelle) par notre partenaire, le cabinet Lefèvre Avocats

Dans une précédente brève (LAJ n° 100 du 23/09/2019), nous avions eu l’occasion d’évoquer cette question au travers de deux décisions : le jugement du Tribunal de grande instance de Paris ( 3ème ch., 3ème sect.) du 21 juin 2019 et l’arrêt de la Cour d’appel de Paris (pôle 5, ch. 1) du 16 octobre 2018 (n° 17/02679).

Dans cette deuxième affaire, la Cour d’appel de Paris avait saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle sur laquelle cette dernière s’est prononcée le 18 décembre dernier.

Dans cette affaire, la société Free Mobile SAS était bénéficiaire d’une licence d’utilisation sur un logiciel dont les droits d’auteur étaient détenus par la société IT Development SAS. Cette dernière, reprochant à la société Free Mobile SAS d’avoir modifié le code source du logiciel et d’avoir ainsi violé ladite licence d’utilisation accordée par la société IT Development SAS, avait, pour fonder sa demande indemnitaire, introduit une action en contrefaçon devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Le tribunal, se fondant sur le principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et se plaçant dans la continuité de la décision Oracle rendue en 2016 (CA Paris, pôle 5, ch., 10 mai 2016, n° 14/25055), a déclaré cette demande irrecevable après avoir constaté que le préjudice invoqué avait pour origine une violation contractuelle.

Un tel raisonnement a eu pour conséquence de permettre aux licenciés poursuivis d’invoquer à leur profit les limitations et plafonds de responsabilité prévus contractuellement et d’exclure ainsi le mode de calcul des dommages-intérêts spécifiquement prévu en cas d’’action en contrefaçon à l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle issu de la transposition de la directive 2004/48 et guidant le juge dans la fixation des dommages-intérêts en listant limitativement les critères à prendre en considération pour l’évaluation du préjudice.

C’est dans ce contexte que la Cour d’appel de Paris, saisie par la société IT Development SAS, a, dans un arrêt du 16 octobre 2018, posé à la CJUE la question préjudicielle suivante :

« Le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence de logiciel (par expiration d’une période d’essai, dépassement du nombre d’utilisateurs autorisés ou d’une autre unité de mesure, comme les processeurs pouvant être utilisés pour faire exécuter les instructions du logiciel, ou par modification du code-source du logiciel lorsque la licence réserve ce droit au titulaire initial) constitue-t-il :

– une contrefaçon (au sens de la directive 2004/48 du 29 avril 2004) subie par le titulaire du droit d’auteur du logiciel réservé par l’article 4 de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur

ou bien peut-il obéir à un régime juridique distinct, comme le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun ? »

 

Pour répondre à cette question, la CJUE, dans son arrêt rendu le 18 décembre dernier, a commencé par rappeler que la violation d’une clause d’un contrat de licence de logiciel portant sur des droits de propriété intellectuelle relevait bien de la notion d’« atteinte aux droits de propriété intellectuelle » au sens de la directive 2004/48. Par conséquent, le titulaire desdits droits de propriété intellectuelle « [devait] pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national ».

La CJUE a ensuite estimé que le régime de responsabilité délictuelle ou contractuelle importait peu du moment que les garanties prévues par cette directive étaient respectées. Or l’une de ces garanties est le mode de calcul des dommages-intérêts (article 13 de ladite directive), transposé en droit français à l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, incompatible avec l’application des limitations et plafonds de responsabilité contractuels.

Ainsi, par sa décision, la CJUE a mis fin à la jurisprudence Oracle qui avait créé une certaine insécurité aux regards des titulaires de droits de propriété intellectuelle sur des logiciels. Désormais, les titulaires de droits pourront fonder l’ensemble de leurs actions sur la contrefaçon, y compris dans le cas d’une violation des termes des licences concédées (dès lors que ladite violation porte sur des droits d’auteur afférents au logiciel), sans risque de se voir appliquer les limitations et plafonds d’indemnisation contractuellement prévus par les licences de logiciels.

Par Audrey Lefèvre et Sara Ben Abdeladhim 
Cabinet Lefèvre Avocats

Adoption de dispositions réglementaires portant adaptation de règles comptables

Comme souvent, la fin d’année 2019 a été propice à la publication de dispositifs ajustant les règles comptables des personnes publiques.

Un décret du 31 décembre 2019, d’abord, modifie l’article D. 5217-4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) relatif aux règles budgétaires, financières et comptables applicables aux métropoles, en créant un chapitre budgétaire globalisé relatif aux subventions d’équipement versées dans la section d’investissement (ce qui n’était jusqu’alors qu’un simple compte).

A noter également, divers arrêtés publiés au JORF n° 0303 du 31 décembre 2019 visant à actualiser les différentes instructions budgétaires et comptables en tenant compte des dernières évolutions législatives et réglementaires (notamment la mise à jour du plan de comptes) et à améliorer la pratique budgétaire et comptable en précisant et simplifiant le cadre :

  • un arrêté du 23 décembre 2019 relatif à l’instruction budgétaire et comptable M. 14 applicable aux communes et aux établissements publics communaux et intercommunaux à caractère administratif,
  • un arrêté du 23 décembre 2019 relatif à l’instruction budgétaire et comptable M. 57 applicable aux collectivités territoriales uniques, aux métropoles et à leurs établissements publics administratifs,
  • un arrêté du 23 décembre 2019 relatif à l’instruction budgétaire et comptable M. 71 applicable aux régions,
  • un arrêté du 23 décembre 2019 relatif à l’instruction budgétaire et comptable M. 52 des départements et de leurs établissements publics administratifs,
  • un arrêté du 23 décembre 2019 relatif à l’instruction budgétaire et comptable M. 71 applicable aux régions,
  • un arrêté du 23 décembre 2019 relatif à l’instruction budgétaire et comptable M. 61 des services départementaux d’incendie et de secours,
  • un arrêté du 23 décembre 2019 relatif à l’instruction budgétaire et comptable M. 832 applicable aux centres de gestion de la fonction publique territoriale,
  • un arrêté du 24 décembre 2019 relatif à l’instruction budgétaire et comptable M. 4 applicable aux services publics industriels et commerciaux.

Ces différents dispositifs sont entrés en vigueur le 1er janvier 2020 pour les exercices budgétaires à compter de cette date.

Plagiat d’un slogan d’une association reconnue d’utilité publique

Sujet d’intenses débats au sein de la doctrine, le parasitisme est souvent utilisé par les juges du fond pour sanctionner les opérateurs économiques profitant indûment d’investissements consentis par d’autres sans toutefois porter atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle.

En l’espèce, la SPA a lancé le 18 avril 2016 une campagne nationale pour dénoncer la torture faite aux animaux dans le cadre de l’abattage, de l’expérimentation et de la corrida. Quelques jours plus tard, l’association La Manif pour tous et la Fondation Jérôme Lejeune ont diffusé sur leurs sites internet des visuels reprenant les codes utilisés par la SPA dans le cadre de sa campagne de sensibilisation. La Manif pour tous avait alors repris ces visuels pour s’opposer à la PMA et à la GPA tandis que la fondation Jérôme Lejeune les avait utilisés pour dénoncer l’avortement tardif et l’euthanasie.

Le 25 août suivant, après un jugement en référé rendu le 20 mai 2016 interdisant aux deux défendeurs d’utiliser les visuels litigieux, la SPA assigna au fond La Manif pour tous et la Fondation Jérôme Lejeune sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil (devenu l’article 1240) aux fins d’indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 23 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Paris condamna les deux défendeurs en réparation des préjudices subis du fait des actes de parasitisme.

Confirmant le jugement de première instance, la Cour d’appel de Paris étend ici la notion « d’opérateur économique » en estimant que le parasitisme peut aussi concerner des associations reconnues d’utilité publique. En effet, la Cour a estimé que les deux associations avaient profité des investissements réalisés par la SPA, tant pour la création que pour la diffusion de la campagne, mais aussi de sa notoriété pour se placer dans son sillage, détourner sa campagne et brouiller son message.

Par ailleurs, les juges du fond écartent l’exception de parodie invoqué par les appelants, la SPA n’ayant pas revendiqué de droit d’auteur, mais aussi l’argument fondé sur la liberté d’expression en estimant que les condamnations des deux associations constituaient « des mesures nécessaires pour atteindre le but légitime de la protection des droits de la SPA ».

Précisions sur la régularité d’un critère de sélection relatif à la création d’emplois locaux

Une autorité concédante peut, lors de la passation d’un contrat de concession, prévoir un critère de sélection relatif au nombre d’emplois locaux dont la création sera induite par la gestion et l’exploitation du service concédé, à la double condition que ce critère soit en lien direct avec les conditions d’exécution du contrat et qu’il soit non discriminatoire, ce qui suppose notamment qu’il n’implique pas, par lui-même, de favoriser les entreprises locales.

Ces précisions sont apportées par le Conseil d’Etat à l’occasion d’un contentieux relatif à la validité du contrat de délégation de service public conclu en 2013 par le Département de Mayotte et portant sur la gestion et l’exploitation d’un port. La Société Lavalin, candidate évincée, avait demandé, d’une part, l’annulation du contrat et, d’autre part, la condamnation du Département à lui verser la somme de 12.136.114,20 euros en réparation du préjudice subi. Ses demandes ayant été rejetées en première instance par le Tribunal administratif de Mayotte puis en appel par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, elle s’est pourvue en cassation.

Saisi notamment d’un moyen contestant la régularité du sous-critère tenant compte du nombre d’emplois locaux induits, le Conseil d’Etat relève qu’un port est « une infrastructure concourant notamment au développement de l’économie locale ». Il en déduit qu’un critère ou un sous-critère relatif au nombre d’emplois locaux dont la création sera induite par sa gestion et son exploitation « doit être regardé comme en lien direct avec les conditions d’exécution du contrat de délégation de la gestion de ce port et, pourvu qu’il soit non discriminatoire, comme permettant de contribuer au choix de l’offre présentant un avantage économique global pour l’autorité concédante ».

Après avoir constaté le respect des conditions susmentionnées en l’espèce et écarté l’ensemble des moyens soulevés par la Société requérante, le Conseil d’Etat prononce le rejet du pourvoi.

QPC et retrait des décisions relatives à l’implantation d’antennes relais

Par un arrêt en date du 11 décembre 2019, le Conseil d’Etat a rejeté la demande de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) formée à l’encontre des dispositions de l’article 222 de la loi du 23 novembre 2018 portant Evolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique (dite loi ELAN).

Pour rappel, l’article L. 424-5 du Code de l’urbanisme permet le retrait, dans un délai de trois mois, des décisions de non opposition ou d’autorisation d’urbanisme illégales. Passé ce délai, ces décisions ne peuvent être retirées que sur demande expresse de leur bénéficiaire.

L’article 222 loi du 23 novembre 2018 a introduit, à titre expérimental et jusqu’au 31 décembre 2022, une dérogation à cet article, en prévoyant que « les décisions d’urbanisme autorisant ou ne s’opposant pas à l’implantation d’antennes de radiotéléphonie mobile avec leurs systèmes d’accroche et leurs locaux et installations techniques ne peuvent pas être retirées ».

Dans cette affaire, la commune de Locronan avait procédé au retrait de l’arrêté du 13 février 2019 de non-opposition à la déclaration préalable de travaux délivrée à la société Orange portant sur l’implantation d’une installation de téléphonie mobile sur un terrain à Locronan.

La société Orange avait alors saisi le Tribunal administratif de Rennes, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, d’une demande de suspension de la décision de retrait, en faisant valoir que cette décision était contraire à l’article 222 précité.

C’est dans le cadre de cette instance que la commune de Locronan a contesté la constitutionnalité de ces dispositions.

Le Tribunal administratif de Rennes a sursis à statuer et a transmis la question au Conseil d’Etat.

Plusieurs griefs étaient soulevés par la Commune à l’encontre de ces dispositions :

En premier lieu, la commune de Locronan affirmait qu’elles portaient atteinte au principe d’égalité devant la loi, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), dès lors que ces dispositions instauraient une différence de traitement entre les installateurs d’antennes de radiotéléphonie mobile et ceux d’autres équipements tels que les parcs photovoltaïques et les éoliennes.

Sur ce point, le Conseil d’Etat, rappelant sa jurisprudence constante aux termes de laquelle « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit », relève que les dispositions contestées présentent un but d’intérêt général dès lors qu’elles permettent une couverture rapide de l’ensemble du territoire par les réseaux de téléphonie mobile à haut débit et à très haut débit.

Dès lors, le Conseil d’Etat considère que la différence de traitement résultant de ces dispositions, en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit, n’est pas contraire au principe d’égalité.

En deuxième lieu, la commune de Locronan soutenait que l’article 222 précité était contraire au principe de légalité des actes administratifs.

Le Conseil d’Etat estime que ce grief n’est pas recevable, le principe de légalité des actes administratifs n’étant pas « un droit ou une liberté » au sens de l’article 61-1 de la Constitution, et ne pouvant ainsi être utilement invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité.

En troisième et dernier lieu, était soulevé le grief tenant à la contrariété des dispositions contestées au droit au recours garanti par l’article 16 de la DDHC.

Le Conseil d’Etat écarte également ce grief, en rappelant que les dispositions contestées ne privent pas les personnes intéressées d’exercer un recours juridictionnel à l’encontre des décisions relatives à l’implantation des antennes de radiotéléphonie mobile.

Le Conseil d’Etat juge donc que cette question n’étant pas nouvelle, et ne présentant pas un caractère sérieux, il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Précision sur la forme du congé du bail commercial

Au cours des dernières années, les modalités de délivrance du congé du bail commercial ont connu des modifications successives.

En effet, avant la loi Pinel du 18 juin 2014, tout congé d’un bail commercial devait être donné par acte extrajudiciaire, y compris le congé pour une échéance triennale.

La loi Pinel a ensuite prévu la possibilité de donner congé par lettre recommandée avec avis de réception à l’échéance triennale. Ainsi, l’article L. 145-9 du Code de commerce a été modifié afin de permettre aux parties, preneurs comme bailleurs, de choisir entre la lettre recommandée et l’acte extrajudiciaire pour tout type de congé.

En revanche, la loi Macron du 6 août 2015 est venue restreindre à nouveau la possibilité de donner un congé par lettre recommandée avec avis de réception pour un bail commercial. Cette loi a ainsi modifié :

  • l’article L. 145-9 du Code de commerce en imposant pour les congés la forme d’un acte extrajudiciaire ;
  • l’article L. 145-4 du Code de commerce en supprimant le renvoi à la forme et aux délais de l’article L. 145-9, prévoyant désormais que « le preneur a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire ».

 

On peut donc relever une évidente contradiction entre les articles L. 145-4 et L.145-9 du Code de commerce à laquelle la Cour de Cassation semble répondre en indiquant « l’article L. 145-4, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015, confère au preneur la faculté de donné congé à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire ».

Si cette solution semble à notre sens parfaitement logique au regard de l’adage specialia generalibus derogant, certaines difficultés restent cependant à trancher s’agissant d’un congé qui serait donné par le preneur à un terme ne correspondant pas à une échéance triennale ou encore en période de tacite prolongation. La sécurité juridique impose selon nous de recourir à un acte extrajudiciaire.

Actualisation des tarifs de taxes et indices

Indice des loyers d’activités tertiaires, INSEE, 19 décembre 2019

Indice du coût de la construction, INSEE, 19 décembre 2019

 

Ont été publiés par l’INSEE le 19 décembre 2019 les indices du 3ème trimestre 2019 pour l’indexation des loyers :

  • ILC (indice des loyers commerciaux) : 115,60,
  • ILAT (indice des loyers des activités tertiaires) : 114,85
  • ICC (indice du coût de la construction) : 1 746

Il convient de préciser que si les deux premiers indices ont connu une progression importante (respectivement 1,90% et 1,87 %), celle de l’ICC est plus modérée (0,75 %).

Le congé du preneur donné pour une date postérieure au délai légal de préavis le prolonge d’autant

Deux locataires dont le bail à usage d’habitation arrivait à expiration le 10 février 2017 ont donné congé le 10 novembre 2016 à effet au 12 février 2017, soit deux jours après l’expiration du délai légal de préavis.

L’état des lieux de sortie avec remise des clés est intervenu le 10 février 2017.

Le bailleur ayant déduit le loyer dû entre le 10 et le 12 février 2017, les locataires l’ont assigné en remboursement devant le tribunal d’instance.

Le premier juge, pour faire droit à cette demande, considérait que le bailleur devant consentir à la prolongation d’occupation du logement, ce n’était pas le cas en l’espèce et n’avait donc pas pu permettre aux locataires d’occuper plus longtemps le logement.

La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi du bailleur, casse sans renvoi cet arrêt rendu au visa de l’article 15 I de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 en ces termes :

« Lorsque le congé est donné par le preneur pour une date déterminée, le bail est résilié à cette date si elle est postérieure à l’expiration du délai légal de préavis ».

Par cet arrêt de principe, la Cour de cassation précise que par sa seule volonté le preneur peut reporter la date d’expiration du bail, à condition que la date d’effet du congé soit postérieure au délai légal de préavis, sans que le bailleur ait à y consentir.

Par conséquent, le preneur est engagé contractuellement jusqu’à la prise d’effet du congé, indifféremment des conditions matérielles d’occupation des lieux.

Ainsi, la Cour de cassation distingue également par cette décision la libération matérielle des lieux de l’expiration juridique du bail, de telle sorte que les loyers sont dus jusqu’au second événement, quand bien même il serait précédé du premier.

Le changement d’affectation des agents victimes de harcèlement moral

L’article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portants droits et obligations des fonctionnaires prévoit une protection particulière s’agissant des agents victimes d’agissements de harcèlement moral. Il dispose en effet qu’ « aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa […] ».

Par une décision en date du 19 décembre 2019, le Conseil d’Etat est venu apporter une nuance à cette interdiction de principe, en précisant que l’administration peut imposer à l’agent victime de harcèlement moral une mesure relative à son affectation, à sa mutation ou à son détachement, mais dans son intérêt ou dans l’intérêt du service.

Le Conseil d’Etat précise dans cet arrêt que l’appréciation du juge administratif sur la légalité d’une telle mesure s’opère en deux temps.

Ainsi, lorsqu’une telle mesure est contestée devant lui par un agent public au motif qu’elle méconnaît les dispositions précitées de l’article 6 quinquies, il incombe d’abord au juge administratif d’apprécier si l’agent a subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement moral. S’il estime que tel est le cas, il lui appartient, dans un second temps, d’apprécier si l’administration justifie n’avoir pu prendre, pour préserver l’intérêt du service ou celui de l’agent, aucune autre mesure, notamment à l’égard des auteurs du harcèlement moral.

En l’espèce, l’agent, commandant de Port en position de détachement depuis son Ministère d’origine, avait déposé une plainte pénale pour des faits de harcèlement moral à la suite de tensions avec le directeur général du Port. L’autorité administrative avait en conséquence mis fin à son détachement et l’agent déposé un recours en annulation à l’encontre de cette mesure, confirmée par le Tribunal puis la Cour.

Le Conseil d’Etat a cependant considéré que la Cour avait commis une erreur de droit, dès lors qu’elle n’avait pas recherché si l’agent avait été victime d’agissements de harcèlement moral de la part du directeur général du Port et, dans l’affirmative, si son administration d’origine justifiait n’avoir pu prendre d’autre mesure que la mesure litigieuse pour préserver l’intérêt du service et celui de l’agent.

Par conséquent, si l’administration peut édicter une telle mesure à l’encontre d’un agent victime de harcèlement moral, ce n’est qu’à la condition qu’elle soit en capacité de démontrer qu’elle n’a pu prendre aucune autre mesure pour préserver l’intérêt du service ou celui de l’agent. A défaut, la mesure pourrait en effet être regardée comme fondée sur la dénonciation du harcèlement et, de ce fait, jugée irrégulière.