Il y a un peu plus de deux ans, l’Assemblée Nationale adoptait la loi dite « Climat et résilience » n° 2021-1104 du 22 août 2021. Cette loi, inspirée par des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, a été votée avec d’ambitieux (et nécessaires) objectifs de réduction de l’artificialisation des sols, la France ne faisant pas figure de bon élève sur ce point jusqu’à présent.
Très synthétiquement, la loi instaure un objectif de réduction de moitié du rythme de l’artificialisation des sols sur la période 2021 / 2031 (par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020), et un objectif zéro artificialisation nette d’ici 2050. Le texte a nommé les régions en qualité de chef de file, elles doivent ainsi, par le biais de leur document de planification (SRADDET, SAR, SDRIF, PADDUC), territorialiser cet objectif de – 50 % d’ici 2031, en répartissant et en adaptant l’effort de réduction entre les différentes zones de son périmètre régional.
Si cette loi était nécessaire pour préserver les espaces naturels, agricoles et forestiers (ENAF), il a vite été constaté qu’elle nécessitait des ajustements, des évolutions tendant à rendre la mise en œuvre de ces objectifs plus opérationnelle et plus équitable notamment. Cette loi et ce dispositif ZAN a notamment constitué une source d’inquiétude pour les maires, qui ont, par le biais de l’Association des maires de France (AMF), formulé 20 propositions pour la mise en œuvre du ZAN[1].
1/ Les problématiques pratiques de mise en œuvre de la loi Climat Résilience
Les problématiques identifiées sont de plusieurs ordres, et sont principalement les suivantes :
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D’une part, les délais de transposition des objectifs ZAN dans les documents régionaux, puis dans les documents locaux étaient trop brefs.
La première étape de la transposition est l’étape régionale, principalement à travers le SRADDET, ou encore le SAR, le SDRIF, le PADDUC, qui doivent répartir l’effort sur le territoire. Le délai limite de transposition était, avant la loi du 20 juillet dernier, le mois de février 2024.
Or, pour diverses raisons, ces délais sont apparus quasiment impossibles à tenir, et ce notamment au regard de l’absence de définition de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers.
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D’autre part, il était également mis en avant, notamment par les sénateurs, une absence de territorialisation des objectifs ZAN en fonction des circonstances locales.
En effet, à cet égard, les sénateurs, mais également les élus locaux déploraient en l’état des textes un lien trop contraint entre le document régional et les SCOT / PLU. Il était regretté que les décrets confèrent au SRADDET une portée trop contraignante, limitant la possibilité d’adapter localement les objectifs régionaux, empêchant une répartition équitable de l’effort.
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En outre, il était reproché au texte de ne fixer des objectifs ZAN qu’aux collectivités et non à l’Etat alors que certains des projets les plus consommateurs d’espaces sont décidés et/ou conduits par l’Etat.
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C’est aussi une représentation jugée insuffisante des territoires ruraux et une répartition inégale de l’effort qui était reprochée à la loi et ses décrets.
La « conférence des SCOT » était jugée utile, mais caractérisée par un échelon communal encore trop peu représenté aux étapes stratégiques de la concrétisation des objectifs ZAN.
2/ Les évolutions adoptées par la loi du 20 juillet 2023
Dans ces conditions, une proposition de loi d’initiative sénatoriale a été déposée à l’issue des travaux de la mission conjointe de contrôle sur l’application des objectifs de ZAN a été déposée puis examinée par la commission spéciale chargée de son examen, qui a validé les grandes orientations du texte et ses principaux dispositifs.
Après un passage en commission mixte paritaire, et divers ajustements entre la proposition de loi sénatoriale et le texte final, la loi a donc été adoptée le 20 juillet 2023. Elle est composée de 4 chapitres et 9 articles.
Favoriser le dialogue territorial et renforcer la gouvernance décentralisée :
- Prolongation des délais pour intégrer l’objectif de zéro artificialisation nette des sols au sein des différents documents d’urbanisme (de six à neuf mois selon le cas) (article 1).
Les documents régionaux qui devaient être adaptés au plus tard en février 2024, pourront l’être jusqu’en novembre 2024. Ce délai de 9 mois supplémentaire a fait débat car dans la proposition de loi sénatoriale, il était prévu un allongement des délais d’un an (et l’Assemblée nationale proposait pour sa part une prolongation de seulement 6 mois).
Pour les PLU et SCOT le délai butoir est décalé de 6 mois, soit février 2027 pour les SCOT et février 2028 pour les PLU.
- Abandon de la conférence des schémas de cohérence territoriale pour la transformer en conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols dite « conférence ZAN » afin que la représentation des territoires soit plus équilibrée Elle est consultée notamment sur tout sujet lié à la mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols, et dans le cadre de la qualification des projets d’envergure régionale, nationale ou européenne. La composition et le nombre des membres de cette Conférence sont déterminés par une délibération du conseil régional. Cette commission comprend obligatoirement au moins un représentant de chaque département du périmètre régional, siégeant à titre consultatif. En outre, elle comprend notamment des représentants des diverses collectivités locales ainsi que des représentants de l’Etat. (Article 2).
Accompagner les projets structurants de demain :
- Les grands projets d’envergure nationale et européenne (lignes à grande vitesse, projets industriels d’intérêt majeur, prisons, etc.) ne sont pas décomptés des objectifs des collectivités territoriales mais d’un forfait chiffré de répartition de la consommation des projets d’envergure nationaux ou européens entre l’Etat et les régions. Plus précisément, la loi fixe un forfait chiffré de consommation : 500 hectares pour l’ensemble du pays, dont 10 000 hectares sont mutualisés entre les régions couvertes par un SRADDET, au prorata de leur enveloppe d’artificialisation définie au titre de la période 2021-2031. La loi précise enfin qu’en cas de dépassement du forfait précité, le surcroît de consommation ne peut être imputé sur l’enveloppe des collectivités territoriales ou de leurs groupements.
- Création d’une commission régionale de conciliation sur l’artificialisation des sols, qui pourra être réunie, notamment à la demande d’un EPCI ou encore d’une commune compétente en matière de documents d’urbanisme, dans le cadre de l’évolution d’un document d’urbanisme visant à y intégrer les objectifs de réduction de l’artificialisation des sols. Elle comprend notamment, à parts égales, des représentants de l’Etat et de la région concernée, en vue de palier d’éventuels désaccords quant à la liste des grands projets (article 3).
Mieux prendre en compte les spécificités des territoires :
- La fameuse et débattue garantie rurale, sanctuarisant une surface minimale de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers d’un hectare pour toute commune couverte par un plan local d’urbanisme, ou par un document en tenant lieu prescrit, arrêté ou approuvé avant le 22 août 2026. Cette surface propre à chaque commune pourra être mutualisée à l’échelle intercommunale. Les communes déléguées (du fait de la création d’une commune nouvelle dont l’arrêté de création aurait été pris à partir du 1er janvier 2011) pourront recevoir une majoration de 0,5 hectare chacune, tout en plafonnant cette majoration à 2 hectares (article 4).
- S’agissant des communes littorales, pour la fixation des objectifs chiffrés de lutte contre l’artificialisation des sols dans les documents de planification régionale et d’urbanisme, il est tenu compte des enjeux d’adaptation et de recomposition spatiale de ces territoires. Ainsi, les surfaces artificialisées situées dans une zone exposée au recul du trait de côte délimitée en application du Code de l’urbanisme, peuvent être considérées comme désartificialisées, dès lors que ces surfaces ont vocation à être renaturées dans le cadre d’un projet de recomposition spatiale du territoire littoral (article 5).
Faciliter la transition vers l’absence de toute artificialisation nette des sols grâce à des nouveaux outils :
- L’autorité compétente pourra délimiter au sein de son PLU, ou tout autre document en tenant lieu, des secteurs prioritaires à mobiliser en raison de ce qu’ils présentent un potentiel foncier majeur pour favoriser l’atteinte des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols, à l’intérieur desquels elle pourra instituer le droit de préemption urbain (cette préemption avait été annulée en première lecture par l’Assemblée nationale). Ces secteurs prioritaires peuvent couvrir en particulier, selon la loi, des terrains contribuant à la préservation ou à la restauration de la nature en ville ; des zones présentant un fort potentiel en matière de renaturation ; ou encore, des terrains susceptibles de contribuer au renouvellement urbain, à l’optimisation de la densité des espaces urbanisés ou à la réhabilitation des friches.
- Possibilité de surseoir à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme pour l’autorité compétente en matière de délivrance des autorisations dès lors que le projet objet de la demande d’urbanisme entrainera une consommation d’ENAF qui pourrait compromettre l’atteinte des objectifs de réduction de cette consommation susceptibles d’être fixés par le document d’urbanisme en cours d’élaboration ou de modification, durant la première tranche de dix années (article 6). En revanche, il est précisé qu’un tel sursis à statuer est écarté dès lors qu’il sera justifié que la consommation d’ENAF résultant de la réalisation du projet est compensée par la renaturation d’une surface au moins équivalente à l’emprise du projet.
- La renaturation d’espaces urbanisés ou construits en espaces naturels, agricoles et forestiers, est comptabilisée en déduction de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (article 7).
3 / Prochaine étape : l’adoption des décrets
Immédiatement après l’adoption de la loi en date du 20 juillet 2023, deux projets de décret ont été mis à la consultation du public entre le 25 juillet et le 15 août 2023.
Il est à noter que ces décrets sont fébrilement attendus, dans la mesure où plusieurs dispositions d’origine de la proposition de la sénatoriale ont été supprimées par les parlementaires et doivent être reprises et / ou adaptées selon des modalités différentes dans le cadre de décret (il a été considéré que ces mesures ressortaient de la sphère réglementaire et non législative).
Ont ainsi été renvoyés à la sphère règlementaire :
- L’article 2 qui prévoit que les dispositions relatives à la lutte contre l’artificialisation des sols contenues dans le SRADDET et le SAR s’appliquent aux documents d’urbanisme dans un rapport de prise en compte et non de compatibilité, et qui en outre impose aux régions de justifier de la manière dont il a été tenu compte des propositions faites par les conférences de SCOT en matière de territorialisation des objectifs de réduction d’artificialisation des sols ;
- L’article 5 qui détaille le régime de prise en compte spécifique, au titre de l’artificialisation qu’ils engendrent, pour les projets d’ampleur régionale et qui apporte des précisions sur la prise en compte des projets d’intérêt intercommunal lors de la définition des objectifs de réduction de l’artificialisation dans le PLU ;
- L’article 6 de la proposition de loi sénatoriale prévoyant une meilleure prise en compte des efforts déjà réalisés par le passé par les collectivités pour réduire leur rythme d’artificialisation ;
- L’article 8 définissant une « part réservée au développement rural» au sein des enveloppes fixées par les documents régionaux, les Scot et les PLUi ;
- L’article 11 qui prévoit la mise à dispositions des données d’artificialisation et de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers.
Les projets de décrets qui ont été mis à la consultation du public jusqu’au 15 août dernier sont au nombre de deux :
- Le premier est relatif à la mise en œuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols[2] modifie le décret n° 2022-762 du 29 avril 2022 afin, de compléter les modalités d’application pour l’intégration et la déclinaison des objectifs ZAN afin de mieux assurer la territorialisation des objectifs de sobriété foncière et l’équilibre entre le niveau d’intervention de la région et du bloc communal via les documents d’urbanisme ;
- Le second décret est relatif à la composition et aux modalités de fonctionnement de la commission régionale de conciliation sur l’artificialisation des sols[3].
Il en sera fait l’analyse au moment de leur adoption.
[1] https://www.amf.asso.fr/m/document/fichier.php?FTP=0fd677464a99e2d8dfe18a4e6b3373e8.pdf&id=41516
[2] https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-42304-projet-decret-sraddet.pdf
[3] https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-42304-projet-decret-commission-conciliation-zan.pdf