Des dispositions temporaires dérogatoires pour le transport de gels hydroalcooliques et déchets médicaux

La Ministre de la transition écologique a publié au Journal officiel du 5 novembre 2020 un arrêté permettant de déroger à certaines dispositions de l’arrêté du 29 mai 2009 relatif aux transports de marchandises dangereuses par voies terrestres (dit arrêté TDM) et de l’accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par route (dit accord ADR) du 30 septembre 1957, concernant les transports de gels et solutions hydroalcooliques et de déchets médicaux.

 

Les dispositions de cet arrêté, entrées en vigueur le 6 novembre 2020, seront valables jusqu’au 31 janvier 2021 et constituent une adaptation du droit aux conséquences de la crise sanitaire actuelle.

 

L’arrêté prévoit ainsi des règles propres au transport des produits susmentionnés. Ainsi, s’agissant des gels et solutions hydroalcooliques, ces derniers devront être affectés au n° ONU 1170, 1219, 1987 ou 1993 (c’est-à-dire devant correspondre à un numéro permettant d’identifier les matières dangereuses dans le cadre de leur transport, tel que défini par le comité d’experts des Nations Unies pour le transport des matières dangereuses) et être transportés en récipients de 5 litres maximum et en quantité totale de 240 litres maximum par unité de transport lorsque le transport concerne la collecte de ces produits auprès des fabricants et leur livraison auprès des pharmaciens d’officines ou des utilisateurs finaux ; lorsque ces dispositions sont respectées, celles figurant dans l’accord ADR et dans l’arrêté TDM ne sont plus applicables.

 

S’agissant des déchets médicaux, seuls sont concernés les déchets relevant du n° ONU 3291, c’est-à-dire les déchets d’hôpital, non spécifié, n.s.a[1] ou les déchets (bio)médicaux réglementés, n.s.a. L’arrêté prévoit à leur égard une procédure de conditionnement (types d’emballage, suremballage) particulière, qui nécessite un accord écrit entre l’établissement de soins producteur et le collecteur ou le transporteur, en vue de s’assurer de la compatibilité de ces conditionnements avec les chaînes de traitement, notamment des incinérateurs. L’arrêté prévoit également les types de véhicules et les conducteurs pouvant réaliser ces transports. Contrairement aux gels hydroalcooliques, l’arrêté prévoit que les dispositions de l’accord ADR et de l’arrêté TDM autres que celles spécifiées restent applicables.

[1] Non spécifié par ailleurs

Protection des espèces : le projet du Charles de Gaulle (CDG) Express ne répond pas à des raisons impératives d’intérêt public majeur

Par une décision du 9 novembre 2020, le Tribunal administratif de Montreuil s’est prononcé sur le projet de liaison ferroviaire directe Charles de Gaulle (CDG) Express, devant relier la Gare de l’Est de Paris à l’aéroport Paris Charles de Gaulle, notamment sur les raisons impératives d’intérêt public majeur fondant l’octroi d’une dérogation à la protection des espèces protégées pour ce projet.

Le trajet du projet de CDG Express traversant la commune de Mitry-Mory, celle-ci a sollicité l’annulation de l’arrêté inter-préfectoral portant autorisation environnementale unique du CDG Express, en date du 11 février 2019. Cet arrêté portait notamment, au titre de l’article L. 411-2 4° du Code de l’environnement, dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux sites, aux espèces protégées ou à leur habitat.

Pour rappel, l’article L. 411-1 du Code de l’environnement interdit en effet de porter atteinte aux sites d’intérêt géologique, aux espèces animales ou végétales protégées ainsi qu’à leur habitat. Des dérogations peuvent néanmoins être accordées selon des conditions cumulatives strictement définies à l’article L. 411-2 4° du Code de l’environnement. Il est ainsi nécessaire :

  • qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante ;
  • que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
  • que la dérogation vise la protection d’un intérêt, l’octroi d’une dérogation étant notamment prévu dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur.

Dans sa décision commentée du 9 novembre 2020, le Tribunal administratif de Montreuil a examiné si le CDG Express répondait à une raison impérative d’intérêt public majeur. Il est intéressant de relever que le juge s’appuie notamment sur le contexte économique et sanitaire actuel, lequel a entrainé une forte diminution de la fréquentation des aéroports, pour considérer que le CDG Express n’est pas justifié par une telle raison. Le juge énonce à cet égard que, « en l’absence de tout élément permettant, à la date du présent jugement, de regarder cette situation comme purement transitoire et conjoncturelle, il ne résulte pas de l’instruction qu’une reprise de la croissance du trafic aérien puisse être anticipée à la date prévisible de mise en service de l’infrastructure litigieuse ».

Le Tribunal administratif de Montreuil considère également qu’il n’est pas établi que la mise en place de la ligne du CDG Express apporterait une contribution significative au maintien de l’attractivité de Paris et de sa région, ni participerait à la réduction de la saturation du RER B, desservant actuellement l’aéroport Paris Charles de Gaulle, ou du trafic routier. Il est néanmoins indiqué qu’ « il ne peut être sérieusement contesté que le transfert modal de la route vers le rail constitue un intérêt public majeur ».

Le juge en conclut que le projet du CDG Express ne peut donc, au regard du changement de circonstances de faits lié à la crise sanitaire actuelle, être regardé comme « constituant une infrastructure indispensable, répondant, par conséquent, à des raisons impératives d’intérêt public majeur ».

Par conséquent, le juge prononce l’annulation partielle de l’autorisation environnementale, en tant qu’elle vaut dérogation à la protection des espèces protégées. Ainsi, l’arrêté préfectoral, en ce qu’il autorise les travaux menés au titre de la police de l’eau et vaut absence d’opposition à des travaux susceptibles d’affecter de manière significative un site Natura 2000, n’est ni annulé ni suspendu dans le cadre de cette décision.

Simplification administrative : création de la Commission de l’économie du développement durable

Le décret n° 2020-1369 du 10 novembre 2020, publié au Journal officiel du 13 novembre 2020, a créé la Commission de l’économie du développement durable.

 

Cette commission a pour mission d’apporter un éclairage économique lors de l’élaboration et l’évaluation des politiques publiques dans les domaines de l’environnement, de l’énergie, du climat, des transports et du logement, notamment par l’analyse des données statistiques et la confrontation des analyses économiques. Elle est en outre compétente pour conduire des études sur les perspectives et enjeux de ces politiques, à la demande des ministres chargés de l’environnement, de l’énergie, du climat, des transports et du logement. Elle remplace à cet égard quatre organismes ; le conseil économique pour le développement durable, la commission des comptes et de l’économie de l’environnement, la commission des comptes du logement et la commission des comptes des transports de la Nation. La commission de l’économie du développement durable a en effet été créée dans un objectif de simplification administrative, le gouvernement souhaitant réduire le nombre de commissions consultatives.

 

Des formations permanentes assistent la Commission. Au nombre de quatre, leur mission est « d’examiner les comptes et les indicateurs économiques dans les domaines du transport, du logement, de l’environnement, de l’énergie et du climat » (article 3 du décret commenté). En plus de ces commissions permanentes, la Commission de l’économie du développement durable peut également constituer des groupes d’experts afin de répondre à des questions particulières.

 

La Commission se compose de trente-quatre membres ; neuf membres de droit, parmi lesquels le commissaire général au développement durable, le directeur général du Trésor ou encore le président du Haut conseil pour le climat, quinze membres nommés par les ministres de l’environnement, de l’énergie, du climat, des transports et du logement et dix personnalités qualifiées nommées par ces ministres pour leur compétence dans les domaines d’expertise de la Commission.

 

Cette Commission et ses formations permanentes se réuniront au moins une fois par an.

Réorganisation du groupe EDF : quelles sont les implications juridiques du projet Hercule ?

Initié par le Gouvernement d’Edouard Philippe qui a demandé au groupe EDF de réfléchir à sa propre réorganisation, le projet baptisé « Hercule » devrait aboutir dans les prochains mois à un remaniement profond des différentes composantes du secteur électrique français que sont les activités de production, de transport, de distribution et de fourniture d’électricité exercées par le groupe EDF.

Le groupe EDF, détenu à 83,7% par l’Etat, acteur historique de l’électricité en France, quoique son statut juridique et sa forme ont évolué depuis la nationalisation de l’électricité en 1946, sous le coup du droit de l’Union européenne notamment, demeure à ce jour un acteur central de ces quatre activités.

La présentation officielle du projet Hercule, qui devait initialement être effectuée en fin d’année 2019, a été repoussée à plusieurs reprises, en raison notamment de la prolongation des discussions entre l’Etat français et les instances européennes.

Si le schéma précis de cette réorganisation demeure, pour l’heure, incertain faute pour l’Etat et EDF d’avoir communiqué clairement sur les options à l’étude, plusieurs pistes semblent se dessiner (I).

Et, au vu des informations publiées à ce stade dans la presse, l’articulation de ce projet avec le cadre juridique actuel ne peut que générer des interrogations (II).

 

 

I – Que sait-on à ce jour du projet Hercule ?

 

Au préalable, on rappellera qu’actuellement les quatre activités composant le secteur électrique sont organisées de la manière suivante :

  • La production d’électricité est une activité ouverte à la concurrence même si la production d’électricité nucléaire fait l’objet d’un régime juridique spécifique, accordant une place centrale à EDF et à l’Etat.
    Au sein du groupe EDF, c’est EDF maison-mère, elle-même, qui gère l’activité de production nucléaire ; le groupe EDF détient en outre une filiale de production d’énergie renouvelable (EDF Electricité Nouvelle, EDF EN).
  • Le transport et la distribution d’électricité sont des activités qui ne relèvent pas de secteurs concurrentiels puisqu’elles sont exercées dans le cadre de droits exclusifs, de monopoles légaux, respectivement par RTE et Enedis[1]. Si les deux entités sont toutes deux des filiales d’EDF, cette dernière ne détient que 50,1% du capital de RTE à ce jour, tandis qu’Enedis est, pour sa part, une filiale à 100% d’EDF.
    Ces activités font en outre l’objet d’une régulation nationale, en particulier sur les sujets tarifaires, exercée par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), outre le contrôle de l’activité de desserte par les autorités organisatrices de la distribution d’électricité (AODE), autorités concédantes des contrats de concession de service public qui les lient à la société Enedis.

  • L’activité de fourniture est également ouverte à la concurrence[2]. Au sein du groupe EDF, c’est là encore EDF elle-même qui gère cette activité. Mais cette activité cohabite avec une branche d’activité commerciale, confiée en monopole à la maison-mère EDF elle-même, s’agissant de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente (TRV), activité également régulée par la CRE et contrôlée par les mêmes AODE.

 

Cette organisation est en passe d’être profondément revue par la réorganisation du groupe.

Deux schémas d’organisation ont été successivement évoqués dans la presse depuis 2019.

Ainsi, dans un premier temps, il a été fait état[3] des modalités de réorganisation suivantes :

  • La création d’une structure dite EDF Bleue dont le capital serait détenu à 100% par l’Etat et qui regrouperait en son sein :
    • L’activité de production nucléaire ;
    • L’activité de production hydraulique, avec pour objectif que cette dernière se trouve dans une relation « in house » ou de « quasi-régie » avec l’Etat ;
    • Les activités de transport d’électricité, RTE devenant une filiale de cette EDF Bleue.

 

  • La création d’une structure dite Verte, filiale de l’entité EDF Bleue, dont le capital serait partiellement détenu par EDF Bleue, le reste de son capital étant ouvert à tous investisseurs, et qui regrouperait notamment en son sein :
    • Les activités de distribution d’électricité actuellement gérées par Enedis ;
    • Les activités de fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente (ci-après, TRV) actuellement gérées par EDF ;
    • Les activités de fourniture d’électricité aux offres de marché actuellement gérées par EDF maison-mère ;
    • Les activités de production d’électricité renouvelable, actuellement gérées par EDF EN ;
    • Les activités d’EDF réalisées en dehors du territoire métropolitain ;

 

Toutes ces sociétés, actuellement gestionnaires des activités susvisées, deviendraient des filiales d’EDF Verte, et donc des sous-filiales d’EDF Bleue.

Plus récemment, une variante de ce schéma a été relayée dans divers articles[4]. Ce schéma reposerait sur trois (et non plus deux) entités distinctes :

  • une société EDF Bleue qui abriterait l’activité de production nucléaire et qui serait détenue à 100 % par l’État ;
  • une société dénommée EDF Azur, détenue en tout ou partie par EDF Bleue, qui gérerait l’activité hydro-électrique avec, comme dans le premier schéma, l’objectif que cette dernière se trouve dans une relation « in house » ou de « quasi-régie » avec l’Etat ;
  • enfin, une société EDF Verte, qui ne serait que partiellement détenue par l’État, dans laquelle seraient logées les activités de production d’énergies renouvelables, la fourniture d’électricité, la distribution d’électricité et les autres activités en concurrence comme Dalkia.

 

Si la physionomie définitive du groupe EDF remanié devrait bientôt être connue, un certain nombre d’interrogations juridiques peuvent être identifiées.

 

 

II – Les principaux questionnements et enjeux juridiques inhérents au projet Hercule

 

Au-delà du sujet du sort du personnel des différentes entités du groupe EDF dont la presse se fait régulièrement l’écho[5], cette réorganisation soulève un certain nombre d’interrogations juridiques liées à l’organisation du secteur de l’électricité, au droit de la concurrence et au droit de la commande publique. On abordera ces questions pour chaque grand sujet électrique au cœur de cette réforme ambitieuse.

 

  • Le sujet du nucléaire

Le sujet du nucléaire est celui qui est à l’origine et au cœur du projet de réorganisation du groupe.

En effet, le groupe EDF est fortement endetté (avec une dette financière nette de 41 milliards d’euros à fin 2019) et fait face à ce qui est régulièrement décrit comme « un mur d’investissements », notamment au titre de la rénovation du parc nucléaire existant et de la construction de l’EPR de Flamanville.

Pour contribuer à ces investissements, une réforme de la régulation du nucléaire avec un projet de nouveau mécanisme d’Accès Régulé au Nucléaire Historique (ci-après, ARENH) supposé mieux garantir les revenus d’EDF est sollicitée de longue date, tant par le groupe, que par la CRE[6].

Le mécanisme actuel repose sur l’obligation pour EDF, le producteur historique d’électricité d’origine nucléaire, de vendre une partie de cette électricité à ses concurrents fournisseurs d’électricité qui en font la demande au tarif actuel de 42 € / MWh. L’obligation de vente aux fournisseurs dans le cadre de l’ARENH est par ailleurs aujourd’hui plafonnée à un volume global de 100 TWh par an. Par ailleurs, si les fournisseurs d’électricité ont la possibilité de recourir à l’ARENH lorsque les prix d’achat de gros sont supérieurs à 42 € / MWh, ils n’ont à l’inverse pas d’obligation à y recourir lorsque les prix du marché sont inférieurs à ce prix.

La société EDF souhaite non seulement l’augmentation de ce tarif de 42 € / MWh, qu’elle juge trop faible, de manière à couvrir les frais de production et assurer l’entretien et le développement du parc nucléaire français, mais plus généralement une refonte du système dans le cadre duquel (en synthèse) les fournisseurs dédommageraient EDF lorsqu’ils recourent au marché de gros. C’est l’objet du projet de nouvelle régulation économique du nucléaire existant (NOREN) qui a également circulé.

Mais, toute refonte du dispositif de l’ARENH en faveur d’EDF est susceptible d’entrer dans le champ du régime des aides d’Etat.

C’est la raison pour laquelle il serait envisagé de recourir à la notion de Service d’Intérêt Economique Général (SIEG), issue du droit de l’Union Européenne, pour désigner les activités économiques revêtant un caractère d’intérêt général qui sont confiées à une entreprise par un acte exprès de puissance publique, qui se traduit habituellement en droit interne par « l’attribution du label de service public »[7]. Confier à EDF la charge de gérer un SIEG de la production nucléaire permettrait en outre de justifier les aides financières étatiques qui apparaîtraient alors comme des « compensations de service public »[8].

Pour autant, tout plan d’aide à la filière nucléaire historique (y compris au moyen de la création d’un SIEG) devrait être organisé de telle manière qu’aucun bénéfice ne puisse en être tiré par les autres entités du groupe EDF intervenant dans des secteurs concurrentiels.

C’est la raison pour laquelle la Commission européenne insisterait, selon les informations parues dans la presse, sur la nécessité de garantir l’étanchéité juridique et financière entre les différentes entités du groupe.

La piste de la filière nucléaire serait donc la renationalisation de l’activité nucléaire en France.

 

  • Le sujet des concessions hydroélectriques

Les règles applicables aux concessions hydroélectriques ont substantiellement évolué au cours des dernières années et soumettent désormais l’attribution des concessions d’énergie hydraulique à l’organisation d’une procédure de publicité et de mise en concurrence préalables, par l’Etat, qui est l’autorité concédante.

Néanmoins, l’Etat français se refuse pour l’heure à organiser de telles procédures, et maintient en vigueur des concessions échues depuis plusieurs années. Pour ce faire, l’Etat a notamment recours à la notion de « délais glissants » organisé par l’article L. 521-16 du Code de l’énergie qui permet la prorogation du contrat antérieur au-delà de son terme jusqu’à la délivrance d’une nouvelle concession dans l’hypothèse où une telle nouvelle concession n’aurait pu être conclue avant l’expiration de la précédente.

Le recours à ce procédé est regardé comme une manière d’éviter de procéder à des mises en concurrence par la Commission européenne qui le dénonce régulièrement. Le 7 mars 2019, la Commission européenne a mis la France en demeure de respecter le droit de l’union européenne s’agissant des concessions hydroélectriques[9].

Dans ce cadre, la création d’une entité se trouvant dans une situation de « quasi-régie » ou « in house »[10] vis-à-vis de l’Etat[11] pour gérer les concessions hydroélectriques est recherchée pour éviter l’organisation de procédures de publicité et de mise en concurrence et mettre un terme au désaccord en cours avec la Commission européenne[12].

Encore récemment, interrogée par un parlementaire sur les orientations du gouvernement en la matière, la Ministre de la Transition Ecologique[13] a indiqué que des discussions étaient en cours avec la Commission européenne, avec en toile de fond la réorganisation du groupe EDF, et que la création d’une structure dédiée détenue par l’Etat faisait partie des pistes à l’étude.

Néanmoins, la création d’une structure dédiée détenue intégralement par l’Etat ne règlerait que le cas d’EDF, et laisserait entière la question des concessions hydro-électriques attribuées à d’autres entités, que sont notamment la Compagnie Nationale du Rhône et la Société Hydro-Electriques du Midi[14].

Ces deux entités, émanations du groupe Engie, sont en effet titulaires de plusieurs concessions échues ou en passe de l’être mais ne se trouveraient pas, pour leur part de manière certaine, dans une relation de quasi régie vis-à-vis de l’Etat.

Si bien qu’elles ne pourraient pas se voir attribuer de gré à gré de nouvelle concessions hydroélectriques par l’Etat qui aurait donc le choix entre l’organisation d’une procédure de mise en concurrence permettant à ces sociétés de candidater, et l’attribution directe à l’entité créée au motif qu’elle se trouverait dans une situation de quasi régie. L’on devine aisément la tension que cela susciterait.

 

  • Le sort des concessions de distribution d’électricité

Les collectivités territoriales et leurs groupements (souvent des syndicats mixtes) sont les propriétaires des réseaux publics de distribution d’électricité en leur qualité d’autorités organisatrices de la distribution d’électricité (AODE). Ce sont ces collectivités et groupements de collectivités qui concèdent, dans le cadre de contrats de concession conclus avec Enedis[15], la mission de gestion des réseaux de distribution d’électricité.

On sait qu’actuellement, Enedis dégage chaque année des bénéfices importants contribuant à amoindrir les mauvais résultats du groupe, ci-dessus évoqués, du fait de la consolidation des comptes. Le sort de l’activité de distribution d’électricité présente donc un enjeu fort dans la réorganisation globale.

Or, de nombreux élus ont pu déplorer l’absence totale d’association des collectivités et de leurs groupements aux discussions liées à la réorganisation du groupe alors qu’elles sont les propriétaires des réseaux, les autorités organisatrices de ce service public local de la distribution publique d’électricité, et qu’elles entendent plus que jamais recentrer le réseau de desserte électrique dans les enjeux de transition énergétique.

Au-delà de cette opacité générale vis-à-vis des territoires, l’ouverture éventuelle du capital de la future entité EDF Verte (qui reprendrait a priori les activités d’Enedis) à des tiers investisseurs a pu être évoquée dans la presse et a soulevé de nombreuses inquiétudes des AODE.

En effet, celles-ci craignent que les politiques d’investissement sur leurs réseaux (qui peuvent d’ores et déjà donner lieu à certains désaccords avec Enedis) soient désormais décidées par des actionnaires guidés par des logiques de rentabilité financière plutôt que de valorisation du patrimoine constitué par les réseaux.

Par extension, les AODE ont fait état de leur crainte de voir la péréquation tarifaire et l’égalité de traitement des usagers à terme remises en cause par cette ouverture du capital. Autrement dit, les fondements mêmes du service public pourraient être bousculés.

Marianne Laigneau, présidente du directoire d’Enedis, a cependant affirmé publiquement le lundi 30 novembre 2020 qu’une telle ouverture n’était plus à l’ordre du jour[16].

Or, en cas d’ouverture du capital, avait été émise l’idée d’une éventuelle prise de participation des AODE au capital de l’entité qui assurerait l’activité de gestion des réseaux de distribution. Mais, il est vrai que seule une prise de participation substantielle permettrait de conférer aux actionnaires publics une forme de contrôle sur l’activité, contrôle qu’ils auraient au demeurant du mal à exercer compte tenu de la multiplicité des AODE.

Enfin, Enedis (comme RTE) et EDF s’agissant de l’activité de fourniture d’électricité aux TRV étant titulaires de droits exclusifs, il conviendrait à l’occasion du transfert de ceux-ci vers une nouvelle entité (l’EDF Verte a priori) de s’assurer de ce que les obligations assignées à cette nouvelle entité en justifient le maintien, tant au regard du droit national (appelé à évoluer pour mettre en œuvre une telle réforme) qu’en conformité avec le droit de l’Union européenne.

Sur ce dernier point, si la renationalisation du nucléaire et l’attribution de concessions hydro électriques dans le cadre de relations « in house » étaient confirmées, on peut légitimement penser que des gages devraient être donnés en termes d’ouverture à la concurrence des autres secteurs de ce marché intérieur de l’électricité.

Enfin, le transfert d’activités emportant transfert des contrats de concessions de service public attachés à ces activités, l’accord des autorités concédantes devra être questionné, de même que leur droit de regard et de rediscussion des équilibres contractuels de ces concessions.

***

Au vu de l’accélération des fuites d’informations dans la presse et des prises de parole ponctuelles de l’Etat ou des dirigeants du groupe EDF, la présentation officielle du projet Hercule par l’Etat et le groupe ne devrait désormais plus tarder.

Reste à savoir si les différentes difficultés juridiques auront été purgées au gré des discussions entre l’Etat et les instances européennes et si les collectivités locales, AODE, auront enfin été prises en compte dans ces discussions en leur qualité d’acteur majeur de la transition énergétique en France.

Par Marie-Hélène PACHEN-LEFEVRE et Marianne HAUTON

 

[1] Ou les Entreprises Locales de Distribution (ELD) sur leurs périmètres de desserte sur 5% du territoire national.

[2] A l’exception de la fourniture d’électricité par les Entreprises Locales de Distribution dans leurs périmètres de desserte historique.

[3]https://lenergeek.com/2020/01/10/projet-hercule-restructuration-edf-ete-2020/; https://alliancedesenergies.fr/projet-hercule-edf/ ; https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/04/15/les-pistes-du-gouvernement-pour-decouper-edf_5450313_3234.html

[4]https://reporterre.net/Exclusif-Le-projet-fou-de-Bruxelles-pour-demanteler-EDF ; https://www.usinenouvelle.com/article/l-avenir-complique-d-un-eventuel-edf-azur-sanctuarisant-l-hydro.N1018094 ; https://www.lagazettedescommunes.com/702490/les-collectivites-inquietes-face-au-projet-de-restructuration-dedf/?abo=1

[5] https://www.challenges.fr/energie-et-environnement/face-au-projet-hercule-de-scission-du-groupe-les-syndicats-d-edf-appellent-a-la-greve_674012

[6] https://www.cre.fr/Actualites/la-cre-considere-qu-une-reforme-de-l-arenh-est-souhaitable

[7] Ministère de l’Economie et des Finances, Vade Mecum des aides d’Etats, Fiche n° 6 « Service public et aides d’Etat : l’articulation des articles 106 et 107 TFUE », 2019.

[8] Au sens de la jurisprudence dite Altmark (CJCE , 24 juillet 2003, C-280/00).

[9] Concessions en matière d’énergie hydroélectrique: la Commission demande à 8 États membres de se conformer au droit de l’Union, Bruxelles, le 7 mars 2019

[10] Art. 17 de la Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession

[11] A supposer, naturellement, que l’ensemble des conditions d’identification d’une relation de quasi régie soit remplies.

[12] Du reste, même si les décisions sont pour l’heure rares, le juge administratif française a d’ores et déjà eu l’occasion de confirmer la faute commise par l’Etat en se refusant à renouveler les concessions hydroélectriques échues (TA Paris, 27 juin 2019, n°1718129/4-3 ; et TA Paris, 27 juin 2019, n°1710303/4-3).

[13] Rép. Min. QE n° 10038, JO Sénat 22 octobre 2020, p. 4854

[14]https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/une-filiale-dengie-denonce-la-mainmise-dedf-sur-les-concessions-hydroelectriques-1258048

[15] Ou le cas échéant avec les Entreprises Locales de Distribution dans leurs périmètres.

[16] https://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRKBN28A0VY

Précisions sur la circulaire du 16 novembre 2020 portant sur le suivi du regroupement des organismes de logement social

L’échéance du 1er janvier 2021 imposée par la loi ELAN, obligeant les acteurs du secteur du logement social gérant moins de 12.000 logements sociaux à se regrouper et conduisant ainsi à un mouvement général de restructuration de ce secteur, a été maintenue.

Par une circulaire du 16 novembre 2020, la ministre chargée du Logement a demandé un suivi précis des opérations de regroupement des organismes de logement social.

S’agissant des opérations de regroupement en cours, trois catégories d’organismes sont distinguées :

La première catégorie concerne les organismes de logement social ayant un projet aux contours arrêtés, dont la mise en œuvre doit être accélérée à l’approche de l’échéance du 31 décembre 2020.

Font ainsi partie de cette catégorie « les organismes de logement social ayant significativement engagé les procédures administratives permettant d’aboutir à un regroupement viable à court terme ».

Plusieurs exemples sont ainsi donnés afin de préciser le contour de cette catégorie. Il est toutefois affirmé que « [n]e relèvent pas de cette catégorie les projets dont seul le principe est arrêté, même officiellement […] sans autre étape permettant d’attester de l’avancement du processus de regroupement ».

La ministre précise ainsi que ces opérations doivent être achevées au 1er janvier 2021.

La deuxième catégorie vise les organismes de logement social ayant un projet crédible en cours d’étude, dont la mise en œuvre fait l’objet de retards.

Les organismes de logement social appartenant à cette catégorie sont ceux ayant défini un scénario de regroupement conforme aux dispositions de la loi ELAN mais dont la mise en œuvre ne respectera pas avec certitude la date butoir du 1er janvier 2021 en raison de circonstances intrinsèques et/ou extrinsèques aux organismes.

Pour cette catégorie, il est demandé aux préfets et aux services déconcentrés de l’Etat d’obtenir, de la part de ces organismes, une confirmation du projet et un calendrier juridique opérationnel et précis pour mener à bien le projet de regroupement.

La ministre chargée du Logement les invite à organiser des réunions mensuelles afin de suivre l’état d’avancement des regroupements projetés et précise que ces projets devaient être achevés au premier trimestre 2021.

La troisième catégorie concerne les organismes de logement social ne communiquant pas sur leurs projets ou dont le projet envisagé n’est pas viable au regard des dispositions de la loi ELAN.

Ces derniers devront présenter un projet de regroupement crédible au plus tard le 11 décembre 2020. La ministre rappelle le dispositif de sanctions prévues par la loi ELAN pour les organismes qui ne seraient pas en conformité avec le texte.

Les modalités de contrôles de l’Inspection du travail sur le respect du protocole sanitaire intégrant le développement du télétravail

La mise en place du confinement depuis le 30 octobre 2020 s’est accompagnée d’une révision du protocole sanitaire en entreprise, publiée par le Ministère du Travail le 29 octobre 2020.

Ce protocole a annoncé le port du masque systématique dans les lieux de travail collectifs clos sans possibilité de dérogation, la possibilité d’organiser une campagne de dépistage de la Covid-19 en entreprise au moyen de « tests rapides » ainsi qu’un télétravail obligatoire à 100 % pour les activités qui le permettent.

Cette dernière annonce d’un télétravail élargi a soulevé plusieurs questions sur son opposabilité et ses modalités de mise en œuvre.

Le Ministère du travail a apporté une série de réponses à travers une instruction ministérielle en date du 3 novembre 2020 sur les modalités d’intervention de l’inspection du travail.

 

Sur l’opposabilité de l’obligation du télétravail prévue au protocole sanitaire

 

Dans le cadre d’une ordonnance de référé-urgence du 19 octobre 2020 (CE n° 444809) , le Conseil d’État a estimé que le protocole sanitaire constitue un ensemble de recommandations et ne revêt donc pas de caractère obligatoire.

Sur ce fondement, il a pu être estimé que la portée à 100% du télétravail « pour les salariés qui peuvent réaliser l’ensemble de leur tâches à distance » ne constituerait qu’une simple recommandation qui ne serait pas contraignante.

Face à cette analyse, le Ministère du Travail a formalisé dans son instruction ministérielle du 3 novembre 2020, le détaille les modalités de contrôle de l’inspection du travail au titre du respect du protocole sanitaire.

Le Ministère y rappelle que le protocole sanitaire constitue la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur inscrite aux articles L. 4121-2 et suivant du Code du travail.  Dès lors, l’Inspection du travail pourrait sanctionner la violation du protocole sur le fondement de ces dispositions du code du travail.

Il apparait donc que le développement du télétravail doit être mis en place au titre de l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur en cette période de crise sanitaire.

 

Sur la mise en œuvre de l’obligation du télétravail prévue dans le protocole sanitaire

 

L’instruction ministérielle détaille les raisons pouvant justifier de la présence de salariés dans l’entreprise lorsqu’ils peuvent assurer leurs missions en télétravail.

A cet égard, l’instruction propose des exemples développés à son titre 1.1 qui pourront être utilement repris.

Le télétravail à 100 % peut être dérogé dans les cas suivants:

  • Les fonctions managériale nécessitent une présence minimale sur site pour encadrer des équipes dont l’activité n’est pas réalisable à distance,
  • L’activité pour lesquelles le salarié a besoin d’accéder à certains outils, notamment informatiques, non accessible à distance.

  • Si des salariés témoignent de difficultés ou contraintes particulières dument justifiées, si le manager perçoit un risque psychosocial particulier.

A l’inverse, il est précisé que « le seul fait de vouloir organiser des réunions même managériales, ne saurait justifier de ne pas télétravailler, dès lors que ces réunions peuvent être organisées en audio ou vidéo ».

Dès lors, il apparait qu’en cas de contrôle de l’inspection du travail sur le respect des obligations de prévention et de sécurité de l’employeur, ce dernier doit être en mesure de justifier les tâches ou raisons objectives qui justifient la présence de salariés.

 

Il est conseillé aux employeurs de formaliser leur pratique de télétravail à travers une note de d’information auprès du CSE ou une note de service en l’absence d’élus du personnel justifiant les raisons de la présence des salariés qui peuvent assurer leurs missions en télétravail.

Méthode agile : l’absence d’expression des besoins, inhérente à cette méthode, réduit la responsabilité du prestataire informatique

Une société, intervenant sur le marché des animaux de compagnie, a fait appel à un prestataire informatique pour le développement de deux applications mobile et d’un site web notamment pour la gestion de la santé des animaux.

Pour ces prestations, les parties ont décidé de fonctionner selon les principes de la méthode agile. Cette méthode se caractérise par le fait qu’il n’y a de cahier des charges exprimant les besoins du client en amont du développement, celui-ci se construisant au fur et à mesure, en fonction d’itérations successives entre le prestataire et le client.

Reprochant finalement des lenteurs de livraison et de nombreux dysfonctionnements des applications mobiles, la société cliente a décidé de mettre fin à sa relation contractuelle avec son prestataire.

Un nouveau prestataire, ayant eu accès aux codes sources, a informé la société cliente de la nécessité de recommencer le développement des applications et du site web au vu des nombreux bugs constatés.

Dès lors, considérant que son premier prestataire n’avait pas exécuté ses obligations, la société cliente a saisi le Tribunal de commerce de Paris afin de se voir rembourser les factures réglées et être indemnisée de son préjudice.

Les juges ont refusé de faire droit à cette demande, estimant, au contraire, que le premier prestataire avait correctement exécuté ses obligations, compte tenu du choix de la méthode agile pour les développements.

En effet, les juges ont rappelé, tout d’abord, que les erreurs relevées, les réponses parfois tardives et la difficulté de s’accorder sur les prestations qui sont apparues entre le client et son prestataire sont inhérentes à l’absence de cahier des charges qu’implique la méthode agile et n’ont, de ce fait, pas revêtu un caractère anormal.

De même, il a été considéré qu’il ne pouvait être reproché au prestataire l’absence de tests (pour la vérification de la concordance des fonctionnalités livrées aux attentes de la société cliente) dans la mesure où de tels tests n’avaient pas été prévus contractuellement. Sur ce point le Tribunal de commerce a en outre relevé que la société cliente avait signé un procès-verbal de recette sans réserve et n’avait, par ailleurs, pas émis d’observations en réponse à un email du prestataire affirmant avoir réalisé déjà 80% du développement du site web.

Le tribunal, considérant que le prestataire avait bien exécuté ses obligations et n’avait, par conséquent, pas commis de faute, a rejeté l’ensemble des demandes de la société cliente.

Si la méthode agile a le vent en poupe depuis quelques années pour le développement d’applications et de internet, notamment du fait de la souplesse qui la caractérise (en tout cas sur le papier) et aussi de la possibilité qu’elle donne aux clients de pas avoir à fournir une expression des besoins détaillée en amont du projet (cet exercice pouvant d’avérer particulièrement difficile, surtout pour des clients n’étant pas des professionnels de l’informatique), elle n’est toutefois pas idéale. En optant pour elle, le client doit avoir à l’esprit que cette méthode déplace sur ses épaules une part de la responsabilité qui traditionnellement pèse sur les épaules du prestataire pour les prestations de conception et de développement. Au stade de la négociation du contrat, il est donc nécessaire, à défaut d’une expression des besoins classique, de prévoir des jalons de réalisation, des phases de tests, des niveaux de services précis y compris pendant la phase développement, et aussi des ressources, en interne, suffisantes pour suivre le développement du projet et les réalisations du prestataire.

Précisions sur les conditions de passation d’un accord-cadre et des marchés subséquents dans un accord-cadre mono-attributaire

Par un arrêt en date du 6 novembre 2020, le Conseil d’Etat a apporté d’utiles précisions quant aux conditions de passation des marchés subséquents d’un accord-cadre mono-attributaire.

S’agissant du contexte, rappelons que la métropole européenne de Lille avait lancé un appel d’offres ouvert pour l’attribution simultanée d’un accord-cadre mono-attributaire portant sur l’aménagement audiovisuel des bâtiments de la métropole et du marché subséquent n° 1 relatif à l’aménagement audiovisuel de son nouveau siège à Lille. Le règlement de la consultation établi par la métropole comprenait, d’une part, des critères de sélection des offres pour l’attribution de l’accord-cadre et, d’autre part, des critères d’appréciation des offres pour le marché subséquent n°1.

Or, saisi d’un référé précontractuel engagé par un concurrent évincé, le juge des référé du tribunal administratif de Lille avait annulé cette procédure au motif qu’il était « prohibé de prévoir des conditions d’attribution pour les marchés subséquents dans un accord-cadre mono-attributaire et contraire au principe de transparence de procéder à l’attribution simultanée d’un accord-cadre mono-attributaire et d’un marché subséquent ».

Toutefois, sur pourvoi de la métropole, le Conseil d’Etat a remis intégralement en cause la position du juge des référés précontractuel et a apporté, par là-même, d’utiles précisions concernant les accords-cadres à marchés subséquents mono-attributaire, précisément au considérant 5 de sa décision.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat a confirmé, sous l’empire des dispositions du Code de la commande publique, l’obligation qu’il avait dégagé dans sa décision UGAP (CE, 5 juillet 2013, req. n° 368448 et 368461, rec. T. p. 691) sous l’empire du code des marchés publics tenant à publier les conditions d’attribution des marchés subséquents dès la passation de l’accord-cadre.

En effet, le Conseil d’Etat a jugé qu’il résulte des articles L. 2125-1, R. 2162-2, R. 2162-6, R. 2162-7 et R. 2162-9 du Code de la commande publique que l’acheteur doit informer « les candidats sur les conditions d’attribution des marchés subséquents à un accord-cadre mono-attributaire dès l’engagement de la procédure d’attribution de cet accord-cadre, dans l’avis d’appel public à la concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats ».

Ensuite, et c’est l’apport majeur de cette décision, le Conseil d’Etat a complété le considérant 5 précité en relevant que « la circonstance qu’un accord-cadre soit conclu avec un seul opérateur économique n’implique pas que son titulaire bénéficie de l’octroi automatique des marchés subséquents passés dans ce cadre ».

Surtout, il a complété le principe précité en retenant qu’« aucune disposition du code de la commande publique ni aucun principe ne fait en effet obstacle à ce que les offres remises par le titulaire d’un accord-cadre mono-attributaire pour l’attribution des marchés subséquents soient notées et analysées, et que les marchés ne lui soient attribués que sous réserve de remplir certaines conditions ».

Enfin, cette décision apporte une dernière clarification : les acheteurs sont autorisés à engager une procédure de passation d’un accord-cadre mono-attributaire pour l’attribution simultanée de l’accord-cadre et du premier marché subséquent et dans laquelle « les candidats à l’attribution de l’accord-cadre [sont] invités à remettre également une offre pour ce premier marché ».

Toutefois, comme l’a relevé le Conseil d’Etat, l’acheteur doit veiller, dans une telle procédure d’attribution, à ce « que la comparaison des offres des candidats porte uniquement sur l’accord-cadre et non, de façon concomitante, sur celles remises pour le premier marché ».

Evolution de périmètre des EPCI : parution du décret sur le contenu du document d’orientation requis

La loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, dite « Engagement et proximité », a introduit l’article L. 5211-39-2 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) qui prévoit l’élaboration d’un document d’orientation présentant une estimation des incidences de l’opération sur les ressources et les charges ainsi que sur le personnel des communes et EPCI concernés, par l’auteur de la demande ou de l’initiative dans les procédures de rattachement d’une commune à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dans les conditions prévues à l’article L. 5210-1-2 du CGCT, de création par scission (article L. 5211-5-1 A du CGCT), d’extension du périmètre d’un EPCI dans les conditions prévues aux articles L. 5211-18 ou L. 5211-41-1 ou de retrait d’une commune dans les conditions prévues aux articles L. 5211-19, L. 5214-26 ou L. 5216-11 du CGCT.

Cet article prévoyait que le contenu de ce document serait précisé par décret, celui-ci est paru dans le JORF 14 novembre 2020.

L’article 1 du décret introduit ainsi deux articles D. 5211-18-2 et D. 5211-18-3 dans le CGCT, aux termes desquels le document d’orientation élaboré devra procéder à l’estimation des incidences de l’opération sur les ressources et les charges ainsi que sur le personnel des communes et établissements publics de coopération intercommunale concernés dans les conditions suivantes :

1- S’agissant des charges et ressources : l’estimation des incidences de la mise en œuvre de l’opération envisagée s’effectue, toutes choses égales par ailleurs, sur les ressources et les charges, par une évaluation des impacts potentiels sur les dépenses et les recettes et sur la base des informations communiquées par les établissements concernés :

    • le document évalue les impacts potentiels sur les dépenses en section de fonctionnement et en section d’investissement et à cet égard décrit, notamment, l’impact estimé sur les dépenses de personnel, les flux financiers croisés et les dépenses liées aux emprunts ;

       

    • il évalue les impacts potentiels sur les recettes des communes et établissements publics de coopération intercommunale concernés, en section de fonctionnement et en section d’investissement et à cet égard décrit, notamment, l’impact estimé sur les dotations, la fiscalité, les fonds de péréquation et l’emprunt ;

    • le document indique, le cas échéant, une clé de répartition estimative de l’actif et du passif entre les communes et établissements publics concernés.

 

2 – S’agissant de l’organisation des services : le document décrit les effets de la mise en œuvre de l’opération envisagée sur l’organisation des services des communes ou des établissements publics de coopération intercommunale concernés ainsi que sur les personnels affectés dans ces services et indique ainsi :

  • le cas échéant, si ces opérations déclenchent des transferts de personnels ou la mise à disposition de tout ou partie de services ;

  • le cas échéant également, une clé de répartition estimative des personnels entre les communes et établissements publics concernés par la demande ou l’initiative ;

  • le nombre de fonctionnaires et d’agents contractuels concernés et, s’agissant des agents titulaires, leur cadre d’emplois.

RIFSEEP et maladie : la latitude offerte à l’administration par la CAA de Nancy

Par un arrêt rendu le 18 novembre 2020, la Cour administrative d’appel de Nancy marque un tournant jurisprudentiel en ce qui concerne le régime indemnitaire tenant comptes des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) mis en place au sein des collectivités territoriales.

Jusqu’à présent, la jurisprudence administrative avait très largement restreint la marge de manœuvre dont disposaient les collectivités territoriales pour fixer les conditions dans lesquelles ce régime était fixé et versé, en retenant  une interprétation particulièrement stricte du principe de parité, tel qu’il est fixé à l’article 88 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

Pour rappel, ce principe prévoit que, si le régime indemnitaire des agents territoriaux est librement fixé par les collectivités, il ne peut l’être que « dans la limite de ceux dont bénéficient les différents services de l’Etat ». Plus encore, lorsque les collectivités  instaurent un régime indemnitaire assimilable au RIFSEEP (c’est-à-dire servi en deux parts, l’une afférente aux fonctions et l’autre à la manière de service), la somme de ces deux parts ne « peut dépasser le plafond global des primes octroyées aux agents de l’Etat ».

Si, à première lecture, on pouvait croire pouvoir s’en tenir au seul respect de ce plafond global, telle n’a pas été la lecture retenue par le contrôle de légalité et par les tribunaux administratifs. En effet, plusieurs juridictions du fond ont été saisies par le contrôle de légalité de déférés sollicitant l’annulation de délibérations instaurant le RIFSEEP, au motif que ces délibérations prévoyaient le maintien de ce régime indemnitaire pendant les congés de longue maladie et de longue durée. Les préfets considéraient en effet, que ce maintien était contraire au principe de parité dès lors qu’il n’était pas prévu au bénéfice des agents de l’Etat, qui n’en bénéficient qu’en congé de maladie ordinaire (cf. décret n° 2010-997 du 26 août 2010 relatif au régime de maintien des primes et indemnités des agents publics de l’Etat et des magistrats de l’ordre judiciaire dans certaines situations de congés). Ces juridictions ont toutes, à notre connaissance, donné raison au représentant de l’Etat, en censurant les dispositions plus favorables sans rechercher si, d’une façon générale, le fait d’accorder cet avantage entrainait en l’espèce un dépassement du plafond de régime indemnitaire pour l’Etat (TA Melun, 25 juin 2020, n° 1906861 ; TA Châlons-en-Champagne, 4 décembre 2018, n° 1801197 ; TA Grenoble, 19 février 2019, n° 1801918).

C’est sur un appel de l’une de ces décisions que la cour administrative d’appel de Nancy a semble-t-il ouvert la voie à une appréhension plus libérale du principe de parité, en ce qui concerne la définition des conditions de versement du RIFSEEP.

Constatant qu’en effet le régime instauré par la collectivité était plus avantageux sur ce point que celui prévu au bénéfice des agents de l’Etat, la cour a néanmoins choisi de dépasser cette seule considération pour examiner si, effectivement, cet avantage aboutissait à un régime indemnitaire plus favorable, c’est-à-dire à un dépassement du plafond de l’indemnité fixée au bénéfice des agents de l’Etat. En l’espèce, la cour a précisément considéré que le seul fait que le régime soit plus avantageux sur ce point n’établissait pas à lui seul que le régime était dans son ensemble plus favorable, c’est-à-dire qu’il aboutissait à octroyer aux agents territoriaux un régime indemnitaire dépassant le plafond fixé pour les agents de l’Etat.

Cette circonstance n’étant pas démontrée, la cour a jugé que la méconnaissance du principe de parité n’était pas établie.

L’arrêt accorde ainsi une marge de manœuvre plus importante aux collectivités territoriales dans la fixation de leur régime indemnitaire, rappelant que la collectivité était « libre de déterminer les critères d’attribution des primes correspondant à la part du RIFSEEP que constitue l’IFSE », ce qui ne ressortait pas de décisions rendues jusqu’à présent, bien au contraire. Il ne suffirait donc pas de constater un avantage ponctuel dans ces conditions d’attribution pour considérer le principe de parité est méconnu mais il faudrait que le dispositif, dans son ensemble, soit plus favorable.

L’arrêt, sous réserve qu’il ne soit pas censuré à l’occasion d‘un éventuel pourvoi en cassation auprès du Conseil d’Etat, pourrait donc rendre aux collectivités la pleine jouissance de leur pouvoir de libre administration en ce qui concerne le régime indemnitaire, qu’elles avaient tendanciellement vu s’amoindrir avec l’instauration du RIFSEEP leur imposant généralement de reprendre telle quelle la règlementation étatique.

Si cette jurisprudence était confirmée, les collectivités pourraient choisir d’accorder à leurs agents un régime plus avantageux sur certains points, à condition qu’ils le soient moins sur d’autres, sans méconnaitre le principe de parité. Pour l’heure en tout cas, la jurisprudence pourra être utilement opposée au contrôle de légalité ou aux juridictions à l’occasion de litiges en la matière.

Apports de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire sur le fonctionnement institutionnel des collectivités et de leurs groupements en temps de crise sanitaire

DGCL, 17 novembre 2020,  Notice explicative de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire

 

 

La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire comporte des dispositions intéressant le fonctionnement institutionnel des collectivités territoriales et groupements de collectivités territoriales.

 

En particulier, son article 6 prévoit la possibilité :

 

1 – Pour l’exécutif d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales, lorsque le lieu de réunion de l’organe délibérant ne permet pas d’assurer sa tenue dans des conditions conformes aux règles sanitaires en vigueur, de réunir l’organe délibérant « en tout lieu », dès lors que celui-ci ne contrevient pas au principe de neutralité, qu’il offre les conditions d’accessibilité et de sécurité nécessaires et qu’il permet d’assurer la publicité des séances, sous réserve d’en informer préalablement le représentant de l’État dans le département ou son délégué dans l’arrondissement (article 6, I).

Cette possibilité est ouverte jusqu’au terme de l’état d’urgence sanitaire déclaré par décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020, soit en l’état actuel des textes jusqu’au 16 février 2021 (article 6, III).

Notons que la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) précise dans sa note explicative de la loi parue le 17 novembre 2020, s’agissant des conditions de recours à cette possibilité, d’une part, qu’aucune délibération préalable n’est requise (de façon logique, puisqu’il s’agit d’une décision de l’exécutif) et d’autre part que ce changement de lieu doit être motivé par la lutte contre la propagation de l’épidémie de Covid-19 et l’impossibilité de respecter les règles sanitaires dans le lieu habituel de réunion.

Elle indique enfin que la condition selon laquelle le lieu choisi doit permettre d’assurer la publicité des séances intéresse la période qui suivra le confinement ; en effet, précise-t-elle également « l’assistance aux débats des organes délibérants ne constitue pas un motif d’autorisation de sortie dérogatoire. La réunion des organes délibérants se déroule donc nécessairement en l’absence de public (mis à part, le cas échéant, les journalistes) ».

 

2- Pour l’exécutif d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales, pour assurer le respect des règles sanitaires en vigueur, de décider que la réunion de l’organe délibérant se tiendra sans public ou que celui-ci comprendra un nombre maximal de personnes dès lors que, pour assurer le caractère public de la réunion, les débats sont accessibles en direct au public de manière électronique et sous réserve de mentionner cette décision sur la convocation de l’organe délibérant (article 6, II).

Cette possibilité est comme la précédente ouverte jusqu’au terme de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020 (soit à ce jour le 16 février 2021 – article 6, III de la loi).

Ce dispositif, précise la DGCL dans sa note explicative, même s’il est d’ores et déjà en vigueur, ne trouvera son plein intérêt qu’entre la fin du confinement et la fin de l’état d’urgence sanitaire dès lors qu’à ce jour le public n’est pas autorisé à se déplacer, ainsi qu’évoqué plus haut.

 

3- Pour les organes délibérants des collectivités territoriales et « des établissements publics qui en relèvent », les commissions permanentes des conseils départementaux et régionaux, de la collectivité territoriale de Guyane et du Département de Mayotte et les bureaux des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, de délibérer valablement lorsque le tiers de leurs membres en exercice est présent ; il est à préciser d’une part que si, après une première convocation régulièrement faite, ce quorum n’est pas atteint, l’organe délibérant, la commission permanente ou le bureau concerné est à nouveau convoqué à trois jours au moins d’intervalle et délibère alors sans condition de quorum et d’autre part que, dans tous les cas, un membre de ces organes, commissions ou bureaux peut être porteur de deux pouvoirs (article 6, IV).

Cette possibilité est elle aussi ouverte jusqu’au terme de l’état d’urgence déclaré par le décret du 14 octobre 2020 (article 6, IV).

Notons que le texte ne précise pas – ni la note de la DGCL – quels établissements publics sont visés par ces dispositions, le terme d’établissement public « relevant » des collectivités n’étant pas défini par la loi ; notons toutefois qu’il se distingue sémantiquement de la notion de « rattachement » et pourrait donc être considéré comme plus large, étant en outre précisé qu’une précédente note de la DGCL en date du 1er avril 2020, relative aux dispositions de la précédente loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020, rédigée dans des termes identiques, apparaissait retenir l’application de ces dispositions aux structures de coopération locale et en particulier aux groupements de collectivités territoriales.

 

4- Enfin, sont « réactivées » les dispositions de l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 relatives à la téléconférence et visioconférence (initialement en vigueur jusqu’au 30 octobre 2020), à compter du 31 octobre 2020 (donc de façon rétroactive) et jusqu’au terme de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 (article 6, V, 2°).

Cette rétroactivité, précise la DGCL, « permet de couvrir les réunions organisées en téléconférence entre le 31 octobre 2020 et la date d’entrée en vigueur de la loi ».

Il est également précisé par la loi (article 6, V, 1°) que, lorsqu’il est recouru à la visioconférence dans ce cadre légal, il est dérogé aux dispositions de droit commun relatives à l’usage de la visioconférence par les EPCI à fiscalité propre (article L. 5211-11-1 du CGCT créé par la toute récente loi  « engagement et proximité » du 27 décembre 2019) ; ainsi, indique la DGCL, « lorsqu’il est décidé d’utiliser le dispositif de l’ordonnance n°2020-391, les conditions de mise en œuvre sont celles de l’ordonnance, plus souples que celles des articles L.5211-11-1 et R.5211-2 et s. (ces derniers nécessitant notamment une délibération préalable déterminant les salles qui seront équipées d’un système de téléconférence, accessibles au public, etc.) ».

 

L’ensemble de ces dispositions dérogatoires est applicable aux communes, aux établissements publics de coopération intercommunale et aux syndicats mixtes de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie (article 6, VI).

Il est à relever que la note explicative établie par la DGCL propose un tableau récapitulatif de l’ensemble de ces dispositifs.

En outre, la « Foire aux questions » de la DGCL relative à la continuité institutionnelle et aux dispositions dérogatoires pour les collectivités territoriales pendant l’état d’urgence sanitaire a été mise à jour des dispositions de la loi du 14 novembre 2020.

Licenciement pour insuffisance professionnelle : pas de droit à la communication du rapport de saisine du Conseil de discipline

Le Conseil d’État, dans un arrêt du 9 octobre 2020 (n°429563), précise que le rapport établi par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire n’a pas à être obligatoirement communiqué au fonctionnaire faisant l’objet d’une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle.

En l’espèce, une professeure d’histoire-géographie de collège en Polynésie française avait été licenciée pour insuffisance professionnelle par un arrêté de la ministre de l’éducation nationale, du 12 décembre 2016, qu’elle a contesté en vain devant le tribunal administratif de la Polynésie française puis devant la cour administrative d’appel de Paris dont l’arrêt a été frappé de pourvoi.

L’enseignante soutenait que le rapport de saisine du Conseil de discipline ne lui avait pas été transmis et comportait des griefs dont elle n’avait pas eu connaissance, ce qui entachait d’irrégularité la procédure puisque ses droits de la défense auraient, selon elle, étaient méconnus.

En application de l’article 19 du statut général de la Fonction publique, lorsqu’une procédure disciplinaire est engagée à l’encontre d’un fonctionnaire, celui-ci « a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes ». En outre,  le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire des fonctionnaires de l’État prévoit que le conseil de discipline est saisi « par un rapport émanant de l’autorité ayant pouvoir disciplinaire […]. Ce rapport doit indiquer clairement les faits reprochés au fonctionnaire et préciser les circonstances dans lesquelles ils se sont produits ». Le fonctionnaire doit pouvoir présfonenter ses observations devant le conseil de discipline. Enfin, le décret prévoit que « le rapport établi par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire […] et les observations éventuellement présentées par le fonctionnaire sont lus en séance ».

Dans cet arrêt, la haute juridiction a déduit de ces dispositions et du principe général des droits de la défense selon lequel « le fonctionnaire qui fait l’objet d’une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle doit être informé des insuffisances qui lui sont reprochées et mis à même de demander la communication de son dossier », qu’ « aucune disposition ne prévoit que le fonctionnaire poursuivi doive recevoir communication, avant la séance du conseil de discipline, du rapport de l’autorité ayant saisi l’instance disciplinaire».

Puis, constatant que le rapport lu devant le conseil de discipline se bornait à résumer le contenu des pièces du dossier, dont la requérante avait pu prendre connaissance, elle juge que la circonstance que ledit rapport n’avait pas été communiqué à la requérante avant la séance n’entache pas d’irrégularité la procédure disciplinaire suivie à son encontre.

Reste qu’une telle diligence est à ce point aisé à accomplir qu’il reste préférable de la mettre en œuvre en pratique pour éviter tout débat sur le point de savoir si, oui ou non, l’agent a été suffisamment mis à même de se défendre contre les griefs de l’administration portés à son encontre.

COVID 19 : Identification et prise en charge des agents vulnérables

Le 10 novembre 2020, la DGAFP a publié une circulaire relative à l’identification et aux modalités de prise en charge des agents publics civils reconnus personnes vulnérables.

Il s’agit de « [reprendre et adapter] à la fonction publique les dispositions du décret pris pour l’application de l’article 20 de la loi n°2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificatives pour 2020 applicable aux salariés ».

Premièrement, il est rappelé une liste (non cumulative mais exhaustive) des pathologies qui impliquent une vulnérabilité, auxquelles s’ajoute l’état de grossesse (3ème trimestre uniquement) et le dépassement de l’âge de 65 ans : antécédents cardiovasculaires, diabète (non équilibré ou présentant des complications), pathologie chronique respiratoire susceptible de décompenser lors d’une infection virale, insuffisance rénale chronique dialysée, cancer évolutif sous traitement, obésité, immunodépression congénitale ou acquise, cirrhose au stade B, sclérose en plaques, maladie de Parkinson etc.

On relèvera que, pour chacune, des critères particuliers sont posés, comme par exemple s’agissant du diabète.

L’autorisation spéciale d’absence n’est ensuite réservée qu’aux agents pour lesquels des aménagements sont insusceptibles d’intervenir. Pour les autres, après avoir rappelé que la prise en charge ne peut être engagée qu’à la demande des agents et sur la base d’un certificat médical (sauf pour l’atteinte de l’âge de 65 ans), l’agent doit être placé en télétravail, pour l’intégralité de son temps de travail.

Si le recours au télétravail est impossible, il appartient à l’employeur de déterminer les aménagements de poste nécessaires à la reprise du travail en présentiel par l’agent concerné, dans le respect des mesures de protection telles que préconisées par le Haut Conseil de santé publique : isolement du poste de travail (bureau individuel ou permettant le respect de la distanciation physique) ou, à défaut, son aménagement, pour limiter au maximum le risque d’exposition (horaires, mise en place de protections) ; respect strict, sur le lieu de travail, des gestes barrières applicables ; absence ou à défaut réduction au maximum du partage du poste de travail ; adaptation des horaires d’arrivée et de départ afin de garantir le respect de la distanciation physique compte tenu des moyens de transport ; mise à disposition de masques usage médical en nombre suffisant pour couvrir les trajets entre le domicile et le lieu de travail en cas de prise des transports en commun etc.

Enfin, la médecine préventive est compétente en cas de désaccord sur les aménagements ad hoc et un placement en ASA doit intervenir dans l’intervalle.

Le caractère décennal des désordres peut être apprécié au regard de l’existence d’un risque suffisamment établi de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination

Dans un récent arrêt du 13 octobre 2020, la Cour administrative d’appel de Nancy apporte une illustration intéressante de l’appréciation du caractère décennal de désordres, qui apparus, dans le délai de dix ans, sont de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination dans un délai prévisible.

Dans cette affaire, une Commune avait constaté l’apparition de désordres sur l’un de ses réservoirs d’eau potable consistant principalement dans la présence de poches et cloques sur le revêtement intérieur du réservoir et ayant conduit l’Agence Régionale de Santé à prescrire l’exécution de travaux qualifiés d’« obligatoires ».

Contrainte de procéder à la reprise des désordres en urgence au regard notamment des risques de contamination de l’eau soulignés par l’ARS, la Commune n’avait eu d’autres choix que de faire procéder à la désignation d’un expert dans le cadre d’un référé constat, lequel limite la mission de l’expert à la constatation des faits, à l’exception de toute analyse technique de l’origine des désordres, et de leur imputabilité, mais encore de leur caractère décennal.

Sur la base dudit rapport et des courriers adressés par l’ARS, la Commune a par la suite tenté d’obtenir devant le tribunal administratif de Strasbourg, l’indemnisation du préjudice consécutif sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs auprès de l’Etat, maître d’œuvre des travaux et de l’entreprise de travaux cependant placée en liquidation judiciaire.

Le tribunal administratif a toutefois rejeté la requête au motif que la Commune n’établissait pas que les désordres étaient de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination dans un délai prévisible.

La Cour administrative de Nancy, saisie de l’appel dirigé contre le jugement, rappelle tout d’abord le principe désormais bien établi aux termes duquel « les désordres apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d’ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n’apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables » (voir CE, 15 avril 2015, Cne Saint-Michel-sur-Orge, n° 376229, Rec. Lebon).

Le juge administratif considère ainsi classiquement qu’il suffit que le dommage constaté dans le délai de dix ans acquière de manière certaine une gravité décennale dans un délai prévisible pour que la responsabilité décennale puisse être engagée.

La Cour administrative d’appel de Nancy censure toutefois le jugement de première instance en relevant que la circonstance qu’un risque de contamination de l’eau destinée à la consommation humaine soit suffisamment établi suffit à conférer aux désordres le caractère de désordres de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination.

Pour ce faire, la Cour administrative d’appel de Nancy s’est néanmoins attachée à relever les obligations réglementaires qui incombent aux maîtres d’ouvrages de réservoir d’eaux potable quant à le prévention de l’introduction ou l’accumulation de micro-organismes, et à déduire des rapports d’experts que les désordres affectant le revêtement d’étanchéité étaient appelés à se généraliser et à s’aggraver.

Cette décision confirme la définition extensive que le juge administratif entend donner au dommage futur. La portée de cet arrêt reste toutefois toute relative. En effet si la Cour administrative d’appel de Nancy ne fait pas ici référence au caractère « certain » de l’acquisition du caractère décennal dans un délai prévisible, elle s’attache néanmoins à rechercher le caractère « suffisamment établi » du risque de contamination.

Rupture conventionnelle dans la fonction publique : l’agent public peut être accompagné par un conseiller désigné par une organisation syndicale de son choix

1 – Aux termes d’une décision en date du 15 juillet 2020 précédemment commentée, le Conseil d’Etat avait décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel, les questions prioritaires de constitutionnalité mettant en cause la conformité à la Constitution du dixième alinéa du I de l’article 72 de la loi du 6 août 2019.

Pour rappel, l’article 72 alinéa 10 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique introduisant la possibilité d’une rupture conventionnelle dans la fonction publique dispose que :

« Durant la procédure de rupture conventionnelle, le fonctionnaire peut se faire assister par un conseiller désigné par une organisation syndicale représentative de son choix ».

Le Conseil d’Etat avait alors jugé que :

« le moyen tiré de ce que les dispositions du dixième alinéa du I de l’article 72 de la loi du 6 août 2019 méconnaîtraient les droits et libertés garantis par la Constitution, notamment le principe d’égalité et les droits proclamés au sixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, soulève une question qui peut être regardée comme présentant un caractère sérieux » (CE., 15 juillet 2020, n° 439031)

2 – En première analyse, les termes de cette décision semblaient inviter le Conseil constitutionnel à se prononcer sur la conformité de cette disposition avec le 6ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Suivant ce principe particulièrement nécessaire à notre temps :

« 6. Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».

L’occasion était donc offerte au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la conformité à la Constitution de l’article 72 alinéa 10 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 sous le prisme de l’exercice du droit syndical.

Cependant, une telle opportunité représentait assurément un risque juridique voire politique majeur en ce que le Conseil constitutionnel aurait nécessairement dû se prononcer sur la notion de syndicat représentatif.

3 – Afin de contourner cet obstacle, le Conseil constitutionnel a préféré se fonder sur les dispositions de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 en ce que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».

S’appuyant alors sur l’interprétation classique du principe d’égalité formulée par le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel a considéré que la différence de traitement opérée entre les organisations syndicales représentatives et non-représentatives était sans rapport avec l’objet de la loi.

En conséquence, en adoptant l’article 72 alinéa 10 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 :

« Le législateur a entendu accorder une garantie au fonctionnaire durant la procédure de rupture conventionnelle. Toutefois, le caractère représentatif ou non d’un syndicat ne détermine pas la capacité du conseiller qu’il a désigné à assurer l’assistance du fonctionnaire dans ce cadre. Dès lors, la différence de traitement est sans rapport avec l’objet de la loi ».

Cette disposition méconnait alors le principe d’égalité devant la loi et est n’est pas conforme à la Constitution.

4 – Dès à présent, il appartient donc au législateur de prendre en compte cette décision et de permettre à tout fonctionnaire de se faire assister par un conseiller désigné par une organisation syndicale de son choix que celle-ci soit ou non représentative.

Par ailleurs, et sans attendre une future modification législative, il apparait d’ores et déjà important pour les collectivités de se conformer à cette décision eu égard à l’importance de l’accompagnement de l’agent lors de l’entretien préalable obligatoire à la rupture conventionnelle, accompagnement qui apparaît comme une condition substantielle à la validité de la convention de rupture.

Absence de manquement du maître d’oeuvre à son obligation de conseil et qualité pour engager une action en garantie décennale

Il s’agit ici d’une nouvelle application du principe bien établi du devoir de conseil du maître d’œuvre que les juridictions administratives sont très régulièrement amenées à apprécier, comme, par exemple, dans la décision du Conseil d’Etat du 8 janvier 2020 n° 428280 que nous avions déjà commentée dans notre lettre d’actualité juridique de janvier.

Dans cette affaire également, la Cour rappelle les conditions d’engagement de la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre, soit le fait de s’être abstenu d’attirer l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont il pouvait avoir eu connaissance en cours de chantier.

En l’espèce, la Cour ne retient aucun manquement du maître d’ouvrage à son devoir de conseil, au motif que :

« au vu en particulier du rapport d’expertise, il ne résulte de l’instruction ni que la fissuration de la cuve de la fosse septique installée chez M. A… ait été présente ou susceptible d’être décelée en cours de chantier, ni que la société SNE Quantitec ait eu connaissance de défauts d’exécution des travaux en lien avec les désordres constatés en 2015 qu’elle ne pouvait manquer de relever afin de proposer une réserve lors de la réception ».

Il est également intéressant de souligner le contexte particulier d’intervention de la communauté de communes, appelante dans cette affaire, pour la réalisation des travaux litigieux qui avait entrepris de faire réhabiliter les installations d’assainissement non-collectif de personnes privées avec qui elle avait conclu des conventions aux termes notamment desquelles elle choisissait les équipements d’assainissement ainsi que l’entrepreneur chargé de les installer.

La communauté de communes n’était donc pas propriétaire des ouvrages faisant l’objet des travaux de réhabilitation, et n’avait corrélativement pas la qualité de maître d’ouvrage.

La Cour a ainsi considéré qu’elle n’était pas directement détentrice de l’action en garantie décennale et n’avait donc pas qualité pour demander à être indemnisée, au titre de cette garantie, du montant des travaux nécessaires à la réparation de l’ouvrage, à savoir une cuve de fosse septique fissurée.

Et ce, nonobstant l’existence d’une clause dans la convention prévoyant que le propriétaire était tenu d’informer la communauté de communes des désordres affectant l’ouvrage et reconnaissait que cette dernière était seule détentrice d’une action en responsabilité fondée sur la méconnaissance des obligations contractuelles des constructeurs.

La Cour considère qu’une telle convention n’avait pour objet ou pour effet ni de subroger la communauté de communes dans les droits du maître d’ouvrage privé aux fins d’exercer une action en garantie décennale ni de lui permettre, à un autre titre, d’exercer une telle action au nom et pour le compte d’un propriétaire privé.

Confirmation du délai applicable au recours entre constructeurs co-obligés : mieux vaux trois fois qu’une

Par un arrêt rendu le 5 novembre 2020[1], la troisième chambre civile de la Cour de cassation est venue confirmer sa solution rendue aux termes de ses deux arrêts du 16 janvier 2020[2] concernant le délai applicable à l’action en contribution à la dette des constructeurs.

En pratique et pour mémoire, il résulte des dispositions de l’article 1792 du Code civil que le maître d’ouvrage dispose d’un délai de 10 ans à compter de la réception pour agir contre les locateurs d’ouvrage.

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article 1792-4-3 du même Code que le maître d’ouvrage dispose du même délai d’action de 10 ans à compter de la réception pour agir contre les sous-traitants.

A la lumière de ces dispositions et après de nombreuses divergences jurisprudentielles, la Cour de cassation se devait de se prononcer sur le régime de prescription applicable, cette fois-ci, à l’action des constructeurs entre eux c’est-à-dire des coobligés à la dette.

C’est désormais chose faite, la Cour a tranché non pas une fois, ni deux mais trois fois cette année avec ce nouvel arrêt !

En l’espèce, une Commune a entrepris des travaux de voiries pour lesquels elle a confié la maitrise d’œuvre à trois sociétés distinctes assurées auprès de leur assureur respectif, étant précisé que le lot voirie a, quant à lui, été confié à deux entreprises.

Se plaignant de désordres, la Commune a obtenu, par un arrêt rendu le 28 mai 2009 par la Cour administrative d’appel, la condamnation solidaire de quatre des cinq intervenants à l’opération.

Postérieurement, la première société chargée de la maitrise d’œuvre ainsi que son assureur tous deux condamnés ont alors sollicité un partage de responsabilité entres les différents maitres d’œuvre et ont obtenu, par un jugement du 10 mai 2012, de l’assureur du troisième maitre d’œuvre ayant échappé à une première condamnation, le règlement d’un tiers des sommes déboursées.

En parallèle, le 4 octobre 2010, l’une des entreprise titulaire du lot voirie a également assigné en paiement non seulement l’assureur de cette troisième société de maitrise d’œuvre mais également la première société de maitrise d’œuvre et son assureur, lesquels ont, à leur tour, formé un recours à l’encontre de l’assureur de la troisième société de maitrise d’œuvre.

En appel, pour juger que l’action de cette première société de maitrise d’œuvre et son assureur n’était pas prescrite, la Cour a retenu, au visa des dispositions de l’article 2224 du Code civil que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

C’est une belle confirmation en tout point de la part de la Cour de cassation.

En revanche si elle réaffirme le principe de la prescription quinquennale, la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur le fait de savoir ce que l’on entend par le « jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » …

…la suite au prochain arrêt !

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[1] https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/troisieme_chambre_civile_572/774_5_45830.html

[2]https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000041490384&fastReqId=942642212&fastPos=1

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000041490388&fastReqId=576917448&fastPos=1

COVID-19 / Aides économiques : Suspension des aides économiques départementales au soutien des entreprises touchées par la crise sanitaire

Saisi dans le cadre d’une procédure de référé suspension par le préfet des Ardennes, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne était amené à se prononcer sur la légalité de la délibération du département des Ardennes adoptée le 14 mai dernier, ayant pour objet la création d’une « contribution complémentaire au fonds de résistance pour soutenir la relance de l’activité ».

La délibération du département des Ardennes qui lui était soumise avait pour objet d’instituer, en complément du fond « résistance » instauré par la Région Grand Est permettant l’octroi d’une aide économique aux associations, entrepreneurs, micro-entrepreneurs et petites entreprises, un fond visant à soutenir les entrepreneurs établis sur le territoire départemental.

Considérant toutefois que la création et la mise en œuvre d’un tel dispositif ne relevaient pas des compétences dévolues aux départements, le préfet des Ardennes a immédiatement déféré la délibération au Tribunal.

L’argument soulevé pas le préfet se comprenait sans peine à l’aune de l’état du droit : la région est, par principe, seule compétente pour mettre en place des régimes d’aides au profit des entreprises y compris au profit des entreprises en difficulté. Et si les communes et leurs groupements peuvent participer au financement et à la mise en œuvre des régimes d’aides mis en place par la région dans le cadre d’une convention passée avec elle, ce n’est pas le cas des départements (article L. 1511-2 du Code général des collectivités territoriales).

C’est ce que soulignait le Tribunal : « il résulte des dispositions précitées que les régions sont, en dehors des exceptions qu’elles déterminent, seules compétentes pour définir et attribuer des aides économiques aux entreprises ».

Reste que les départements, tout comme les communes et leurs groupements, peuvent tout de même créer et mettre en œuvre des régimes d’aides lorsqu’un texte les y habilite spécifiquement ; étant précisé que ni l’existence d’une compétence dans un domaine donné, ni la clause générale de compétences ne suffisent à justifier une compétence sur le terrain des aides économiques (CE, 11 octobre 2017, Département des Yvelines et autres, req. n° 407347 ; CAA Nantes, 27 avril 2018, Union des métiers et des industries de l’hôtellerie des Côtes d’Armor, req. n° 16NT03165).

Mais là encore, le Tribunal n’est pas parvenu à identifier de textes justifiant la création d’un dispositif de cette nature par le Département « il ressort des pièces du dossier que les conditions d’éligibilité fixées par la délibération en litige ne permettent pas de restreindre l’octroi de l’aide économique qu’elle prévoit aux compétences dévolues au département en la matière et qui sont rappelées au point 3 ».

Le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a donc logiquement conclu que le moyen soulevé par le Préfet était effectivement de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la délibération déférée qui devait, en conséquence, être suspendue.

Loin de surprendre, cette ordonnance s’inscrit au contraire pleinement dans la philosophie qui animait le gouvernement lorsqu’il a entrepris de réformer la répartition des compétences entre les collectivités territoriales (instruction du gouvernement du 3 novembre 2016 sur les conséquences de la nouvelle répartition des compétences en matière de développement économique sur les interventions des conseils départementaux), et s’inscrit au-delà dans la continuité des décisions déjà adoptées par d’autres juridictions administratives (décisions précitées).

Le vrai apport de cette ordonnance réside sans doute ailleurs : en se plaçant sur le seul terrain des textes de droit commun, le Tribunal souligne autrement que les différentes ordonnances et autres décrets adoptés depuis mars pour faire face à la crise sanitaire n’ont rien changé aux règles de compétences en matière d’aides économiques.

Les collectivités territoriales ne disposent donc pas plus d’outils que par le passé pour aider les commerces, entreprises ou autres acteurs économiques établis sur leur territoire, et frappés par les conséquences de la crise sanitaire, à tout le moins de façon immédiate : naturellement, les collectivités peuvent en revanche incidemment soutenir les commerces en difficulté par la voie de dispositifs qui cette fois sont entre leurs mains, et notamment par la voie de report, franchise et/ou autre rabais sur les redevances dues au titre de l’occupation du domaine. 

Droit de préemption : précisions sur la réalité du projet et l’intérêt général dans le cadre de la réalisation de logements

Par un arrêt en date du 15 octobre 2020, la Cour administrative d’appel de Versailles donne des précisions très utiles à propos de l’exercice du droit de préemption par la commune de Villemomble en vue de la réalisation, par l’office public de l’habitat de Villemomble, d’un ensemble immobilier comprenant environ quarante logements sociaux, dans le cadre de la convention d’utilité sociale passée entre cet office et le préfet de la Seine-Saint-Denis.

En premier lieu, sur la réalité du projet, la cour administrative d’appel de Versailles énonce que la commune pouvait valablement se prévaloir du projet poursuivi par l’office public de l’habitat qui lui est rattaché, dont la réalisation est – en outre – de nature à contribuer au respect qui lui incombe des objectifs fixés par la loi en termes de logements locatifs sociaux (article L. 302-5 du Code de la construction et de l’habitation).

En second lieu, sur le moyen tiré d’un prétendu détournement de pouvoir soulevé par le requérant, la Cour administrative d’appel de Versailles précise que le fait, notamment, que l’acquéreur évincé ait conduit un travail et mené une réflexion avec la mairie de Villemomble pendant plusieurs mois pour faire aboutir son propre projet immobilier que l’office public de l’habitat de Villemomble aurait « récupéré à peu de frais » est insuffisant pour démontrer que le maire a agi dans un but étranger à celui en vue duquel le droit de préemption.

Cette décision vient rappeler finalement que le droit de préemption urbain, introduit par le législateur pour permettre des interventions nécessaires de la puissance publique dans les relations entre particuliers, comporte nécessairement des restrictions pour le propriétaire vendeur et l’acquéreur évincé qui se justifient par l’intérêt général.

Utile rappel sur l’indemnité versée au titulaire d’un marché en cas de non atteinte du minimum prévu par le marché à bons de commandes

Par un arrêt en date du 22 octobre 2020, la Cour administrative d’appel de Versailles est venue rappeler l’indemnité à laquelle est en principe éligible un titulaire dans le cadre d’un marché à bons de commandes exécuté, sans atteindre la valeur minimum prévue par le contrat.

En l’occurrence, le Syndicat intercommunal d’aménagement de réseaux et de cours d’eau (SIARCE) avait attribué à la société « Aero Infra Réseaux », un des lots du marché de prestation intellectuelle à bons de commande portant sur la gestion des eaux, des réseaux et des ouvrages relevant de sa compétence. Conclu pour une durée d’un an, le marché a été reconduit pour la même durée, à l’issue de laquelle le syndicat a décidé de ne plus renouveler le marché.

A la suite à cette décision de non-reconduction, le titulaire du marché a réclamé une indemnité égale à la différence entre le montant total des bons de commande effectivement émis durant l’année d’exécution du marché et le montant minimum annuel prévu par le contrat. Cette demande indemnitaire a été rejetée implicitement par le Syndicat avant d’être déférée et écartée également par le Tribunal administratif de Versailles.

Saisi en appel, la Cour administrative d’appel de Versailles a rappelé qu’en vertu de l’article 3.7.5 du CCAG-PI applicable, le titulaire ne peut prétendre à une indemnité égale à la différence entre le montant total des bons de commande effectivement émis et le montant minimum annuel prévu par le marché, il peut seulement exiger le paiement d’une indemnité égale à la marge bénéficiaire qu’il aurait réalisé sur les prestations qui restaient à exécuter pour atteindre le montant minimum prévu par le contrat, sous réserves que cette demande soit établie par l’intéressé.

Ainsi, pour rejeter la demande subsidiaire d’une indemnité égale à la marge bénéficiaire à laquelle la société requérante aurait pu prétendre, la Cour administrative d’appel de Versailles a considéré qu’elle n’établissait pas la réalité du préjudice qu’elle invoque, dès lors qu’elle n’avait produit aucun élément comptable suffisamment probant relatif à sa marge nette concernant des prestations analogues réalisées durant les années d’exécution, ou encore des informations sur le taux de marge nette généralement constaté pour des entreprises du même type et pour des prestations de même nature exécutées à l’époque.