Economie sociale et solidaire
le 23/05/2024
Sara BEN ABDELADHIM
Audrey LEFEVRE

La loi Economie Sociale et Solidaire fête ses 10 ans : bilan et perspectives du secteur de l’ESS

L’heure du focus annuel de la Lettre d’actualités juridiques dédié à l’Economie Sociale et Solidaire est arrivée. Dans la droite ligne des Lettres d’actualités juridiques parues en 2022 (numéro #128) et en 2023 (numéro #143), le focus est consacré, cette année, aux 10 ans de la Loi ESS, dite « Loi Hamon », promulguée le 31 juillet 2014. Il est aussi l’occasion de faire écho à la récente nomination de Sara BEN ABDELADHIM comme directrice du secteur « économie sociale et solidaire » au sein du cabinet et qui a pris la plume pour la rédaction de ce focus.

Très engagé aux côtés de tous les acteurs de l’ESS, SEBAN AVOCATS, dont l’ADN est l’intérêt général, est heureux d’étoffer son équipe d’avocats dédiés à l’ESS pour les accompagner, avec les autres équipes du cabinet, dans toutes leurs problématiques de droit privé, public et pénal. Bonne lecture.

Audrey LEFEVRE, avocate associée

 

La Loi ESS, également connue sous le nom de « Loi Hamon », s’apprête à fêter ses dix ans puisqu’elle a été promulguée le 31 juillet 2014. Cet anniversaire est ainsi l’occasion de faire un nécessaire bilan de ce mode alternatif de développement économique.

Nous sommes heureux de constater que l’ESS est un mode d’entreprendre qui gagne aujourd’hui du terrain selon le dernier état des lieux de l’Observatoire de l’Economie Sociale, publié en 2022, et occupe aujourd’hui une place significative au sein de l’économie française. En effet, l’ESS représente plus de 2 millions d’emplois salariés pour plus de 220 000 établissements employeurs, soit environ un emploi salarié sur dix. L’ESS est présente dans tous les secteurs d’activités (l’action sociale, l’enseignement, la santé, les arts et spectacles, les activités financières et d’assurance, le sport et les loisirs, l’agriculture…) et s’invite également dans de nouvelles filières telles que le BTP, les médias, le textile…

En l’espace de 10 ans, l’ESS a ainsi gagné en notoriété auprès du grand public, représentant l’idéal d’une économie plus respectueuse de la personne, plus sobre, et favorisant différentes transitions (inclusive, verte et numérique). Ce secteur séduit notamment par l’idée centrale selon laquelle les acteurs de l’ESS ne sont pas motivés par la lucrativité, mais par le développement de projets au service de l’intérêt collectif.

C’est à partir de ce postulat que la Loi Hamon a posé, pour la première fois en France, une définition de l’Economie Sociale et Solidaire, reposant sur trois conditions :

  • Le but poursuivi est autre que le seul partage des bénéfices ;
  • La gouvernance adoptée est démocratique en prévoyant la participation des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise, ce qui place ainsi l’acteur au cœur du mouvement ESS ;
  • La gestion de l’entreprise a pour objectif principal le maintien ou le développement de son activité.

Cette loi a eu pour rôle essentiel d’élargir le périmètre de l’ESS, qui reposait jusque-là historiquement sur les associations, coopératives et mutuelles, à l’ensemble des acteurs du secteur non lucratif comme les fonds de dotations, les fondations et aussi les sociétés commerciales (sous réserve, pour ces dernières de remplir certaines conditions évoquées plus haut). Ainsi, et alors que le modèle anglo-saxon repose sur les charities et organismes non profit, la France a opté pour un modèle alliant véritablement financements publics et privés.

L’ambition a été de créer un cadre juridique et d’aider les associations (qui continuent de représenter la majorité des acteurs de l’ESS) à changer d’échelle, en structurant par exemple le régime des fusions entre associations (issu du Décret n° 2015-832 du 7 juillet 2015 pris pour l’application de la loi du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire et relatif aux associations, en grande partie inspiré du régime simplifié de fusion applicable aux sociétés).

Cette reconnaissance institutionnelle était devenue indispensable au développement de l’ESS et a sans aucun doute permis la structuration du secteur grâce à la reconnaissance d’organisations représentatives au niveau national et local et en créant des instances de débat avec l’Etat et les collectivités.

Malgré ce bilan positif, on constate encore des obstacles importants au développement de l’ESS en France, tel que l’insuffisance chronique de la volonté politique de soutien à l’ESS.

L’enjeu de l’emploi et de l’engagement bénévole dans l’ESS

Le développement de l’ESS devra faire face à deux enjeux majeurs en vue de solidifier la professionnalisation des emplois de ce secteur.

Tout d’abord, il existe une véritable difficulté d’attractivité de ce secteur due à de nombreux facteurs que sont le manque de valorisation des métiers, les faibles rémunérations, la multiplication des CDD, le temps partiel subi (tout particulièrement dans les métiers des secteurs sociaux et médico-sociaux). On dénombrerait aujourd’hui près de 100 000 emplois non pourvus dans certains secteurs essentiels de l’ESS selon l’UDES. Une meilleure reconnaissance des formations est aujourd’hui capitale.

Il est également à noter que le développement de l’ESS repose encore essentiellement sur l’engagement bénévole. Or, le recul de l’âge légal de départ à la retraite constitue une menace sur cet engagement puisque les bénévoles sont, encore aujourd’hui, en majorité des retraités. L’engagement des jeunes générations est essentiel à l’avenir de la branche non lucrative de l’ESS, rendant urgente la revalorisation du statut de bénévole.

En ce sens, la Loi n° 2024-344 du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative pourra jouer un rôle non négligeable notamment en favorisant l’engagement et la formation des bénévoles :

  • L’accès aux droits de formations est facilité ;
  • Les conditions de recours au congé d’engagement sont assouplies ;
  • Les activités bénévoles permettent désormais d’acquérir des droits inscrits sur le compte personnel de formation (CPF) ;
  • Le mécénat de compétence est encouragé grâce à l’ouverture à l’ensemble des entreprises (suppression du seuil d’au moins 5 000 salariés) et à l’allongement de deux à trois ans de la durée limite de mise à disposition du personnel sous cette forme ;
  • Les salariés ont désormais la possibilité de faire don de leurs congés payés ou RTT non pris au profit d’associations ou de fondations et de bénéficier à ce titre d’un avantage fiscal.

Outre ces mesures visant à faciliter le bénévolat, cette loi du 15 avril 2024 simplifie la vie associative en facilitant par exemple les conditions de prêt entre associations et l’organisation de lotos et tombolas solidaires.

Si ces mesures sont les bienvenues, on pourrait toutefois encore déplorer que l’ouverture du régime de « groupe TVA » n’ait pas été ouvert aux associations comme le proposait initialement la proposition de loi.

On retiendra toutefois que le Gouvernement est chargé de remettre dans un délai d’un an un rapport évaluant la performance de ces mesures et présentant des pistes nouvelles afin d’encourager encore l’engagement bénévole.

L’essor du mécénat dans l’ESS

Si l’engagement bénévole constitue l’une des ressources humaines essentielles de l’ESS, le mécénat constitue pour sa part une ressources financières importante qui n’a cessé de prendre de l’importance ces dix dernières années, comme en atteste l’analyse publiée par la DGFIP en janvier dernier (DGFiP Analyses n°06 – janvier 2024). Cette analyse chiffrée revient sur la période 2011-2021 et retrace l’évolution du nombre de donateurs et du montant de leurs dons ouvrant droit à une réduction d’impôt.

Il en ressort une hausse significative des dons sur cette période puisqu’en 2021, 5,9 milliards d’euros de dons ont été déclarés à l’administration fiscale, dont 3,3 milliards d’euros correspondent aux dons des particuliers, soit une augmentation de 50 % en 10 ans. Les dons des entreprises ont doublé sur cette période, étant précisé que le nombre d’entreprises mécènes a triplé en 10 ans. Il est intéressant de noter que bien que les dons de très petite entreprise progressent depuis 2015, les dons de grandes entreprises représentent chaque année la moitié des dons déclarés (ces dons transitent bien souvent par leurs fondations).

Cette progression démontre le fait que le secteur non lucratif de l’ESS repose sur des modèles juridiques solides (les fondations et fonds de dotation), bien que la multiplication des formes de fondations puisse quelque peu complexifier la démarche des mécènes qui peinent parfois à identifier le véhicule adéquat pour leur projet d’intérêt général, lequel repose bien souvent sur un modèle économique incluant le financement privé par le mécénat. Cette difficulté touche également les sociétés du type SEM ou SPL pour lesquelles les contraintes liées la présence de personnes publiques dans le capital devront être tout particulièrement prises en considération préalablement à tout montage incluant du mécénat.

En matière de mécénat, on rappellera également que cette pratique, avec celle du parrainage, n’est pas sans risque. Ceci a été rappelé récemment par l’Agence française anticorruption (AFA) au sein de son nouveau guide « sécuriser les opérations de mécénat et de parrainage des entreprises » publié en mars 2024. Parmi les risques identifiés au sein de ce guide, on citera par exemple la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, le favoritisme, le détournement de biens publics ou encore la concussion.

Ainsi, et avec la multiplication du nombre de dons, la prévention de ces risques par les associations et autres organismes sans but lucratif bénéficiaires ainsi que les mécènes doit impérativement être prise en compte sous forme de gouvernance, cartographie des risques, politiques et procédures, formation, contrôles internes, etc.

 Perspectives

La récente rencontre européenne intitulée « l’économie sociale au cœur des transitions » qui s’est déroulée les 12 et 13 février 2024 à Liège, en Belgique, dans le cadre de la présidence belge de l’Union européenne (UE) a été l’occasion pour les ministres en charge de l’Economie Sociale et Solidaire des États membres de signer une feuille de route visant à esquisser l’avenir de l’ESS au sein de l’Union, sous la forme de 25 recommandations adressées aux organes de gouvernance de l’Union européenne, signées par 21 Etats membres.

Plusieurs recommandations fortes ressortent de cette feuille de route :

  • Inclure le développement de l’ESS dans ses orientations politiques 2024-2029 et dans ses programmes de travail annuels, ainsi que d’attribuer la responsabilité de l’ESS à l’un des commissaires en poste ;
  • Encourager l’innovation sociale par le développement et le financement de groupements d’acteurs, d’incubateurs d’entreprises d’économie sociale, de clusters d’innovation sociale et de micro-projets, ainsi que par la mise en place de réseaux locaux capables de mettre en œuvre des coopérations efficaces pour structurer la réponse aux besoins territoriaux ;
  • Procéder à une analyse détaillée de la législation européenne et des règles en matière d’aides d’Etat afin d’identifier les potentielles difficultés rencontrées par l’ESS et apporter des solutions appropriées ;
  • Examiner comment adapter les réglementations en matière d’aides d’Etat pour mieux prendre en compte l’économie sociale ;
  • Publier un livre blanc recensant les bonnes pratiques d’accompagnement de l’ESS, notamment la mobilisation des aides publiques, le recours aux qualifications de services d’intérêt économique général (SIEG) et de services sociaux d’intérêt général (SSIG), ainsi que la formation continue aux spécificités de l’ESS des agents publics.

La volonté affichée est donc bien celle de placer l’ESS dans le programme d’action de la Commission européenne. Le soutien politique du développement de l’ESS, bien qu’encore insuffisant à ce jour, fait preuve de belles perspectives notamment européennes.

Sara BEN ABDELADHIM, avocate directrice